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Full text of "Les origines du protectorat francais en tunisie (1861-1881)"

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Jean  GANIAGE 


LES  ORIGINES  DU 


Préface  :  Pr.  Khalifa  Chater 


PUBLIOJTIONS  DE  L'INSnHTUT  DES  HAUTES  ÉTUDES  DE  TUNIS 


LES  ORIGINES 

DU 

PROTECTORAT 
FRANÇAIS 
EN  TUNISIE 

(I86M88I) 


)tAN  GANIAGt 


PRESSES  UNIVERSITAIRES  DE  FRANCE 


Couverture  de  Pédition  française  du  livre 
{1959}. 


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PREFACE 


Pr.  Khalifa  Chater 


Comment  présenter  cette  œuvre  du  professeurjean  Ganiage  (1923-2012),  qui  traduit 
son  attachement  à  notre  pays  où  il  a  exercé  au  Lycée  Carnot,  a  consacré  ses  principales 
recherches  puis  a  rejoint  la  Faculté  des  Lettres  de  Tunis  (octobre  1956  -fin  1961),  après 
avoir  soutenu  sa  thèse  à  Paris  en  juin  1957,  sous  la  direction  du  doyen  Pierre  Renouvin  et 
de  Charles-André  Julien  ?  Cette  thèse  fait  sortir  l'histoire  coloniale  de  son  ghetto,  pour  la 
faire  entrer  dans  l'histoire  des  relations  internationales. 

Fait  indéniable,  la  thèse  du  Professeur  Jean  Ganiage,  «Les  origines  du  protectorat 
français  en  Tunisie  (1861-1881)»,  reste  un  ouvrage  de  référence.  Elle  annonce  que  la 
recherche  historique  prend  désormais  la  relève  des  travaux  des  orientalistes,  plus  soucieux 
d'identifier,  défaire  connaître  et  d'analyser  les  grandes  références  du  Levant,  dans  une 
vision  sinon  statique,  du  moins  peu  soucieuse  de  l'évolution  et  de  la  dynamique  interne 
depuis  lors.  Prenons  la  juste  mesure  de  cette  «normalisation»  de  la  connaissance,  par  le 
recours  à  la  discipline  historique,  ses  méthodes  d'investigation  et  ses  analyses  des  archives, 
des  différents  aspects  de  la  vie  politique,  économique  et  sociale.  Fait  inusité,  l'historien  de  la 
Tunisie  contemporaine  a  réuni  sa  riche  documentation,  par  l'étude  des  archives  de  France, 
d'Angleterre,  d'Italie,  d'Allemagne  et  d'une  certaine  mesure  de  Tunisie,  non  complètement 
classées  à  l'époque.  Peut  être  estimait-il  que  ses  étudiants  tunisiens,  dont  il  dirigea  les 
travaux  pratiques  aux  archives  de  Dar  el-Bey  (les  archives  tunisiennes  actuelles)  étaient 
plus  à  même  d'exploiter  les  écrits  en  arabe,  pour  analyser  les  institutions  de  leur  pays. 

D'ailleurs,  la  recherche  du  Professeur  Ganiage  se  réfère  essentiellement  aux  causes 
profondes  de  la  colonisation.  Il  a  eu  le  mérite  de  montrer  la  donne  internationale  du 
partage  colonial,  d'évoquer  l'offre  anglo-allemande  de  la  Tunisie  à  la  France,  en  marge  du 
congrès  de  Berlin  (1878)  :  «Prenez  Tunis,  si  vous  voulez»,  dit  lord  Salisbury  à  Waddington. 
«D'ailleurs,  vous  ne  pouvez  laisser  Carthage  aux  mains  des  barbares».  De  son  côté, 
Bismarck  souhaitait  donner  la  Tunisie  à  la  France,  comme  compensation  à  l'occupation 
de  l'Alsace.  En  réalité,  le  congrès  de  Berlin  mettaitfin  à  la  défense  anglaise  de  l'entité  de 
l'empire  ottoman  et  ouvrait  largement  les  perspectives  de  colonisation,  de  l'Europe  qui 
s'industrialise  et  a  désormais  besoin  de  marchés.  Annoncée  par  le  livre  d' Estournelles  de 
Constant,  en  1891,  cette  révélation  de  l'offre  restait  quasi  confidentielle.  Objet  du  cours  du 
professeur  Ganiage,  durant  Tannée  universitaire  1959-1960,  à  l'Ecole  Normale  Supérieure 


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de  Tunis,  elle  fut  accueillie  par  nous,  ses  étudiants,  comme  la  révélation  d'un  secret  bien 
gardé.  Le  Professeur  Ganiage  présenta  la  question  dans  sa  complexité  (hésitations  de  la 
droite  française,  suspicion  des  intentions  allemandes,  inquiétudes  et  tension  avec  l'Italie, 
état  du  partage  colonial  etc.).  Examinant  le  revirement  français,  Jean  Ganiage  mit  en 
valeur  l'action  de  Courcel,  pour  assurer  la  conversion  décisive  de  Gambetta  et  décrivit  les 
préparatifs  de  l'expédition  et  la  préparation  du  fameux  dossier  de  justification,  à  savoir  la 
prétendue  «menace  des  khoumirs».  De  retour  à  la  scène  tunisienne,  Jean  Ganiage  étudie 
la  dérive  du  gouvernement  beylical,  depuis  l'accès  au  pouvoir  de  Mustapha  Ben  Smaïl  et  le 
nouveau  jeu  des  consuls  par  le  passage  de  la  rivalité  anglaise  Roche/Wood  à  V  affrontement 
italo-français  Maccio  /Roustan,  puisque  la  Grande  Bretagne  est  désormais  sortie  de  scène, 
relayée  avec  moins  de  bonheur  par  l'Italie  quifaisait  valoir  l'héritage  de  l'empire  romain. 

L'analyse  de  l'endettement  tunisien  est  magistrale.  Les  emprunts  de  1863  et  de  1865 
devaient  susciter  la  banqueroute  et  la  mise  en  tutelle  de  la  régence  (1868-1870).  Le  système 
d'obligations  et  les  mécanismes  de  l'emprunt  sont  étudiés  avec  précision.  D'autre  part, 
les  intermédiaires,  la  spoliation  des  détenteurs  des  titres  et  les  opérations  d'escroquerie 
sont  mises  à  nu.  Cas  similaire  à  la  situation  égyptienne,  l'origine  financière  de  l'occupation 
coloniale  est  identifiée.  La  mafia  des  affaires  n  '  est  point  épargnée,  ainsi  d'ailleurs  que  le  jeu 
de  Mustapha  Khaznadar  et  de  Mustapha  Ben  Smaîl.  Les  colonies  européennes  -  la  Tunisie 
étant  une  terre  d'immigration  pour  Malte,  la  Sardaigne  et  la  Sicile  -  sont  étudiées,  ainsi  que 
les  grands  «mercanti»  (négociants)  de  Marseille  et  du  Nord  de  l'Italie,  qui  ont  servi  la  mise 
en  dépendance  précoloniale  et  ont  été  les  agents  des  relations  commerciales  asymétriques. 
Ce  qui  contribua  largement  à  l'endettement  de  la  bourgeoisie  tunisienne,  à  son  exclusion 
du  commerce  de  l'huile  et  au  déclin  du  commerce  transsaharien.  La  nouvelle  architecture 
des  routes  tunisiennes  devait  faire  émerger  le  Sahel,  comme  relais  du  commerce  avec 
l'Europe. 

En  conclusion,  le  professeur  Jean  Ganiage  détaille  le  procès  de  la  colonisation  :  une 
campagne  de  presse  se  déclencha,  fin  septembre  1881,  pour  dénoncer  «une  guerre  pour 
les  affaires».  Jules  Ferry  fut  pris  à  partie  par  la  droite.  De  nombreux  journaux  organisèrent 
une  campagne  politique.  Le  procès  du  journal  /'Intransigeant  éclaire  la  question.  L'opinion 
française  ne  devait  conserver  de  la  conquête  coloniale  que  «le  souvenir  d'affaires  discutables, 
de  tripotages  cyniques,  ourdis  dans  le  milieu  corrompu  d'une  cour  orientale»  (p.  435).  Sans 
prendre  position  sur  la  question,  le  professeur  Ganiage  a  eu  le  mérite  d'étudier  les  dessous 
de  l'opération  et  de  prendre  acte  de  la  genèse  d'un  mouvement  anticolonial  français,  qui  se 
porte  par  la  suite  sur  l'Indochine. 

Certes,  l'étude  des  institutions  tunisiennes  est  plutôt  l'objet  d'un  examen  rapide 
-  certains  diraient  exogène.  Mais  le  Professeur  Jean  Ganiage  a  eu  le  mérite  de  traiter  la 
question  de  l'insurrection  de  1864,  dans  ses  dimensions  tunisienne  et  internationale. 
Elle  fut  un  mouvement  de  résistance  primaire,  un  acte  fondateur  de  l'histoire  tunisienne 
contemporaine,  qui  dépassait  la  fronde  provoquée  par  le  doublement  de  l'impôt  de  la 
mejba  et  les  exactions  de  l'équipe  de  Mustapha  Khaznadar.  Jean  Ganiage  met  en  valeur 
le  gouvernement  Khéreddine  et  surtout  sa  moralisation  de  la  gestion  gouvernementale, 
ainsi  que  son  souci  de  relèvement  du  pays,  illustré  par  la  création  du  collège  Sadiki,  en 
1875,  hérité  de  la  création  de  l'école  polytechnique.  Les  velléités  d'industrialisation 
d' Ahmed  Bey  ont  été  bien  étudiées.  Ont-elles  contribué  à  l'endettement  du  pays  et  à  sa 
mise  en  dépendance  ?  Les  réformes  constitutionnelles  ont  bénéficié  d'un  traitement  de 
faveur,  en  dépit  de  leur  insuffisance.  L'imitation  caricaturale  a  été  peut  être  exagérée.  Mais 
il  appartient  aux  historiens  tunisiens  d'inscrire  dans  le  processus  de  réforme,  mis  à  l'ordre 
du  jour  par  Ahmed  bey  et  l'école  tunisienne,  qui  a  effectué  une  lecture  ijtihadienne  des 


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références.  Elle  justifiait  un  meilleur  mode  de  gouvernance,  une  affirmation  de  l'égalité 
des  droits  et  une  condamnation  des  discriminations  entre  les  sujets  du  hey.  De  ce  point  de 
vue,  la  libération  des  esclaves,  en  1846,  fut  une  gageure.  Elle  précéda  de  nombreux  pays 
européens. 

Une  prise  de  distance  permettrait  une  réévaluation  des  effets  d'entraînement  des 
réformes  engagées  dans  une  conjoncture  défavorable.  A  l'heure  de  l'aliénation  de  la 
souveraineté,  des  réformateurs  ont  fait  le  pari  de  l'ouverture,  du  progrès,  de  la  remise 
en  cause  de  l'absolutisme,  de  la  défense  du  régime  constitutionnel.  Certes  la  greffe  n'a 
pas  réussi,  ni  dans  le  domaine  politique,  ni  dans  le  système  économique.  Mais  la  pensée 
politique  tunisienne  devait  hériter  de  cet  attachement  à  la  constitution.  Ne  perdons  pas  de 
vue  que  le  mouvement  national  a  mis  en  exergue  la  défense  du  Destour.  Autre  acquis,  ce 
souci  de  promotion  et  cette  soif  de  l'enseignement  moderne  à  la  sadikienne. 

La  thèse  du  professeur  Jean  Ganiage  inaugure  les  recherches  universitaires  sur  le 
Maghreb  contemporain,  après  la  synthèse  de  l'histoire  du  Maghreb  de  Charles-André 
julien  (Payot,  Paris,  1932)  et  son  livre  remarquable  /'Afrique  du  nord  en  marche  1880- 
1952  (1953).  Les  travaux  entrepris  par  Jean  Ganiage,  Jean-Louis  Miege,  André  Nouschi, 
Charles-Robert  Ageron,  Robert  Mantran,  André  Martel,  Cari  Brown,  Ernest  Gellner  etc. 
correspondaient  d'ailleurs  à  la  première  décennie  postcoloniale.  Les  historiens  maghrébins 
prirent  la  relève,  confortant  leurs  recherches  par  l'étude  des  références  maghrébines 
telles  que  les  annales  d' Ahmed  Ibn  Abi  Dhiaf  (vulgo  Ben  Dhiaf),  publiées  bien  après  la 
thèse  de  Ganiage.  Elles  exprimaient  la  dynamique  intérieure  des  acteurs  de  la  Tunisie  et 
l'exploitation  méthodique  des  archives  nationales,  qui  complétaient  et  corrigeaient  les 
rapports  des  consuls  et  des  négociants  européens.  Cet  effort  conjugué  devait  permettre  de 
réactualiser  la  connaissance  et  assurer  sa  relecture.  Pouvaient-ils  ne  pas  prendre  la  juste 
mesure  de  l'apport  de  cette  œuvre,  recadrant  la  connaissance  des  origines  du  protectorat 
français  et  annonçant  la  naissance  de  l'école  tunisienne  d'histoire  contemporaine  qui  lui 
doit  tant. 


K.C 


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REMERCIEMENTS 


Les  débuts  de  ce  travail  remontent  à  un  premier  séjour  en  Tunisie  en  1949  au  cours 
duquel  je  commençai  d'étudier  les  archives  de  la  Résidence  générale  et  du  Gouvernement 
tunisien.  Les  trois  années  de  détachement  que  m'a  généreusement  accordées  le  Centre 
National  de  la  Recherche  Scientifique  m'ont  permis  de  me  consacrer  entièrement  à  des 
recherches  qui  m'imposaient  de  longs  séjours  à  l'étranger,  je  n'aurai  garde  de  l'oublier. 
Je  tiens  également  à  adresser  mes  remerciements  à  tous  ceux  qui,  d'une  façon  ou  d'une 
autre,  m'ont  apporté  leur  concours  dans  la  préparation  de  cet  ouvrage.  Aux  archivistes  et 
bibliothécaires  du  ministère  des  Affaires  étrangères  et  des  Archives  nationales  à  Paris,  du 
Public  Record  Office  et  du  British  Muséum  à  Londres,  de  l'Archivio  storico  et  du  ministère 
de  la  Difesa-Esercito  à  Rome,  ainsi  qu'au  personnel  des  archives  tunisiennes  de  Dar  el 
Bey.  Au  regretté  M.  Chapelié,  à  la  comtesse  Raffo,  au  baron  de  Courcel  qui  ont  bien  voulu 
m'ouvrir  leurs  archives  familiales,  à  l'abbé  Heling  et  l'abbé  Menassian  qui  m'ont  avec  tant 
de  libéralité,  donné  accès  aux  registres  de  l'église  Sainte  Croix  de  Tunis,  à  MM.  Emerit  et 
Cuirai,  professeurs  aux  Facultés  des  Lettres  d'Alger  et  d'Aix-en-Provence,  qui  ont  bien  voulu 
me  guider  dans  mes  recherches  et  mettre  à  ma  disposition  leurs  documents  personnels.  A  M. 
Marthelot,  président-délégué  de  l'Institut  des  Hautes  Etudes  de  Tunis,  à  qui  la  publication 
de  cet  ouvrage  doit  beaucoup. 

Ma  pensée  ira  aussi  vers  les  maîtres  qui  m'ont  initié  à  la  recherche  et  à  la  rigueur 
historique,  François  Gadrat,  mon  professeur  de  khâgne  au  lycée  Louis-le-Grand,  Charles 
Edmond  Perrin,  Georges  Lefebvre,  les  doyens  André  Aymard  et  Pierre  Renouvin,  mes 
professeurs  à  la  Sorbonne.  Que  Charles-André  Julien  veuille  bien  trouver  ici  l'expression  de 
mon  affectueuse  gratitude  pour  le  soutien  qu'il  m'a  inlassablement  apporté  tout  au  long 
de  mes  recherches.  Qu'il  me  permette  de  lui  dédier  ce  livre  qui  sans  lui  n'aurait  pas  été. 

Beauvais,  juillet  1958 


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PREFACE  DE  L'EDITEUR 


Après  avoir  édité  la  traduction,  pour  la  première  fois  (en  2012)  en  langue  Arabe  de 
l'œuvre  majeure  de  Jean  Ganiage,  «Les  Origines  du  Protectorat  Français  en  Tunisie»,  la 
Maison  «Berg-édition»  s'est  attelée  depuis,  à  la  réédition  de  l'édition  française  dont  la 
première  édition  par  les  Presses  Universitaires  de  France  remonte  à  1959. 

Cette  réédition  s'inscrit  parfaitement  dans  la  ligne  éditoriale  qu'a  choisie  la  Maison 
«Berg-édition»  ;  à  savoir  :  éditer  particulièrement  des  livres  à  caractère  historique.  Et  ce  n'est 
plus  à  démontrer.  Ayant  commencé,  en  décembre  2009,  par  l'édition  du  livre  :  «Médecine 
et  médecins  de  Tunisie,  de  Carthage  à  nos  jours»,  elle  a  continué  sur  la  même  lancée  en 
éditant  un  autre  livre  puisant  dans  l'histoire  de  la  ville  de  Monastir  et  plus  précisément 
de  son  hôpital.  Le  livre  «Les  cent  ans  de  l'hôpital  Fattouma  Bourguiba»,  paru  en  2010, 
est  venu  conforter  celui  du  Grand  Mufti  de  Monastir  «Al  Maziria»  initialement  édité  en 
1937  et  réédité  à  l'occasion  du  centenaire  du  même  hôpital  et  traitant  de  l'histoire  de  la 
médecine  arabe. 

Bref,  la  réédition  du  livre  de  Jean  Ganiage  qui  traite  d'un  pan  fort  trouble  de 
l'histoire  de  la  Tunisie  contemporaine,  s'inscrit  dans  le  même  ordre  d'idée.  Mieux,  il 
vient  à  point  nommé  pour  rappeler  aux  Tunisiens  que  l'histoire  n'est  qu'un  perpétuel 
recommencement. 

En  effet,  le  lecteur  avisé  ne  manquera  pas  de  faire  le  parallèle  entre  la  Régence  du 
milieu  du  19ème  siècle  et  la  Tunisie  de  la  fin  du  20ème  siècle.  Malgré  les  progrès  réalisés 
par  la  société  tunisienne,  progrès  techniques,  développement  socio-économique, 
élévation  du  niveau  de  vie  et  recul  notable  de  l'analphabétisme,  la  Tunisie  est  restée  la 
cible  des  trafiquants  et  autres  personnes  véreuses  avec  la  bénédiction,  voire  le  concours 
et  la  complicité  de  certains  acteurs  politiques  de  premier  rang.  Exactement  comme  au 
cours  des  années  Régence. 

Trafic  d'influence,  népotisme  et  favoritisme  sont  devenus  sous  le  régime  de  Ben  Ali 
[1987-2010]  de  maîtres-mots.  S'il  est  vrai  que  les  caisses  de  l'Etat  n'étaient  pas  vidées, 
il  n'en  demeure  pas  moins  vrai  que  le  chômage  avait  atteint  des  chiffres  alarmants  et  le 
déséquilibre  régional  des  proportions  insoutenables.  Pourtant  la  machine  dévastatrice 
a  poursuivi  inexorablement  sa  marche  broyant  tout  sur  son  passage.  La  fuite  de  Ben 
AU  le  14  janvier  2011  a  sonné  le  glas  d'un  régime  qui  telle  une  sangsue  se  délectait  en 
suçant  le  sang  d'un  peuple  quasiment  mis  à  genoux. 


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Ce  qui  était  pompeusement  appelé  «le  changement  salvateur»  par  rapport  au  régime 
Bourguibien  chancelant  à  partir  de  1986,  s'est  avéré  à  la  surprise  de  bien  d'observateurs 
un  régime  fait  de  receleurs  avérés  et  de  voleurs  patentés.  Une  nouvelle  race  était  née. 
Elle  avait  affiné  ses  méthodes,  aiguisé  ses  armes  et  adapté  ses  manières  d'agir.  Toutefois, 
une  constante  est  demeurée  valable  au  cours  de  ces  deux  périodes,  à  savoir  :  le  recel  en 
tant  qu'ultime  objectif. 

C'est  précisément  cette  constante  qui  a  incité  la  Maison  «Berg-édition»  à  rééditer 
cet  ouvrage  incontournable  de  l'histoire  de  la  Tunisie.  Une  réédition  qui  n'aurait  pas 
été  possible  sans  l'accord  des  héritiers  de  l'auteur  décédé  en  janvier  2012.  Je  cite 
particulièrement  son  fils  portant  également  le  nom  de  Jean  Ganiage. 

Qu'il  trouve  ici  l'expression  de  toute  notre  gratitude  et  de  notre  sympathie  pour 
l'aide  précieuse  qu'il  fournit  aux  générations  futures.  En  effet,  par  l'acceptation  de  la 
réédition  de  ce  livre,  il  offre  aux  générations  tunisiennes  et  françaises  l'occasion  de 
découvrir  tout  un  pan  de  l'histoire  commune  des  deux  pays  :  La  Tunisie  et  la  France. 


L'éditeur 
Mohamed  Bergaoui 


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INTRODUCTION 


Tunis,  la  plus  petite,  la  plus  tranquille  des  trois  régences  barbaresques,  Tunis  où  la 
course  n'était  plus,  au  milieu  du  XIX™®  siècle,  qu'un  lointain  souvenir,  avait  glissé  depuis 
la  conquête  de  l'Algérie  vers  un  état  de  semi  vasselage  à  l'égard  de  la  France.  Satisfait  de 
sa  docilité,  le  gouvernement  impérial  ne  songeait  point  à  l'absorber.  La  Tunisie  faisait 
écran  entre  l'Algérie  française  et  Tripoli  redevenue  ottomane.  Mais  la  décadence  de 
ses  institutions,  de  son  économie,  la  faillite  d'une  politique  de  réformes  trop  hâtives, 
la  mise  au  pillage  de  ses  finances  entraînèrent  une  banqueroute  financière  d'où  devait 
sortir  une  mise  en  tutelle  exercée  collectivement  par  la  France,  l'Angleterre  et  l'Italie. 
L'affaiblissement  de  la  France  à  la  suite  de  ses  défaites  assurait  une  prépondérance 
anglaise  dans  la  Régence  après  1870  tandis  que  commençaient  à  s'affirmer  les  ambitions 
italiennes.  Les  efforts  d'un  ministre  intègre,  Khérédine,  valaient  alors  au  pays  quelques 
années  de  bon  gouvernement.  En  dépit  de  son  insuccès  final,  les  choses  auraient  pu  durer 
bien  longtemps  encore  si  les  événements  d'Orient  n'avaient  entraîné  un  revirement  de 
la  politique  britannique.  Au  congrès  de  Berlin,  l'Angleterre  offrait  Tunis  à  la  France  avec 
le  concours  de  Bismarck  qui  souhaitait  faire  oublier  à  ses  voisins  la  perte  de  l'Alsace- 
Lorraine. 

L'histoire  des  trois  années  1878-1881  est  celle  des  hésitations  françaises,  des 
inquiétudes  manifestées  par  trois  gouvernements  successifs  devant  les  réactions 
possibles  de  l'opinion,  le  mécontentement  de  l'Italie,  tandis  que,  dans  la  coulisse,  des 
groupes  financiers  tardivement  intéressés  commençaient  la  conquête  économique  de 
la  Régence.  La  décision  d'avril  1881,  péniblement  arrachée  au  cabinet  Ferry,  amenait 
une  occupation  rapide  du  pays  ;  elle  aboutissait  à  un  protectorat  qui  satisfaisait 
hommes  d'affaires  et  diplomates,  mais  elle  provoquait  bientôt  dans  la  presse  comme  au 
Parlement,  des  accusations  de  corruption  qui  devaient  fixer  le  style  et  créer  la  tradition 
d'un  anticolonialisme  particulièrement  agressif. 


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CHAPITRE  PREMIER 

SITUATION  INTERNATIONALE  DE  LA  REGENCE 

VERS  1860 


Au  milieu  du  XIX™®  siècle,  la  Régence  de  Tunis  se  trouvait,  vis-à-vis  de  l'Empire  turc, 
dans  une  situation  intermédiaire  entre  l'autonomie  et  la  complète  indépendance,  situation 
mal  définie  qui  permettait  aux  puissances  européennes  de  tenir  les  beys,  au  gré  de  leurs 
intérêts,  pour  des  princes  indépendants  ou  pour  des  vassaux  de  la  Porte  ottomane. 

Depuis  la  conquête  turque  du  XVI™®  siècle,  les  liens  qui  unissaient  la  Tunisie 
à  l'Empire  ottoman  s'étaient  en  effet  progressivement  relâchés.  Sinan  Pacha,  le 
commandant  du  corps  expéditionnaire  turc  qui,  en  1574,  avait  définitivement  chassé 
les  Espagnols  de  Tunis  et  de  La  Goulette,  avait  organisé  le  pays  en  un  pachalik  analogue 
à  ceux  d'Alger  et  de  Tripoli.  La  Tunisie  devenait  une  province  turque  administrée  par 
un  gouverneur,  ou  pacha,  nommé  pour  trois  ans  par  le  sultan  et  appuyé  par  un  corps  de 
janissaires  recrutés  en  Orient.  Mais  le  pacha  n'avait  pas  tardé  à  être  dépossédé  de  ses 
pouvoirs  par  le  commandant  de  la  milice,  le  dey,  qui  était,  à  son  tour,  supplanté  par  le  bey, 
fonctionnaire  civil  chargé,  à  l'origine,  de  la  perception  des  impôts  et  de  l'administration 
des  tribus.  Le  deuxième  bey,  Mourad  (1612-1631),  s'assurait  de  la  réalité  du  pouvoir  ; 
il  obtenait,  avec  le  titre  de  pacha,  le  droit  de  transmettre  sa  charge  à  son  fils^.  Il  fondait 
ainsi  une  dynastie  qui  dura  jusqu'au  début  du  XVIII™®  siècle. 

Les  beys  mouradites  gouvernaient  théoriquement  au  nom  du  sultan  qui  les 
investissait  ;  ils  jouissaient  en  réalité  de  la  plus  grande  indépendance.  Mais  leur  dynastie 
ne  réussit  pas  à  s'implanter  en  Tunisie.  Les  querelles  entre  prétendants,  les  assassinats, 
les  exécutions  sommaires  ensanglantèrent  le  dernier  quart  du  XVII™®  siècle.  En  1702, 
l'agha  des  janissaires.  Ibrahim  Chérif,  abattit  le  dey  Mourad  III,  massacra  sa  famille  et 
se  fit  reconnaître  comme  pacha  et  bey  par  la  Sublime  Porte.  Trois  ans  plus  tard,  il  était 
battu  et  pris  par  les  troupes  du  dey  d'Alger.  Le  nouvel  agha  de  la  milice,  Hussein  ben 
Ali,  un  soldat  d'origine  grecque,  réussit  à  sauver  Tunis  assiégée  par  les  Algériens  ;  il 
les  battit  et  les  contraignit  à  une  retraite  précipitée.  Cette  victoire  lui  donna  le  prestige 
nécessaire  pour  prendre  le  pouvoir.  Il  se  fit  proclamer  bey  en  1705^. 


1  Ch.  A.  Julien  Histoire  de  l'Afrique  du  Nord.  Paris,  1931,  p.  541. 

2  Ibid.  PP  542  et  568-569. 


13 


Hussein  Ben  Ali 
(1705-1735) 
1"  Bey 


Mohammed 
(1756-1759) 
3“"'  Bey 


Ali 

(1759-1782) 

4im.  Bey 


Ali  Pacha 
(1735-1756) 

2ème  Bey 


Mahmoud 
(1814-1824) 
7*'"'  Bey 


Hamouda  Osman 

(1782-1814)  (1814) 

5*"’'  Bey  Bey 


Hussein 
(1824-1835) 
8*""  Bey 


Mustapha 

(1835-1837) 

9ème  Bey 


Mohammed 

(1855-1859) 

llème  Bey 


Mohammed  es  Sadok 
(1859-1882) 

12ème  Bey 


Ahmed 
(1837-1855) 
10^"’'  Bey 


Les  princes  de  la  dynastie  husseinite  (1705-1882). 


Plus  heureux  que  Mourad  l®''  au  siècle  précédent,  Hussein  Bey,  un  renégat  chrétien 
lui  aussi,  réussit  à  fonder  une  dynastie  qui  devait  se  perpétuer  dans  le  pays.  La  question 
successorale  provoqua  cependant,  dès  le  règne  de  Hussein  Bey,  une  crise  qui  faillit 
emporter  la  dynastie.  Faute  d'héritier  mâle,  le  prince  avait  désigné  comme  successeur 
son  neveu  Ali  qu'il  avait  élevé  à  la  dignité  de  bey  du  camp  ou  commandant  des  troupes. 
Mais,  plusieurs  fils  lui  étant  nés  d'une  union  nouvelle  avec  une  captive  génoise,  Hussein 
Bey  révoqua  sa  décision  première  et  fit  décider  par  une  assemblée  solennelle  des 
dignitaires  de  la  cour  que  le  pouvoir  se  transmettrait  en  ligne  directe  dans  sa  famille, 
de  mâle  en  mâle  et  par  ordre  de  primogéniture.  Le  prince  Ali  ne  fut  point  apaisé  par  la 
dignité  de  pacha  que  son  oncle  lui  fit  décerner  par  le  sultan,  il  se  révolta  et  fit  appuyer  sa 
rébellion  par  les  Algériens.  Vainqueur  des  troupes  beylicales.  Ali  Pacha  fit  son  entrée  à 
Tunis  en  septembre  1735  et  se  fit  proclamer  bey  à  la  place  de  Hussein  qui  s'était  réfugié 
à  Kairouan.  Après  cinq  ans  d'une  guerre  civile  qui  mit  aux  prises  Husseinites  et  Ali 
Pachistes^,  Ali  l'emportait  définitivement  en  1740.  Kairouan  était  prise  et  Hussein  Bey 
décapité.  Ses  fils  se  réfugièrent  en  Algérie  avec  les  tribus  qui  leur  étaient  restées  fidèles, 
ils  en  revinrent  quinze  ans  plus  tard,  à  la  faveur  d'une  guerre  qui  opposait  les  deux 
régences.  Les  Algériens  l'emportèrent,  s'emparèrent  de  Tunis  en  1756.  Fait  prisonnier. 
Ali  Pacha  fut  étranglé,  sa  famille  massacrée.  Les  fils  d'Hussein  Bey,  revenus  à  Tunis  avec 
l'armée  algérienne,  s'emparaient  du  pouvoir.  L'aîné,  Mohammed,  fut  proclamé  bey,  mais 
il  dut  accepter  de  payer  tribut^  ;  il  désigna  son  frère  cadet.  Ali  ben  Hussein,  comme 
héritier  présomptif  ou  bey  du  camp. 


3  Les  consuls  et  les  chroniqueurs  européens  employaient  les  mots  de  Husseinia  et  de  Bachia,  transcription  de 
pluriels  arabes  qui,  pour  le  lecteur  occidental,  évoquent  assez  mal  l'idée  de  partisans. 

4  Ch.  A.  Julien  Histoire  de  l'Afrique  du  Nord,  op.  cit.  p.  571. 


14 


Ainsi  s'établissait  une  règle  successorale  qui  devait  rester  en  vigueur  jusqu'à  nos 
jours.  Le  pouvoir  beylical  se  transmettait  de  mâle  en  mâle  et  par  rang  d'âge  parmi  la 
descendance  de  Hussein  ben  Ali,  le  bey  régnant  ayant  pour  successeur  le  bey  du  camp, 
son  fils,  son  frère,  son  neveu  ou  son  cousin.  Sans  doute,  la  tradition  des  complots,  des 
assassinats  et  des  exécutions  sommaires  ne  devait-elle  pas  disparaître  dans  la  famille 
husseinite.  Hamouda  Bey  fit  supprimer  ceux  de  ses  parents  qui  lui  portaient  ombrage  ; 
Osman  Bey,  frère  et  successeur  de  Hamouda,  fut  assassiné  en  1814  après  un  règne  de 
quelques  mois,  à  la  suite  d'un  complot  ourdi  par  son  cousin  Mahmoud  qui  se  fit  proclamer 
bey.  Mais,  dans  la  première  moitié  du  XIX^™  siècle,  la  règle  successorale  paraissait  dans 
l'ensemble  respectée.  Ahmed  Bey,  dixième  prince  de  la  dynastie,  succédait  à  son  père 
Mustapha  en  1837.  Bien  qu'il  eût  un  frère  cadet,  il  fut  lui-même  remplacé  sans  difficulté 
par  ses  deux  cousins  germains.  Mohammed  Bey  (1855-1859),  puis  son  frère  cadet. 
Mohammed  es  Sadok  (1859-1882). 

Lors  de  l'avènement  de  Mohammed  es  Sadok  en  1859,  la  dynastie  husseinite 
était  forte  d'un  siècle  et  demi  de  transmission  héréditaire  du  pouvoir  et  de  traditions 
d'indépendance  qui  donnaient  aux  beys  l'autorité  de  princes  souverains. 

Autonomes,  les  princes  tunisiens  l'étaient  pleinement  :  ils  légiféraient  à  leur  guise, 
gouvernaient  avec  les  conseillers  qu'ils  avaient  librement  choisis,  disposaient  sur  tous 
leurs  sujets  du  droit  de  haute  et  basse  justice.  Mais  les  beys  bénéficiaient  de  prérogatives 
plus  relevées  qui  leur  donnaient  les  apparences  de  la  souveraineté.  Ils  avaient  leur  armée 
et  leur  marine,  battaient  monnaie,  entretenaient  des  relations  diplomatiques,  déclaraient 
la  guerre,  signaient  des  traités^.  Sans  doute,  les  beys  n'avaient-ils  pas  à  l'étranger  de 
missions  diplomatiques  permanentes,  mais  seulement,  à  Paris,  à  Malte  et  dans  les 
principaux  ports  de  la  Méditerranée,  des  agents  personnels  réduits  aux  affaires  du 
prince  et  à  de  médiocres  fonctions  commerciales®.  Mais  ils  dépêchaient  périodiquement 
en  ambassade  des  envoyés  chargés  de  négocier  des  accords  particuliers,  à  Paris  ou  à 
Constantinople.  Les  affaires  politiques  courantes  se  traitaient  à  Tunis,  où  les  principales 
puissances  européennes  entretenaient  des  consuls  et  chargés  d'affaires  accrédités 
auprès  du  bey  et  habilités  à  traiter  d'affaires  politiques  aussi  bien  que  commerciales. 
Le  droit  des  princes  tunisiens  à  signer  des  traités  était  attesté  par  une  longue  tradition 
qui  remontait  au  XIIP™  siècle.  Depuis  le  traité  aragonais  de  1270,  le  plus  anciennement 
connu,  le  Foreign  Office  recensait  en  1881114  traités  signés  par  la  Tunisie  avec  diverses 
nations  européennes^.  C'étaient  là,  à  n'en  pas  douter,  des  prérogatives  souveraines  que 
venait  souligner  encore  l'existence  d'un  pavillon  tunisien  particulier  reconnu  par  la 
Porte  elle-même. 

Toutefois,  ces  princes  héréditaires  continuaient  de  porter  les  titres  de  pacha  et  de 
bey,  auxquels  s'ajoutaient  des  décorations  et  des  grades  honorifiques  qui  les  assimilaient 
aux  gouverneurs  des  grandes  provinces  de  l'Empire  ottoman®.  A  Tunis,  la  prière 
continuait  à  être  prononcée  au  nom  du  sultan;  la  monnaie  était  battue  à  son  chiffre. 
Lors  de  leur  avènement,  les  beys  envoyaient  à  Constantinople  une  ambassade  chargée 


5  F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  31  juillet  1858  ;  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  S-10,  passim. 

6  A  Paris,  c'était  Jules  de  Lesseps,  fils  de  Mathieu  qui  avait  été  consul  à  Tunis  de  1827  à  1832  et  frère  de 
Ferdinand. 

7  F.  0.  102/137.  Mémorandum  sur  le  droit  de  Tunis  de  signer  des  traités  indépendamment  du  Sultan.  F.  0., 
18  mars  1881.  27  traités  avaient  été  signés  avec  la  France,  15  avec  la  Grande-Bretagne;  aucun  d'entre  eux 
n'avait  été  ratifié  par  le  sultan. 

8  En  1840,  Ahmed  Bey  obtint  le  titre  de  Mouchir  (maréchal)  que  sollicitèrent  également  ses  successeurs  (Ben 
Dhiaf  chap.  VI,  année  1286  ;  chap.  VIII  :  insurrection  de  1864,  digression). 


15 


d'en  informer  le  sultan  et  d'obtenir  un  firman  d'investiture  qui  était  la  marque  de  leur 
dépendance.  Ces  ambassades,  celles  que  les  beys  envoyaient  pour  féliciter  les  sultans 
lors  de  leur  avènement  s'accompagnaient  toujours  d'un  cortège  de  présents,  chevaux  de 
prix,  armes  richement  décorées,  chéchias  de  Tunis,  que  les  beys  considéraient  comme 
des  offrandes  volontaires  mais  que  la  Porte  tenait  pour  le  tribut  dû  par  un  vassal.  La 
Turquie  n'entretenait  pas  de  relations  diplomatiques  régulières  avec  la  Tunisie,  mais 
elle  dépêchait  périodiquement  des  envoyés  extraordinaires  pour  inviter  le  bey  à 
appliquer  telle  mesure  d'administration,  pour  lui  demander  de  participer  aux  guerres 
qu'elle  était  obligée  de  soutenir.  En  1827,  des  navires  tunisiens  avaient  pris  part  à  la 
bataille  de  Navarin.  En  1854,  Ahmed  Bey  envoyait  à  Constantinople  un  contingent  de 
troupes  pour  participer  à  la  défense  de  l'Empire  contre  la  Russie.  Devoir  d'un  bon  vassal, 
ou  secours  volontaire  d'un  prince  ami  qui  agissait  en  défenseur  de  l'Islam,  on  pouvait 
épiloguer.  Néanmoins,  la  Régence  de  Tunis  figurait  toujours  à  Constantinople  sur  la  liste 
des  provinces  de  l'Empire,  les  envoyés  du  bey  y  étaient  reçus  en  émissaires  d'un  pacha. 
Les  princes  tunisiens  n'ayant  pas  formellement  proclamé  leur  indépendance,  pendant 
longtemps  aucune  puissance  étrangère  n'avait  mis  en  doute  la  suzeraineté  au  moins 
nominale  que  le  sultan  prétendait  exercer  sur  la  Tunisie,  et  c'est  en  princes  vassaux  de 
la  Porte  que  les  beys  étaient  traités  par  les  cours  européennes. 

1  -  La  conquête  de  l'Algérie  et  la  prépondérance  française  en 
Tunisie 

Cette  situation  devait  se  modifier  après  1830.  L'expédition  française  contre  Alger 
avait  été  bien  accueillie  à  Tunis  où  l'on  se  réjouissait  de  la  chute  de  rivaux  détestés. 
Le  bey  Hussein  avait  permis  aux  Français  de  recruter  des  interprètes  dans  la  Régence, 
d'y  acheter  des  chevaux  pour  la  remonte  de  leur  cavalerie.  Il  fut  question  de  confier  le 
gouvernement  des  beyliks  d'Oran  et  de  Constantine  à  des  princes  tunisiens,  mais  ce  projet 
était  abandonné  dès  1831®.  Le  maréchal  Clauzel  faisait  accepter  par  Thiers  l'idée  d'une 
occupation  étendue  de  l'Algérie  :  à  l'est,  plus  encore  qu'à  l'ouest,  les  Français  progressaient 
vers  l'intérieur.  Constantine  était  enlevée  en  1837  ;  les  principales  tribus  algériennes  du 
Tell  devaient  faire  leur  soumission.  Déjà  se  posait  la  question  délicate  d'une  délimitation 
des  frontières  algéro-tunisiennes.  L'installation  de  la  France  en  Algérie  faisait  peser  une 
lourde  menace  sur  les  frontières  occidentales  de  la  Régence.  Les  beys  savaient  qu'ils 
n'étaient  pas  en  mesure  de  résister  à  leur  puissant  voisin.  Ils  s'efforcèrent  de  ne  pas 
provoquer  son  mécontentement.  Les  officiers  français  étaient  inquiets  d'une  rébellion 
toujours  possible  dans  un  pays  incomplètement  pacifié;  ils  craignaient  l'intervention  de 
tribus  tunisiennes  sur  une  frontière  mal  gardée.  Le  moindre  incident  provoquait  leurs 
récriminations,  leurs  exigencesio.  Le  bey  s'efforçait  de  les  contenir,  dans  la  mesure  de 
son  autorité.  La  conquête  de  l'Algérie  ouvrait  ainsi  une  ère  de  prépondérance  française 
en  Tunisie,  prépondérance  que  favorisaient  encore  les  craintes  qu'inspiraient  à  la  cour 
de  Tunis  les  projets  ambitieux  de  la  Turquie^i. 

Du  côté  de  l'est,  en  effet,  venait  une  autre  menace.  En  1835,  la  Porte  avait  profité 
d'une  guerre  civile  qui  opposait  à  Tripoli  deux  princes  de  la  famille  Caramanli  pour 


9  Arch.  Tun.  Dossier  Il-ter,  carton  I. 

Arch.  Guerre.  Tunisie,  carton  13. 

10  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis,  31  juillet  1863. 

11  Arch.  Guerre.  Tunisie,  carton  13.  Maréchal  Valée  au  colonel  Roux  à  Bône.  Alger,  9  septembre  1838.  Ibid.  Note 
par  le  maréchal  Randon.  Paris,  1^^  février  1867. 


16 


intervenir  dans  cette  Régence  et  la  replacer  sous  son  autorité  directe.  En  mai  1835, 
une  escadre  ottomane  débarquait  à  Tripoli  un  petit  corps  expéditionnaire.  Ali  Bey  était 
déposé  et  la  Régence  de  Tripoli  transformée  en  un  pachalik  relevant  directement  de 
Constantinople^^  Tunis  pouvait  craindre  le  même  sort  que  Tripoli.  Les  prétextes  étaient 
faciles  à  trouver,  et  le  bey  de  Tunis  savait  qu'il  ne  pouvait  guère  mieux  résister  que  son 
voisin  de  l'est  à  l'intervention  d'une  escadre  ottomane.  La  menace  turque  devenait  ainsi 
plus  précise  que  le  danger  français.  Le  sentiment  de  leur  faiblesse  allait  imposer  aux  beys 
de  s'appuyer  plutôt  sur  celui  de  leurs  voisins  qui  leur  semblait  moins  dangereux  dans 
l'immédiat.  Mais  les  princes  tunisiens  étaient  ballottés  entre  les  influences  rivales  de 
leurs  conseillers.  Leur  politique  manquait  de  netteté,  de  continuité.  Mustapha  Bey,  son 
fils  Ahmed  Bey  surtout  cherchèrent  à  se  faire  reconnaître  comme  princes  indépendants 
par  l'Europe  ;  ils  affectaient  d'ignorer  la  Sublime  Porte,  de  recevoir  avec  froideur  ses 
envoyés,  mais  ils  n'osaient  cependant  pas  rompre  les  derniers  liens  qui  les  unissaient 
encore  à  l'Empire  ottoman. 

En  1835,  le  bey  Mustapha  avait  demandé  au  gouvernement  français  de  célébrer 
son  avènement  en  faisant  saluer  de  cent  un  coups  de  canon  la  corvette  tunisienne 
apportant  cette  notification.  Mais  c'était  avant  la  reconquête  de  Tripoli.  Le  duc  de 
Broglie  faisait  sèchement  répondre  que  des  honneurs  royaux  n'étaient  pas  de  mise  pour 
un  bey  de  Tunis.  «Outre  le  caractère  insolite  d'une  telle  démonstration,  elle  eût  encore 
été,  je  dois  le  dire,  peu  d'accord  avec  les  convenances.  On  conçoit  qu'un  bey  de  Tunis 
célèbre  de  cette  manière  l'avènement  d'un  grand  souverain  de  l'Europe,  mais  je  ne  vois 
aucun  motif  pour  qu'en  France,  on  en  agisse  avec  cette  solennité  quand  un  chef  de  la 
Régence  arrive  au  pouvoir»!^.  En  janvier  1836,  dans  une  lettre  au  ministre  de  la  Guerre, 
de  Broglie  reconnaissait  cependant  qu'il  était  de  l'intérêt  de  la  France  d'empêcher  à 
Tunis  l'exécution  des  projets  d'envahissement  qu'on  prêtait  à  la  Turquie.  «Néanmoins», 
ajoutait-il,  «il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  la  suzeraineté  de  la  Porte  sur  Tunis  étant 
incontestable  en  principe  et  que  le  Sultan  ayant  au  moins  le  droit  d'accorder  ou  de 
refuser  l'investiture  au  nouveau  bey,  il  nous  serait  bien  difficile  de  motiver  en  droit  une 
notification  comme  celle  que  le  maréchal  Clauzel  propose  de  faire  au  Divan,  c'est-à-dire 
de  nous  déclarer  ouvertement  vis-à-vis  de  lui  protecteur  du  vassal  contre  le  suzerain. 
Mais  nous  pouvons  du  moins  faire  pressentir  à  la  Porte  qu'en  raison  de  notre  position 
et  de  nos  intérêts  comme  possesseurs  d'Alger,  toute  entreprise  tendant  à  la  substituer 
au  bey  dans  le  gouvernement  de  la  Régence  de  Tunis  pourrait  rencontrer  de  notre  part 
une  opposition  réelle»!^.  11  concluait  à  la  nécessité  de  montrer  plus  souvent  les  escadres 
françaises  dans  les  eaux  tunisiennes. 

Thiers  devait  prendre  une  attitude  plus  énergique.  En  août  1836,  sur  l'information 
que  l'escadre  ottomane  commandée  par  le  Capitan  Pacha  sortait  du  Bosphore  pour  une 
croisière  en  Méditerranée  secrètement  dirigée  contre  Tunis,  il  envoyait  une  escadre 
française  à  La  Goulette  et  faisait  avertir  la  Porte  que  la  France  était  fermement  décidée  à 
s'opposer  à  toute  tentative  ottomane  pour  réduire  la  Régence  au  sort  de  Tripolii^  :  Thiers 
inaugurait  ainsi  une  politique  qui,  sous  couleur  de  défendre  le  statu  quo  tunisien,  visait 
à  interdire  désormais  à  la  Porte  toute  intervention  dans  la  Régence.  Pour  reprendre  la 
formule  du  duc  de  Broglie,  la  France  se  déclarait  ouvertement  protectrice  du  vassal  contre 


12  A.  E.  Tripoli,  vol.  3.  Bourboulon  à  Broglie.  Tripoli,  31  mai  1835. 

13  A.  E.  Tunis,  vol.  2.  Broglie  à  Deval.  Paris,  28  août  1835. 

14  Ibid.  Broglie  au  ministre  de  la  guerre,  14  janvier  1836. 

15  A.  E.  Circulaire  de  Thiers.  Paris,  5  août  1836. 

Thiers  à  Schwebel,  consul  à  Tunis,  même  date. 


17 


le  suzerain.  Guizot  et,  après  lui,  les  ministres  de  l'Empire,  devaient  suivre  la  politique  de 
Thiers^®.  De  suzeraineté  turque  sur  la  Tunisie,  il  n'était  bientôt  plus  question  dans  la 
correspondance  officielle  française.  Les  diplomates  français  s'attachaient  au  contraire  à 
souligner  l'indépendance  du  bey,  à  réduire  les  liens  unissant  encore  la  Régence  au  sultan 
aux  apparences  d'une  simple  obédience  religieuse  analogue  à  celle  que  le  Pape  pouvait 
exercer  sur  les  populations  catholiques  de  France  ou  d'Espagne.  Un  mémoire  conservé 
dans  les  archives  du  quai  d'Orsay  expose  mieux  que  tout  autre,  le  point  de  vue  officiel 
français  sur  la  situation  internationale  de  Tunis  ;  il  établit  la  continuité  d'une  doctrine 
que  l'Empire  et  la  troisième  République  avaient  reprise  de  la  Monarchie  de  Juillet. 

«Pendant  le  siècle  dernier  et  jusqu'en  1855  le  caractère  indépendant  de  la 
souveraineté  des  Beys  s'affirme  par  la  possession  non  interrompue  du  trône,  par  la 
conclusion  de  traités  avec  presque  toutes  les  Puissances  d'Europe,  par  la  présence  à 
Tunis  de  consuls  et  d'agents  diplomatiques  directement  accrédités  auprès  du  souverain 
local,  par  le  refus  de  la  Porte  de  recevoir  aucune  réclamation  relative  aux  pillages  des 
corsaires  tunisiens». 

«Toutefois,  la  Régence  conserve  avec  le  grand  seigneur  un  lien  de  suzeraineté 
spirituelle.  Chaque  Bey,  à  son  avènement,  sollicite  du  Sultan,  en  sa  qualité,  non  de 
souverain  des  Turcs,  mais  de  Commandeur  des  Croyants,  la  consécration  religieuse  de 
son  pouvoir,  le  Bey  accompagne  d'ordinaire  cette  demande  de  l'envoi  de  présents  dont 
la  quantité  et  la  valeur  varient  suivant  le  temps  et  les  circonstances  et  dont  l'offrande 
volontaire  ne  se  confond  pas  avec  le  payement  obligé  d'un  tribut.  La  monnaie  porte  la 
marque  du  chef  religieux  et  l'on  prie  dans  les  mosquées  pour  le  Calife  des  Musulmans». 

«Bref,  Louis  XV  en  1742,  la  République  le  6  prairial  an  111,  le  premier  consul  en  l'an  X,  le 
gouvernement  de  la  Restauration  en  1824  traitent  avec  le  Bey  de  souverain  à  souverain». 

«La  conquête  de  l'Algérie  devait  naturellement  rendre  plus  actifs  encore  nos 
rapports  diplomatiques  avec  la  Tunisie,  devenue  voisine  de  notre  frontière  africaine». 

«Dès  le  8  août  1830,  un  traité  solennel  confirme  les  conventions  antérieures,  stipule 
l'abolition  de  la  course  et  de  l'esclavage  dans  la  Régence,  les  privilèges  des  Français  pour 
la  pêche  du  corail  etc». 

«En  1835,  la  Porte,  aidée  par  l'influence  anglaise  était  parvenue  à  ressaisir  l'autorité 
directe  sur  Tripoli,  désormais  réduit  à  l'état  de  vilayet.  Le  gouvernement  de  Juillet 
déclara  rester  indifférent  à  la  disparition  de  l'ancienne  régence  de  Tripoli,  pourvu  que 
le  Sultan,  en  succédant  à  ses  droits,  succédât  aussi  à  ses  obligations.  Mais  il  ne  pouvait 
envisager  avec  la  même  tranquillité  le  dessein  manifesté  par  la  Turquie  de  resserrer  ses 
liens  avec  Tunis  ». 

«La  politique  suivie  à  l'égard  de  Tunis,  dans  les  douze  dernières  années  du  règne  de 
Louis-Philippe  se  trouve  ainsi  définie  et  résumée  par  Mr  Guizot  (Mémoires,  vol.  6,  p.  267)», 

«La  Porte  nourrissait  depuis  longtemps  le  désir  de  faire  à  Tunis  une  révolution 
analogue  à  celle  qu'elle  avait  accomplie  à  Tripoli,  c'est-à-dire  d'enlever  à  la  Régence  de 
Tunis  ce  qu'elle  avait  conquis  d'indépendance  héréditaire,  et  de  transformer  le  Bey  de 
Tunis  en  un  simple  Pacha.  Une  escadre  turque  sortait  presque  chaque  année  de  la  mer 
de  Marmara  pour  aller  faire  sur  la  côte  tunisienne  une  démonstration  plus  ou  moins 
menaçante.  11  nous  importait  beaucoup  qu'un  tel  dessein  ne  réussît  point  ;  au  lieu  d'un 


16  A.  E.  Tunis,  vol.  21,  note  16  :  Situation  internationale  de  Tunis  (29  novembre  1880). 


18 


voisin  faible  et  intéressé,  comme  le  Bey  de  Tunis,  à  vivre  en  bons  rapports  avec  nous, 
nous  aurions  eu,  sur  notre  frontière  orientale,  en  Afrique,  l'Empire  ottoman  lui-même, 
avec  ses  prétentions  persévérantes  contre  notre  conquête,  et  ses  alliances  en  Europe.  Le 
moindre  incident,  une  inimitié  entre  tribus  errantes,  une  violation  non  préméditée  de 
territoire,  eût  pu  soulever  la  question  fondamentale  de  notre  établissement  en  Algérie, 
et  amener  des  complications  européennes.  Nous  étions  fermement  résolus  à  ne  pas 
souffrir  qu'une  telle  situation  s'établît.  Nous  n'avions  pas  la  moindre  envie  de  rompre  les 
faibles  liens  qui  unissaient  encore  la  Régence  à  la  Porte;  mais  nous  voulions  le  complet 
maintien  du  statu  quo  ;  et  chaque  fois  qu'une  escadre  turque  approchait  ou  menaçait 
d'approcher  Tunis,  nos  vaisseaux  se  portaient  vers  cette  côte  avec  ordre  de  protéger 
le  Bey  contre  cette  entreprise  des  Turcs.  A  chaque  mouvement  que  nous  faisions  dans 
ce  sens,  le  cabinet  anglais  s'inquiétait.  Ses  agents  peu  clairvoyants  et  dominés  par  des 
craintes  routinières,  l'entretenaient  sans  cesse  de  l'esprit  remuant  et  ambitieux  de  la 
France.  11  nous  adressait  des  observations,  des  questions  ;  il  faisait  valoir  les  droits  de  la 
Porte  sur  Tunis.  Nous  déclarions  notre  intention  de  les  respecter  et  d'en  recommander 
au  Bey  le  respect,  pourvu  que  la  Porte  ne  tentât  pas  de  changer  à  Tunis  un  ancien  état  de 
choses,  dont  le  maintien  importait  à  notre  tranquillité  en  Algérie»i^. 

La  diplomatie  française  soutenait  cette  doctrine  de  l'indépendance  tunisienne 
à  Londres  aussi  bien  qu'à  Constantinople.  En  même  temps,  elle  encourageait  les 
princes  tunisiens  dans  leurs  velléités  d'émancipation  et  ne  leur  marchandait  point 
les  témoignages  les  plus  flatteurs  pour  leur  vanité.  En  1846,  Ahmed  Bey  était  reçu  en 
souverain  à  la  cour  de  Louis-Philippe.  En  septembre  1860,  Mohammed  es  Sadok  était 
accueilli  avec  les  mêmes  honneurs  par  Napoléon  III  à  Alger.  Les  vaisseaux  français 
saluaient  le  pavillon  tunisien  des  salves  réservées  aux  Etats  souverains.  Le  bey  et  ses 
ministres  étaient  décorés  de  grades  élevés  de  la  Légion  d'honneur.  Pour  y  répondre. 
Ahmed  Bey  avait  réorganisé  un  ordre  tunisien  créé  par  son  père,  le  Nichan  Iftikhar  dont 
il  distribuait  les  cordons  avec  générosité.  Entre  Paris  et  Tunis,  c'était  un  échange  de  bons 
procédés,  de  cadeaux  précieux,  d'armes,  de  tabatières  serties  de  diamants,  auxquels  les 
souverains  joignaient  parfois  leurs  portraits.  Lors  de  la  naissance  du  prince  impérial. 
Ahmed  Bey  avait  tenu  à  lui  envoyer  un  berceau  somptueusement  orné,  dans  lequel  il 
avait  fait  placer  un  grand  cordon  du  Nichan  Iftikhar. 

En  revanche,  les  relations  entre  Tunis  et  la  Porte  ne  cessaient  de  s'aigrir.  Bien 
qu'en  janvier  1842,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  turc  eût  formellement  déclaré  à 
l'ambassadeur  de  France  que  la  Turquie  ne  souhaitait  nullement  modifier  le  statu  quo 
tunisien,  les  maladresses  de  la  politique  ottomane  venaient  périodiquement  réveiller 
les  susceptibilités  et  les  alarmes  du  bey  Ahmed.  La  Porte  n'avait,  en  effet,  pas  renoncé  à 
rétablir  son  autorité  sur  la  Régence  de  Tunis.  Presque  chaque  année,  les  envoyés  du  bey, 
ses  agents  ou  les  commerçants  tunisiens  établis  à  Constantinople,  transmettaient  les 
conseils  amicaux  ou  les  mises  en  demeure  brutales  des  conseillers  du  sultan  ;  suppression 
du  pavillon  tunisien,  investiture  personnelle  du  bey  à  Constantinople,  rétablissement 
d'un  tribut  annuel,  telles  étaient  les  suggestions  le  plus  souvent  formulées.  Ahmed  Bey 
s'en  irritait  ;  il  s'inquiétait  des  réformes  (tanzimat)  inaugurées  par  le  sultan  Abd  ul- 
Medjid  (1839-1861).  Il  refusait  d'appliquer  dans  ses  Etats  les  dispositions  du  hatt-i 
chérif  de  Gul-Hané  de  1839,  les  réformes  judiciaires  turques  de  1847.  Il  accueillait 
avec  une  froideur  calculée  les  envoyés  du  sultan  et  ne  cessait  de  dénoncer  à  la  France 
les  sorties  de  l'escadre  turque  en  Méditerranée,  des  mouvements  de  troupes  réels  ou 


17  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.,  Vol.  II,  note  16  :  Situation  internationale  de  Tunis  (29  novembre  1880). 


19 


supposés  dans  la  Régence  de  Tripoli,  où  son  esprit  inquiet  voyait  aussitôt  les  préparatifs 
d'une  expédition  dirigée  contre  lui^®.  Les  consuls  de  France,  de  Lagau,  de  Theis,  Béclardi®, 
savaient  entretenir  les  craintes  du  bey,  mettre  en  relief  le  rôle  protecteur  de  la  France. 
Leur  influence  était  prépondérante  à  la  cour  tunisienne  où  ils  étaient  des  conseillers 
respectés  et  écoutés.  Le  gouvernement  de  Louis-Philippe  détachait  dans  la  Régence  une 
mission  militaire  pour  réorganiser  l'armée  beylicale.  Ahmed  Bey  recrutait  en  France 
des  ingénieurs  pour  diriger  les  manufactures  qu'il  créait.  C'est  à  la  France  encore  qu'il 
demandait  d'arbitrer  le  conflit  qui  l'opposait  à  un  de  ses  ministres  réfugié  à  Paris^o. 

Ainsi  au  milieu  du  siècle,  sans  qu'aucun  acte  diplomatique  fût  intervenu,  la  Régence 
de  Tunis  semblait  devenue  une  principauté  à  demi  vassale  de  la  France,  une  marche 
couvrant  les  frontières  orientales  de  l'Algérie.  Le  bey  n'avait  pas  rompu  les  liens  qui 
l'unissaient  traditionnellement  à  la  Porte,  mais,  de  son  plein  gré,  il  s'était  résolument 
placé  sous  la  protection  de  la  France^L  Aussi,  le  quai  d  Orsay  pouvait-il  se  poser  en 
défenseur  du  statu  quo  tunisien,  d'un  statu  quo  qu'il  entendait  comme  le  maintien 
entre  Algérie  et  Tripolitaine,  d'un  Etat  tampon  où  l'influence  française  devait  demeurer 
toujours  prépondérante^^.  C'est  alors  que,  en  1855,  le  gouvernement  impérial  nommait 
consul  général  à  Tunis  l'ancien  secrétaire  et  beau-frère  d'Abd-el-Kader,  Léon  Roches  qui, 
depuis  plus  de  vingt  ans  habitait  l'Afrique  du  Nord. 

Léon  Roches  avait  alors  quarante-cinq  ans^^  ;  après  l'aventure  algérienne,  il  était 
devenu  consul  à  Trieste,  puis  consul  général  à  Tripoli,  il  y  exerçait  depuis  trois  ans 


18  Arch.  Tun.  Carton  220,  Doss.  348-350  ;  cartons  222,  Doss.  367-371  ;  carton  223. 

Ben  Dhiaf  ;  chap.  VI  et  VIII,  passim. 

A.  E.  Tunis.  Mém,  et  Doc,  vol.  8,  n°  35.  Note  de  Vernouillet  sur  les  relations  turco-tunisiennes.  Constantinople, 
février  1858. 

F.  0.  102/51,  /55,  /58.  Dép.  de  Wood  des  18  octobre  1856,  31  juillet  1858  et  27  juillet  1859.  Dans  une 
dépêche  à  Granville,  du  28  Juillet  1873,  le  consul  dépeignait  ainsi  les  relations  entre  Ahmed  Bey  et  la  Porte  : 
«On  the  weaker  side,  there  was  a  vast  amount  of  mistrust,  jealousy  and  appréhension  coupled  with  a  covert 
desire  for  independence  inculcated  by  the  governments  whose  political  views  led  them  to  wish  it.  On  the 
stronger  side,  the  success  which  attented  its  capture  of  the  neighbouring  Regency  of  Tripoli...  induced  it  to 
pursue  an  aggressive  and  overbearing  policy  towards  Tunis,  requiring  oftentimes  the  intervention  of  Great 
Britain  and  France  to  prevent  a  complété  disruption  of  the  relations  between  them»  (F.  0.102/95). 

Les  alertes  les  plus  sérieuses  de  la  fin  du  règne  dAhmed  Bey  furent  celle  de  1846  (bruit  d'une  menace 
turque  contre  Djerba)  et  celle  de  1849-1850,  provoquée  par  les  intrigues  du  pacha  d'Egypte,  Abbas,  qui 
conseillait  au  Bey  de  se  replacer  sous  la  suzeraineté  ottomane. 

19  De  Lagau,  chargé  d'affaires  et  consul  général  à  Tunis  du  1er  août  1839  à  14  avril  1848,  de  Theis,  du  15  juin 
1849  au  20  août  1852,  Béclard,  d'août  1852  au  1^' juillet  1855. 

20  Le  caïd  Mahmoud  Benaïad,  devenu  citoyen  français.  Le  conflit  fut  tranché  en  1856  par  un  arbitrage  du 
Comité  de  contentieux  du  ministère  des  Affaires  étrangères. 

21  La  France,  alliée  de  la  Turquie  pendant  la  guerre  de  Crimée,  avait  toléré  l'envoi  d'un  corps  expéditionnaire 
tunisien  en  Orient.  Après  voir  recherché  s'il  n'était  point  possible  d'adjoindre  le  corps  tunisien  à  l'armée 
française,  le  gouvernement  impérial  parut  se  rallier  à  la  thèse  d'une  contribution  volontaire  du  bey  à  la 
défense  de  l'Islam. 

22  A.  E.  Tunis,  vol.  12-16  ;  Arch.  Rés.  Corresp.  ministérielle  1852.1856.  «La  sécurité  de  nos  possessions  en 
Afrique»  écrivait  notamment  Walewski,  «nous  fait  un  devoir,  depuis  longtemps  de  conserver  à  Tunis,  une 
attitude  exceptionnelle  et  de  ne  nous  préoccuper  que  du  soin  d'assurer  notre  domination.  C'est  dans  ce 
but  que  nous  avons  pris  une  position  isolée  sans  craindre  de  provoquer  les  observations  de  quelques 
gouvernements  et,  en  particulier,  celles  de  la  Porte,  en  nous  appliquant  d'autre  part  à  prévenir  tout  ce  qui 
pourrait  engager  ou  limiter  l'action  qu'il  nous  importait  d'exercer  sur  la  conduite  du  gouvernement  du  Bey» 
(A.  E.  Tunis,  vol.  16.  A.  Roches.  Paris,  22  septembre  1856). 

23  ROCHES  (Michel-Jules-Marie-Léon),  né  le  27  septembre  1809  à  Grenoble,  interprète  militaire  de  troisième 
classe,  1839;  interprète  militaire  de  classe,  puis  interprète  principal, 1841  ;  secrétaire,  14  février  1846  ; 
consul  de  l^^e  classe  à  Trieste,  29  novembre  1849  ;  consul  général  à  Tripoli  de  Barbarie,  26  mai  1852;  consul 
général  et  chargé  d'affaires  à  Tunis,  1®*^  juillet  1855  ;  ministre  plénipotentiaire  au  Japon,  7  octobre  1863;  mis 
en  disponibilité  en  1870,  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  1845  ;  commandeur  de  la  Légion  d'honneur, 
15  août  1858  (Fichier  A.  E). 


20 


lorsqu'il  fut  désigné  pour  le  poste  de  Tunis,  peu  après  l'avènement  de  Mohammed  Bey.  11 
trouvait  le  consulat  de  France  dans  une  situation  exceptionnelle  de  prestige  et  d'autorité. 
Léon  Roches  parlait  parfaitement  l'arabe;  il  avait  une  connaissance  intime  des  coutumes 
et  de  la  mentalité  indigènes,  il  ne  tarda  pas  à  se  lier  d'amitié  avec  Mohammed  Bey, 
prince  d'esprit  plus  traditionnaliste  que  son  prédécesseur  et  plus  attaché  aux  coutumes 
religieuses  de  l'islam.  Le  consul  de  France  partageait  les  goûts  du  nouveau  souverain. 
Excellent  cavalier,  il  adorait  les  longues  chevauchées  dans  le  bled,  les  chasses  ;  il  était 
à  son  aise  dans  la  vie  à  la  fois  simple  et  fastueuse  des  grands  chefs  arabes,  dans  les 
entretiens  privés  comme  dans  les  cérémonies  d'apparat  où  il  brillait  par  sa  parole  facile 
et  ses  discours  émaillés  de  citations  du  Coran^^.  Très  vite,  il  fut  admis  dans  l'intimité 
du  prince  qui  le  tutoyait,  l'appelait  son  ami,  et  lui  demandait  conseil  dans  toutes  les 
circonstances  importantes.  De  l'aveu  même  du  consulat  britannique,  il  jouissait  «d'une 
splendide  position»^^.  H  semblait  que  la  gestion  consulaire  de  Léon  Roches  dût  assurer 
définitivement  l'influence  française  à  Tunis,  précipiter  l'évolution  qui,  depuis  vingt  ans, 
entraînait  la  Régence  dans  le  sillage  de  la  France. 

Mais,  en  dépit  de  ces  apparences  brillantes,  Léon  Roches  manquait  des  qualités 
nécessaires  à  l'accomplissement  de  sa  tâche.  Le  consul  de  France  manquait  de  perspicacité 
et  de  vues  d'ensemble.  L'amitié  du  bey  ne  suffisait  pas  à  régler  tous  les  problèmes.  Prince 
sans  caractère.  Mohammed  Bey  laissait  à  ses  ministres  le  soin  de  traiter  la  plupart  des 
affaires.  En  dépit  de  sa  longue  expérience  de  l'islam,  Léon  Roches  se  trompait  sur  les 
hommes,  il  se  laissait  prendre  aux  protestations  d'amitié  des  familiers  de  la  Cour.  Enclin 
généralement  à  l'optimisme,  il  distribuait  sans  restrictions  des  louanges  sur  lesquelles 
il  devait  revenir  ensuite  lorsque  l'événement  lui  avait  donné  tort  ;  il  devait  poursuivre 
l'éloignement  d'un  favori  dont  il  avait  naguère  favorisé  l'ascension^s.  Le  consul  ne  savait 
pas  utiliser  son  influence  au  service  d'une  politique  cohérente,  réaliser  ni  même  définir 
un  programme  d'action.  11  se  laissa  détourner  de  sa  mission  essentielle,  l'émancipation 
complète  de  la  Régence,  l'implantation  de  solides  intérêts  français  dans  le  pays,  pour 
encourager  Mohammed  Bey  dans  une  politique  chimérique  de  réformes  qui  devait  se 
retourner  bientôt  contre  la  France  ;  il  parut  se  satisfaire  de  manifestations  d'amitié 
assez  creuses  dans  lesquelles  l'échange  de  décorations  jouait  le  rôle  principal.  En  outre, 
son  influence  trop  affichée  au  palais,  ne  devait  pas  tarder  à  susciter  des  jalousies.  Léon 
Roches  aimait  les  attitudes  théâtrales  ;  il  affectait  de  se  faire  auprès  du  bey  l'interprète 
des  consuls  étrangers,  ses  collègues,  pour  faire  aboutir  leurs  requêtes  ;  il  ne  réussissait  en 
réalité  qu'à  se  les  aliéner^^.  Les  ministres  tunisiens,  les  dignitaires  de  la  cour  s'irritaient  en 
secret  de  ses  interventions  dans  le  conseil  du  bey,  et  le  ministère  des  Affaires  étrangères 
lui-même,  devait,  sur  la  foi  de  ses  rapports,  le  rappeler  à  plus  de  discrétions^. 


24  Ben  Dhiaf,  chap.  VIL 

25  F.  0.102/50.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  2  septembre  1856. 

26  En  mai  1861,  en  mars  1862,  Roches  doit  avouer  sa  «désillusion»,  admettre  qu'il  s'était  trompé  sur  le 
compte  du  général  Heussein,  du  général  Khérédine,  gendre  du  premier  ministre,  dont  il  vantait  jusqu'alors 
la  francophilie  (A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  11  mai  1861  et  17  mai  1862).  Il  parut  se 
méprendre  jusqu'au  bout  sur  le  premier  ministre  du  Bey,  Mustapha  Khaznadar.  Il  ne  cessa  de  le  représenter 
à  Paris  comme  un  réformateur  et  un  ami  sincère  de  la  France,  alors  qu'il  nous  apparaît  sous  un  tout  autre 
jour,  un  voleur  sans  scrupules  qui  s'appuyait  indifféremment  sur  les  principaux  consuls  étrangers  et  qui,  dès 
avant  1860,  semblait  surtout  acquis  à  la  politique  anglaise. 

27  Dès  1859,  Roches  avait  contre  lui  l'ensemble  du  corps  consulaire  de  Tunis,  y  compris  le  consul  de  Sardaigne, 
«esprit  chagrin  auquel  la  jalousie  ridicule  que  lui  inspire  la  suprématie  de  l'influence  française  a  fait  oublier... 
les  liens  qui  unissent  son  pays  à  la  France  et  les  véritables  intérêts  de  ses  nationaux».  [Arch.  Rés.  Roches  à 
Walewski.  Tunis,  2  janvier  1859]. 

28  A.  E.  Tunis,  vol.  16.  Ministre  à  Roches.  Paris,  5  janvier,  22  septembre,  16  novembre  1856. 


21 


Toutefois,  ces  défauts  n'apparurent  pas  immédiatement.  Il  fallut  la  politique 
persévérante  d'un  consul  anglais  arrivé  à  Tunis  un  an  après  Léon  Roches,  Richard  Wood, 
pour  miner  la  situation  du  consul  de  France^®  et  le  contraindre  à  demander  son  rappel, 
en  1863,  après  sept  ans  d'une  lutte  inégale  qui  avait  souligné  toutes  ses  insuffisances. 

2  -  Les  efforts  anglais  pour  un  rapprochement  turco-tunisien 

A  l'inverse  de  la  France,  l'Angleterre  n'avait  aucune  raison  de  soutenir  la  thèse  de 
l'indépendance  tunisienne.  Attaché  au  maintien  de  l'intégrité  de  l'Empire  ottoman,  le 
gouvernement  britannique  continuait  de  professer  que  Tunis  n'était  qu'une  province 
turque  gouvernée  par  des  princes  vassaux  de  la  Sublime  Porte.  Le  bey  de  Tunis  a  souvent 
et  depuis  longtemps  souhaité  être  reconnu  comme  indépendant,  écrivait  lord  Clarendon, 
le  3  avril  1856.  «Le  gouvernement  britannique  a  fermement  et  uniformément  refusé  de 
l'admettre.  Pour  des  raisons  qui  lui  sont  particulières,  le  gouvernement  français  l'a  traité 
en  souverain  indépendant;  mais  l'Angleterre  attache  une  grande  importance  à  maintenir 
le  bey  de  Tunis  dans  la  situation  de  dépendance  dans  laquelle  il  se  trouve  vis-à-vis  du 
Sultan»3o.  Sans  doute,  le  gouvernement  britannique  ne  souhaitait-il  que  le  maintien  du 
statu  quo.  Il  se  déclarait  hostile  à  ce  que  la  Porte  réduisît  Tunis  à  la  condition  de  l'Egypte 
ou  de  Tripoli  mais  soulignait  que  si  le  bey  proclamait  son  indépendance,  par  la  force 
des  circonstances,  il  deviendrait  à  la  première  occasion  pratiquement  un  vassal  de  la 
France^i. 

Le  gouvernement  anglais  refusait  au  bey  toutes  les  marques  d'honneur  réservées  aux 
princes  souverains.  Il  n'entretenait  à  Tunis  qu'un  agent  politique  et  consul  général  dont 
les  lettres  de  créance  n'étaient  point  rédigées  par  la  Reine,  mais  par  le  secrétaire  d'Etat. 
Il  se  montrait  avare  de  décorations  et  prétendait  n'admettre  les  envoyés  tunisiens  à  la 
cour  de  la  Reine  que  sur  présentation  de  l'ambassadeur  ottoman.  L'escadre  britannique 
hissait  le  pavillon  turc  à  l'entrée  des  ports  tunisiens  et  répondait  au  salut  des  navires 
du  bey  par  les  mêmes  salves  que  pour  les  pachas  de  l'Empire.  Toutes  ces  manifestations 
irritaient  profondément  l'amour-propre  des  princes  tunisiens.  En  1846,  Ahmed  bey 
avait  renoncé  au  voyage  qu'il  projetait  en  Angleterre,  plutôt  que  d'être  accueilli  à 
Londres  en  pacha  turc  et  d'être  présenté  à  la  cour  par  l'ambassadeur  ottoman.  De  même 
Mohammed  es  Sadok  refusait  une  participation  tunisienne  à  l'exposition  de  Londres 
de  1862,  parce  qu'on  n'y  réservait  point  à  la  Régence  un  pavillon  distinct  de  celui  de 
l'Empire  ottoman^^. 

Aussi,  à  mesure  que  s'y  étendait  celle  de  la  France,  l'influence  anglaise  en  Tunisie 
s'était-elle  progressivement  dégradée.  Le  consulat  britannique  avait  perdu  beaucoup  de 
son  autorité  et  le  gouvernement  tunisien  affectait  de  le  traiter  avec  désinvolture.  En  1856, 
un  consul  nouvellement  nommé  à  Tunis,  Richard  Wood,  déplorait  l'état  d'abaissement  et 
la  position  secondaire  à  laquelle  se  trouvait  réduit  le  consulat  britannique.  Il  exprimait  la 
nécessité  de  le  relever  au  plus  vite,  en  renonçant  à  l'abstention  politique  et  en  modifiant 
radicalement  les  méthodes  de  travail  employées  jusqu'alors^^ 

En  Wood,  l'Angleterre  désignait  l'un  de  ses  représentants  les  plus  actifs,  les  plus 
habiles  qui,  en  peu  d'années  allait  restaurer  le  prestige  britannique  en  Tunisie,  disputer 


29  Arch.  Rome.  Bensa  à  Durando.  Tunis,  2  décembre  1862. 

30  F.  0 . 1 0 2/5  0 .  Clarendon  à  Wood.  F.  0.13  août  1856. 

31  F.  0.102/70.  Russell  à  Wood.  F.  0.15  juillet  1864,  dépêche  visée  par  la  Reine  et  Palmerston. 

32  F.  0.102/65.  Wood  à  Russell.  Tunis,  29  mars  1862. 

33  F.  0.102/50.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  15  juillet  Ig^. 


à  Léon  Roches  la  toute  puissance  dont  les  consuls  de  France  se  targuaient  à  la  cour 
tunisienne  depuis  près  de  vingt  années. 

Richard  Wood  n'était  pas  un  débutant.  Lorsqu'il  arrivait  à  Tunis  en  juin  1856, 
il  avait  derrière  lui  une  carrière  de  plus  de  trente  ans,  toute  entière  consacrée  au 
développement  de  l'influence  anglaise  et  à  la  défense  de  l'Empire  ottoman.  Il  avait  alors 
cinquante  ans^^.  Né  à  Constantinople  en  1806,  il  était  entré  en  1824  au  service  de  la 
Levant  Company  ;  cette  compagnie  ayant  été  supprimée  l'année  suivante,  Wood  était 
alors,  avec  tout  le  personnel,  passé  au  service  du  gouvernement  britannique.  Entre 
1825  et  1834,  il  avait  été  élève  attaché  d'ambassade  à  Constantinople,  puis  drogman 
auprès  de  la  même  ambassade,  de  1834  à  1841.  En  1832  et  1833,  il  avait  été  dépêché  en 
mission  en  Syrie,  lors  de  l'invasion  des  troupes  égyptiennes  commandées  par  Ibrahim 
Pacha.  Deux  ans  plus  tard,  devenu  drogman,  Wood  était  chargé  d'une  nouvelle  mission 
d'information  en  Syrie  pour  le  compte  du  gouvernement  ottoman.  Pendant  deux  ans, 
il  avait  parcouru  Syrie  et  Mésopotamie  afin  de  sonder  les  intentions  des  chefs  locaux, 
d'inspecter  les  positions  défensives  turques  et  de  préparer  les  moyens  de  résister  à  une 
nouvelle  invasion  égyptienne.  En  1840,  on  le  retrouve  en  Syrie  avec  les  troupes  turques;  il 
s'occupe  de  distributions  d'armes,  discute  les  plans  de  campagne  et  assiste  dans  le  Liban 
à  la  reddition  de  Beyrouth,  à  la  prise  de  Sidon  et  de  Saint-Jean-D'acre.  Le  gouvernement 
turc  l'avait  investi  des  pleins  pouvoirs,  et  l'avait  chargé  de  l'administration  du  pays 
pendant  la  campagne.  Le  15  mai  1841,  Wood  était  nommé  consul  à  Damas.  Il  devait  y 
rester  quatorze  ans  avant  d'être  nommé  consul  général  à  Tunis^^. 

Cette  carrière  dans  les  postes  d'Orient  l'avait  remarquablement  préparé  pour  le  rôle 
exceptionnel  que,  pendant  vingt-quatre  ans,  il  devait  jouer  dans  la  Régence.  Wood  parlait 
couramment  l'arabe,  le  turc,  le  grec  aussi  bien  que  l'anglais.  Etait-il  Levantin  d'origine,  un 
juif  syrien  converti,  comme  ses  adversaires  de  Tunis  le  prétendaient,  assurant  que  Wood 
n'était  que  la  traduction  de  l'arabe  hattab  qui  signifie  bois  ?...  Cette  affirmation  semble 
mériter  créance,  bien  que  Wood  appartînt  effectivement  à  la  religion  catholique^^.  Du 


34  WOOD  (Sir  Richard)  né  à  Constantinople  en  1806  de  George  Wood;  études  à  Exeter;  marié  en  1850  à 
Christina,  fille  aînée  de  Sir  William  D.  Godfrey,  baronnet  de  Kilcoleman  Abbey,  Kerry;  employé  dans  la  Levant 
Company  de  1824  à  1825  ;  élève  attaché  d'ambassade  à  Constantinople,  de  1825  à  1834;  drogman  à  la 
même  ambassade,  8  octobre  1834,  consul  à  Damas,  15  mai  1841;  agent  politique  et  consul  général  à  Tunis, 
30  avril  1855;  créé  baronnet  en  1878  ;  admis  à  la  retraite,  31  mars  1879  ;  mort  à  Nice  où  il  s'était  retiré,  le 
21  juillet  1900.  Il  avait  été  fait  Compagnon  du  Bain  et  Grand-croix  de  St-Michel  et  St-Georges  {Who  was  who 
1897-1916,  p.  778). 

Wood  s'était  marié  tardivement.  Il  avait  épousé  à  quarante-quatre  ans  la  fille  d'un  baronnet  irlandais, 
Christina  Godfrey  qui  devait  lui  donner  huit  enfants.  Lors  de  sa  nomination  à  Tunis,  il  n'avait  encore  que 
trois  enfants  ;  son  fils  aîné  Cecil  était  âgé  de  quatre  ans  et  sa  fille  aînée  Ferida,  de  deux  ans  et  demi. 

Wood  succédait  à  sir  Edward  Baynes,  consul  général  à  Tunis  de  1850  à  1855,  mort  en  fonctions  le  23  juillet 
1855. 

35  F.  0.102/125.  Consulaire  N°  13  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  11  mars  1879.  Mémorandum  sur  ses  états  de  service. 

36  Le  consul  de  France  de  Botmiliau  l'affirme  «Levantin  d'origine  demi  juive  demi  arménienne  :  son  nom 
est  Rhattab  qui  signifie  bois  et  «qu'il  a  traduit  par  Wood».  (Arch.  Rés.  Cabinet,  N°  2.  A  Moustier.  Tunis,  11 
septembre  1867).  Dans  une  note  rédigée  quelques  années  plus  tard  pour  le  quai  d'Orsay,  de  Sancy,  un 
notable  de  la  colonie  française,  soutient  également  que  Wood  est  d'origine  israélite  indigène  de  Syrie  : 
«Son  vrai  nom  est  Hattab,  en  arabe  bois,  qu'il  a  traduit  «en  anglais  par  Wood»  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol. 
9  janvier  1879),  assertion  qui  fut  reprise  par  le  correspondant  tunisois  de  la  Gazette  du  Midi  de  Marseille 
[Lettre  Tunisienne,  19  février.  26  mars  et  29  octobre  1879). 

Mais  ces  renseignements  sont  visiblement  de  même  source.  D'autre  part,  il  est  difficile  d'accorder  toujours 
pleine  créance  aux  informations  recueillies  àTunissurun  consul  par  un  de  ses  collègues  et  adversaires.  Leur 
antipathie  les  aveuglait  au  point  de  leur  faire  accepter  parfois  de  simples  rumeurs  dont  ils  nourrissaient  les 
dépêches  officielles.  Cependant,  un  ancien  négociant  de  Tunis  dont  la  famille  est  alliée  à  celle  des  descendants 
de  Wood  nous  a  confirmé  ce  fait  de  la  façon  la  plus  catégorique  «C'était  un  Juif.  D'ailleurs,  il  ne  pouvait  pas 

23 


Levantin,  il  avait  la  souplesse,  la  finesse  et  l'esprit  d'intrigue.  11  était  perspicace  en  même 
temps  et  persévérant,  prévoyant  les  événements  longtemps  à  l'avance  et  sachant  s'armer 
d'une  longue  patience,  revenir  inlassablement  à  la  charge  afin  d'obtenir  les  résultats 
qu'il  avait  souhaités.  Ses  armes  favorites  étaient  la  ruse  et  la  dissimulation,  ses  procédés 
habituels,  des  négociations  ourdies  en  grand  secret  et  dont  il  ne  dévoilait  les  résultats 
qu'au  dernier  moment.  Flatteur,  voire  même  cauteleux,  il  dissimulait  son  action  sous  des 
dehors  modestes,  poussait  des  comparses  au  premier  plan,  en  affectant  de  ne  jouer  que 
les  seconds  rôles.  Léon  Roches  aimait  jouer  les  importants;  en  le  flattant,  en  lui  donnant 
des  rôles  avantageux,  Wood  réussit  à  l'envelopper,  à  le  neutraliser  ;  il  fallut  à  Roches  près 
de  trois  ans  pour  s'apercevoir  qu'il  jouait  les  dupes,  et  qu'il  lui  fallait  traiter  Wood  en 
adversaire  s'il  ne  voulait  point  perdre  toute  autorité  à  la  cour  tunisienne. 

A  Tunis,  Wood  trouvait  un  collaborateur  précieux  en  la  personne  d'un  Juif  livournais, 
Moses  Santillana,  protégé  britannique  et  premier  interprète  au  consulat^^.  Santillana 
n'était  certes  pas  sans  défauts  ;  il  était  avide,  intrigant,  -  le  prédécesseur  de  Wood, 
le  vice-consul  Ferrière  qui  assurait  l'intérim  du  consulat,  avait  dû  le  révoquer  pour 
trafic  d'influence,  en  1855^®  -  mais  il  avait  de  l'entregent,  des  qualités  de  diplomate,  il 
connaissait  remarquablement  le  milieu  tunisien  et  les  affaires  financières  embrouillées 
du  gouvernement.  Wood  avait  fait  rétablir  Santillana  dans  ses  fonctions  dès  le  mois 
de  juin  1856;  il  lui  avait  fait  obtenir  la  nationalité  britannique  en  1857;  il  s'occupa 
personnellement  de  l'éducation  de  David  Santillana,  le  plus  intelligent  des  enfants  de 
son  interprète,  qui  fut  élevé  avec  les  siens.  Moses  Santillana  fut  chargé  de  nombreuses 
missions  de  confiance  en  Angleterre.  Plus  qu'à  tout  autre,  Wood  s'en  remettait  à  lui  pour 
les  affaires  du  consulat,  durant  ses  congés.  11  entretenait  avec  lui  une  correspondance 
suivie  qui  laissait  apparaître  cet  employé  subalterne  comme  un  véritable  confident.  La 
rumeur  publique  devait  bientôt  accuser  le  consul  d'Angleterre  d'avoir  partie  liée  avec 
son  interprète.  Outre  ses  fonctions  au  consulat,  Santillana  continuait  en  effet  d'exercer  le 
métier  de  courtier,  et  l'on  prétendait  qu'il  servait  à  Wood  de  prête-nom  pour  la  gestion  de 
ses  fonds  personnels^^. 

Les  liens  d'amitié  qui  unissaient  Mohammed  Bey  au  consul  de  France,  Léon 
Roches,  laissaient  à  Wood  peu  d'espoir  d'acquérir  sur  l'esprit  du  prince  une  influence 
comparable  à  celle  de  son  collègue.  Aussi  Wood  tourna-t-il  surtout  ses  efforts  du  côté  du 


le  cacher.  Je  me  souviens  fort  bien  de  l'avoir  vu  sur  la  plage,  à  Khérédine  quand  j'avais  dix-sept  ou  dix-huit 
ans.  Il  était  en  retraite...».  Et,  après  nous  avoir  décrit  le  physique  du  consul,  il  nous  confia  que  les  enfants  et 
petits-enfants  de  Wood  avaient  toujours  pris  beaucoup  de  peine  pour  dissimuler  leur  ascendance  Israélite 
Entretien  avec  M.  Ch.  ...Tunis,  samedi  19  mars  1955). 

Cette  origine  expliquerait  l'intérêt  que  Wood  manifestait  pour  toutes  les  questions  d'argent,  ses  relations 
avec  les  Juifs  de  Tunis.  Toutefois,  s'il  y  avait  eu  changement  ou  traduction  de  patronyme,  le  mérite  n'en 
revenait  certainement  pas  à  Richard  Wood  dont  la  naissance  avait  été  enregistrée  sous  ce  nom  à  Péra,  mais, 
plus  probablement,  à  son  père,  drogman  à  l'ambassade  britannique. 

37  SANTILLANA  (Moses),  né  à  Tunis  vers  1815,  fils  de  David,  chancelier  du  consulat  d'Angleterre  pendant  plus 
de  cinquante  ans.  Naturalisé  anglais  en  mars  1857,  Moses  Santillana  devait  exercer  les  fonctions  de  premier 
interprète  jusqu'en  mai  1872.  Il  démissionna  lorsqu'il  fut  élu  président  du  conseil  d'administration  des 
revenus  concédés. 

Léon  Roches  écrivait  en  1859  «M.  Wood  est  puissamment  secondé  par  M.  Santillana  interprète  de  son 
consulat  général,  homme  sans  moralité  aucune,  pour  qui  tous  les  moyens  sont  bons  et  qui  sait  et  peut 
acheter  les  consciences  dont  le  prix  à  Tunis  est  hélas  bien  peu  élevé.»  (Arch.  Rés.  Roches  à  Walewski.  Tunis. 
17  février  1859). 

38  F.  0.102/51,  Ferrière  à  Chrendon.  Consulaire  n°  17.  Tunis,  30  Juillet  1856. 

39  Cette  accusation  devait  être  formulée  par  les  différents  consuls  de  France,  successeurs  de  Léon  Roches. 
Elle  était  précisée  formellement  par  un  inspecteur  français,  Villet,  détaché  à  Tunis  à  partir  de  1869  pour 
réorganiser  les  finances  beylicales.  (A.  E.  Tunis.  Vol.  36.  Lettre  de  Villet.  Tunis,  24,  octobre  1871). 


24 


Richard  WOOD 
Consul  d'Angleterre  à  Tunis 
de  1855  à  1879. 

(Court,  de  M.  Malcolm,  ambassadeur 
de  Grande-Bretagne  à  TunisJ 


Léon  ROCHES 

Consul  à  Tunis  de  1855  à  1863 
(Court,  de  M.  P.  GrandchampJ 


Le  comte  Giuseppe  RAFFO 
(1795-1862) 

(Musée  du  Bardo) 


premier  ministre  tunisien,  Mustapha  Khaznadar^o,  un  mamelouk  d'origine  grecque  qui 
avait  été  le  favori  d'Ahmed  Bey  et  qui  avait  su  se  maintenir  sous  le  règne  de  son  cousin 
et  successeur.  Les  relations  (entre  les  deux  hommes  ne  tardèrent  pas  à  devenir  très 
amicales.  Wood  était  reçu  chez  le  khaznadar  ;  Madame  Wood  avait  ses  entrées  dans  le 
harem  du  premier  ministre  et  dans  ceux  des  principaux  dignitaires  de  la  cour.  Bientôt  le 
consul  d'Angleterre  louait  dans  le  voisinage  de  la  place  Halfaouine  une  maison  qui  faisait 
de  lui  le  voisin  du  premier  ministre  et  lui  permettait  de  lui  rendre,  le  soir,  des  visites  plus 
discrètes  et  plus  rapides  pour  des  entretiens  politiques  d'importance.  Au  palais  du  bey, 
dans  la  ville,  Wood  avait  encore  ses  informateurs,  ses  espions,  qui  faisaient  concurrence 
à  ceux  du  consul  de  France,  pour  la  chasse  aux  renseignements,  au  dernier  scandale  qui 
pouvait,  du  jour  au  lendemain,  ruiner  la  fortune  d'un  favori.  Les  docteurs  Lombroso  et 
Castelnuovo,  médecins  israélites  attachés  à  la  personne  du  bey,  étaient  de  ceux-là,  mais 
aussi  des  domestiques  du  prince,  les  intendants,  les  courtiers  des  principaux  dignitaires, 
et,  d'une  façon  plus  relevée,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  du  bey,  le  Génois  Raffo^i 
dont  l'influence  déclinante  avait  été  le  dernier  soutien  de  la  politique  anglaise  au  palais 
du  Bardo.  En  quelques  années,  Wood  allait  constituer  tout  un  service  de  renseignements, 
tout  un  réseau  d'influences,  un  Foreign  Office  au  petit  pied,  selon  l'expression  d'un  de  ses 
adversaires^^  p  allait  le  mettre  au  service  d'une  politique  persévérante  et  constructive. 
Contre  la  France  qui  poussait  à  l'isolement  de  la  Régence  pour  servir  ses  intérêts,  Wood 
militait  en  faveur  d'un  rapprochement  entre  la  Turquie  et  la  Tunisie,  sur  la  base  d'un 
statu  quo  légalisé  par  une  décision  émanant  du  sultan.  A  partir  de  1856,  les  circonstances 
paraissaient  favorables  au  développement  d'une  telle  politique.  La  Porte  avait  alors 


40  Sidi  Mustapha  Khaznadar^  né  à  Chio  en  1817,  mort  à  Tunis  en  1878.  Beau-frère  et  favori  du  Bey  Ahmed  qui 
l'éleva  aux  fonctions  de  Khaznadar  (trésorier),  il  devait  rester  au  pouvoir  pendant  plus  de  trente-six  ans,  de 
1837  à  1873. 

41  RAFFO  (Giuseppe,  comte),  né  à  Tunis  le  9  février  1795  de  Gian-Battista,  un  horloger  génois,  et  de  Marie 
Terrasson,  originaires  de  Chiavari,  mort  à  Paris  le  2  octobre  1862. 

Entré  comme  secrétaire  au  service  du  Bey  Hussein  avant  1830,  il  ne  tarda  pas  à  jouer  sous  son  règne  et  sous  ceux 
de  ses  successeurs  les  beys  Mustapha  et  Ahmed,  le  rôle  d'un  véritable  ministre  des  Affaires  étrangères  tunisien, 
tout  en  demeurant  sujet  sarde.  Il  conserva  ses  fonctions  sous  le  règne  de  Mohammed  Bey  et  de  Mohammed  es 
Sadok  jusqu'en  1860,  «mais  n'était  plus  ministre  des  Affaires  étrangères  que  de  nom  et  son  influence  était  nulle 
dans  les  conseils  de  S.A.».  (Arch.  Rés.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  18  mai  1860.  Egalement  Arch.  Rome.  Fasciotti 
à  Ricasoli.  Tunis.  16  novembre  1861).  Raffo  avait  été  anobli  en  1851  par  le  roi  de  Sardaigne. 

42  A.  E.  Tunis,  vol.  46.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  17  septembre  1878. 


25 


d'autres  soucis  que  de  reprendre  à  Tunis  la  politique  d'expansion  qui  avait  été  sienne 
quinze  ou  vingt  ans  plus  tôt.  Menacé  par  l'expansion  russe,  l'Empire  ottoman  n'avait 
dû  son  salut  pour  un  temps  qu'à  l'intervention  armée  de  l'Angleterre  et  de  la  France  à 
ses  côtés  dans  la  guerre  de  Crimée.  A  Constantinople,  depuis  le  traité  de  Paris,  c'est  de 
réformes  et  de  réorganisation  de  l'Empire  qu'il  était  question  et  non  de  conquêtes  ou  de 
reconquêtes.  Les  ministres  du  Tanzimat,  Rechid,  Ali  Pacha,  Fouad  Pacha'^^  s'employaient 
surtout  à  redresser  la  situation  intérieure  de  la  Turquie  et  à  doter  d'un  statut  plus  libéral 
les  populations  chrétiennes  des  Balkans. 

Wood  pouvait  encore  jouer,  à  Tunis,  du  sentiment  de  solidarité  musulmane  qui 
avait  poussé  le  défunt  bey  Ahmed  à  participer  à  la  guerre  de  Crimée,  mettre  en  avant 
les  milieux  traditionalistes  et  religieux  qui  avaient  retrouvé  beaucoup  de  leur  influence 
auprès  du  nouveau  bey  Mohammed.  11  était  facile  également  d'éveiller  la  susceptibilité 
des  ministres  tunisiens  en  dénonçant  le  protectorat  de  fait  que  la  France  s'arrogeait  en 
Tunisie,  protectorat  qui  ne  se  justifiait  plus  par  la  défense  du  pays  contre  une  menace 
turque  désormais  inexistante.  Tous  les  mois,  il  était,  sur  la  frontière  algérienne,  des 
incidents  entre  tribus  qui,  périodiquement,  provoquaient  de  la  part  des  autorités 
d'Algérie  des  expéditions  punitives  en  territoire  tunisien.  Les  protestations  du  bey  n'y 
faisaient  rien  ;  les  officiers  français  proclamaient  la  nécessité  de  châtier  les  coupables  et 
de  faire  leur  justice  eux-mêmes,  puisque  les  autorités  tunisiennes  restaient  impuissantes. 
Le  consul  d'Angleterre  profitait  de  l'irritation  que  causaient  à  Tunis  ces  procédés  de  la 
France  pour  réveiller  les  susceptibilités  du  bey,  dénoncer  les  desseins  envahissants  des 
militaires  français  qui,  selon  lui,  méditaient  de  reculer  la  frontière  jusqu'à  Bizerte  et 
d'annexer  tôt  ou  tard  Tunis  à  l'Algérie. 

En  juillet  1858,  Wood  exposait  son  plan  au  secrétaire  d'Etat  Malmesbury  dans  un 
mémorandum  consacré  à  la  vassalité  du  bey.  Tout  en  reconnaissant  la  difficulté  de  définir 
le  statu  quo  tunisien,  Wood  considérait  comme  nécessaire  et  réalisable  la  conclusion 
d'un  accord  entre  le  sultan  et  le  bey  qui  établît  formellement  la  suzeraineté  de  la  Porte 
sur  la  Régence,  tout  en  maintenant  les  libertés  traditionnelles  dont  jouissaient  les 
princes  tunisiens.  11  fallait  un  accord  bilatéral  qui  précisât  les  droits  et  les  devoirs  des 
deux  parties  et  qui  permît  de  faire  bénéficier  la  Tunisie,  province  turque  autonome,  des 
garanties  accordées  par  l'Europe  aux  possessions  du  sultan.  L'accord  établi,  le  sultan 
rendrait  un  firman  qui  serait  proclamé  à  Tunis  et  qui  deviendrait  désormais  la  charte  des 
rapports  turco-tunisiens.  Wood  énumérait  ainsi  les  clauses  qui  lui  paraissaient  définir 
l'état  de  choses  existant  et  qui  avaient  toutes  chances  d'être  acceptées  par  Mohammed 
Bey.  Le  sultan  devait  confirmer  la  transmission  héréditaire  du  pouvoir  dans  la  famille 
husseinite,  s'engager  à  ne  pas  intervenir  dans  l'administration  intérieure  de  la  Régence, 
reconnaître  au  bey  le  droit  d'entretenir  des  relations  étrangères,  d'arborer  un  pavillon 
distinct,  d'accorder  des  décorations.  En  revanche,  le  bey  devrait  formellement  avouer 
la  suzeraineté  du  sultan,  lui  demander  son  investiture  lors  de  son  avènement  et  rendre 
publique  cette  investiture  dans  une  cérémonie  officielle.  La  prière  continuerait  d'être 
récitée  au  nom  du  sultan,  et  la  monnaie  d'être  battue  à  son  chiffre. 


43  RECHID  Pacha  (Mustapha)  né  et  mort  à  Constantinople  (1802-1858).  Ecarté  du  pouvoir  pendant  deux  mois, 
il  redevenait  grand  vizir  pour  la  sixième  fois  en  octobre  1857  et  conservait  ces  fonctions  jusqu'à  sa  mort  le 
7  janvier  1858. 

ALI  Pacha  (Mohammed-Emin)  né  et  mort  à  Constantinople  (1815-1871).  II  échangeait  en  janvier  1858 
ses  fonctions  de  ministre  des  Affaires  étrangères  contre  celles  de  grand  vizir  (janvier  1858-octobre  1859). 
FOUAD  Pacha  (Mohammed)  né  à  Constantinople  en  1815,  mort  à  Nice  en  1869.  Président  du  Tanzimat,  il 
devenait,  en  remplacement  d'Ali  Pacha,  ministre  des  Affaires  étrangères  pour  la  troisième  fois. 


26 


Wood  signalait  les  difficultés  posées  par  la  question  d'un  tribut  que  la  Porte  ne 
manquerait  pas  d'exiger  et  que  le  bey  se  refuserait  nécessairement  à  accepter.  11 
suggérait,  comme  moyen  terme,  une  aide  militaire  tunisienne  à  la  Turquie  en  cas  de 
guerre,  et  une  contribution  annuelle  aux  dépenses  militaires  de  l'Empire'^^.  La  question 
avait  été  débattue  l'hiver  précédent,  avec  un  envoyé  de  la  Porte,  le  colonel  Nousret 
Dey,  venu  apporter  à  Tunis  le  texte  des  réformes  mises  en  vigueur  dans  l'Empire,  et 
dont  le  Sultan  demandait  l'application  dans  la  Régence.  Roches  n'en  avait  rien  su.  11 
refusait  d'en  convenir  et  opposait  aux  informations  fournies  par  l'ambassade  de  France 
à  Constantinople  un  démenti  plus  énergique  que  convaincant,  assurant  qu'il  avait  été 
tenu  au  courant  de  toutes  les  conversations  du  Bardo  et  que  l'envoyé  turc  était  reparti 
de  Tunis  très  désappointées. 

Après  le  décès  de  Mohammed  Bey  en  1859,  des  circonstances  favorables  allaient 
se  présenter  pour  l'ouverture  de  négociations  avec  la  Turquie  :  c'était  l'envoi  à 
Constantinople  d'une  ambassade  tunisienne  chargée  de  solliciter  le  firman  d'investiture 
pour  le  nouveau  bey  Mohammed  es  Sadok.  Wood  s'en  ouvrait  à  l'ambassadeur  britannique 
à  Constantinople,  et  lui  demandait  de  préparer  à  cette  idée  les  ministres  du  sultan^®. 

Mais  l'envoyé  du  bey,  le  ministre  de  la  guerre  Mustapha  bach  Agha  ne  recevait 
à  Constantinople  que  de  bonnes  paroles.  Ni  Mohammed  Koeprulu,  le  nouveau  grand 
vizir,  ni  Fouad  Pacha,  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  ne  paraissaient  se  soucier 
sérieusement  d'ouvrir  une  négociation  dans  ce  sens.  Mustapha  ne  revenait  à  Tunis 
qu'avec  le  firman  d'investiture  traditionnel  et  les  présents  de  circonstance.  Toutefois,  ce 
firman  d'investiture  était  solennellement  lu  au  palais,  usage  qui  était  depuis  longtemps 
tombé  en  désuétude  car  les  termes  de  pacha  et  de  province  turque  que  la  chancellerie 
ottomane  employait  pour  désigner  le  bey  et  la  Régence  sonnaient  désagréablement 
aux  oreilles  des  princes  tunisiens.  En  outre,  Mustapha  rapportait  l'assurance  que  la 
Porte  ne  songeait  nullement  à  porter  atteinte  au  statu  quo  et  qu'elle  préférait  resserrer 
amicalement  les  liens  qui  Punissaient  à  la  Régence  plutôt  que  de  renouveler  contre  Tunis 
l'expédition  qu'elle  avait  menée  contre  Tripoli,  vingt-cinq  ans  plus  tôt.  C'était  là  pour 
Wood  un  demi  succès,  l'indice  que  les  relations  turco-tunisiennes  étaient  redevenues 
normales  et  qu'il  pourrait  reprendre  avec  plus  de  succès  quelque  jour  la  politique 
qu'il  avait  inaugurée^^.  Mais  Mohammed  es  Sadok  ne  renonçait  pas  pour  autant  aux 
manifestations  d'indépendance.  11  faisait  installer  un  trône  dans  la  salle  de  réceptions 
de  son  palais  du  Bardo^®  ;  en  septembre  1860,  il  allait  à  Alger  quêter  des  honneurs 
souverains  auprès  de  Napoléon  III;  en  juin  suivant,  lors  d'un  voyage  à  Tunis  du  prince 
Napoléon,  le  bey  lui  faisait  des  ouvertures  pour  l'annexion  éventuelle  de  Tripoli'*^. 

Les  démarches  de  Wood  n'étaient  pas  vaines  cependant.  Par  son  action  habile 
et  persévérante,  le  consul  d'Angleterre,  avait,  dès  avant  1860,  sérieusement  entamé 
l'influence  française  à  la  cour  tunisienne.  Le  bey  et  ses  ministres  paraissaient  admettre 


44  F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  31  juillet  1858. 

Merlato,  le  consul  d'Autriche,  était  de  la  confidence  (Arch.  Tun.  Doss.  348,  carton  220). 

45  A.  E.  Tunis,  vol.  18.  Roches  à  Walewski.  Tunis,  6  février  1858. 

A.  E.  Turquie,  vol.  334.  Thouvenel  à  Walewski.  Péra,  12  janvier  1858. 

46  F.  0.102/58.  Wood  à  sir  Henry  Bulwer.  Tunis,  14  novembre  1859. 

47  F.  O.  102/60.  Wood  à  Russell.  Tunis,  28  janvier  et  11  février  1860.  A  l'occasion  d'une  mission  qu'il 
accomplissait  en  Syrie,  après  les  massacres  de  1860,  Wood  reprenait  directement  la  négociation  à  Damas 
avec  Fouad  Pacha.  (F.  0.102/63.  Wood  à  Russel.  Tunis,  18  novembre  1861). 

48  F.  0.102/60.  Wood  à  Russell.  Tunis,  11  février  1860. 

49  A.  E.  Tunis,  vol.  20.  Rousseau  (gérant  du  consulat)  à  Thouvenel.  Tunis,  15  juin  1861. 


27 


désormais  les  dangers  d'une  politique  qui,  pendant  vingt  ans,  avait  consisté  à  s'appuyer 
sur  la  France  pour  se  dégager  de  la  vassalité  ottomane.  Sans  doute  n'était-il  pas  question 
au  palais  de  définir  une  politique  cohérente  vis-à-vis  de  l'étranger.  Mohammed  es  Sadok 
était  un  prince  sans  volonté  ;  son  premier  ministre,  Mustapha  Khaznadar,  n'avait  d'autre 
souci  que  ses  affaires  personnelles.  Les  conseillers  du  bey  connaissaient  la  faiblesse 
militaire  du  pays  et  songeaient  avant  tout  à  ne  s'aliéner  aucun  de  leurs  voisins.  Ils 
n'avaient  pas  encore  pensé  à  un  projet  de  neutralisation  de  la  Régence  qui  ferait  de  la 
Tunisie  une  autre  Belgique  dont  l'indépendance  pourrait  être  garantie  par  les  grandes 
puissances.  Aussi  se  contentait-on  de  vivre  au  jour  le  jour,  de  prodiguer  de  part  et 
d'autre  des  protestations  de  bonne  volonté  et  d'amitié.  A  Tunis,  le  bey  se  plaignait  d'un 
consul  à  un  autre,  s'efforçant  de  les  neutraliser  les  uns  par  les  autres.  A  Constantinople, 
ses  envoyés  déploraient  les  empiétements  français,  les  concessions  qu'on  lui  arrachait, 
et  témoignaient  de  son  dévouement  de  fidèle  vassal.  Les  agents  français  recevaient  les 
mêmes  confidences,  les  ministres  tunisiens  les  assuraient  de  leur  bon  vouloir  et  de  leur 
indéfectible  amitié  ;  ils  dénonçaient  les  visées  de  la  Porte,  les  intrigues  anglaises,  les 
propos  des  ministres  ottomans,  pour  solliciter  avec  humilité  une  protection  française  qui, 
seule,  pouvait  sauvegarder  l'indépendance  tunisienne.  En  même  temps  qu'il  cherchait 
en  Europe  à  se  faire  reconnaître  comme  prince  indépendant,  vis-à-vis  de  la  Porte, 
Mohammed  es  Sadok  continuait  de  respecter  les  usages  traditionnels  qui  consacraient 
sa  vassalité,  pratiquant  ainsi  une  politique  de  double  jeu  et  «de  double  langage»5o,  qui 
témoignait  de  sa  puérilité  autant  que  de  sa  duplicité. 

3  -  La  rivalité  franco-anglaise 

L'attitude  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  leur  opinion  différente  sur  la  situation 
internationale  de  la  Régence,  traduisaient  avant  tout  des  rivalités  politiques  ou 
stratégiques.  Pour  l'Angleterre,  la  question  tunisienne  était  une  affaire  de  politique 
méditerranéenne  essentiellement.  Pour  la  France,  il  s'agissait  avant  tout  de  préserver  la 
sécurité  de  sa  colonie  algérienne. 

La  France  avait  en  Afrique  une  frontière  commune  avec  la  Tunisie.  Cette  situation 
lui  imposait  de  surveiller  étroitement  la  politique  extérieure  du  bey  autant  que  les 
événements  qui  affectaient  la  Régence  et  qui  pouvaient,  par  contrecoup,  affecter  la 
tranquillité  de  l'Algérie  voisine.  La  frontière  algéro-tunisienne  n'était  qu'un  tracé 
artificiel  qui  séparait  des  régions  identiques  de  part  et  d'autre,  des  populations  ayant  les 
mêmes  origines,  la  même  langue,  le  même  genre  de  vie.  Dès  le  début  de  la  conquête,  les 
autorités  françaises  avaient  cherché  à  s'entendre  avec  les  Tunisiens  sur  une  délimitation 
officielle  de  la  frontière.  Mais  elles  ne  pouvaient  s'appuyer  sur  aucun  précédent.  Les 
tribus  frontalières  avaient,  au  gré  des  circonstances,  reconnu  tantôt  l'autorité  du  bey 
de  Tunis,  tantôt  celle  des  beys  de  Constantine.  Si  la  situation  s'était  stabilisée  depuis 
le  milieu  du  XV111™‘=  siècle,  aucun  accord  de  délimitation  n'était  intervenu  cependant. 
Toutes  les  tribus  avaient  des  prétentions  sur  les  domaines  de  leurs  voisines.  Les  points 
de  repère  qu'admettaient  les  deux  parties  offraient  eux-mêmes  matière  à  contestation, 
en  raison  de  l'incertitude  de  la  toponymie  et  de  l'absence  de  tout  relevé  sur  le  terrain. 

Les  officiers  français  étaient  exigeants  :  ils  prétendaient  établir  une  frontière 
solide  qui  mît  l'Algérie  à  l'abri  des  coups  de  main  pillards,  et  leur  permît  de  contenir  les 
tribus  tunisiennes  hostiles  qui  ravitaillaient  les  Algériens  insoumis  et  appuyaient  leur 


50  A.  E.  Turquie,  vol.  334.  Thouvenel  à  Walewski.  Péra,  30  janvier  1858. 


28 


résistance  de  quelques  bandes  de  cavaliers^b  Le  gouvernement  tunisien,  de  son  côté, 
répugnait  à  consentir  à  des  abandons  de  territoire  réels  ou  supposés.  11  faisait  traîner  les 
négociations.  Les  deux  parties  n'avaient  même  pas  réussi  à  s'entendre  sur  la  délimitation 
du  territoire  deLa  Calle.  Les  dernières  tentatives  d'accord  avec  le  bey  remontaient  à 
1842  ;  elles  n'avaient  pas  sérieusement  été  reprises  depuis.  Entre  1842  et  1845,  les 
officiers  français  de  la  province  de  Constantine  avaient  procédé,  seuls,  à  la  reconnaissance 
et  à  la  délimitation  des  possessions  algériennes.  Une  carte  avait  été  dressée,  et,  lors  de 
son  voyage  à  Paris,  en  1846,  Le  bey  Ahmed  en  avait  reconnu  l'exactitude,  mais  «aucun 
acte  diplomatique  n'intervint,  et  la  question  demeura  à  l'état  d'un  fait  reconnu  mais  non 

homologué»52 

Sur  cette  frontière  les  incidents  étaient  nombreux.  11  s'agissait,  le  plus  souvent,  de 
vols  ou  de  razzias  de  bétail  entre  tribus  rivales  que  les  agents  du  bey  ne  parvenaient  pas 
à  prévenir  du  côté  tunisien,  par  impuissance  ou  mauvaise  volonté.  Aussi  les  officiers 
français  en  prenaient-ils  à  leur  aise  avec  la  frontière  qu'ils  avaient  eux-mêmes  tracée^^.  Ils 
s'arrogeaient  le  droit  de  châtier  les  méfaits  commis  en  Algérie  par  les  tribus  tunisiennes, 
et,  périodiquement,  dirigeaient  contre  elles  des  razzias  de  représailles,  à  la  tête  de 
troupes  régulières  ou  de  goums  de  spahis.  Ces  expéditions  se  reproduisaient  tous  les 
trois  ou  quatre  ans  ;  ainsi,  en  1852,  en  1856,  en  août  1862,  en  juillet  1863.  Le  bey  avait 
beau  se  plaindre  ;  il  ne  lui  restait,  selon  l'expression  du  consul  d'Angleterre,  qu'à  «se 
déclarer  satisfait  des  explications  que  les  autorités  militaires  d'Algérie  voulaient  bien 
lui  donner...  Chaque  fois  que  ses  sujets  étaient  les  agresseurs,  le  bey  était  menacé  d'une 
expédition  militaire  sous  prétexte  de  son  impuissance  à  maintenir  une  police  efficace 
sur  les  frontières»®^. 

Toutefois,  ces  incidents  -  les  militaires  français  s'accordaient  à  le  reconnaître  -  ne 
mettaient  pas  sérieusement  en  danger  la  sécurité  de  l'Algérie®®.  Les  autorités  françaises 
considéraient  comme  infiniment  plus  redoutables  les  encouragements  à  la  rébellion 
que  les  tribus  algériennes  pouvaient  recevoir  de  Tunisie.  Les  mauvais  sujets,  les 
agitateurs  en  difficulté  avec  la  police  française  trouvaient  refuge  en  territoire  tunisien, 
les  régions  frontalières  étaient  périodiquement  parcourues  par  des  émissaires  religieux 
ou  politiques  qui  prêchaient  la  guerre  sainte  contre  les  infidèles  ;  certaines  tribus 
tunisiennes  envoyaient  leurs  cavaliers  soutenir  les  rébellions  algériennes.  De  Tébessa 
jusqu'à  El  Oued,  la  frontière  était  régulièrement  traversée  par  des  caravanes  transportant 
des  armes  et  de  la  poudre  anglaises  en  provenance  de  Sfax  ou  du  golfe  de  Gabès.  Aussi, 
le  gouvernement  français  avait-il  de  sérieuses  raisons  de  protéger  à  sa  façon  le  statu  quo 
tunisien  et  d'encourager  le  bey  dans  ses  manifestations  d'indépendance.  La  faiblesse  de 
la  Régence  était  une  garantie  sérieuse  de  tranquillité  pour  une  Algérie  incomplètement 


51  Ainsi,  pour  le  général  Pélissier,  la  frontière  de  lAlgérie  était-elle  «la  limite  du  territoire  que  l'on  a  intérêt 
à  défendre  et  à  administrer,  le  surplus  de  la  zone  bordière  constituant  une  bande  neutre  où  l'on  réserve 
les  droits  de  la  France»  (Lettre  du  18  septembre  1851,  citée  dans  le  rapport  Delarue  de  1898  qui  figure 
au  dossier  de  la  délimitation  de  la  frontière,  au  sud  des  chotts  (Arch.  Rés.  Service  des  Aff.  indigènes),  texte 
publié  par  Ch.  Monchicourt  :  La  frontière  algéro-tunisienne  dans  le  Tell  et  dans  la  steppe.  R.  Afr.  1938,  p.  38). 

52  Arch.  Guerre.  Tunisie,  carton  13.  Note  par  le  maréchal  Randon.  Paris  l®*^  février  1867. 

53  En  1849,  l'exploitation  du  gisement  de  plomb  argentifère  de  Kef  Oum  Teboul  dans  une  zone  frontière 
contestée,  près  de  La  Calle,  était  concédée  à  un  négociant  marseillais.  Le  filon  s'étendant  vers  l'est,  «pour 
empêcher  que  l'exploitation  ne  s'arrête,  les  nouvelles  cartes  du  Dépôt  de  la  Guerre  reportent  la  limite  plus  à 
l'est  jusqu'à  Djebel  Haddedda.  Cette  extension  arbitraire  de  notre  territoire  dont  on  voit  les  traces  en  jetant 
les  yeux  sur  les  cartes. ..nous  place  dans  une  position  insoutenable  vis-à-vis  du  Bey»  (A.  E.  Mém.  et  Doc.  vol. 
13,  note  19,  mars  1852). 

54  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis,  31  juillet  1863,  dép.  cit. 

55  Arch.  Guerre.  Correspondance  du  gouverneur  général  avec  le  ministre,  passim. 


29 


soumise.  La  Turquie  s'étant  refusée  à  reconnaître  officiellement  la  conquête  d'Alger 
par  la  France,  celle-ci  ne  pouvait  considérer  que  comme  un  danger  le  rétablissement 
de  la  souveraineté  ottomane  sur  la  Régence  voisines^.  Aussi,  la  diplomatie  française 
s'attachait-elle  à  démontrer  à  Constantinople  la  nécessité  d'une  Tunisie  formant  tampon 
entre  la  Tripolitaine  ottomane  et  l'Algérie  française.  «La  politique  de  la  France  à  l'égard 
de  la  Tunisie  est  très  simple»,  disait  l'ambassadeur  de  France  au  grand  vizir  Ali  Pacha 
en  1864  :  «nous  ne  voulons  pas  y  avoir  la  Porte  pour  voisine;  avec  ses  voisins  on  se 
querelle,  pour  ses  voisins  on  a  de  mauvais  sentiments.  Nous  ne  voulons  pas  avoir  de 
querelles  avec  Elle.  Nous  ne  voulons  pas  être  exposés  à  nourrir  de  mauvais  sentiments  à 
son  égard.  En  un  mot,  ne  nous  créez  pas  d'intérêt  à  la  dissolution  de  l'Empire  ottoman»^^. 
En  même  temps,  la  France  faisait  savoir  à  la  Porte  qu'en  cas  d'intervention  militaire 
turque  en  Tunisie,  un  corps  français  entrerait  immédiatement  dans  la  Régence.  En  1860, 
cette  politique  n'avait  pas  encore  été  exposée  avec  autant  de  netteté  ;  mais  elle  inspirait 
depuis  longtemps  les  relations  de  la  France  et  de  l'Empire  ottoman. 

Cependant  l'Angleterre  soupçonnait  la  France  de  vouloir  tôt  ou  tard  absorber  la 
Régence  de  Tunis  et  de  viser  dans  l'immédiat  à  repousser  ses  frontières  algériennes 
jusqu'à  la  Medjerda  de  façon  à  englober  les  massifs  du  Tell  et  surtout  l'imposante  base 
naturelle  de  Bizerte^®.  L'importance  de  Bizerte  était  connue  ;  on  savait  tout  le  parti 
qu'une  grande  puissance  pouvait  tirer  de  sa  rade.  Si  la  France  occupait  la  Tunisie,  si  elle 
transformait  Bizerte  en  un  Toulon  africain,  elle  pourrait  commander  le  passage  entre 
les  deux  bassins  de  la  Méditerranée,  neutraliser  Malte  dont  l'Angleterre  faisait  le  point 
d'appui  de  ses  escadres.  Aussi  l'intérêt  bien  entendu  des  Anglais  leur  commandait-il 
d'empêcher  dans  la  mesure  du  possible  que  la  Tunisie  ne  tombât  sous  la  domination  de 
quelque  puissance  européenne,  la  France  surtout,  mais  aussi  l'Italie  dont  l'unité  n'était  pas 
encore  achevée  et  dont  la  puissance  militaire  et  surtout  navale  était  encore  négligeable, 
mais  que  sa  position  géographique,  sa  possession  de  la  Sicile  et  de  Pantelleria,  amènerait 
à  jouer  tôt  ou  tard,  un  grand  rôle  en  Méditerranée.  Tunisienne  ou  turque,  la  Régence  ne 
pouvait  constituer  un  danger  ;  on  savait  que  le  bey  ni  le  sultan  n'aurait  de  longtemps  les 
moyens  d'y  entreprendre  des  ouvrages  militaires  sérieux. 

La  Méditerranée  n'allait  plus  rester  longtemps  une  mer  fermée  :  en  avril  1859, 
Ferdinand  de  Lesseps  faisait  donner  les  premiers  coups  de  pioche  dans  l'isthme  de  Suez. 
Une  nouvelle  route  des  Indes  allait  s'ouvrir,  dont  l'Angleterre  ne  pouvait  admettre  qu'elle 
fût  contrôlée  ou  menacée  par  des  rivaux,  à  Tunis  aussi  bien  qu'en  Egypte.  C'est  pourquoi 
Wood,  avec  persévérance,  ne  cessait  de  dénoncer  à  Londres  les  desseins  ambitieux  de  la 
France,  la  politique  de  Léon  Roches,  qui,  à  l'en  croire,  cherchait  uniquement  à  entretenir 
la  décomposition  de  la  Régence,  en  vue  d'en  assurer  son  absorption  ultérieure  par  la 
France^®.  La  faiblesse  militaire  de  la  Régence  en  eût  fait  une  proie  facile.  L'apparition 
de  quelques  navires  de  guerre  devant  les  ports  tunisiens,  une  promenade  militaire  à 
travers  le  pays  eussent  vraisemblablement  suffi  à  en  assurer  la  conquête.  Les  incidents 
chroniques  de  frontière  auraient  pu  fournir  tous  les  prétextes  désirables. 


56  A.  E.  Tunis,  vol.  2  et  Arch.  Guerre,  Tunisie,  carton  13.  De  Broglie  au  ministre  de  la  Guerre,  14  janvier  1836. 

57  A.  E.  Turquie,  vol.  363.  Moustier  à  Drouyn  de  Lhuys.  Péra,  7  décembre  1864. 

58  F.  0.102/58.  Mémorandum  de  Wood.  Londres.  27  juillet  1859. 

F.  0.102/74 .  Sprattà  Lord  Paget  (très  probablement  Lord  Clarence  Edward  secrétaire  de  l'amirauté,  puis  contre- 
amiral  de  l'escadre  rouge,  en  1863,  l'un  des  cinq  frères  Paget)  Tunbridge  Wells.  28  juillet  1864.  L'officier  de 
marine  Spratt  avait  visité  la  région  en  1845  :  il  assurait  qu'on  pouvait  y  faire  «un  port  de  guerre  formidable». 

59  F.  0.102/50.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  18  octobre  1856. 

F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  31  juillet  et  5  nov.  1858. 

F.  0.102/58.  Mémorandum  de  Wood,  op.  cit  Londres,  27  juillet  1859. 


30 


Toutefois,  le  gouvernement  anglais  semblait  assez  loin  de  partager  ces  inquiétudes. 
11  s'accommodait  de  l'influence  française  en  Tunisie  et  ne  se  souciait  pas  d'engager  avec 
Paris  une  polémique  sur  la  situation  internationale  du  bey  tant  que  le  cabinet  impérial  ne 
tenterait  pas  de  rattacher  Tunis  à  l'Algérie.  Wood  disposait  d'une  grande  liberté  d'action; 
on  le  laissait  développer  l'influence  anglaise  dans  la  Régence,  mais  on  ne  voulait  pas 
prendre  l'initiative  d'un  conflit  avec  la  France  sur  la  question  tunisienne. 

En  fait,  en  1860,  le  gouvernement  impérial  ne  songeait  pas  à  annexer  la  Régence.  Si 
de  tels  desseins  pouvaient  exister  dans  le  milieu  des  officiers  d'Afrique,  la  correspondance 
officielle  du  gouvernement  général  reste  muette  à  ce  sujet.  De  leur  côté,  ni  le  consulat  de 
France  à  Tunis,  ni  l'ambassade  auprès  de  la  Porte,  ni  les  ministres  des  Affaires  étrangères, 
Drouyn  de  Lhuys  ou  Walewski^o,  n'avaient  même  soulevé  la  question  ;  aucune  étude 
militaire  sur  le  terrain  n'était  venue  préparer  les  étapes  d'un  mouvement  offensiDi.  Les 
travaux  des  officiers  français  de  la  division  de  Constantine  portant  sur  la  zone  frontalière 
tunisienne  visaient  surtout  à  établir  une  sorte  de  ligne  défensive  du  côté  algérien. 
Tout  au  plus  pouvait-elle  servir  à  faciliter  ces  opérations  de  représailles  qui  étaient 
périodiquement  menées  contre  les  tribus  tunisiennes  les  plus  hostiles.  L'insistance 
même  des  militaires  français  à  pourchasser  les  malfaiteurs  tunisiens  témoignait  qu'à 
Alger  on  se  préoccupait  plus  de  pacification  que  de  conquête.  En  1867  le  ministre  de 
la  Guerre,  le  maréchal  Randon,  ancien  commandant  de  la  division  de  Bône,  et  ancien 
gouverneur  général  de  l'Algérie,  traduisait  cette  opinion  dans  une  note  sur  la  question 
de  la  frontière  tunisienne  où  il  concluait  au  maintien  du  statu  quo,  en  réservant  tout  au 
plus  quelques  intérêts  français  dans  la  région  de  Tabarka^^ 

En  1864,  lorsque  le  gouvernement  tunisien  parut  débordé  par  une  insurrection 
générale,  en  1867  et  1868,  lorsque  le  pays  sembla  se  dissoudre  dans  le  désordre  et  la 
banqueroute  financière,  la  question  d'une  occupation  française  de  la  Régence  fut  évoquée 
à  Paris,  mais  elle  fut  écartée  aussitôt  au  profit  d'une  action  concertée  avec  les  autres 
puissances.  En  dépit  du  recul  de  l'influence  française  à  Tunis,  de  la  ruine  du  commerce 
français,  les  suggestions  annexionnistes  des  consuls  furent  nettement  repoussées. 

En  1860,  la  situation  diplomatique  et  militaire  de  la  France  était  forte.  Mais  le  cabinet 
des  Tuileries  ne  voulait  ni  d'une  annexion  ni  d'un  protectorat  déclaré.  Dans  les  milieux 
officiels,  prévalait  l'opinion  que  l'Algérie  coûtait  assez  cher  à  la  France,  que  le  pays  ne 
pouvait  se  payer  le  luxe  d'une  colonie  nouvelle  dont  les  charges  s'ajouteraient  à  celles  de 
la  première,  dont  la  conquête  susciterait  le  mécontentement  du  cabinet  de  Saint-James 
toujours  dirigé  par  Palmerston,  et  provoquerait  peut-être  un  renouveau  d'agitation  dans 
la  colonie  algériennes^.  Cette  doctrine  devait  être  celle  de  tous  les  ministres  des  Affaires 
étrangères,  depuis  Drouyn  de  Lhuys  jusqu'à  La  Valette. 


60  DROUYN  de  LHUYS  (Edouard)  né  en  1805,  mort  en  1881,  sénateur,  ministre  des  Affaires  étrangères  à  quatre 
reprises  :  du  19  décembre  1848  au  2  juin  1849;  du  9  au  24  janvier  1851  ;  du  28  juillet  1852  au  8  mai  1855 
et  du  15  octobre  1862  au  1^'  septembre  1866. 

COLONNA  WALEWSKI  (Alexandre,  comte),  né  en  1810,  mort  en  1868,  ambassadeur,  sénateur,  ministre  des 
Affaires  étrangères  du  8  mai  1855  au  4  janvier  1860. 

61  Un  officier  français,  le  capitaine  Fricot  de  Sainte-Marie,  avait  cependant  été  autorisé  par  le  bey  en  1856 
à  parcourir  le  pays  et  à  faire  des  relevés  topographiques  pour  l'établissement  d'une  carte  générale  de  la 
Régence.  Mais  rien  ne  permet  de  penser  que  cette  mission  eût  un  autre  dessein.  Les  travaux  du  capitaine 
de  Sainte-Marie  servirent  à  établir  la  première  carte  détaillée  de  la  Tunisie.  L'officier  français  n'avait  fourni 
alors  au  ministre  de  la  Guerre  ni  plan  des  fortifications  tunisiennes,  ni  itinéraires  ou  plans  d'étapes. 

62  Arch.  Guerre.  Tunisie,  carton  13.  Note  pour  le  maréchal  Randon.  Paris,  1^^  février  1867. 

Egalement  A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Lt-colonel  Campenon  à  ministre  de  la  Guerre.  Tunis,  31  mai  1862. 

63  F.  0.102/116.  Lyons  à  Clarendon.  Paris,  9  janvier  1869. 

A.  E.  Italie,  vol.  30.  Rothan  à  J.  Favre.  Florence,  17  janvier  1871. 


31 


La  France  n'avait  alors  aucun  motif  précis  d'intervenir  dans  la  Régence.  Les 
incidents  de  la  frontière  ne  mettaient  pas  en  danger  la  sécurité  de  l'Algérie.  Aucune 
considération  économique  ou  religieuse  ne  venait  aiguillonner  le  gouvernement.  Grâce 
à  ses  négociants,  la  France  disposait  à  Tunis  d'une  situation  privilégiée  ;  les  intérêts 
français  étaient  bien  défendus,  et  le  gouvernement  qui  adoptait  alors  une  politique 
libre-échangiste  ne  pouvait  souhaiter  se  réserver  un  marché  économique  qui  lui  était 
largement  ouvert.  De  même,  la  liberté  religieuse  était  largement  assurée  en  Tunisie  : 
une  mission  catholique  dirigée  par  un  évêque^L  et  placée  sous  le  patronage  traditionnel 
de  la  France,  assurait  sans  difficulté  son  ministère.  La  vanité  d'une  entreprise  de 
prosélytisme  en  pays  d'Islam  avait  été  démontrée  déjà.  En  outre,  l'attitude  du  bey  s'était 
montrée  constamment  favorable  à  la  France.  En  septembre  1860,  Mohammed  es  Sadok 
était  venu  à  Alger  témoigner  de  son  amitié.  L'Empereur  avait  félicité  en  lui  le  prince 
réformateur  qui  accordait  une  constitution  à  ses  sujets.  De  Tunis,  Léon  Roches  ne  cessait 
de  louer  la  bonne  volonté  du  bey  et  de  ses  ministres.  C'est  de  progrès  et  de  civilisation 
que  l'on  traitait  alors  dans  la  correspondance  officielle  française.  La  France  n'avait  pas 
alors  d'autre  programme  et  Napoléon  111,  que  son  voyage  en  Algérie  avait  converti  à  la 
politique  du  royaume  arabe,  ne  pouvait  que  considérer  avec  bienveillance  les  efforts  de 
la  Tunisie  pour  se  régénérer  sous  l'égide  des  grandes  puissances,  et  la  démarche  d'un 
prince  qui  prenait  les  apparences  d'une  déclaration  d'hommage. 

Dans  la  rivalité  qui  opposait  à  Tunis  les  consuls  de  France  et  d'Angleterre,  les  consuls 
étrangers  restaient  généralement  neutres.  Elors  de  la  France  et  de  l'Angleterre,  aucune 
puissance  n'exerçait  dans  la  Régence,  en  1860,  une  influence  politique  sérieuse.  Les 
consulats  de  Sardaigne,  de  Toscane  et  de  Naples,  ceux  d'Espagne  et  d'Autriche  avaient 
un  rôle  essentiellement  commercial  ;  les  titres  de  consuls  de  Belgique,  des  Pays-Bas,  des 
Etats-Unis,  de  Suède-et-Norvège^s  étaient  purement  honorifiques  :  ces  pays  n'avaient 
dans  la  Régence  ni  nationaux,  ni  protégés,  ni  intérêts  commerciaux  à  défendre.  Après 
la  proclamation  du  royaume  d'Italie  en  1861,  le  consulat  de  Sardaigne,  devenu  consulat 
d'Italie,  absorba  les  consulats  de  Toscane  et  de  Naples.  Mais,  en  dépit  de  l'importance 
de  la  colonie  Italienne,  désormais  réunie  sous  un  même  pavillon,  en  dépit  de  l'activité 
du  commerce  entre  Tunis  et  la  péninsule,  le  consulat  d'Italie  continuait  à  jouer  un  rôle 
politique  aussi  effacé  que  celui  de  Sardaigne  naguère.  Les  instructions  qu'il  recevait  de 
Turin  ne  lui  traçaient  d'autre  programme  que  la  défense  de  la  colonie  et  du  commerce, 
et  déconseillaient  toute  intervention  dans  les  affaires  politiques  locales.  En  1863  encore, 
le  ministre  des  Affaires  étrangères  d'Italie,  Visconti-Venosta^®  n'évoquait  «la  rivalité 


64  Mgr.  Fedele  SUTTER,  Suisse  allemand  d'origine,  né  à  Ferrare  le  6  mars  1796,  provincial  des  Capucins  de 
Bologne,  évêque  in-partibus  de  Rosalia  et  vicaire  apostolique  de  Tunisie  de  1843  à  1881. 

Après  sa  démission.  Il  fut  nommé  par  Léon  XIII  archevêque  d'Ancyre,  et  mourut  à  Ferrare,  le  3  août  1883 
(R.P.  Anselme  des  Arcs  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la  mission  des  Capucins  dans  la  Régence  de  Tunis. 
1824-1865.  Rome,  1889,  pp.  116  et  140). 

65  La  présence  d'une  famille  hollandaise  et  d'une  famille  suédoise  à  Tunis  valait  seule  aux  royaumes  des  Pays- 
Bas  et  de  Suède-et-Norvège  d'être  représentés  dans  la  Régence.  Les  Nyssen  étaient  à  la  fois  consuls  des 
Pays-Bas  et  de  Russie,  les  Tulin  consuls  de  Suède  et  de  Prusse.  Les  vice-consuls  de  France  à  la  Goulette,  les 
Gaspary,  puis  les  Cubisol  étaient  en  même  temps  consuls  de  Belgique  et  agents  consulaires  de  toutes  les 
autres  nations  représentées  à  Tunis,  l'Italie  exceptée. 

66  VISCONTI-VENOSTA  (Emilio,  marquis),  homme  d'Etat  italien  né  à  Milan  en  1829,  mort  à  Rome  en  1914. 
Après  s'être  distingué  dans  la  résistance  à  l'occupation  autrichienne  en  Lombardie,  il  fut  élu  député  en  1859 
et  constamment  réélu  jusqu'en  1886. 

Secrétaire  général  du  Ministère  des  Affaires  étrangères,  sous  le  comte  Pasolini,  11  décembre  1862; 
ministre  des  Affaires  étrangères  du  24  mars  1863  au  28  septembre  1864  dans  le  cabinet  Minghetti;  envoyé 
extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Constantinople,  mars  1866  ;  ministre  des  Affaires  étrangères  à 
nouveau  dans  le  cabinet  Ricasoli  de  juillet  1866  au  10  avril  1867  et  du  14  décembre  1869  au  18  mars  1876 


32 


d'influence  entre  deux  puissances  maritimes»  à  Tunis,  les  efforts  du  bey  pour  s'affranchir 
de  tout  vasselage  ottoman,  que  pour  recommander  l'abstention  du  consulat  d'Italie. 
«Nous  n'avons  pas  de  raison  ni  d'intérêt  à  nous  occuper  sauf  pour  information  de  cette 
dernière  question»,  écrivait-il  en  juillet  1863®^.  L'Italie  n'avait  pas  encore  de  politique 
tunisienne.  Elle  était  médiocrement  représentée  par  des  agents  sans  autorité,  absorbés 
par  les  rivalités  de  coteries  qui  divisaient  une  colonie  remuante,  difficile  à  administrer.  Le 
consul  Mathieu  était  rappelé  en  juillet  1861,  à  la  suite  d'un  conflit  avec  ses  nationaux,  et 
avec  son  collègue  de  France^*.  Son  successeur,  le  commandeur  Fasciotti^®  restait  à  peine 
une  année,  d'octobre  1861  à  octobre  1862^0.  Le  séjour  du  chevalier  Bensa  fut  plus  agité  et 
plus  bref  encore  (novembre  1862  -  juin  1863)^i.  Avec  son  remplaçant,  Gambarotta,  l'Italie 
avait  son  quatrième  représentant  depuis  l'unité,  son  quatrième  consul  en  trois  ans^^ 

Les  agents  italiens,  comme  les  représentants  des  puissances  secondaires 
n'intervenaient  pas  dans  les  questions  politiques,  ils  se  bornaient  à  défendre  leurs 
nationaux,  à  traiter  d'affaires  commerciales,  de  justice  répressive.  En  1860,  les  rivalités 
internationales  se  réduisaient  à  un  duel  entre  deux  puissances  ou  plutôt  entre  deux 
consulats.  Entre  la  politique  française  représentée  par  Léon  Roches  et  la  politique 
anglo-turque  préconisée  par  Richard  Wood,  il  n'était  alors  pour  le  bey  aucune  solution 
de  rechange. 

4  -  Les  Européens  dans  la  Régence 

Si  la  France  et  l'Angleterre  étaient  seules  à  jouer  un  rôle  politique  en  Tunisie,  tous 
les  consulats  européens  étaient,  à  des  degrés  divers,  chargés  de  défendre  les  intérêts 


dans  les  cabinets  Lanza  et  Minghetti;  fait  marquis  par  le  roi  Victor-Emmanuel  en  1876,  il  devint  sénateur  en 
1886  et  redevint  ministre  des  Affaires  étrangères  à  deux  reprises,  de  juillet  1896  à  novembre  1897  dans  le 
cabinet  Di  Rudini  et,  de  mai  1899  à  février  1901,  dans  les  cabinets  Pelloux  et  Saracco.  Il  représenta  l'Italie  à 
la  conférence  d'Algeciras  en  1906  (Fichier  Rome). 

67  Arch.  Rome.  Visconti-Venosta  :  instructions  au  consul  Gambarotta.  20  juillet  1863. 

68  Roches  s'était  plaint  de  lui  à  plusieurs  reprises. 

69  FASCIOTTI  (Eugenio),  né  à  Turin  en  1815,  licencié  en  droit.  Il  fut  successivement  commis  consulaire  à  Tunis  en 
1845,  consul  de  Sardaigne  à  Naples  ;  agent  et  consul  général  d'Italie  à  Tunis  du  30  août  1861  à  octobre  1862, 
puis  à  Lisbonne.  En  1863,  il  abandonna  la  carrière  consulaire  pour  devenir  préfet  de  Bari.  Préfet  du  Frioul  à 
Udine  en  1869,  il  fut  ensuite  préfet  de  Cagliari,  puis  de  Padoue,  fut  nommé  sénateur  par  décret  royal  du  13 
décembre  1877,  et  préfet  de  Naples.  Il  avait  épousé  à  Tunis,  le  15  avril  1845,  Carlotta  Gnecco  fille  du  plus  riche 
négociant  génois  de  Tunis  (T.  Sarti  II  Parlamento  subalpino  e  nazionale,  1890,  p.  447.  Reg.  Ste-Croix). 

70  II  avait  été  rappelé  lui  aussi  à  la  suite  d'une  pression  officieuse  de  la  France  (F.  0.  102/65.  Wood  à  Russell. 
Tunis,  11  novembre  1862  ;  La  Costituzione,  de  Turin,  mardi  23  septembre  1862  :  Tunisie). 

71  BENSA  (Enrico,  chevalier)  n'appartenait  pas  à  la  carrière  consulaire.  Il  était  secrétaire  particulier  du  roi 
d'Italie  qui  l'avait  fait  nommer  sur  sa  demande.  Après  une  gestion  désastreuse  qui  fut  absorbée  par  un 
violent  conflit  avec  la  colonie  génoise,  il  fut  révoqué  par  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  Visconti-Venosta 
qui  donna  à  choisir  au  roi  entre  sa  démission  et  le  maintien  à  Tunis  de  son  protégé.  La  «démission»  de  Bensa 
était  acceptée  à  Tunis  le  3  mai  1863. 

72  GAMBAROTTA  (Carlo-Francesco),  licencié  en  droit,  août  1842  ;  volontaire  auprès  du  consulat  de  Marseille, 
24  février  1844  ;  nommé  commis  consulaire  de  3®»"®  classe  à  Alger,  10  juin  1848  ;  gère  ce  consulat  du  10  mars 
au  26  novembre  1850;  appelé  pour  travaux  administratifs  au  ministère  de  l'Agriculture  et  du  Commerce, 
4  mars  1851  ;  commis  consulaire  de  2^»"^  classe,  23  avril  1851  ;  destiné  à  Tripoli  de  Barbarie  où  il  gère 
quelques  mois  le  consulat,  8  mai  1851  ;  transféré  à  Tunis,  19  mars  1852  ;  appelé  temporairement  au 
ministère  des  Affaires  étrangères,  31  juillet  1853  ;  commis  consulaire  de  1^»^®  classe,  11  novembre  1853  ; 
envoyé  gérer  le  consulat  de  Tunis,  29  juillet  1854  ;  transféré  à  Paris,  28  décembre  1854  :  vice-consul  de  3^"i« 
classe,  14  avril  1856;  chevalier  des  SS.  Maurice  et  Lazare,  14  juin  1856  ;  vice-consul  de  1^*^®  classe,  20  mars 
1859  ;  nommé  consul  de  2^»"®  classe,  27  novembre  1859  ;  appelé  à  nouveau  à  travailler  auprès  du  ministère, 
20  août  1860  ;  consul  de  1^*^®  classe,  21  juillet  1861  ;  destiné  à  Tunis  avec  patente  d'agent  et  consul  général, 
24  mai  1863  ;  officier  des  SS.  Maurice  et  Lazare,  12  juillet  1863  ;  transféré  à  Lyon,  26  février  1865  ;  nommé 
consul  général  de  2^'"®  classe,  6  avril  1865  ;  décoré  du  Nichan  de  l^*^®  classe,  avril  1865. 


33 


économiques  de  leur  pays,  de  protéger  les  colonies  étrangères  qui  s'étaient  fixées  dans 
la  Régence. 

a)  Les  colonies  étrangères 

Les  colonies  européennes  de  Tunisie  étaient  en  voie  d'accroissement  rapide 
depuis  le  début  du  XIX™®  siècle.  Les  familles  les  plus  anciennement  fixées  descendaient 
d'anciens  esclaves  libérés,  d'aventuriers  venus  tenter  fortune  à  la  cour  tunisienne,  et 
surtout  de  marchands  marseillais  et  génois  installés  dans  la  Régence  sous  le  régime  des 
Capitulations.  Le  bey  leur  avait  accordé,  à  Tunis  et  dans  les  principaux  ports,  quelques 
maisons,  des  magasins  pour  abriter  leurs  marchandises. 

Depuis  le  XVI™®  siècle,  des  consuls  étaient  chargés  de  les  administrer  et  de  les 
représenter  auprès  du  gouvernement  local.  Ce  noyau  primitif  avait  été  considérablement 
accru,  dans  la  première  moitié  du  XIX™®  siècle,  par  l'immigration  spontanée  de  Maltais  et 
de  Siciliens  chassés  de  leurs  îles  surpeuplées  par  la  misère  et  le  manque  de  travaiF^  p)ès 
1834,  les  Européens  étaient  huit  mille  dans  la  Régence  ;  en  1856,  la  mission  catholique 
de  Tunisie  en  recensait  12.000,15.000  seulement  en  1870  -  après  des  années  de  troubles 
et  d'épidémies  qui  avaient  durement  atteint  la  colonie  et  provoqué  des  retours  au  pays 

d'origine^4 

En  1856,  les  Maltais,  sujets  britanniques,  étaient  les  plus  nombreux,  environ 
7.000  âmes  ;  les  Italiens  n'étaient  vraisemblablement  pas  plus  de  4.000  ;  les  Grecs  250 
environ  ;  les  Français  50  à  60  familles.  L'immigration  sicilienne  s'accrut  après  1860. 
Tunis  devint  le  refuge  de  jeunes  gens  qui  fuyaient  la  conscription,  de  bandits  en  difficulté 
avec  la  police  italienne^^.  Mais  on  voyait  surtout  s'établir  un  courant  d'immigration 
continu  à  partir  d'un  petit  nombre  de  villes  et  d'îlots  de  la  pointe  occidentale  de  la 
Sicile,  Trapani,  Favignana,  Marsala,  Pantelleria  qui,  avec  les  Sardes  de  Carloforte^C 
fournissaient  l'essentiel  des  nouveaux  venus.  En  1870,  les  Italiens  catholiques  devaient 
être  presque  aussi  nombreux  que  les  Maltais,  soit  près  de  7.000.  Mais  il  fallait  compter 
également  les  Juifs  d'origine  livournaise,  immigrés  récents  ou  familles  ayant  recouvré 
la  nationalité  italienne,  1.100  personnes  en  1871.  La  colonie  italienne  était  dès  lors  la 
plus  nombreuse,  l'élément  sicilien  devant  en  représenter  déjà  près  des  trois  quarts, 
Livournais,  Génois  et  Sardes  faisant  le  reste.  Les  Grecs  n'étaient  guère  plus  de  trois 
cents  à  la  même  époque  ;  en  1872,  le  consulat  de  France  ne  recensait  que  819  Français 
pour  toute  la  Tunisie^^. 

Cette  population  européenne  comportait  un  assez  grand  nombre  d'éléments 
flottants,  arrivant  ou  repartant  sur  des  barques  de  pêcheurs  siciliens  et  maltais.  Les 
immigrants  arrivaient  sans  passeport  ;  ils  ne  manifestaient  aucun  empressement  à  se 


73  Les  trois  quarts  des  étrangers  de  la  Régence  étaient  originaires  de  quelques  îlots  méditerranéens,  Malte, 
Pantelleria,  Favignana,  voisin  de  la  Sicile,  Carloforte  voisin  de  la  Sardaigne,  Procida. 

74  Registres  paroissiaux  de  Sainte-Croix  ;  chiffres  repris  en  partie  par  H.  Dunant  Notice  sur  la  Régence  de  Tunis. 
Genève,  1858,  pp.  254-256. 

75  Arch.  Rome.  Correspondance  consulaire  1861-1863,  passim.  En  juillet  1862,  dix-sept  forçats  qui  avaient 
réussi  à  se  rendre  maîtres  du  navire  qui  les  transportait  débarquaient  près  de  Bizerte;  il  fallait  le  concours 
de  forces  imposantes  pour  les  réduire.  (Arch.  Rome.  Dép.  de  Fasciotti.  Tunis,  30  juillet  1862). 

Les  amoureux  en  difficulté  avec  leurs  familles  étaient  nombreux  également.  Chaque  année,  le  consul  devait 
faire  rapatrier  plus  d'un  couple  réduit  au  dénuement  après  son  équipée.  {Ibid.  Dép.  de  Conti  Cestari,  gérant 
du  consulat.  Tunis,  2  octobre  1861). 

76  Les  actes  de  Pétat-civil  italien  portent  toujours  l'indication  de  la  commune  italienne  d'origine. 

77  Arch.  Rés.  Commerce.  Dép.  de  Botmiliau.  Tunis,  9  novembre  1872. 


34 


faire  enregistrer  auprès  de  leur  consulat^®  ;  aussi  les  consuls  d'Italie  et  d'Angleterre  ne 
connaissaient-  ils  que  très  imparfaitement  le  nombre  de  leurs  ressortissants^^. 

La  plupart  des  Chrétiens  vivaient  à  Tunis  où  la  mission  catholique  recensait  9.150 
catholiques  sur  12.064  en  1856,11.000  sur  14.585  en  1870®°.  Les  autres  se  dispersaient 
dans  les  villes  de  la  côte,  Sfax,  les  ports  du  Sahel  où  dominait  l'élément  maltais,  La 
Goulette  qui  prenait  les  allures  d'un  village  sicilien.  A  l'origine,  les  négociants  européens 
qui  n'avaient  ni  le  droit  de  construire,  ni  celui  de  posséder  des  immeubles  dans  le  pays, 
avaient  été  installés  par  le  bey  dans  des  fondouks  ou  caravansérails  où  ils  pouvaient 
abriter  leurs  personnes  et  leurs  marchandises.  Ces  fondouks  étaient  devenus  ainsi  le 
noyau  des  quartiers  francs.  Les  négociants  les  avaient  abandonnés,  pour  la  plupart,  pour 
se  loger  au  voisinage  dans  des  maisons  indigènes.  Mais  d'autres  Européens  les  y  avaient 
remplacés,  des  immigrants  siciliens  et  maltais  qui  s'y  entassaient  par  vingt  ou  trente 
familles  à  la  fois. 

A  Tunis  comme  à  Sousse  et  à  Sfax,  le  quartier  franc  s'étendait  dans  le  bas  de  la  ville 
indigène.  Des  égouts  à  ciel  ouvert  qui  collectaient  les  eaux  pluviales  et  les  déjections 
de  la  ville  haute  répandaient  une  boue  noirâtre  et  odorante  qui  transformait  toutes  les 
ruelles  en  bourbiers.  Les  ordures  ménagères  s'étalaient  librement  ;  à  Tunis,  des  porcs 
par  centaines  vagabondaient  en  liberté,  fouillant  égouts  et  tas  d'ordures®^. 

Dans  cette  population  européenne  assez  mêlée,  les  négociants  marseillais  et  génois 
formaient  la  classe  dirigeante.  Depuis  le  XVP™  siècle,  les  négociants  français  élisaient 
chaque  année  deux  députés  de  la  nation  française,  chargés  de  défendre  leurs  intérêts 
commerciaux  et  d'assister  le  consul  dans  la  direction  de  la  colonie®^.  En  1863,  les  Génois 
constituaient  une  «Associazione  commerciale  italiana»  qui  entendait  jouer  le  même 
rôle  dans  la  colonie  italienne.  Génois  et  Marseillais  disposaient  du  grand  commerce 
d'exportation  et  d'importation  de  la  Régence.  Les  plus  riches  traitaient  par  centaines 
de  milliers  de  piastres  et  se  faisaient  au  besoin  les  banquiers  du  gouvernement.  Les 
principales  familles  marseillaises  et  génoises  étaient  installées  depuis  longtemps 
dans  le  pays  ;  elles  s'alliaient  volontiers  entre  elles  ou  mariaient  leurs  filles  aux  agents 
consulaires®®.  Chez  les  Français,  c'étaient  les  Monge,  les  Mercier,  Emilien  Rousseau, 


78  G.  Loth  :  Le  peuplement  italien  en  Tunisie  et  en  Algérie.  Paris,  1905  pp.  72-75. 

Tous  les  consuls,  même  ceux  de  France,  s'en  plaignaient  périodiquement. 

79  Cette  population  européenne  était  jeune,  mais  l’absence  de  tout  dénombrement  régulier  ne  nous  permet 
pas  d’en  juger  avec  précision.  Une  proportion  inusitée  de  célibataires  parmi  les  décès  masculins  de  plus  de 
quarante  ans  traduit  un  excédent  sensible  du  nombre  des  hommes  sur  celui  des  femmes,  excédent  naturel 
dans  une  colonie  d'immigrants. 

Les  hommes  se  mariaient  relativement  tard  (28  ans  en  moyenne,  lors  de  la  première  union),  les  femmes 
beaucoup  plus  tôt  (20  ans  au  premier  mariage)  ;  Maltais  et  Maltaises  se  mariaient  généralement  plus  jeunes 
que  les  Italiens. 

La  natalité  était  forte  mais  la  mortalité  était  également  élevée  :  on  comptait  en  moyenne  sept  naissances  par 
famille  ;  près  du  quart  des  enfants  mouraient  avant  un  an.  La  pointe  de  mortalité  se  situait  dans  les  mois  les 
plus  chauds  de  l'année,  juillet  et  août,  pour  les  adultes  comme  pour  les  enfants,  les  épidémies  de  choléra  et 
de  typhus  se  développant  généralement  pendant  l’été  (moyennes  établies  sur  la  période  1850-1864.  Reg. 
Par.  Ste-Croix  et  Goulette). 

80  Les  rares  protestants  de  Tunisie,  presque  tous  les  Grecs  orthodoxes  habitaient  également  Tunis  ou  La 
Goulette. 

81  F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  3  septembre  1858. 

82  Le  mandat  de  député  de  la  nation  française  durait  deux  ans,  sauf  le  cas  de  vacance.  Les  élus  étaient 
successivement  deuxième,  puis  premier  député. 

83  Emilien  Rousseau  était  le  gendre  de  Paolo-Antonio  Gnecco.  Félix  Monge,  Pietro  Traverso,  Aurelio  Fedriani 
épousaient  successivement  trois  sœurs  Tapia.  Adèle  Monge,  sœur  de  Félix,  épousait  en  1856,  le  commandant 
de  Taverne,  directeur  de  l'école  militaire  du  Bardo  ;  une  sœur  d'Alfred  Chapelié  épousait  en  1857  un 


35 


Léopold  Van  Gaver,  les  Carcassonne,  Marins  Ventre,  Alfred  Chapelié®^  ;  chez  les  Italiens, 
les  Gnecco,  les  Traverse  qui  descendaient  de  familles  génoises  installées  dans  l'île  de 
Tabarka  au  XVllP™  ou  XIX™®  siècle,  Andréa  Peluffo,  Gaetano  Fedriani  venu  à  Tunis 
comme  réfugié  politique  en  1834  avec  GaribaldP^  pes  négociants,  quelques  médecins. 


interprète  au  consulat,  Alphonse  Rousseau.  Gnecco  avait  marié  trois  de  ses  filles  à  des  agents  consulaires 
italiens,  Stefano  Traverso,  son  fils  aîné,  Amedeo,  à  la  fille  du  vice-consul  anglais,  Agnès  Werry.  Dix  ans  plus 
tard,  en  1874,  le  fils  aîné  de  Felice  Raffo,  Giuseppe,  épousait  une  fille  de  Wood,  Ferida.  Presque  tous  les 
négociants  français  avaient  épousé  des  Italiennes.  Les  alliances  des  Costa,  des  Bogo  et  surtout  des  Gandolfo- 
Gandolphe  tissaient  des  liens  de  parenté  entre  toutes  les  familles  européennes  de  notables  de  Tunis. 

84  MONGE  (Félix-Alphonse)  né  à  Marseille  le  10  janvier  1813,  marié  à  Tunis  le  26  octobre  1850  à  Carolina  Tapia 
qui  lui  donna  neuf  enfants,  mort  à  Tunis  le  24  novembre  1871,  député  de  la  nation  française  en  1863  et 
1869-1870,  vice-président  du  conseil  d'administration  des  Revenus  concédés  en  mai  1870,  chevalier  de  la 
Légion  d'honneur.  Son  fils  aîné,  Jean-Félix,  né  à  Tunis  le  17  août  1851,  devait  lui  succéder. 

Les  MERCIER,  frères  et  associés  :  Félix,  qui  fut  député  de  la  Nation  en  1857-1858  et  en  1862-1863  et  Alfred. 
Ils  devaient  quitter  la  Régence  pour  Marseille  dans  le  courant  de  1863. 

ROUSSEAU  (Emilien),  né  à  Paris  en  1808  de  François  et  Antoinette  Coupy,  marié  à  Tunis  le  5  octobre  1838 
à  Maria  Luigia  Gnecco  dont  il  eut  huit  enfants,  mort  à  Tunis  le  10  août  1876,  député  de  la  Nation  en  1855- 
1856,1860-1861  et  1868. 

VAN  GAVER  (Léopold),  né  à  Hyères  le  22  juillet  1837  d'une  famille  fixée  à  Tunis  depuis  la  fin  du  XVIIP'"^  siècle, 
marié  à  Tunis  le  28  janvier  1862  à  sa  cousine  Enrichetta  Gandolfo  dite  Gandolphe,  député  en  1866-1867. 
CARCASSONNE  (Joseph,  aîné),  Israélite  de  France,  né  en  1812,  mort  à  Tunis  le  3  juin  1884,  député  en  1859- 
1860  et  1865-1866,  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

VENTRE  (Mar/us-Augustin)  né  à  Signe  (Var)  en  1806,  fils  d'Antoine,  marié  à  Tunis  le  23  décembre  1840  à 
Maria  Antonietta  Albani  qui  lui  donna  huit  enfants,  mort  à  Tunis  le  6  mai  1879.  Venu  d'Alger  après  1830 
pour  reprendre  le  fonds  de  son  frère  Joseph,  il  fut  député  en  1868-1869,  en  1872  et  en  1876-1877;  il  avait 
associé  assez  tôt  à  ses  affaires  son  fils  aîné  Fortuné,  né  à  Tunis  le  25  novembre  1841. 

CHAPELIÉ  (Louis-Henri-Alfred),  né  à  Tunis  en  1828,  marié  à  Sarah  Houston,  Américaine,  mort  à  Tunis 
en  1908.  Il  descendait  de  la  famille  française  la  plus  anciennement  fixée  dans  la  Régence,  des  protestants 
réfugiés  à  Tunis  en  1685,  après  la  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes  et  qui  s'y  installèrent  définitivement  au 
début  du  XVIIP'"^  siècle.  Alfred  Chapelié  avait  abandonné  le  négoce  des  grains  et  des  huiles  pour  la  banque  et 
le  courtage.  Il  fut  député  de  la  Nation  en  1858-1859  et  1864-1865.  (Reg.  Ste  Croix.  Renseignements  fournis 
en  1955  par  MM.  Jean  Ventre,  Alfred  Chapelié  et  Louis  Hue,  négociants  à  Tunis.  Tunis  journal,  5  juin  1884  : 
article  nécrologique  concernant  Joseph  Carcassonne.  P.  Grandchamp  :  Notables  français  à  Tunis  de  1592  à 
1881,  R.T.  1942,  pp.  201.241). 

Avec  les  Dumergue,  originaires  d'Aix-en-Provence,  les  Stalla  et  les  Gandolphe,  Génois  passés  très  tôt  sous  la 
protection  française,  on  arrivait  à  un  total  de  dix  familles  de  négociants  français  vers  1860. 

La  colonie  française  comptait  encore  une  demi-douzaine  de  courtiers  juifs  indigènes,  agents  des  négociants 
européens,  qui  avaient  réussi  à  se  faire  naturaliser,  on  ne  sait  avec  quels  appuis.  Ainsi  les  Fôa,  David-Vita  Forti, 
né  à  Tunis  en  1806,  époux  en  seconde  noces  de  Rachel  Costa;  Vittorio-Salomone  (ou  Salomon)  Garsin,  né  le 
14  mars  1818  à  Livourne,  protégé  toscan  jusqu'en  1848,  naturalisé  Français  en  1849  (arrêté  du  Président 
du  Conseil  n°  1656.  Bull.  Lois.  Suppl.  1849,  vol.  1,  p.  820).  Mais  les  négociants  français  les  tenaient  à  l'écart, 
et  pendant  longtemps  refusèrent  de  les  élire  députés  de  la  Nation  française  (A.  E.  Tunis,  vol.  15.  Consulats. 
Dépêche  de  Rousseau.  Tunis,  8  janvier  1855).  Garsin  fut  le  premier  à  accéder  à  cette  charge  en  1863,  à  la 
faveur  d'une  élection  partielle  provoquée  par  le  départ  de  Félix  Mercier. 

85  Paolo  Antonio  GNECCO  était  le  plus  riche  négociant  de  Tunis.  Né  à  Gênes  en  1789,  mari  de  Paola  Re,  il 
s'était  fixé  à  Tunis  vers  1815  et  mourut  à  Gênes  le  17  juillet  1866.  Il  avait  marié  sa  fille  aînée  Maria  Luigia 
au  négociant  français  Emilien  Rousseau  et  les  trois  autres  à  des  agents  consulaires  italiens  ;  il  était  ainsi 
le  beau-père  du  consul  Fasciotti.  Ses  fils  Francesco  et  Giuseppe  étaient  associés  aux  affaires.  L'aîné,  né  à 
Tunis,  le  20  décembre  1816,  avait  épousé  à  Tunis  le  5  juillet  1847  une  Française,  Marie-Josèphe  Arnaud, 
qui  lui  donna  cinq  enfants  ;  il  mourut  à  Tunis  le  3  juillet  1876  ;  Giuseppe,  né  à  Tunis  le  9  avril  1826,  épousa 
successivement  à  Tunis,  le  10  février  1858  Ida  Costa  qui  mourut  en  1861  après  lui  avoir  donné  deux  enfants, 
et,  en  mai  1865,  Gerolama  Fava,  dont  il  eut  huit  enfants. 

Stefano  TRAVERSO,  né  à  Loano  (Ligurie)  en  1807,  marié  à  Tunis  le  17  juillet  1834  à  Maddalena  Pignatari 
dont  il  avait  eu  huit  enfants,  mourait  à  Tunis  le  24  octobre  1861.  Ses  fils  aînés  Pietro  et  Amedeo,  nés  à  Tunis 
en  1837  et  1840,  reprirent  sa  succession  en  s'associant  ;  sa  fille  aînée,  Luigia,  née  à  Tunis  en  1835,  avait 
épousé  en  1852  un  interprète  du  bey  d'origine  égyptienne  et  syrienne  mais  catholique,  Elias  Mussalli,  qui 
devint,  en  1860,  sous-directeur  des  Affaires  étrangères. 

Andréa  PELUFFO  était,  après  les  Gnecco,  le  plus  gros  négociant  italien  de  Tunis.  Né  à  Pietra  Ligure,  le 
6  février  1801,  mari  d'Angela  Castellani,  il  mourut  à  Tunis  le  17  novembre  1881. 


36 


des  avocats,  le  personnel  des  consulats  formaient  une  minorité  d'une  trentaine  de 
familles  au  plus  vivant  dans  la  richesse  ou  dans  l'aisance. 

Au  dessous  d'eux,  la  masse  de  la  population  italienne  ou  maltaise  formait  un 
prolétariat  misérable  dont  les  conditions  d'existence  étaient  des  plus  précaires. 
La  plupart  des  immigrants  étaient  de  pauvres  gens  arrivés  sans  argent  ni  bagage, 
qui  devaient  vivre  au  jour  le  jour  de  métiers  de  fortune  ou  d'industries  boiteuses.  A 
Tunis,  les  Maltais  étaient  cochers  et  voituriers  ;  sur  la  côte,  à  Sfax  notamment,  ils  se 
livraient  principalement  à  la  contrebande  ;  ils  embarquaient  de  nuit  les  huiles  du  Sahel, 
introduisaient  en  fraude  les  cotonnades  ou  les  armes  d'origine  anglaise  qu'ils  destinaient 
aux  tribus  de  l'intérieur  ou  de  l'Algérie.  Comme  les  Grecs,  les  Italiens  étaient  pêcheurs. 
A  Tunis,  ils  exerçaient  surtout  des  métiers  manuels  ;  ils  étaient  maçons,  menuisiers, 
cordonniers,  fabricants  de  pâtes,  horlogers,  manœuvres*^.  Leurs  femmes  se  plaçaient 
comme  domestiques  ou  comme  nourrices  chez  les  négociants  de  la  ville;  leurs  enfants, 
pieds  nus,  en  haillons,  étaient  dans  la  rue  cireurs,  porteurs  d'eau,  portefaix.  La  nuit,  les 
familles  s'entassaient  sur  la  paille  et  la  vermine  à  huit  ou  dix  par  pièce  dans  les  taudis 
des  quartiers  francs,  cabanes  édifiées  avec  des  moyens  de  fortune,  fondouks  délabrés 
qu'avaient  abandonnés  les  négociants  européens.  Les  maladies,  les  épidémies®^  faisaient 
périodiquement  leurs  ravages.  Quelques  sœurs  de  charité  qui  dispensaient  leurs  soins 
à  domicile  et  entretenaient  à  Tunis  un  hôpital  de  quelques  lits,  ne  pouvaient  soulager 
toutes  les  misères.  Chaque  année  le  consul  d'Angleterre,  celui  de  Naples  puis  d'Italie 
devaient  rapatrier  plusieurs  familles  tombées  dans  le  plus  complet  dénuement,  enlever 
quelques  fillettes  à  la  prostitution. 

Les  consuls  européens  n'étaient  pas  seulement  chargés  de  la  défense  de  leurs 
nationaux  ;  leur  pavillon  couvrait  encore  un  certain  nombre  de  familles  d'étrangers 
ou  de  Tunisiens,  qui,  pour  des  raisons  diverses  s'étaient  placées  sous  leur  juridiction  ; 
c'étaient  les  protégés.  Ainsi,  la  Grèce  n'entretenant  pas  de  consulat  dans  la  Régence, 
les  Grecs  se  répartissaient  à  leur  gré  entre  les  consulats  de  France  et  d'Angleterre. 
Les  Romains  étaient  protégés  français,  comme  les  moines  de  la  mission  catholique. 
Italiens  en  grande  majorité  que  soutenait  de  Lyon  la  société  de  la  Propagation  de  la  Foi. 
Le  consulat  de  France  était  également  chargé  de  la  protection  des  Algériens.  Mais  les 
protégés  étaient  surtout  des  Juifs  qui  cherchaient  à  échapper  à  la  juridiction  du  bey  en 
excipant  d'une  prétendue  origine  algérienne  ou  italienne.  La  question  des  protections 
engendrait  d'innombrables  abus  ;  elle  entretenait  d'incessantes  contestations  avec  le 
gouvernement  tunisien  qui  n'admettait  pas  de  voir  certains  de  ses  sujets  échapper  à 
son  autorité  et  à  sa  fiscalité. 


Gaetano  FEDRIANI  était  le  correspondant  de  la  compagnie  de  navigation  Rubattino.  Né  à  Gênes  en  1811,  il 
avait  épousé  en  1841  une  Génoise  de  Tunis,  Emilia  Gandolfo;  il  mourut  à  Tunis  le  11  mai  1881. 

Les  négociants  génois  n'étaient  pas  plus  nombreux  que  les  Marseillais.  On  pourrait  citer  encore  Giovanni 
Vignale,  Paolo  Cassanello,  Gian-Batista  Escano,  les  Costa,  Comme  les  Bogo,  des  Italiens  protégés  autrichiens, 
les  Raffo  étaient  au  service  du  bey  mais  ils  s'occupaient  également  ;  de  négoce. 

86  Dans  les  registres  paroissiaux  de  l'Eglise  Ste  Croix  de  Tunis,  nous  avons  recensé  290  professions  exercées  par 
des  Italiens  entre  1845  et  1864.  Les  maçons  représentaient  27%  de  cette  population  active  ;  avec  les  menuisiers, 
les  ébénistes  (13%),  les  peintres,  42%  des  Italiens  de  Tunis  travaillaient  dans  le  bâtiment.  Venaient  ensuite 
les  marins  et  pêcheurs  (9%),  les  négociants,  commerçants  et  leurs  employés  (8%),  les  meuniers,  boulangers 
et  fabricants  de  pâtes  (5%).  Au  total  88%  des  Italiens  exerçaient  des  métiers  manuels.  A  La  Goulette,  60% 
des  Italiens  étaient  marins  ou  pêcheurs.  Nous  n'avons  pu  procéder  à  la  même  enquête  au  sujet  des  Maltais, 
l'indication  de  leur  profession  ne  figurant  qu'exceptionnellement  sur  les  mêmes  registres  paroissiaux. 

87  En  juin-juillet  1850,  en  sept  semaines,  le  choléra  enlevait  113  personnes  dans  la  colonie  catholique  de  Tunis, 
46  à  nouveau  en  août-septembre  1856,114  de  juin  à  août  1867. 


37 


Les  colonies  européennes  étaient  difficiles  à  administrer.  Les  consuls  disposaient 
cependant  sur  leurs  nationaux  et  leurs  protégés  de  pouvoirs  très  étendus,  ils  pouvaient 
juger,  expulser  à  leur  gré  les  sujets  indésirables.  Les  Capitulations  leur  réservaient  en  effet 
le  droit  déjuger  au  criminel  dans  toutes  les  affaires  où  leurs  nationaux  étaient  impliqués; 
ils  connaissaient  également  de  toutes  les  contestations  civiles  entre  Européens  et,  bien 
que  le  bey  n'eût  pas  formellement  renoncé  à  ses  droits,  l'usage  s'était  établi  que  toutes 
les  affaires  où  les  Européens  plaidaient  défendeur  fussent  évoquées  devant  un  tribunal 
consulaire.  Appel  pouvait  être  porté  devant  les  tribunaux  d'Aix-en-Provence,  de  Malte 
ou  de  Livourne  ;  les  affaires  criminelles  les  plus  graves  étaient  directement  déférées 
devant  les  cours  françaises,  anglaises  ou  italiennes®®. 

Mais  les  consuls  n'étaient  pas  toujours  obéis  :  les  janissaires  des  consulats 
manquaient  d'autorité;  Maltais  et  Siciliens  étaient  trop  nombreux  pour  être  efficacement 
surveillés.  Nombreux  étaient  les  mauvais  sujets  dans  la  colonie  anglo-italienne,  repris 
de  justice,  se  dissimulant  à  Tunis  sous  un  nom  d'emprunt,  immigrants  sans  moyens 
d'existence  avouables.  Les  plus  dangereux  étaient  généralement  assez  vite  repris,  mais  il 
restait  quantité  de  jeunes  hommes  sans  ressources,  violents  de  caractère,  que  pouvaient 
tenter  l'obscurité  des  ruelles  et  la  fragilité  des  murs  des  magasins.  Les  rixes  après  boire, 
les  agressions  nocturnes,  le  pillage  des  entrepôts  alimentaient  la  chronique  locale  et 
faisaient  du  quartier  franc  de  Tunis  un  des  moins  sûrs  de  la  ville®^. 

Les  conflits  d'intérêts  des  négociants  européens  entretenaient  d'autres  difficultés 
avec  le  gouvernement  du  bey.  Tantôt  c'étaient  des  créances  ou  des  fournitures  impayées 
par  le  bey  dont  le  consul  devait  poursuivre  le  recouvrement,  tantôt  des  conflits  au 
sujet  de  protections  que  le  bey  refusait  de  reconnaître,  les  affaires  embrouillées  de 
quelque  Juif  dont  un  négociant  européen  acceptait  de  se  charger  moyennant  finances. 
Le  consul  d'Angleterre  devait  s'occuper  surtout  des  menus  délits  d'une  colonie  maltaise 
nombreuse  et  misérable  qu'il  traitait  avec  hauteur.  Son  collègue  de  France  traitait 
principalement  d'affaires  commerciales  ;  la  colonie  française  se  réduisait  à  quelques 
familles  de  négociants  doublées  d'employés  et  d'ouvriers  au  service  du  bey.  De  tous,  le 
consul  d'Italie  était  le  plus  mal  partagé  :  il  devait  à  la  fois  surveiller  une  colonie  sicilienne 
remuante,  défendre  les  intérêts  des  courtiers  livournais  et  des  négociants  génois.  L'esprit 
d'intrigue  des  notables  génois  qui  formaient  coterie  et  comme  les  Gnecco,  cherchaient 
à  diriger  le  consulat  étaient  plus  redoutable  encore.  Les  Génois  étaient  prompts  à  se 
plaindre  à  Turin,  à  susciter  des  cabales,  des  campagnes  de  presse  dans  les  journaux  de 
la  péninsule  ;  ils  menaient  la  vie  difficile  aux  consuls  trop  indépendants  qui  voulaient 
leur  résister^®. 

En  fait,  le  statut  juridique  des  Européens  qui,  du  XVI™®  au  XVlll™®  siècle,  avait 
été  adapté  aux  besoins  d'une  poignée  de  commerçants  campés  dans  le  pays  pour  des 
séjours  de  quelques  années,  ne  correspondait  plus  à  la  situation  nouvelle  qu'avait  créée 


88  F.  0.  102/94.  Mémorandum  sur  la  justice  consulaire  à  Tunis.  F.  0.  24  octobre  1872.  -  Arch.  Rome.  Pinna  à 
Visconti-Venosta.  Tunis  14  juin  1870. 

89  Reg.  Ste  Croix  ;  décès  à  la  suite  de  rixes,  d'assassinats.  F.  0.  10  2/51  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  25  novembre 
1856  et,  passim,  dans  Corresp.  consulaire  anglaise. 

Arch.  Rome  dépêches  de  Conti  Cestari,  vice-consul  gérant  le  consulat  à  Tunis,  1^*^  septembre,  17  septembre,  2 
octobre  1861  etpassim.  Corresp.  De  Fasciotti,  Bensa,  Gambarotta.  En  juin  1854,  un  officier  italien  dépéché  en 
mission  à  Tunis,  le  commandant  Ricci,  écrivait  :  «Parmi  les  Européens  domine  l'élément  sicilien  ou  maltais, 
canaille  en  grande  partie,  spécialement  ces  dernièrs».  (Relazione  e  rapporta  sulla  Tunisia  del  maggiore 
Agostino  Ricci.  Arch.  Ministero  délia  Difesa,  carton  8.  Africa). 

90  Démêlés  de  Bensa  avec  la  coterie  Gnecco-Fedriani,  difficultés  de  Gambarotta. 


38 


l'implantation  de  colonies  nombreuses  en  perpétuel  accroissement.  Le  gouvernement 
du  bey  souhaitait  recouvrer  l'exercice  d'une  juridiction  à  laquelle  il  n'avait  jamais 
formellement  renoncé.  Les  interdictions  légales  qui  frappaient  les  Européens, 
l'interdiction  de  posséder  des  biens  immeubles  dans  la  Régence,  étaient  tournées;  les 
négociants  étrangers  achetaient  des  maisons  sous  le  couvert  d'hypothèques  fictives, 
quelques-uns  possédaient  même  des  olivettes  dont  ils  percevaient  le  revenu  sous  forme 
de  rentes  annuelles.  Ce  régime  de  prête-nom,  les  rivalités  entre  consulats  entretenaient 
dans  les  quartiers  francs  une  réelle  anarchie  qu'aggravaient  encore  l'indiscipline  des 
Européens  et  l'absence  d'une  véritable  police. 

La  question  d'une  réforme  judiciaire  était  soulevée  par  le  bey  à  l'occasion  des 
réformes  constitutionnelles  qui  étaient  alors  en  chantier  depuis  1857.  Le  gouvernement 
avait  émis  la  prétention  de  soumettre  à  sa  juridiction  indistinctement  Tunisiens  et 
étrangers,  en  échange  du  droit  de  propriété  qu'il  consentait  à  leur  accorder.  Mais  les 
consulats  européens  qui  se  défiaient  à  juste  titre  de  la  justice  tunisienne  avaient  refusé 
tout  net,  avec  l'appui  de  leurs  gouvernements.  La  mesure  avait  été  rapportée  :  une 
commission  tunisienne  avait  été  désignée  pour  trancher  les  conflits  en  suspens  entre  les 
étrangers  et  le  gouvernement.  Mais  cette  commission  ne  devait  satisfaire  personne.  Les 
négociants  européens  protestaient  hautement  contre  des  innovations  qu'ils  jugeaient 
préjudiciables  à  leurs  intérêts.  Néanmoins,  les  consuls  reconnaissaient  la  nécessité 
d'installer  un  système  de  tribunaux  mixtes  composés  de  Tunisiens  et  d'étrangers  qui 
offriraient  des  garanties  suffisantes  d'impartialité.  Cette  question  était  à  l'étude  dans 
tous  les  consulats.  Elle  n'était  pas  résolue  en  1873,  après  quinze  ans  de  négociations 
et  de  vaines  discussions.  En  même  temps,  avec  l'agrément  des  principaux  consulats, 
le  gouvernement  tunisien  esquissait  un  règlement  municipal  qui  devait  résoudre 
les  problèmes  de  police,  de  voirie  et  de  circulation  de  la  capitale,  aussi  bien  dans  le 
quartier  européen  que  dans  la  ville  indigène.  La  question  ne  devait  pas  aboutir  plus  tôt, 
malgré  les  efforts  des  consuls,  en  raison  de  l'indifférence  du  gouvernement  tunisien  et 
de  la  mauvaise  volonté  des  ressortissants  européens  qui  se  refusaient  par  principe  au 
paiement  de  la  moindre  taxe  municipale. 

En  revanche,  dès  octobre  1863,  le  consul  Wood  passait  avec  le  gouvernement 
tunisien  un  traité  qui  reconnaissait  aux  Anglo-Maltais  installés  dans  la  Régence  le  droit 
d'acquérir  et  de  posséder  des  biens  immeubles,  mais  à  la  condition  expresse  que  toutes 
les  contestations  qui  pourraient  en  résulter  seraient  soumises  à  la  loi  locale  et  jugées  en 
conséquence  par  les  tribunaux  tunisiens.  Wood  avait  mené  la  négociation  à  l'insu  de  ses 
collègues.  Aussi  cette  mesure  fut-elle  particulièrement  mal  accueillie  aux  consulats  de 
France  et  d'Italie.  Le  gérant  du  consulat  de  France,  l'élève-consul  Moulin  déclarait  que 
le  consul  anglais  abandonnait  ses  ressortissants  à  la  justice  du  bey;  il  expliquait  cette 
décision  par  le  peu  d'intérêt  que  Wood  accordait  à  la  colonie  maltaise,  et  son  désir  de  se 
concilier  le  gouvernement  tunisien®^. 

En  réalité,  le  consul  d'Angleterre  visait  plus  loin.  Dans  cette  Régence  où  l'Angleterre 
n'avait  guère  d'autres  intérêts  que  la  protection  d'un  prolétariat  maltais  misérable,  il 
souhaitait  attirer  des  capitalistes  anglais  qui  pourraient  créer  des  entreprises  agricoles, 
des  installations  industrielles,  et  développeraient  dans  tous  les  domaines  l'influence  de 
leur  pays.  Mais  les  Maltais  n'étaient  pas  sacrifiés  pour  autant,  ils  allaient  trouver  dans 
l'agriculture  une  activité  qui  leur  était  refusée  jusqu'alors.  Lorsqu'il  quittait  la  Régence, 


91  Arch.  Rés.  Moulin  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  22  octobre  et  7  novembre  1863. 


39 


quinze  ans  plus  tard,  Wood  pouvait  se  féliciter  des  heureuses  conséquences  du  traité  de 
1863.  Cinq  cents  familles  maltaises  avaient  quitté  les  taudis  surpeuplés  des  grandes  villes 
pour  s'installer  sur  leurs  terres  au  milieu  des  jardins  qu'elles  cultivaient,  dans  la  banlieue 
de  Sfax,  de  Tunis  et  de  Sousse^^ 

L'événement  avait  donné  raison  au  consul  d'Angleterre.  Ses  collègues,  d'ailleurs, 
n'avaient  pas  tardé  à  Limiter  en  faisant  adhérer  leurs  gouvernements  à  la  convention  de 
1863,  l'Autriche  la  première,  dès  janvier  1866,  l'Italie  seulement  en  septembre  1868,  la 
France  en  dernier,  en  juin  1871. 

b)  Commerce  et  contrebande 

La  protection  de  colonies  européennes  déjà  nombreuses  était  sans  doute  l'un  des 
premiers  soins  des  grandes  puissances,  dans  leur  politique  tunisienne.  Mais  pour  la 
France,  et  même  pour  l'Angleterre  et  l'Italie,  les  intérêts  de  leur  commerce,  les  entreprises 
européennes  dans  la  Régence,  avaient  à  leurs  yeux  autant,  sinon  plus  d'importance.  Pour 
la  France,  il  s'agissait  d'une  tradition  fort  ancienne  puisque,  dès  1577,  Henri  111  avait 
créé  un  consulat  à  Tunis  pour  protéger  les  commerçants  marseillais  qui  s'y  installaient. 
La  France  avait  toujours  défendu  avec  vigueur  le  régime  des  Capitulations  qu'elle  avait 
fait  appliquer  à  Tunis,  comme  dans  le  reste  de  l'Empire  ottoman. 

Pendant  longtemps  les  négociants  marseillais  et  génois  de  Tunis  n'avaient  exercé 
dans  leurs  comptoirs  qu'un  commerce  de  type  colonial  assez  limité.  Les  Régences 
barbaresques  vendaient  un  peu  de  laine,  de  grain  et  d'huile.  Mais  l'insécurité  étant  de 
règle  en  Méditerranée,  ces  échanges  avaient  peu  d'ampleur  ;  la  guerre  de  course,  la 
liquidation  des  prises  prenaient  autant  d'importance  que  le  commerce  régulier. 

Au  cours  du  XIX™®  siècle,  à  la  faveur  du  rétablissement  de  la  paix  en  Europe,  de  la  fin 
de  la  course  en  Méditerranée,  et  surtout  du  rapide  développement  industriel  de  l'Europe 
occidentale,  les  négociants  s'étaient  faits  les  agents  d'une  pénétration  commerciale  en 
profondeur  qui  avait  complètement  transformé  les  courants  d'échange  traditionnels. 
Les  navires  étrangers  venaient  chercher  dans  la  Régence  des  matières  premières  et 
des  denrées  alimentaires;  ils  apportaient  en  revanche  des  produits  manufacturés  qui, 
par  leur  nouveauté,  leur  bas  prix,  séduisaient  bien  vite  les  indigènes.  Chaque  année  les 
importations  prenaient  plus  d'ampleur  :  à  La  Goulette,  le  premier  port  tunisien,  elles 
atteignaient  en  valeur  le  double  des  exportations.  Les  échanges  du  port  doublaient  en 
moins  de  quinze  ans,  passant  de  12  millions  de  francs  en  moyenne  dans  les  trois  années 
1846-1848  à  24  millions  en  1860-1862.  Cette  tendance  précipitait  le  déclin  des  industries 
artisanales  endormies  dans  une  routine  séculaire.  Les  corporations  industrielles  étaient 
atteintes  les  unes  après  les  autres.  Les  cotonnades  anglaises,  les  lainages  et  les  soieries 
de  France  prenaient  la  place  des  tissus  indigènes  aussi  bien  dans  l'intérieur  que  dans  les 
villes.  L'importation  de  quincaillerie,  d'armes,  de  bijoux  européens  ruinait  pareillement 
les  artisans  tunisiens  des  métaux.  La  Régence  était  un  marché  facile  pour  les  produits 
européens.  Le  régime  des  Capitulations,  confirmé  par  divers  traités  conclus  au  XIX™® 
siècle,  imposait  au  bey  de  maintenir  un  droit  maximum  de  3%  ad  valorem  sur  tous  les 
produits  importés.  Pour  trouver  des  ressources  nouvelles,  le  gouvernement  tunisien 
en  avait  été  réduit  à  taxer  les  exportations  du  pays.  11  s'était  établi  ainsi  un  système 
douanier  absurde  qui  grevait  les  produits  tunisiens  de  charges  variant  entre  8  et  25% 
mais  qui  laissait  sans  protection  le  marché  national. 


92  F.  0.102-125.  Wood  à  Salisbury,  mémorandum.  Tunis,  11  mars  1879. 


40 


En  1860,  trois  pays,  la  France,  l'Italie  et  l'Angleterre  assuraient  92%  des  échanges 
tunisiens.  Leurs  navires  faisaient  presque  tout  le  commerce  extérieur  et  même  la  majeure 
partie  du  cabotage  entre  les  divers  ports  de  la  Régence.  De  loin  en  loin,  apparaissaient  à 
Sousse  ou  à  La  Goulette  quelques  bâtiments  grecs,  Scandinaves,  autrichiens,  ottomans, 
ou  des  navires  battant  pavillon  de  Jérusalem.  Quelques  barques  tunisiennes  se  livraient 
à  un  médiocre  cabotage  entre  Tunis,  La  Goulette  et  les  ports  du  Sahel. 

Les  navires  italiens  étaient  les  plus  nombreux,  mais  la  plupart  d'entre  eux  n'étaient 
que  de  simples  barques,  balancelles  ou  tartanes  montées  par  quelques  hommes,  qui 
naviguaient  à  vue  dans  le  détroit  de  Sicile.  Les  bâtiments  français  et  anglais  étaient  des 
vapeurs  de  moyen  tonnage,  mais  le  pavillon  britannique  était  également  représenté  par 
des  barques  maltaises  qui  pratiquaient  la  contrebande  autant  que  le  commerce  régulier, 
sur  les  côtes  méridionales  de  la  Tunisie.  En  1860,  la  compagnie  Touache  entretenait 
un  service  hebdomadaire  de  vapeurs  entre  Marseille  et  Tunis  par  Stora  et  Bône.  Deux 
compagnies  de  navigation  anglaises  desservaient  plus  ou  moins  régulièrement  l'escale 
de  La  Goulette.  La  compagnie  génoise  Rubattino  avait  établi  une  liaison  bimensuelle 
entre  Gênes,  Cagliari  et  Tunis  ;  une  autre  compagnie  italienne  inaugurait  à  son  tour,  en 
février  1863,  un  service  bimensuel  entre  Palerme  et  Tunis. 

Entre  1861  et  1865,  La  Goulette  était  visitée  en  moyenne  par  plus  de  600  navires 
chaque  année,  jaugeant  au  total  80.000  tonneaux.  Le  pavillon  français  n'était  représenté 
que  par  90  à  95  navires,  mais  il  s'assurait  la  première  place  pour  le  tonnage  (30.000 
tonneaux  en  moyenne]  grâce  aux  voyages  hebdomadaires  des  paquebots  Touache.  Le 
pavillon  italien  venait  au  second  rang  avec  350  entrées  et  27  à  28.000  tonneaux  de 
jauge;  le  pavillon  anglais  suivait  d'assez  loin  avec  une  cinquantaine  de  navires  déplaçant 
environ  12.000  tonneaux®^.  En  revanche,  à  Sfax  et  dans  les  ports  du  Sahel  qui  n'étaient 
visités  par  aucun  service  régulier  de  vapeurs,  les  Italiens  assuraient  à  eux  seuls  près  de  la 
moitié  du  mouvement  des  navires,  105  entrées  sur  213,  6.300  tonneaux  sur  14.600  pour 
le  port  de  Sousse  entre  1860  et  1864.  Dans  le  même  port  les  pavillons  anglais  et  français, 
distancés  d'assez  loin,  arrivaient  à  égalité  avec  2.800  tonneaux  chacun,  représentés  par 
44  navires  anglais  et  27  français®'^. 

Les  ports  tunisiens  n'étaient  que  des  rades  foraines  où  les  gros  bâtiments  devaient 
s'ancrer  à  distance  du  rivage.  Les  opérations  de  chargement  et  de  déchargement 
étaient  longues.  Il  fallait  les  interrompre  parfois  en  cas  de  tempête.  Faute  d'installations 
portuaires  suffisantes,  chaque  année  des  navires  devaient  repartir  sur  lest  ou  renoncer 
à  décharger  leur  cargaison.  La  Goulette  même  n'avait  pas  200  mètres  de  quais  ;  sa  passe 


93  La  navigation  tunisienne  n'était  représentée  que  par  une  soixantaine  de  barques  jaugeant  ensemble  moins 
de  2.000  tonneaux. 

94  Ces  chiffres  ont  été  établis  d'après  les  statistiques  commerciales  fournies  chaque  année  par  le  vice-consul 
de  France  à  La  Goulette,  en  même  temps  consul  de  Belgique.  Ch.  Cubisol.  Tableaux  détaillés  du  trafic  de 
la  Goulette  en  1861,  1862.  1863,  1864  et  1865  trafic  global  de  tous  les  ports  tunisiens  en  1861  et  1862. 
renseignements  épars  (Corresp.  consulaire  française.  Arch.  Rés.  A.  E.  Tunis.  Passim.  1861-1866  Tableaux 
publiés  dans  le  recueil  consulaire  belge  :  1863,  IX,  p.  676  :  1864.  X.  pp.  129430  ;  1866.  XII,  pp.  479-480), 
Nous  avons  utilisé  également  les  renseignements  de  source  anglaise  (Rapports  commerciaux  de  Wood. 
F.  O.  102/64  à  102/75.  Passim)  de  source  italienne  (Arch.  Rome,  années  1861-1866,  passim,  et  rapports 
des  vice-consuls  à  Sousse  et  à  La  Goulette,  de  Govzueta  et  De  Gubernatis  :  Commercio  di  Susa  e  del  Sahel  nel 
1864,  Bolletino  consolare,  vol.  III.  fasc.  IV.  p.  443  :  Importanza  commerciale  del  porto  di  Susa  nella  Tunisia. 
Ibid.  vol.  IL  p.  286).  Les  tableaux  commerciaux  de  source  tunisienne  (Arch.  Tun.  Carton  94.  Doss.  120  et  121) 
sont  difficilement  utilisables.  Ils  ne  fournissent  pas  les  valeurs  ni  le  détail  par  ports  et  ne  précisent  pas  si 
la  mesure  de  compte  utilisée  est  celle  de  Tunis  ou  des  autres  régions.  Les  tableaux  généraux  du  commerce 
de  la  France  ne  donnent  que  l'ensemble  des  échanges  français  avec  les  Etats  barbaresques,  Tunis,  Tripoli  et 
Maroc. 


41 


s'envasait.  Toutes  les  marchandises  devaient  subir  des  transbordements  coûteux  sur 
des  barques  de  faible  tirant  d'eau  qui  assuraient  par  le  lac  presque  tous  les  échanges 
entre  la  capitale  et  son  port.  La  Goulette  était  cependant  de  beaucoup,  le  premier  port 
de  la  Régence  :  il  assurait  à  lui  seul  90%  des  importations  du  pays  et  près  de  44%  des 
exportations.  Les  autres  ports,  en  particulier  ceux  du  Sahel,  Sousse,  Monastir  et  Mahdia, 
se  consacraient  presque  exclusivement  à  l'exportation  des  huiles.  Leur  trafic  variait  en 
fonction  de  la  récolte.  Certaines  années,  Sousse  l'emportait  sur  La  Goulette  pour  la  valeur 
des  exportations,  mais,  en  moyenne,  il  n'assurait  que  27%  de  ce  trafic,  les  trois  ports  du 
Sahel  faisant  ensemble  48  %  des  exportations  et  moins  de  5%  des  importations  totales  de 
la  Régence.  Sfax  exportait  également  des  huiles,  mais  aussi  des  grains,  et,  comme  Djerba, 
des  éponges  et  des  tissus  indigènes.  La  ville  était  en  même  temps  un  important  centre 
de  redistribution  de  produits  importés.  D'après  les  statistiques  consulaires,  Sfax  n'aurait 
reçu  guère  plus  de  3  %  des  importations  tunisiennes  (630.000  frs  environ)  ;  en  réalité,  à 
Sfax  la  contrebande  maltaise  était  une  institution^^  :  les  Maltais  embarquaient  de  nuit  les 
huiles  et  les  grains,  ils  importaient  en  fraude  des  cotonnades,  des  armes  et  de  la  poudre 
anglaises  dont  les  caravanes  ravitaillaient  ensuite  les  nomades  du  centre  et  du  sud 
tunisien  et  même  les  tribus  algériennes  du  Sud.  11  fallait  doubler  au  moins,  sinon  tripler 
le  chiffre  des  importations  régulières,  augmenter  sensiblement  celui  des  exportations 
pour  apprécier  à  sa  juste  valeur  l'importance  commerciale  de  Sfax,  vers  1860. 


Le  commerce  extérieur  de  la  Tunisie  (Moyenne  1861-1865). 


Le  trafic  de  La  Goulette  était  largement  déficitaire.  Les  exportations  ne  couvraient 
que  53%  des  importations,  9.387.000  francs  en  moyenne  contre  17.633.000  francs, 
entre  1861  et  1865.  Mais,  grâce  au  trafic  exportateur  des  autres  ports  tunisiens,  la 
balance  commerciale  tunisienne  paraissait  encore  excédentaire  au  total  :  19.597.000 
francs  d'importations  contre  21.354.000  francs  d'exportations.  11  fallait  tenir  compte, 
il  est  vrai,  de  la  contrebande  qui  s'exerçait  dans  les  deux  sens  mais  qui  tendait  surtout 
à  introduire  en  fraude  des  produits  étrangers  dans  la  Régence®^.  11  est  probable  que 
les  échanges  réguliers  et  irréguliers  du  pays  devaient  s'équilibrer  alors  entre  21  et  22 
millions  de  francs. 


95  Les  autorités  anglaises  étaient  les  premières  à  le  reconnaître.  (Rapport  de  Stevens,  vice-consul  anglais  à 
Sousse.  chargé  d'enquêter  sur  la  contrebande  maltaise.  Sousse,  7  juillet  1858  (Arch.  Tun.  Doss.  117,  carton 
94)  et,  passim,  Corresp.  consulaire  anglaise). 

96  L'exportation  clandestine  des  huiles  du  Sahel  ou  des  grains  des  plaines  de  la  Medjerda  vers  Malte  ou  vers 
Bône  était  encouragée  par  l'exagération  des  droits  d'exportation  qui  grevaient  lourdement  le  prix  d'achat. 
Les  produits  importés  ne  payaient  qu'un  droit  de  douane  de  3%,  mais  ils  étaient  taxés  encore  aux  portes  des 
villes,  sur  les  marchés.  On  échappait  à  toutes  ces  taxes  en  débarquant  de  nuit  sur  une  plage  et  en  acheminant 
directement  les  marchandises  vers  l'intérieur.  Cette  contrebande  était  stimulée  par  la  facilité  de  transporter 
et  de  dissimuler  les  balles  de  cotonnades,  par  la  prohibition  qui  pesait  théoriquement  sur  le  commerce  des 
armes  et  de  la  poudre. 


42 


FRANCE 


Le  trafic  de  La  Goulette  (Moyenne  1861-1865) 

Importations  17.633.733  Fr.  -  Exportations  :  9.387.000  Fr. 

Dans  ce  commerce,  la  France  occupait  une  place  privilégiée.  Elle  était  servie  par  sa 
proximité  de  la  Régence,  le  développement  de  son  industrie  et  surtout  par  l'installation 
d'une  colonie  marseillaise  des  plus  actives.  Les  négociants  de  Tunis  faisaient  collecter 
par  leurs  agents  de  la  côte  et  de  l'intérieur  les  huiles  du  Sahel  destinées  à  l'industrie 
marseillaise,  les  dattes  du  Djérid,  des  laines  et  des  peaux,  ils  traitaient  avant  la  récolte  par 
un  système  d'avances  aux  villageois  du  Sahel,  ils  achetaient  au  gouvernement  le  produit 
des  impôts  en  nature.  Pour  acquitter  les  droits  de  sortie,  ils  négociaient  l'acquisition 
de  teskérés  ou  permis  d'exportation®^.  Lorsque  le  gouvernement  était  court  d'argent,  il 
s'adressait  aux  négociants  français  qui  lui  avançaient  des  fonds,  en  échange  de  teskérés 
ou  de  produits  à  percevoir  sur  la  récolte  suivante.  En  revanche,  les  négociants  faisaient 
valoir  à  la  cour  les  bijoux,  les  parfums,  les  articles  de  luxe  qu'ils  pouvaient  faire  venir  de 
France.  Leurs  correspondants  de  Marseille,  les  Roux,  les  Audibert,  Joseph  Pastré  surtout, 
des  maisons  parisiennes  leur  expédiaient  des  soieries,  des  lainages,  du  sucre,  du  café, 
des  bougies,  de  la  quincaillerie,  des  vins  et  des  liqueurs®®.  A  Paris,  la  maison  Rothschild 
se  chargeait  de  toutes  les  fournitures  de  l'Etat,  achat  de  matériel,  de  navires,  frappe  des 
monnaies®®.  La  France  fournissait  ainsi  la  moitié  des  importations  tunisiennes,  9.487.000 
francs  en  moyenne  par  le  seul  port  de  La  Goulette,  près  de  10  millions  pour  l'ensemble 
du  pays.  Cette  balance  commerciale  était  largement  favorable  à  la  France  qui  n'importait 
guère  que  7  millions  de  produits  tunisiens.  Encore,  dans  la  liste  des  produits  importés 
de  Tunis,  figurait-il  des  articles  dont  les  navires  français  n'assuraient  que  le  transport, 
comme  les  chéchias  destinées  à  l'Algérie. 

Les  négociants  génois  jouaient  le  même  rôle  que  les  commerçants  français,  ils 
achetaient  surtout  des  grains,  mais  aussi  des  huiles  qui  étaient  épurées  en  Italie  et 


97  F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  20  octobre  1858. 

98  Marius  Ventre  qui  s'occupait  d'exportation  d'huile  et  de  grains  représentait  en  même  temps  une  douzaine 
de  maisons  françaises,  comme  le  Comptoir  des  Quincailleries  de  l'Est,  la  maison  de  tissus  Rostand  de  la 
rue  du  Sentier  à  Paris.  (Renseignements  fournis  par  M.  Jean  Ventre  et  M.  Louis  Hue  de  Tunis).  Van  Gaver 
représentait  les  Roux  de  Fraissinet  de  Marseille  et  les  Rothschild  (Arch.  Tun.  Carton  113,  Doss.  319  et  334), 
Chapelié,  une  douzaine  de  banques  françaises  dont  le  Crédit  Lyonnais. 

99  Arch.  Tun.  Doss.  319,  carton  113.  Correspondance  des  frères  Rothschild  avec  le  gouvernement,  1846-1860. 


43 


réexportées  en  grande  partie  vers  l'Europe  centrale.  Mais  l'industrie  italienne  ne  pouvait 
guère  alimenter  les  exportations  de  la  péninsule.  Celles-ci  se  réduisaient  à  des  soieries 
et  à  des  cotonnades  -  en  partie  d'origine  anglaise  d'ailleurs  -  ,des  denrées  alimentaires 
et  des  vins  courants.  La  plupart  des  barques  italiennes  arrivaient  sur  lest  dans  les  ports 
tunisiens.  Aussi  les  importations  d'origine  italienne  ne  représentaient-elles  que  les  2/5 
des  importations  françaises,  soit  3.800.000  Frs.  Les  exportations  à  destination  de  l'Italie, 
s'élevant  à  près  de  8  millions  de  francs,  la  balance  des  échanges  italiens  avec  la  Tunisie 
était  particulièrement  déséquilibrée. 

L'Angleterre  ne  bénéficiait  pas  de  la  même  organisation  commerciale  que  la 
France  et  l'Italie.  La  colonie  britannique  n'était  représentée  dans  la  Régence  que  par 
un  prolétariat  maltais  besogneux  et  une  demi-douzaine  de  courtiers  israélites  qui 
s'occupaient  essentiellement  de  prêt  sur  gage.  L'Angleterre  achetait  assez  peu  de  produits 
tunisiens  :  elle  arrivait  au  troisième  rang  des  nations  importatrices,  avec  une  moyenne 
je  4  millions  de  francs  chaque  année.  Encore  la  plupart  des  produits  embarqués  sur 
des  navires  anglais  constituaient-ils  seulement  du  fret  pour  les  services  réguliers  ou 
les  tramps  qui  déposaient  à  Tripoli  ou  à  Alexandrie  les  ballots  de  chéchias  et  de  tissus 
indigènes  inscrits  dans  les  statistiques  consulaires  comme  exportations  à  destination 
de  Malte  ou  de  l'Angleterre.  L'Angleterre  n'achetait  guère  que  des  huiles  ;  l'Amirauté  se 
réservait  chaque  année  la  majeure  partie  des  bêtes  sur  pied  exportées  par  La  Goulette, 
pour  le  ravitaillement  de  la  garnison  anglaise  de  Malte  et  des  équipages  de  la  flotte.  En 
revanche,  l'Angleterre  était  largement  exportatrice  :  à  Sfax  et  dans  les  ports  du  Sahel, 
elle  était  presque  seule  à  vendre.  Les  cotormades  du  Lancashire  faisaient  prime  sur 
le  marché  tunisien,  dans  le  sud  aussi  bien  qu'à  Tunis,  mais  dans  la  capitale,  les  autres 
exportations  anglaises  rencontraient  la  concurrence  des  produits  français.  Sauf  pour 
les  cotonnades,  l'Angleterre  était  distancée  dans  tous  les  domaines  ;  elle  ne  pouvait 
bénéficier  de  l'écrasante  supériorité  de  son  industrie  lourde,  la  Tunisie  n'achetant 
ni  houille  ni  matériel  d'équipement.  Aussi,  à  La  Goulette,  les  importations  anglaises 
n'arrivaient-elles  qu'à  égalité  avec  celles  de  l'Italie,  3.858.000  francs  chaque  année  entre 
1861  et  1865.  Pour  l'ensemble  du  pays,  l'Angleterre  arrivait  seconde  assez  loin  derrière 
la  France,  avec  un  total  de  ventes  de  5.300.000  francs,  6  millions  peut-être,  en  tenant 
compte  de  la  contrebande. 

Ainsi,  vers  1860,  les  intérêts  commerciaux  des  grandes  Puissances  en  Tunisie 
étaient-ils  considérables.  Les  cabinets  de  Paris,  de  Londres  et  de  Turin  recommandaient 
à  leurs  consuls  de  les  protéger  tout  spécialement.  Mais  la  Régence  pouvait  offrir  d'autres 
possibilités  aux  entreprises  européennes. 

c)  Les  rivalités  économiques 

La  fertilité  du  sol  tunisien  était  bien  connue  :  on  évoquait  les  récoltes  miraculeuses 
de  V  Africa  romaine,  grenier  à  blé  de  l'Italie,  la  forêt  d'oliviers  qui  s'étendait  largement  à 
l'intérieur.  Les  ruines  romaines  attestaient  l'extension  de  la  colonisation  aux  plus  beaux 
jours  de  l'Empire.  Mais  toutes  ces  terres  étaient  alors  mal  exploitées  ;  de  vastes  étendues 
restaient  en  friche,  couvertes  de  broussailles  où  pâturaient  quelques  maigres  troupeaux. 
Les  forêts  du  nord-ouest  étaient  dévastées  par  une  exploitation  inconsidérée,  par  les 
ravages  des  troupeaux  et  des  incendiesioo. 


100  En  1864  le  bey  nommait  un  inspecteur  des  forêts  de  Tabarka,  Jean  Gaétan  Fanelly.  Mais  cet  agent  ne  fut 
jamais  payé.  Il  semble  avoir  surtout  exploité  pour  son  compte  le  bois  et  le  liège  des  forêts  de  l'Etat  (Arch. 
Tun.  Doss.  608  et  609,  carton  240). 


44 


La  Régence  disposait  encore  de  ressources  minières  dont  on  ne  tirait  aucun  parti. 
On  connaissait  les  carrières  de  marbre  de  Chemtou  ;  des  ingénieurs  français  avaient 
recensé  les  gisements  de  plomb  et  de  fer  des  confins  algéro-tunisiens,  autour  du  Kef, 
dans  la  région  de  Tabarka  surtout  dont  on  s'exagérait  notablement  la  richesseioi.  Les 
mines  de  plomb  et  de  zinc  du  Djebel  Ressas  près  de  Tunis,  celles  de  plomb 

de  Djebba,  à  seize  kilomètres  de  Teboursouk,  avaient  été  mises  en  valeur  à  l'époque 
romaine,  mais  elles  restaient  abandonnées.  Des  monticules  de  scories  attestaient 
seulement  l'importance  et  l'ancienneté  de  l'exploitationio^. 

Pour  les  communications,  tout  restait  à  créer  ;  la  Régence  n'avait  ni  routes,  ni 
canaux,  ni  voies  ferrées,  ni  ports  dignes  de  ce  nom.  La  terre  avait  peu  de  valeur,  la  main 
d'œuvre  était  bon  marché.  Mais  les  Européens  n'avaient  pas  le  droit  de  propriété  dans  la 
Régence,  l'exploitation  minière,  l'installation  de  moyens  de  transports  étaient  soumises 
à  une  autorisation  beylicale. 

En  fait,  avant  1855,  rien  de  sérieux  n'avait  été  entrepris.  La  Sardaigne  n'avait  pas 
de  capitaux  ;  elle  avait  trop  à  faire  dans  la  péninsule  pour  réorganiser  son  armée  et 
créer  des  chemins  de  fer  avec  l'appui  de  la  France,  pour  songer  alors  à  la  Tunisie.  Les 
capitalistes  de  Londres  connaissaient  à  peine  l'existence  de  la  Régence  ;  beaucoup  d'entre 
eux  avouaient  ignorer  si  elle  était  peuplée  de  blancs  ou  de  noirsio^.  Les  seuls  efforts  qui 
avaient  été  tentés  venaient  d'Algérie.  Depuis  1849,  une  compagnie  française  exploitait 
un  gisement  de  plomb  argentifère  sur  la  frontière,  au  Kef  oum  Teboul,  près  de  La  Calle. 
Estimant  que  le  gisement  se  prolongeait  vers  l'est,  elle  demandait  périodiquement 
l'octroi  d'une  concession  en  territoire  tunisien  et  sollicitait  également  le  droit  d'exploiter 
les  hypothétiques  richesses  de  la  région  de  Tabarka.  Mais  le  gouvernement  beylical  qui 
n'avait  pas  souscrit  à  la  délimitation  de  la  frontière,  ne  voulait  rien  entendre.  11  prétextait 
l'insécurité  de  la  région  pour  refuser,  et  prétendait  d'ailleurs  que  la  mine  d'Oum  Teboul 
elle  même  se  trouvait  en  territoire  tunisienio"*.  Depuis  le  règne  d'Henri  IV,  la  France 
jouissait  du  monopole  de  la  pêche  du  corail  sur  les  côtes  tunisiennes  du  nord,  mais  ce 
n'était  guère  qu'un  prétexte  à  redevance  sur  les  barques  italiennes  ou  espagnoles  qui  s'y 
adonnaient  sous  la  protection  du  pavillon  français^o®. 

Wood  comprenait  toute  l'importance  des  questions  économiques.  Pour  développer 
le  commerce  et  l'influence  britannique  dans  la  Régence,  il  s'attacha,  dès  son  arrivée  à 


101  Aucun  des  gîtes  reconnus  n'était  exploitable  (Arch.  Tunis.  Doss.  573,  carton  239.  Rapport  de  l'ingénieur 
Letellier.  Vaux,  près  Soissons,  18  septembre  1850  ;  Ibid.  Doss.  571,  carton  239  :  rapport  de  l'ingénieur 
Dubois.  Tabarka,  6  mars  1856).  Des  légendes  circulaient  également  au  sujet  de  l'existence  de  mines  d'or 
dans  le  centre  de  la  Régence. 

102  Cependant  un  ingénieur  français  au  service  du  bey,  Bineau,  avait  obtenu  en  1828  la  concession  du  gisement 
du  Djebel  Ressas.  En  1838,  Ahmed  Bey  avait  décidé  de  reprendre  l'exploitation  de  la  mine  de  Djebba  dont 
il  confiait  la  direction  à  un  Français,  Daux,  sous  le  contrôle  de  l'ingénieur  Benoît.  Un  matériel  moderne 
avait  été  amené  sur  place,  mais  les  travaux  n'avancèrent  pas.  En  1850,  l'ingénieur  Letellier  ne  trouvait  à 
Djebba  qu'un  dépôt  de  machines  à  l'abandon,  rouillées  avant  d'avoir  servi.  (Arch.  Tun.  Doss.  573,  carton 
239,  Rapport  Letellier.  op.  cit),  Néanmoins,  l'exploitation  de  Djebba  émargeait  au  budget  jusqu'en  1863. 
(Arch.  Tun.  Doss.  576,  carton  239  :  comptes  d'exploitation  de  1255  à  1280). 

La  mine  du  Djebel  Ressas  est  encore  exploitée  à  l'heure  actuelle  ;  en  1954,  la  Société  de  Penarroya  en  a  tiré 
13.000  tonnes  de  minerai  de  plomb. 

103  F.  0.  335/111/1.  Santillana  à  Wood.  Livourne,  22  mai  1857. 

104  Arch.  Rés.  De  Theis  à  Baroche.  Tunis,  19  avril  et  3  mai,  18  et  21  août  1851.  La  mine  d'Oum  Teboul,  concédée 
en  juillet  1849  au  négociant  marseillais  Roux  de  Fraissinet,  appartenait  alors  à  la  compagnie  Frayssinet 
Talabot.  De  l'aveu  même  des  autorités  françaises,  l'exploitation  avait  été  poussée  en  territoire  tunisien  (A. 
E.  Mém.  et  Doc.  vol.  13,  note  19.  Arch.  Guerre.  Carton  13,  Tunisie.  Note  du  maréchal  Randon.  Paris,  1^'^février 
1867). 

105  Arch.  Rés.  Dép.  commerciale.  Tunis,  6  janvier  1868. 


45 


Tunis,  à  obtenir  des  concessions  en  faveur  de  ses  nationaux  et  à  implanter  dans  le  pays 
des  intérêts  véritablement  anglais.  Dès  1856,  il  obtenait  en  faveur  d'un  certain  Rôlesi°®, 
un  Anglais  qui  entendait  introduire  la  culture  du  coton  en  Tunisie,  la  location  d'une 
vaste  propriété  appartenant  au  premier  ministre  ;  c'était  le  domaine  de  la  Djédeida 
qui  offrait  plusieurs  milliers  d'hectares  de  terres  faciles  à  irriguer  dans  la  vallée  de  la 
Medjerda,  à  trois  heures  de  route  de  la  capitaleio^.  En  même  temps  Wood  étudiait  les 
possibilités  cotonnières  du  Sahel  ;  il  y  envisageait  la  constitution  de  domaines  oléicoles, 
l'importation  de  presses  à  vapeur  pour  récupérer  les  grignons  d'olives  médiocrement 
traités  par  les  presses  indigènes. 

Mais  ses  ambitions  étaient  plus  vastes  et  surtout  plus  cohérentes.  C'est  tout  un 
plan  de  colonisation  agricole  et  industrielle  qu'il  échafaudait,  une  colonisation  de  type 
capitaliste  dirigée  par  des  hommes  d'affaires  anglais  exploitant  de  grands  domaines  ou 
des  sociétés  industrielles  avec  des  ouvriers  indigènes  encadrés  par  des  contremaîtres 
maltais.  Les  domaines  agricoles  fourniraient  des  grains  et  surtout  du  coton  ;  cette 
culture  était  alors  particulièrement  rémunératrice  et  les  industriels  du  Lancashire  qui 
cherchaient  à  se  dégager  du  monopole  américain,  encourageaient  partout  des  tentatives 
de  ce  genre.  Pour  développer  le  commerce  et  encourager  les  cultures  exportatrices,  Wood 
prévoyait  la  construction  de  voies  ferrées  unissant  Tunis  à  La  Goulette  et  aux  plaines 
de  Testour  et  de  Béja,  les  plus  fertiles  et  les  mieux  arrosées  de  la  Régence.  En  même 
temps  s'installerait  à  Tunis  une  banque  anglaise  qui  ferait  les  affaires  du  gouvernement 
et  soutiendrait  de  son  crédit  les  entreprises  britanniques  installées  dans  le  pays.  La 
banque  pourrait  enlever  aux  négociants  français  et  italiens  le  monopole  commercial 
et  financier  dont  ils  jouissaient  en  Tunisie,  encourager  le  développement  de  nouvelles 
entreprises  britanniques  :  c'était  la  pièce  maîtresse  du  système.  Mais  pour  créer  une 
banque,  il  fallait  des  capitaux,  et  c'est  pour  en  trouver  que  Wood  envoyait  secrètement 
à  Londres,  en  novembre  1856,  son  interprète  Santillana,  avec  l'accord  du  gouvernement 
tunisien  qui  subvenait  aux  frais  de  cette  mission. 

Santillana  connaissait  l'Angleterre  où  il  avait  séjourné  en  1851  comme  délégué 
tunisien  à  l'exposition  de  Londres.  11  courut  les  ministères  et  les  banques;  malgré 
l'indifférence  du  Foreign  Office,  il  réussit  à  intéresser  le  Board  of  Trade,  obtint  des 
recommandations  pour  les  principaux  hommes  d'affaires  anglais  et  s'aboucha  avec 
un  correspondant  du  Times  qu'il  chargea  d'intéresser  l'opinion  anglaise  à  la  Tunisie. 
Mais  les  circonstances  étaient  peu  favorables  :  le  marché  était  atteint  par  une  crise 
financière,  plusieurs  maisons  avaient  déposé  leur  bilan,  et  le  taux  d'intérêt  atteignait 
alors  7%.  Les  banquiers  anglais,  alertés  par  les  difficultés  financières  de  l'Egypte  et  de 
la  Turquie,  hésitaient  à  aventurer  des  fonds  en  Tunisie.  Santillana  avait  beau  insister  sur 
la  modicité  des  sommes  que  le  bey  sollicitait  -  25.000  livres  seulement  pour  la  banque, 
le  gouvernement  tunisien  devant  fournir  le  reste,  soit  50.000  livres  -,  les  principales 
banques  se  dérobaient  les  unes  après  les  autres,  Rothschild,  les  Baring,  la  maison  Glynn 
Mills  et  Cie  qui  dirigeait  V  Ottoman  Bank  et  YEgyptian  Bank,  des  capitalistes  de  Liverpool 
et  de  Manchester,  des  Juifs  d'origine  livournaise  comme  Santillana,  les  Montefioreio®. 
Finalement  Santillana  réussit  à  traiter  avec  un  banquier  dont  les  affaires  étaient  liées 
à  celles  de  la  compagnie  de  navigation  Peninsular  and  Oriental  dont  il  était  un  des 


106  ROLES  [John),  né  à  Burnburg  (Cheshire),  le  15  janvier  1810.  Protestant,  marié  à  Tunis  le  5  avril  1858  à 
Fortunata  Azria,  catholique  originaire  de  Toscane  (Reg.  Ste  Croix). 

107  F.  O.  335/111/1.  Santillana  à  Wood.  Londres,  2  Janvier  1857. 

La  superficie  de  la  Djédeida  était  alors  estimée  à  18.000  acres,  soit  plus  de  7.000  hectares. 

108  F.  O.  3  5/111/1.  Santillana  à  Wood.  Londres  2,16,  23  janvier,  14,  20  février  1857.  Livourne,  22  mai  1857. 


46 


directeurs,  Arthur  Anderson.  Anderson,  qui  s'était  associé  pour  l'occasion  à  d'autres 
capitalistes  anglais,  fournirait  40.000  livres  ;  le  bey  avancerait  50.000  livres,  cent  parts 
de  1.000  livres  étant  réservées  aux  capitalistes  tunisiensi°®.  Le  21  mars  1858,  un  traité 
était  signé  avec  le  gouvernement  tunisien  qui  autorisait  la  création  d'un  établissement 
privilégié  portant  le  nom  de  Banque  anglo-tunisienne.  Cette  banque  aurait  le  monopole 
des  émissions  de  billets  ayant  cours  légal  dans  la  Régence  ;  elle  obtenait  la  personnalité 
civile  et  le  droit  de  posséder  et  de  prêter  sur  hypothèque.  Le  bey  en  devenait 
officiellement  l'associé  :  plusieurs  sièges  étaient  réservés  à  ses  représentants  au  sein 
du  conseil  d'administration.  Enfin,  les  statuts  accordaient  au  consulat  britannique  de 
Tunis  un  droit  de  surveillance  étendu  sur  les  opérations  de  la  banque.  En  octobre  1858, 
toutes  les  parts  réservées  aux  capitalistes  tunisiens  étaient  souscrites  ;  le  gouvernement 
tunisien  rendait  publiques  les  dispositions  de  son  accord  avec  les  banquiers  par  une 
lettre  circulaire  adressée  aux  consuls. 

La  question  des  chemins  de  fer  paraissait  également  sur  le  point  d'être  résolue. 
Santillana  avait  trouvé  un  candidat  en  sir  Morton  Petoi^o,  un  financier  anglais  qui  avait 
lancé  de  nombreuses  affaires  en  Europe  et  qui,  à  ce  moment,  s'occupait  de  la  construction 
de  voies  ferrées  dans  la  région  d'Alger.  Peto  mettait  l'accent  sur  une  ligne  Tunis-Goulette, 
mais  il  demandait  en  même  temps  pour  la  compagnie  qu'il  voulait  constituer,  un  privilège 
de  construction  exclusif  pour  toutes  les  voies  ferrées  de  Tunisie.  En  mars  1859,  il  envoyait 
des  ingénieurs  pour  étudier  le  tracé  de  la  ligne  de  La  Goulettem.  Rôles  avait  obtenu  son 
contrat  du  khaznadar.  11  s'était  installé  à  la  Djédeida,  où  il  développait  des  plantations 
de  coton.  De  Manchester  parvenaient  des  graines,  des  machines  à  égrener,  fournies  par 
la  Cotton  Supply  Association.  Dans  le  Sahel,  un  Juif  anglais,  Youssef  Levyii^^  bientôt  imité 
par  plusieurs  propriétaires  tunisiens,  s'essayait,  lui  aussi,  à  la  culture  du  coton. 

Mais  aucune  de  ces  entreprises  ne  devait  réussir.  Léon  Roches  qui  avait  été  pris 
de  court,  une  fois  de  plus,  protesta  avec  véhémence  contre  les  privilèges  accordés  à  la 
banque  et  contre  l'immixtion  du  consulat  britannique  dans  ses  affaires  ;  il  suscitait  une 
pétition  au  sein  de  la  colonie  française.  L'ambassadeur  à  Londres,  le  duc  de  MalakofPi^ 
fut  chargé  de  demander  des  explications  au  secrétaire  d'Etat,  Lord  Malmesbury.  Le 
gouvernement  britannique  interdit  à  Wood  d'intervenir  dans  les  affaires  de  la  banque. 


109  Ihid.  Santillana  à  Anderson.  Londres,  13  juillet  1857.  Tunis  30  octobre  1858.  Santillana  à  Wood.  Tunis,  1er 
novembre  1858. 

110  PETO  (sir  Samuel-Morton),  industriel  anglais,  né  en  1809  à  Woking  (Surrey),  mort  en  1889.  Héritier  d'une 
grande  fortune,  il  entreprit  la  construction  du  palais  de  Westminster,  puis  se  consacra,  à  partir  de  1845, 
à  l'établissement  de  voies  ferrées  en  Angleterre,  au  Canada  et  en  Europe  occidentale.  Député  libéral  de 
Norwich  (1847-1855),  de  Finsbury  puis  de  Bristol  (1859-1868),  il  fut  créé  baronnet  en  1855.  Ruiné  par  la 
crise  financière  de  mai  1866,  il  fit,  en  avril  1868,  une  faillite  de  7  millions  de  livres  qui  l'éloigna  du  Parlement 
(Vapereau  :  Dictionnaire  universel  des  contemporains,  Paris,  1880,  p.  1.435  et,  1893,  p.  1240).  Peto  avait 
étudié  à  deux  reprises  en  1859  et  1862  un  projet  de  construction  d'une  voie  ferrée  Tunis-Goulette. 

111  Arch.  Rés.  Roches  à  Walewski.  Tunis,  12  mars  1859. 

F.  O.  3  35/111/1.  Santillana  à  Wood.  Tunis,  13  avril  1859. 

112  Youssef  ou  Joseph  LEVY,  né  à  Sousse  vers  1820,  était  sujet  britannique  parce  que  son  père,  Juda,  Israélite 
originaire  d'Espagne,  était  né  à  Gibraltar.  Levy  avait  épousé  la  fille  d'un  Juif  protégé  français,  Esther  Younès; 
il  vécut  longtemps  d'usure  dans  le  ghetto  de  Sousse.  En  1863,  il  s'associait  au  consul  Wood  pour  la  création 
d'une  huilerie  moderne  à  Sousse.  Pendant  la  révolution  de  1864,  il  se  révéla  un  adversaire  acharné  de 
la  France  et  assura  sa  fortune  par  des  opérations  usuraires  aux  dépens  des  paysans  du  Sahel,  écrasés 
d'amendes  après  l'échec  de  leur  rébellion.  Youssef  Levy  joua  un  rôle  déterminant  dans  l'affaire  de  l'Enfida, 
en  1880  et  1881.  Il  mourut  à  Sousse,  en  1882  (Corresp.  consulaire  française  et  anglaise  1860-1882,  pass). 

113  PELISSIER,  duc  de  MALAKOFF  (Aimable.  Jean.  Jacques),  maréchal  de  France,  sénateur,  né  à  Maromme  (Seine- 
Inférieure),  le  6  novembre  1794,  mort  à  Alger,  le  22  mai  1864.  Il  fut  ambassadeur  de  France  à  Londres,  du 
23  mars  1858  au  9  mai  1859,  gouverneur  général  de  l'Algérie  de  1860  à  1864. 


47 


d'en  être  un  des  directeurs  et  même  simplement  actionnaire^i'^.  Il  fallut  réviser  les  statuts; 
la  banque  changea  son  titre  d'anglo-tunisienne  contre  celui  de  Bank  of  Tunis  ;  le  siège 
social  fut  établi  à  Londres,  avec  des  succursales  à  Tunis  et  à  Sousse.  Anderson  ne  tarda 
pas  à  soulever  des  difficultés.  A  la  suite  d'un  voyage  à  Tunis  qui  sembla  lui  démontrer 
les  médiocres  possibilités  financières  de  la  Régence,  l'homme  d'affaires  anglais  se  mit  à 
faire  traîner  les  négociations.  Finalement  il  se  déroba  et,  dès  la  fin  de  1859,  il  ne  songeait 
plus  qu'à  obtenir  du  bey  le  remboursement  de  ses  frais  d'études^^. 

Peto  se  retirait  également.  Il  refusait  de  construire  à  ses  frais  la  voie  ferrée,  sans 
une  garantie  d'intérêt  pour  les  fonds  qu'il  aurait  déboursés.  Le  bey  jugeait  la  solution 
trop  onéreuse  et  Peto,  de  son  côté,  était  découragé  par  l'insuccès  dAnderson.  En  1860,  il 
n'était  plus  question  ni  de  chemins  de  fer  ni  de  banque  anglaise  à  Tunis^i^. 

C'était  pour  Wood  une  déception  d'autant  plus  pénible  qu'il  voyait  échouer  au 
même  moment  le  projet  de  rapprochement  de  la  Tunisie  avec  l'Empire  ottoman  qu'il 
avait  préparé  avec  tant  de  soin.  Léon  Roches,  déjà,  passait  à  la  contre-attaque.  Il  avait 
fait  venir  un  ingénieur  de  ses  parents,  Jean  Colin,  qui  arrivait  trop  tard  à  Tunis  pour 
réaliser  un  projet  de  chemin  de  ferii^^  mais  qui  réussissait  à  enlever  l'adjudication  de 
travaux  importants  :  la  construction  aux  frais  du  bey  d'un  nouvel  hôtel  consulaire  pour 
la  France  et  la  remise  en  état  de  l'aqueduc  romain  de  Carthage.  Il  s'agissait  de  rétablir 
les  conduites,  d'approvisionner  en  eau  potable  Tunis,  La  Goulette  et  le  Bardo,  tout 
en  prévoyant  sur  le  parcours  un  vaste  système  d'irrigation.  «Le  magnifique  aqueduc 
romain  long,  de  132  kilomètres,  qui  conduisait  à  la  capitale  les  eaux  du  Djebel  Zaghouan, 
plusieurs  fois  coupé  par  les  envahisseurs,  restauré  au  XIII™*^  siècle,  et  complété  par  celui 
du  Bardo,  avait  péri,  faute  d'entretien.  Le  dernier,  œuvre  remarquable  d'Al  Mustansir, 
avait  été  restauré  au  XVIIE™  siècle,  mais  n'avait  plus  qu'un  débit  quotidien  de  4  mètres 
cubes.  En  1859  Mohammed  es  Sadok  s'était  décidé  à  le  reconstruire  et  à  l'améliorer... 
Deux  ans  après,  le  nouvel  aqueduc  débitait  17.000  mètres  cubes  d'eau  par  jour»ii*. 

En  1860,  l'ingénieur  Dubois  ouvrait  la  première  route  empierrée  de  la  Régence, 
celle  de  Tunis  au  Bardo.  D'autres  ingénieurs  français  travaillaient  en  même  temps  à 
l'installation  d'un  réseau  télégraphique  dans  le  nord  de  la  Régence.  Léon  Roches  avait 
obtenu  du  premier  ministre,  le  29  octobre  1859,  le  droit  pour  la  France  d'établir  un 
fil  télégraphique  reliant  l'Algérie  à  la  Tunisie  ;  il  devait  éventuellement  se  prolonger 
jusqu'aux  frontières  de  la  Tripolitaine.  Le  ministère  de  l'Algérie  et  des  Colonies  construirait 
la  ligne,  paierait  le  personnel  et  encaisserait  les  bénéfices  éventuels  jusqu'à  ce  que  le 
gouvernement  tunisien  décidât  d'en  reprendre  l'exploitation,  après  avoir  remboursé 
les  frais  d'établissement  du  réseau^®.  En  mai  1861,  Tunis  était  reliée  à  l'Algérie.  La 
convention  télégraphique  du  19  avril  précédent,  passée  entre  la  France  et  la  Tunisie, 
prévoyait  le  rachat  de  cette  première  ligne  et  de  ses  prolongements  vers  La  Goulette  et 
le  Bardo,  contre  90.997.60  francs  (art.l)  ;  elle  accordait  expressément  au  gouvernement 


114  F.  0.102/67.  Malmesbury  à  Wood.  F.  0.  20  décembre  1858. 

115  Ibid,  passim,  Corresp.  Wood^  1859.1860. 

Arch.  Tun.  Doss.  340,  carton  114. 

116  La  culture  du  coton  dut  se  révéler  assez  décevante.  Elle  fut  abandonnée  au  bout  de  quelques  campagnes 
après  avoir  alimenté  une  médiocre  exportation  par  le  port  de  La  Goulette.  Rôles  ne  tarda  probablement  pas 
à  quitter  la  Tunisie,  car  son  nom  ne  reparaît  plus  dans  la  correspondance  consulaire  anglaise. 

117  F.  O.  335/111/1.  Santillana  à  Wood.  Tunis,  13  août  1859. 

118  Marcel  Emerit  :  La  pénétration  industrielle...  en  Tunisie.  R.  Afr.  1952,  p.  199. 

119  Arch.  Rés.  Comm.  Léon  Roches  à  Walewski.  Tunis,  26  octobre  1859. 


48 


français  le  droit  d'établir  une  ligne  entre  Tunis,  Sousse,  Sfax  et  l'île  de  Djerba  (art.2)i2o. 
Léon  Roches  l'avait  emporté  sur  Wood  qui  mettait  en  avant  une  compagnie  anglaise 
pour  la  construction  de  la  ligne  du  Sahel. 

Le  consul  d'Angleterre  réussissait  cependant  à  obtenir  du  bey  le  droit  d'établir  à 
Sousse  une  huilerie  moderne  pour  la  récupération  des  grignons;  dans  l'affaire  il  avait 
plaidé  pour  lui-même,  puisqu'il  était  l'un  des  associés  de  l'entreprise,  avec  le  Juif  anglais 
Levy  et  un  Français  du  nom  de  Creissoni^i.  D'autres  compétiteurs  se  mettaient  sur 
les  rangs.  Le  consul  d'Autriche,  Merlatoi22^  sollicitait  pour  des  compatriotes  le  droit 
d'exploiter  des  mines  dans  l'ouest  de  la  Régence^^s  pg  consul  d'Italie  patronnait  un 
projet  de  câble  entre  Marsala  et  le  cap  Boni24.  En  1860,  la  lutte  était  ouverte  entre  les 
grandes  puissances  pour  la  chasse  aux  concessions. 


120  Ibid.  Convention  télégraphique  entre  la  France  et  la  Tunisie.  Annexe  à  dépêche  commerciale  du  4  mai 
1861. 

121  F.  0.  102/71.  Wood  à  Russel.  Tunis,  23  janvier  1864.  Arch.  Rés.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  24  juillet  1864  ; 
Espina  à  Moulin,  Sousse,  23  juillet  1865  (dép.  publiées  par  P.  Grandchamp.  Documents  relatifs  à  la  révolution 
de  1864  en  Tunisie,  vol.  1,  p.  246,  et  2,  pp.  210  et  371). 

122  MERLATO  (Giovanni-Gasparo),  né  à  Lussin-Piccolo,  le  5  octobre  1798,  marié  à  Maria  Premuda,  remarié  à 
Tunis,  le  4  mai  1853  avec  Maria  Anna  Seipelt  (Reg.  Ste  Croix),  consul  général  dAutriche  à  Tunis,  de  1850  à 

1868. 

123  Arch.  Tun.  Carton  239. 

124  Arch.  Rome.  Dép.  de  Gambarotta.  Tunis,  18  février  1864. 


49 


50 


CHAPITRE  II 


LE  REGIME  POLITIQUE 


La  faiblesse  de  la  politique  étrangère  du  bey  traduisait  la  débilité  profonde  de 
la  Régence,  la  faiblesse  de  son  armée,  la  faiblesse  de  son  régime,  l'état  arriéré  de  son 
économie.  Le  gouvernement  tunisien  n'était  pas  en  état  de  résister  isolément  à  la  moindre 
pression  de  la  Turquie,  de  la  France  ou  d'une  quelconque  puissance  européenne.  Des 
réformes  avaient  été  entreprises  pour  doter  le  pays  de  ces  institutions  qui  paraissaient 
faire  la  force  des  Etats  européens.  Mais  ces  réformes,  menées  avec  plus  d'enthousiasme 
que  de  sens  pratique  par  Ahmed  Bey  et  ses  successeurs.  Mohammed  et  Mohammed  es 
Sadok,  n'avaient  abouti  qu'à  la  caricature  des  régimes  qu'elles  prétendaient  imiter.  Les 
institutions  nouvelles  n'avaient  pas  accru  les  forces  du  bey  ;  les  dépenses  inconsidérées 
qu'elles  avaient  occasionnées  avaient  seulement  engagé  le  pays  sur  la  voie  de  la  banque¬ 
route  financière,  elles  allaient  fournir  à  l'Europe  des  motifs  sérieux  pour  intervenir  dans 
les  affaires  tunisiennes. 

Pendant  longtemps,  les  princes  tunisiens  avaient  gouverné  à  la  turque,  avec  l'aide 
d'une  poignée  de  mamelouks,  renégats  chrétiens  d'origine  grecque  ou  circassienne 
élevés  au  palais,  et  d'aventuriers  italiens  venus  chercher  fortune  à  la  cour  tunisienne. 
Les  mamelouks  étaient  achetés  esclaves  sur  les  marchés  de  Constantinople  où  ils  étaient 
amenés  tout  enfants.  Ils  étaient  élevés  dans  la  religion  musulmane,  puis  affranchis  ;  la 
faveur  du  bey  pouvait  les  élever  aux  plus  hautes  fonctions.  La  dynastie  husseinite  était 
elle-même  d'origine  grecque  ;  Mustapha,  le  premier  ministre,  était  un  Grec  ;  ses  gendres 
étaient  Circassiens  ;  presque  tous  les  dignitaires  de  la  Cour  étaient  Grecs  ou  Circassiens. 
C'est  parmi  ces  mamelouks  que  le  bey  choisissait  à  son  gré  ministres  et  favoris.  Les  plus 
heureux  devenaient  parents  du  prince  qui  leur  donnait  en  mariage  ses  sœurs  ou  ses 
filles.  Mais  si  l'ascension  des  favoris  pouvait  être  rapide,  leur  chute  était  plus  brutale 
encore  ;  la  faveur  du  bey  était  changeante  ;  les  favoris  payaient  leur  disgrâce  de  leur 
éloignement  ou  de  leur  vie. 

«Le  gouvernement  de  Tunis  est  maintenant  le  plus  simple  et  le  moins  embarrassé 
qui  se  puisse  voir»...,  écrivait  en  1853  un  ancien  vice-consul  de  France  à  Sousse,  Péllissier 
de  Reynaud.  «Le  prince  qui  porte  le  titre  de  bey  pacha  exerce  le  despotisme  pur  dégagé 
de  tout  frein  ;  aucune  forme  consacrée  par  l'usage,  rendue  solennelle  par  la  tradition, 
ne  gêne  l'exercice  de  sa  volonté  souveraine.  On  ne  voit  pas  auprès  de  lui  de  divan 


51 


régulièrement  organisé  pour  examiner  les  affaires  de  l'état,  et  donner  au  moins  son  avis. 
Lorsqu'il  croit  devoir  consulter  d'autres  lumières  que  les  siennes,  ce  qui  arrive  rarement, 
il  réunit  un  conseil  privé  où  il  appelle  qui  bon  lui  semble.  On  peut  même  dire  qu'il  n'a  pas 
de  ministres  ;  car  il  a  la  prétention  de  tout  faire  par  lui-même,  ce  qui  n'est  pas  toujours 
le  moyen  de  faire  bien  ni  beaucoup.  On  voit  cependant  à  sa  cour  quelques  personnages 
que  l'on  pourrait  prendre  pour  des  ministres,  et  qui  en  seraient  en  effet,  si  des  fonctions 
réelles  étaient  attachées  à  leurs  titres.  Tels  sont  le  Sahab  taba  (maître  du  cachetjb  sorte 
de  grand  vizir  ;  le  Khasnadar^  ou  trésorier,  et  l'aga^  ou  général  commandant  les  troupes»"^. 
Le  bach  khâtîb^,  ou  premier  secrétaire,  était  chargé  de  la  correspondance  avec  les  caïds. 
11  y  avait  encore  une  sorte  de  ministre  des  Affaires  étrangères,  un  ministre  de  la  Marine 
en  la  personne  du  caïd  de  La  Goulette  à  qui  revenait  l'entretien  de  la  flotte  beylicale. 

Tous  ces  personnages  étaient  surtout  des  dignitaires  de  cour.  Leurs  attributions 
n'avaient  rien  de  précis,  leur  autorité  dépendait  de  la  personnalité  du  bey  qui,  au  gré 
des  circonstances,  leur  confiait  les  missions  les  plus  diverses.  Tantôt  ambassadeurs 
à  l'étranger,  tantôt  chargés  d'assister  le  prince  de  leurs  conseils  ou  de  mener  une 
inspection  dans  l'intérieur,  ces  ministres  se  distinguaient  mal  des  autres  familiers  du 
palais.  Le  bey  se  réservait  toujours  les  décisions  les  plus  importantes  et  c'était  au  prince 
héritier,  le  bey  du  camp,  que  revenait  habituellement  la  mission  de  commander  le  camp, 
la  petite  expédition  chargée  de  la  perception  des  impôts  dans  les  provinces  éloignées. 
Seul,  le  garde  du  sceau  beylical,  le  sahib  et-tabâa,  disposait  d'une  autorité  plus  étendue. 
11  était  le  ministre,  le  conseiller  par  excellence,  celui  auquel  le  prince  déléguait  une 
partie  de  son  pouvoir  en  lui  confiant  le  sceau,  marque  de  son  autorité.  Les  consuls 
traitaient  d'ordinaire  avec  lui  ;  aussi,  lui  décernaient  -  ils  assez  volontiers  un  titre  de 
grand  vizir  ou  de  premier  ministre  qu'il  n'avait  jamais  officiellement  porté.  Qr,  depuis 
la  chute  de  Chakir  Sahib  et  -  Tabâa  et  l'avènement  d'Ahmed  Bey,  en  1837,  les  fonctions 
de  chancelier  tendaient  à  devenir  purement  honorifiques.  C'était  le  trésorier,  Mustapha 
Khaznadar,  qui  s'était  poussé  au  premier  plan  sans  que  la  forme  du  gouvernement  en 
fût  modifiée. 

Mais,  vers  1860,  la  situation  pouvait  apparaître  toute  dîfférente.  Depuîs  quelques 
années,  Tunis  était  le  centre  d'une  activité  réformatrice  Intense  :  ministres  et  hauts 
dignitaires,  réunis  en  commission,  étudiaient,  compilaient  les  projets  qui  devaient 
radicalement  transformer  le  pays.  La  mise  au  point  d'une  constitution  tunisienne,  en 
juin  1860,  semblait  mettre  le  terme  à  un  régime  séculaire  d'arbitraire  et  de  despotisme 
oriental. 

Dès  1856,  les  consuls  d'Angleterre  et  de  France  avalent  conseillé  au  bey  Mohammed 
d'adopter  ou  d'adapter  les  réformes  Inaugurées  à  Constantinople,  d'accorder  à  ses 
sujets  non  musulmans  les  dispositions  libérales  du  hatti  humayoun  turc  de  février  1856. 
L'évolution  avait  été  précipitée  par  un  Incident  qui  avait  fait  scandale  dans  les  cours 
européennes,  l'exécution  sommaire  de  Samuel  Sfez,  en  juin  1857. 


1  Sahib  et-tabâa. 

2  jb  Les  Européens  écrivaient  généralement  Khaznadar. 

3  Agha  ou,  plutôt,  bach  agha  (Ltl  jIiL]. 

4  Pellissier  de  Reynaud  :  Description  de  la  Régence  de  Tunis  1853,  pp.  11  et  12. 

5  (^LS  ji»L)  il  ne  semble  pas  que  ce  personnage  ait  joué,  à  cette  époque,  à  la  cour  de  Tunis,  le  rôle  que  lui  prête 
Pellissier  de  Reynaud  dans  son  ouvrage  précité  :  «Dans  une  administration  ainsi  réglée,  si  quelqu'un  exerce 
une  influence  constante  sur  la  marche  des  affaires  ce  ne  peut  être  que  celui  qui  est  chargé  de  la  rédaction 
des  dépêches  ;  aussi,  après  le  bey,  je  ne  vois  pas  d'autre  personnage  politique  à  la  cour  de  Tunis  que  le  Bach 
Kateb  ou  premier  secrétaire»,  (p.  12). 


52 


Sfez  était  un  charretier  juif  qui,  étant  ivre,  avait  renversé  dans  une  rue  de  Tunis  un 
enfant  musulman.  Assailli  par  la  foule,  il  avait  répondu  par  des  injures  et  des  blasphèmes, 
maudit  publiquement  le  nom  du  bey  et  la  religion  de  ITslam.  Traduit  aussitôt  devant  le 
tribunal  du  Charâa,  (&)-")<  il  avait  été  condamné  à  mort,  et  malgré  les  efforts  des  consuls 
de  France  et  d'Angleterre  qui  demandaient  du  moins  un  sursis,  le  bey  avait  fait  exécuter 
la  sentence.  Sfez  avait  été  décapité  dans  les  vingt-quatre  heures*’. 

L'affaire  était  grave.  Wood  assurait  qu'il  fallait  remonter  soixante  ans  en  arrière  pour 
lui  trouver  un  précédent^.  Dans  Tunis,  l'émotion  était  à  son  comble.  L'exécution  avait 
provoqué  une  explosion  de  fanatisme  populaire.  Des  bandes  armées  de  bâtons  s'étaient 
précipitées  dans  le  ghetto,  maltraitant  les  Juifs,  pillant  leurs  boutiques.  Terrorisés,  les 
Juifs  se  barricadaient  chez  eux,  tandis  que  les  Européens  s'armaient  pour  résister  à 
une  invasion  du  quartier  franc.  Les  résidents  étrangers  rédigèrent  des  adresses  à  leurs 
gouvernements  réclamant  des  mesures  pour  prévenir  le  retour  de  faits  semblables. 
Dans  l'affaire,  pourtant,  la  légalité  avait  été  strictement  respectée,  les  consuls  devaient 
le  reconnaître.  Samuel  Sfez  Juif  indigène,  était  sujet  tunisien.  C'est  à  ce  titre  qu'il  avait 
été  traduit  devant  le  Charâa,  tribunal  religieux  qui  groupait  les  muftis  et  cadis  des  deux 
rites  hanéfite  et  malékite,  sous  la  présidence  du  cheikh  el  Islam,  Mohammed  Beyram, 
beau-frère  du  bey  Mohammed®.  Le  Charâa  était  chargé  de  connaitre  de  toutes  les 
affaires  concernant  la  religion,  le  statut  personnel,  les  biens  habous.  La  justice  du  bey 
et  de  ses  agents  ne  concernait  que  les  affaires  strictement  temporelles  ;  encore  pouvait- 
on  saisir  le  Charâa  de  toutes  les  affaires  où  un  serment  avait  été  prononcé.  11  pouvait  y 
avoir  conflit  dans  bien  des  cas  ;  mais  l'affaire  Sfez  ne  pouvait  relever  que  du  Charâa,  et 
la  loi  religieuse  issue  du  Coran  et  des  commentaires  orthodoxes  ne  connaissait  pour 
les  blasphémateurs  d'autre  châtiment  que  la  mort.  Mais  si  ces  dispositions  rigoureuses 
avaient  toujours  force  légale,  elles  paraissaient  tombées  en  désuétude  par  une  longue 
prescription.  «Je  connais  la  loi  musulmane,  illustre  Seigneur»,  avait  dit  Léon  Roches.  «Le 
blasphème  est  défendu  sous  peine  de  mort,  et  à  chaque  instant  mon  oreille  est  blessée 
par  les  blasphèmes  des  Musulmans.  L'homme  ou  la  femme  adultère  doivent  être  lapidés 
ou  noyés,  et  l'adultère  est  l'état  permanent  du  tiers  de  vos  sujets... L'ivresse  est  défendue, 
et  il  est  impossible  de  faire  un  pas  dans  la  ville  sans  rencontrer  un  musulman  ivre»...^. 

La  rapidité  avec  laquelle  l'affaire  Sfez  s'était  dénouée  témoignait  surtout  que  le 
bey  avait  cédé  à  la  pression  de  ses  conseillers  les  plus  fanatiques,  de  son  beau-frère,  le 
grand  mufti  et  cheikh  el  Islam.  Mais  elle  pouvait  constituer  un  précédent  dangereux. 
Pour  éviter  le  retour  de  telles  pratiques,  la  seule  solution  était  d'obtenir  la  modification 
de  la  législation  tunisienne. 

De  Paris  et  de  Londres,  des  instructions  parvinrent  à  Roches  et  à  Wood  leur 
prescrivant  de  faire  des  remontrances  au  bey  au  sujet  de  l'exécution,  et  de  s'associer  pour 
obtenir,  comme  en  Turquie,  l'établissement  de  tribunaux  mixtes  soustraits  à  l'application 


6  F.  0.102/53.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  30  juin  1857. 

A.  E.  Tunis,  vol.  17.  Roches  à  Walewski.  La  Marsa,  29  juin  1857. 

7  En  1844,  toutefois,  Paolo  Xuereb,  «un  Maltais  que  la  vengeance  du  consul  anglais  avait  livré  au  tribunal 
religieux  du  bey»,  n'avait  échappé  à  l'exécution  capitale  que  sur  l'intervention  énergique  du  consul  de 
France,  de  Lagau  (Ch.  Commerce.  Arch.  Mod.  Série  O.N.  Tunisie  :  Van  Gaver  :  au  président  de  la  Chambre. 
Tunis,  17  avril  1844). 

8  BEYRAM  IV  (Mohammed  ben  Mohammed)  descendant  d'une  grande  famille  dont  l'ancêtre  avait  participé 
à  la  reconquête  turque  de  Tunis,  au  XVP*"®  siècle,  et  qui,  depuis  plusieurs  générations  alternait  avec  les  Bel 
Khodja  dans  les  fonctions  de  cheikh  el  Islam.  De  mufti  hanéfite,  Beyram  IV  devint  cheikh  el  Islam  à  la  mort 
de  son  père  et  homonyme,  Beyram  III  en  avril  1843.  Il  mourut  à  Tunis,  le  7  novembre  1861. 

9  A.  E.  Tunis,  vol.  17.  Roches  à  Walewski.  La  Marsa,  29  juin  1857. 


53 


étroite  du  Corani**.  ^Angleterre  conseillait  au  bey  de  mettre  en  vigueur  le  hatt-i  humayoun 
ottoman.  La  France,  pour  des  raisons  de  politique  générale,  ne  pouvait  souhaiter 
l'application  dans  la  Régence  de  textes  émanant  de  l'autorité  souveraine  du  Sultan. 
Walewski,  reprenant  les  suggestions  de  Léon  Roches,  conseillait  au  bey  de  s'inspirer 
des  réformes  réalisées  en  Turquie  pour  établir,  de  sa  propre  autorité,  un  système  de 
tribunaux  qui  offriraient  les  mêmes  garanties.  En  même  temps,  les  deux  consuls,  faisant 
droit  aux  réclamations  de  leurs  nationaux,  insistaient  auprès  du  bey  afin  d'obtenir  la 
pleine  liberté  de  commerce  et  de  mettre  fin  à  l'accaparement  des  produits  locaux  auquel 
tendait  de  plus  en  plus  le  gouvernement  tunisien^.  Pour  appuyer  ces  recommandations, 
l'escadre  française  de  Méditerranée  sous  le  commandement  du  vice-amiral  Tréhouart 
arrivait  le  31  août  en  rade  de  La  Goulette,  pour  une  visite  «de  courtoisie». 

Le  bey  s'empressa  aussitôt  de  satisfaire  aux  recommandations  des  grandes 
puissances.  Il  promit  d'éviter  à  l'avenir  le  retour  d'événements  semblables  et  s'engagea 
à  procéder  à  d'importantes  réformes.  Par  un  rescrit  du  12  août  1857,  il  annonçait  la 
formation  de  deux  divans  ou  tribunaux  et  d'une  commission  chargée  d'élaborer  un 
codei2  Léon  Roches  proposait  au  prince  un  projet  d'ordonnance  ;  il  faisait  demander 
pour  le  premier  ministre  le  texte  du  hatt-i  chérifde  Gul-Hané,  du  hatt-i  humayoun  et  de 
tous  les  codes  récemment  publiés  à  Constantinople.  Dans  une  note  remise  au  bey  le  7 
septembre  1857,  il  prenait  acte  des  déclarations  du  bey  d'établir  des  tribunaux  criminels 
et  commerciaux,  d'accorder  à  tous  ses  sujets  Légalité  civique  et  religieuse,  la  liberté  de 
commerce,  et  d'étendre  aux  étrangers  le  droit  d'accéder  à  la  propriété  et  d'exercer  toute 
espèce  d'industrie  dans  la  Régence,  en  se  soumettant  à  la  loi  locale^^. 

Le  9  septembre  1857,  devant  une  assemblée  de  tous  les  dignitaires  du  pays. 
Mohammed  Bey  proclamait  solennellement  son  intention  d'accorder  une  constitution 
à  son  peuple.  Il  énonçait  les  grands  principes  d'un  Pacte  fondamental  qui  devait  lier  le 
souverain  à  ses  sujets  et  servir  de  base  à  la  constitution.  Le  Pacte  fondamental,  véritable 
déclaration  des  droits,  proclamait  la  sécurité  complète  de  la  vie  et  de  la  propriété  des 
habitants  de  la  Régence,  l'égalité  devant  la  loi  et  devant  l'impôt,  la  liberté  de  religion,  la 
limitation  delà  durée  du  service  militaire.  Il  annonçait  la  création  de  tribunaux  mixtes,  oû 
la  minorité  juive  serait  représentée  ;  il  abolissait  les  privilèges  accordés  aux  Musulmans, 
les  restrictions  apportées  à  la  liberté  du  commerce,  les  monopoles,  et  accordait  enfin  aux 
étrangers  le  droit  d'accéder  à  la  propriété  et  d'exercer  tous  les  métiers  dans  la  Régence^^. 
Tel  qu'il  était,  le  Pacte  fondamental  reproduisait  très  exactement  le  hatt-i  chérifde  Gul- 
Hané  proclamé  en  1839  par  le  sultan,  et  que  le  bey  Ahmed  avait  refusé  d'appliquer  dans 
ses  Etats^s. 


10  Ihid.  Du  même  au  même.  Tunis,  15  juillet  1857. 

Ihid.  Walewski  à  Roches.  Paris,  20  juillet  1857. 

F.  0.  102/53.  Clarendon  à  Wood.F.O.  11  juillet  1857. 

11  F.  0.  102/53.  Clarendon  à  Wood.F.O.  7  août  1857. 

12  Commission  de  dix  membres  sous  la  présidence  du  premier  ministre,  Mustapha  Khaznadar,  qui  comprenait 
Mustapha  bach  Agha,  ministre  de  la  Guerre,  Khérédine,  ministre  de  la  Marine,  Ismaïl  Sahib  et-Tabâa,  garde 
des  sceaux,  le  général  Mohammed  caïd  de  FArad,  Ahmed  ben  Dhiaf,  secrétaire  du  gouvernement,  et  les 
quatre  muftis  de  Tunis.  Mais  ces  derniers  ne  tardèrent  pas  à  se  faire  dispenser  d'assister  aux  séances.  (Ben 
Dhiaf,  chap.  VII,  année  1274,). 

13  A.  E.  Tunis,  vol.  17.  Note  remise  le  7  septembre  à  S.A.  par  Léon  Roches. 

Annexe  à  dépêche  du  8  septembre  1857. 

14  Ihid.  Roches  à  Walewski.  La  Marsa,  9  septembre  1857. 

F.  0.102/53.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  10  septembre  1857. 

15  Fitoussi-Bénezet  :  L'Etat  tunisien  et  le  protectorat  français...  Paris  1931  tome  1,  p.  63. 

Ben  Dhiaf  Chap.  VII,  année  1273. 


54 


Les  premières  réformes  n'allaient  pas  tarder  :  en  octobre  1857,  le  monopole 
général  des  presses  à  huile  était  aboli,  le  cabotage  entre  les  ports  de  la  Régence  autorisé, 
même  pour  les  étrangers.  Les  Israélites  obtenaient  le  droit  d'acquérir  des  terres,  les 
interdictions  vestimentaires  comme  celle  du  bonnet  rouge  étaient  levées  pour  eux.  Les 
codes  turcs  étaient  à  l'étude  ;  pour  élaborer  la  constitution  tunisienne,  le  bey  désigna 
en  novembre  une  commission  dirigée  par  le  premier  ministre.  Sur  les  suggestions  du 
consul  d'Angleterre,  un  conseil  municipal  était  créé  à  Tunis  en  août  1858.  Le  décret  du 
20  moharrem  1275  =  30  août  1858  instituait  un  conseil  de  quinze  membres  désigné 
par  le  bey,  renouvelable  par  tiers  tous  les  ans,  que  dirigeait  un  président  assisté  d'un 
vice-président.  Un  règlement  municipal  prévoyait  l'entretien  des  bâtiments  publics, 
l'organisation  d'un  service  de  voirie,  la  mise  en  ordre  de  la  circulation^®. 

Cette  réforme  municipale  devait  être  le  prélude  d'autres  réformes  plus  importantes, 
mais  la  belle  activité  qui  avait  régné  pendant  près  d'un  an  au  Bardo  finit  par  s'assoupir.  En 
dépit  des  assurances  de  Léon  Roches  qui  témoignait  toujours  de  la  volonté  réformatrice 
du  bey  et  de  ses  ministres,  la  rédaction  des  codes  n'avançait  plus.  En  mars  1859,  Wood 
envoyait  au  bey  un  mémorandum  pour  lui  rappeler  la  nécessité  de  réformes  judiciaires 
et  lui  suggérer  la  création  d'un  conseil  d'Etat  ou  d'un  sénat  pour  l'assister  dans  son 
gouvernement.  De  Paris,  le  ministre  des  Affaires  étrangères,  Walewski,  se  plaignait  des 
retards  apportés  à  l'exécution  des  engagements  du  Pacte  fondamental^^.  En  septembre 
1859,  Mohammed  bey  s'alitait  pour  ne  plus  se  relever.  Son  frère  et  successeur,  Mohamed 
es  Sadok  prêtait  serment  à  la  constitution  et  promettait  solennellement  de  poursuivre 
l'œuvre  entreprise  par  son  frère.  Wood  l'y  poussait,  revenait  sur  la  nécessité  de  rédiger 
des  codes  et  de  créer  une  assemblée  délibérante^*. 

Au  printemps  de  1860,  une  nouvelle  série  de  réformes  aboutissait  enfin.  Le  12  mars, 
le  bey  promulguait  une  loi  sur  le  recrutement;  trois  décrets  de  février  1860  établissaient 
l'organisation  intérieure  des  ministères  tunisiens,  un  décret  du  10  avril  1860  précisait 
leurs  attributions^®.  La  commission  des  projets  continuait  cependant  de  compiler  les 
codes  et  les  articles  de  la  constitution. 

Le  juillet  1860,  Léon  Roches  annonçait  que  le  grand  travail  de  rédaction  était 
enfin  terminé.  Le  consul  était  invité  par  le  bey  à  étudier  les  textes  originaux,  à  présenter 
ses  observations  et  à  collaborer  à  la  rédaction  d'un  texte  français  de  la  constitution.  Le 
bey  avait  demandé  à  rendre  visite  à  Napoléon  III  à  l'occasion  du  voyage  que  l'empereur 
projetait  de  faire  en  Algérie,  à  la  fin  de  l'été.  Le  17  septembre  1860,  à  Alger,  le  bey 
remettait  solennellement  à  l'Empereur  un  exemplaire  richement  relié  de  la  constitution 
et  des  codes  qu'il  avait  fait  préparer. 

Proclamée  en  janvier  1861,  la  Constitution  était  mise  en  vigueur  le  23  avril  suivant, 
le  24,  le  bey  ouvrait  solennellement  le  Grand  Conseil  et  le  Tribunal  de  Tunis. 

I  -  La  Constitution  de  1861 

La  Constitution  établissait  un  partage  du  pouvoir  entre  le  bey  et  ses  ministres,  et  un 
Grand  Conseipo  disposant  des  plus  larges  prérogatives^!. 


16  F.  0.102/55.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  17  Juillet  et  3  septembre  1858. 

17  A.  E.Tunis,  vol  18,  Walewski  à  Roches.  Paris,  6  avril  1859. 

18  F.  0 . 1 0 2/6 0  Wood  à  Russell.  Tunis,  17  février  1860. 

19  La  hiérarchie  des  fonctionnaires  établie  par  Ahmed  Bey  qui  rangeait  les  serviteurs  de  l'Etat  en  six  classes 
assimilées  aux  grades  militaires  de  commandant  à  général  de  division,  était  confirmée  par  la  Constitution. 
Chap.  X,  art. 77 

20  Léon  Roches  le  désignait  également  sous  le  nom  de  Conseil  Suprême. 

21  Le  texte  de  la  Constitution  était  transmis  in  extenso  (13  chapitres  et  114  articles)  par  Léon  Roches, 
avec  ses  observations  personnelles  dans  sa  dépêche  du  21  octobre  1860  (A.  E.  Tunis,  vol  20,  Roches  à 


55 


Le  bey,  souverain  héréditaire,  accédait  au  trône  «selon  la  coutume  établie  dans  la 
famille  husseinite»  (art.  1).  11  conservait  son  droit  de  tutelle  sur  tous  les  membres  de 
famille,  son  pouvoir  de  les  juger  éventuellement  devant  une  commission  spéciale  (art. 
4  à  8).  Le  bey  devait  lors  de  son  avènement  prêter  serment  de  fidélité  à  la  Constitution, 
il  ne  pouvait  agir  sans  le  concours  de  ses  ministres  ;  il  était  responsable  de  ses  actes 
anticonstitutionnels  devant  le  Grand  Conseil  qui  pouvait  le  déposer  (art.  9  et  20).  Le 
souverain  ne  pouvait  plus  disposer  à  son  gré  des  revenus  de  l'Etat  :  une  liste  civile  de 
douze  cent  mille  piastres  lui  était  attribuée  pour  l'entretien  de  sa  cour;  des  pensions 
étaient  prévues  pour  les  princes  de  sa  famille  (art.  29  et  30). 

Le  bey  avait  le  libre  choix  de  ses  ministres.  «Ceux-ci  agissent  avec  [son]  autorisation, 
et  répondent  pour  lui.  Ils  sont  responsables  devant  le  Grand  Conseil  (art.  20)  qui  peut 
les  juger  (art.  70).  «Chaque  ministre  contresigne  de  sa  main  en  ce  qui  concerne  son 
département  les  ordres  donnés  par  le  bey»  (art.  38).  La  Constitution  ne  précisait  ni  le 
nombre  ni  les  attributions  des  départements  ministériels,  mais  les  règlements  de  février 
et  avril  1850  avaient  prévu  leur  organisation.  Le  premier  ministre  exerçait  conjointement 
les  fonctions  de  ministre  de  l'Intérieur,  des  Affaires  étrangères,  des  Finances  et  de  la 
Comptabilité.  Quatre  directeurs,  responsables  devant  lui  seul,  étaient  placés  par  lui  à  la 
tête  de  chacun  de  ces  départements.  Deux  ministres  seulement  conservaient  quelque 
autonomie,  ceux  de  la  Guerre  et  de  la  Marine  auquel  était  rattaché  le  caïdat  de  La 
Goulette. 

Le  Grand  Conseil  était  formé  de  soixante  conseillers  d'Etat  au  plus,  nommés  pour 
cinq  ans  et  renouvelés  par  cinquième  tous  les  ans.  Un  tiers  d'entre  eux  étaient  choisis 
parmi  les  ministres,  les  hauts  fonctionnaires  et  les  officiers  supérieurs,  les  autres  parmi 
les  notables.  Pour  la  première  fois,  ils  devaient  être  désignés  par  le  bey  et  ses  ministres 
mais,  dès  son  entrée  en  fonctions,  le  Grand  Conseil  devait  établir,  de  concert  avec  le 
souverain,  une  liste  complémentaire  de  quarante  notables.  A  l'expiration  de  leur  mandat, 
les  conseillers  fonctionnaires  seraient  remplacés  par  les  soins  du  bey  et  de  ses  ministres, 
les  notables  par  d'autres  notables  tirés  au  sort  dans  la  liste  des  quarante. 

Le  bey  désignait  le  président  et  le  vice-président  de  l'assemblée.  Un  conseil  de 
douze  membres  dont  le  président  était  également  choisi  par  le  souverain,  était  chargé 
d'expédier  les  affaires  courantes  et  de  préparer  le  travail  du  Grand  Conseil.  Les  décisions 
de  l'Assemblée  étaient  prises  à  la  majorité  simple,  le  quorum  exigé  étant  de  quarante 
membres.  Le  conseil  devait  se  réunir  au  palais  de  Dar  el  Bey  à  Tunis  et  siéger  toutes  les 
semaines,  le  jeudi  après-midi. 

Les  conseillers  d'Etat  exerçaient  gratuitement  leur  mandat.  Ils  étaient  inamovibles 
pendant  cinq  ans,  sauf  dans  le  cas  «d'un  acte  répréhensible  constaté  en  conseil».  Ils 
étaient  rééligibles  (art.  44  à  59  -67  à  69). 

La  Constitution  partageait  également  le  pouvoir  législatif  entre  le  bey  et  l'assemblée. 
«Le  concours  du  Grand  Conseil»,  précisait  l'article  63,  «est  indispensable  pour  toutes  les 
dispositions  énoncées  ci-dessous  :  faire  de  nouvelles  lois  ;  changer  une  loi  ;...  augmenter 
ou  diminuer  les  traitements  ou  les  dépenses  quels  qu'ils  soient,  augmenter  l'armée,  son 
matériel  ou  celui  de  la  marine  ;  l'introduction  d'une  nouvelle  industrie  et  de  toute  chose 
nouvelle  ;  faire  quoi  que  ce  soit  qui  n'ait  pas  encore  existé,  révoquer  un  fonctionnaire 


Thouvenel  ;  Mém.  et  Doc.,  vol. 8,  note  36.  Egalement  F.  0.102/60.  Wood  à  Russel,  Tunis  15  novembre  1860). 
Cette  constitution  a  été  analysée  dans  la  première  partie  de  la  thèse  de  doctorat  en  droit  de  Fitoussi  Bénazet 
l'Etat  tunisien  et  le  protectorat  français,  op.  cit.  pp.  52-117. 


56 


coupable...  interpréter  la  loi».  Les  lois  ordinaires  présentées  par  le  bey  au  Grand  Conseil, 
ou  par  le  Grand  Conseil  au  bey  ne  devenaient  exécutoires  qu'après  un  vote  favorable 
de  l'assemblée,  et  la  sanction  beylicale.  En  matière  budgétaire,  rinitiative  appartenait 
au  souverain  :  chaque  année,  le  directeur  des  Finances  devait  présenter  au  premier 
ministre  le  budget  de  l'Etat,  qui  était  soumis  à  l'approbation  du  Grand  Conseil  (art.  64, 
74  à  77). 

Le  pouvoir  exécutif  revenait  sans  partage  au  souverain  et  à  ses  ministres.  «Le  bey 
commande  les  forces  de  terre  et  de  mer,  déclare  la  guerre,  fait  les  traités»  (art  13)  ;  il 
confère  et  retire  les  grandes  charges  de  l'Etat,  dispose  du  droit  de  grâce,  «il  nomme  à 
tous  les  emplois  et  fait  les  règlements  et  ordonnances  nécessaires  pour  l'exécution  des 
lois»  (art.  16).  Toutefois,  selon  l'article  63,  la  révocation  d'un  fonctionnaire  coupable 
devait  être  soumise  à  l'approbation  de  l'assemblée. 

Mais  le  Grand  Conseil,  gardien  de  la  Constitution,  avait  aussi  les  attributions  d'un 
Sénat  conservateur.  «Le  Grand  Conseil  est  le  gardien  des  traités  et  des  lois,  et  le  protecteur 
des  droits  de  tous  les  habitants,  il  s'oppose  à  toute  atteinte  et  infraction  à  la  Constitution 
et  empêche  tout  ce  qui  est  contraire  au  principe  de  l'égalité  de  tous  devant  la  loi»  (art. 
60).  Ce  pouvoir  constituant  faisait  du  Grand  Conseil  une  assemblée  souveraine  qui 
tranchait  en  dernier  ressort  de  ses  conflits  avec  l'exécutif.  Nul  conseiller  ne  pouvait  être 
jugé  que  par  ses  pairs.  Mais  les  ministres  et  le  bey  lui-même  pouvaient  être  traduits 
devant  l'assemblée.  On  ne  pouvait  définir  d'une  façon  plus  nette  la  dépendance  du 
pouvoir  exécutif  vis-à-vis  du  Grand  Conseil. 

La  justice  était  rendue  au  nom  du  bey,  mais  le  pouvoir  judiciaire  échappait 
complètement  à  son  action.  Délits  et  contraventions  mineures  restaient  du  domaine 
des  autorités  traditionnelles,  le  caïd  dans  les  provinces,  le  chef  des  Zaptiés  à  Tunis,  qui 
présidaient  des  tribunaux  de  police  pour  en  juger  (art.  22).  Dix  tribunaux  de  première 
instance  jugeant  au  criminel  aussi  bien  qu'au  civil  étaient  chargés  de  connaître  «de 
toutes  les  affaires,  excepté  les  affaires  commerciales  et  celles  de  l'armée».  (Art.  23).  Le 
tribunal  religieux  du  Charâa  subsistait  cependant,  mais  il  se  voyait  dépouillé  de  toutes 
les  attributions  qui  relevaient  de  la  justice  du  bey  et  non  de  la  justice  divine.  Le  tribunal 
de  Tunis  était  composé  d'un  président,  d'un  vice-président  et  de  treize  assesseurs  dont 
un  Israélite.  Ceux  de  province  se  réduisaient  à  sept  membres,  président,  vice-président 
et  cinq  assesseurs.  Tous  ces  juges  étaient  inamovibles  (art.  28).  La  compétence  des 
tribunaux  de  première  instance  était  régionale,  celle  du  tribunal  de  Tunis  s'étendait 
cependant  à  toute  la  Régence  ;  tout  demandeur  pouvait  l'en  saisir  quel  que  fût  le  domicile 
du  défendeur  et  l'endroit  où  le  litige  avait  été  soulevé. 

Les  affaires  commerciales  étaient  jugées  par  un  tribunal  de  Commerce  ;  les  délits 
militaires  relevaient  du  Conseil  de  guerre. 

Tous  ces  tribunaux  devaient  juger  d'après  les  prescriptions  de  codes  spécialement 
rédigés.  Leurs  décisions  étaient  susceptibles  d'appel  devant  une  cour  d'appel  unique 
siégeant  à  Tunis  et  dont  les  juges  étaient  également  inamovibles.  Le  Grand  Conseil  faisait 
office  de  Cour  de  cassation  (art.  60). 

Dans  ce  pays  qui  n'avait  connu  jusqu'alors  que  des  siècles  de  despotisme  oriental, 
la  Constitution  établissait  un  régime  inspiré  de  l'occident  qui  plaçait  au-dessus  du  bey 
lui-même  une  assemblée  investie  d'une  autorité  souveraine.  A  la  fois  Sénat  et  Assemblée 
législative,  le  Grand  Conseil  réunissait  encore  les  attributions  d'un  Conseil  d'Etat,  d'une 
Cour  des  Comptes,  d'une  Cour  de  Cassation  et  d'une  Haute  Cour  de  Justice.  S'il  collaborait 
avec  le  prince  et  ses  ministres  pour  la  confection  des  lois,  s'il  leur  laissait  le  pouvoir 


57 


exécutif,  il  les  réduisait  cependant  au  rôle  subalterne  d'organes  d'exécution  puisqu'il  se 
réservait  en  définitive  le  pouvoir  de  les  juger,  en  cas  de  conflit,  pour  des  manquements 
à  une  constitution  qu'il  était  seul  en  droit  d'interpréter. 

La  Constitution  consacrait  encore  l'effacement  du  bey  devant  l'autorité  d'un 
premier  ministre  gouvernant  à  sa  place  avec  les  collaborateurs  qu'il  s'était  choisis,  et  qui 
réunissait  en  sa  personne  les  attributions  d'un  cabinet  ministériel  presque  entier.  Ecarté 
du  pouvoir,  le  bey  était  réduit  aux  fonctions  presque  honorifiques  de  chef  de  l'Etat.  11 
n'était  plus  qu'un  souverain  constitutionnel  régnant  mais  ne  gouvernant  pas,  selon  la 
formule  parlementaire,  un  prince  à  qui  la  Constitution  refusait  jusqu'à  ce  rôle  d'arbitre 
que  les  textes  ou  les  usages  réservaient  aux  souverains  constitutionnels  d'Europe.  Car  la 
Constitution  de  1861  n'établissait  nullement  un  régime  parlementaire  :  elle  transférait 
les  pouvoirs  du  bey  à  un  sénat  oligarchique  recruté  par  cooptation,  où  l'élément 
administratif  devait  être  toujours  minoritaire. 

En  définitive  tout  dépendait  de  la  façon  dont  seraient  recrutés  les  grands  conseillers. 
En  faisant  participer  la  bourgeoisie  tunisienne  aux  affaires  de  l'Etat,  c'est  toute  une 
vie  politique  qui  pouvait  se  créer  dans  la  Régence,  qui  pouvait  préparer  le  pays  à  des 
transformations  plus  profondes.  Le  Grand  Conseil  pouvait  faire  place  quelque  jour  à  une 
assemblée  élue,  un  système  censitaire  pourrait  remplacer  l'étroit  principe  de  cooptation. 
Dotée  d'institutions  modernes,  la  Tunisie  semblait  pouvoir  évoluer  vers  un  système  de 
gouvernement  tempéré  à  l'occidentale,  où  les  responsabilités  du  pouvoir  reviendraient 
à  une  classe  bourgeoise  plus  ou  moins  élargie.  A  Londres,  à  Paris,  on  applaudissait  aux 
réformes  tunisiennes.  Les  consuls  de  France  et  d'Angleterre,  auxquels  s'étaientjoints  leurs 
collègues  d'Autriche  et  de  Sardaigne,  furent  chargés  de  présenter  officiellement  au  bey 
les  félicitations  de  leurs  gouvernements.  Léon  Roches  était  de  tous  le  plus  optimiste  ;  il  ne 
cessait  de  présenter  sous  les  plus  brillantes  couleurs  les  transformations  qui  s'opéraient 
à  la  Cour  de  Tunis.  Grâce  à  lui  les  décorations  pleuvaient  sur  les  hauts  fonctionnaires 
du  Bardo  :  les  croix  de  chevalier,  d'officier,  de  commandeur,  venaient  récompenser  les 
réformateurs  les  plus  zélés.  Mohammed  es  Sadok,  traité  magnifiquement  par  Napoléon 
111  à  Alger,  reçut  les  félicitations  officielles  de  l'Empereur,  ainsi  que  la  grand-croix  de  la 
Légion  d'honneur. 

Mais,  en  dépit  des  grands  principes  qu'ils  avaient  affichés,  les  conseillers  du 
bey  avaient  d'autres  soucis  que  de  promouvoir  à  Tunis  l'établissement  d'un  régime 
constitutionnel  libéral.  En  poussant  le  bey  à  instituer  le  Grand  Conseil,  le  premier 
ministre  ne  songeait  nullement  à  doter  la  Régence  d'une  assemblée  délibérante  chargée 
d'examiner  les  actes  du  gouvernement,  il  souhaitait  seulement  instituer  une  chambre 
d'enregistrement  docile  à  ses  volontés,  paravent  commode  derrière  lequel  il  pourrait 
se  retrancher  pour  résister  au  prince  au  besoin  ou  aux  consuls  européens.  Tout  en 
conservant  l'essentiel  de  ses  pouvoirs,  il  voulait  se  garantir  également  contre  une 
révocation  toujours  possible  après  l'avènement  d'un  nouveau  prince  :  c'est  à  lui  et  à 
ses  amis  qu'il  pensait  surtout  lorsqu'il  avait  fait  établir  la  charte  des  privilèges  et  des 
garanties  attachées  au  mandat  de  conseiller  d'Etat. 

La  désignation  des  conseillers  d'Etat  était,  à  elle  seule,  tout  un  programme.  Notables 
ou  fonctionnaires,  les  membres  du  Grand  Conseil  avaient  été  choisis  dans  la  clientèle  du 
premier  ministre,  fonctionnaires  dont  la  carrière  dépendait  de  son  bon  plaisir,  notables 
recrutés  parmi  ses  créatures,  l'entourage  de  ses  amis,  des  gens  dociles  et  peu  instruits 
des  affaires  de  l'Etat,  tout  un  aréopage  de  conseillers  séniles^^.  Ministres,  directeurs. 


22  Selon  M.  Karroui. 


58 


caïds  des  principales  tribus  étaient  entrés  ensemble  au  Grand  Conseil,  Sidi  Mustapha 
le  premier,  flanqué  de  son  gendre  Khérédine^^,  ministre  de  la  Marine  qu'il  avait  désigné 
pour  les  fonctions  de  Président^^,  Mustapha  Bach  Agha^s,  ministre  de  la  Guerre,  Ismaïl 
es  Sunni^fi,  le  garde  des  sceaux,  le  général  Mohammed^^,  caïd  du  Sahel,  le  général 
Fahrat^s,  agha  du  Kef,  le  général  Roustam^^,  commandant  de  la  garde  du  bey  et  gendre 


23  KHÉRÉDINE  ou  KHEREDDINE  Pacha  (selon  l’orthographe  adoptée  par  les  contemporains  et  par  l'intéressé  lui- 
même)  était  un  mamelouk  d'origine  circassienne,  né  entre  1825  et  1830.  Enlevé  très  jeune,  il  avait  été  vendu 
à  Constantinople  et  arriva  à  Tunis  vers  1840.  Il  fut  élevé  à  la  cour  et  devint  l'aide  de  camp  et  le  mignon  du  bey 
Ahmed  (Baronne  de  Billings  :  Le  baron  Robert  de  Billings...  Paris,  1895,  pp.  228-232)  et  fut  chargé  de  diverses 
missions  en  Europe  et  en  Turquie.  Il  devait  épouser  Jeannette,  une  fille  du  khaznadar,  qui  mourut  en  1870. 

De  1853  à  1856,  il  fut  chargé  de  soutenir  à  Paris  les  intérêts  du  gouvernement  tunisien  dans  un  procès 
engagé  contre  un  ancien  ministre  tunisien  réfugié  à  Paris,  le  caïd  Mahmoud  Benaïad.  En  janvier  1857,  il 
devint  ministre  de  la  Marine,  puis  président  du  Grand  Conseil  en  mai  1861,  mais  il  se  démit  de  ces  deux 
fonctions,  en  décembre  1862,  et  se  tint  plusieurs  années  à  l’écart  des  affaires. 

Nommé  président  de  la  Commission  financière  en  1869,  il  devint  ministre  dirigeant  en  janvier  1870,  et,  en 
1871,  au  cours  d'une  mission  à  Constantinople,  obtint  du  sultan  Abdulaziz,  un  firman  qui  régularisait  les 
relations  entre  la  Régence  et  la  Porte.  Khérédine  succéda  à  son  beau-père  Mustapha  Khaznadar  dont  il  avait 
provoqué  la  chute,  et  devint  premier  ministre  le  22  octobre  1873.  Son  administration  fut  bienfaisante,  mais 
Khérédine  succomba  devant  l'hostilité  de  l'entourage  du  bey  Mohammed  es  Sadok.  Il  dut  se  retirer  en  juillet 
1877. 

Appelé  à  Constantinople  par  le  sultan  Abdulhamid,  en  août  1878,  Khérédine  devint  grand  vizir  au  début  de 
décembre,  mais  donna  sa  démission  dès  juillet  1879.  Il  mourut  à  Constantinople  en  1889.  (RT.  1934.  A  mes 
enfants.  Mémoires  de  ma  vie  privée  et  politique  par  Kheredine  Pacha.  Documents  publiés  par  MM.  Mzali  et 
Pignon.  Correspondance  consulaire  anglaise,  française  et  italienne  ;  Ben  Dhiaf  passim). 

24  Le  premier  président  désigné  en  août  1860  fut  l’ancien  ministre  d' Ahmed  Bey,  Mustapha  Sahib  et-Tabâa,  qui 
mourut  en  juillet  1861,  quinze  jours  après  l’ouverture  des  séances.  Le  vice-président  Khérédine  lui  succéda 
alors. 

25  MUSTAPHA  BACH  AGHA,  beau-frère  d'Ahmed  Bey,  était  ministre  de  la  Guerre  depuis  le  début  du  règne  de  ce 
prince.  Il  exerça  en  outre  diverses  fonctions  notamment  celle  d’agha  du  Djérid,  au  moins  entre  1859  et  1862. 
Il  fut  chargé  d'une  mission  de  courtoisie,  de  mars  à  mai  1862,  à  Constantinople  ;  il  donna  sa  démission  de 
ministre  en  décembre  1862,  et  mourut  en  1866  ou  1867.  (Arch.  Tun.  Doss.  49,  carton  3...  note  sur  Mustapha 
Agha  -  Ben  Dhiaf  et  Corresp.  consulaire  française,  passim). 

26  ISMAIL  ES  SUNNI,  mamelouk  qui  devint  le  beau-frère  du  bey  Mohammed  et  fut  garde  des  sceaux  et  caïd  de 
Djerba  pendant  le  règne  de  ce  prince.  Nommé  président  du  Tribunal  de  Cassation  en  août  1860,  il  commanda 
une  expédition  militaire  pendant  la  révolte  de  1864,  mais  ne  tarda  pas  à  tomber  en  disgrâce  (août  1865)  et 
fut  étranglé  par  ordre  du  bey  Mohammed  es  Sadok,  le  5  octobre  1867.  Il  avait  alors  65  à  70  ans.  (Arch.  Tun. 
Doss.  50,  carton  3  -  Ben  Dhiaf  et  Corresp.  consulaire  française,  passim). 

27  MOHAMMED  KHAZNADAR,  mamelouk  d'origine  grecque,  né  vers  1810  dans  l'île  de  Cos.  Esclave  du  bey 
Hussein,  trésorier  de  Chakir  Sahib  et-Tabâa,  caïd  de  Sousse  et  Monastir  depuis  1838,  il  devait  se  maintenir 
pendant  cinquante  ans  à  un  poste  ou  à  un  autre  au  service  de  cinq  beys. 

En  novembre  1861,  il  était  nommé  ministre  de  l'Intérieur,  puis  ministre  de  la  Guerre  en  décembre  1862, 
ministre  de  la  Marine  en  septembre  1865,  ministre  de  l'Intérieur  à  nouveau  en  octobre  1873,  premier  ministre 
et  président  de  la  Commission  financière  du  22  juillet  1877  au  24  août  1878  ;  il  conservait  néanmoins  le 
titre  de  ministre  et  les  fonctions  de  conseiller  d'Etat  et  redevint  premier  ministre  le  12  septembre  1881.  Il 
se  retira  en  1883  et  mourut  à  La  Marsa,  le  22  juin  1889.  (A.  E.  Tunis,  vol.  44.  Note  de  Le  Brant.  La  Marsa,  23 
juillet  1877  et  passim,  Corresp.  consulaire  française) 

28  Le  général  MOHAMMED  FARHAT  était  un  mamelouk  qui  avait  été  élevé  par  Ahmed  Bey  au  rang  de  général  et 
aux  fonctions  de  commandant  de  sa  garde  personnelle.  En  septembre  1837,  il  avait  participé  à  l'arrestation 
du  ministre  Chakir.  Caïd  et  agha  du  Kef,  il  fut  président  du  Tribunal  criminel  de  Tunis  d'août  1860  à  mai 
1861.  Il  nommé  directeur  des  Affaires  étrangères  en  mai  1861,  fonctions  qu’il  abandonna  en  février  1862.  Il 
fut  tué  près  du  Kef  le  16  avril  1864,  par  une  bande  de  rebelles  au  début  de  l'insurrection  générale  de  1864. 
(Ben  Dhiaf  et  Corresp.  consulaire  française  et  anglaise,  passim). 

29  Le  général  ROUSTAM  était  un  mamelouk  d’origine  circassienne  qui  fut  élève  de  l'école  militaire  du  Bardo  et 
fut  nommé  commandant  de  la  garde  beylicale.  Il  devint  directeur  du  ministère  de  l'Intérieur  en  1860,  puis 
des  Affaires  étrangères,  en  février  1862,  et  fut  chargé  de  réprimer  la  révolte  dans  l’ouest  de  la  Régence  en 
1864  et  1865.  Ministre  de  l'Intérieur  en  septembre  1865,  il  fut  frappé  par  une  mesure  d'exil  en  1867,  et  ne 
revint  dans  la  Régence  qu'en  août  1870  pour  exercer  les  fonctions  de  ministre  de  la  Guerre  dont  il  se  démit 
en  août  1878.  Gendre  de  Mustapha  Khaznadar,  il  devait  épouser  en  1883  Mahbouba,  l'aînée  des  filles  de 
Khérédine  et  petite-fille  du  khaznadar.  Il  mourut  en  novembre  1886. 


59 


du  khaznadar,  le  général  Heussein^o,  directeur  des  Affaires  étrangères,  autre  gendre  du 
khaznadar,  le  général  Zarrouk^i,  conseiller  du  bey  du  camp,  représentaient  également 
la  partie  gouvernementale  du  Grand  Conseil.  Les  notables  avaient  été  recrutés  surtout 
parmi  les  cheikhs  des  zaouïas  et  des  confréries  religieuses,  les  chefs  de  quartiers  ou 
de  corporations,  les  familiers  des  ministres.  Pour  compléter  leur  nombre,  on  avait  fait 
appel  à  quelques  mamelouks  qui  n'étaient  pas  investis  de  fonctions  publiques^^ 

La  liste  des  conseillers  avait  été  judicieusement  établie  ;  les  séances  du  Grand  Conseil 
demeurèrent  toujours  étonnamment  calmes.  Quelques  mamelouks  seuls  prenaient  la 
parole.  La  majorité  de  l'assemblée  ne  disait  mot  et  constituait  une  masse  de  muets  mais 
fidèles  approbateurs.  Sans  doute  était-il  au  sein  du  Conseil  quelques  adversaires  de  la 
politique  suivie  par  le  khaznadar  que  celui-ci  n'avait  pas  cru  pouvoir  écarter,  en  raison 
de  leur  situation  à  la  cour.  Mustapha  Bach  Agha,  le  ministre  de  la  Guerre  s'était  montré 
hostile  aux  réformes,  il  faisait  figure  de  chef  d'un  petit  groupe  conservateur  qui,  à  la 
cour  s'appuyait  sur  les  muftis  et  surtout  sur  le  beau-frère  du  bey,  le  cheikh  el  islam. 
Mohammed  Beyram.  Mais  le  premier  ministre  pouvait  compter  sur  la  grande  majorité 
du  conseil,  ses  parents,  ses  amis,  les  clients  qu'il  s'était  faits  en  vingt  ans  de  vizirat  ; 
et  lors  même  que  la  division  se  fut  mise  au  sein  de  son  clan  d'amis  et  de  parents,  les 
adversaires  du  ministre  restèrent  isolés  au  Grand  Conseil  et  ne  devaient  avoir  d'autre 
ressource  que  de  démissionner  ou  de  cesser  d'y  siégeras. 

Le  personnel  ministériel  n'avait  guère  été  affecté  par  les  réformes.  Le  premier 
ministre  avait  conservé  ses  fonctions,  ainsi  que  son  gendre  Khérédine,  ministre  de  la 


30  Le  général  HEUSSEIN  (selon  l'orthographe  adoptée  par  l'intéressé)  était,  comme  Khérédine,  un  mamelouk 
d'origine  circassienne  et  le  gendre  du  khaznadar.  Elève  de  l'école  militaire  tunisienne,  il  accompagna  ensuite 
Khérédine  en  mission  à  Paris  de  1853  à  1856.  En  août  1858,  il  fut  nommé  président  de  la  municipalité  de 
Tunis,  directeur  des  Affaires  étrangères  en  mai  1860  ;  il  échangea  ces  dernières  fonctions,  en  mai  1861, 
contre  celles  du  président  du  Tribunal  civil  et  criminel  de  Tunis. 

Il  abandonna  la  présidence  du  tribunal  en  juillet-août  1863,  celle  de  la  municipalité,  en  septembre  1865, 
et  partit  pour  l'Europe  en  juin  1867.  Frappé  d'une  mesure  d'exil,  il  ne  revint  à  Tunis  qu'en  mai  1870.  Il  fut 
alors  nommé  conseiller  au  ministère  d'Etat,  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Travaux  publics  en 
novembre  1874,  fonctions  qu'il  devait  conserver  jusqu'à  l'établissement  du  protectorat.  Il  fut  chargé  de 
plusieurs  missions  en  Italie,  notamment  en  1871,  et  de  1873  a  1881  pour  la  liquidation  des  biens  du  caïd 
Nessim.  Il  mourut  le  27  juillet  1887.  (Arch.  Tun.  Corresp.  consulaire  française.  Ben  Dhiaf,  passim). 

31  Le  général  AHMED  Zarrouk,  esclave  affranchi  de  Larbi  Zarrouk  Khaznadar,  beau-frère  des  beys  Mohammed 
et  Mohammed  es  Sadok  dont  il  avait  épousé  la  sœur  Zeneiha,  était  conseiller  du  bey  du  camp  Hamouda.  Il  fut 
chargé  par  Mohammed  es  Sadok  en  1864  de  commander  un  camp  chargé  de  réprimer  l'insurrection  dans  le 
Sahel  et  l'Arad.  Après  sa  victoire,  il  devait  se  signaler  par  la  sévérité  de  sa  répression.  Nommé  caïd  de  Sousse 
et  Monastir  en  février  1865,  il  devint  ministre  de  la  Guerre  en  septembre  suivant. 

En  décembre  1869,  il  fut  destitué  de  ces  premières  fonctions  et  nommé  caïd  de  l'Arad  ;  en  août  1870,  il  dut 
abandonner  le  ministère  de  la  Guerre.  Il  revint  au  gouvernement  comme  ministre  de  la  Marine  d'août  1877 
à  mai  1881  et  mourut  peu  après.  (Corresp.  consulaire  française  et  anglaise,  passim). 

32  Aucun  Juif  ne  siégeait  au  Grand  Conseil.  Ben  Dhiaf  s'en  étonnait  :  «Les  Juifs  ne  font-ils  pas  partie  du  Royaume  ? 
Ne  s'en  trouve-t-il  point  parmi  eux  certains  dont  la  valeur  humaine  soit  parfaite  ?»  (L.  Bercher  :  En  marge 
du  pacte  fondamental.  Lettre  de  Ben  Dhiaf,  1^^^  juillet  1860.  R.T.  1939,  p.  70).  En  fait,  le  bach  khâtîb  pensait 
surtout  à  son  ami  Nessim  Samama,  caïd  des  Israélites  et  directeur  des  Finances  prévaricateur,  dont  il  vantait 
sans  réserve  les  mérites  dans  ses  chroniques.  Le  général  Heussein  lui  répondait  non  sans  pertinence  :  «Je 
demanderai  seulement  à  Votre  Excellence  quel  est  l'Etat  étranger  qui  pourrait  nous  faire  grief  de  ne 
point  admettre  un  Juif  à  ce  Conseil...  ?  Est-ce  l'Espagne  dont  nous  ne  savons  encore  si  elle  a  admis  ou  non 
l'entrée  des  Juifs  sur  son  territoire  ?  Est-ce  L'Italie  où,  à  notre  connaissance,  il  ne  se  trouve  jusqu'ici  aucun 
Juif  pourvu  d'une  charge  publique  ?  Est-ce  l'Autriche  ?  Sont-ce  les  Etats  d'Allemagne  où,  hier  encore,  les 
Juifs  se  distinguaient  par  le  port  de  bonnets  jaunes  ?  Est-ce  l'Angleterre  où  les  membres  de  la  Chambre  des 
Communes  sont,  depuis  plus  de  cinquante  ans,  divisés  sur  le  point  de  savoir  s'ils  admettent  un  Juif  au  sein 
de  la  Chambre  Haute  ?  Ou  bien  la  France  exigerait-elle  de  nous  que  le  dernier  stade  d'évolution  auquel  elle 
est  arrivée  soit  le  stade  initial  de  notre  évolution  ?»  {Ibid.  pp.  83-84). 

33  II  en  fut  ainsi  en  1862-1863  lorsque  les  généraux  Khérédine  et  Heussein  rompirent  avec  leur  beau-père. 

60 


Marine  depuis  1857,  et  Mustapha  Bach  Agha,  ministre  de  la  Guerre  depuis  1837.  Le  garde 
des  sceaux,  Ismaïl  es  Sunni,  gardait  ses  fonctions  honorifiques  et  son  rang  de  ministre.  Le 
général  Heussein  avait  été  élevé  au  poste  de  directeur  des  Affaires  étrangères  ;  un  Grec 
bien  en  cour  qui  exerçait  les  fonctions  d'interprète  auprès  du  bey,  Elias  Mussalli^^,  était 
devenu  sous-directeur  du  même  ministère.  Le  comte  Raffo  qui,  depuis  le  règne  d'Ahmed 
Bey,  conservait  au  moins  nominalement  le  titre  de  ministre  des  Affaires  étrangères  était 
définitivement  écarté.  Mais,  comme  les  anciens  ministres  du  bey,  il  gardait  le  titre  de 
ministre  honoraire  et  faisait  partie  du  Grand  Conseil.  Son  fils,  Félix  Raffo^s,  devenait 
sous-directeur  du  ministère.  Le  directeur  des  Finances  était  Mohammed  el  Aziz  hou 
Attour^fi,  créature  du  premier  ministre,  le  chef  de  la  comptabilité,  le  cheikh  Mohammed 
hou  Khriss.  Le  général  Mohammed,  caïd  de  Sousse  et  Monastir,  que,  pour  distinguer  de 
ses  homonymes,  on  désignait  sous  le  nom  de  Mohammed  Khaznadar,  parce  qu'il  avait  été 
trésorier  du  bey  Hussein,  était  directeur  du  ministère  de  l'Intérieur^^.  Le  cheikh  Ahmed 
ben  DhiaH®  se  maintenait  au  poste  de  premier  secrétaire  du  bey. 

Des  ministères  au  Grand  Conseil,  c'était  toujours  la  même  équipe  de  mamelouks  qui 
accaparait  toutes  les  fonctions,  cumulait  sans  pudeur  les  charges  les  plus  diverses.  Le 
gendre  du  premier  ministre,  le  général  Heussein,  était  à  la  fois  directeur  du  ministère  des 
Affaires  étrangères,  conseiller  d'Etat  et  président  de  la  municipalité.  S'il  démissionnait 
de  ces  premières  fonctions,  en  mai  1861,  c'était  pour  assumer  à  la  place  la  présidence 
du  Tribunal  criminel,  abandonnée  par  le  général  Fahrat.  Fahrat  qui  le  remplaçait  aux 
Affaires  étrangères,  était  en  même  temps  caïd  au  Kef  et  conseiller  d'Etat,  le  général 
Roustam,  conseiller  d'Etat,  directeur  de  l'Intérieur,  commandant  de  la  Garde  et  caïd  de 
deux  tribus,  le  général  Khérédine,  président  du  Grand  Conseil,  ministre  de  la  Marine  et 
caïd  de  La  Goulette. 


34  MUSSALLI  (Elias,  fils  de  Michel,  colonel  puis  général).  Grec  melchite  catholique  romain,  né  au  Caire  d'une 
famille  originaire  de  Syrie,  le  15  février  1829,  marié  à  Tunis  le  24  avril  1852  à  Luigia  Traverso,  alors  âgée 
de  seize  ans  et  demi,  qui  lui  donna  trois  enfants,  mort  à  Tunis  le  29  mai  1892.  (Reg.  Ste  Croix).  Entré  en 
1847  au  service  du  bey  comme  second,  puis  premier  interprète,  en  1854  ;  sous-directeur  au  ministère  des 
Affaires  étrangères,  en  1860,  il  devait  conserver  ces  fonctions  jusqu'en  1872.  Révoqué  pour  indélicatesse,  il 
ne  retrouva  son  poste  de  sous-directeur  qu'en  1879,  grâce  à  la  protection  du  consul  Roustan.  (A.E  Tunis,  vol. 
63.  Note  annexe  à  lettre  part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  30  octobre  1881). 

35  Raffo  (Gian-Battista-Fe//ce  comte)  fils  de  Giuseppe,  ministre  des  Affaires  étrangères  d'Ahmed  Bey,  né  à  Tunis 
en  1821,  mort  à  Florence  en  décembre  1878.  Il  avait  épousé  à  Londres  en  août  1846  Elizabeth  Mary  Mylius, 
catholique  anglaise.  Conseiller  au  ministère  des  Affaires  étrangères  tunisiennes,  il  jouissait  de  la  grande 
fortune  amassée  par  son  père,  mais  joua  un  rôle  politique  relativement  effacé.  (Reg.  Ste  Croix.  -  Corresp. 
consulaire  française.  Italienne  et  anglaise,  passim). 

36  Le  général  Mohammed  El  Aziz  Bou  Attour,  secrétaire  de  Mohammed  es  Sadok  lorsqu'il  n'était  que  bey  du 
camp,  devint  directeur  des  Finances  en  1860.  Il  fut  nommé  ministre  des  Finances  en  juin  1866,  puis  ministre 
de  l'Intérieur  en  août  1878,  fonctions  qu'il  exerçait  lors  de  l'établissement  du  protectorat.  Il  devint  premier 
ministre  en  1883  et  le  demeura  vingt-quatre  ans,  jusqu'à  sa  mort,  le  14  février  1907.  (Corresp.  consulaire 
française,  passim). 

37  En  novembre  1861,  pour  soulager  le  premier  ministre,  l'Intérieur  fut  détaché  du  grand  ministère  et  érigé 
en  département  autonome,  sous  l'autorité  de  Mohammed  Khaznadar.  Mais  cette  situation  dura  peu  :  à 
l'occasion  d'un  remaniement  ministériel,  en  décembre  1862,  l'Intérieur  fut  de  nouveau  rattaché  au  grand 
ministère.  Mohammed  Khaznadar  échangeant  son  portefeuille  contre  celui  de  la  Guerre,  devenu  vacant. 

38  Ahmed  Ben  Dhiaf  {Ahmed  ïbnAhîDiyâf),  né  à  Tunis  en  1804  d'une  famille  originaire  de  la  tribu  des  Ouled  Aoun, 
mort  à  Tunis,  le  29  septembre  1874.  Après  des  études  à  la  Grande  Mosquée,  il  entra  dans  l'administration 
tunisienne  comme  secrétaire,  en  1826,  et,  au  début  du  règne  d'Ahmed  Bey,  accéda  aux  fonctions  de  hach 
khâtîb,  ou  premier  secrétaire,  fonctions  qu'il  devait  conserver  jusqu'au  règne  de  Mohammed  es  Sadok.  Ben 
Dhiaf  semble  avoir  été  très  lié  avec  le  khaznadar  et  le  caïd  Nessim  dont  il  traça  un  portrait  très  favorable 
dans  ses  chroniques.  Il  fut  chargé  de  la  rédaction  de  la  Constitution,  devint  membre,  puis  vice-président 
du  Conseil,  en  novembre  1862,  et  ne  joua  plus  qu'un  rôle  effacé  après  l'insurrection  de  1864.  (Ben  Dhiaf  ; 
corresp.  consulaire  française  et  anglaise,  passim.) 


61 


Les  charges  de  caïds,  les  portefeuilles  ministériels,  les  sièges  de  conseillers 
revenaient  indistinctement  aux  mêmes  hommes,  avec  les  fonctions  judiciaires  les  plus 
élevées.  La  Constitution  consacrait  l'accaparement  du  pouvoir  par  les  mamelouks  aux 
dépens  du  bey.  Les  réformes  judiciaires  devaient  les  protéger  contre  les  destitutions 
brutales,  les  exécutions  sommaires  qui,  jusqu'alors  menaçaient  les  fonctionnaires 
tunisiens. 

«Depuis  longtemps  les  beys  de  Tunis  se  méfiant  à  la  fois  et  des  Turcs,  leurs  anciens 
maîtres,  et  de  la  population  arabe,  ont  confié  les  principaux  emplois  du  pays  à  des  esclaves 
d'origine  circassienne,  abasienne,  géorgienne,  grecque,  chrétienne  même,  connus  sous 
le  nom  de  Mameluks.  Sans  famille,  sans  racines  dans  le  pays,  sans  influence  autre  que 
la  faveur  du  maître,  les  Mameluks  furent  longtemps  des  instruments  dociles  entre  les 
mains  des  Beys.  Ceux-ci  avaient  du  reste  deux  moyens  de  contrôler  la  conduite  de  leurs 
favoris.  Souverains  absolus,  ils  regardaient  comme  leur  prérogative  la  plus  précieuse, 
le  droit  de  haute  et  basse  justice...  Souvent  un  pauvre  plaignant...  dénonçait  au  Maître 
les  méfaits  des  hauts  fonctionnaires.  En  second  lieu,  de  grandes  propriétés,  une  fortune 
rapidement  acquise  par  un  des  Mameluks  mêlés  aux  affaires  du  pays,  mettaient  le 
Souverain  en  éveil.  Dans  l'un  ou  l'autre  cas,  prompte  justice  était  faite  ;  le  coupable  était 
puni  par  la  perte  de  tous  ses  biens  et  souvent  même  de  la  vie.  Ces  procédés  de  justice 
sommaire  qui  nous  semblent  si  étranges,  étaient,  de  temps  immémorial,  acceptés  par 
les  indigènes  et  mettaient  un  frein  salutaire  à  la  rapacité  des  favoris. 

«Aujourd'hui,  l'article  !'=>'  de  la  Constitution  sauvegarde  la  tête,  l'argent,  les  propriétés 
des  Mameluks.  Amour  du  pouvoir,  cupidité,  fourberie,  vénalité,  haine  du  chrétien,  rien 
n'est  changé  chez-eux  ;  leurs  tendances  civilisatrices  n'existent  que  sur  le  papier,  mais  ce 
papier  a  suffi  à  les  mettre  entièrement  à  l'abri. 

«Les  articles  1®"',  6  et  7  confèrent  aux  différents  tribunaux  l'exercice  de  la  justice.  Dès 
lors  le  Bey  cesse  d'être  en  rapport  avec  le  pays.  Enfermé  dans  le  Bardo,  gardé  à  vue  jour  et 
nuit  par  le  Premier  Ministre  qui  ne  le  laisse  jamais  un  instant  seul,  même  avec  les  consuls 
des  Puissances  étrangères,  il  est  devenu  presque  invisible  à  ses  sujets.  Jamais  la  formule 
constitutionnelle  :  le  Roi  règne  et  ne  gouverne  pas,  ne  fut  appliquée  d'une  manière  plus 
absolue  ... 

«Pendant  que  les  différents  articles  de  la  Constitution  dépouillaient  successivement 
le  Bey  des  attributions  du  pouvoir,  les  Mameluks  ne  négligeaient  rien  pour  recueillir 
cet  héritage.  Maîtres  des  principaux  emplois  civils  ou  militaires,  l'un  d'eux  présidait  le 
tribunal  criminel  de  la  ville  de  Tunis,  un  autre  présidait  le  Conseil  suprême.  Ce  Conseil 
suprême  réunit  à  la  fois  les  attributions  du  Corps  législatif,  du  Sénat,  du  Conseil  d'Etat, 
de  la  Cour  de  Cassation  et  de  la  Cour  des  Comptes.  Les  garanties  que  tous  les  gouvernés 
des  Etats  constitutionnels  trouvent  dans  la  division  des  pouvoirs  n'existent  plus  ici,  et 
l'on  ne  s'explique  guère  comment  les  consuls  européens  qui  ont  pris  part  à  la  rédaction 
de  la  Constitution  tunisienne,  ont  pu  se  rendre  complices  de  la  création  monstrueuse  de 
ce  conseil  suprême,  où  tous  les  pouvoirs  sont  confondus  et  qui  n'est  qu'une  réminiscence 
des  anciens  Divans  turcs.  11  est  vrai  que  la  vie  des  Beys  n'est  plus  menacée  chaque  jour, 
mais  à  la  condition  seulement  que  leur  pouvoir  sera  nul  et  nulle  aussi  leur  intervention 
dans  toutes  les  affaires.  Auprès  du  Chef  de  l'Etat,  réduit  au  rôle  de  Roi  fainéant,  veille 
chaque  jour  un  comité  permanent  composé  de  dix  membres  du  Conseil  suprême.  Ce 
Comité,  dit  «de  service  ordinaire»,  reçoit  les  plaintes  pour  des  infractions  aux  lois 
commises  soit  par  le  Bey,  soit  par  tout  autre  individu.  11  est  composé  des  Mameluks  les 
plus  influents. 


62 


«Voici  le  couronnement  de  tout  l'édifice.  La  Constitution  tunisienne  dont  quelques 
journalistes  vantent  le  libéralisme,  aboutit  à  la  formation  d'un  Conseil  des  Dix,  d'une 
espèce  de  Commission  de  surveillance  analogue  à  celle  qu'avait  inventée  l'Assemblée 
française  de  1849.  Pouvoir,  influence,  richesse,  tout  est  concentré  là,  et  la  situation  de 
la  Régence  est  parfaitement  résumée  dans  ces  phrases  lucides  que  le  général  Bonaparte 
adressait  naguère  aux  populations  de  l'Egypte  :  «Y  a-t-il  ici  une  belle  femme,  elle  est  aux 
Mameluks,  un  beau  cheval,  il  est  aux  Mameluks  ;  de  l'argent,  de  beaux  arbres,  des  terres 
fertiles,  ils  sont  aux  Mameluks»^^. 

2  -  La  toute  puissance  de  Mustapha  Khaznadar 

Pour  emporter  l'adhésion  de  Mohammed  Bey,  puis  de  son  frère  Mohammed 
es-Sadok,  le  premier  ministre  et  ses  conseillers  avaient  bénéficié  de  l'appui  des  consuls, 
de  Wood  surtout  qui  avait  prôné  une  large  politique  de  réformes  et  l'institution  d'un 
grand  conseil.  Le  consul  anglais  qui  était  très  lié  avec  le  premier  ministre  y  voyait  le 
moyen  d'affaiblir  la  position  exceptionnelle  que  s'était  acquise  son  collègue  de  France 
auprès  du  souverain.  Le  gouvernement  tunisien  pourrait  se  retrancher  derrière  l'autorité 
du  Grand  Conseil  pour  résister  aux  empiétements  de  la  France,  appuyée  par  son  armée 
d'Algérie  et  par  l'amitié  personnelle  qui  unissait  Léon  Roches  au  bey  Mohammed.  Le 
ministre  des  Affaires  étrangères  français  ne  croyait  guère  à  la  possibilité  de  sérieuses 
réformes  d'ensemble  en  Tunisie  ;  il  avait  invité  le  consul  de  France  à  ne  réclamer  qu'une 
réforme  judiciaire.  «Par  suite  de  considérations  toutes  personnelles,  M.  Roches,  cédant 
aux  suggestions  de  hauts  fonctionnaires  intéressés  à  modifier  l'état  de  choses  établi  et 
désireux  de  s'affranchir  des  entraves  que  les  Capitulations  leur  imposaient  dans  leurs 
rapports  avec  les  étrangers,  crut  devoir  néanmoins  prêter  son  concours  au  gouvernement 
tunisien  en  faveur  de  l'octroi  d'une  Constitution»4o. 

Le  consul  de  France  avait  pris  une  part  active  dans  les  discussions  et  la  rédaction 
des  textes  constitutionnels  ;  il  avait  vivement  poussé  le  bey  Mohammed  es  Sadok  à 
rendre  visite  à  l'Empereur  à  Alger  et  à  lui  présenter  les  codes  et  la  constitution  qu'il  allait 
promulguer.  Sans  doute  espérait-il  flatter  Napoléon  III  par  cette  démarche  et  obtenir  de 
l'Empereur,  avec  la  reconnaissance  de  l'indépendance  tunisienne  vis-à-vis  de  la  Turquie, 
une  promotion  personnelle  au  rang  de  ministre  accrédité  auprès  du  Bardo^i.  Déçu  dans 
ses  espérances,  Léon  Roches  semble  avoir  été  joué  par  son  collègue  britannique.  Il  ne 
devait  pas  tarder  à  regretter  les  transformations  qu'il  avait  lui-même  encouragées. 

Mohammed  Bey  avait  assez  facilement  souscrit  au  programme  de  réformes. 
Faible  de  volonté,  il  oscillait  sans  cesse  entre  les  influences  opposées  de  ses  conseillers 
réformistes  ou  conservateurs.  Après  avoir  accordé  aux  uns  l'exécution  de  Sfez,  il 
concédait  aux  autres  tout  un  programme  de  réformes  judiciaires  et  constitutionnelles. 
Son  esprit,  écrivait  Léon  Roche,  «est  semblable  à  une  pâte  molle  qui  prend  la  forme  que 
veut  lui  donner  celui  qui  la  pétrit»''^.  Sans  instruction,  sans  connaissance  aucune  des 
régimes  politiques  européens.  Mohammed  Bey  n'avait  certainement  pas  saisi  toute  la 


39  Arch.  Guerre.  Corresp.  Campenon.  Le  colonel  Campenon  au  maréchal  Randon,  ministre  de  la  Guerre.  Tunis, 
31  mai  1862.  Lettre  publiée  par  P.  Grandchamp  dans  Documents  relatifs  à  la  Révolution  de  1864  en  Tunisie. 
Tunis,  1935,  vol.  I,  pp.  XII,  XIII. 

40  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  n°  9.  Note  53,14  janvier  1876. 

41  Le  bey  aurait  vainement  demandé  à  Napoléon  in  cette  promotion  pour  Léon  Roches  (F.  0.102/63.  Privée  de 
Wood  à  Hammond,  Beyrouth,  1®“^  juin  1861). 

42  A.  E.  Tunis,  vol  18,  Roches  à  Walewski.  Tunis,  17  février  1859. 

Ibid.,  même  volume.  Du  même  au  même.  Tunis,  13  novembre  1858. 


63 


portée  des  réformes  et  compris  que  le  régime  qu'on  le  poussait  à  instituer  le  dépouillait 
complètement  de  son  pouvoir.  On  avait  flatté  sa  vanité  en  lui  laissant  espérer  qu'il  serait 
reconnu  en  souverain  indépendant  par  les  cours  d'Europe  et  que  l'avenir  de  sa  dynastie 
ne  dépendrait  plus  du  bon  vouloir  du  Sultan,  mais  de  la  garantie  des  grandes  puissances. 
Mohammed  es  Sadok  n'avait  pas  plus  d'instruction  que  son  aîné.  11  avait  été  jusqu'à  son 
avènement  maintenu  à  l'écart  des  affaires.  Malgré  la  réputation  de  férocité  qu'il  s'était 
acquise  dans  les  expéditions  qu'il  avait  menées  comme  bey  du  camp,  il  allait  se  révéler 
assez  faible  de  caractère  lui  aussi.  Dès  son  avènement,  il  lui  avait  fallu  prêter  serment 
de  fidélité  au  Pacte  Fondamental,  jurer  de  maintenir  et  de  poursuivre  les  réformes 
inaugurées  par  Mohammed  Bey.  La  situation  de  Mohammed  Es  Sadok  était  faible  vis- 
à-vis  du  khaznadar.  Le  premier  ministre  disposait  de  l'armée  et  du  Trésor,  et  pouvait, 
si  le  prince  manifestait  trop  d'indépendance,  lui  opposer  un  rival  parmi  ses  frères. 
D'ailleurs  Mustapha  Khaznadar  n'avait  pas  tardé  à  prendre  sur  l'esprit  du  bey  l'empire 
le  plus  absolu,  en  le  flattant  et  en  l'encourageant  dans  ses  vices  pour  le  tenir  à  l'écart  des 
affaires. 

La  mise  en  vigueur  de  la  Constitution  de  1861,  succès  personnel  du  premier 
ministre,  légalisait  et  assurait  la  toute  puissance  de  Sidi  Mustapha  Khaznadar.  Dominant 
à  la  fois  ministères  et  Grand  Conseil  dont  il  avait  fait  les  instruments  de  son  pouvoir,  le 
premier  ministre  disposait,  auprès  d'un  bey  réduit  au  rôle  de  roi  fainéant,  de  l'autorité 
d'un  véritable  maire  du  palais. 

Sidi  Mustapha  Khaznadar  était  alors  âgé  de  quarante-trois  ans.  Grec  d'origine,  il 
s'appelait  en  réalité  Georges  Kalkias  Stravelakis.  11  était  né  en  1817  à  Kardamila,  dans 
l'île  de  Chio,  où  son  père  Stéphanis  avait  péri  dans  les  massacres  de  1821.  11  avait  été 
enlevé  lui-même  avec  son  frère  Jean^s.  Emmenés  à  Smyrne,  vendus  à  Constantinople, 
puis  revendus  à  Tunis,  les  deux  enfants  furent  convertis  à  l'Islam  sous  les  noms  de 
Mustapha  et  d'Ahmed.  Mustapha  avait  grandi  à  la  cour  tunisienne  dans  l'entourage 
du  neveu  du  bey  Hussein,  le  prince  Ahmed  dont  il  était  devenu  le  compagnon  de  jeux. 
Dès  son  avènement,  en  1837,  Ahmed  Bey  éleva  son  favori  aux  fonctions  de  trésorier 
(khaznadar),  lui  donna  en  mariage  sa  sœur  Khaltoum.  11  lui  avait  fallu  auparavant  se 
débarrasser  de  Chakir,  l'énergique  ministre  du  bey  Hussein.  Le  11  septembre  1837, 
Ahmed  et  Mustapha  l'avaient  fait  saisir  dans  les  couloirs  du  Bardo  et  fait  étrangler 
sans  autre  forme  de  procès^^.  Dès  lors  il  put  exercer  sans  partage  le  pouvoir  aux  côtés 
d'Ahmed  Bey  laissant  le  titre  honorifique  de  garde  des  Sceaux  au  vieux  Mustapha 
Sahib-et-Tabâa  qui  ne  lui  portait  guère  ombrage"^^. 

Ainsi  Mustapha  Khaznadar  était-il  ministre  depuis  vingt-quatre  ans.  11  avait  réussi 
à  éviter  les  dangers  de  deux  changements  de  règne  pour  se  perpétuer  au  pouvoir  aux 
côtés  d'Ahmed  Bey,  puis  de  ses  cousins  Mohammed  et  Mohammed  es  Sadok. 

Comme  la  plupart  des  mamelouks,  Sidi  Mustapha  n'avait  aucune  instruction.  11 
savait  à  peine  lire  et  écrire.  S'il  avait  conservé  le  souvenir  de  ses  origines  grecques,  il 


43  Le  Khaznadar  n'avait  pas  perdu  le  souvenir  de  ses  origines.  11  subvenait  à  l'éducation  de  ses  neveux  Jean. 
Michel  et  Nicolas,  fils  d'un  frère  resté  dans  l'île  de  Chio.  (Arch.  Tun.  Doss.  79,  carton  7). 

44  A.  E.  Tunis,  vol  3.  Schwebel  à  Molé,  Tunis,  14  septembre  1837. 

45  «Sidi  Mustapha  Shab  Tabâa,  garde  des  sceaux,  ancien  premier  Ministre  du  bey  Ahmed»,  écrivait  Léon  Roches 
en  1859,  «est  un  vieillard  de  soixante-quinze  ans  que  tous  les  princes  tunisiens  nomment  leur  père».  Mis 
à  l'écart  sous  Mohammed  Bey,  il  avait  vu  ses  fonctions  données  au  beau  frère  du  bey,  Ismaïl  es  Sunni,  mais 
paraissait  toujours  à  la  cour  et  continuait  de  donner  des  conseils  au  prince.  (A.  E.  Tunis,  vol.  19.  Roches  à 
Walewski,  4  octobre  1859).  Nommé  président  du  Grand  Conseil  en  août  1860,  il  mourut  quinze  jours  après 
l'ouverture  des  séances,  dans  la  première  décade  de  mai  1861.  (Ben  Dhiaf,  chap.  VIII,  année  1277). 

64 


avait  complètement  oublié  sa  langue  maternelle.  11  comprenait  cependant  l'italien,  la 
langue  européenne  la  plus  couramment  parlée  à  Tunis  et  au  Bardo.  Intelligent,  d'esprit 
ouvert,  il  savait  remarquablement  s'adapter  aux  hommes  et  aux  circonstances.  Tour 
à  tour  courtois  et  affable  ou  brutal  et  impérieux,  il  était  capable  des  revirements  les 
plus  rapides,  des  décisions  les  plus  promptes.  «Grec  d'origine»,  écrivait  de  Beauval, 
«il  est  fin,  délié,  bateleur,  caressant,  susceptible  de  vanité,  et  au  fond  impérieux  à 
l'excès»^®.  Le  premier  ministre  préférait  la  ruse  à  la  violence  à  laquelle  il  n'avait  recours 
qu'exceptionnellement.  Il  tenait  l'entourage  du  bey  par  tout  un  réseau  de  complicités 
et  savait  arriver  à  ses  fins  par  des  moyens  détournés,  préférant  acheter  un  complice 
que  supprimer  un  rival.  Sans  doute  le  vizirat  de  Sidi  Mustapha  n'était-il  pas  vierge 
d'exécutions  sommaires  et  de  sanglantes  répressions.  Mais  depuis  la  mort  de  Chakir 
Sahib  et-Tabâa,  Mustapha  n'avait  pas  eu  à  se  débarrasser  de  rivaux.  Il  fallut  la  crise  de 
1864  pour  l'amener  à  une  politique  de  violences  et  d'exécutions. 

Avec  les  consuls  européens,  Mustapha  pratiquait  une  savante  politique  d'équilibre. 
Il  jouait  de  la  rivalité  des  consuls  de  France  et  d'Angleterre  pour  s'appuyer  sur  l'un 
ou  l'autre  au  gré  des  circonstances.  Il  se  plaignait  de  l'un  à  l'autre,  renseignait  leurs 
informateurs,  sollicitait  des  conseils.  En  public,  il  dissimulait  sa  pensée  sous  des 
formules  de  politesse  à  l'orientale,  des  protestations  de  bonne  volonté  et  d'amitié  ;  il 
ponctuait  ses  discours  d'invocations  religieuses,  gagnait  du  temps  et  s'exerçait  toujours 
de  décourager  un  solliciteur  plutôt  que  de  lui  opposer  un  refus  déterminé.  Il  se  tirait 
d'affaire  par  des  promesses,  rejetait  toujours  sur  d'autres  la  responsabilité  d'une  décision 
défavorable.  La  pensée  du  ministre  était  difficile  à  saisir,  ses  façons  d'agir  tortueuses, 
et  les  représentants  européens  pouvaient  à  juste  titre  se  plaindre,  comme  le  faisait  de 
Botmiliau,  «de  la  duplicité  innée  de  son  caractère»'^^.  Avec  le  khaznadar  toutes  les  affaires 
traînaient  des  mois  durant.  Les  consuls  devaient  s'armer  d'une  longue  patience,  revenir 
à  la  charge,  rappeler  les  promesses  oubliées.  Mustapha  trouvait  toujours  quelque  bonne 
raison,  il  sollicitait  de  nouveaux  délais,  proposait  une  nouvelle  enquête.  Les  solutions 
qu'il  finissait  par  proposer  étaient  toujours  des  compromis  boiteux,  des  arrangements 
bizarres  qui  entraînaient  encore  d'interminables  marchandages. 

Depuis  le  règne  d'Ahmed  Bey,  Mustapha  Khaznadar  se  posait  en  partisan  des 
réformes,  en  «champion  des  idées  de  progrès  et  de  civilisation»,  selon  la  formule  de 
Léon  Roches'**.  Il  avait  encouragé  le  bey  Ahmed  dans  ses  efforts  pour  transformer  la 
Régence  sur  le  modèle  européen.  Sous  le  règne  de  Mohammed,  il  avait  pris  l'initiative 
des  réformes  constitutionnelles,  qu'il  avait  imposées  à  Mohammed  es  Sadok  et  fait 
aboutir  en  1860  et  1861.  Les  éloges  dont  Léon  Roches  l'avait  couvert,  assuraient  à 
bon  compte  au  ministre  un  renom  de  libéralisme  et  d'esprit  éclairé.  Mais  il  en  était  du 
libéralisme  de  Sidi  Mustapha  comme  des  grands  principes  de  la  Constitution.  Ce  n'était 
rien  de  plus  qu'une  belle  façade.  Mustapha  sentait  d'ailleurs  l'utilité  de  la  propagande  ; 
pour  soigner  sa  réputation,  il  entretenait  des  libellistes  chargés  de  chanter  ses  louanges 
dans  la  presse  européenne.  A  Tunis,  il  accueillait  indifféremment  dans  son  entourage 
Chrétiens,  Juifs  et  Musulmans.  Il  avait  confié  à  des  ouvriers  italiens  la  construction  de 
son  palais  Renaissance  de  la  place  Halfaouine,  l'avait  meublé  dans  un  style  européen 
aussi  bien  qu'oriental.  Mustapha  lui-même  portait  en  toutes  circonstances  l'uniforme  à 
la  française  qui  était  celui  des  dignitaires  de  la  cour.  Mais  au  fond,  il  restait  très  oriental. 
Il  n'avait  nul  souci  de  l'intérêt  public  et  n'avait  pas  plus  de  programme  d'administration 
que  de  politique  étrangère  ;  il  vivait  au  jour  le  jour  en  s'appliquant  à  piller  de  son  mieux 
les  revenus  de  la  Régence.  Sa  seule  préoccupation  était  de  se  maintenir  au  pouvoir  et 
d'accroître  toujours  la  fortune  considérable  et  les  biens  immenses  qu'il  avait  amassés. 


46  Arch.  Rés.  De  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  27  novembre  1863. 

47  A.  E.  Tunis,  vol.  30.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  21  mai  1868. 

48  Arch.  Rés.  Roches  à  Walewski,  6  novembre  1857. 


65 


«Sidi  Mustapha»,  devait  écrire  en  1871  un  inspecteur  des  finances  françaises  détaché 
auprès  du  gouvernement  beylical,  «n'a  Jamais  eu  et  n'aura  jamais  d'autre  système 
politique  que  de  piller  et  de  ruiner  à  son  profit  le  pays  qu'il  gouverne»^®. 

Grâce  à  sa  souplesse,  à  son  habileté,  Mustapha  Khaznadar  devait  rester  au  pouvoir 
pendant  trente-six  ans.  Sans  doute  s'y  serait-il  maintenu  jusqu'à  sa  mort,  si  l'intervention 
des  agents  français  n'avait  provoqué  sa  chute,  en  1873.  Mais,  même  à  l'époque  de  sa 
toute  puissance,  Mustapha  douta  toujours  au  fond  de  la  sécurité  du  lendemain.  La  seule 
politique  qu'il  eût  suivie  avec  persévérance  pendant  son  vizirat  fut  de  mettre  à  l'abri  en 
Europe  les  millions  qu'il  avait  détournés,  et  de  s'assurer  pour  lui-même  de  la  protection 
d'une  puissance  européenne.  En  1850,  il  était  sur  le  point  d'obtenir  du  gouvernement 
français  les  lettres  de  grande  naturalisation^o.  Vingt  ans  plus  tard,  c'est  de  l'Angleterre 
qu'il  sollicitait  en  secret  des  patentes  de  protection.  Singulières  démarches  en  vérité 
pour  un  ministre  patriote  et  réformateur  ! 


MUSTAPHA  KHAZNADAR  MOHAMMED  ES  SADOK 

Premier  ministre  du  bey  de  Bey  de  Tunis 

Tunis  de  1837  à  1873.  (1859.1882], 


(Musée  du  Bardo) 


A  côté  de  son  tout  puissant  ministre,  le  bey  faisait  assez  piètre  figure.  Sidi  Mohammed 
es  Sadok,  douzième  bey  de  la  dynastie  husseinite,  était  le  second  des  fils  du  bey  Hussein. 
Né  le  22  mars  1814,  il  avait  quarante-cinq  ans  lors  de  son  avènement  en  1859.  Le 
consul  de  France,  Léon  Roches,  présentait  alors  le  nouveau  souverain  sous  un  jour 
favorable.  «Sidi  Mohammed  Sadok  est  un  homme  sérieux  qui  se  consacre  résolument  à 
la  régénération  et  au  bien-être  de  ses  sujets.  Privé  d'instruction  comme  la  plupart  des 
Princes  musulmans,  éloigné  des  affaires  par  système,  à  cause  d'une  crainte  jalouse  qui 


49  A.  E.  Tunis,  vol.  36.  Lettre  de  Villet.  Tunis,  24  octobre  1871. 

50  Par  l'intermédiaire  de  son  associé,  le  caïd  et  ministre  Mahmoud  Benaïad.  «Cette  demande  fut  d'abord 
accordée  par  lettre  présidentielle,  mais  le  procès  entre  le  gouvernement  tunisien  et  Benayed  ayant  mis  en 
évidence  la  complicité  de  l'ex-ministre  (Mustapha  destitué  en  1873)  avec  ce  dernier  on  retira  ladite  lettre 
par  l'intermédiaire  du  comte  Bacciochi  lors  de  son  passage  à  Tunis,  en  disant  qu'elle  serait  remplacée  par  un 
décret,  ce  qui  n'eut  pas  lieu.  Cette  demande  de  l'ex-ministre  est  une  des  preuves  éclatantes  de  son  infidélité». 
(Correspondance  de  Khérédine  publiée  par  MM.  Mzali  et  Pignon  :  Khérédine  à  Villet,  27  avril  1875.  R.  T. 
1940.  p.  100). 


66 


existe  dans  le  cœur  de  tous  les  beys  à  l'égard  de  l'héritier  présomptif,  Sidi  Mohammed 
Sadok,  doué  d'ailleurs  d'intelligence  et  de  fermeté,  cherche  à  combler  les  lacunes  de  son 
éducation  en  travaillant  assidûment  à  s'instruire  et  en  recherchant  les  conseils  du  petit 
nombre  de  personnes  intelligentes  qui  l'entourent»®!. 

Ce  portrait  flatteur  ne  saurait  cependant  nous  abuser.  Le  consul  de  France  manquait 
de  sens  critique  ;  les  jugements  qu'il  portait  sur  ses  contemporains  étaient  sujets  souvent 
à  révision  ;  le  département  s'étonnait  de  le  voir  condamner  les  mêmes  hommes  auxquels 
il  avait  décerné  peu  auparavant  des  éloges  sans  mesure.  Sidi  Sadok  lui-même  n'était-il 
pas,  à  la  veille  de  son  avènement,  considéré  par  Léon  Roches  comme  l'adversaire  du 
khaznadar  et  l'instrument  du  parti  fanatique  ? 

Sans  doute,  le  bey  était-il  animé  d'une  certaine  bonne  volonté  à  l'égard  de  ses  sujets. 
Mais,  comme  son  frère  Mohammed,  il  avait  hérité  de  la  faiblesse  de  caractère  de  son  père 
le  bey  Hussein®^.  Apathique,  irrésolu,  facilement  influençable,  il  était  sujet  à  des  colères 
soudaines,  à  des  terreurs  paniques  dont  son  entourage  pouvait  jouer  pour  le  mener  à 
sa  guise.  Le  bey,  d'ailleurs,  se  désintéressait  des  affaires  publiques  qu'il  abandonnait 
complètement  à  son  ministre.  Au  début  de  son  règne  cependant.  Mohammed  es  Sadok 
paraissait  décidé  à  relever  l'armée  qu'avait  négligée  Mohammed  Bey,  à  la  réorganiser 
sur  le  modèle  qu'avait  tracé  son  cousin  le  bey  Ahmed.  Le  bey  participa  lui-même  à  la 
discussion  d'un  nouveau  code  militaire.  Le  khaznadar  l'encourageait  dans  cette  voie, 
faisait  acheter  en  Europe  des  armes,  des  équipements,  des  navires.  Mais  rien  de  sérieux 
ne  fut  entrepris.  Le  bey  se  lassa  bien  vite  de  réunir  ses  misérables  soldats  ;  le  règlement 
militaire  resta  lettre  morte  sans  qu'il  parût  désormais  s'en  soucier.  11  en  fut  de  l'armée 
comme  du  reste.  Mohammed  es  Sadok  laissa  son  ministre  gouverner  à  sa  guise,  signant 
les  documents  qu'il  lui  présentait,  répétant  les  leçons  qu'il  lui  soufflait.  11  vivait  toute 
l'année  enfermé  dans  ses  palais  du  Bardo  et  d'Hammam-Lif  oû,  en  compagnie  d'une 
poignée  d'intendants  et  de  mignons,  il  se  livrait  à  la  boisson®®  et  à  la  débauche.  Très 
vite  d'ailleurs,  le  souverain  parut  sombrer  dans  une  sénilité  précoce.  Une  note  anonyme 
rédigée  pour  l'information  du  quai  d'Orsay  éclaire  d'un  jour  assez  cru  l'existence 
quotidienne  du  bey  de  Tunis  vers  1877  ou  1878. 

«Mohammed  es  Sadok,  le  souverain  actuel  de  la  Régence  n'a  aucune  intelligence  et 
il  est  adonné  aux  vices  les  plus  honteux.  Son  harem  n'est  peuplé  que  de  petits  garçons 
qu'il  affiche  sans  aucune  pudeur...  11  ne  s'occupe  jamais  d'affaires,  que  quand  il  y  est 
obligé  par  les  Consuls  et  se  contente  alors  de  réciter  une  leçon  qui  lui  est  faite  d'avance 
par  son  Ministre.  Deux  fois  par  semaine,  il  tient  un  lit  de  justice.  11  y  écoute  les  plaignants 
en  fumant  sa  pipe  et  prononce  des  arrêts  très  brefs  qui  lui  sont  soufflés  par  un  de  ses 
officiers  qui  se  tient  debout  à  sa  droite.  En  dehors  de  cela,  il  se  tient  renfermé  dans  son 
harem  oû  sa  vie  n'est  qu'une  longue  orgie»®'!. 

La  chronique  scandaleuse  du  Bardo  était  alimentée  par  les  exploits  des  intendants 
pourvoyeurs  du  «jardinet»  du  bey®®,  les  rivalités  entre  mignons,  le  dénouement  tragique 
parfois  de  certaines  orgies.  Le  khaznadar  s'efforçait  de  conserver  la  haute  main  sur 


51  A.  E.  Tunis,  vol.  19.  Roches  à  Walewski.  Tunis.  4  décembre  1859. 

52  Arch.  Guerre.  Tunisie.  Carton  B. 

53  D'après  un  vétérinaire  Italien  au  service  du  bey  depuis  de  longues  années.  Mohammed  es  Sadok,  «buvait 
chaque  jour  une  bouteille  de  cognac,  et  même  davantage  dans  le  courant  de  la  journée».  (Arch.  Rés. 
Annotations  sur  une  lettre  du  8  juin  1882  communiquée  par  le  préfet  de  Police  Camescasse.  Tunis,  8  juillet 
1882). 

54  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc,  vol.  9,  note  2,  s.d. 

55  Avvenire  di  Sardegna,  passim,  notamment  5  décembre  1878  Lettere  di  Tunisi. 

67 


MOHAMMED 

Md  Es  sadok 

Hamouda 

ALI 

El  Mamoun 

Taïeb 

Tahar 

El  Adel 

AHMED 

Lamine 

(1855-1859) 

(1859-1882) 

n.  1816 

n.  1817 

n.  1819 

n.  1821 

n.  1828 

n.  1830 

(1837-1855) 

n.  1825 

11'"’*  Bey 

12*"“  Bey 

m.  1863 

m.  1902 

m.  1861 

m. 1898 

m. 1870 

m. 1867 

10*'"'  Bey 

m.  1876 

Hussein  Md  En  Nasseur  Mustapha  Mohammed  Ismaïl  Habib 
n.  1839  n.  1845  n.  1843  n.  1845  n.  1859  "• 

(3)  (2)  (4) 


(1)  Ali  Bey,  13*'"'  bey  de  1882  à  1902 

(2)  Mohammed  El-Hadi,  14*'™  bey  de  1902  à  1906 

(3)  Mohammed  En-Nasseur,  15*'"'  bey  de  1906  à  1922 

(4)  Mohammed  El-Habib,  16*'"'  bey  de  1922  à  1929 

LES  PRINCES  DE  LA  FAMILLE  BEYLICALE 
(juillet  1861) 

(Arch.  Tun.,  carton  I,  doss.  II  bis  :  liste  des  princes  par  rang  d'âge  (en  arabe),  14  juillet  1861.  -  Arbre  généalogique  de 
la  famille  beylicale  par  P.  Grandchamp  :  Documents  relatifs  à  la  révolution  de  1864..  Tunis,  1935,  vol.  2,  p.  341). 

l'entourage  du  souverain.  Il  se  prêtait  à  ses  plaisirs  en  se  faisant  pourvoyeur  au  besoin, 
étouffait  les  scandales  trop  voyants.  Il  tolérait  les  exactions  des  favoris  et  des  intendants 
pourvu  qu'ils  ne  se  mêlent  point  de  politique,  et  préférait  se  les  attacher  par  des 
prébendes  et  de  grasses  sinécures.  Quand  l'un  d'entre  eux  devenait  embarrassant,  Sidi 
Mustapha  lui  suscitait  un  rival  plus  docile. 

Les  princes  de  la  famille  beylicale  étaient  moins  gênants  encore  pour  l'autorité  du 
premier  ministre.  Comme  ses  prédécesseurs.  Mohammed  es  Sadok  maintenait  à  l'écart 
ses  frères  et  ses  cousins.  Il  hésitait  même  à  confier  le  commandement  de  l'armée  à 
son  frère  et  héritier  présomptif,  le  bey  du  camp  Hamouda®^.  Celui-ci  était  pourtant  le 
seul  des  princes  qui  parût  doué  de  quelque  sens  politique  ;  mais  il  devait  disparaître 
prématurément  dès  1863.  Les  autres  frères  du  bey.  Ali,  Taïeb,  El  AdeL^,  son  cousin 
Lamine^*  menaient,  à  son  exemple,  une  vie  de  débauche  dans  leurs  palais  et  villas  de 


56  Hamouda  Bey,  troisième  fils  du  bey  Hussein,  né  en  1816,  mort  le  13  août  1863,  bey  du  camp  depuis 
l'avènement  de  Mohammed  el  Sadok. 

57  Ali  Bey,  quatrième  fils  du  bey  Hussein,  né  en  1817,  mort  en  1902  :  bey  du  camp  de  1863  à  1882,  il  succéda 
à  son  frère  Mohamed  es  Sadok  et  régna  de  1882  à  1902.  Ses  frères,  Taïeb,  né  en  1821,  mort  en  décembre 
1898  ;  Tahar,  né  en  1828,  mort  en  1870  ;  El  Adel,  né  en  1830/1831,  mort  en  1867,  ne  régnèrent  pas.  Un  autre 
frère,  El  Mamoun,  cinquième  fils  du  bey  Hussein,  né  en  1819,  mourait  le  16  novembre  1861. 

58  LAMINE,  né  en  1825,  mort  en  1876,  fils  du  bey  Mustapha  et  frère  cadet  du  bey  Ahmed. 

68 


la  banlieue  de  Tunis.  Mais  les  maigres  pensions  qui  leur  étaient  allouées  ne  pouvaient 
leur  permettre  de  soutenir  le  train  de  leurs  maisons.  Volés  par  leurs  intendants  comme 
par  leurs  fournisseurs,  les  princes  étaient  perpétuellement  endettés,  ils  n'avaient  pas, 
comme  les  mamelouks,  la  ressource  d'exploiter  caïdats  et  fonctions  publiques  pour  se 
refaire.  Quand  leurs  dettes  étaient  trop  criardes,  quand  leurs  fournisseurs  leur  refusaient 
tout  crédit,  il  ne  leur  restait  d'autre  recours  que  la  générosité  du  bey.  Périodiquement, 
les  princes  promettaient  de  s'amender,  mais  ils  oubliaient  bien  vite  leurs  promesses,  dès 
que  le  bey  s'était  laissé  fléchir. 

Mustapha  Khaznadar  était  ainsi  le  maître  incontesté  de  la  Régence^^.  il  aurait  pu  sans 
danger  laisser  à  d'autres  les  charges  de  l'administration  pour  se  cantonner  dans  les  fonctions 
supérieures  de  chef  du  gouvernement.  Mais  il  n'y  avait  consenti  que  pour  les  départements 
presque  honorifiques  de  l'Armée  et  de  la  Marine,  il  avait  tenu  à  se  réserver  dans  son  triple 
ministère  les  fonctions  de  ministre  des  Affaires  étrangères,  de  l'Intérieur  et  surtout  des 
Finances  que  son  avidité  lui  faisait  considérer  comme  le  ministère  par  excellence. 

3  -  Les  Finances 

L'administration  des  finances  tunisiennes  permettait  tous  les  désordres,  toutes  les 
prévarications.  En  dépit  des  promesses  constitutionnelles,  elle  ne  fut  jamais  soumise  à 
aucun  système  sérieux  d'enregistrement  et  de  contrôle.  Pendant  longtemps,  aucun  budget 
régulier  ne  fut  établi.  Le  ministère  des  Finances  s'en  tenait  au  système  d'imputation 
particulière  d'une  dépense  sur  un  revenu,  apurant  un  compte  par  un  bon  de  caisse  tenant 
lieu  de  quitus,  au  profit  ou  au  débit  du  gouvernement^o.  Encore  ce  système  n'était  il  pas 
toujours  respecté.  Au  fur  et  à  mesure  qu'ils  arrivaient  au  palais,  les  fonds  provenant  des 
impôts  directs  perçus  par  les  caïds,  le  revenu  des  impôts  indirects  étaient,  pour  la  plupart, 
employés  sur  l'heure  pour  les  besoins  du  prince  ou  de  l'administration,  après  que  le  ministre 
et  ses  agents  se  fussent  servis  les  premiers.  L'improbité  et  l'incurie  étaient  de  règle  parmi 
les  employés  du  Bardo.  L'administration  était  périodiquement  désorganisée  par  la  fuite  de 
quelque  haut  fonctionnaire  disparaissant  à  l'étranger  avec  le  produit  de  ses  prévarications 
et  quelques  dossiers  compromettants.  En  1852,  c'était  le  caïd  Mahmoud  Benaïad,  associé  et 
confident  du  premier  ministre  qui  avait  fait  de  lui  le  fermier  général  de  la  Régence  ;  en  1864, 
c'était  le  caïd  juif  Nessim  Samama,  receveur  et  directeur  des  Finances  à  la  fois,  qui  partait 
pour  l'Europe  avec  près  de  vingt  millions  ;  dix  ans  plus  tard,  son  neveu  et  successeur,  le 
caïd  Chloumou  Samama  s'enfuyait  à  Corfou  avec  le  produit  de  ses  vols.  Le  premier  ministre 
donnait  l'exemple  ;  les  employés  des  Finances  étaient  avant  tout  ses  employés  ;  il  tolérait 
toutes  leurs  prévarications,  à  condition  qu'il  fût  le  premier  à  en  profiter. 

a)  Les  impôts  tunisiens 

Les  revenus  du  gouvernement  tunisien  provenaient  d'impôts  directs  perçus  par  les 
caïds,  Yachour  qui  pesait  sur  les  céréales,  le  canoun  des  oliviers  et  des  dattiers,  une  taxe 
personnelle  instituée  en  1856,  des  droits  de  douane,  et  du  produit  de  taxes  indirectes 
ou  de  monopoles  mis  en  fermage.  Les  revenus  du  domaine  ne  figuraient  que  pour 
mémoire,  la  plupart  des  terres  du  beylik  ayant  été  concédées  aux  dignitaires  de  la  cour 
ou  accaparées  par  les  riverains. 


59  «On  se  demande  pourquoi  le  Bey  actuel  reste  ainsi  toujours  dominé  par  son  Premier  Ministre  qui,  en 
définitive,  est  bien,  sous  le  nom  du  souverain  régnant,  le  véritable  maître  absolu  du  pays»  écrivait  en  1866 
le  consul  Duchesne  de  Bellecourt  (A.  E.  Tunis,  vol.  27.  A  Douyn  de  Lhuys.  Tunis,  1^^  mars  1866). 

60  Etat  des  questions  entre  le  général  Benaïad  et  le  gouvernement  tunisien,  Paris  1854,  p.  3. 

69 


L'achour  v»f)  ou  dîme  en  nature  sur  les  céréales,  avait  été  longtemps  perçu  sur  la 
récolte  même,  son  montant  étant  théoriquement  proportionnel  aux  quantités  de  grains 
moissonnés.  Mais  cet  impôt  avait  le  défaut  de  fournir  des  rendements  très  variables  d'une 
année  à  une  autre,  selon  la  fortune  des  récoltes.  Les  agents  des  caïds  qui  agissaient  sans 
contrôle  et,  «sans  exception^i»  trafiquaient  de  leurs  fonctions,  en  avaient  fait  un  impôt 
de  répartition  dont  le  poids  était  intolérable  pour  les  paysans.  Le  plus  riches  payaient 
un  bakchich  pour  se  faire  détaxer,  les  domaines  des  grands  personnages  échappaient  à 
l'impôt.  Tout  le  poids  de  Vachour  retombait  sur  les  fellahs  les  plus  pauvres  :  «il  leur  arrivait, 
et  ce  fait  est  avéré,  de  donner  toutes  leurs  récoltes  et  de  rester  encore  endettés  envers 
le  fermier»52.  Une  réforme  de  décembre  1856,  dûe  au  bey  Mohammed,  avait  modifié 
l'assiette  de  l'impôt,  transformé  l'achour  en  une  contribution  fixe  pesant  désormais  sur 
les  surfaces  ensemencées.  Les  terres  devaient  être  divisées,  selon  leur  valeur,  en  trois 
catégories.  Celles  de  la  première  classe,  les  plus  imposées,  étaient  taxées  sur  la  base  de 
275  litres  de  blé,  275  litres  d'orge  et  8  piastres  par  méchia,  la  méchia  (a^iu)  étant  la 
surface  moyenne  cultivée  par  une  paire  de  bœufs,  soit  une  dizaine  d'hectares^^.  Mais  la 
fixité  de  l'impôt  n'avait  pas  fait  disparaître  les  abus  pour  autant.  La  perception  restait 
aussi  vexatoire  que  par  le  passé,  les  agents  du  gouvernement  décidaient  arbitrairement 
des  étendues  imposables,  volaient  les  paysans  en  mesurant  les  grains.  En  1865,  l'agent 
consulaire  de  Sousse  estimait  qu'en  moyenne,  les  huit  mesures  de  grain  que  prélevaient 
les  percepteurs  de  l'achour  correspondaient  à  onze  mesures  du  commerce^'^.  L'achour 
était  prélevé  dans  l'ensemble  de  la  Régence  mais  surtout  dans  le  Nord  -  Ouest  du  pays, 
sur  les  populations  sédentaires  des  plaines  de  la  Medjerda  et  de  la  région  de  Tunis'’5. 

Sur  les  oMveltteæ  Ite  cammm  (oj-iLi),  taxe  établie  d'une  façon  différente  selon  les 

régions.  Dans  le  Sahel,  le  canoun  était  prélevé  en  argent  sur  l'arbre  même.  Les  oliviers 
étaient  classés  en  trois  catégories  selon  leur  âge  et  leur  capacité  de  production,  les  taxes 
variant  de  4  â  6  caroubes^^  selon  les  catégories.  Pour  encourager  les  paysans  à  planter, 
il  avait  été  décidé  que  les  révisions  des  listes  d'imposition  n'auraient  lieu  que  tous  les 
vingt  ans.  Dans  les  autres  régions,  dans  le  cap  Bon  et  la  banlieue  de  Tunis  notamment, 
l'impôt  prenait  la  forme  d'une  dîme  sur  la  récolte.  Mais  sous  une  forme  ou  sous  ime 
autre,  la  perception  en  en  était  aussi  abusive  que  celle  de  l'achour. 

Le  canoun  des  dattiers  de  Djérid  et  du  Nefzaoua  était  perçu  de  la  même  façon  que 
celui  des  oliviers  et  du  Sahel.  Une  réforme  dûe  à  Mohammed  Bey  avait  simplifié  en 
principe  la  perception  de  l'impôt,  aboli  les  taxes  traditionnelles,  et  amené  le  canoun  au 
taux  de  deux  piastres  par  pied  pour  les  dattiers  degla,  et  de  quatorze  caroubes  pour  les 
autres^^.  Comme  pour  l'achour,  la  perception  du  canoun  des  oliviers  et  des  dattiers,  était 
confiée  aux  caïds,  aux  khalifats  et  à  leurs  agents^s 


61  Arch.  Rés.  Consulats.  Roches  à  Walewski  Tunis  6  janvier  1857. 

62  A.  E.  Tunis  vol  17.  Roches  à  Walewski.  Tunis  6  janvier  1857. 

63  Ibid,  même  dépêche.  -  Ben  Dhiaf  chap.  VII  année  1273. 

64  Arch.  Rev.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt,  Sousse.  1®*^  mars  1865. 

65  L'achour  produisait  1.229.415  piastres  en  1277  (20  juillet  1860-8  juillet  1861).  En  principe,  l'impôt  était 
perçu  en  argent  sur  les  nomades  et  en  nature  sur  les  populations  sédentaires.  Les  habitants  des  districts  du 
nord-ouest  devaient  en  verser  le  montant  directement  aux  magasins  de  la  Rabta  à  Tunis,  ceux  du  Sahel  et  du 
Sud  dans  les  silos  des  caïds. 

66  Arch.  Rés.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sousse,  1  mars  1865,  E.  Degubernatis,  vice-consul  à  Sousse, 
Descrizione  delSâhel,  BoUetino  consolare,  vol.  H,  fasc.  XII,  p.  1103.  La  caroube  valait  1/16^'"®  de  piastre. 

67  Arch.  Guerre.  Tunisie.  Carton  13.  Rapport  sur  une  expédition  dans  le  Sud  de  la  Régence  de  Tunis  par  M. 
Tissot,  élève  consul  attaché  à  la  mission  française.  Tunis,  1^*^  mai  1857.  Exposé  moins  précis  de  Botmiliau 
Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  14  juillet  1868. 

68  Le  canoun  produisait  2.719.344.06  piastres  en  1277  (Sahel,  1.103.031,07  Djérid  et  Nefzaoua  1.099.304,11). 


70 


En  juillet  1856.  Mohammed  Bey  avait  aboli  un  certain  nombre  de  taxes  datant  de 
l'époque  turque,  perçues  de  façon  irrégulière  sur  les  populations  des  villes  et  des  tribus, 
et  qui  prenaient  la  forme  de  tributs  en  argent  ou,  comme  la  diffa,  de  cadeaux  en  nature 
à  l'occasion  de  l'avènement  d'un  bey  ou  de  la  nomination  d'un  nouveau  caïd.  Pour  les 
remplacer,  on  avait  institué  une  capitation  annuelle  de  trente-six  piastres,  la  mejba^^, 
que  devaient  acquitter  tous  les  sujets  tunisiens  mâles  et  pubères,  à  l'exception  des 
originaires  des  villes  de  Tunis,  Kairouan,  Sousse,  Monastir  etSfax^o.  D'autres  exemptions 
légales  étaient  venues  s'y  ajouter,  en  faveur  des  dignitaires  religieux,  des  étudiants  et  des 
soldats.  L'institution  de  la  mejha  avait  été  particulièrement  mal  accueillie  dans  le  pays. 
L'impôt  était  lourd,  sa  perception  donnait  lieu  à  toutes  sortes  d'abus  et  de  vexations.  Les 
caïds  ne  déclaraient  au  gouvernement  qu'un  nombre  réduit  de  contribuables^^  ;  ils  n'en 
pourchassaient  pas  moins  leurs  administrés  avec  énergie,  exigeant  la  mejha  pour  des 
enfants  ou  des  morts,  s'efforçant  de  recouvrer  plusieurs  fois  la  même  taxe.  En  revanche, 
de  nombreux  douars  réussissaient  souvent  à  esquiver  le  paiement  de  l'impôt,  en  se 
déplaçant  en  temps  opportun. 

La  répartition  des  impôts  directs  soulignait,  selon  les  régions,  des  différences 
de  traitement  considérables.  Les  populations  sédentaires  du  Sahel,  du  Djérid  et  du 
Nord  de  la  Régence  étaient  les  plus  fortement  imposées.  Les  villageois  des  caïdats  de 
Sousse,  Monastir  et  Mahdia,  ceux  du  Djérid  payaient  en  moyenne  une  quarantaine  de 
piastres  par  an  et  par  tête  ;  dans  les  districts  de  Tebourba  et  de  la  banlieue  de  Tunis^^^ 
ces  chiffres  s'élevaient  à  158  et  161  piastres.  En  revanche,  les  tribus  nomades  dont  le 
bétail  n'était  pas  imposé  ne  payaient  pas  plus  de  6  à  8  piastres,  au  moins  en  théorie, 
c'est-à-dire  le  montant  de  la  seule  capitation^^  Encore  était-il  entre  elles  de  sensibles 
différences  de  traitement.  Tandis  que  les  tribus  les  plus  faibles  étaient  soumises  à  des 
paiements  réguliers,  le  gouvernement  devait,  chaque  année,  discuter  ou  combattre  avec 
les  nomades  de  grande  tente  avant  d'en  obtenir,  en  nature  ou  en  espèces,  un  tribut  qui 
était  plus  la  reconnaissance  d'une  vassalité  que  le  paiement  d'un  véritable  impôt.  Deux 
fois  par  an,  au  début  du  printemps  et  à  la  fin  de  l'été,  le  bey  dépêchait  dans  le  sud  et 
l'ouest  de  la  Régence  une  expédition  militaire  chargée  de  recouvrer  les  impôts  ;  c'était 
le  camp,  placé  sous  le  commandement  du  prince  héritier,  ou  bey  du  camp.  Le  succès 
du  camp  dépendait  surtout  de  son  appareil  militaire.  Les  tribus  sahariennes  profitaient 
en  général  de  la  faiblesse  des  autorités  de  Tripoli  pour  émigrer  vers  le  sud  en  temps 
utile  ;  elles  évitaient  en  moyenne  trois  ans  sur  quatre  le  paiement  de  toute  contribution. 
Quant  aux  montagnards  du  Tell  dont  les  troupes  beylicales  ne  pouvaient  avoir  raison, 
ils  échappaient  complètement  à  l'impôt  et  ne  figuraient  même  pas  à  titre  fictif  sur  les 
registres  de  contribution  du  beylik. 


69  Les  consuls  européens  employaient  le  mot  mejba  (i'^o  :  impôt  personnel)  pour  désigner  cette  taxe  à  laquelle 
le  gouvernement  donnait  le  nom  de  contribution  (iiUi). 

70  F.  0.  102/50.  Wood  à  Stratford  de  Redcliffe.  Tunis,  7  juillet  1856.  A.E.  Tunis.  Vol.  16.  Roches  à  Walewski.  La 
Marsa,  7  juillet  1856.  Maurice  Chenel  La  Mejha,  impôt  de  capitation  tunisien.  Tunis,  1912. 

71  Les  listes  pour  1277  ne  portaient  qu'un  total  de  221.664  imposables,  dont  205.194  s'étaient  acquittés 
effectivement,  soit  un  revenu  de  7.386.984  piastres. 

72  Les  caïdats  de  La  Goulette,  d'Hammam-Lif  et  de  la  Mohammedia  qui  devaient  être  regroupés  par 
l'administration  française  pour  former,  avec  celui  de  Tebourba,  le  caïdat  de  Tunis-Banlieue. 

73  Ce  calcul  a  été  fait  en  1870  par  l'inspecteur  des  Finances  Villet,  détaché  en  mission  auprès  du  bey,  d'après 
les  registres  financiers  des  années  1864/65  à  1867/68.  La  mejha  avait  alors  été  réduite  à  25  piastres  pour 
l'année  fiscale  en  cours.  On  estimait  qu'un  habitant  sur  quatre  y  était  assujetti  en  moyenne  (A.  E.  Tunis, 
vol.  34.  Tableau  joint  à  l'annexe  n°  1  à  la  lettre  de  Villet  du  20  septembre  1870  :  désignation  des  caïderies. 
Montant  des  divers  impôts.  Quotité  de  l'impôt  payé  par  tête). 


71 


Ainsi,  le  régime  des  impôts  directs  traduisait-il  un  système  féodal  où  les  sujets  du 
bey  n'étaient  point  taxés  en  proportion  de  leurs  ressources  supposées  ou  réelles,  mais  en 
raison  inverse  de  leur  puissance  ou  de  leur  faculté  de  résistance,  les  nomades  belliqueux 
étant  épargnés  aux  dépens  des  sédentaires,  les  plus  faibles  devant  payer  pour  les  plus 
puissants  et  les  plus  pauvres  pour  les  plus  riches. 

Grâce  aux  impôts  indirects,  le  gouvernement  disposait  de  revenus  considérables 
et  relativement  faciles  à  percevoir.  Aussi  avait-il  tendance  à  en  abuser  et  à  ruiner  le 
commerce  par  la  multiplication  des  taxes. 

En  vertu  des  Capitulations,  le  gouvernement  tunisien  ne  pouvait  imposer  aux 
produits  importés  de  l'étranger  que  des  taxes  ad  valorem  de  3%  au  maximum.  Une  seule 
exception  avait  été  consentie  pour  les  vins  et  spiritueux  qui  étaient  taxés  d'un  droit 
d'entrée  de  10%.  Aussi,  le  gouvernement  avait-il  imaginé  de  frapper  de  droits  de  douane 
les  exportations  du  pays.  Grains,  huiles,  laines,  tous  les  produits  indigènes  étaient  taxés 
dans  les  ports  tunisiens  de  droits  de  sortie  d'un  montant  théorique  de  8%.  Pour  les 
acquitter,  les  négociants  devaient  acquérir  des  teskérés^'^  ou  permis  d'exportation  que 
le  bey  mettait  en  circulation  quelques  mois  avant  la  récoltées  pg  pgy  était  d'ailleurs  le 
principal  vendeur  de  grains  et  d'huile  du  pays.  Dans  ses  magasins  de  Tunis  s'entassait 
le  produit  des  impôts  en  nature  ;  une  partie  en  servait  à  nourrir  les  troupes  et  la  maison 
du  prince,  le  reste  était  exporté  par  l'intermédiaire  des  négociants  de  la  place.  Mais, 
sur  les  droits  d'exportation  proprement  dits,  s'étaient  greffées  toute  une  série  de  taxes 
d'entrepôt,  de  manutention,  de  vérification,  de  pesage,  qui,  avec  les  frais  de  transport 
et  les  bakchich  de  rigueur,  arrivaient  à  doubler  ou  quadrupler  les  droits  de  douane.  Le 
vice-consul  de  France  à  La  Goulette,  Charles  CubisoP®,  calculait  en  1867  que  500  métaux 
d'huile  (un  peu  moins  de  100  hectolitres)  de  première  qualité,  achetés  à  Tunis  14  437,50 
piastres,  revenaient  rendus  à  bord,  à  17.529,37  piastres,  soit  121%  de  leur  prix  d'achat. 
Dix  balles  de  laine  en  suint,  coûtant  2.705,85  francs,  revenaient  pareillement  à  3.950,35 
francs,  soit  146%  de  leur  valeur  d'achat^^. 

Les  excès  mêmes  d'une  fiscalité  absurde  et  tracassière  engendraient  des  abus  dont  le 
gouvernement  était  le  premier  à  souffrir.  Une  partie  des  huiles  du  Sahel  était  embarquée 
en  fraude  par  les  contrebandiers  maltais.  Dans  le  nord-ouest,  les  grains  qui  avaient  pu 
échapper  à  la  rapacité  des  percepteurs  de  l'achour  passaient  une  frontière  interdite 
mais  mal  gardée,  pour  gagner  le  port  de  Bône  d'où  ils  s'embarquaient  en  franchise  pour 
Marseille^®. 

Sur  le  marché  local,  depuis  le  règne  d'Ahmed  Bey,  le  gouvernement  s'était  arrogé 
un  certain  nombre  de  monopoles,  comme  ceux  de  la  poudre,  du  tabac  et  du  sel,  dont  il 


74  Le  terme  de  teskéré  (ojS.i-0  désignait  en  général  le  papier  du  gouvernement,  bons  du  Trésor  ou  assignations 
en  nature. 

75  F.  0.102/5.5.  Wood  à  Malmesbury.  Tunis,  30  octobre  1858. 

76  Cubisol  (Jean-Charles),  né  à  La  Goulette,  le  18  avril  1817,  d'une  famille  originaire  de  La  Ciotat,  marié  en 
premières  noces,  à  Tunis,  à  Camille  Bottary,  le  15  décembre  1845,  puis  à  la  sœur  de  celle-ci,  Marie,  à  La 
Goulette,  le  5  mai  1855,  mort  à  La  Goulette,  en  juin  1868.  (Reg.  Ste  Croix  et  Goulette). 

Vice-consul  de  France  à  La  Goulette,  depuis  1855,  Cubisol  était  en  même  temps  consul  de  Belgique  et  agent 
consulaire  de  presque  toutes  les  puissances  européennes.  Il  était  également  agent  des  compagnies  de 
navigation  françaises.  Son  fils  Joseph  lui  succéda  en  1868. 

77  Ch.  Cubisol  :  Notices  abrégées  sur  la  Régence  de  Tunis.  Bône,  1867,  p.  71-73. 

Le  métal  (juio)  de  Tunis  valait  19,16  1,  celui  de  Sousse  près  de  24  litres.  4  métaux  de  Sousse  valaient  5  métaux  de 
Tunis. 

78  La  loi  du  11  janvier  1851  admettait  en  franchise  en  France  tous  les  produits  en  provenance  d'Algérie  (Arch. 
Rés.  Comm.  De  Theis  à  Baroche.  Tunis,  18  mai  1851). 

72 


tirait  argent  en  les  affermant  à  des  adjudicataires  désignés  sous  le  nom  d'appaltateurs^^. 
Les  enchères  étaient  de  pure  forme,  le  plus  souvent,  les  fermiers  n'étant  que  les  associés 
ou  les  hommes  de  paille  des  caïds,  ou  des  grands  personnages  de  la  cour.  La  vente  des 
céréales,  de  la  laine,  celle  des  cuirs  et  des  peaux,  la  fabrication  du  plâtre,  de  la  chaux, 
du  savon,  des  chéchias,  la  pêche  aux  éponges  et  au  corail  étaient  soumises  à  des  taxes 
dont  la  perception  était,  comme  celle  des  droits  d'octroi,  la  caroube  sur  les  loyers  urbains®° 
également  abandonnée  à  des  fermiers.  A  Tunis,  chacun  de  ces  droits  était  adjugé 
séparément.  A  Sousse,  Sfax  et  dans  toutes  les  villes  de  la  côte,  toutes  ces  appaltes  étaient 
mises  aux  enchères  en  bloc,  sous  le  nom  de  droits  réunis®^. 

Fermages  et  monopoles  étaient  autant  d'entraves  à  la  liberté  du  commerce  et  du 
travail.  Les  agents  des  fermiers  rivalisaient  d'ingéniosité  et  de  mauvaise  foi  pour  tirer 
de  leurs  fonctions  les  plus  larges  profits.  Tantôt,  c'était  une  peau  que  l'on  jetait  de  nuit 
dans  un  entrepôt,  tantôt  un  paquet  de  tabac  que  l'on  glissait  dans  la  charge  d'une  bête 
de  somme,  près  des  octrois,  et  à  la  faveur  d'une  perquisition  menée  avec  des  gendarmes 
complaisants,  on  pouvait  se  saisir  d'un  coupable,  extorquer  une  lourde  amende®^.  Les 
autorités  locales  couvraient  ce  honteux  trafic  ;  les  gendarmes  y  gagnaient  un  bakchich  ; 
caïds  etkhalifats  étaient  partie  prenante  dans  les  fermages.  Mais,  en  période  de  troubles, 
les  fermiers  et  leurs  agents  étaient  en  général  les  premières  victimes  des  émeutes,  le 
pillage  de  leurs  maisons,  les  premières  manifestations  des  violences  populaires. 

b)  Recettes  et  dépenses 

Il  nous  semble  malaisé  d'arriver  à  une  évaluation  sérieuse  des  revenus  de  la  Régence, 
dans  les  dernières  années  de  son  indépendance  financière.  Les  recettes  variaient  de 
façon  sensible,  d'une  année  sur  l'autre,  au  hasard  des  récoltes,  selon  la  fortune  des 
recouvrements  sur  les  tribus  nomades. 

Jusqu'en  1860,  le  gouvernement  tunisien  n'établissait  pas  de  budget  régulier  et 
s'en  tenait  toujours  au  système  des  bons  de  caisse  qui  ne  permettaient  aucun  contrôle 
sérieux.  Les  contrats  d'affermage  étaient  assortis  de  clauses  bizarres,  de  soultes 
traditionnelles  qui  compliquaient  les  comptes  et  favorisaient  les  prévarications. 
Ainsi,  la  perception  des  grains  s'opérait  dans  le  pays  en  mesures  débordantes,  mais 
le  versement  dans  les  magasins  du  bey  était  calculé  en  mesures  commerciales  rases  ; 
la  différence  constituait  un  boni  officiel  dont  le  partage  entre  le  gouvernement  et  les 
fermiers  était  la  source  de  contestations  interminables,  en  l'absence  de  cahiers  des 
charges  méritant  ce  nom®^.  Il  fallait  encore  tenir  compte  de  la  disparité  des  poids  et 
mesures,  selon  les  régions®'*,  convertir  en  piastres  le  produit  des  impôts  en  nature, 
escompter  les  ventes  anticipées.  L'administration  passait  avec  désinvolture  d'un 
compte  à  un  autre,  payait  en  huile  une  fourniture  de  blé,  abusait  des  assignations  sur 
les  rentrées  d'impôts  à  venir. 


79  Francisation  locale  de  Fitalien  appaltatore,  adjudicataire. 

80  Appelée  ainsi  parce  que  son  taux  était  d'une  caroube  par  piastre  de  loyer,  soit  d'l/16°. 

81  Vers  1860,  l'administration  tunisienne  distinguait  deux  catégories  de  revenus  indirects  lezma  etmahsoulâts. 

Sous  le  nom  de  lezma  (io>!  forme  moderne  pour  :  impôt,  tribut,  ferme  d'un  impôt),  on  rangeait  la 

douane  et  les  monopoles  affermés  ;  sous  celui  de  mahsouîats  (o'^  .n  o),  les  taxes  locales,  droits  d'octroi,  de 
marché,  la  caroube  sur  les  loyers. 

82  Ben  Dhiaf  chap.  VI,  années  1257  et  1261. 

83  Le  dernier  mot  sur  les  comptes  en  blé  du  général  Benaïad  et  le  prétendu  compte  de  Bahram.  Paris,  1855,  pp.  1 
et  12-52. 

84  Ainsi,  le  métal  de  Tunis  valait  19  litres,  celui  de  Sousse,  près  de  24  le  caffi  (j'^ij  :  mesure  de  grains)  de  Béja, 
13  hectolitres,  celui  de  Tunis,  la  moitié.  Chaque  localité  avait  ses  poids  et  mesures  particuliers. 


73 


Les  fonctionnaires  tunisiens  paraissaient  incapables  de  dresser  un  bilan  d'ensemble. 
Le  premier  ministre  ne  se  souciait  nullement  d'éclaircir  une  situation  confuse  :  il 
demandait  seulement  de  servir  ses  intérêts  aux  créatures  et  aux  complices  dont  il 
peuplait  les  bureaux  financiers  de  son  triple  ministère.  Selon  les  besoins  de  la  cause, 
Sidi  Mustapha  gonflait  ou  réduisait  l'évaluation  qu'il  présentait  de  telle  ou  telle  branche 
de  revenus.  11  répugnait  tout  particulièrement  à  présenter  un  bilan  financier.  Lorsqu'il 
avait  dû  rendre  compte  de  sa  gestion,  lors  de  l'avènement  du  bey  Mohammed,  en  1855, 
il  s'était  borné  à  un  exposé  de  fantaisie,  sans  pièces  comptables,  dans  lequel  les  revenus 
extraordinaires,  qualifiés  cyniquement  par  lui  de  «produits  de  ses  doigts»,  servaient  à 
masquer  les  invraisemblances  de  ses  assertions^^. 

Si  l'on  en  croit  un  document  conservé  dans  les  archives  du  gouvernement  tunisien, 
le  montant  total  des  recettes  de  l'Etat,  pendant  les  quinze  dernières  années  du  règne  du 
bey  Ahmed,  aurait  été  de  153.109.280,1  piastres,  et  de  57.429.364  piastres,  pendant  les 
quatre  ans  et  demi  du  règne  de  son  successeur,  les  dépenses  correspondantes  étaient 
respectivement  de  148.799.801,12  et  de  58.116.916  piastres.  D'une  année  sur  l'autre, 
les  revenus  pouvaient  varier  du  simple  au  double®^.  Pendant  les  huit  premières  années 
(1257-1264  =  février  1841  -  novembre  1848),  les  recettes  s'établissaient  à  près  de 
11  millions  de  piastres  en  moyenne,  à  10  millions  pendant  les  sept  dernières  années  du 
règne  d'Ahmed  Bey  (1265  -  1271  =  novembre  1848  -  septembre  1855).  Sous  le  règne  de 
Mohammed  Bey,  les  quatre  années  fiscales  1272-1275  (septembre  1855  -  juillet  1859), 
donnaient  un  produit  moyen  de  12.750.000  piastres®^. 

A  partir  de  1860,  l'application  des  réformes  constitutionnelles  valut  à  la  Régence  au 
moins  les  apparences  d'un  budget  régulier.  Le  directeur  des  Finances  dressa  pour  l'année 
1277  (20  juillet  1860  -  8  juillet  1861)  un  état  des  prévisions  budgétaires.  Un  budget 
définitif  fut  établi  à  la  fin  de  l'année.  On  procéda  de  même  pour  1278,  le  budget  devant 
être  soumis  à  l'examen  d'une  commission  du  Grand  Conseil.  Les  budgets  des  années 
suivantes  devaient  être  établis  de  la  même  façon.  Mais  le  désordre  ne  disparut  pas  pour 
autant  ;  les  bilans  du  ministère  demeurèrent  fantaisistes.  Le  khaznadar  devait  avoir  pour 
politique  de  surestimer  toujours  plus  les  revenus  de  l'Etat,  à  mesure  qu'il  s'engageait 
dans  la  voie  des  emprunts  étrangers  et  qu'il  devait  abandonner  aux  créanciers  le  produit 
de  divers  impôts.  En  1860,  il  n'était  pas  encore  sérieusement  question  d'emprunt.  Les 
documents  conservés  dans  les  archives  tunisiennes  ne  nous  permettent  cependant  pas  de 
chiffrer  avec  précision  les  ressources  réelles  de  l'Etat  à  cette  époque.  Prévisions,  budgets 
définitifs  et  récapitulations  ne  concordent  point®®.  11  semble  toutefois  que  les  recettes  du 


85  Le  problème  tunisien  vu  à  travers  la  question  d'Orient,  manuscrit  inspiré  par  Khérédine,  publié  par  MM.  Mzali 
et  Pignon.  R.T.  1935,  p.  215. 

86  11.940.000  P.  en  1274  (1857-58],  18.231.000  P.  en  1275  (Arch.  Tun.  Doss.93  ter  :  Anciens  impôts,  en  arabe). 
Nous  ne  savons  à  quel  usage  était  destinée  cette  récapitulation  clairement  présentée.  Le  bel  équilibre 
budgétaire  dont  elle  nous  offre  le  tableau  (Recettes  211  millions  de  piastres.  Dépenses  :  206  millions,  pour 
les  deux  règnes)  est  particulièrement  suspect  et  l'on  explique  difficilement  comment,  après  20  années 
excédentaires  le  gouvernement  du  bey  aurait  pu  avouer,  en  juillet  1860,  une  dette  de  19  millions  de  piastres. 

87  Ibid.,  Pour  pouvoir  comparer  des  années  entières,  nous  avons  rattaché  au  règne  d'Ahmed  Bey  les  revenus 
des  trois  derniers  mois  de  1271. 

88  Les  budgets  de  cette  période  sont  conservés  dans  le  carton  92  des  archives  tunisiennes.  Le  dossier  82  est 
consacré  au  budget  de  1277.11  contient  : 

-  un  état  de  prévisions  budgétaires  intitulé  «Répartition  des  dépenses»,  ni  daté,  ni  signé,  qui  fournit  le  total 
des  recettes  escomptées  avec  le  produit  de  cinq  grandes  branches  de  revenus,  le  détail  et  le  total  de  dépenses 
à  engager  (A). 

-  un  projet  ou  brouillon  de  projet  de  répartition  de  dépenses  se  référant  aux  mêmes  prévisions  budgétaires. 

-  un  exemplaire  du  budget  de  1277,  authentifié  par  la  signature  du  directeur  des  Finances  et  daté  du 


74 


gouvernement  devaient  être  de  l'ordre  de  17  à  18  millions  de  piastres  -  l'équivalent  de 
11  millions  de  francs  -  pour  les  années  1277  et  1278  (juillet  1860  -  juin  1862),  années  de 
bonnes  récoltes.  Six  ans  plus  tard,  le  khaznadar  présentait  un  budget  de  43  millions  de 
piastres®®.  Mais  un  inspecteur  des  Finances  français  détaché  au  service  du  gouvernement 
beylical,  à  partir  de  1869,  l'inspecteur  Villet,  devait  démentir  les  assertions  du  premier 
ministre.  D'après  les  documents  du  ministère  des  Finances,  Villet  établissait  que,  entre 
1281  et  1284  (1864-65  à  1867-68),  quatre  branches  de  revenus  dont  le  produit  avait 
été  évalué  à  16.776  231  piastres  n'avaient  fourni  au  Trésor  que  5.105.294  piastres. 


9  hijja  1277  =  18  juin  1861  (le  mois  de  hijja  est  le  dernier  de  l'année),  contenant  le  détail  du  produit  des  cinq 
branches  de  revenus,  avec  le  total  de  chacune  d’elles,  mais  non  le  total  général  des  recettes  que  nous  avons 
reconstitué,  et  le  détail  des  différentes  dépenses  (série  incomplète),  accompagné  d'un  décompte  mensuel 
aboutissant  à  un  total  général  (B). 

Le  dossier  83  est  consacré  au  budget  de  1278.  Il  contient  : 

-  un  état  de  prévisions  budgétaires  signé  et  daté  du  9  hijja  1277  qui  reproduit  les  chiffres  du  budget  de  1277, 
sauf  en  ce  qui  concerne  le  canoun  (C). 

-  un  exemplaire  du  budget  de  1278  analogue  à  celui  de  1277,  mais  incomplet  (D). 

-  une  récapitulation  sommaire  du  budget  (recettes,  dépenses,  excédent),  signée  du  Directeur  des  Finances 
et  du  trésorier  Samama,  et  datée  du  1”  joumada  1280=14  octobre  1863. 

Le  dossier  85  est  consacré  au  budget  de  1279.  Les  budgets  de  1280  et  des  années  suivantes  manquent. 

Le  dossier  87  contient  un  tableau  récapitulatif  des  budgets  de  1277  à  1280  (Etats  sommaires  des  recettes, 
des  dépenses  et  de  la  balance  budgétaire)  pièce  non  datée  (E).  Les  chiffres  contenus  dans  ce  dernier  tableau 
ne  correspondent  pas  à  ceux  des  budgets  annuels.  Ils  laissent  apparaître  des  excédents  budgétaires  insolites 
pour  1277  et  1278  et  indiquent  un  total  de  recettes  identique  pour  1279  et  1280.  Cependant,  les  chiffres 
pour  1278  sont  les  mêmes  que  ceux  de  la  récapitulation  du  l"joumada  1280. 

(Aj  Prévisions  pour  1277 


Àchour 

Canoun 

Taxe  personnelle 

Lezma 

Mahsoulats 

950.000 

2.035.091 

6.763.309 

2.580.800 

2.009.639 

RECETTES. 

DEPENSES. 

Excédent 

14.338.839 
13.206.621 
1.132.218  P 

(B)  Budget  de  1277 
Achour 

Canoun 

Taxe  personnelle 

Lezma 

Mahsoulats 

14.338.839  P. 

1.229.415 
2.719.344,06  1/2 
7.386.984 
3.490.826,11 
2.737.836 

RECETTES. 

DEPENSES. 

Déficit. 

17.564.406 

19.303  531 
1.739.125  P. 

(C)  Prévisions  pour  1278 
Achour 

Canoun 

Taxe  personnelle 

Lezma 

Mahsoulats 

17.564.406,01  1/2 

1.229.415 
2.712.140,03  1/2 
7.386.984 
3.490.826,11 
2.737.836 

RECETTES. 

DEPENSES. 

Déficit 

18.491.420 

18.868.810 

377.390  P. 

17.557.201 

934.220 

18.491.420  P. 

(D)  Budget  de  1278 

(E)  Tableau  récapitulatif  des  budgets  de  1277 
Recettes. 

Intérêts  de  la  dette. 

RECETTES 
DEPENSES 
Excédent 
à  1280 

19.826.346,12 
1.065.384,(j61  1/2 

17.982.062,05 
12.596.672 
5.385.390,05  P. 

19.182.062,05  1/2 
1.200.000 

Dépenses 

18.760.961,051 

14.746.979,11 

17.982.062,05  1/2 
12.596.672 

Excédent 

4.013.981,07 

5.385.390,05  1/2  P. 

89 


Arch.  Tun.  Doss  81  carton,  92.  Procès-verbal  présenté  par  la  commission  chargée  en  1284/85  de  réviser  les 
ressources  du  gouvernement  tunisien  (en  arabe).  La  commission  s'était  chargée  de  ramener  les  dépenses  de 
47.733.703  à  39.420.510  piastres,  en  regard  d'un  total  de  recettes  de  43.848.  247,11  piastres  présenté  par 
le  gouvernement. 


75 


soit  30%  des  estimations  primitives  du  ministère®^.  Villet  devait  admettre  qu'avec  une 
gestion  plus  sérieuse,  dans  une  période  plus  calme,  il  fallait  faire  la  part  d'un  manque  à 
recouvrer  régulier,  que  l'équilibre  budgétaire  ne  pouvait  être  assuré  qu'à  condition  que 
les  recettes  prévues  fussent  supérieures  d'au  moins  un  tiers  aux  dépenses  nécessaires. 
Pour  l'année  fiscale  1287  (1870-71},  il  estimait  à  moins  de  15  millions  de  piastres  les 
recettes  budgétaires  tunisiennes  et  l'événement  devait  démontrer  que  cette  évaluation 
était  trop  optimiste  encore®!. 

Les  agents  étrangers  les  mieux  informés,  les  consuls  de  France  et  d'Angleterre  ne 
soupçonnaient  pas  qu'il  pût  y  avoir  une  telle  disparité  entre  les  chiffres  avancés  par  le 
gouvernement  et  les  revenus  réels  de  l'Etat  tunisien.  En  1859,  Léon  Roches  estimait 
ceux-ci  à  25  millions  de  piastres®^.  Vers  1865-1866,  Wood  et  Duchesne  de  Bellecourt 
admettaient  des  chiffres  de  l'ordre  de  40  millions.  Cubisol  croyait  pouvoir  estimer  à 
43.414.000  piastres  les  revenus  d'ensemble  du  bey®^. 

Même  réduits  à  15  ou  18  millions  de  piastres,  ces  revenus  paraissaient  encore 
largement  suffisants  pour  couvrir  les  besoins  d'un  gouvernement  qui  n'assurait  aucun 
service  public  et  n'avait  d'autres  dépenses  régulières  que  la  maison  du  prince  et  l'entretien 
d'une  petite  armée  chargée  surtout  d'aider  à  la  perception  des  taxes.  L'armée  régulière 
comptait  en  principe  25.000  hommes,  mais  quelques  milliers  de  soldats  seulement  étaient 
en  service  ;  la  marine  était  réduite  à  un  millier  d'officiers  et  de  marins  ;  les  irréguliers 
n'étaient  levés  qu'en  cas  de  besoin.  Au  total  les  budgets  de  l'armée  et  de  la  marine  ne 
dépassaient  guère  3  millions  de  piastres.  La  maison  du  bey,  les  pensions  des  princes,  les 
dépenses  d'administration  coûtaient  6  millions.  Avec  les  fournitures  de  tous  genres,  on 
arrivait  à  un  total  d'environ  13  millions®^. 

Sans  doute  ne  s'agissait-il  là  que  des  dépenses  ordinaires  du  gouvernement.  11  fallait 
tenir  compte  aussi  des  missions  en  Europe,  des  ambassades  extraordinaires  auprès  du 
sultan,  des  cadeaux  offerts  par  le  bey  en  ces  circonstances  ;  il  fallait  y  ajouter  l'intérêt  de 
la  dette  flottante®^,  les  constructions,  les  achats  de  matériel,  toutes  dépenses  difficiles 


90  A.  E.  Tunis,  vol.  34  Annexe  n°  1  à  lettre  de  Villet  (qui  manque),  datée  de  Tunis  à  la  fois  du  20  septembre  1870 
et  du  2  février  1871. 

Il  n'était  entré  dans  les  caisses  du  gouvernement  que  49%  du  produit  du  canoun,  43%  du  montant  des 
mahsouîats,  29%  de  la  taxe  personnelle  et  13%  seulement  du  produit  de  Vachour.  L'année  1864  avait  été 
marquée,  il  est  vrai,  par  une  insurrection  générale  qui  avait  interrompu  partout  le  recouvrement  des  impôts. 
Mais,  à  la  faveur  de  la  répression,  le  gouvernement  avait  pu,  dès  1865,  recouvrer  l'arriéré  des  impôts,  exiger 
par  surcroît  des  contributions  extraordinaires  dont  le  produit  aurait  dû  gonfler  les  recettes  du  Trésor. 

91  Ihid.  Annexe  n°  2  à  la  même  lettre.  Tunis,  29  septembre  1870. 

Villet  estimait  à  moins  de  7  millions  de  piastres  les  recettes  probables  du  gouvernement  pour  1287.  Il  fallait 
y  ajouter  le  produit  des  revenus  que  le  bey  avait  concédés  à  ses  créanciers  pour  le  paiement  des  intérêts  de 
sa  dette,  revenus  estimés  par  le  gouvernement  à  10  millions  de  piastres,  et  sur  lesquels  Villet  prévoyait  un 
manque  à  recouvrer  de  2  millions.  Le  budget  de  1287  portait  la  trace  des  événements  qui  venaient  d'affecter 
le  pays.  La  Tunisie  avait  été  épuisée  par  des  révoltes,  des  épidémies,  une  fiscalité  oppressive.  La  population 
avait  diminué,  les  troupeaux  étaient  décimés  ;  les  surfaces  cultivées  se  réduisaient  d'année  en  année.  Il  avait 
fallu  diminuer  les  impôts  pour  encourager  les  paysans  à  se  remettre  au  travail. 

92  Arch.  Rés.  Roches  à  Walewski.  Tunis,  26  novembre  1859. 

93  Notices  abrégées  sur  la  Régence  de  Tunis,  op.  cit  p.  81. 

94  Arch.  Tun.  Doss.  82,  carton  92  budget  de  1277. 

En  additionnant  les  différentes  sommes  prévues  pour  la  solde  et  l'entretien  de  l'armée  et  de  la  marine,  dans 
l'état  de  répartition  des  dépenses,  on  arrive  à  un  total  de  3.111.502  piastres.  Liste  civile  du  bey,  pensions  des 
princes,  traitements  des  ministres,  fonctionnaires  et  caïds,  entretien  des  chevaux  font  un  total  de  6.054  953 
piastres.  Un  autre  état  signale  les  demandes  de  crédit  des  ministères,  soit  3.258.448  piastres  pour  la  Guerre 
et  la  Marine  et  6.044.822  piastres  pour  le  premier  ministère. 

95  Ibid.  Doss.  87,  carton  92  :  1.065.384  piastres  pour  1277,1.200.000  pour  1278,  7.627.409  pour  1279  et  1280, 
selon  le  tableau  de  récapitulation  des  budgets  tunisiens. 


76 


à  évaluer  mais  qui  devaient  s'élever  à  plusieurs  millions  de  piastres  chaque  année.  La 
plupart  d'entre  elles  étaient  plus  ou  moins  des  dépenses  somptuaires.  On  pouvait,  sans 
affecter  la  marche  du  gouvernement,  rogner  sur  l'une  ou  l'autre  au  besoin.  L'événement 
devait  démontrer  qu'une  politique  d'économies  sévères  pouvait  réduire  les  dépenses 
du  gouvernement  à  moins  de  dix  millions  de  piastres  chaque  année.  Mais  ce  n'était  ni 
d'économies  ni  d'équilibre  budgétaire  que  se  souciait  le  gouvernement.  Les  rentrées 
d'argent  n'étaient  que  prétexte  aux  dilapidations  et  aux  prévarications  les  plus  cyniques. 
Mustapha  Khaznadar  n'avait  d'autre  politique  que  l'exploitation  forcenée  du  pays.  Au 
fur  et  à  mesure  que  s'avançait  le  règne  de  Mohammed  es  Sadok,  il  allait  encourager  les 
dépenses  extraordinaires,  une  politique  de  grands  travaux  qui  lui  valait  des  ristournes 
considérables.  Sa  fortune  personnelle  était  estimée  à  près  de  vingt  millions  de  francs,  sans 
compter  les  domaines  et  les  maisons  qu'il  possédait  dans  le  pays.  Mais  son  avidité  ne  s'en 
satisfaisait  pas  encore,  il  était  seulement  limité  par  la  possibilité  de  trouver  de  l'argent. 
Les  populations  paraissaient  à  la  limite  de  leurs  facultés  contributives  ;  les  négociants 
européens,  les  habituels  bailleurs  de  fonds  du  gouvernement,  ne  consentaient  qu'à  des 
avances  sur  la  récolte  et  ne  voulaient  pas  s'engager  dans  des  prêts  à  long  terme  qui 
eussent  immobilisé  leurs  capitaux  et  entravé  leurs  opérations  commerciales,  Mustapha 
Khaznadar  n'avait  pas  encore  songé  sérieusement  à  conclure  un  emprunt  à  l'étranger 
et,  en  dépit  d'une  gestion  financière  déplorable,  la  dette  du  gouvernement  tunisien  se 
réduisait  à  19  millions  de  piastres^*’  en  1860,  à  peine  plus  que  les  recettes  budgétaires 
d'une  bonne  année. 

4  -  L'Armée  et  la  Marine 

Le  désordre  des  finances  était  à  l'origine  de  la  faiblesse  militaire  de  la  Régence.  Des 
efforts  persévérants  avaient  été  entrepris  en  effet,  par  Ahmed  Bey  tout  au  long  de  son 
règne,  repris,  en  1859,  par  son  cousin  Mohammed  es  Sadok,  pour  constituer  une  armée 
puissante,  équipée  et  organisée  à  l'européenne. 

Jusqu'au  règne  du  bey  Hussein,  les  princes  tunisiens  n'avaient  disposé  que  d'une 
milice  à  la  turque,  formée  de  janissaires  recrutés  au  dehors.  Turcs  d'origine,  ou  chrétiens 
convertis  en  bas  âge,  et  des  enfants  que  ces  soldats  avaient  eu  de  femmes  indigènes, 
les  Couloughlis.  Comme  dans  les  autres  provinces  de  l'Empire  ottoman,  les  beys  avaient 
souffert  des  excès  de  leur  milice,  troupe  indisciplinée,  toujours  prête  à  se  rebeller  et 
plus  dangereuse  qu'utile  pour  le  pouvoir  du  souverain.  En  1829,  Hussein  Bey  avait 
ordonné  la  dissolution  de  la  milice,  licencié  les  mamelouks  et  cessé  tout  recrutement 
à  l'extérieur.  11  s'adressa  au  gouvernement  français  pour  obtenir  l'envoi  d'une  mission 
d'officiers  instructeurs,  mais  l'affaire  n'eut  pas  de  suite,  et,  pendant  longtemps,  les  beys 
durent  avoir  recours  aux  services  d'instructeurs  européens  plus  ou  moins  sérieux  qu'ils 
recrutaient  par  des  contrats  privés. 

a)  Ahmed  Bey  et  la  création  d'une  armée  régulière 

Ahmed  Bey,  passionné  de  questions  militaires  et  jaloux  de  la  gloire  du  pacha 
d'Egypte,  Mohammed  Ali,  entreprit  de  réorganiser  son  armée  à  l'européenne.  C'est  à  la 


96  Arch.  Tun.  Doss.  23,  carton  86  :  note  indiquant  le  montant  des  dettes  tunisiennes  à  la  fin  de  1276  (juillet 
1860),  soit  19.303.131  piastres,  non  compris  les  sommes  dues  pour  la  réfection  de  l'aqueduc  de  Zaghouan, 
alors  en  cours.  A.  E.  Tunis,  vol.  20.  Roches  à  Thouvenel,  21  octobre  1860. 

Confiant  dans  les  réformes  oui  avaient  été  inaugurées,  et  devaient  mettre  fin  au  désordre  financier,  le  consul 
de  France  pensait  que  ce  déficit  pouvait  être  résorbé  en  quatre  ans,  tout  en  consacrant  chaque  année  un 
million  de  piastres  aux  travaux  publics. 


77 


AHMED  BEY  (1837-1855) 
(Lewis  Ferrière  :  Aquarelle) 


France,  tout  naturellement  qu'il  demanda  conseils  et  techniciens  ;  la  patrie  de  Napoléon 
à  qui  Ahmed  Bey  vouait  un  culte  presque  dévôt^^,  était  celle  aussi  du  colonel  Sèves  à  qui 
Ibrahim  Pacha  devait  ses  retentissantes  victoires  sur  l'armée  du  sultan.  Un  voyage  en 
Europe  le  confirma  dans  ses  desseins  :  reçu  en  souverain  à  la  cour  de  Louis-  Philippe, 
Ahmed  rapportait  dans  la  Régence,  en  décembre  1846,  avec  le  souvenir  émerveillé  des 
parades  militaires  françaises,  des  splendeurs  de  Paris  et  de  la  puissance  de  Toulon^®, 
l'impatient  désir  de  transformer  son  pays  sur  le  modèle  européen. 

Le  bey  n'avait  eu  de  cesse  qu'il  eût  obtenu  du  gouvernement  français  l'envoi  d'une 
mission  militaire  officielle.  En  janvier  1842,  deux  officiers  français  étaient  détachés 
à  Tunis.  En  juin  1843,  la  mission  était  placée  sous  le  commandement  d'un  officier 
supérieur,  le  lieutenant-colonel  Laveleine-Maubeuge,  chargé  d'assurer  la  direction  de 
l'instruction  des  troupes,  avec  le  rang  de  général  tunisien.  Quatre  officiers,  autant  de 
sous-officiers  constituaient  l'effectif  de  cette  mission  qui  devait  se  maintenir  à  Tunis 
pendant  treize  ans,  jusqu'en  1855,  sous  le  commandement  successif  des  lieutenants- 
colonels  Laveleine-Maubeuge  (1843-1846),  Folly  (1846-1847),  du  colonel  puis  général 
Walsin-Esterhazy  (1847-1852)  et  des  colonels  Margadel  (1852-1854)  et  Lion  (1855)^^. 

Avec  l'aide  de  ces  officiers.  Ahmed  Bey  entreprit  de  mettre  sur  pied  une  armée 
moderne.  Sept  régiments  d'infanterie  furent  créés  successivement,  ainsi  que  deux 
régiments  d'artillerie  et  un  régiment  de  cavalerie  légère.  Leur  organisation,  la  hiérarchie 
des  grades  étaient  calquées  sur  celles  de  l'armée  française.  Les  régiments  d'infanterie,  de 
trois  mille  hommes  environ  chacun,  se  divisaient  en  trois  bataillons  de  huit  compagnies  ; 
les  régiments  d'artillerie  étaient  sur  le  même  modèle,  mais  la  cavalerie  se  réduisait  à 
un  millier  d'hommes.  L'uniforme  était,  à  quelques  détails  près,  celui  des  troupes  de  la 
monarchie  de  Juillet.  De  l'ancien  équipement.  Ahmed  Bey  n'avait  conservé  que  le  bonnet 
turc,  orné  d'une  plaque  et  d'une  jugulaire  pour  les  artilleurs  et  les  cavaliers.  Ceux-ci 
étaient  vêtus  uniformément  de  bleu,  les  5™®  et  6®"'®  régiments  d'infanterie,  de  rouge 


97  Le  bey  avait  fait  traduire  en  arabe  l'histoire  du  règne  de  Napoléon  (Ben  Dhiaf  chap.  VI,  année  1262). 

Les  salles  de  son  palais  étaient  décorées  de  tableaux  représentant  les  principales  batailles  livrées  par 
l'Empereur. 

98  Ben  Dhiaf  qui  avait  accompagné  le  prince  en  France,  consacre  un  paragraphe  enthousiaste  au  récit  de  ce 
voyage  (chap.  VI,  année  1262). 

99  P.  Marty  :  Historique  de  la  mission  militaire  française  en  Tunisie  (1827-1882).  R.  T.  pp.  171-207,  309-346. 

78 


les  autres  fantassins  étaient  habillés  de  bleu  et  rouge.  Mais  le  recrutement  continuait 
de  s'opérer  au  hasard.  La  durée  du  service  n'était  pas  limitée,  et,  pour  compléter  les 
effectifs,  on  se  contentait  d'envoyer  dans  les  districts  peuplés  de  sédentaires,  le  Sahel 
notamment,  des  tournées  d'officiers  recruteurs  qui  incorporaient  au  passage  tous  les 
hommes  valides  dont  ils  avaient  besoin. 


Uniformes  de  l'armée  tunisienne 
(Chassiron  op.  cit) 


Ainsi  constituée,  l'armée  beylicale  devait  compter  des  effectifs  de  26.000  hommes 
environ  :  18.900  hommes  et  366  officiers  pour  l'infanterie,  5.800  hommes  et  56  officiers 
pour  l'artillerie,  1.000  hommes  et  34  officiers  pour  la  cavalerie.  Mais  comme  les 
ressources  du  pays  ne  permettaient  pas  d'entretenir  en  permanence  de  tels  effectifs,  le 
bey  ne  gardait  à  son  service  qu'une  dizaine  de  milliers  d'hommes  sur  le  pied  de  paix.  Les 
2ème^  3ème^  4ème  gj-  yème  régiments,  cantonnés  respectivement  à  Sousse,  Monastir,  Kairouan 
et  Porto-  Farina,  se  réduisaient  aux  quelques  centaines  d'hommes  nécessaires  pour 
le  service  des  places  et  les  patrouilles  douanières  le  long  des  côtes.  Le  1'="'  Régiment, 
stationné  à  Tunis,  devait  être  presque  toujours  au  complet  (2  400  hommes),  ainsi  que 
les  5®“®  et  6®™®  régiments  d'infanterie.  Ceux-ci  formaient,  sous  le  commandement  d'un 
seul  colonel,  une  sorte  de  garde  particulière  du  bey  qui  l'accompagnait  dans  tous  ses 
déplacements  dans  la  banlieue  de  Tunis.  L'artillerie  et  la  cavalerie,  dont  les  effectifs 
étaient  loin  d'être  au  complet,  étaient  casernées  dans  la  ville  de  Tunis^°°. 

Un  officier  français  avait  été  chargé  de  diriger  l'école  militaire  fondée  au  Bardo  en 
1838  par  Ahmed  Bey,  sous  le  nom  pompeux  d'Ecole  Polytechnique.  Après  le  départ  du 
Piémontais  Calligarisi°i,  ancien  officier  de  l'armée  turque,  qui  avait  essayé  de  l'organiser 
sur  le  modèle  de  l'école  militaire  turque  d'Eski-Séraï,  la  direction  en  revint,  en,  1852, 
au  capitaine  Campenon^o^^  officier  de  la  mission  française.  Cinq  professeurs  et  officiers. 


100  Arch.  Guerre.  Tunisie,  carton  13  :  Composition  de  l'armée  tunisienne  par  le  Lt.-Colonel  Folly.  Tunis,  20 
octobre  1846. 

101  CALLIGARIS  (Luigi),  né  et  mort  à  Barbania,  Piémont  (1808-1871).  Après  avoir  servi  dans  l'armée  turque, 
il  devint  directeur  de  l'école  militaire  tunisienne,  avec  rang  de  colonel,  quitta  le  service  en  1850  pour 
se  consacrer  à  l'étude  de  l'arabe  et  devint  en  1863,  professeur  d'arabe  dialectal  à  l'Université  de  Turin 
(P.  Marty,  op.  cit  R.  T.  1935,  p.  317). 

102  CAMPENON  (Jean-Baptiste-Marie-Edouard),  général  français  né  à  Tonnerre  (Yonne),  le  4  mai  1819,  mort 
en  1891. 

Promu  capitaine  en  1848,  arrêté  comme  républicain,  lors  du  coup  d'Etat  du  2  décembre,  il  fut  détaché, 
en  1852,  auprès  du  bey  de  Tunis  pour  diriger  l'école  militaire  du  Bardo.  Il  quitta  Tunis  en  octobre  1854, 
participa  à  la  guerre  de  Crimée,  à  la  campagne  d'Italie.  Attaché  à  l'Etat-major  du  corps  expéditionnaire  de 


79 


français,  italiens  et  tunisien,  devaient  donner  aux  futurs  officiers  du  bey  une  forte  culture 
mathématique,  historique  et  géographique,  leur  enseigner  le  français,  l'italien,  la  langue 
et  la  littérature  arabes,  l'équitation,  la  topographie  et  l'art  militaire.  Mais  la  plupart 
de  leurs  élèves,  de  jeunes  mamelouks  grecs  ou  circassiens,  leur  arrivaient  à  peu  près 
illettrés.  La  discipline  laissait  à  désirer  ;  les  élèves  restaient  livrés  à  eux-mêmes  la  plupart 
du  temps.  Malgré  les  efforts  du  personnel  européen,  les  résultats  de  cet  enseignement 
militaire  devaient  se  révéler  particulièrement  décevants. 

Pour  assurer  à  meilleur  compte  l'entretien  de  son  armée.  Ahmed  Bey  avait  décidé 
de  créer  des  manufactures  modernes  dont  il  confiait  la  construction  et  la  direction  à 
des  ingénieurs  européens.  A  Tebourba,  l'ingénieur  Benoît  construisait  une  manufacture 
de  drap  militaire  dont  la  force  motrice  était  fournie  par  un  barrage  sur  la  Medjerda^o^. 
Soixante-dix  métiers  à  tisser  furent  importés  d'Angleterre.  Ahmed  Bey  faisait  recruter  en 
France,  dans  les  départements  du  Tarn  et  de  l'Hérault  des  contremaîtres  et  des  ouvriers 
que  devaient,  progressivement,  relayer  de  jeunes  Tunisiens  formés  sur  placebo''.  Près  de 
son  palais  de  la  Mohammédia,  le  bey  fit  installer  une  manufacture  de  cuir  ;  une  minoterie 
à  la  Djédeida,  la  manutention  de  la  Dabdaba,  à  Tunis,  à  la  fois  boulangerie  et  huilerie, 
devaient  assurer  le  ravitaillement  quotidien  des  troupes.  Avec  plus  d'ambition,  on  créait 
des  poudreries  dans  la  kasbah  de  Tunis,  à  El  Djem  ;  on  réorganisait  à  Tunis  la  fonderie 
de  canons  de  la  rue  de  la  Hafsia  où  avaient  travaillé  autrefois  les  esclaves  chrétiens. 
Un  Autrichien,  Antonio  Bogo^o^  assumait  la  direction  des  poudreries  avec  celles  de 
l'armement  et  de  l'habillement  :  un  Français  dirigeait  la  minoterie,  un  autre,  la  fonderie 
de  canons.  En  1839  Ahmed  Bey  avait  fait  construire  à  Tunis  un  quartier  d'artillerie,  hors 
les  murs,  sur  la  route  du  Bardo.  Les  années  suivantes,  il  fit  bâtir  ou  aménager  trois  autres 
casernes,  au  Bardo,  à  la  Mohammédia  et  à  la  Manoubai**®. 

Le  bey  pouvait  compter  encore  sur  la  levée  de  troupes  irrégulières,  zouaves,  pour 
l'infanterie,  spahis,  pour  la  cavalerie,  hambas  ou  gendarmes  montés.  Les  Kabyles  fixés  à 
Tunis  et  aux  environs,  les  Algériens  qui  avaient  fui  la  conquête  française,  les  déserteurs 
de  l'armée  d'Algérie,  avaient  le  privilège  d'être  incorporés  dans  l'infanterie  des  zouaves. 


Chine,  il  fut  promu  lieutenant-colonel  en  1860.  Revenu  à  Tunis,  en  mai  1862,  il  fut  affecté  à  nouveau  à  la 
direction  de  l'école  militaire  jusqu’en  avril  1864,  et  quitta  la  Régence  en  juillet  suivant. 

Chef  d'Etat  -  Major  du  4°  Corps,  Campenon  prit  part  aux  batailles  livrées  sous  Metz  en  1870.11  y  fut  blessé 
et  fait  prisonnier  après  la  capitulation.  Il  devint  ministre  de  la  Guerre  à  trois  reprises,  dans  le  cabinet 
Gambetta,  en  1881-1882,  dans  le  cabinet  Ferry,  en  1883,  puis  dans  le  cabinet  Brisson  en  1885.  Il  était 
sénateur  inamovible  depuis  1883. 

103  Elle  fut  inaugurée  en  1844  (Ben  Dhiaf  chap.  VI,  année  1260. 

104  Arch.  Tun.  Doss.  601,  carton  240. 

L'équipement  de  la  manufacture  se  composait  de  135  machines,  de  modèle  ancien,  devant  occuper 
140  ouvriers  (Lettre  du  directeur,  Faussié.  Tebourba,  12  mai  1863).  Le  personnel  européen  se  composait  de 
17  ouvriers  ou  contremaîtres  français  (Listes  de  salaires  du  personnel,  à  partir  de  moharrem  1259=février 
/mars  1843). 

105  Bogo  (Antonio  Maria),  Italien  protégé  autrichien,  né  à  Tunis  le  19  mal,  1794,  mari  de  Luigia  Gandolfo,  mort 
à  Tunis  le  24  mars  1878,  secrétaire  et  confident  du  bey. 

En  janvier  1828.  il  entra  comme  gouverneur  du  palais,  à  la  cour  du  prince  Ahmed  qui,  devenu  bey  en  1837, 
en  fit  son  secrétaire  et  lui  donna  la  charge  des  fournitures  militaires,  la  direction  de  la  poudrerie  et  divers 
autres  offices.  Il  fut,  avec  le  comte  Raffo,  le  premier  à  avoir  été  décoré  des  insignes  du  Nichan  Iftikhar,  ordre 
créé  par  Ahmed  Bey  en  1839. 

Nommé  général  de  brigade  en  1849,  Bogo  conserva  ses  fonctions  de  secrétaire  particulier  auprès  de 
Mohammed  es  Sadok,  qui  lui  donna,  dès  1858,  le  grand  cordon  du  Nichan  et  l’éleva,  en  1862,  au  grade  de 
général  de  division.  Grand  officier  des  S.S.  Maurice  et  Lazare,  officier  de  la  Légion  d'honneur  et  de  divers 
ordres  étrangers,  Bogo  demeura  sujet  autrichien  jusqu'à  sa  mort.  (Avenire  di  Sardegna,  28  mars  1878  notice 
nécrologique.  _  Reg.  Ste  Croix). 

106  Ben  Dhiaf  chap.  VI,  passim. 


80 


Les  Turcs  et  descendants  de  Turcs,  ou  Couloughlis,  servaient  à  cheval,  comme  les 
détachements  fournis  par  les  tribus  maghzen.  Le  lieutenant-colonel  Folly  estimait  à  55 
ou  56.000  le  nombre  des  irréguliers  dont  le  bey  pouvait  disposer  en  cas  de  besoin. 

L'entretien  de  cette  troupe  était  réduit  au  minimum  :  une  avance  de  solde  et  une 
distribution  d'armes,  au  moment  de  la  levée,  des  fournitures  de  vivres  en  campagne. 
Pour  le  reste,  les  irréguliers  devaient  y  pouvoir  eux-mêmes,  en  échange  de  privilèges 
fiscaux  qui  étaient  traditionnellement  accordés  à  leur  groupe  ou  à  leur  tribu.  D'ailleurs, 
les  irréguliers  avaient  l'habitude  de  vivre  largement  sur  le  pays.  Ils  fourrageaient  et 
razziaient  à  leur  plaisir  ;  par  surcroît,  une  partie  du  butin  enlevé  sur  l'adversaire  leur 
revenait  de  droit,  à  l'issue  d'une  campagne  heureuse. 

Les  transports  étaient  également  assurés  par  des  irréguliers.  Ahmed  Bey  n'avait 
pas  songé  à  créer  un  train  des  équipages.  La  grande  tribu  de  service  des  Drid^o^  en  était 
chargée  ;  d'autres  tribus  nomades  devaient  fournir  bêtes  de  somme  et  convoyeurs,  à  la 
réquisition  du  prince. 

Deux  fois  par  an,  au  début  du  printemps  et  à  la  fin  de  l'été,  un  camp  de  quelques 
milliers  d'hommes  était  rassemblé  aux  portes  de  Tunis.  Placé  sous  le  commandement 
du  prince  héritier,  ou  bey  du  camp,  il  était  chargé  de  lever  les  impôts  et  de  maintenir 
l'ordre  chez  les  tribus  peu  soumises.  En  février,  le  camp  partait  pour  une  tournée  de  deux 
mois  dans  le  Djérid  et  le  Sahara  tunisien,  tandis  qu'une  colonne  secondaire  parcourait  le 
Sahel  et  l'Arad.  En  septembre,  le  camp  se  dirigeait  vers  l'ouest,  par  Béja,  pour  visiter  les 
districts  montagneux  et  les  tribus  de  la  frontière. 

Le  camp  était  surtout  l'affaire  des  irréguliers  ;  le  bey  y  adjoignait,  à  l'occasion, 
quelques  compagnies  de  troupes  régulières,  et,  le  plus  souvent,  une  batterie  ou  une 
demi-batterie  d'artillerie  de  campagne.  Les  cavaliers  maghzen  amenaient  leurs  familles 
;  le  bey  du  camp  emmenait  avec  lui  familiers  et  serviteurs,  bêtes  de  somme,  chiens  de 
chasse,  animaux  favoris,  toute  une  cour  de  dignitaires  dont  les  services  parasitaires 
encombraient  inutilement  l'expédition.  Au  repos,  le  camp  se  dissolvait  dans  un 
pittoresque  grouillement  de  gens  et  de  bêtes  qui  faisait  penser  plus  à  un  marché  ou  un 
cirque  en  plein  air  qu'au  bivouac  d'une  armée  en  campagne.  En  colonne,  l'expédition 
s'acheminait  avec  lenteur,  dans  un  désordre  impressionnant.  Les  convois  retardaient 
la  marche,  rendaient  toute  manœuvre  impossible  ;  en  cas  de  revers,  il  fallait  tout 
abandonner  à  l'adversaire. 

Cette  lourde  machine  ne  pouvait  guère  effrayer  les  grands  nomades  de  la  steppe. 
Le  plus  souvent,  le  bey  du  camp  se  contentait  de  négocier  avec  les  tribus  les  plus 
puissantes  ;  il  devait  renoncer  à  poursuivre  les  tribus  des  confins  sahariens  qui 
avaient  toujours  la  ressource  de  se  réfugier  en  Tripolitaine.  Dans  l'ouest,  malgré  la 
surveillance  de  l'armée  française,  quelques  douars  passaient  périodiquement  en 
territoire  algérien.  Depuis  longtemps,  les  camps  n'osaient  plus  s'aventurer  chez  les 
Khroumirs  ni  les  Moghod  de  la  montagne.  A  la  fin  du  règne  du  Bey  Mohammed,  le 
«camp  victorieux»  n'était  plus  guère  qu'une  expédition  financière.  Le  maintien  de 
l'ordre,  la  punition  des  tribus  pillardes  étaient  négligés  au  profit  des  rentrées  d'impôt. 
Détrousseurs  de  caravanes  et  bandits  de  grand  chemin  opéraient  impunément  à  peu 
de  distance  de  la  colonne^o®. 


107  Les  Drid,  tribu  d'origine  arabe  qui  campait  dans  le  Nord-ouest  de  la  Régence. 

108  Arch.  Guerre  Tunisie,  carton  13.  Rapport  sur  une  expédition  dans  le  Sud  de  la  Régence  de  Tunis...  par 
M.  Tissot,  élève  consul,  op.  cit.  Tunis,  1"  mai  1857. 

81 


L'armée  régulière  qu'avait  voulue  Ahmed  Bey  n'eut  qu'une  existence  éphémère. 
Les  ressources  de  la  Régence  n'avaient  pas  suffi  à  couvrir  toutes  les  dépenses  engagées 
à  la  fois  par  le  prince.  On  cessa  de  renouveler  le  matériel,  la  solde  n'était  payée 
qu'irrégulièrement,  les  soldats  désertaient.  11  fallut  abandonner,  les  unes  après  les  autres, 
toutes  les  manufactures  installées  à  grands  frais.  On  ferma  les  poudreries,  la  fonderie  ; 
la  manufacture  de  Tebourba  cessa  toute  activitéio®.  Seule,  la  boulangerie  continua  de 
végéter  et  de  fournir  à  la  troupe  un  mauvais  pain  de  munition. 

Après  la  mauvaise  récolte  de  1852,  il  fallut,  en  janvier  1853,  licencier  tous  les 
régiments  d'infanterie  sauf  un,  et  ne  garder,  d'artilleurs  et  de  cavaliers,  que  le  minimum 
nécessaire  à  l'entretien  des  canons  et  des  chevaux^io.  Mais,  l'année  suivante,  le 
gouvernement  tunisien  acceptait  d'envoyer  en  Orient  un  corps  expéditionnaire  chargé 
de  participer  à  la  défense  de  l'Empire  ottoman,  engagé  dans  une  guerre  difficile  avec 
la  Russie.  Le  consul  de  France  décrivait  alors  les  derniers  soldats  du  bey,  avec  leurs 
uniformes  en  lambeaux,  leurs  chevaux  trop  maigres  pour  pouvoir  faire  l'exercice,  leurs 
fusils  éclatant  au  moindre  coup.  «Toutes  ces  troupes  sont  dans  un  état  pitoyable.  Mal 
vêtues,  mal  armées,  mal  équipées,  exténuées  par  les  privations,  elles  seraient  absolument 
incapables  d'entrer  en  ligne»iii.  Le  gouvernement  tunisien  décidait  cependant  d'envoyer 
un  contingent  de  dix  mille  hommes  à  Constantinople,  il  fallut  de  nouveau  tout  improviser, 
lever  de  jeunes  recrues,  acheter  en  Europe  armes  et  équipements,  noliser  des  navires 
pour  leur  transport. 

Mais,  à  Constantinople,  personne  ne  songea  à  utiliser  les  services  du  contingent 
tunisien.  Les  soldats  du  bey  périrent  sans  gloire  de  maladie  et  de  misère  dans  les  camps 
de  la  Mer  Noire.  Ahmed  Bey  ne  devait  pas  connaître  cette  déception  nouvelle,  il  mourut 
en  1855  avant  la  fin  de  la  guerre  de  Crimée  ;  depuis  trois  ans  déjà,  il  abandonnait  à  son 
ministre  tout  le  soin  des  affaires.  Le  bey  ne  s'était  pas  remis  d'une  attaque  d'hémiplégie  ; 
depuis  lors,  il  avait  paru  se  désintéresser  de  toutes  choses,  même  de  son  armée  qu'il 
avait  passionnément  aimée. 

Au  retour  du  corps  expéditionnaire  en  1856,  Mohammed,  le  nouveau  bey,  licencia 
les  survivants  et  abandonna  l'armée  régulière,  il  avait  déjà  renoncé  en  1855  aux  services 
de  la  mission  militaire  française  et  ne  conserva  des  créations  de  son  prédécesseur  que 
l'école  militaire  du  Bardo,  Encore  le  commandant  de  Tavernei^^,  son  nouveau  directeur, 
n'  y  trouvait-il  en  1855  que  vingt-deux  élèves  de  «25  à  26  ans  ,  y  comptant  en  moyenne 
15  à  16  ans  de  séjour,  ignorant  jusqu'à  l'orthographe  de  leur  propre  langue,  abrutis  par 
tous  les  vices  auxquels  le  manque  de  surveillance  et  l'état  d'abandon  dans  lesquels  on 
les  laissait  depuis  longtemps,  leur  permettait  de  se  livrer  presque  en  liberté»ii3.  H  fallut 
dissoudre  l'école,  la  réorganiser  sur  des  bases  plus  modestes.  Elle  devint  une  sorte  de 
prytanée  militaire  d'où  les  meilleurs  éléments,  au  sortir  de  six  ans  d'études,  pouvaient 
être  admis  à  suivre  les  cours  de  l'école  de  Saint-Cyr.  De  Taverne  était  encore  en  fonctions 


109  Dès  1853  au  plus  tard  ;  en  novembre  1855,  le  bey  devait  plus  de  deux  années  de  salaire  aux  ouvriers  français 
(Arch.  Tun.  Doss.  601.  carton  240.1.  L.  Roches  au  bey  Mohammed.  Tunis,  10  novembre  1855). 

110  Arch.  Rés.  Béclard  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis  3  janvier  1853. 

111  A.  E.  Tunis.  Du  même  au  même.  Tunis.  27  mars  1854. 

112  De  Taverne  (Ernest-  Jean-  Nicolas),  Officier  français,  né  à  Dunkerque  le  3  novembre  1819,  marié  à  Carthage 
le  3  août  1856  avec  Adèle  Monge,  mort  à  Tunis  le  20  novembre  1861  (Reg  Ste-  Croix).  Lieutenant  d'infanterie, 
il  fit  partie  de  la  mission  militaire  française  en  1847  et  demeura  jusqu'à  sa  mort  au  service  du  bey.  Capitaine, 
le  23  avril  1849,  puis  chef  de  bataillon,  le  12  avril  1855.11  assuma  la  direction  de  l'école  militaire  tunisienne 
à  partir  de  1855  et  fut  promu  au  grade  de  lieutenant-colonel  quelques  mois  avant  sa  mort,  le  12  août  1861 
(Fichier  Guerre).  Le  bey  lui  avait  donné  le  rang  de  général  tunisien. 

113  P.  Marty,  op.  cit  R.  T.  1935,  p.  322. 


82 


à  l'avènement  du  bey  Mohammed  es  Sadok.  IL  continua  de  diriger  l'école  jusqu'à  sa  mort, 
en  novembre  1861. 

b)  L'armée  tunisienne  vers  1860 

Mohammed  es  Sadok  s'intéressait  à  l'armée.  Prenant  pour  modèle  son  cousin 
Ahmed  Bey,  il  voulut  reconstituer  l'armée  régulière  sur  les  bases  que  celui-ci  avait 
établies.  Six  régiments  d'infanterie,  un  régiment  d'artillerie  et  un  escadron  de  cavalerie, 
d'un  effectif  théorique  de  22.000  hommes,  furent  réorganisés.  Mohammed  es  Sadok 
entendait  entretenir  ses  troupes  sur  le  pied  de  10.000  hommes  également.  Il  conserva  la 
même  organisation  militaire,  envoya  trois  régiments  tenir  garnison  à  Sousse,  Monastir  et 
Kairouan,  gardant  le  gros  de  sa  troupe  auprès  de  lui,  au  Bardo  et  à  Tunis.  Des  armes,  des 
équipements,  des  uniformes  furent  commandés  en  France,  en  Belgique  et  en  Angleterre. 
Il  fut  question  de  remettre  en  marche  la  manufacture  de  Tebourba,  de  reprendre  à  la 
kasbah  la  fabrication  de  la  poudre. 

Mohammed  es  Sadok  voulut  innover  cependant.  Ahmed  Bey  avait  laissé  au  hasard 
le  recrutement  des  troupes  et  la  discipline  régimentaire.  Dans  le  cadre  des  réformes 
politiques  et  judiciaires  qu'il  avait  entreprises,  le  nouveau  bey  voulut  doter  son  armée 
d'un  statut  régulier.  Il  fit  traduire  en  arabe  les  lois  françaises  sur  le  recrutement  de 
1832  et  1855,  et  chargea  le  commandant  de  Taverne  d'en  extraire  les  dispositions 
utilisables  dans  la  Régence.  De  Taverne  présenta  son  rapport  le  22  décembre  1859. 
Ce  projet  fut  étudié  par  une  commission  de  dix  membres  qui  rédigea  la  loi  tunisienne 
sur  le  recrutement,  promulguée  le  7  février  1860,  sous  le  titre  de  «Livre  du  Flambeau 
éclatant». 

La  loi  établissait  l'égalité  de  tous  les  Tunisiens  devant  le  service  militaire.  La  durée 
du  service  était  réduite  à  huit  ans  ;  le  système  de  conscription  prévoyait  un  tirage  au  sort 
avec  dispenses  et  remplacement,  des  engagements  et  rengagements  volontaires^^.  En 
même  temps,  un  code  de  justice  militaire  était  mis  à  l'étude.  Il  devait  aboutir  en  1863 
seulement,  et  reproduire  les  principales  dispositions  du  code  militaire  français  de  1858, 
en  maintenant  cependant,  parmi  les  punitions,  la  bastonnade,  dont  le  maximum  était 
fixé  à  deux  cents  coups. 

Mais  le  code  militaire  ne  fut  pas  mieux  appliqué  que  la  loi  sur  le  recrutement.  On 
essaya  bien  de  procéder  au  recensement  des  jeunes  gens  astreints  au  service  militaire, 
mais  la  plupart  des  nomades  refusèrent  de  s'y  soumettre,  les  agents  du  bey  accordèrent 
des  dispenses  abusives.  On  ne  trouva  que  21.000  conscrits  au  lieu  des  50.000  qu'on 
espérait.  Mohammed  es  Sadok  prit  dans  leur  nombre  les  10.000  hommes  dont  il 
avait  besoin  et  les  garda  indéfiniment  à  son  service.  Dans  les  régiments,  les  officiers 
continuèrent,  comme  par  le  passé,  à  distribuer  les  châtiments  corporels  au  gré  de  leur 
humeur.  Le  code  de  justice  militaire  resta  lettre  morte,  comme  la  loi  de  recrutement 

Mohammed  es  Sadok  ne  fut  pas  même  en  mesure  d'entretenir  dix  mille  réguliers 
pendant  deux  ans.  A  peine  réunie,  l'armée  subissait  les  conséquences  du  désordre 
financier  dont  souffrait  l'Etat.  Magasins  et  dépôts  militaires  restaient  vides  :  le  bey  n'avait 
pas  les  moyens  de  renouveler  les  uniformes  ni  1  équipement,  la  solde  n'était  payée  que 
de  loin  en  loin,  avec  des  retards  considérables.  Dès  1862,  les  soldats  commencèrent 
à  déserter  sans  qu'on  les  poursuivît.  Les  conseillers  du  bey  le  poussaient  cependant 
à  acheter  sans  mesure  en  Europe  des  fusils,  des  canons,  des  munitions.  Mohamed 


114  F.  0.  102/60  Wood  à  Russell.  Tunis,  14  avril  1860. 


83 


es  Sadok  se  laissait  séduire  ;  mais  les  contrats  de  fourniture  n'étaient,  pour  les 
fonctionnaires  du  Bardo,  que  prétexte  à  se  partager  commissions  et  ristournes.  Les 
fournisseurs  ne  livraient  que  des  armes  de  rebut,  comme  ces  fusils  à  pierre,  importés 
de  Belgique  en  1859,  si  dangereux  pour  la  troupe  qu'il  fallait  les  réformer  aussitôt,  ou 
comme  ces  canons  «rayés  en  dehors»  qui  devaient  avoir  leur  heure  de  célébrité,  quelques 
années  plus  tard.  En  novembre  1863,  le  bey  devait  onze  mois  de  solde  à  ses  troupes,  il 
dut  se  résigner  à  licencier  la  majeure  partie  de  son  armée  et  à  ne  conserver  que  quatre 
mille  hommes  à  son  service,  la  moitié  à  titre  permanent,  le  reste  étant  fourni  en  théorie 
par  un  roulement  trimestriel  entre  les  soldats  mis  en  congé.  Dès  1864,  l'armée  régulière 
tunisienne  se  réduisait  à  moins  de  trois  mille  hommes,  cinq  cents  dans  le  Sahel,  un 
millier  d'artilleurs  à  Tunis,  douze  à  quinze  cents  fantassins  à  Tunis  et  au  Bardoii®. 

Encore  ces  effectifs  dérisoires  étaient-ils  misérablement  entretenus.  Les  soldats 
étaient  affublés  d'uniformes  mal  coupés,  étriqués,  qui  entravaient  leurs  mouvements. 
Rouges  ou  bleus  à  l'origine,  ils  avaient  fini  par  prendre  une  teinte  indéfinissable  qui  ne 
permettait  plus  de  distinguer  les  différentes  armes.  Tous  étaient  effrangés,  rapiécés  ;  les 
chéchias  avachies  et  noircies  par  l'usage  n'avaient  pas  meilleure  mine.  Faute  des  guêtres 
et  des  chaussettes  qu'on  avait  supprimées  par  économie,  les  mauvais  brodequins  dont 
la  troupe  avait  été  dotée  devenaient  d'intolérables  carcans  dont  on  se  défaisait  aussi 
souvent  que  possible. 

Les  fusils  en  service  constituaient  une  collection  hétéroclite  des  divers  modèles  qui 
avaient  été  en  usage  en  Europe  depuis  la  fin  du  XVlll*^  siècle.  Les  meilleurs  n'étaient 
pas  mieux  entretenus  que  les  plus  mauvais  :  tous  étaient  uniformément  rouillés, 
grossièrement  raccommodés  de  cuir  ou  de  ferblanterie.  Comme  les  munitions  étaient 
aussi  disparates  et  aussi  mal  entretenues,  les  fusils  refusaient  d'ordinaire  tout  service, 
explosaient  même,  à  l'occasion.  Pendant  la  guerre  de  Crimée,  on  avait  dû  interdire 
tout  exercice  de  tir  aux  soldats  du  corps  expéditionnaire.  Aussi,  les  soldats  tunisiens 
considéraient-ils  leurs  fusils  plus  comme  des  armes  blanches  que  comme  des  armes  à 
feu  ;  quand  le  fusil  était  brisé,  en  toute  simplicité,  on  emmanchait  la  baïonnette  sur  un 
bâton,  et  c'est  en  cet  étrange  appareil  qu'un  officier  allemand  contemplait  un  artilleur 
du  bey  montant  une  garde  placide  aux  portes  d'une  casernei^'’. 

Le  parc  d'artillerie  était  plus  varié  encore.  Dans  les  forts  qui  couvraient  Tunis, 
sur  les  remparts  croulants  de  la  capitale,  de  Kairouan,  de  Bizerte  et  des  villes  du 
Sahel,  on  trouvait  des  pièces  de  tout  calibre  dont  les  plus  anciennes  remontaient  à 
l'occupation  espagnole  du  XV!®™®  siècle.  Du  moins,  ces  armes  vénérables,  rongées 
de  rouille  sur  leurs  affûts  en  ruine,  n'étaient-elles  pas  complètement  oubliées.  La 
tournée  des  remparts  était,  avec  la  visite  du  ghetto  et  l'excursion  de  Carthage,  un 
des  impératifs  touristiques  de  Tunis  pour  l'étranger  de  passage.  Les  officiers  du  bey 
dirigeaient  la  visite  pour  le  prix  d'un  pourboire  et  réjouissaient  leurs  visiteurs  par 
leurs  considérations  stratégiques. 

Toutefois,  parmi  les  canons  de  campagne  dont  s'enorgueillissait  le  bey,  il  était 
quelques  pièces,  l'equivalent  de  deux  batteries  environ,  qui  bénéficiaient  d'un  entretien 
relatif.  C'étaient  pour  la  plupart,  des  cadeaux  personnels  de  souverains  étrangers  ou  des 
fournitures  faites  par  l'armée  française.  Mohammed  es  Sadok  prenait  un  plaisir  enfantin 
à  les  voir  manœuvrer.  Chaque  année,  un  détachement  de  réguliers  les  promenait  avec  le 


115  Ministero  délia  Difesa.  Carton  8,  Africa.  Rapport  du  commandant  Ricci.  Tunis,  26  juin  1864. 

116  E.  Von  Hesse-Wartegg  :  Tunis:  Land  undLeute,  1882.  R50  -  la  date  de  ce  souvenir  n'est  pas  précisée. 


84 


camp  ;  ces  canons  avaient  la  vertu  d'effrayer  la  cavalerie  des  nomades  et  d'assurer  le 
succès  des  armes  du  bey,  dans  des  engagements  difficiles  avec  des  tribus  rebelles. 

A  la  caserne,  si  l'ordinaire  était  maigre,  le  service  était  en  revanche  des  plus  légers.  Les 
magasins  du  bey  livraient  du  pain,  de  l'huile,  du  couscous,  un  peu  de  viande.  Les  soldats 
de  service  au  palais  mendiaient  quelques  restes  aux  cuisines  du  bey.  D'exercice  et  de 


Soldats  tunisiens  tricotant 
(Marty,  op.  cit.  R.  T.  1935). 


manœuvres,  il  n'était  pas  question.  Les  rares  officiers  qui  vivaient  à  la  caserne  s'occupaient 
surtout  de  tirer  argent  des  fournitures  qui  leur  étaient  livrées,  de  mendier  un  bakchich  à 
l'occasion,  en  faisant  visiter  casernes  et  arsenaux.  La  troupe  restait  livrée  à  elle-même  le 
jour  durant.  Quelques  charrois,  des  services  de  garde  et  de  patrouille  étaient  les  seules 
obligations  auxquelles  elle  fût  astreinte.  Le  reste  du  temps,  les  soldats  vagabondaient  en 
liberté,  se  livraient  à  des  occupations  aussi  peu  martiales  que  la  vannerie,  l'orfèvrerie  ou 
le  tricot.  Quelques  factionnaires  assuraient  une  garde  pittoresque  aux  portes  du  Bardo  et 
des  casernes  ;  tantôt  couchés,  tantôt  accroupis,  ils  occupaient  leurs  loisirs  en  tricotant  des 
bas  ou  des  bonnets,  saluant  chacun  à  leur  façon  le  passage  d'un  officier  ou  d'un  dignitaire 
par  un  moulinet  d'armes  de  leur  cru.  Parfois,  la  garde  se  réduisait  à  un  fusil  et  un  ceinturon 
symboliques,  laissés  par  un  factionnaire  parti  s'endormir  paisiblement  à  l'ombre.  La 
relève  de  la  garde,  le  défilé  d'une  patrouille  étaient,  pour  l'étranger  de  passage  à  Tunis,  des 
spectacles  hauts  en  couleurs,  qui  fournissaient  la  matière  de  relations  plaisantes^i^.  Les 
écrivains  ne  manquaient  point  d'exercer  leur  verve  aux  dépens  des  malheureux  soldats 
du  bey  sautillant  d'un  air  triste  dans  la  boue  ou  la  poussière,  dans  une  tenue  de  comédie. 

«Un  des  spectacles  qui  m'a  le  plus  diverti  de  mon  voyage»,  écrivait  de  Flaux  en 
1865,  «a  été...  la  rencontre  d'une  patrouille  dans  les  rues  de  La  Goulette.  Parmi  les  cinq 
guerriers  qui  la  composaient,  accroupis  à  l'ombre  d'un  mur,  deux  dormaient,  deux  autres 
jouaient  aux  cartes  ;  le  caporal  faisait  au  tricot  la  coiffe  qui  se  met  sous  la  chéchia...  Les 
fusils  traînaient  un  peu  partout,  de  même  que  les  souliers  dont  on  avait  eu  soin  de  se 
débarrasser  pour  être  plus  à  l'aise»!!®. 


117  Capitaine  Ph.  Daumas  Quatre  ans  à  Tunis...  Alger,  1857,  pp.  160.161  H.  von  Maltzan  Reise  in  den  Regenschaften 
Tunis  und  Tripolis.  Leipzig,  1870,  vol.  I,  pp.  146-147.  E.  von  Hesse-Wartegg  ;  Tunis  :  Land  und  Leute,  op.  cit 
pp.  44.50. 

118  A.  de  Flaux  :  La  Régence  de  Tunis  au  XIX^  siècle.  Paris,  1865,  p.  172. 


85 


L'école  militaire  qu'avait  relevée  le  lieutenant-colonel  de  Taverne,  se  décomposa 
dès  la  disparition  de  son  animateur,  en  1861.  Le  bey  demanda  alors  pour  la  diriger  un 
officier  de  l'ancienne  mission  militaire  dont  il  avait  apprécié  les  mérites,  le  capitaine, 
devenu  lieutenant-colonel  Campenon.  Arrivé  à  Tunis  en  mai  1862,  le  nouveau  directeur 
essaya  en  vain  de  rétablir  la  discipline.  Mais  il  avait  peu  de  souplesse  ;  il  méprisait  le 
khaznadar  dont  il  dénonçait  ouvertement  les  méfaits,  il  ne  tarda  pas  à  se  brouiller  avec 
lui.  il  fut  démis  de  ses  fonctions  en  avril  1864.  Les  professeurs  qu'on  négligeait  de  payer 
se  retirèrent,  les  uns  après  les  autres,  et  l'école  disparut  sans  avoir  été  officiellement 
supprimée^i®.  Dans  sa  brève  existence,  elle  n'avait  pas  réussi  à  former  un  corps  d'officiers 
tunisiens.  Du  moins,  les  meilleurs  éléments  qu'elle  avait  éduqués  devaient-ils  former  les 
cadres  de  ce  mouvement  des  «Jeunes  Tunisiens»  qui,  une  dizaine  d'années  plus  tard, 
allait  essayer  de  régénérer  la  Régence,  sous  l'habile  direction  du  général  Khérédine. 

Ainsi,  l'armée  régulière  qui  avait  été  la  grande  pensée  du  bey  Ahmed,  était-elle 
réduite,  au  début  du  règne  de  son  cousin  Sadok  Bey,  à  la  caricature  burlesque  et  misérable 
des  unités  européennes  qu'on  avait  prétendu  imiter.  Dès  1863,  le  bey  ne  retenait  plus  sous 
ses  enseignes  que  des  hommes  trop  âgés  pour  se  réadapter  à  une  vie  nouvelle,  ou  trop 
paresseux  pour  retourner  à  la  terre.  Mal  armée,  mal  équipée,  cette  troupe  famélique  ne 
pouvait  servir  ni  de  force  de  police,  ni  de  contingent  d'encadrement  pour  les  irréguliers. 
Réduit  au  seul  concours  de  bandes  indisciplinées  et  pillardes,  le  bey  de  Tunis  pouvait  à 
peine  maintenir  l'ordre  parmi  les  tribus  de  la  steppe,  il  n'avait  aucun  moyen  de  résister 
à  une  quelconque  intervention  étrangère.  Son  armée  ne  pouvait  couvrir  les  frontières, 
sa  marine  ne  pouvait  prévenir  le  moindre  débarquement. 

c)  La  marine 

La  marine  tunisienne  avait  subi  les  mêmes  vicissitudes  que  l'armée  de  terre.  Lors 
de  la  visite  qu'il  fit  en  1846  à  la  cour  du  roi  Louis-Philippe,  Ahmed  Bey  avait  manifesté  le 
désir  que  le  gouvernement  du  roi  mît  à  sa  disposition  une  mission  pour  réorganiser  sa 
marine.  Louis-Philippe  envoya  deux  officiers,  quelques  mécaniciens  ;  il  fit  cadeau  au  bey 
d'un  petit  vapeur,  le  Dante,  qu'un  capitaine  tunisien  maladroit  s'empressa  de  couler  sur 
un  réciP^o.  Pour  le  remplacer,  le  roi  des  Français  offrit  au  bey  un  autre  navire,  le  Minas. 
Ahmed  Bey  fit  acheter  en  France  et  en  Italie  des  navires  de  guerre,  des  bâtiments  de 
commerce  qu'il  fit  transformer.  Il  disposa  bientôt  d'une  demi-douzaine  d'unités,  navires 
de  bois,  comme  l'aviso  Essed  et  la  frégate  à  hélice  Sadikia,  navires  de  métal,  comme 
l'aviso  Béchir  et  la  corvette  Mansour. 

Pour  accueillir  cette  escadre,  il  entreprit  de  transformer  la  rade  de  Porto-Farina 
en  un  Toulon  africain.  A  grands  frais,  il  fit  construire  des  quais,  bâtir  des  entrepôts,  des 
casernes,  un  arsenal.  Mais  personne  n'avait  pensé  à  faire  sonder  les  fonds  du  golfe.  La 
rade  de  Porto-Farina  qu'avaient  colmatée  en  lagune  les  alluvions  de  la  Medjerda  resta  à 
tout  jamais  interdite  aux  navires  du  bey.  La  Goulette  devint  alors  l'objet  des  sollicitudes 
du  prince  :  les  forts  furent  remis  en  état,  l'arsenal  transformé  par  des  techniciens  français. 
En  1853,  on  entreprit  de  lancer  une  frégate  construite  sur  les  chantiers  tunisiens.  Mais 
VAhmedia  fut  incapable  de  prendre  la  mer  ;  sa  coque  qu'on  avait  négligé  de  doubler  de 
cuivre  fut  dévorée  par  les  tarets,  et  la  carcasse  encombra  pendant  quinze  ans  le  port  de 
La  Goulette,  jusqu'au  jour  où  on  se  décida  à  la  détruire.  Néanmoins,  Ahmed  Bey  avait  eu 


119  Elle  ne  fut  supprimée  qu'à  la  fin  de  1869. 

120  La  même  mésaventure  était  advenue  àunpremier  vapeur  offert  au  bey  par  un  ministre  tunisien.  Mohammed 
Benaïad,  qui  coula  en  1841  (Ben  Dhiaf  chap.  VI,  année  1255). 


86 


la  fierté  d'embarquer  pour  Constantinople  une  partie  de  son  corps  expéditionnaire  sur 
des  navires  battant  pavillon  tunisien. 

Mohammed  Bey  manifesta  aussi  peu  d'intérêt  pour  la  marine  qu'il  n'en  témoignait 
pour  l'infanteriei^i.  Mais  son  frère  crut  opportun  de  relever  la  flotte  comme  les  autres 
créations  de  son  cousin  Ahmed,  il  fit  appel  à  des  mécaniciens  français  et  italiens  pour 
remettre  en  état  les  navires  à  l'abandon.  Ses  conseillers  lui  firent  acheter  quelques 
sabots  désarmés,  baptisés  frégates  ou  avisos  pour  la  circonstance.  Bientôt,  les  difficultés 
financières  aidant,  le  bey  se  lassa  de  ces  jouets  décevants.  Mais,  au  lieu  d'abandonner 
sa  pitoyable  escadre  à  la  rouille,  aux  tarets  et  aux  bourrasques  du  golfe  de  Tunis,  il  eut 
le  tort  d'écouter  les  propositions  intéressées  d'un  courtier  Israélite  de  Tunis,  Abeasisi22, 
Celui-ci  offrit  au  bey,  en  1868,  d'assurer  des  services  de  navigation  commerciale  avec  les 
navires  inutiles.  Abeasis  fit  remettre  les  bâtiments  en  état,  aux  frais  du  bey,  puis,  sous 
un  prétexte,  retint  en  gage  quatre  d'entre  eux,  que  le  bey  dut  finalement  abandonneri^s, 
Abeasis  ne  prospérait  pas  pour  autant  :  sa  flotte  était  saisie  ou  vendue,  à  l'exception  du 
Sadikia  qui  demeurait  partiellement  propriété  du  bey.  On  ne  sait  quelle  idée  extravagante 
poussa  l'armateur  improvisé  à  envoyer  le  Sadikia  entreprendre  une  croisière  de  cabotage 
au  long  cours  dans  l'Océan  Indien,  sous  le  commandement  d'un  officier  tunisien.  La  triste 
odyssée  du  Sadikia  devait  se  prolonger  plus  d'un  an.  Séquestré  dans  un  port,  le  navire 
échouait  à  l'entrée  du  suivant  ;  il  finit  par  jeter  l'ancre  dans  un  port  japonais  où  il  acheva 
sa  carrière  tunisienne  par  une  vente  aux  enchères  qui  devait  rembourser  les  créanciers 
d' Abeasis  et  du  beyi24. 

Il  ne  restait  au  bey  que  le  moins  mauvais  de  ses  navires,  l'aviso  Béchir,  le  seul  qui  fût 
encore  en  état  de  prendre  la  mer  et  que,  périodiquement,  on  envoyait  à  Constantinople 
à  l'occasion  d'une  ambassade  de  courtoisie.  Mais  les  croisières  du  Béchir  devaient  se 
révéler  plus  coûteuses  encore  que  les  avatars  du  Sadikia.  Tantôt,  le  vapeur  heurtait  un 
môle  à  l'entrée  d'un  port,  tantôt,  il  envoyait  par  le  fond  quelque  barque  sicilienne  ou 
maltaise  ;  les  avaries  le  retenaient  de  longs  mois  en  réparation.  En  novembre  1866  le 
vapeur  que  le  bey  avait  envoyé  à  Malte  pour  charger  du  grain  fut  saisi  par  des  créanciers 
du  gouvernementi25.  Dix  ans  plus  tard.  Le  Béchir  coulait  un  vapeur  anglais  dans  les  eaux 
grecquesi26.  Dégoûté  de  ses  démêlés  avec  les  compagnies  d'assurances  maritimes,  le 
gouvernement  du  bey  renonça  désormais  à  faire  sortir  des  eaux  tunisiennes  la  plus 
redoutable  de  ses  unités. 


121  II  dut  cependant  acheter  deux  dragueurs  en  France,  pour  faire  dégager  la  passe  de  La  Goulette.  Le  premier 
fut  coulé  en  route  par  le  navire  tunisien  qui  le  remorquait  (Arch.  Tun.  Doss.  319,  carton  113  :  lettre  de 
Rothschild  au  khaznadar  signalant  que,  depuis  la  perte  du  premier  dragueur,  les  compagnies  d'assurances 
se  refusaient  à  assurer  le  second,  s'il  était  remorqué  par  un  navire  tunisien.  Paris,  11  mai  1859). 

122  Moses  ABEASIS,  courtier  originaire  de  Gibraltar,  sujet  anglais. 

123  Arch.  Rés,  Comm,  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  17  août  1868,  -  A.  E.  Tunis,  vol.  34.  Botmiliau  à  Daru,  Tunis. 
8  février  1870. 

124  F.  0.102/83.  Wood  à  Granville.  Tunis,  31  août  1872. 

125  F.  0.102/77.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  30  novembre  1866. 

126  F.  0.102/106.  Wood  à  Derby.  Tunis,  24  octobre  1876. 


87 


88 


CHAPITRE  III 

L'ADMINISTRATION  LOCALE. 
SÉDENTAIRES  ET  NOMADES 


L'administration  locale  tunisienne  était  des  plus  rudimentaires.  Sédentaires  et 
nomades  étaient  gouvernés  par  des  caïds  assistés  de  lieutenants,  ou  khalifas,  au  dessous 
desquels  étaient  des  chefs  locaux,  les  cheikhs,  tous  également  désignés  par  le  prince. 
Une  soixantaine  de  caïds,  quelque  deux  mille  cheikhs  suffisaient  ainsi  à  maintenir  dans 
l'obéissance  une  population  de  plus  d'un  million  d'âmes^. 


1  En  l'absence  de  dénombrements  antérieurs  à  1921,  il  est  très  difficile  d'arriver  à  une  évaluation  satisfaisante 
de  la  population  indigène  de  la  Régence,  au  cours  du  XIX^“®  siècle.  Les  auteurs  contemporains  les  plus  sérieux 
l'estimaient  généralement  à  un  ou  deux  millions  d'âmes,  dans  la  deuxième  moitié  du  siècle.  Pellissier  de 
Reynaud  {Description  de  la  Régence  de  Tunis.  Paris,  1853,  p.  329)  avance  le  chiffre  de  800.000  habitants.  Cubisol 
(Notices  abrégées  sur  la  Régence  de  Tunis.  Bône,  1867  p.l7),  celui  de  2  millions.  Von  Maltzan  (Reise  in  den 
Regenschaften  Tunis  und  Tripolis.  Leipzig,  1870,  vol.  2.  p.413)  qui  rapporte  une  évaluation  gouvernementale  à 
1.007.200  habitants  datant  de  1868,  la  déclare  insuffisante  et  se  rallie  au  chiffre  d'un  million  et  demi.  Fallot 
(Notice  géographique  administrative  et  économique  de  la  Tunisie.  Tunis  1888.  p.  46)  hésite  entre  1.200.000 
et  1.500.000  ;  Duveyrier  (La  Tunisie.  Paris,  1881)  ne  conclut  pas.  Le  recensement  de  l'Empire  ottoman  de 
1844,  note-t-il,  attribue  à  la  Tunisie  950.000  habitants.  «Les  dernières  évaluations  officielles  tunisiennes, 
qui  remontent  à  1867  ou  1868,  portent  1.007.200  habitants,  donnée  que  M.  Von  Maltzan  estime  être 
beaucoup  trop  faible»  (p.  2).  «Il  est  probable  que  la  population  de  la  Tunisie  atteint  si  elle  ne  dépasse  pas  un 
million  d'habitants»  (p.  3).  Néanmoins,  tous  ces  auteurs  s'accordaient  pour  évaluer  à  600  ou  700.000  âmes 
la  population  sédentaire  du  pays.  Les  relations  des  voyageurs  européens  reprenaient  ces  mêmes  chiffres, 
généralement  sans  les  discuter.  La  Tunisie  indépendante  ne  bénéficiait  pas  des  enquêtes  statistiques  menées 
dans  l'Algérie  voisine  par  les  bureaux  arabes.  Aussi,  l'indigence  des  documents  originaux  ne  nous  permet- 
elle  point,  à  l'heure  actuelle,  de  tenter  une  enquête  analogue  à  celle  que  M.  Yacono  a  menée  pour  l'Algérie 
vers  1830  (R.  Afr.  1954,  pp.  277-307).  Nous  pouvons  toutefois  utiliser  un  document  de  source  financière 
tunisienne,  le  registre  par  caïdats  des  personnes  assujetties  au  paiement  de  la  mejha  qui,  pour  l'année  1277 
(1860/61),  fournit  un  total  de  221.664  individus  (Arch.  Tun.  Doss.  82,  carton  92).  Cette  taxe  personnelle 
pesait  sur  les  Tunisiens  mâles  et  pubères,  le  quart  de  la  population,  selon  l'avis  général  des  contemporains. 
Cette  proportion  semble  justifiée  par  la  composition  probable  par  âge  et  par  sexe  de  la  population  tunisienne 
à  cette  époque.  Mais  il  fallait  tenir  compte  des  exemptions  légales  de  la  mejba,  fonctionnaires,  étudiants  et 
dignitaires  religieux,  quelque  10.000  soldats,  les  habitants  et  originaires  de  certaines  villes,  des  exemptions 
de  fait,  comme  celle  dont  jouissaient  les  montagnards  de  Kroumirie.  On  arrivait  ainsi  à  un  total  de  1.070.000  à 
1.100.000  habitants.  Malheureusement,  il  est  difficile  de  ne  pas  suspecter  les  listes  de  contribuables  dressées 
par  des  caïds  qui  avaient  intérêt  à  minimiser  le  résultat  de  leurs  dénombrements  destinés  au  gouvernement. 
Les  extrapolations  à  partir  de  statistiques  très  postérieures  ne  peuvent  fournir  que  des  résultats  fort 
hasardeux.  En  admettant  cependant  que  la  population  musulmane  tunisienne  a  évolué  comme  celle  de 


89 


1  -  Les  Caïds 

Dans  les  provinces,  le  caïd  demeurait  l'agent  d'exécution  par  excellence.  La 
constitution  de  1861  s'était  bornée  à  préciser  ses  attributions  traditionnelles,  il  restait 
chargé  de  l'administration  générale,  de  maintien  de  l'ordre,  de  la  justice,  aussi  bien 
que  de  la  perception  des  impôts.  Les  soi-disant  réformateurs  ne  s'étaient  pas  souciés 
d'innover  en  ce  domaine.  Gouverneur,  receveur  des  impôts  et  juge,  à  la  fois,  le  caïd 
disposait  d'un  pouvoir  presque  souverain  en  son  districD.  Mais  cette  autorité  était 
tempérée  par  le  caprice  du  prince  qui  nommait  et  révoquait  à  son  gré  les  caïds  et  les 
maintenait  indifféremment  en  fonctions  quelques  mois  seulement  ou  plusieurs  années. 

Jusqu'au  règne  d'Ahmed  Bey,  les  charges  avaient  été  de  véritables  offices,  dont 
les  titulaires  devaient  payer  au  prince  des  redevances  variant  selon  l'importance  du 
district  ou  de  la  tribu.  Ahmed  Bey  avait  aboli  en  principe  la  vénalité  des  charges,  les 
caïds  devant  assumer  gratuitement  leurs  fonctions.  Néanmoins,  pour  se  maintenir,  il 
leur  fallait  pratiquer  une  politique  de  cadeaux  aux  favoris  du  bey.  Mustapha  Khaznadar 
ne  dissimulait  pas  ses  exigences  :  il  tarifait  les  offrandes,  vendait  pratiquement  les 
charges  au  plus  offrant,  parfois  sous  le  couvert  de  créances  fictives,  si  le  nouveau  caïd 
n'était  pas  en  mesure  de  fournir  de  l'argent  liquide,  il  n'hésitait  pas  à  vendre  deux 
fois  le  même  caïdat,  lorsqu'il  était  pressé  d'argent,  quitte  à  faire  révoquer  le  premier 
nommé,  dès  son  installation,  et  à  le  faire  jeter  en  prison  pour  n'avoir  pu  satisfaire  à  ses 
obligations^.  Toutefois,  cette  pratique  restait  encore  exceptionnelle  dans  les  premières 
années  du  règne  de  Mohammed  es  Sadok.  Les  personnages  bien  en  cour  conservaient 
généralement  leurs  charges  de  longues  années  durant.  On  pouvait  même  citer  comme 
un  exemple  d'exceptionnelle  permanence,  le  caïd  et  ministre  Mohammed  Khaznadar 
qui  sut  rester  en  fonctions  dans  le  Sahel  pendant  près  de  quarante  ans  presque  sans 
interruption,  depuis  le  règne  d  Ahmed  Bey,  en  1839,  jusqu'au  début  du  protectorat. 

Souvent,  un  caïd  cumulait  deux  caïdats^.  Ainsi,  jusqu'en  1864,  le  caïd  des  Majeur, 
Si  Larbi  Baccouch  Sehili,  était-il  en  même  temps  caïd  des  Ouled  Ayar,  le  général  Sidi 
Hassouna,  caïd  de  Tebourba  et  de  la  Djendouba.  Certains  caïdats  étaient  d'ordinaire 
jumelés,  comme  ceux  des  districts  de  Sousse  et  Monastir,  de  Mahdia  et  de  la  tribu  des 
Methellith,  de  Kairouan  et  d'une  fraction  des  Zlass.  il  est  vrai  que  la  plupart  des  caïds  ne 
résidaient  pas  et  qu'ils  déléguaient  habituellement  dans  leurs  fonctions  un  ou  plusieurs 
khalifas,  chargés  de  les  représenter^. 

Les  caïds  considéraient  leurs  charges  plus  comme  des  bénéfices  que  comme 
des  fonctions  administratives,  des  sources  de  revenus  qui  devaient  leur  permettre 


l'Algérie,  ainsi  que  nous  le  suggérait  M.  Henry,  de  l'I.N.E.D.  (Les  rapports  consulaires  confirment  en  effet  que 
les  mêmes  épidémies,  les  mêmes  disettes  ont  généralement  affecté  en  même  temps  la  Tunisie  et  l'Algérie 
orientale),  et  qu'elle  ait,  comme  elle,  presque  doublé  entre  1856  et  1921,  malgré  un  fléchissement  sensible 
après  1860,  on  trouverait,  pour  la  Régence,  un  million  d'habitants  vers  1860.  Ce  chiffre  rejoindrait  ainsi 
les  estimations  beylicales  de  1868,  sans  s'éloigner  beaucoup  des  indications  fournies  par  le  nombre  des 
imposés  à  la  méfia. 

1  Pellissier  de  Reynaud,  op.  cit.  pp.  319-322. 

3  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872. 

4  Parfois  un  caïdat  pouvait  être  scindé  en  deux  ou  trois.  Ainsi,  en  1281,  (1864  -1865),  le  bey  nommait-il  deux 
caïds  chargés  d'administrer  chacun  la  moitié  des  Ouled  Abd  el  Krim  et  des  Ouled  Bel  Hadj  des  Ouled  Aziz,  et 
un  caïd  chargé  du  tiers  d'une  petite  tribu  de  l'Ouest  (Arch.  Tun.  carton  52  :  décrets  de  nominations  de  caïds, 
de  1237  à  1290). 

5  Le  même  personnage  pouvait  cumuler  les  fonctions  de  caïd  et  de  khalifa  :  en  octobre  1862,  Ali  es  Sassi  était 
nommé  khalifa  du  Djérid  et  caïd  d'une  fraction  des  Hammama  {Ibid,  même  dossier). 


90 


d'entretenir  leur  maison  et  de  tenir  leur  rang  à  la  cour.  S'ils  assumaient  gratuitement 
leurs  fonctions  en  théorie,  ils  disposaient  en  maîtres  de  la  levée  des  impôts  directs  et 
utilisaient  les  forces  à  leur  service  plus  à  appuyer  la  perception  des  taxes  qu'à  poursuivre 
les  malfaiteurs.  Leurs  agents  avaient  longtemps  agi  à  leur  guise  dans  l'estimation  des 
récoltes.  Ils  avaient  trouvé  les  moyens  de  tourner  les  réformes  de  Mohammed  Bey  qui 
établissaient  la  fixité  des  redevances,  et  majoraient  tous  les  recouvrements  de  frais 
oppressifs,  désignés  de  façon  pittoresque  sous  le  vocable  de  «prix  des  souliers».  Caïds, 
khalifas  et  leurs  gens  retenaient  pour  eux  la  meilleure  part  des  sommes  qu'ils  prélevaient. 
Le  bey  Mohammed  confiait  à  Léon  Roches  que  le  Trésor  ne  devait  pas  recevoir  plus  du 
cinquième  des  sommes  réellement  perçues  dans  le  pays. 

Au  dessous  du  caïd  et  de  ses  khalifas  étaient  les  cheikhs,  choisis  par  le  caïd  parmi 
les  notables  d'un  village  ou  d'un  douar  nomadeC  et  chargés  de  maintenir  l'ordre  et 
de  collaborer  à  la  rentrée  des  impôts.  Les  cheikhs  étaient  en  nombre  variable  ;  leur 
importance  dépendait  des  régions.  Dans  les  pays  peuplés  de  sédentaires,  le  cheikh  était 
d'ordinaire  le  chef  d'un  village  ou  d'un  quartier  de  ville,  sous  l'autorité  d'un  khalifa. 
Chez  les  nomades,  les  cheikhs  gouvernaient  un  douar  ou  un  groupe  de  douars.  Ils 
nomadisaient  avec  leurs  gens,  à  la  tête  desquels  certains  ne  dédaignaient  pas  de  faire 
le  coup  de  feu.  Si  quelques  cheikhs  étaient  des  personnages,  beaucoup  n'étaient  que  de 
petites  gens,  incapables  d'entretenir  plus  d'un  ou  deux  chevaux  de  selle  ;  à  la  tête  d'un 
douar  de  quelques  misérables  tentes,  ils  avaient  beau  «faire  suer  le  burnous»,  ils  n'en 
tiraient  pas  assez  pour  satisfaire  à  l'avidité  du  caïd  ou  du  khalifa.  En  cas  de  troubles,  ils 
étaient  les  boucs  émissaires  tout  désignés  pour  une  répression  sommaire  qui  ne  leur 
épargnait  point  la  bastonnade. 

Le  caïd  n'était  pas  seul  juge  en  son  district.  Dans  les  villes,  les  bourgs  et  les  tribus, 
des  cadis,  instruits  à  la  grande  mosquée,  connaissaient  de  toutes  les  affaires  civiles  et 
religieuses,  le  caïd  ne  se  réservant  que  les  affaires  temporelles,  relevant  de  la  justice  du 
prince,  par  opposition  à  la  justice  divine.  Les  offenses  à  la  religion,  les  questions  d'ordre 
familial  ou  privé,  les  contestations  entre  voisins  ou  associés,  les  affaires  où  un  serment 
avait  été  prononcé  étaient  de  la  compétence  des  cadis  qui  jugeaient,  d'après  la  lettre 
du  Coran  et  les  interprétations  orthodoxes  de  la  loi  musulmane,  ou  en  s'appuyant  sur 
des  fétouas,  ou  consultations  juridiques  émanant  d'un  mufti^.  La  justice  des  cadis  était 
vénale;  les  conflits  entre  juridictions  rivales  entretenaient  d'incessantes  complications, 
bien  qu'il  fût  établi  que  les  procès  devaient  être  jugés  selon  le  rite  adopté  par  le  défenseur. 
Les  caïds  pouvaient  intervenir  dans  une  affaire  sous  le  prétexte  que  l'ordre  était  mis  en 
danger.  On  pouvait  faire  appel  de  leurs  décisions  il  est  vrai,  en  portant  l'affaire  devant  le 
bey,  qui  jugeait  lui-même  en  dernier  ressort. 

Les  réformes  constitutionnelles  de  Mohammed  Bey  et  Mohammed  es  Sadok  avaient 
profondément  modifié  l'organisation  judiciaire  traditionnelle.  En  août  1856,  Mohammed 


6  Us  étaient  nommés  par  le  bey,  sur  présentation  des  caïds. 

7  Des  quatre  grands  rites  orthodoxes  de  l'Islam,  deux  seulement,  le  rite  hanéfite  et  le  rite  malékite  avaient 
existence  légale  en  Tunisie.  Le  rite  hanéfite  suivait  les  commentaires  qu'avait  donnés  du  Coran,  au 
siècle,  le  grand  jurisconsulte  de  Bagdad,  Abou  Hanifa.  C'était  le  rite  le  plus  répandu  chez  les  Turcs;  à  Tunis,  la 
maison  husseinite,  les  mamelouks,  les  Turcs  et  descendants  de  Turcs  s'en  réclamaient.  Aussi,  les  dignitaires 
du  rite  hanéfite  avaient-ils  officiellement  le  pas  sur  ceux  du  rite  malékite,  le  grand  mufti  hanéfite  joignant  à 
son  titre  celui  de  cheikh  el  Islam. 

Le  rite  malékite,  fondé  au  VHP™®  siècle  également  par  l'imâm  Malik  de  Médine,  était  pratiqué  par  la  majorité 
de  la  population,  comme  par  tous  les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord.  Les  questions  de  préséance  n'enlevaient 
rien  à  la  validité  des  jugements  rendus  par  les  cadis  malékites.  Selon  leur  intérêt,  d'ailleurs,  demandeurs  et 
défenseurs  se  réclamaient  indifféremment  de  l'un  ou  l'autre  rite. 


91 


Bey  avait  réorganisé,  à  Tunis,  le  tribunal  religieux  du  Charâa,  en  réunissant  les  cadis  et 
muftis  des  deux  rites  dans  l'ancien  local  du  conseil  de  la  milice  turque.  Les  cadis  avaient 
été  ainsi  placés  dans  la  dépendance  des  muftis,  dont  le  chef,  le  grand  mufti  hanéfite, 
présidait  le  tribunal®.  Les  réformes  de  Mohammed  es  Sadok  étaient  plus  radicales.  Après 
l'affaire  Sfez,  pour  éviter  de  soumettre  désormais  des  non  musulmans  aux  décisions 
d'un  tribunal  religieux  comme  le  Charâa,  les  conseillers  du  bey  avaient  organisé  toute 
une  hiérarchie  de  tribunaux  jugeant  d'après  des  codes  dégagés  de  toute  inspiration 
religieuse,  à  Limitation  de  ceux  qui  avaient  été  rédigés  en  Turquie.  On  ne  réservait  aux 
cadis  qu'une  compétence  strictement  limitée,  en  matière  de  contestations  religieuses  et 
familiales.  Les  réformes  leur  enlevaient,  au  civil,  l'essentiel  de  leurs  attributions;  elles 
dépouillaient  également  les  caïds  de  la  plupart  de  leurs  pouvoirs,  en  matière  de  justice 
répressive. 

Les  menus  délits,  les  affaires  de  simple  police  restaient  de  la  compétence  du  caïd. 
Mais  il  devait  s'adjoindre  un  khalifa  et  trois  assesseurs  pour  former  un  tribunal  de  police 
dont  il  était  le  président.  Les  autres  affaires  étaient  évoquées  devant  neuf  tribunaux  de 
première  instance^  qui  jugeaient  au  civil  comme  au  criminel,  ou  devant  des  tribunaux 
de  commerce.  Encore  pouvait-on  toujours  avoir  recours  directement  au  tribunal  de 
Tunis  dont  la  compétence  s'étendait  au  pays  tout  entier.  Tous  les  jugements  étaient 
susceptibles  d'appel  devant  la  Cour  d'appel  de  Tunis  ;  ils  pouvaient  être  révoqués 
par  le  Grand  Conseil  siégeant  en  Cour  de  cassation.  Les  juges  étaient  inamovibles  et 
la  Constitution  prévoyait  pour  eux  une  complète  indépendance  vis-à-vis  du  pouvoir 
exécutif. 

Les  années  1861  et  1862  avaient  vu  l'installation  des  tribunaux  à  Tunis  et 
dans  le  reste  du  pays.  Mais  caïds  et  cadis  accueillaient  à  regret  des  innovations 
qui  les  atteignaient  dans  leurs  pouvoirs  et  leurs  ressources.  Ils  entretenaient  le 
mécontentement  populaire  contre  les  tribunaux  imposés  par  les  étrangers;  certains 
caïds  affectaient  même  de  tolérer  le  désordre  dans  leurs  tribus,  pour  démontrer 
l'inefficacité  du  nouveau  systèmei®.  Les  nouveaux  juges  étaient  aussi  vénaux  que  les 
anciens  et,  comme  les  plaideurs  voulaient  tous  être  jugés  dans  la  capitale,  le  tribunal 
de  Tunis  fut  rapidement  débordé.  Plus  que  jamais,  les  affaires  restaient  en  souffrance; 
les  provinciaux  déploraient  les  longs  et  coûteux  séjours  qu'on  leur  imposait  dans  la 
capitale.  Les  réformes  judiciaires  provoquaient  ainsi  dans  le  pays  un  mécontentement 
latent  ;  elles  réveillaient  les  jalousies  contre  les  tout  puissants  mamelouks  du  Bardo  qui 
avaient  accaparé  les  hautes  charges  judiciaires,  comme  les  autres  fonctions  lucratives 
de  l'Etat. 

Les  fonctions  d'un  caïd  étaient  toujours  les  mêmes,  en  principe,  quel  que  fût  le  lieu 
de  sa  résidence  ;  la  hiérarchie  de  ses  subordonnés,  khalifas  et  cheikhs,  restait  identique 
dans  les  villes  et  les  campagnes,  chez  les  sédentaires  comme  chez  les  nomades.  Mais 
l'extrême  inégalité  des  divisions  administratives,  la  plus  ou  moins  grande  fréquence 
des  mutations  entretenaient,  parmi  les  caïds,  des  différences  considérables  de 
ressources,  de  prestige  et  même  d'autorité.  11  n'y  avait  guère  de  commun  que  le  titre 
entre  le  caïd  qui  gouvernait  quelques  douzaines  de  tentes  et  celui  qui  était  à  la  tête 
d'une  puissante  tribu  ou  le  gouverneur  d'un  riche  district  de  sédentaires.  Le  caïdat  de 
Sousse  comptait  près  de  40.000  administrés,  celui  des  Drid,  environ  45.000  ;  on  n'aurait 


8  Ben  Dhiaf  chap.  VII,  année  1272. 

9  Siégeant  à  Kairouan,  Sousse,  Sfax,  Gabès,  Djerba,  Tozeur,  Le  Kef  et  Béja  (Ben  Dhiaf,  chap.  VIII,  année  1277). 

10  Arch.  Rés.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  7  décembre  1861. 


92 


vraisemblablement  dénombré  que  quelques  centaines  d'âmes  dans  telle  ou  telle  petite 
tribu  de  l'intérieur^. 


La  puissance  d'un  caïd  ne  s'évaluait  pas  seulement,  il  est  vrai,  à  raison  du  seul  nombre 
des  habitants  ou  des  contribuables  qui  relevaient  de  son  autorité.  On  distinguait  entre 
les  régions  peuplées  de  nomades,  où  le  caïd  était  surtout  un  agent  d'autorité,  chargé 
essentiellement  du  maintien  de  l'ordre,  et  les  districts  peuplés  de  sédentaires,  pays 
réputés  tranquilles,  où  ses  fonctions  étaient  avant  tout  fiscales.  Cette  distinction  n'avait 
sans  doute  rien  d'absolu,  elle  ne  reposait  sur  aucune  prescription  légale.  Mais,  Tunisiens 
et  étrangers  opposaient  les  districts  de  sédentaires  aux  tribus  et  la  terminologie  des 
caïdats  désignait  les  premiers  d'un  nom  de  ville  ou  de  région,  tandis  qu'elle  attribuait 
aux  autres  des  noms  de  tribus  ou  de  confédérationsi^.  Les  dignitaires  de  la  cour  étaient 
les  premiers  à  pratiquer  cette  classification  entre  les  districts,  qu'ils  se  réservaient,  et 
les  caïdats  de  tribus  qu'ils  abandonnaient  plus  volontiers  à  des  notables  indigènes. 

Dans  les  régions  peuplées  essentiellement  de  sédentaires,  les  caïdats  avaient 
une  assise  territoriale,  ils  correspondaient  à  des  districts  [outhan  j_b9)  plus  ou  moins 
bien  délimités.  Les  habitants  étaient  soumis  aux  autorités  du  lieu  de  leur  résidence  et 
changeaient  de  cheikh  ou  de  caïd,  en  se  déplaçant  d'un  village  dans  un  autre.  En  pays 
nomade,  caïdats  et  cheikhats  «offraient  une  base  exclusivement  ethnique  et  par  suite 
de  l'extrême  dispersion  de  leurs  membres,  ils  constituaient  une  mosaïque  des  plus 
bariolées.  Beaucoup  de  tribus  ne  possédaient  pas  de  domaine  propre.  Le  caïd  des  Drid 
avait  une  foule  de  dépendants,  mais  pas  un  pouce  de  territoire  administratif  spécial.  Les 
Arab  Majour  du  Haut  Tell  obéissaient  à  un  caïd  résidant  à  Béja.  Les  villages  de  Kalaat 
Senane  et  d'Ellès  relevaient  du  caïdat  du  Kef  mais  en  étaient  séparés  par  d'autres  caïdats. 
Le  caïdat  de  Kessera  Ouled  Yahia  se  déchirait  en  deux  tronçons  distincts...  Certains 
cheikhs  se  glorifiaient  de  plus  de  contribuables  que  tel  ou  tel  caïd.  D'autres  en  revanche 
n'en  comptaient  que  quelques  douzaines^^».  Sauf  dans  le  Sahel,  les  transitions  étaient 
insensibles  entre  nomades  et  sédentaires.  Bon  nombre  de  districts  comptaient,  dans 
leurs  limites,  autant  ou  plus  de  nomades  ou  de  semi  nomades  que  de  populations  fixées 
au  sol.  Tantôt,  c'étaient  de  petites  tribus  qu'on  avait  rattachées  au  caïdat  le  plus  proche, 
tantôt,  des  groupes  de  quelques  tentes  en  voie  de  fixation,  qui  finissaient  par  fonder 
un  hameau,  s'agréger  à  un  village  ou  à  une  ville  pour  former  un  cheikhat  de  quartier. 
Chez  les  nomades  du  haut  Tell,  dans  les  cantons  les  plus  tranquilles  et  les  plus  fertiles, 
on  voyait  s'implanter  des  hameaux  de  gourbis  dont  les  habitants  s'isolaient,  sans  que  le 
caïd  de  la  tribu  perdît  sur  eux  son  autorité. 

Cette  géographie  administrative  était  des  plus  confuses  et  des  plus  mouvantes.  Les 
listes  du  gouvernement  n'étaient  généralement  pas  tenues  à  jour;  elles  se  réduisaient 
à  une  énumération  désordonnée  de  districts  et  de  tribus  avec  l'indication  du  nombre 
des  imposés  à  la  mejba  ;  on  y  retrouvait  des  noms  oubliés  que  les  fonctionnaires  du  bey 
eux-mêmes  n'arrivaient  pas  à  identifier.  Au  gré  des  circonstances,  les  beys  remaniaient 
la  liste  des  caïdats,  créant  ou  supprimant  des  districts,  groupant  ou  divisant  les  tribus. 
Le  nombre  des  caïds  n'avait  cessé  de  varier  pendant  le  XIX™®  siècle.  Ahmed  Bey  avait 
érigé  Tebourba  en  caïdat,  lorsqu'il  y  eut  créé  une  manufacture  de  drap;  le  hameau  de  la 
Mohammédia  avait  obtenu  la  même  promotion,  lorsque  le  bey  eut  décidé  d'y  construire 


11  Les  Beit  ech  Cheria  ne  comptaient  que  51  personnes  assujetties  à  la  mejba  en  1860-1861,  soit  quelque  200 
individus  en  tout  (Arch.  Tun.  Doss.  82,  carton  92  ;  budget  de  1277). 

12  Duveyrier,  op.  cit  p.  4.  -  Von  Maltzan,  op.  citvol.  2,  pp.  413-426. 

13  Ch.  Monchicourt  :  La  région  du  Haut  Tell  en  Tunisie.  Paris,  1913,  p.  279. 


93 


son  nouveau  palais  d'hiver.  Pour  des  raisons  fiscales,  il  avait  créé  dans  l'ouest  deux 
caïdats  nouveaux,  en  regroupant  des  douars  d'origines  différentes  qui  vivaient  depuis 
longtemps  séparés  de  leurs  tribus.  En  1864,  Mohammed  es  Sadok  devait  scinder  en 
deux  les  Ouled  Ayar  pour  les  punir  de  la  part  qu'ils  avaient  prise  à  la  rébellion.  Au  début 
du  règne  de  Mohammed  es  Sadok,  on  comptait  vingt-deux  caïdats  de  districts  et  une 
quarantaine  de  caïdats  de  tribusi'^.  Mais  le  nombre  des  caïds  était  généralement  moins 
élevées.  Outre  la  pratique  du  cumul,  il  était  toujours,  dans  le  sud,  une  ou  deux  tribus  en 
dissidence  ;  il  se  produisait  des  vacances  auxquelles  on  ne  se  hâtait  point  de  pourvoir,  si 
la  tribu  était  petite  et  pauvre  et  n'intéressait  pas  les  dignitaires  du  Bardo. 

2  -  Les  populations  sédentaires 

Les  caïdats  de  districts  étaient  de  beaucoup  les  plus  peuplés  et  les  plus  riches. 

Les  sédentaires  formaient  plus  de  la  moitié  de  la  population  de  la  Régence,  quelque 
600.000  habitants,  sans  doute.  Aussi,  la  plupart  des  districts  comptaient-ils  chacun 
plusieurs  dizaines  de  milliers  d'âmes,  à  l'exception  de  quelques  caïdats  honorifiques  de 
la  banlieue  de  Tunis. 

La  capitale  conservait  un  statut  particulier,  à  peine  modifié  par  les  réformes  de  1858. 

Les  caïdats  de  la  banlieue,  qui  avaient  pour  capitales  des  résidences  passées  ou 
présentes  des  beys,  ne  comptaient  chacun  que  quelques  milliers  d'habitants  ;  c'étaient 
celui  d'Abdelleia,  Marsa,  Sidi-Bou-Saïd,  plus  communément  désigné  sous  le  nom  de 
caïdat  de  La  Goulette,  dont  les  fonctions  étaient  rattachées  à  celles  de  ministre  de  la 
Marine,  les  caïdats  d'Hammam-Lif  et  de  la  Mohammédia. 

Vers  l'ouest,  on  trouvait  les  caïdats  de  Tebourba,  de  Bizerte,  de  Mateur,  de  Tabarka, 
de  Testour,  dont  la  capitale  était  Medjez  el  Bab,  ceux  de  Béja,  de  Teboursouk  et  du  Kef. 

Vers  le  Sud,  c'étaient  Vouthan  el  KaUi  i,  à  il  ù-^jj')  qui  couvrait  la  presqu'île  du  cap 
Bon,  avec  Soliman  pour  capitale,  les  caïdats  de  Sousse,  Monastir  et  Mahdia,  dans  le  Sahel, 
celui  de  Sfax,  le  caïdat  de  l'Arad,  autour  de  Gabès,  ceux  de  Djerba,  du  Djérid,  de  Gafsa  et 
de  Kairouan. 

Les  caïds  de  Bizerte  et  du  Kef,  ceux  de  l'Arad  et  de  Kairouan  joignaient  à  leurs 
fonctions  celles  d'agha,  ou  commandant  militaire^^.  Ils  étaient  chargés  d'assurer  la 
défense  du  pays  dans  des  régions  traditionnellement  menacées  par  les  invasions.  Mais 
ces  fonctions  militaires  avaient  fini  par  s'estomper.  Seuls,  les  aghas  de  Kairouan,  du  Kef 
et  de  Gabès  gardaient  à  leur  disposition  quelques  troupes  irrégulières.  Ils  en  usaient 
pour  maintenir  la  paix  entre  les  tribus  nomades  qui  relevaient  de  leur  commandement 
et  pour  appuyer  l'expédition  annuelle  du  camp.  Depuis,  la  deuxième  moitié  du  KlK^me 
siècle,  les  aghas  du  Kef  et  de  Kairouan  et,  dans  une  moindre  mesure,  celui  de  l'Arad 
étaient  chargés  surtout  de  contrôler  les  caïds  des  tribus  du  nord,  du  centre  et  du  sud 
de  la  Régence  qui  devaient  passer  par  leur  intermédiaire,  avant  d'en  référer  au  bey.  Ces 
fonctions  faisaient  d'eux  plutôt  des  gouverneurs  généraux  en  pays  nomade  que  les  caïds 
de  la  ville  ou  de  l'oasis  qui  relevait  directement  de  leur  autorité. 


14  H.  Von  Maltzan  op.  cit  vol.  2,  pp.  413-426.  -  H.  Duveyrier  :  op.  cit.  p.  4.  -  Arch.  Tun.  Doss.  576  à  586-ter,  cartons 
52-54. 

15  Tout  au  moins,  le  nombre  des  caïds  gouverneurs,  car  le  bey  nommait  aussi  des  caïds  chargés  des  fonctions 
les  plus  variées,  caïds  de  l'élevage  des  chameaux,  par  exemple  (Arch.  Tun.  Carton  52  :  décrets  de  nomination 
de  caïds,  de  1237  à  1290),  ou  caïds  chargés  des  offices  de  cour. 

16  Les  caïds  du  Djérid  et  de  Béja  pouvaient  aussi  porter  le  titre  d'agha. 


94 


Toutes  ces  charges  étaient  accaparées  par  les  mamelouks  et  les  familiers  du  Bardo. 
Si  le  premier  ministre  ne  retenait  pour  lui  aucune  de  ces  fonctions,  il  y  plaçait  ses  amis, 
ses  parents,  ses  créatures  et  vendait  les  autres  au  plus  offrant.  Mohamed  Khaznadar, 
ministre  et  caïd  perpétuel,  administrait  les  deux  districts  de  Sousse  et  Monastir,  depuis 
le  règne  d'Ahmed  Beyi^.  Le  garde  du  sceau,  Ismaïl  es  Sunni,  beau-frère  du  bey,  était  caïd 
de  Djerba.  Un  autre  beau-frère  du  bey,  le  général  Réchidi®  était  caïd  de  Kairouan  et  des 
Zlass.  Le  ministre  de  la  Guerre,  Mustapha,  gouvernait  le  Djérid;  le  général  Fahrat  était 
agha  du  Kef.  Khérédine  cumulait  les  fonctions  de  caïd  de  la  Goulette  et  de  ministre  de 
la  Marine.  Heussein,  autre  gendre  du  Khaznadar,  celles  de  président  de  la  municipalité 
de  Tunis  et  d'agha  de  Béja.  D'autres  créatures  du  premier  ministre,  le  général  Zarrouk, 
le  général  Hassouna,  Ali  es  Sassi  étaient  pourvus  de  charges  importantes^^.  Nous  ne  les 
connaissons  pas  tous^o. 

Aucun  de  ces  gouverneurs  ne  résidait.  Tous  déléguaient  l'essentiel  de  leurs  pouvoirs  à 
des  khalifas^i  qu'ils  choisissaient  souventà  leur  gré  etauxquels  ils  demandaient  beaucoup 
de  diligence  pour  la  rentrée  des  taxes.  Les  caïds  ne  se  souciaient  pas  plus  de  travaux 
d'intérêt  public  que  les  ministres  ;  l'administration  se  réduisait  à  des  tâches  élémentaires, 
le  maintien  de  l'ordre  à  l'aide  de  quelque  gendarmes,  dans  les  villes,  et  la  perception  des 
impôts  dans  le  bled.  Les  agents  du  caïd  s'employaient  avec  énergie  à  recouvrer  chaque 
mois,  la  taxe  personnelle  et,  à  la  fin  de  la  récolte  l'achour  ou  le  canoun,  selon  les  régions. 
D'un  district  à  l'autre,  c'étaient  toujours  les  mêmes  méthodes  :  les  percepteurs  des 
dîmes,  achetés  par  les  notables,  faisaient  supporter  aux  misérables  fellahs  tout  le  poids 
de  l'impôt;  ils  usaient  et  abusaient  des  perquisitions  et  de  la  bastonnade  pour  faire  payer 


17  II  conservait  ces  fonctions  jusqu'en  février  1865  et  devait  les  recouvrer  dès  le  mois  de  décembre  1868. 

18  II  y  avait  à  la  cour  du  Bardo  cinq  généraux  Réchid  que  nous  distinguons  mal.  Deux  d'entre  eux  étaient 
généraux  de  division  et  siégeaient  au  Grand  conseil.  Le  plus  âgé  avait  été  ministre  de  la  Guerre,  il  avait  été 
chargé  du  commandement  du  corps  expéditionnaire  envoyé  à  Constantinople  pendant  la  guerre  de  Crimée. 
Depuis  septembre  1837,  il  était  commandant  militaire  de  la  circonscription  de  Sousse.  Il  devait  s'y  distinguer 
par  son  énergie  pendant  l'insurrection  de  1864.  Tombé  en  disgrâce,  en  août  1865,  il  fut  étranglé  par  ordre 
du  bey,  le  5  octobre  1867.  Le  second  était  le  beau-frère  du  bey  ;  il  fut  caïd  de  l'Arad  puis  de  Kairouan  et  d'une 
fraction  des  Zlass. 

19  Zarrouk  succédait  à  Mustapha  bach  Agha  comme  gouverneur  du  Djérid  en  1862  ou  1863.  Le  général 
de  brigade  Hassouna  ben  Abdelwahab  bach  Hamba,  chef  de  la  gendarmerie,  était  caïd  de  Djendouba  et 
Tebourba,  en  novembre  1863,  lorsqu'il  fut  fusillé,  en  punition  d'une  orgie  criminelle  (il  avait  tué  un  cocher 
du  khaznadar  :  Ben  Dhiaf,  Ch.  VIII  Année  1280  ;  Arch.  Rome.  Gambarotta  à  Visconti-  Venosta.  Tunis,  20  août 
et  10  novembre  1863).  Ali  es  Sassi  était  nommé  khalifa  du  Djérid  et  caïd  d'une  fraction  des  Hammama,  en 
octobre  1862. 

20  En  1868,  un  voyageur  allemand,  le  baron  Von  Maltzan,  chambellan  du  roi  du  Bavière,  pour  illustrer  la 
relation  de  son  voyage  en  Tunisie,  dressait  une  liste  bien  informée  de  caïdats,  dont  il  donnait  les  titulaires 
de  l'époque  {Reise...  op.  cit  vol.  2.  pp,  413-426).  Il  se  fondait  sur  une  liste  qui  lui  avait  été  fournie  par  le 
ministère  tunisien,  liste  imparfaite  et  compliquée  qu'il  avait  dû  compléter  par  des  renseignements  dont  il  ne 
précise  point  l'origine  (note  p.  413). 

Malgré  la  crise  qu'avait  subie  le  gouvernement,  pendant  l'insurrection  de  1864,  malgré  les  querelles  entre 
mamelouks  qui  avaient  contraint  le  khaznadar  à  renouveler  son  personnel,  c'était  toujours  une  même 
clique  étroite  qui  tenait  tous  les  postes  de  confiance.  Nous  retrouvons  ainsi  Ali  es  Sassi,  caïd  du  Djérid, 
Selim,  gouverneur  de  Tunis,  Zarrouk,  caïd  de  Sousse  et  Monastir  ;  le  général  Roustam,  promu  ministre  de 
l'Intérieur,  était  devenu  caïd  de  Djerba.  Certains  mamelouks  avaient  péri,  tels  le  général  Farhat,  tué  pendant 
l'insurrection,  le  général  Ismaïl  Sunni,  étranglé  par  ordre  du  bey,  en  1867  ;  certains  étaient  en  disgrâce,  comme 
les  gendres  du  premier  ministre,  Khérédine  et  Heussein,  et  même,  pour  un  temps,  Mohamed  Khaznadar. 
D'autres  favoris  avaient  pris  leur  place  :  Hamida  Benaïad  caïd  de  Bizerte,  Mahmoud  Aziz,  qui  cumulait  les 
caïdats  de  Tebourba  et  du  cap  Bon.  A  peine  avait-on  eu  besoin  de  faire  appel,  pendant  l'insurrection,  à  des 
familles  indigènes  comme  ces  Djellouli  de  Sfax,  dont  l'un  Mahmoud,  était  devenu  caïd  de  Mahdia  et  des 
Methellith  pour  quelques  mois,  et  dont  l'autre,  Hassouna,  devenu  caïd  de  Sfax,  avait  su  gagner  la  faveur  du 
khaznadar  et  rester  en  fonctions. 

21  Les  aghas  étaient  représentés  dans  leurs  provinces  par  des  kahias. 


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les  taxes.  Si  le  caïd  restait  longtemps  en  fonctions,  s'il  n'était  pas  trop  exigeant,  le  poids 
de  l'impôt  pouvait  demeurer  supportable.  Mais  des  mutations  trop  fréquentes  faisaient 
parfois  se  succéder  des  caïds  pressés  de  recouvrer  sur  la  première  récolte  les  sommes 
qu'ils  avaient  déboursées  pour  l'achat  de  leur  charge.  C'était  alors  une  exploitation  féroce 
qui  laissait  le  paysan  sans  ressources  ni  réserves,  qui  le  contraignait  à  vendre  ses  bijoux, 
à  engager  ses  biens  auprès  de  quelque  Juif,  afin  d'obtenir  les  semences  nécessaires  pour 
la  campagne  suivante.  Les  populations  subissaient  avec  une  résignation  passive  abus  et 
mauvais  traitements,  vivant  misérablement  au  jour  le  jour,  dans  l'espoir  toujours  déçu 
de  la  bonne  récolte  qui  les  délivrerait  de  leur  endettement  chronique. 

a)  Les  sédentaires  du  Nord 

Dans  les  plaines  de  la  Medjerda  et  dans  la  région  de  Tunis,  les  populations  rurales, 
plus  ou  moins  bien  fixées  au  sol,  vivaient  surtout  d'agriculture.  Elles  produisaient,  avec 
des  moyens  très  primitifs,  du  blé,  de  l'orge,  quelques  légumes  et  complétaient  leurs 
ressources  en  élevant  des  moutons  et  des  bovins  qui  paissaient  sur  les  chaumes  et 
les  terres  en  friche.  Autour  de  Tunis  et  dans  la  presqu'île  du  cap  Bon,  des  Andalous 
immigrés  au  XVP™  siècle  avaient  introduit  l'irrigation,  créé  des  jardins  maraîchers, 
planté  des  olivettes.  Leurs  villages  bien  bâtis  qu'animaient  des  corporations  artisanales, 
apportaient  une  note  d'urbanisme  au  milieu  des  misérables  hameaux  de  gourbis  des 
populations  indigènes^^. 

Malgré  la  faiblesse  des  rendements,  l'irrégularité  des  récoltes,  les  régions  du  nord- 
ouest,  où  les  pluies  ni  les  moissons  ne  manquaient  jamais  complètement,  faisaient 
figure  de  grenier  à  blé  de  la  Régence.  La  situation  des  paysans  n'en  était  pas  meilleure 
pour  autant.  Tantôt,  les  terres  restaient  propriété  indivise  d'un  douar  ou  d'une  fraction, 
tantôt,  elles  appartenaient  au  beylik  ou  à  de  grands  personnages^^.  Les  fellahs  étaient 
alors  réduits  à  la  condition  de  colons  partiaires  et  devaient  livrer  aux  agents  du  domaine 
la  meilleure  partie  de  leur  récolte^^.  Ceux  qui  vivaient  sur  leurs  terres  devaient  subir 
la  rapacité  des  agents  du  fisc  qui,  sous  prétexte  d'achour,  leur  enlevaient  leur  blé,  leur 
orge  et  leur  imposaient  des  corvées  de  charroi  vers  les  silos  du  caïd  ou  les  magasins  du 
bey.  Les  fellahs  avaient  beau  cacher  leurs  grains,  enterrer  une  partie  de  leur  récolte,  les 
percepteurs  de  la  dîme  savaient  user  de  la  bastonnade  pour  faire  céder  les  récalcitrants, 
et  imposer  à  leurs  contribuables  tout  un  système  de  responsabilité  collective. 

Quand  les  exigences  du  caïd  ou  du  bey  devenaient  trop  fortes,  une  partie  de  cette 
population  avait  la  ressource  d'abandonner  la  culture  pour  se  consacrer  à  l'élevage.  On 
voyait  ainsi  périodiquement  des  groupes  de  douars  retourner  à  une  vie  semi  nomade  et 


22  H.H.  Abdul-Wahab  :  Coup  d'œil  général  sur  les  apports  ethniques  en  Tunisie.  R.T.  1917.  pp.  372-373. 

23  La  liste  des  domaines  du  khaznadar,  de  Benaïad  était  impressionnante.  Presque  toutes  les  terres  et  les 
olivettes  de  la  plaine  de  Tunis  appartenaient  aux  dignitaires  du  Bardo.  Les  grands  domaines  du  Nord-ouest 
s'évaluaient  en  milliers  d'hectares.  La  Djédeida  que  Mustapha  Khaznadar  avait  reprise  de  Benaïad  couvrait 
7.000  hectares,  le  domaine  du  Krib  qui  appartenait  au  prince  Lamine  Bey,  13.000.  Vhenchir  Gafour  cédé 
par  Ahmed  Bey  au  khaznadar  en  1847,  s'étendait  sur  48.000  hectares.  (Ch.  Monchicourt,  op.  cit  note.  1, 
p.  426).  Plus  vaste  encore  était  l'Enfida,  une  province  de  100.000  hectares  entre  Tunis  et  Sousse,  dont  le  bey 
Mohammed  es  Sadok  fit  la  donation  au  général  Khérédine  en  mai  1874. 

Les  personnages  bien  en  cour  devenaient  rapidement  de  grands  propriétaires  terriens,  témoin  le  caïd 
Nessim,  créature  et  complice  du  khaznadar,  qui,  en  quelques  années,  collectionnait  une  trentaine  de  pièces 
de  terre  à  La  Marsa,  Sidi-Bou-Saïd  et  l'Ariana,  sans  compter  deux  domaines  de  400  hectares  près  de  la 
Mohammédia  (Arch.  Tun.  Doss.  231,  carton  101). 

24  La  plupart  des  métayers  devaient,  pour  prix  de  leur  travail,  se  contenter  du  cinquième  de  la  récolte,  d'où  leur 
nom  de  khammès  ('^Ui).  Leur  statut  fut  codifié  par  Khérédine  en  1874  et  1875  (M.  Bompard  :  Législation  de 
la  Tunisie,  pp.  3-10). 


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ne  plus  cultiver  de  grains  que  le  minimum  nécessaire  à  leurs  besoins.  Aussi,  les  surfaces 
ensemencées  dans  la  Régence  pouvaient-elles  varier  de  façon  considérable.  A  la  fin  du 
règne  d'Ahmed  Bey,  dont  les  dépenses  avaient  entraîné  une  aggravation  de  la  fiscalité,  on 
n'estimait  plus  qu'à  15.000  le  nombre  des  méchias  cultivées,  au  lieu  de  75.000,  quinze 
ans  plus  tôt^^.  Cette  situation  s'était  améliorée  sous  le  règne  de  Mohammed  Bey  ;  elle 
devait  s'aggraver  à  nouveau,  sous  le  règne  de  son  frère  Mohammed  es  Sadok.  Mais  ces 
formes  d'évasion  fiscale  pouvaient  difficilement  être  pratiquées  par  des  populations 
traditionnellement  sédentaires,  comme  celles  du  Sahel  ou  des  oasis. 

b)  Les  villageois  du  Sahel. 

Le  Sahel  constituait  une  région  d'implantation  sédentaire  et  villageoise  qui,  avec 
des  fortunes  diverses,  se  perpétuait  depuis  l'époque  romaine  et  se  présentait  comme  le 
pays  le  plus  original  et  le  mieux  tranché  de  la  Régence.  «Le  Sahel»,  écrit  Jean  Despois, 
«forme  un  vigoureux  contraste  avec  les  steppes  nues  et  monotones  qui  s'étendent  à 
l'ouest,  et  il  se  définit  par  sa  population  sédentaire  dense  de  paysans  oléiculteurs  groupés 
en  villages  et  en  gros  bourgs^^».  Le  Sahel  est  un  bloc  :  ses  villages  se  groupent  à  proximité 
de  la  mer  et  en  bordure  d'une  steppe  qui  a  été  pendant  des  siècles  le  domaine  de  la  vie 
nomade  et  de  l'insécurité^^.» 

Ruiné  par  l'invasion  hilalienne  du  siècle,  le  Sahel  s'était  lentement  reconstitué  à 
partir  du  XIV™®.  A  l'époque  hafside,  il  n'était  encore  qu'une  mince  frange  littorale  étirée 
entre  Monastir  et  Mahdia.  A  partir  du  XVI™®  siècle,  les  progrès  avaient  été  plus  rapides  :  en 
dépit  de  l'insécurité,  les  olivettes  s'étendirent  vers  le  nord,  dans  l'arrière  pays  de  Sousse 
et  gagnèrent  sur  la  steppe  dans  l'intérieur.  Des  villages  nouveaux  apparurent,  Akouda, 
Kalaa  Srira,  Kalaa-Kbira,  Msaken,  dont  la  formation  marquait  autant  d'étapes  dans  la 
renaissance  de  la  contrée.  Mais,  au  milieu  du  XIX™®  siècle,  l'olivier  n'avait  pas  reconquis 
tous  les  domaines  qui  avaient  été  siens  aux  plus  beaux  jours  de  la  paix  romaine.  Au 
nord,  Hergla,  en  avant-garde  sur  la  route  de  Tunis,  restait  une  tache  de  peuplement 
isolée.  Les  plantations  continues  d'oliviers  ne  commençaient  qu'à  vingt  kilomètres  au 
nord  de  Sousse,  à  partir  de  Sidi  Bou  Ali,  s'élargissaient  dans  l'intérieur  jusqu'à  vingt  ou 
trente  kilomètres  du  littoral,  en  arrière  de  Sousse,  Monastir  et  Mahdia  pour  disparaître 
plus  au  sud.  En  direction  de  Sfax,  on  retrouvait  la  steppe  nue,  domaine  de  parcours  des 
Methellith,  où  les  olivettes  ne  formaient  plus  que  des  groupements  isolés  de  loin  en  loin, 
autour  de  Ksour-es-Saf,  La  Chebba,  El  Djem^s.  Dans  ces  limites,  le  Sahel  comprenait  une 
soixantaine  de  villes  et  de  villages  répartis  en  deux  ou  trois  caïdats  dont  la  population 
pouvait  être  évaluée  entre  80  et  90.000  âmes^^. 

C'était  ainsi  la  région  de  peuplement  le  plus  compact  et  le  plus  dense  de  toute  la 
Régence,  un  pays  de  bourgs  et  de  villages  fortement  agglomérés.  C'était  aussi  le  pays  le 
plus  riche,  le  plus  soumis,  celui  qui  apportait  les  plus  gros  revenus  au  trésor  beylical. 
L'olivier  était  la  grande  ressource  du  Sahel  ;  tous  les  villages  avaient  leurs  olivettes, 
leurs  pressoirs,  leurs  magasins  à  huile.  Pour  les  trois  caïdats,  le  nombre  des  oliviers 


25  F.  0.102/50.  Wood  à  Stratford  de  Redcliffe.  Tunis,  7  juillet  1856. 

26  ).  Despois  :  Essai  sur  l'habitat  rural  du  Sahel  tunisien.  Ann.  Géo.  XL.  1931,  p.  260. 

27  J.  Despois  Régions  naturelles  et  régions  humaines  en  Tunisie.  Ann.  Géo.  LU.  1942,  p.  124. 

28  J.  Despois  :  La  Tunisie  orientale,  p.  22. 

E.  Degubernatis,  vice-consul  italien  à  Sousse  :  Descrizione  geografica  -  agricola  -  commerciale  del  Sahel. 
BoUetino  consolare,  vol.  2,  fasc.  XII,  pp.  1091-1092. 

29  Recensement  de  15.461  assujettis  à  la  mejha  dans  la  caïdats  de  Monastir  (sans  Monastir)  et  de  Sousse  en 
novembre  1862  et  juin  1863  (Arch.  Tun.  Reg.  N°  852  et  925).  -  Evaluation  à  140.000  habitants  par  l'agent 
consulaire  à  Sousse  (Arch.  Rés.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sousse,  1^^  mars  1865). 


97 


était  estimé  à  cinq  millions  de  pieds  de  tous  âges.  Dans  les  bonnes  années,  la  récolte 
pouvait  fournir  deux  millions  de  métaux  d'huile,  l'équivalent  de  480.000  hectolitres^^. 
Mais  ces  bonnes  années  restaient  l'exception  et  ne  se  retrouvaient  guère  que  tous  les 
quatre  ou  cinq  ans  en  moyenne.  Les  paysans  évoquaient  pendant  longtemps  le  souvenir 
des  bonnes  récoltes  successives  qui  amenaient  au  village  des  périodes  d'abondance  et 
d'exceptionnelle  prospérité. 

Les  oliviers  ne  couvraient  guère  plus  du  quart  des  terres  du  Sahel.  Les  paysans 
cultivaient  les  autres  en  céréales  et  en  légumes,  s'efforçant  de  pallier  l'irrégularité 
des  campagnes  oléicoles  par  des  récoltes  de  blé  et  d'orge  plus  incertaines  encore.  En 
année  moyenne,  6.000  méditas,  soit  quelque  60.000  hectares,  étaient  ensemencées  en 
grains,  dans  les  trois  caïdats.  Les  Sahéliens  s'associaient  encore  aux  nomades  des  tribus 
voisines,  Souassi,  Zlass  ou  Methellith,  pour  cultiver  les  cantons  les  moins  arides  des 
steppes  d'alentour. 

Les  impôts  étaient  lourds  :  les  paysans  devaient  payer  l'achour  aussi  bien  que  le 
canoun.  Sans  doute,  les  caïdats  de  Sousse  et  Monastir  bénéficiaient-  ils  de  l'administration 
modérée  de  Mohammed  Khaznadar.  Mais  le  gouvernement  devenait  toujours  plus 
exigeant.  La  mejba  s'était  ajoutée  aux  autres  taxes.  Le  paysan,  imprévoyant  et  sans 
ressources,  devait  s'endetter,  hypothéquer  ses  biens,  pour  acquitter  ses  impôts  dans 
les  mauvaises  années.  11  comptait  toujours,  pour  s'en  tirer,  sur  le  retour  des  récoltes 
exceptionnelles  et  s'endettait  chaque  année  davantage  envers  les  usuriers  juifs  qui 
exploitaient  férocement  son  ignorance  par  des  prêts  de  20  et  30%  l'an.  Les  agents  du 
bey  encourageaient  ce  triste  commerce  :  pour  obtenir  de  l'argent  frais,  ils  contraignaient 
les  fellahs  à  engager  leurs  récoltes  à  venir  ;  ils  favorisaient  la  constitution  de  syndicats 
chargés  de  leur  avancer  le  produit  des  taxes  en  argent  et  remettaient  d'autorité  les 
titres  de  propriété  aux  usuriers  qu'ils  avaient  choisis.  Bon  an,  mal  an,  les  impôts  directs 
prélevés  dans  le  Sahel  fournissaient  un  sixième  des  revenus  du  gouvernemental. 

c)  Les  habitants  des  oasis 

La  situation  des  habitants  des  oasis  du  sud,  Gabès,  Gafsa,  le  Djérid,  le  Nefzaoua, 
était  de  toutes  la  plus  pénible.  Leurs  dattiers  étaient  aussi  lourdement  imposés  que  les 
oliviers  du  Sahel.  Mais  les  exigences  du  gouvernement  et  des  caïds  ne  leur  valaient  pas 
même  en  retour  une  protection  efficace  contre  les  exactions  des  nomades.  Les  oasis 
du  Djérid  qui  fournissaient  les  dattes  les  plus  estimées  de  l'Afrique  du  Nord  n'étaient 
protégées  en  permanence  par  aucune  force  armée.  Une  fois  par  an,  en  février  ou  mars, 
le  bey  du  camp  venait  s'installer  à  Tozeur  avec  sa  mehalla.  Mais,  depuis  la  fin  du  règne 
du  bey  Ahmed,  aucun  bey  du  camp,  ni  Mohammed  es  Sadok  ni  ses  frères  et  successeurs, 
Hamouda  ou  Ali,  ne  se  souciait  plus  de  sévir  contre  les  pillards  Hammama  ou  Béni  Zid 
qui  rançonnaient  les  sédentaires.  Le  poids  des  impôts  s'ajoutant  aux  exigences  des 
nomades  rendait  leur  situation  intolérable.  Dès  1857,  le  caïd  du  Djérid  signalait  que  ses 
administrés  étaient  incapables  de  payer  la  mejha,  que  beaucoup  d'entre  eux  préféraient 
s'enfuir,  émigrer  définitivement  même,  pour  essayer  d'échapper  à  leur  sort  misérable. 


30  Degubernatis  :  Descrizione...  del  Sahel,  op.  cit.  pp.  1.092  et  1.106. 

Les  registres  du  gouvernement  faisaient  état,  si  notre  recensement  est  exact,  de  4.300.000  pieds  d'oliviers 
(Arch.  Tun.  Doss.  101,  carton  93  :  états  indiquant  le  nombre  des  oliviers  et  palmiers  des  forêts  et  oasis  de  la 
Régence  ;  détail  par  localité  de  5  catégories  fiscales  d'oliviers).  Les  chiffres  peuvent  se  concilier  néanmoins, 
la  révision  des  listes  du  gouvernement  n'ayant  lieu  que  tous  les  vingt  ans.  De  toutes  façons,  depuis  le  début 
du  règne  d'Ahmed  Bey,  l'extension  des  olivettes  avait  été  importante,  car  les  registres  d'assiette  du  canoun 
ne  dénombraient,  en  1840,  que  3.200.000  arbres  de  toutes  catégories  [Ibid.  Reg.  n°  860.868). 

31  Arch.  Tun.  Doss.  82.  Carton.  92  :  Budget  de  1277. 


98 


d)  Les  citadins 

A  l'exception  de  Tunis,  les  villes  n'avaient  pas  d'administration  municipale 
particulière.  Depuis  1858,  la  capitale  avait  été  dotée  d'un  conseil  de  quinze  membres 
dont  le  président,  investi  de  l'autorité  d'un  préfet  de  police  plus  que  des  pouvoirs  d'un 
maire,  dirigeait  les  services  traditionnels  de  police  placés  désormais  sous  ses  ordres 
;  doulaÜi  pour  la  police  de  jour,  cheikh  el  Médina,  assisté  de  deux  cheikhs  pour 

les  faubourgs,  chargé  de  la  police  nocturne.  Les  autres  villes  étaient  soumises  à  leur 
caïd  de  la  même  façon  que  les  populations  rurales,  sédentaires  ou  nomades.  La  plupart 
des  chefs  lieux  de  districts,  Tebourba,  Teboursouk,  Béja  ou  Le  Kef,  n'étaient,  il  est  vrai, 
que  de  gros  villages  dépourvus  de  toute  fonction  urbaine,  des  marchés  agricoles  tout 
au  plus,  auxquels  les  vestiges  croulants  d'une  kasbah,  une  enceinte  délabrée,  une 
mosquée,  des  bains  publics,  les  attributs  traditionnels  de  la  cité,  valaient  encore  cette 
appellation.  Les  seules  villes  méritant  ce  nom  étaient  peu  nombreuses.  Toutes  étaient 
des  ports,  à  l'exception  de  l'ancienne  capitale,  Kairouan,  qui  végétait  dans  la  steppe  dans 
le  souvenir  de  sa  grandeur  passée.  Tunis  devait  compter  entre  80  et  90.000  habitants, 
60.000  Musulmans,  peut-être,  quelque  15.000  Juifs  et  10.000  Chrétiens32.  Kairouan, 
ville  interdite  aux  infidèles,  se  réduisait  à  20.000  âmes  à  peine.  Toutes  les  autres 
agglomérations  comptaient  moins  de  10.000  habitants.  Bizerte  n'était  qu'une  bourgade 
de  cinq  ou  six  mille  âmes.  Les  ports  du  Sahel,  Sfax  même,  n'étaient  guère  plus  peuplés 
que  certains  bourgs  de  l'intérieur  :  Sousse,  Monastir,  Mahdia,  avec  5  à  8.000  habitants 
;  Sfax  qui  renfermait  moins  de  10.000  âmes  dans  ses  murs  mais  qui  s'entourait  d'une 
banlieue  de  jardins  presque  aussi  peuplée  que  la  ville  close^^. 

Les  populations  urbaines  étaient  d'origines  assez  variées.  Elles  ne  se  répartissaient 
cependant  point  au  hasard  dans  la  cité.  Un  cloisonnement  rigoureux  maintenait  la 
cohésion  des  différents  groupes  ethniques,  religieux  et  professionnels  et  assignait  à 
chacun  d'eux  des  quartiers  plus  ou  moins  précis  à  l'intérieur  des  murailles.  Les  non 
Musulmans  vivaient  à  part  dans  les  bas  quartiers  qui  leur  avaient  été  réservés,  les  Juifs 
dans  les  Hara  où,  jusqu'à  la  fin  du  règne  du  bey  Mohamed,  on  les  enfermait  tous  les  soirs, 
les  Européens  dans  les  maisons  et  les  fondouks  des  quartiers  francs.  Pour  les  Musulmans, 
le  cantonnement  était  loin  d'être  aussi  rigoureux.  On  distinguait  cependant  dans  les 
villes  des  quartiers  bien  tranchés  correspondant  aux  fonctions  urbaines  traditionnelles. 
A  Tunis,  comme  à  Sousse  ou  à  Kairouan,  les  quartiers  administratifs  s'étendaient  autour 
de  la  kasbah  ;  les  souks  des  corporations  les  plus  nobles  entouraient  la  principale 
mosquée  ;  les  quartiers  résidentiels  étaient  généralement  à  l'écart,  loin  du  bruit  et  de 
l'animation  du  centre  commerçant. 


32  Les  estimations  des  contemporains  variaient  du  simple  au  double.  Pellissier  de  Reynaud,  (op.  cit.  1853, 
p.  50)  et  Finotti  {La  Reggenza  di  Tunisi.  Malte,  1856,  p.  368)  avançaient  le  chiffre  de  70.000  âmes,  Daumas 
(Quatre  ans  à  Tunis.  Alger,  1857,  p.  45)  celui  de  75.000.  Selon  Cubisol  (op.  cit  1867,  p.  5)  Tunis  comptait 
100.000  habitants,  dont  70.000  Musulmans,  20.000  Israélites  et  10.000  Européens  ;  selon  Wood,  dans  son 
rapport  de  1875  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc  vol.  9,  note  52),  100  à  120.000;  selon  Duveyrier  (op.  cit.  1881,  p. 
49),  Von  Maltzan  (op.  cit  1870,  vol.  2,  p.  413)  et  Juillet  Saint-Lager  [La  Régence  de  Tunis...  Alger,  1874,  p.lO), 
125.000  habitants  dont  80  à  85.000  Musulmans  ;  150.000  d'après  Fallot  (op.  cit  1888,  p.46). 
L'administration  française  devait  évaluer  la  population  musulmane  de  Tunis  à  80.000  âmes  à  la  fin  du 
Xix^me  siècle,  à  100.000  en  1906.  Mais  le  premier  recensement,  celui  de  1921,  ne  dénombrait  que  79.200 
Musulmans  dans  la  capitale. 

33  Pellissier  de  Reynaud,  op.  cit.  pp.  20-118  et  182-183.  -Cubisol,  op.  cit  pp.  6-13.-  Rapport  anglais  de  14.875. 
op.  cit  -  Von  Maltzan,  op.  cit  vol.  5,  pp.  415-426.  Le  recensement  des  hommes  astreints  au  paiement  de  la 
mejba  dans  la  ville  de  Sousse,  en  juin  1863,  ne  dénombrait  que  1.171  individus,  ce  qui,  en  tenant  compte  des 
dispenses  légales,  pouvait  correspondre  à  une  population  indigène  de  quelque  7.000  âmes,  dont  2.000  Juifs 
(Arch.  Tun.  Reg.  N°905). 


99 


L'artisanat  était  fortement  encadré  par  les  corporations  organisées  selon  des 
méthodes  médiévales.  Les  aminés  C  )  ou  syndics  qui  les  dirigeaient  exerçaient 
sur  chacune  d'elle  une  autorité  étendue  en  vertu  de  traditions  non  écrites  qui  se 
transmettaient  de  génération  en  génération.  Les  aminés  ne  contrôlaient  pas  seulement 
la  fabrication,  ils  dirigeaient  toute  la  vie  du  métier  ;  ils  en  étaient  les  chefs  reconnus 
par  l'administration  beylicale^^.  Les  petits  métiers  qui  échappaient  à  l'organisation 
corporative,  les  divers  groupes  ethniques  ou  religieux  qui  vivaient  plus  ou  moins  unis 
dans  la  cité  avaient  chacun  leur  caïd  ou  par  leur  délégué  choisi  ou  reconnu  par  les 
autorités  locales.  Ainsi,  les  Couloughlis,  les  Kabyles  de  Tunis  étaient-ils  dirigés  par  des 
chefs  politiques  et  militaires  chargés  de  leur  recrutement  en  cas  de  besoin.  Les  Juifs 
étaient  gouvernés  par  un  caïd  nommé  par  le  bey  et  chargé  de  la  répartition  des  taxes. 
Les  Mozabites  algériens.  Musulmans  attachés  à  l'hérésie  ibadîte,  qui  étaient  à  Tunis, 
charbonniers  ou  employés  de  bains,  vivaient  en  communauté  sous  l'autorité  d'un  chef 
qui  les  représentait  auprès  du  consul  de  France.  Les  Djerbiens  qui  détenaient  dans  toutes 
les  villes  un  véritable  monopole  de  l'épicerie  et  du  commerce  de  détail  paraissaient 
toutefois  échapper  à  toute  espèce  d'organisation  hiérarchisée. 

Les  habitants  des  villes  étaient  moins  foulés  que  ceux  des  villages.  Ceux  des  cinq  villes 
principales  ;  Tunis,  Kairouan,  Sousse,  Monastir  et  Sfax  avaient  été  exemptés  du  paiement 
de  la  mejba^^.  Partout  on  avait  accordé  de  larges  dispenses,  en  faveur  des  militaires, 
des  étudiants,  des  dignitaires  religieux.  Les  populations  urbaines  n'étaient  soumises 
à  aucune  des  taxes  qui  pesaient  sur  les  Bédouins,  achour  ou  canoun.  En  revanche,  ils 
étaient  assujettis  au  paiement  d'une  foule  de  droits  indirects,  octrois,  droits  de  marché, 
monopoles,  taxes  sur  les  loyers,  patente  et  droit  de  fabrication  dont  la  perception  était 
affermée  à  des  appaüateurs.  Le  recouvrement  de  toutes  ces  taxes  n'allait  pas  sans 
abus  ni  vexations,  mais  il  n'atteignait  jamais  les  violences  exercées  dans  le  bled  par  les 
percepteurs  des  dîmes.  La  situation  des  habitants  de  la  ville  paraissait,  à  ce  point  de  vue, 
infiniment  plus  favorable  que  celle  des  sédentaires  de  la  campagne.  Mais  les  villes  étaient, 
plus  que  les  campagnes,  atteintes  de  la  décadence  des  industries  traditionnelles  qui,  à 
Tunis,  comme  à  Kairouan,  faisaient  vivre  plus  du  tiers  de  la  population  musulmane. 

Les  corporations  artisanales  qui  continuaient  de  travailler  à  la  main,  selon  des 
techniques  périmées,  ne  pouvaient  résister  à  la  concurrence  des  produits  manufacturés 
anglais  ou  français  qui  envahissaient  le  marché  tunisien.  Les  artisans  bâclaient  en  vain 
leur  travail,  ils  ne  pouvaient  produire  aux  mêmes  prix  que  les  machines  d'Europe.  Le 
gouvernement  les  décourageait  par  un  système  douanier  extravagant  qui,  pour  respecter 
la  lettre  des  Capitulations,  taxait  plus  les  exportations  du  pays  que  les  importations.  La 
France  et  l'Angleterre  inondaient  la  Régence  de  tissus  et  de  quincaillerie  à  bon  marché; 
de  France,  venaient  des  bijoux,  des  parfums,  des  denrées  coloniales.  Dès  1860,  la  plupart 
des  corporations  de  tisserands  étaient  gravement  atteintes,  le  travail  des  métaux,  la 
bijouterie  indigène  étaient  ruinés.  Dans  les  souks  de  Tunis,  on  ne  trouvait  plus  que  des 
soieries  lyonnaises  ou  des  cotonnades  de  Manchester,  à  peine  parées  d'une  broderie 
orientale,  des  cuivres  orientaux  estampés  en  série  à  Birmingham.  Les  artisans  du  cuir,  la 
corporation  des  fabricants  de  chéchias,  lapremière  de  Tunis,  semblaient  jouir  encore  d'une 
belle  prospérité,  au  début  du  règne  de  Mohammed  es  Sadok.  Les  chéchias  se  vendaient 


34  A.  Atger  :  Les  corporations  tunisiennes.  Paris.  1909,  pp. 48-49. 

35  Ben  Dhiaf.  Chap.VlI,  année  1272.-  Cette  exemption  s'expliquait  par  le  fait  que  les  habitants  de  ces  villes 
étaient  assujettis  au  paiement  d'autres  taxes  locales  qui  n'avaient  pas  été  abolies,  lors  de  l'institution  de  la 
mejba,  en  1856. 


100 


Tunis  vers  1860 

(Arch.  du  ministère  de  la  Guerre  italien  : 

Reproduction  d'un  plan  édité  à  Paris  chez  la  Vve  Saint-Auban). 

On  peut  distinguer  les  principaux  quartiers  de  la  ville,  la  médina,  enfermée  dans  l'ovale  de  la  première 
enceinte,  les  faubourgs  de  Bab-Souika  et  Bab  Djazira,  au  nord  et  au  sud,  couverts,  sauf  du  côté  de  la  mer  par 
une  enceinte  extérieure  discontinue.  La  kasbah  se  dresse  à  l'ouest  ;  des  égouts  à  ciel  ouvert  descendus  de 
la  ville  haute  se  déversent  à  l'est  dans  le  lac  de  Tunis. 

en  Turquie  et  dans  tous  les  pays  musulmans  de  l'Afrique  du  Nord,  l'Egypte  surtout,  qui 
absorbaient  les  trois  quarts  de  la  production  tunisienne.  Mais  la  prospérité  de  cette 
fabrique  si  particulière  était  gravement  menacée.  Pour  être  plus  tardive,  la  décadence 
devait  être  aussi  brutale  que  celle  des  autres  corporations.  La  France,  l'Autriche-  Hongrie 
se  mettaient  à  fabriquer  des  fez.  Tunis  perdait  le  marché  algérien,  était  concurrencée 
dans  tous  ses  domaines  d'exportation  traditionnels^®.  La  valeur  des  exportations  de 
chéchias  allait  s'effondrer  en  quelques  années  :  d'une  moyenne  de  plus  de  trois  millions 
de  francs,  pour  la  période  1861-1863,  elle  diminuait  de  moitié,  dès  1864-1865,  pour 

36  La  Turquie  se  mettait,  elle  aussi,  à  fabriquer  des  bonnets.  Pour  former  des  artisans,  elle  avait  fait  venir 
des  maîtres  bonnetiers  tunisiens  (Arch.  Tun.  Doss.  344-bis,  carton  220,  lettres  de  Mehmed  Hiisrer  Pacha, 
serasker,  au  bey  de  Tunis,  16  août  1831,  20  mars  1832,  5  octobre  1832,  demandant  l'envoi  de  maîtres 
bonnetiers  pour  fabriquer  des  chéchias  à  Constantinople  (documents  en  turc  qui  nous  ont  été  obligeamment 
traduits  par  M.  R.  Mantran). 


101 


Un  bazar  à  Tunis 

Gravure  extraite  du  Tour  du  Monde  (L'Illustration,  1879). 


tomber  à  850.000  francs,  en  1869-1870,  et  au  dessous  de  250.000  francs,  à  partir  de 
1875'“^.  Faute  de  débouchés,  les  patrons  devaient  réduire  leur  fabrication.  La  décadence 
des  corporations  artisanales  posait  ainsi  dans  les  villes  un  grave  problème  sociaP®dont 
le  gouvernement  tunisien  ne  se  souciait  aucunement.  Les  artisans  vivaient  plus  mal, 
beaucoup  de  jeunes  hommes  restaient  inoccupés.  Aucune  industrie  nouvelle  ne  s'était 
installée,  toutes  les  manufactures  fondées  par  Ahmed  Bey  ayant  successivement  disparu. 
Les  dirigeants  des  corporations,  eux-mêmes,  semblaient  incapables  du  moindre  effort 
de  rénovation.  Figés  dans  un  traditionalisme  immuable,  ils  perpétuaient  des  méthodes 
surannées  et,  faute  d'esprit  d'initiative,  s'enfonçaient  lentement  dans  la  médiocrité.  Le 
sentiment  de  cette  décadence  renforçait  et  aigrissait  chez  les  bourgeois  tunisiens  la 
haine  et  le  mépris  de  l'étranger  dans  lesquels  ils  s'étaient  toujours  entretenus. 

Depuis  le  milieu  du  siècle,  les  transformations  de  la  vie  économique  donnaient  un 
rôle  toujours  grandissant  aux  échanges  commerciaux.  Les  villes  de  la  côte  progressaient 
aux  dépens  des  bourgades  de  l'intérieur,  de  Kairouan  qui  végétait  au  milieu  des  steppes. 
Depuis  l'établissement  de  relations  régulières  entre  l'Europe  occidentale,  Marseille, 
les  ports  italiens,  Malte  et  l'Angleterre,  des  négociants  européens  étaient  venus  plus 
nombreux  dans  les  quartiers  francs  des  ports.  Les  Musulmans  leur  avaient  abandonné 
le  grand  commerce  d'exportation  des  produits  agricoles,  l'importation  d'articles 
manufacturés  qui,  chaque  année,  prenait  plus  d'ampleur. 

Le  commerce  de  détail  était  accaparé  par  des  groupes  allogènes,  des  ruraux 
immigrés,  des  Musulmans  dissidents,  comme  les  Djerbiens  ou  les  Mozabites,  les  Juifs 
qui  pratiquaient  tous  les  métiers  d'argent. 

La  bourgeoisie  musulmane  manquait  d'aptitudes  commerciales  ;  elle  répugnait 
à  risquer  ou  à  grouper  ses  capitaux  et  préférait  les  investir  dans  des  biens  fonciers. 
La  vie  économique  tunisienne  était  ainsi  dominée  par  une  poignée  de  négociants 
marseillais  et  génois,  étrangers  protégés  par  les  Capitulations.  Leur  situation  était 


37  A.  E.  Tunis.  Comm.  vol.  57  à  62  ;  Arch.  Rés.  Dir.  pol.  et  Comm.  passim,  1861-1878.  -  Chiffres  établis  d'après  les 
statistiques  commerciales  annuelles  du  port  de  La  Goulette,  dressées  par  le  vice-consul.  Ch.  Cubisol,  à  partir 
de  1860. 

38  Ben  Dhiaf  signale  la  ruine  des  bonnetiers  tunisiens,  en  1867,  «Par  suite  de  la  faillite  de  la  plupart  des 
chaouachis,  leurs  boutiques  étaient  fermées»  (Chap.  VIII,  année  1283).  Il  en  rendait  responsable  l'élévation 
des  droits  d'exportation. 


102 


toujours  prépondérante  au  début  du  règne  de  Mohammed  es  Sadok.  Mais,  déjà,  les  Juifs 
qui  s'essayaient  au  grand  commerce  apparaissaient  comme  des  concurrents  dangereux. 
L'ouverture  d'une  grave  crise  financière  allait  favoriser  l'ascension  d'une  minorité 
israélite  toujours  méprisée,  dont  les  éléments  les  plus  actifs  allaient  en  quelques  années, 
se  tailler  des  situations  exceptionnelles. 

3  -  Les  Juifs 

Les  Juifs  n'étaient  vraisemblablement  pas  plus  d'une  trentaine  de  mille  dans  toute 
la  Régence,  bien  que  les  contemporains  leur  eussent  généralement  accordé  entre  40  et 
50.000  âmes^®.  La  moitié  d'entre  eux  vivait  à  Tunis  ;  le  reste  se  dispersait  dans  les  ports, 
dans  l'île  de  Djerba,  quelques-uns  dans  les  bourgades  de  l'intérieur. 

Ces  colonies  juives  avaient  une  origine  très  ancienne.  Les  premières  avaient  été 
fondées  dès  l'époque  punique  ;  elles  avaient  été  renforcées  par  des  afflux  d'immigrants 
chassés,  comme  au  l®’’  ou  au  IL™  siècle,  par  la  répression  des  révoltes  de  Judée  et  de 
Cyrénaïque,  ou  par  des  conversions  opérées  chez  les  populations  berbères.  D'autres 
Juifs  étaient  venus  d'Arabie  et  d'Egypte  derrière  les  conquérants  arabes.  Les  princes 
musulmans  se  montraient  en  effet  plus  tolérants  que  les  empereurs  chrétiens  ou 
byzantins.  Mais  l'invasion  almohade  du  XIL™  siècle  devait  ruiner  la  plupart  des  colonies 
israélites.  Les  nouveaux  venus  étaient  intolérants  et  brutaux;  ils  persécutèrent  et 
massacrèrent  les  Juifs,  les  déportèrent  par  communautés  entières.  Les  colonies  juives, 
sévèrement  atteintes,  se  reconstituèrent  lentement.  Les  princes  hafsides  leur  assignèrent 
de  nouvelles  résidences,  les  cantonnèrent  en  des  ghettos'^o  dans  les  principales  villes  de 
la  côte.  Dès  lors,  la  répartition  des  Juifs  en  Tunisie  ne  devait  guère  changer  jusqu'à  la  fin 
du  XIX®™  siècle. 

A  ces  Juifs  orientaux,  se  joignirent,  au  cours  des  XV®™  et  XVI®™  siècles  des 
coreligionnaires  expulsés  ou  chassés  d'Espagne,  comme  les  Musulmans,  par  la 
persécution  des  Rois  Catholiques.  Quelques  familles  vinrent  s'installer  à  Tunis  et 
dans  les  bourgades  des  alentours.  A  la  fin  du  XVlll®™  siècle,  et  au  début  du  XIX®™,  ces 
Juifs  andalous  furent  renforcés  par  l'immigration  de  Juifs  de  même  origine  espagnole 
qui  avaient  été  attirés  en  Toscane,  à  la  fin  du  XVI®™  siècle  par  la  politique  libérale  du 
grand  duc  Ferdinand  11.  Le  nom  d'Andalous  tombait  en  désuétude  et  c'est  sous  celui 
de  Livournais  ou  de  Grana'^'^  que  l'on  désignait  les  Juifs  d'origine  espagnole,  pour  les 
distinguer  de  leurs  coreligionnaires  indigènes. 

Les  Juifs  andalous  étaient  plus  évolués,  plus  instruits  ;  ils  n'avaient  pas  tardé  à  se 
séparer  des  Juifs  maghrébins  qu'ils  méprisaient.  Dès  1710,  à  Tunis,  ils  fondèrent  une 
communauté  nouvelle,  de  rite  portugais,  avec  sa  synagogue,  son  tribunal,  sa  boucherie. 


39  Ainsi  Cubisol  (op.  cit  pp.  5  et  17)  fait-il  état  de  45.000  Juifs,  dont  20.000  pour  la  ville  de  Tunis.  La  population 
israélite  de  la  capitale  était  estimée  à  près  de  40.000  âmes  par  Dunant  {Notice  sur  la  Régence  de  Tunis. 
Genève,  1858,  p.  229),  à  35.000  par  de  Flaux  {La  Régence  de  Tunis  auXlX^^^  siècle.  Paris,  1865,  p.  50),  à  30.000 
par  Von  Maltzan  (op.  cit  vol.  1,  p.  82)  et  Jusserand  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  9,  Note  sur  la  Tunisie,  1881). 
Toutefois,  Daumas  ne  l'évaluait  qu'à  15  ou  18.000  âmes  (op.  cit  p.  45). 

Lors  du  recensement  de  1921,  la  colonie  israélite  indigène  de  Tunisie  se  réduisait  encore  à  48.000  individus, 
après  des  années  d'un  vigoureux  essor  démographique.  Le  petit  nombre  de  naturalisations  accordées  depuis 
1881  (moins  de  300)  ne  pouvait  à  cette  époque,  fausser  le  résultat  du  dénombrement. 

40  R.  Brunschvig  signale  une  hara  à  Tunis  à  l'époque  hafside  (La  Berbérie  sous  les  Hafsides...  1940-47, 
pp.  415-416). 

41  Livournais,  en  arabe  local. 


103 


et  un  cimetière  distinct^^  Lg  gouvernement  du  bey  avait  enregistré  cette  scission  en 
accordant,  pour  un  temps,  aux  Juifs  andalous  un  caïd  particulier  chargé  de  les  administrer. 
Jusqu'au  début  du  XIX®™  siècle,  les  uns  et  les  autres  étaient  également  sujets  tunisiens. 
Ils  étaient  relégués  dans  des  ghettos  fétides  et  prodigieusement  surpeuplés,  les  hara'^^. 
Un  caïd  Israélite,  nommé  par  le  bey,  les  gouvernait.  Ce  caïd  était  chargé  de  répartir  les 
taxes,  d'assurer  la  tranquillité  du  quartier  et  de  régler  toutes  les  contestations  entre 
Juifs  qui  n'étaient  pas  de  la  compétence  des  tribunaux  rabbiniques.  Les  Juifs  étaient 
assujettis  au  paiement  d'un  impôt  spécial  de  capitation  ;  ils  devaient  acquitter,  comme 
les  Musulmans,  les  impôts  indirects  prélevés  dans  les  villes.  Mais,  sous  un  prétexte  ou  un 
autre,  le  gouvernement  ne  se  privait  pas  de  leur  imposer  une  foule  de  taxes,  d'amendes 
et  de  corvées  arbitraires. 

A  Tunis,  comme  à  Alger,  les  Juifs  étaient  officiellement  traités  en  parias.  Les  beys  leur 
interdisaient  de  se  vêtir  comme  les  Musulmans  et,  comme  la  plupart  des  Juifs  s'habillaient 
à  la  turque,  ils  leur  imposaient  des  vêtements  sombres  et  des  bonnets  noirs.  Les  Juifs 
n'avaient  ni  le  droit  d'habiter  hors  de  la  hara,  ni  celui  de  posséder  des  terres.  Leurs 
ghettos  étaient  périodiquement  menacés  par  des  pogroms  plus  ou  moins  spontanés. 
Hors  de  leurs  quartiers,  les  Juifs  étaient  soumis  à  toutes  les  avanies,  à  toutes  les  vexations. 
Les  colporteurs  isolés,  les  créanciers  qui  s'attardaient  connaissaient  souvent  une  fin 
tragique.  On  ne  retrouvait  que  leurs  cadavres,  parfois  coupés  en  morceaux  et  cousus 
dans  un  sac  selon  des  traditions  qui  semblaient  faire  partie  du  folklore  tunisien^^ 

Les  Juifs  indigènes  étaient  de  beaucoup  les  plus  nombreux.  Très  prolifiques,  ils 
entassaient  leurs  nombreuses  familles  dans  les  taudis  immondes  des  hara^^.  Leur 
vêtement,  leurs  coutumes  donnaient  au  ghetto  de  Tunis  toute  sa  couleur,  tout  son 
pittoresque.  A  défaut  de  pouvoir  pénétrer  dans  les  intérieurs  musulmans,  les  étrangers 
de  passage  se  rabattaient  sur  une  visite  de  la  hara  et  le  spectacle  de  quelque  noce  juive. 
Leurs  récits  s'y  attardaient  avec  complaisance;  ils  décrivaient  les  Juifs  traînant  leurs 
babouches  sous  la  houppelande  sombre  et  le  turban  noir,  les  Juives  bouffies  de  graisse 
curieusement  affublées  de  pantalons  bouffants  et  de  corsages  indécents'^®. 

Les  réformes  des  derniers  beys  avaient  apporté  des  améliorations  sensibles  dans  la 
condition  des  Juifs.  Le  Pacte  fondamental,  la  Constitution  avaient  proclamé  l'égalité  de 
tous  les  sujets  tunisiens  devant  la  loi  comme  devant  l'impôt,  sans  distinction  de  religion 
aucune.  En  octobre  1857,  Mohammed  Bey  avait  levé  les  interdictions  vestimentaires  qui 
pesaient  sur  les  Juifs;  il  leur  avait  accordé  le  droit  d'acquérir  et  de  posséder  des  terres. 
Les  Juifs  devenaient  justiciables  des  tribunaux  de  première  instance  où  les  représentait 
un  assesseur  de  leur  confession.  De  nuit,  comme  de  jour,  les  portes  de  la  hara  restaient 
ouvertes  désormais.  C'était  là  comme  le  symbole  d'une  libération. 


42  D.  CAZES  :  Essai  sur  l'histoire  des  Israélites  de  Tunisie.  Paris,  1889,  p.  125.  -  C.  Massi  :  Fixation  du  statut  des 
sujets  toscans  israélites  dans  la  Régence  de  Tunis  (1822-1847),  trad.  de  P.  Grandchamp.  R.  T.  1938,  p.  157.  - 
M.  Eisenbeth  :  Les  Juifs  en  Algérie  et  en  Tunisie  à  l'époque  turque  (1516-1830).  R.  Afr.  1952.  p.  160. 

43  Dans  la  Hara  de  Tunis,  vers  1860,  quelque  15.000  Juifs  s'entassaient  sur  13  hectares. 

44  Corresp.  consulaire  française,  passim. 

45  Sur  le  ghetto  de  Tunis  :  Pellissier  de  Reynaud_  op.  cit  -  Capitaine  Ph.  Daumas  :  Quatre  ans  à  Tunis,  op.  cit.  pp. 
40-65.  -  J.  H.  Dunant,  op.  cit.  pp.  229-239.  -  H.  Von  Maltzan,  op.  cit.  vol.  I,  pp.  26-27.  -  Le  conseil  sanitaire  de 
Tunis  décrivait  la  hara  comme  «un  foyer  d'infection  permanente».  F.O.  102/83.  Procès-verbal  de  la  séance 
du  15  avril  1868,  annexe  à  dép.  consulaire  no  13  de  Wood  à  Stanley.  Tunis,  6  juin  1868). 

46  G.  Desgodins  de  Souhesmes,  Tunis,  histoire,  mœurs,  gouvernement,  administration.  Paris,  1875,  p.  133. 
«Nulle  part  au  monde  la  beauté  féminine  n'est  estimée  au  poids  comme  dans  le  ghetto  de  Tunis»,  écrivait 
Ernst  Von  Hesse-Wartegg  [Tunis,  Land  und  Leute.  Wien,  Pest.  Leipzig,  1882,  p.  101). 


104 


Cependant,  la  masse  des  Israélites  indigènes  restait  encore  un  prolétariat  famélique 
vivant  toujours  dans  la  crainte.  Les  attentats  isolés  contre  les  Juifs,  les  meurtres 
demeuraient  impunis,  comme  par  le  passé.  La  plupart  des  Juifs  devaient  se  contenter  de 
petits  métiers  manuels  :  ils  étaient  tailleurs,  savetiers,  orfèvres,  domestiques  ;  d'autres 
étaient  petits  boutiquiers,  gargotiers,  brocanteurs,  colporteurs,  usuriers.  Leur  clientèle 
était  pauvre,  il  leur  fallait  défendre  en  d'interminables  débats  les  maigres  profits  qui 
leur  permettaient  à  peine  de  subsister.  Les  orfèvres  étaient  durement  atteints,  eux 
aussi,  par  la  concurrence  européenne.  Mais  il  était  bien  difficile  aux  Juifs  indigènes 
de  s'évader  de  leur  condition.  Illettrés  pour  la  plupart,  ils  ne  connaissaient  d'autre 
langue  que  l'arabe  tunisien  ;  ils  ne  pouvaient  guère  briguer  les  fonctions  de  secrétaire 
ou  d'intendant  qu'accaparaient  les  Livournais.  Leurs  fils  étaient  portefaix  ;  leurs  filles 
allaient  se  prostituer  dans  les  bas  quartiers'^^. 

Quelques  Juifs  étaient  cependant  employés  comme  commis  ou  comptables  au 
service  du  Trésor  tunisien.  Le  caïd  Nessim  Samama^*  exerçait  auprès  du  premier 
ministre  les  hautes  fonctions  de  trésorier.  Habile  et  entreprenant,  il  prenait  chaque  jour 
plus  d'influence  en  servant  toutes  les  malversations  de  son  maître.  Mais  le  caïd  Nessim 
ne  songeait  qu'à  s'enrichir  ;  il  n'entretenait  guère  de  relations  qu'avec  une  poignée  de 
courtiers  livournais,  ses  complices. 

Les  Juifs  livournais  avaient  une  condition  plus  relevée.  Jusqu'au  début  du  XIX™® 
siècle,  tant  que  les  Régences  barbaresques  avaient  pratiqué  la  course  en  Méditerranée, 
les  Livournais  avaient  su,  à  Tunis,  comme  à  Alger  se  constituer  un  véritable  monopole 
des  affaires.  Ils  étaient  les  intermédiaires  obligés  pour  la  liquidation  des  prises,  le  rachat 
des  esclaves,  les  seuls  à  pouvoir  tirer  des  lettres  de  change  d'un  port  sur  un  autre,  dans 
la  Méditerranée  occidentale.  Certains  d'entre  eux  armaient  pour  la  course,  achetaient, 
vendaient  des  navires.  Ils  affermaient  les  monopoles  du  gouvernement  et  trafiquaient 
avec  les  caravanes  venues  de  l'intérieur.  Les  plus  habiles  étaient  parvenus  à  des  situations 
exceptionnelles.  Les  beys  leur  accordaient  parfois  des  missions  de  confiance,  comme 
cette  ambassade  menée  au  début  du  XVII™®  siècle  par  Juda  Cohen  pour  négocier  un 
traité  de  commerce  avec  les  Provinces-Unies'^®. 

La  situation  apparaissait  toute  différente  au  milieu  du  XIX™®  siècle.  Après  la  fin 
de  la  course,  des  relations  commerciales  régulières  avaient  pu  s'établir  avec  l'Europe. 
Mais,  à  Tunis,  ce  grand  commerce  était  assuré  par  les  négociants  européens  et  leurs 
correspondants  de  Marseille  et  de  Gênes.  Les  fermages  même  étaient  aux  mains  des 
dignitaires  musulmans,  ou  de  leurs  hommes  de  paille,  tel  ce  Benaïad  de  Djerba  qui  en 
exploitait  soixante-dix  à  lui  seul. 

Les  Grana  formaient  surtout  une  classe  moyenne  qui,  à  Tunis  comme  à  Sousse  se 
réservait  le  négoce  local  et  les  métiers  d'argent.  Ils  étaient  négociants,  commerçants, 
changeurs  ou  courtiers,  d'autres  étaient  pharmaciens  ou  médecins,  les  plus  humbles, 
commis  ou  interprètes®**.  Mais  ces  négociants  écartés  du  grand  commerce  n'étaient 


47  Von  Maltzan,  op.  cit  vol.  1  :  longues  descriptions  des  quartiers  mal  famés  de  Tunis,  autour  de  la  rue  Sidi  Abdallah 
Guèche,  pp.  27-28,  40-41,  73,  97-98.  «Les  filles  publiques  sont  légion,  elles  peuplent  des  rues  entières»  (p.  73). 

48  SAMAMA  (caïd  Nessim),  Israélite  indigène,  devenu  trésorier  du  bey,  puis  caïd  des  Israélites,  en  1859, 
directeur  des  Finances,  en  1860,  fonctions  qu'il  exerça  jusqu'à  son  départ  de  la  Régence,  en  1864. 

49  M.  Eisenbeth,  op.  cit  R.  Afr.  1952,  pp.  347-363  et  368. 

50  Parmi  les  Toscans,  les  négociants,  commerçants,  changeurs  et  courtiers  représentaient  plus  de  70%  de  la 
population  active,  les  commis,  copistes  et  interprètes,  12%,  les  métiers  manuels  8%.  Médecins,  pharmaciens 
et  rabbins  faisaient  le  reste.  Ces  proportions  étaient  sensiblement  les  mêmes  à  Tunis  et  dans  les  ports  du 
Sahel.  (Arch.  Rome,  Recensement  des  Toscans,  1861). 


105 


que  des  intermédiaires;  les  changeurs,  les  courtiers  n'étaient  que  des  usuriers  prêtant 
aux  taux  féroces  de  20  à  30%  l'an.  Dans  le  Sahel,  ils  sévissaient  aux  dépens  des 
villageois  dont  ils  hypothéquaient  récoltes  et  olivettes.  Mais  cette  industrie  n'allait  pas 
sans  risques.  Aussi  les  courtiers  pratiquaient-ils  avec  entrain  la  faillite  frauduleuse, 
disparaissant  d'une  ville  pour  reparaître  ailleurs  sous  un  nom  d'emprunt^i.  Avant 
1860,  les  plus  riches  Livournais  n'avaient  pas  cent  mille  piastres  de  capital.  Comme 
les  Guttieres,  ils  continuaient  de  s'entasser  à  douze  ou  quinze  par  famille,  parents, 
enfants,  petits-enfants,  pêle-mêle  dans  les  sordides  repaires  de  la  hara^^. 

Vivant  dans  le  ghetto,  les  Livournais  affectaient  cependant  d'ignorer  leurs 
coreligionnaires  maghrébins.  Les  mariages  étaient  rares  entre  les  deux  clans  et, 
dès  qu'ils  le  pouvaient,  les  Grana  allaient  s'installer  au  voisinage  des  quartiers 
francs.  Des  Européens,  ils  avaient  adopté  le  costume  ;  ils  parlaient  couramment 
l'italien  aussi  bien  que  l'arabe,  et  les  plus  cossus  envoyaient  leurs  fils  à  l'Université 
de  Pise. 

Sujets  tunisiens  à  l'origine,  tous  s'efforçaient  de  se  soustraire  à  l'autorité  beylicale. 
Par  un  traité  d'octobre  1822,1e  grand  duché  de  Toscane  avait  abandonné  toute  juridiction 
sur  ses  sujets  israélites  émigrant  dans  la  Régence,  dans  le  vain  espoir  d'arrêter  leur 
départ.  Cette  clause  était  rapportée  en  novembre  1846  et  les  nouveaux  venus  pouvaient 
désormais  conserver  leur  nationalité  d'origine^^.  En  1860,  le  consulat  de  Toscane 
comptait  393  Juifs  parmi  ses  administrés,  dont  307  pour  la  seule  ville  de  Tunis^^. 
Quelques  Livournais  avaient  sollicité  une  protection  sarde,  napolitaine,  voire  même 
française.  David  Forti,  les  Valensi  étaient  citoyens  français,  les  Lumbroso,  napolitains. 
Cinq  familles  relevaient  du  consulat  anglais,  les  Levy,  les  Azuelos,  les  Abeasis  et  les  Levi- 
Sonsino,  sujets  britanniques  parce  qu'originaires  de  Gibraltar  ;  les  Santillana,  employés 
du  consulat,  naturalisés  depuis  1857.  Les  Grana  n'étant  guère  plus  d'un  millier  à 
Tunis,  vers  1860,  près  de  la  moitié  d'entre  eux  bénéficiaient  ainsi  de  protections  ou 
de  citoyennetés  étrangères.  Ce  mouvement  devait  prendre  plus  d'ampleur  au  cours 
des  années  suivantes.  La  plupart  des  Livournais  arguaient  d'une  origine  toscane  pour 
prétendre  à  une  nationalité  italienne  qui  leur  était  généreusement  accordée.  Le  consulat 
d'Espagne  vendait  des  patentes  de  protection.  Celui  de  France  était  assailli  par  des 
Juifs  indigènes  ou  des  Grana  qui  se  prétendaient  d'origine  algérienne.  11  ne  pouvait 
rejeter  les  Livournais  qui,  à  la  faveur  d'un  séjour  à  Marseille,  obtenaient  l'admission  à 
domicile,  voire  même  les  lettres  de  grande  naturalisation.  Le  consul  d'Angleterre  était 
le  seul  à  demeurer  intraitable  et  à  éconduire  résolument  tous  les  solliciteurs.  En  1871, 
les  consulats  italiens  de  Tunisie  comptaient  1.100  Israélites  parmi  leurs  administrés. 
En  tenant  compte  de  ceux  qui  s'abritaient  sous  les  autres  pavillons  consulaires,  on 


51  Cette  pratique  était  si  courante  à  Tunis  que  le  plus  grand  éloge  qu'un  consul  pût  faire  d'un  négociant  était  de 
signaler  qu'il  n'avait  encore  jamais  déposé  son  bilan. 

52  Trois  générations  de  Guttieres,  soit  13  personnes  de  3  à  70  ans  vivaient  ensemble  dans  le  même  logement, 
en  1860. 

53  C.  Masi  :  Fixation  du  statut  des  sujets  toscans,  op.  cit.  R.T.  1938,  pp.  155-179  et  323-342.  L'article  2  du  traité 
tuniso-toscan  du  11  octobre  1822  était  ainsi  conçu  :  «Les  juifs  dits  Grana,  ou  Livournais,  établis  depuis 
longtemps  ou  depuis  plusieurs  années  à  Tunis,  seront  toujours  regardés  et  considérés  comme  sujets  du 
Pays,  sans  exception  d'aucune  sorte  et  soumis  aux  mêmes  droits  que  paient  ou  paieront  les  indigènes.  Et  les 
Juifs  qui  y  viendront  à  l'avenir,  ne  seront  considérés  ou  regardés  comme  sujets  toscans  que  s'ils  y  viennent 
en  passant,  avec  leur  passeport...  Après  deux  ans  de  séjour...  ils  seront  alors  comptés  parmi  les  autres  Juifs 
dits  Grana  et  les  sujets  tunisiens»  (p.  173). 

54  Arch.  Rome.  Recensement  des  Toscans  inscrits  sur  le  registre  des  nationaux  dépendant  du  consulat  général 
de  S.A.  Victor-Emmanuel  à  Tunis.  Tunis,  1861. 


106 


La  mosquée  de  Sidi  Mahrez  à  Tunis 
(Cliché  Ofitec,  Tunis). 

Au  siècle,  selon  la  tradition,  Sidi  Mahrez  aurait  assigné  aux  Juifs  de  Tunis  le  quartier  de  l'actuelle  Harc 
où  ils  demeurèrent  confinés  jusqu’au  milieu  du  19^*"®  siècle. 


pouvait  admettre  avec  Von  Maltzan  que,  dès  1868»,  presque  tous  les  Grana  de  Tunis  se 
trouvaient  sous  la  protection  d'une  quelconque  puissance  européenne®^»  Mais  comme 
les  Juifs  indigènes  imitaient  de  plus  en  plus  leurs  coreligionnaire  livournais,  la  questior 
des  protégés  ne  cessait  de  soulever  de  grandes  difficultés  avec  le  gouvernement  beylica! 
qui  se  refusait,  non  sans  raison,  à  reconnaître  ces  protections  abusives.  La  situation  des 
Juifs  livournais  était  donc  en  pleine  évolution  au  début  du  règne  de  Mohammed  es  Sadok 
Leur  condition  matérielle  allait  bénéficier  de  transformations  plus  étonnantes  encore,  è 
la  faveur  des  crises  financières,  grâce  à  l'appui  que  pouvaient  leur  donner  quelques  Juifs 
en  faveur  auprès  du  Bardo,  le  caïd  Nessim,  trésorier  du  bey,  deux  médecins  attachés  à  k 
personne  du  prince,  les  docteurs  Lumbroso  et  Castelnuovo. 

Le  docteur  Lumbroso®®,  diplômé  de  l'Université  de  Pise,  devait  son  élévation  à  h 
faveur  du  bey  Ahmed  auprès  duquel  l'avait  introduit  le  consul  de  Naples,  de  Martino 
dont  son  père  était  le  courtier.  11  s'était  prêté  à  toutes  les  fantaisies  du  prince,  jouanl 
les  coiffeurs  ou  les  bourreaux,  aussi  bien  que  les  bouffons.  Dans  les  dernières  années 
du  bey,  il  avait  cyniquement  exploité  sa  frayeur  devant  la  mort  pour  lui  arracher 
cadeaux  et  concessions.  Ce  charlatan  avait  cependant  su  se  maintenir  à  la  cour.  Si  son 
influence  avait  baissé  auprès  des  successeurs  d'Ahmed,  il  était  entré  dans  les  bonnes 
grâces  du  khaznadar.  Un  de  ses  frères,  David,  était  devenu  le  courtier  en  bijoux  du 
premier  ministre,  un  autre  s'était  installé  à  Marseille  où  il  faisait  les  affaires  du 
gouvernement  tunisien®^. 


55  Von  Maltzan  op.  cit.  p.  173. 

56  LUMBROSO  (Abramo  d'Isacco),  né  à  Tunis,  d'origine  livournaise.  Médecin  des  beys  Ahmed,  Mohammed  el 
Mohammed  es  Sadok  :  directeur  des  services  de  santé  auprès  du  contingent  tunisien  en  Orient,  1854-1855 
il  devint  ensuite  consul  de  San-  Marin. 

57  Arch.  Rome.  Gambarotta  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  27  octobre  1863, 

Même  opinion  de  Von  Maltzan  op.  cit  vol.  1.  p.58. 


107 


A  trente  ans,  le  docteur  Giacomo  Castelnuovo^®  était  devenu  médecin  d' Ahmed  Bey, 
en  1851.  S'il  avait  profité  de  sa  situation  pour  s'enrichir,  comme  son  confrère  Lumbroso, 
il  exerçait  son  art  avec  plus  de  talent  et  surtout  plus  de  dignité^^.  Mohammed  Bey  avait 
fait  de  lui  son  premier  médecin,  le  premier  ministre  l'appelait  fréquemment  auprès  de 
lui.  Mais  Castelnuovo  n'oubliait  pas  ses  coreligionnaires  :  il  militait  pour  l'ouverture  d'une 
école  italienne,  encourageait  la  fondation  d'une  section  de  l'Alliance  Israélite,  distribuait 
généreusement  des  secours.  En  1858,  il  avait  quitté  la  Tunisie  pour  l'Egypte  où  il  était 
devenu  médecin  du  vice-roi.  Mais,  grâce  à  lui,  des  courtiers  livournais,  ses  parents,  ses  amis, 
avaient  pu  entrer  en  relations  avec  le  khaznadar;  des  Guttieres,  des  Cesana,  des  Errera 
commençaient  à  faire  les  affaires  du  premier  ministre.  Castelnuovo,  d'ailleurs,  n'avait  pas 
quitté  la  Régence  sans  esprit  de  retour,  il  conservait  des  propriétés  à  Tunis,  continuait  de 
porter  le  titre  honorifique  de  premier  médecin  du  bey,  faisait  de  fréquents  voyages  à  Tunis. 
Peu  après  1860,  il  s'installait  en  Italie,  à  Livourne  puis  à  Florence  où  il  fondait  une  maison 
de  banque.  Son  fils  aîné,  Achille,  venait  s'établir  comme  médecin  à  Tunis.  Castelnuovo 
restait  en  relations  avec  le  khaznadar  et  continuait  de  jouer  dans  les  affaires  tunisiennes, 
politiques  aussi  bien  que  financières,  le  rôle  d'un  conseiller  écouté  et  d'un  agent  secret. 

Grâce  à  l'appui  d'un  Castelnuovo,  grâce  aux  fonctions  du  caïd  Nessim,  les  courtiers 
livournais  étaient  en  mesure  de  profiter  de  toutes  les  circonstances  favorables.  Négociants 
du  pays,  mais  citoyens  ou  protégés  européens,  ils  pouvaient  jouer  sur  plusieurs  tableaux 
à  la  fois.  Leur  souplesse,  leur  habileté,  leur  solidarité  étroite  allaient  faire  le  reste. 
Déjà  certains  d'entre  eux  s'essayaient  à  concurrencer  les  négociants  européens  dans 
le  domaine  des  échanges  internationaux  ;  des  courtiers  livournais  allaient  s'installer 
à  Marseille  pour  établir  des  relations  nouvelles.  Dès  1862,  les  négociants  français 
commençaient  à  se  plaindre  de  leur  concurrence®®.  La  crise  financière  allait  tout 
emporter  :  dix  ans  plus  tard  la  Tunisie  appartenait  aux  Livournais. 

4.  Les  nomades 

Tout  l'intérieur  du  pays,  depuis  la  Medjerda  jusqu'aux  confins  de  la  Tripolitaine 
était  le  domaine  de  parcours  des  tribus  nomades.  Ces  tribus  étaient  d'origine  ethnique 
variée.  Les  unes  descendaient  des  bandes  arabes  qui  avaient  envahi  vifrikia  à  partir 
du  XL™  siècle;  les  autres  perpétuaient  des  groupes  berbères  qui  avaient  su  maintenir 
leur  individualité.  Mais  les  luttes  entre  souverains,  les  déplacements  de  tribus  avaient 
entraîné  de  grands  brassages  de  population.  Si  l'élément  arabe  dominait  dans  la  steppe, 
si  l'élément  berbère  paraissait  prépondérant  sur  les  hauts  plateaux,  la  plupart  des  tribus 


58  CASTELNUOVO  (Giacomo,  baron)  né  a  Livourne  en  1821,  de  Raffaele  et  d'Estere  Sonnino,  mari  de  Rachele 
Errera  dont  il  eut  de  nombreux  enfants  ;  mort  à  La  Goulette,  le  21  août  1886  (Arch.  Rome.  Etat-civil  Goulette) 
Médecin  dAhmed  Bey  et  de  Mohammed  Bey  de  1851  à  1858,  puis  médecin  du  vice-roi  d'Egypte,  il  revint 
en  Italie  vers  1861,  devint  médecin  du  roi  Victor-Emmanuel  II  et  fonda  une  banque  à  Florence.  En  1868 
il  négocia  un  traité  de  commerce  entre  l'Italie  et  la  Tunisie  et  fut  mêlé  à  toutes  les  intrigues  financières 
tunisiennes  des  années  1868  à  1871.  Anobli  par  le  roi  d'Italie,  en  1868,  il  fut  élu  en  1870  député  du  collège 
vénitien  de  Vittorio  qu'il  devait  représenter  de  1870  à  1874  et  de  1876  à  1880.  Il  devint  commandeur  des 
ordres  italiens  des  S.S.  Maurice  et  Lazare  et  de  la  couronne  d'Italie.  Jusqu'à  sa  mort,  il  ne  cessa  de  s'intéresser 
aux  affaires  tunisiennes.  Il  était  l'auteur  d'un  ouvrage  médical  :  Osservazioni  medico-fisiche  sul  clima  e  sugli 
abitanti  di  Tunisi...  Milan,  1865. 

Quatre  de  ses  fils,  Achille,  Raffaele,  Giulio  et  Guglielmo,  devaient  jouer  un  rôle  assez  actif  dans  les  affaires 
tunisiennes. 

59  Roustan  écrivait  en  1875  :  «Israélite  qui  joint  à  toute  la  finesse  de  sa  race,  une  intelligence  remarquable  et  le 
génie  de  l'intrigue.  Praticien  d'un  mérite  incontesté»,  mais  né  surtout  «pour  faire  des  affaires»  (A.  E.  Tunis, 
vol.  33  A.  Decazes.  Tunis,  2  novembre  1875). 

60  Arch.  Rés.  Comm.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  12  septembre  1862. 


108 


étaient  formées  d'éléments  hétérogènes  qui  usaient  également  de  dialectes  arabes®^. 
11  était  souvent  difficile  de  discerner  la  véritable  origine  d'un  groupe,  d'autant  que 
des  traditions,  généralement  tardives  et  trompeuses,  entretenaient  dans  les  tribus  le 
souvenir  d'origines  fabuleuses  dont  elles  s'enorgueillissaient. 

Selon  les  saisons,  toutes  ces  tribus  se  déplaçaient  de  façon  plus  au  moins  régulière. 
Sur  les  hauts  plateaux  qui  s'étendent  au  nord  de  la  dorsale,  les  déplacements  étaient  de 
faible  ampleur.  Les  tribus,  petites,  émiettées  par  des  luttes  séculaires,  ne  disposaient  que 
de  domaines  restreints.  Leurs  cantons  broussailleux  où  la  forêt  était  périodiquement 
dévastée  par  les  incendies,  où  les  derniers  lions  se  montraient  encore^^^  étaient 
relativement  bien  arrosés.  Aussi,  malgré  l'exiguïté  de  leurs  territoires,  les  tribus  du 
haut  Tell  élevaient-elles  de  nombreux  troupeaux  et  pratiquaient-elles  régulièrement 
quelques  cultures  de  céréales.  Dans  la  steppe  sèche  et  nue,  les  tribus  étaient  en  perpétuel 
déplacement.  La  densité  humaine  était  faible  et  chacun  des  groupes  disposait  de  vastes 
domaines  de  parcours.  Toutefois,  on  ne  rencontrait  de  grands  nomades  que  dans  le 
Sahara,  encore  étaient-ils  l'exception. 

Entre  ces  tribus,  les  occasions  de  querelle  n'étaient  pas  rares.  Qu'un  troupeau 
empiétât  sur  les  pâturages  d'une  tribu  voisine,  qu'un  maraudeur  eût  enlevé  moutons 
ou  chameaux,  aussitôt  le  douar  offensé  de  répondre  par  une  razzia,  sanglante  parfois, 
si  l'adversaire  essayait  de  défendre  son  bien.  Le  parti  vaincu  faisait  alors  appel  à  ses 
parents,  ses  alliés  ;  les  vieilles  rivalités  de  clan  ou  de  parti  se  réveillaient.  C'étaient  alors 
de  furieuses  mêlées  où  l'on  relevait  les  morts  par  dizaines.  Chaque  tribu  entretenait  des 
prétentions  traditionnelles  sur  les  pâturages  de  ses  voisines.  Elle  leur  disputait  des  bas 
fonds  inondables,  la  zone  d'épandage  d'un  oued  où  les  semailles  avaient  quelque  chance 
de  succès.  Les  rivalités  s'exaspéraient  en  période  de  sécheresse.  Toutes  les  régions 
contestées  étaient  «bled  el  baroud»,  un  pays  de  la  poudre  où  les  tribus  remuantes 
venaient  périodiquement  vider  leurs  querelles. 

Pour  maintenir  dans  l'ordre  les  tribus  nomades,  le  bey  comptait  sur  ses  caïds  et  leurs 
khalifas,  sur  les  aghas  du  Kef  et  de  Kairouan  qui  disposaient  de  quelques  contingents 
d'irréguliers.  Mais  le  caïd  n'avait  d'autorité  sur  ses  gens  qu'à  condition  de  leur  faire 
bonne  et  prompte  justice,  de  les  défendre  au  besoin  contre  leurs  voisins.  11  lui  fallait 
résider,  vivre  sous  la  tente  et  accompagner  avec  sa  smalah  les  déplacements  de  sa  tribu. 
Chargé  de  recouvrer  les  impôts,  le  caïd  de  tribu  en  prenait  sa  bonne  part;  il  se  faisait 
également  offrir,  en  chevaux  ou  en  têtes  de  bétail,  des  cadeaux  plus  ou  moins  volontaires. 
Mais  une  tribu  nomade  n'avait  pas  les  ressources  d'un  district  peuplé  de  sédentaires.  Les 
troupeaux  n'étant  pas  imposés,  les  nomades  ne  payaient  d'autres  taxes  que  la  mejba. 
Certaines  tribus  devaient  traditionnellement  offrir  leurs  services  lors  du  passage  du 
camp  ;  d'autres  avaient  à  faire  des  charrois,  à  payer  des  redevances  en  nature  pour  son 
entretien.  Mais  toutes  ces  prestations,  l'argent  de  la  mejba  surtout,  étaient  difficiles  à 
recouvrer.  Quand  la  saison  ramenait  l'annuelle  expédition  du  camp,  c'étaient  de  longs 
palabres,  des  discussions  sans  fin  sur  le  montant  des  taxes.  Si  les  exigences  du  bey  étaient 
trop  fortes  ou  son  appareil  militaire  insuffisant,  les  tribus  les  plus  hardies  se  rebellaient, 
d'autres  venaient  à  la  rescousse,  et  le  bey  du  camp  devait  parfois  ramener  vers  Tunis  une 
colonne  en  désordre  détroussée  de  ses  bagages  et  affaiblie  par  la  désertion. 


61  Secrétariat  général  du  gouvernement  tunisien  :  Nomenclature  et  répartition  des  tribus  en  Tunisie.  Chalon- 
sur  -  Saône,  1900.  -  Bertholon  et  Chantre  :  Recherches  anthropologiques  dans  la  Berhérie  orientale...  Paris, 
1912.1913. 

62  Ch.  Monchicourt  :  La  région  du  Haut  Tell  en  Tunisie...^  Paris,  1913,  pp.  242-244. 


109 


Aussi  les  dignitaires  de  la  cour  laissaient-ils  à  d'autres  le  soin  d'administrer  les 
tribus  nomades.  Les  caïds  se  recrutaient  d'ordinaire  dans  les  mêmes  familles.  Lorsque 
l'une  d'elles  s'était  trop  compromise,  on  faisait  appel  à  une  famille  rivale  pour  fournir 
un  caïd  ou  un  khalifa.  Le  bey  punissait  une  tribu  en  la  scindant  en  plusieurs  caïdats,  en 
plaçant  une  fraction  dans  la  sujétion  d'une  autre. 

Les  aghas  du  Kef  et  de  Kairouan,  ou  plutôt  leurs  représentants  permanents,  les 
kahias,  étaient  investis  par  le  bey  d'une  autorité  supérieure  ;  ils  exerçaient  sur  les  caïds 
et  les  tribus  nomades  un  droit  de  surveillance  qui  prenait  les  allures  d'un  véritable 
protectorat.  Autour  du  Kef  et  de  Kairouan  des  tribus  de  service,  dites  tribus  du  drapeau 
relevaient  directement  de  leur  autorité.  En  cas  de  besoin,  ces  tribus  fournissaient  des 
goums  chargés  d'intervenir  contre  les  tribus  en  dissidence,  ou  d'appuyer  le  camp  dans 
ses  opérations.  Les  kahias  pouvaient  également  compter  sur  les  détachements  envoyés 
par  les  tribus  maghzen,  traditionnellement  les  plus  fidèles.  Ces  forces  eussent  été 
insuffisantes  cependant,  si  les  agents  du  bey  n'avaient  pu  compter  sur  des  moyens  plus 
efficaces,  l'appel  à  une  tribu  rivale  contre  une  tribu  en  rébellion. 

Toutes  les  tribus  étaient  en  effet  divisées  entre  elles  par  des  rivalités  séculaires, 
unies  à  autres  par  des  liens  d'amitié  traditionnels.  Les  guerres  civiles  du  milieu  du 
XVlll™e  siècle  qui  avaient  opposé  Hussein  Bey,  son  neveu  Ali  Pacha  et  leurs  descendants, 
avaient  entraîné  le  classement  des  tribus  en  deux  grands  so/s  ou  partis  opposés,  celui  des 
Husseinites  et  celui  des  Pachistes,  ou  partisans  d'Ali  Pacha^^.  Ces  étiquettes  recouvraient 
le  plus  souvent  la  continuation  de  rivalités  anciennes.  «La  cohésion  des  çoffs»  écrit  Jean. 
Despois,  «est  faite  de  la  somme  de  toutes  les  jalousies  et  rivalités  de  voisin  à  voisin  et 
non  pas  d'un  idéal  ou  seulement  d'un  véritable  intérêt  commun  :  très  souvent  on  est 
d'un  çoff  pour  la  seule  raison  que  le  voisin  est  du  çoff  opposé»^^.  Les  Hammas  et  les  Zlass 
étaient  surtout  husseinites  parce  que  leurs  rivaux  Frèchich  et  Majeur  étaient  rangés 
dans  le  clan  pachiste.  La  paix  revenue,  les  tribus  avaient  recouvré  leurs  domaines  de 
parcours,  mais  les  rivalités  de  voisinage  entretenaient  la  vitalité  des  so/s  qui  demeuraient 
vivaces  encore  à  la  veille  du  protectorat.  Le  jeu  des  alliances  maintenait  entre  les  partis 
un  équilibre  relatif  qui  ne  permettait  à  aucun  d'eux  de  l'emporter  de  façon  décisive.  «La 
constitution  de  ces  sofs»,  écrit  Monchicourt,  «détermine  un  état  d'équilibre  comme  on 
n'en  avait  pas  vu  depuis  des  siècles.  Les  tribus  se  neutralisent  réciproquement  en  même 
temps  que  le  pouvoir  central  arrive  à  désigner  leurs  caïds.  Dès  lors  chaque  peuplade 
garde  à  peu  près  ses  positions»'’^. 

Le  bey  et  ses  agents  jouaient  de  ces  rivalités  pour  mater  les  tribus  les  plus 
turbulentes,  en  s'appuyant  d'ordinaire  sur  le  parti  husseinite.  Ils  savaient  également 
utiliser  l'influence  des  confréries  religieuses,  pour  les  maintenir  dans  une  tranquillité 
relative. 

Les  confréries  jouaient  en  effet  un  grand  rôle  dans  la  vie  des  nomades.  Tous  les 
Musulmans,  qu'ils  fussent  sédentaires  ou  nomades,  appartenaient  à  une  confrérie 
ou  une  autre,  quelquefois  à  plusieurs  en  même  temps.  Mais  si,  dans  les  villes  et  les 
villages,  les  réunions  religieuses  ne  tiraient  généralement  pas  à  conséquence,  il  fallait, 
dans  l'intérieur,  surveiller  les  prédicateurs  exaltés,  les  agents  qui  diffusaient  des  mots 


63  Ben  Dhiaf  :  chapitre  I  et  Vin  (insurrection  de  1864). 
Monchicourt  :  Région  du  Haut  Tell.  op.  cit  p.  274. 

64  J.  Despois  :  La  Tunisie  orientale,  Sahel  et  basse  steppe...  p.  208, 

65  Monchicourt  :  Région  du  Haut  Tell.  op.  cit.  p.  274-275. 


110 


d'ordre  et  qui  pouvaient,  en  une  tournée,  soulever  tout  un  pays®®.  Issues  à  l'origine 
des  grands  courants  de  pensée  religieuse,  les  confréries  s'étaient  formées  au  hasard 
d'une  prédicafion,  autour  de  sainfs  personnages  auxquels  la  crédulifé  populaire  prêfaif 
de  miraculeux  pouvoirs  d'infercession.  Si  leur  répufafion  s'étendait,  ils  fondaient  une 
zaouïa,  déléguaient  des  vicaires,  ou  mokkadems,  pour  diriger  des  zaouïas  nouvelles, 
filiales  de  la  première.  Les  descendants  réels  ou  mystiques  du  fondateur  exploitaient  sa 
baraka  et  se  perpétuaient  à  la  tête  de  la  confrérie.  Mais  le  plus  souvent  les  mokkadems 
finissaient  par  s'émanciper  et  la  confrérie  s'émietfait  entre  des  obédiences  rivales®^. 

Ainsi,  la  confrérie  des  Qâdiriyya  (u'^^Li),  une  des  plus  importanfes  de  la  Régence, 
éfait-elle  divisée  enfre  quafre  zaouïas  principales®^.  Les  Rahmânyya  (i'^^u'^^J,  également 
puissants  dans  la  province  de  Constantine  et  en  Turquie,  étaient  partagés  eux  aussi  entre 
plusieurs  zaouïas  indépendantes  dont  la  plus  importante  avait  son  siège  à  Nefta.  Dans 
le  haut  Tell,  Qâdiriyya  et  Rahmânyya  se  partageaient  les  huit  dixièmes  des  membres 
des  confréries,  les  Qâdiriyya  dominaient  au  nord,  autour  du  Kef,  les  Rahmânyya  au  sud, 
chez  les  Frèchich  et  les  Majeur®^.  Les  Tijâniyya  (aLu'^^j),  étaient  surtout  nombreux  en 
Algérie,  mais  l'une  de  leurs  zaouïas  mères,  celle  de  Temacine,  dans  l'oasis  de  Touggourt, 
exerçait  une  grande  influence  dans  le  sud-ouesf  de  la  Régence.  En  revanche,  la  confrérie 
des  Sanûsiyya  (.î:»,^.  ..,),  fondée  en  Tripolitaine  vers  1835,  se  répandait  surtout  chez  les 
nomades  du  Sahara  tunisien. 

Les  chefs  des  grandes  zaouïas  jouaient  un  rôle  important.  Aussi,  le  gouvernement 
s'était-il  efforcé  de  les  meffre  en  tufelle.  Le  bey  les  nommai!,  les  révoquai!  au  besoin. 
La  pluparf  d'entre  eux,  d'ailleurs,  étaient  trop  riches  pour  vouloir  jouer  aux  rebelles. 
Le  cheikh  de  la  zaouïa  rahrnâniyya  de  Nefta,  Mustapha  ben  Azzouz,  était  aussi  soumis 
au  gouvernement  beylical  que  le  cheikh  tijani  de  Temacine,  Si  Mohammed  el  Aid,  était 
docile  envers  les  autorités  françaises  d'Algérie.  Le  gouvernement  pouvait  compter 
sur  eux  pour  collaborer  au  maintien  de  l'ordre  dans  les  tribus  et  livrer,  au  besoin,  les 
agitateurs  impénitents. 

a)  Les  tribus  du  Tell 

Tout  le  nord  du  haut  Tell,  le  pays  qu'on  désignait  encore  du  nom  de  «bled  et  Trouk», 
le  pays  soumis  aux  Turcs,  était  traditionnellement  husseinite.  Dans  cette  région  bien 
arrosée,  où  les  pâturages  étaient  verts  en  toute  saison,  où  les  récoltes  faisaient  rarement 
défaut,  une  partie  des  populations  était  en  voie  de  fixation  dès  la  fin  du  règne  d'Ahmed 
Bey.  Les  déplacements  se  limitaient  de  plus  en  plus  à  une  transhumance  à  courte  distance, 
à  l'envoi  annuel  d'une  caravane  dans  le  Djérid  pour  échanger  les  grains  du  pays  contre 
des  dattes.  Déjà,  des  hameaux  de  gourbis  commençaient  à  s'implanter,  à  remplacer  les 
villages  de  tentes^o.  Cependant,  le  morcellement  du  relief,  la  difficulté  des  communications 
maintenaient  encore  parmi  ces  demi  sédentaires  un  esprit  d'indépendance  que  venaient 
aviver  les  rivalités  entre  tribus,  la  menace  des  montagnards  insoumis  du  nord.  Les 
populations  des  vallées  et  des  petites  plaines,  comme  celle  de  la  Djendouba,  étaient 
parmi  les  plus  pacifiques.  Celles  des  districts  accidentés,  des  contreforts  du  massif 


66  L'année  1860  était  marquée  en  Tunisie,  comme  dans  l'Empire  ottoman,  par  une  recrudescence  du  fanatisme 
religieux.  L'arrivée  d'un  chef  de  la  secte  des  Aïssaouas  (à9i....  r  j  provoquait  à  Sfax  une  vive  agitation  populaire. 
Dans  l'ouest,  un  chérif  de  Damas  prêchait  la  guerre  sainte  contre  les  Français.  Il  fallait  dépêcher  Sidi  Ali, 
second  frère  du  bey,  pour  se  saisir  de  sa  personne  (F.  0.102/60.  Wood  à  Russell.  Tunis.  31  août  1860). 

67  Depont  et  Coppolani  :  Les  confréries  religieuses  musulmanes.  Alger,  1897. 

68  Celles  de  Menzel-Bou-Zelfa,  dans  le  cap  Bon,  de  Tunis,  de  Nefta  et  surtout  du  Kef. 

69  Monchicourt  :  Région  du  Haut  Tell.  op.  cit.  p.  3. 

70  Ihid.  pp.  276-277  et  365. 


111 


de  Kroumirie  se  montraient  d'ordinaire  plus  rétives.  Chaque  année,  le  bey  du  camp 
devait  user  de  menaces,  saisir  quelques  otages  pour  obtenir  le  paiement  des  impôts. 
11  fallait  plus  que  des  menaces  pour  amener  à  composition  les  tribus  turbulentes  de  la 
frontière. 

Sur  la  haute  Medjerda,  sept  petites  tribus  avaient  été  groupées  sous  l'autorité  d'un 
seul  caïd,  sous  le  nom  de  tribus  de  la  Rekba^i.  Elles  étaient  perpétuellement  en  querelle 
les  unes  avec  les  autres  et  ne  se  réconciliaient  que  pour  tenter  un  coup  de  main  en 
territoire  algérien  ou  pour  résister  au  paiement  de  l'impôt.  Les  Ouled  Ali  les 

Mrassen  étaient  parmi  les  plus  remuantes.  Une  autre  tribu,  les  Ouchtéta  (âjL-ij),  dont 
le  territoire  formait  enclave  dans  le  cercle  algérien  de  Souk-Ahras,  faisait  généralement 
cause  commune  avec  celles  de  la  Rekba.  Les  Ouchtéta  étaient  de  toutes  les  razzias 
algériennes  ;  tous  les  mauvais  sujets,  tous  les  déserteurs  d'Algérie  trouvaient  refuge  et 
réconfort  auprès  d'eux.  Pour  contenir  ces  voisins  turbulents,  les  autorités  françaises 
de  Constantine  avaient  fait  édifier  deux  bord] s  sur  la  frontière  et  entretenaient  en 
permanence  une  smalah  de  spahis  à  Bou-Hadjar,  en  face  du  pays  ouchtéta^^ 

Au  sud  de  la  Medjerda,  quelques  débris  de  la  vaste  confédération  des  Hanencha 
qui  avait  exercé  son  hégémonie  sur  les  confins  algéro-tunisiens  jusqu'à  la  fin  du  XVlll™® 
siècle,  s'étaient  unis  aux  Ouled  Bou  Ghanem  pour  résister  aux  empiétements  des  tribus 
algériennes  de  l'ouest.  Une  demi-douzaine  de  tribus  ayant  chacune  son  caïd  particulier 
constituait  ainsi  la  ligue  des  Ounifa^^  q^j  s'affirmait  résolument  husseinite.  C'étaient  les 
Ouled  Yacoub  (les  Zeghalma  (ioixj),  au  sud  du  Kef,  et,  sur  la  frontière  même, 
les  Ouargla  [^9),  entre  Medjerda  et  Mellègue,  les  Charen  (ùjLi),  les  Ouled  bou  Ghanem 
(^u  w  j'^'i)/  pasteurs  et  contrebandiers,  dont  les  démêlés  étaient  fréquents  avec  leurs 
voisins  algériens.  De  tous,  les  Ouled  bou  Ghanem  apparaissaient  comme  les  plus 
entreprenants.  En  1852,  le  général  de  Mac-Mahon  trouvait  des  contingents  de  bou 
Ghanem  parmi  les  tribus  insurgées  du  Constantinois.  11  les  poursuivit  alors  au  delà  de  la 
frontière  et  les  razzia  au  cœur  même  de  leur  territoires^.  Dix  ans  plus  tard,  le  maréchal 
Pélissier  devait  leur  infliger  la  même  punition,  en  juin  1862^5. 

A  l'est  du  Kef,  on  rencontrait  la  tribu  des  Ouled  Aoun  (j  du  même  sof 

husseiniste,  et  les  fractions  les  plus  importantes  de  la  puissante  tribu  arabe  des  Drid^^. 
«Les  Drid»  (-^j),  écrit  Monchicourt,  «étaient  la  plus  renommée  des  tribus  maghzen. 
Ils  fournissaient  aux  beys  les  cavaliers  nécessaires  pour  les  expéditions  et  notamment 
pour  les  colonnes  qui  allaient  percevoir  annuellement  les  impôts  dans  le  Djérid.  Ils 
transportaient  en  outre,  à  Tunis,  les  grains  livrés  par  les  tribus  à  titre  d'achour  en  nature. 
Leur  morgue  était  proverbiale  et  longtemps  la  capitale  fut  interdite  à  leurs  chefs  dont 
on  redoutait  les  intrigues.  Existence  somptueuse,  équipages  de  chasse,  tentes  vastes  et 
luxueuses...  harem  bien  garni,  le  caïd  des  Drid  était  vraiment  un  personnage  et  sa  zmala 


71  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  par  XXX.  R.T.  1902,  PP.  9-10.  Nomenclature  et  répartition  des  tribus  de  la 
Tunisie.  ErReq'ba.  pp.  208-214. 

72  Arch.  Guerre.  Carton  13,  Tunisie  :  Renseignements  sur  la  situation  et  l'importance  des  bordjs  frontières  et 
des  smalahs  de  Bou  Hadjar  et  du  Tarf  (note  sur  les  Ouchtéta),  1872. 

73  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  op.  cit  R.T.  1902,  p.  185.  -  Nomenclature,  op.  cit.  pp.  138-152.  -  Monchicourt  : 
Région  du  Haut  Tell.  op.  cit.  pp.  287-291. 

74  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  de  Theis.  Tunis,  22  juillet  1852. 

75  F.  0.102/65.  Wood  à  Russel,  n°  19  et  20.  Tunis,  23  juin  1862.  -  A.E.  Tunis,  vol.  21.  Roches  à  Drouyn  de  Lhuys. 
Tunis,  13  décembre  1862. 

76  Vers  1860,  les  Drid  étaient  forts  d'environ  45.000  âmes  :  ils  étaient  imposés  à  la  mejba  sur  la  base  de  11.131 
individus  (Arch.  Tunis.  Doss.  92,  carton  82  :  budget  de  1277). 


112 


était  en  Tunisie  la  plus  grandiose»^^.  Les  Drid  se  déplaçaient  beaucoup,  leur  zone  de 
parcours  était  des  plus  étendues.  Une  moitié  d'entre  eux  habitait  le  haut  Tell,  d'autres, 
les  régions  de  Béja  et  de  Testour  ;  le  reste  se  dispersait  dans  le  centre  de  la  Régence^®. 


77  Monchicourt  :  Région  du  Haut  Tell  op.  cit.  p.  285. 

78  Nomenclature...  op.  cit.  passim.  pp.  20-27,  36-42,  50-55,  93-94,  102-113,127-134,  151-162,  174,  203,  227, 
262,281. 

Aux  Drid  étaient  venus  se  joindre  des  Béni  Rezg  et  des  Arab  Majour  (1.944  imposés  à  la  taxe  personnelle) 
qui  conservaient  leurs  caïds  particuliers  mais  jouissaient  des  mêmes  privilèges  et  des  mêmes  immunités 
que  la  tribu  principale. 


113 


Le  versant  méridional  de  la  dorsale  tunisienne  était  le  domaine  de  tribus  puissantes 
qui  étendaient  leurs  zones  de  parcours  sur  une  partie  de  la  steppe  et  qui  s'affirmaient 
comme  les  adversaires  traditionnels  de  leurs  voisins  du  nord,  les  Ouled  Ayar,  les  Majeur, 
et  les  Frèchich. 

Majeur  Ch-u)  et  Frèchich  n'auraient  formé  qu'un  groupement  unique 

jusqu'à  la  fin  du  XVllP™  siècle.  Ils  avaient  été  fractionnés  depuis  en  plusieurs  caïdats, 
mais  conservaient  l'habitude  de  s'unir  dans  toutes  les  occasions  contre  leurs  rivaux  de 
la  steppe  ou  de  la  montagne.  Les  Majeur  étaient  divisés  en  trois  fractions  qui  vivaient 
fort  entremêlées  et  n'avaient  qu'un  seul  caïd.  Les  Frèchich,  partagés  également  en  trois 
fractions  mais  qui  vivaient  séparément,  étaient  sous  l'autorité  de  trois  caïds^®.  Ils  étaient 
les  plus  puissants.  LFnis  aux  Majeur,  ils  ne  redoutaient  aucun  adversaire  dans  la  steppe. 
Leur  humeur  belliqueuse  les  poussait  à  guerroyer  continuellement  contre  les  Ounifa,  les 
Hammama  ou  les  Nementcha  d'Algérie.  Chaque  année  quelques  douars  se  réfugiaient 
en  Algérie  pour  esquiver  le  paiement  de  l'impôt.  Les  autorités  algériennes  devaient 
surveiller  les  Frèchich  maraudeurs  et  pillards  à  l'égal  des  Ouchtéta  ou  des  Ouled  hou 
Ghanem,  tout  en  leur  reconnaissant  cependant  moins  d'hostilité  systématique  que  leurs 
compatriotes  du  nord. 

b)  Les  tribus  de  la  steppe 

La  steppe  était  le  domaine  presque  exclusif  de  tribus  d'origine  arabe  qui,  pour  la 
plupart,  descendaient  ou  prétendaient  descendre  des  bandes  hilaliennes  ayant  envahi 
VIfrikia  au  XP™  siècle,  mais  qui  s'étaient  toutes,  à  des  degrés  divers,  métissées  de  sang 
berbère. 

Ces  tribus  étaient  en  déplacement  perpétuel.  Elles  poussaient  leurs  moutons 
de  pâturage  en  pâturage,  la  sécheresse  les  ramenant  chaque  année  vers  le  nord 
plus  humide.  Après  les  pluies  d'automne,  elles  semaient  un  peu  de  blé  et  d'orge  au 
voisinage  d'un  oued  ou  des  fonds  inondables  de  quelque  garaa.  Les  Souassi,  comme 
les  Mathelith,  participaient  à  la  cueillette  des  olives  dans  le  Sahel  ;  ils  s'associaient 
aux  sédentaires  pour  cultiver  quelques  champs^o.  Mais  personne  ne  songeait  encore 
à  exploiter  les  peuplements  continus  d'alfa  de  la  steppe.  Toutes  les  tribus  envoyaient 
des  caravanes  vers  les  oasis,  qu'elles  razziaient,  à  l'occasion,  vers  les  villes  de  la  côte, 
où  elles  échangeaient  laine,  peaux  et  têtes  de  bétail  contre  des  cotonnades  ou  de 
la  quincaillerie  anglaises,  de  la  poudre  et  des  armes  de  contrebande.  Les  nomades 
tunisiens  ravitaillaient  ceux  d'Algérie.  Le  principal  courant  d'échanges  allait  d'est  en 
ouest,  à  travers  la  dépression  des  chotts,  à  partir  de  Sfax  ou  de  Gabès  qu'approvisionnait 
la  contrebande  maltaise. 

Deux  grandes  tribus  tenaient  la  haute  steppe,  les  Zlass,  au  nord,  les  Hammama, 
au  sud.  Alliées  d'ordinaire,  elles  disputaient  à  leurs  voisins  et  adversaires  du  parti 
pachiste  les  confins  de  la  basse  steppe  littorale.  Les  Zlass  prétendaient  descendre 

d'envahisseurs  arabes  venus  du  Hedjaz.  Ils  étaient  divisés  en  trois  fractions  et  autant  de 
caïdats  et  campaient  au  nord,  à  Fouest  et  au  sud  de  Kairouan.  Tribu  maghzen,  les  Zlass 
collaboraient  volontiers  aux  expéditions  du  camp  ;  une  partie  d'entre  eux,  mélangée 


79  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  op.  cit  R.T.  1902,  PP.  189-190  ;  Pellissier  de  Reynaud  :  Description  de  la 
Régence  de  Tunis,  op.  cit  pp.  126-127  ;  Monchicourt  :  Région  du  Haut  Tell,  op.  cit.  pp.  297-298. 

Le  petit  groupe  des  Ouled  Sidi  Tlil  qui  s'était  agrégé  aux  Frèchich  formait  auprès  d'eux  un  quatrième 
caïdat. 

80  Arch.  Rés.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sousse,  l®*^  mars  1865. 


114 


d'éléments  hammama  et  de  Tripolitains,  était  organisée  en  tribu  du  drapeau  et  fournissait 
des  goums  aux  ordres  du  caïd  de  Kairouan  sur  le  territoire  duquel  elle  était  campée®^. 

Les  Hammama  (ioUj»),  venus,  peut-être,  en  Tunisie  avec  l'invasion  hilalienne, 
auraient  gagné  le  Maroc  d'où  ils  ne  seraient  revenus  qu'au  XVP™  siècle,  au  moment  où  les 
Turcs  établissaient  leur  domination  à  Tunis.  Comme  les  Zlass,  ils  étaient  divisés  en  trois 
fractions  et  en  trois  caïdats®^.  Leur  zone  de  parcours  s'étendait  au  sud  du  pays  Frèchich, 
jusqu'à  Gafsa  et  aux  abords  du  Djérid.  ils  tenaient  ainsi  les  pistes  menant  de  Kairouan 
et  de  Sfax  vers  les  oasis  tunisiennes  et  algériennes.  Caravaniers  de  vocation,  excellents 
cavaliers,  ils  étaient  aussi  d'incorrigibles  pillards  qui  détroussaient  les  caravanes, 
pillaient  les  oasis  et  n'hésitaient  pas  à  porter  leurs  méfaits  au  sud  des  chotts,  jusque  dans 
le  Sahara.  Les  Hammama  étaient  d'incommodes  voisins  :  quand  ils  ne  luttaient  pas  contre 
les  Frèchich  ou  les  Neffat,  ils  se  querellaient  entre  eux,  sof  contre  sof,  en  des  rivalités 
qui  déchiraient  les  différentes  fractions.  Mais  ces  querelles  intestines  n'entamaient  en 
rien  leur  hostilité  à  l'égard  des  tribus  pachistes.  Contre  elles  les  Hammama  faisaient 
d'ordinaire  cause  commune  avec  les  Zlass.  Malgré  leur  turbulence  et  leurs  méfaits,  au 
dire  des  observateurs  étrangers,  ces  tribus  bénéficiaient  d'un  traitement  de  faveur  de  la 
part  des  autorités  tunisiennes.  Les  «Amemas,  tribu  limitrophe  de  notre  Djérid  algérien, 
et  les  Zlass  relevant  du  Kairouan»,  écrivait  en  1865  le  vice-consul  de  France  à  Sfax,  «qui 
ne  laissent  passer  aucune  caravane  sans  la  rançonner,  qui  pillent  et  volent  depuis  nos 
tribus  algériennes  du  Souf  jusqu'aux  portes  de  Tunis,  ces  deux  tribus  sont  protégées  par 
le  Bardo  et  se  flattent  de  l'impunité»*^. 

Les  tribus  qui  peuplaient  les  basses  steppes  orientales  appartenaient  pour  la 
plupart  au  so/pachiste.  Les  Riah  avaient  été  à  l'avant-garde  de  l'invasion  hilalienne 
et  s  étaient  taules  alors  la  plus  large  part  du  butin  en  s  installant  au  centre  de  la  Regence. 
Déportés  au  Maroc  au  XII™®  siècle,  revenus  au  XIV™®,  ils  n'avaient  recouvré  qu'une 
partie  de  leur  domaine.  Par  la  suite,  ils  avaient  été  peu  à  peu  refoulés  vers  le  nord.  Leurs 
principaux  éléments  se  dispersaient  au  sud  de  Zaghouan  et  menaient  une  existence  assez 
pacifique*"*.  Leurs  parents  et  alliés  Ouled  Saïd  étaient  campés  au  nord  du  Sahel,  dans  les 
steppes  qui  bordaient  le  golfe  d'Hammamet.  Au  XVIII™®  siècle,  ils  étaient,  comme  les 
Drid,  devenus  tribu  maghzen,  mais  n'avaient  cessé  d'inquiéter  les  beys  par  leurs  pilleries 
et  leur  esprit  de  sédition.  Ahmed  Bey  qui  avait  dû  mater  leurs  rébellions  par  deux  fois, 
en  1841  et  en  1850,  confisqua  leur  territoire  qui  devint  un  domaine  de  la  couronne, 
l'Enfida.  Les  Ouled  Saïd  n'en  continuaient  pas  moins  à  détrousser  les  voyageurs  qui 
s'aventuraient  entre  Tunis  et  Sousse  et  à  menacer  les  sédentaires  du  Sahel**. 

Les  Souassi  voisins  et  adversaires  des  Zlass,  campaient  autour  de  la  sebkha 

El  Hani,  en  bordure  du  Sahel.  Nombreux  et  bien  organisés,  ils  formaient  une  tribu 
puissante  qui  vivait  cependant  en  bonne  intelligence  avec  les  sédentaires  de  la  côte. 


81  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  op.  cit  R.T.  1902.  -  Pellissier  :  Description  de  la  Régence  de  Tunis,  op.  cit 
p.  126.  -  J.  Despois  Tunisie  orientale,  op.  cit  pp.  198-200. 

82  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  op.  cit.  R.T.  1902,  pp.  19-20.  - 
Pellissier,  op.  c/tpp.  127-129. 

83  Arch.  Rés.  Mattéi  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sfax,  18  juin  1865. 

Même  opinion  de  Pellissier  :  Les  Hammama  «étendent  leurs  brigandages  jusque  dans  le  Sahel  de  Sfax  et 
même  jusqu'à  celui  de  Sousse.  Chaque  année  le  bey  du  camp,  dans  son  voyage  de  Djérid,  règle  leur  compte 
à  son  passage,  c'est-à-dire  qu'il  leur  impose  une  amende  plus  ou  moins  forte  selon  le  nombre  et  la  nature  de 
leurs  méfaits»  {Description  de  la  Régence  de  Tunis,  p.  129). 

84  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence,  op.  cit  R.T.  1902,  pp.  12-13.  -  Nomenclature...  op.  cit  passim,  pp.  20-54, 
227-228,262-285. 

85  J.  Despois  ;  Tunisie  orientale,  op.  cit.  pp.  195-196. 


115 


Les  Methelith®®  nomadisaient  plus  au  sud,  dans  un  vaste  domaine  de  steppes 

littorales  qui  s'étendaient  sur  plus  de  cent  kilomètres,  entre  Mahdia  et  Maharès®^.  Mais, 
selon  Pellissier,  leur  position  entre  les  trois  places  de  Sousse,  Monastir  et  Sfax  les  exposait 
«plus  que  toutes  les  autres  tribus  aux  exactions  du  fisc  tunisien  qui  se  dédommage  sur 
eux  de  son  peu  d'action  sur  les  autres»®*. 

Les  Neffat  (ûjUj)  venus  de  Tripolitaine  dans  l'Arad  au  XIL™  siècle,  avaient  émigré  au 
nord  de  Gabès,  au  cours  du  XIV^™  siècle.  Batailleurs  et  turbulents,  ils  avaient  participé 
à  toutes  les  luttes  de  tribus  dans  le  sud  de  la  Régence,  avaient  émigré  quelque  temps 
en  Algérie.  Ils  appartenaient  au  clan  husseinite  et  réduisaient  à  un  demi  vasselage  la 
petite  tribu  maraboutique  des  Mehedba  Les  Neffat  vivaient  de  rapines  autant 

que  d'élevage,  aux  dépens  des  Methellith  et  des  habitants  des  oasis*®. 

c)  Les  tribus  sahariennes 

Le  kahia  de  l'Arad  dont  le  district  s'étendait  autour  des  oasis  de  Gabès  et  d'El  Hamma, 
essayait  de  jouer  dans  le  sud  le  même  rôle  que  ses  collègues  du  Kef  et  de  Kairouan.  Mais 
il  avait  affaire  à  plus  forte  partie.  Les  grandes  tribus  sahariennes  avaient  de  longues 
habitudes  d'indépendance.  Les  plus  puissantes  d'entre  elles  vivaient  de  brigandage  aux 
dépens  des  caravanes  algériennes  et  tripolitaines  ;  elles  dominaient  les  sédentaires  des 
oasis  du  Nefzaoua  et  d'El  Hamma,  les  montagnards  berbères  des  Matmata,  sur  lesquels 
elles  s'arrogeaient  un  droit  de  suzeraineté.  Elles  résistaient  au  paiement  de  l'impôt,  se 
rebellaient  contre  les  caïds  qu'on  prétendait  leur  imposer.  De  vieilles  traditions  berbères 
se  perpétuaient  :  dans  plus  d'une  fraction,  les  décisions  étaient  prises  démocratiquement 
par  des  djemaas  élues.  Les  nomades  avaient  l'habitude  de  se  réfugier  dans  le  Sahara 
tripolitain,  quand  ils  ne  prenaient  pas  l'initiative  d'attaquer  le  camp  beylical.  Les  agents 
du  bey  n'arrivaient  à  s'imposer  qu'avec  l'appui  de  forces  militaires  imposantes  comme 
celles  qu'emmenait  dans  le  sud,  en  décembre  1861,  le  général  Fahrat,  agha  du  Kef®*. 
Les  Ourghemmas  (io-tjj)  étaient  les  plus  nombreux.  Ils  formaient  une  confédération  de 
quatre  tribus,  partagée  en  deux  caïdats,  qui  dominait  tout  le  sud-est  du  pays,  depuis 
Médenine  jusqu'aux  confins  de  la  Régence  de  Tripoli.  Mais  les  Béni  Zid  et  les 

Ouled  Yacoub  Â  f  J  petites  tribus  de  cinq  à  six  mille  âmes,  étaient  plus  dangereux. 
Les  premiers  campaient  au  sud  de  l'oasis  d'El  Hamma  dont  ils  étaient  les  suzerains.  Les 
Ouled  Yacoub,  formés  de  fractions  de  tribus  Hammama  ou  Neffat  chassées  pour  leurs 
méfaits  de  leurs  pays  d'origine,  étaient  la  terreur  des  populations  du  sud.  Ils  pillaient 
les  caravanes,  rançonnaient  le  Nefzaoua,  exigeaient  même  tribut  d'autres  groupes 
nomades,  menaçaient  les  Ouerghamma  et  étendaient  leurs  méfaits  fort  avant  dans  le 
sud  algérien,  jusqu'aux  oasis  de  l'oued  Rhir.  Le  brigandage  des  Ouled  Yacoub  et  des  Béni 
Zid  entretenait  ainsi  dans  le  sud  tunisien  un  état  permanent  d'insécurité  ®i. 

•k 


86  G.  Loth.  :  La  grande  colonisation  française  en  Tunisie  :  VEnfida  etSidi  Thabet  Tunis,  1910,  pp.  63  sqq. 

La  prononciation  locale  est  intermédiaire  entre  Mselliss  et  Msalliss. 

87  J.  Despois  :  Tunisie  orientale,  pp.  201-203. 

88  Description  de  la  Régence  de  Tunis,  p.  133. 

Les  Methellith  n'avaient  pas  de  caïd  particulier;  ils  étaient  administrés  par  le  gouverneur  de.  Mahdia. 

89  1.  Despois  :  Tunisie  orientale,  pp.  203-204. 

Note  sur  les  tribus  de  la  Régence.  R.T.  1902,  pp.  15-17. 

90  F.  0 . 1 0  2/6  3 .  Wood  à  Russel.  Tunis.  7  décembre  1861. 

91  Ibid.  -  Note  sur  les  tribus  de  la  Régence  op.  cit.  R.  T.  1902,  pp.  278-  279.  -  Arch.  Guerre.  Carton  13,  Tunisie.  Rapport 
sur  une  expédition  dans  le  sud  de  la  Régence  de  Tunis,  par  M.  Tissot,  élève-consul  attaché  à  la  mission.  Tunis, 
1^'  mai  1857.  -  Maquart  :  Etude  sur  la  tribu  des  Haouaïa  (Territoire  de  Médenine).  R.T.  1937,  pp.  261.265. 


116 


En  dépit  de  toutes  les  limites  de  son  pouvoir,  le  bey  de  Tunis  apparaissait  cependant 
comme  un  des  princes  musulmans  les  mieux  obéis  de  l'Afrique  du  Nord.  Des  trois 
régences,  la  Tunisie  était  le  pays  traditionnellement  le  plus  tranquille,  le  plus  soumis. 
Jamais,  au  cours  du  XIX®“'‘=  siècle,  l'autorité  des  deys  d'Alger  n'avait  réussi  à  déborder 
sérieusement  d'une  frange  littorale  étroite  et  discontinue.  Ni  les  Caramanli  de  Tripoli,  ni 
les  pachas  turcs,  leurs  successeurs,  n'avaient  pu  soumettre  les  grandes  tribus  nomades  qui 
guerroyaient  en  toute  liberté  dans  le  désert  libyen.  Par  l'importance  de  ses  populations 
sédentaires,  la  Tunisie  se  fût  plutôt  apparentée  à  l'Egypte.  Les  beys,  comme  les  vice-rois, 
disposaient  d'une  masse  paysanne  étroitement  soumise  à  leur  pouvoir  et  à  leur  fiscalité 
et,  pour  lointaine  et  intermittente  qu'elle  fût,  l'action  du  gouvernement  maintenait  la 
plupart  des  nomades  dans  une  dépendance  et  une  soumission  relatives.  Le  bey  leur 
imposait  les  caïds  qu'il  avait  choisis  ;  en  temps  normal,  il  en  obtenait  des  contributions 
ou  des  services  qui  étaient  autant  le  symbole  d'une  vassalité  que  le  paiement  d'un  impôt 
régulier.  Si  l'insécurité  restait  permanente  dans  la  steppe,  du  moins  les  révoltes  étaient- 
elles  rares,  étroitement  localisées.  Aucune  des  tribus  nomades  ne  songeait  à  rejeter  de 
façon  durable  l'autorité  du  bey.  11  n'était  pas  en  Tunisie  de  pays  dissident,  de  bled  essiba 
comme  dans  la  montagne  marocaine. 

Les  seuls  cantons  qui  fussent  irréductibles,  sans  pour  autant  rejeter  formellement 
la  suzeraineté  du  bey,  étaient  ceux  des  massifs  montagneux  et  boisés  du  Tell  que 
les  géographes  français  devaient  désigner  bientôt  du  nom  de  Khroumirie.  Plusieurs 
confédérations  berbères,  les  Moghod  les  Nefza,  les  Khroumirs  pasteurs 

et  agriculteurs  sédentaires,  y  vivaient  en  toute  indépendance,  sous  1  autorité  de  leurs 
conseils  élus,  les  djemaas.  Mogods  et  Nefza  relevaient  en  théorie  des  caïds  de  Mateur 
et  Béja^^  Pour  les  Khroumirs,  on  avait  créé  le  caïdat  de  Tabarka,  du  nom  d'un  îlot 
couronné  par  un  fort  en  ruines  bâti  par  les  Génois,  à  peu  de  distance  du  continent. 
Mais  aucun  caïd  n'osait  s'aventurer  dans  le  pays  :  le  caïdat  de  Tabarka  ne  figurait  que 
pour  mémoire  sur  les  listes  du  gouvernement  ;  il  n'était  pas  même  mentionné  sur  les 
registres  d'imposition.  Les  camps  évitaient  la  montagne  ;  leurs  chefs  considéraient 
comme  un  exploit  d'avoir  pu  contraindre  les  habitants  des  premières  pentes  au 
paiement  de  quelques  piastres. 

Mais  l'indépendance  de  ces  confédérations  montagnardes  n'était  pas  un  danger 
pour  l'autorité  du  bey.  Sans  doute,  ni  les  Khroumirs,  ni  les  Mogods  ne  se  privaient-ils 
de  piller  leurs  voisins  immédiats.  De  loin  en  loin,  ils  poussaient  leur  audace  jusqu'à 
menacer  les  moissons  de  Béja.  Mais  ils  ne  descendaient  pas  de  leurs  montagnes  pour 
donner  le  signal  d'une  rébellion;  ils  laissaient  les  tribus  tunisiennes  se  battre  entre 
elles,  sans  participer  à  leurs  querelles  ou  à  leurs  révoltes.  Les  troupes  du  bey  pouvaient 
en  toute  quiétude  opérer  au  pied  de  leurs  montagnes,  pourvu  qu'elles  ne  fissent  point 
mine  d'y  pénétrer.  Cette  attitude  ne  devait  point  se  démentir  pendant  l'insurrection  de 
1864,  ni  pendant  les  troubles  de  1867-1868  qui  laissèrent  la  montagne  étonnamment 
tranquille. 

Tribu  frontalière,  les  Khroumirs  pillaient  aussi  bien  leurs  voisins  d'Algérie  que 
ceux  de  Tunisie.  Pour  protéger  de  leurs  incursions  le  cercle  de  La  Galle,  les  autorités 
françaises  avaient  fait  installer  une  ligne  de  bordjs  sur  la  frontière,  cantonné  une 
smalah  à  proximité  ;  mais  il  leur  fallait  périodiquement  aussi  avoir  recours  à  la 
politique  des  représailles  et  des  contre  razzias.  Ces  voisins  pillards  ne  manifestaient 


92  Nomenclature  et  répartition...  pp.  1-19.  35-56.  -  Von  Maltzan.  op.  cit.  vol.  2.  p.  413. 


117 


toutefois  aucune  hostilité  envers  la  France.  Les  officiers  d'Algérie  ne  les  considéraient 
point  comme  des  ennemis  ;  certains  pensaient  même  qu'il  était  possible  de  s'en  faire 
des  alliés  contre  le  bey®^.  Ce  furent  cependant  les  méfaits  de  ces  montagnards  rebelles 
à  toute  autorité  qui  devaient  fournir  à  la  France  le  prétexte  de  son  intervention  dans 
la  Régence. 


93  Arch.  Guerre.  Corresp.  des  commandants  de  la  province  de  Constantine  avec  le  gouvernement  général, 
1852-1870.  Passim.  -  Ibid.  Carton  13  -  Tunisie  :  renseignements  sur  la  situation  et  l'importance  des  bordjs 
frontières  et  des  smalahs  de  Bou  Hadjar  et  du  Tarf  (note  sur  la  confédération  des  Khroumirs).  1872. 

Tel  était  aussi  l'avis  de  l'agent  tunisien  à  Bône,  Joseph  Allegro. 


118 


CHAPITRE  IV 

LES  ORIGINES  DE  LA  CRISE  FINANCIERE 


Jusqu'à  la  fin  du  règne  du  bey  Mustapha,  en  1837,  la  situation  de  la  Régence 
resta  relativement  prospère.  11  n'existait  alors  aucune  dette  publique  ;  l'armée,  les 
fonctionnaires  étaient  régulièrement  payés.  Le  poids  des  impôts  demeurait  supportable, 
l'agriculture  était  florissante  et  les  surfaces  cultivées  s'élevaient  à  près  d'un  million 
d'hectares^.  Les  échanges  du  pays  avec  l'étranger  étaient  régulièrement  bénéficiaires. 
Les  revenus  de  la  Tunisie  suffisaient  aux  besoins  limités  du  gouvernement;  s'il  se 
trouvait  en  difficulté  par  suite  de  mauvaises  récoltes,  il  vendait  par  anticipation 
des  produits  à  livrer  sur  la  récolte  suivante  ou  émettait  des  bons  du  Trésor  à  courte 
échéance^.  Le  désordre  était,  il  est  vrai,  l'état  naturel  des  finances  tunisiennes,  mais, 
dans  l'ensemble,  le  bey  et  ses  favoris  que  n'avait  pas  encore  séduits  l'imitation  de 
l'Europe,  se  contentaient  de  vivre  sur  les  ressources  du  pays. 

I  -  Les  prodigalités  du  bey  Ahmed  (1837-1855) 

A  l'exemple  du  pacha  d'Egypte,  Ahmed  Bey  entreprit  hâtivement  la  modernisation 
de  la  Régence.  Une  mission  militaire  s'installait  en  1842,  jetait  les  bases  d'une  armée 
régulière  de  26.000  hommes  dont  elle  entreprenait  l'organisation  à  l'européenne.  On 
bâtit  des  casernes,  un  arsenal  ;  on  fit  venir  de  France  des  uniformes,  des  armes,  des 
munitions.  Pour  assurer  l'entretien  de  cette  armée.  Ahmed  Bey  avait  entrepris  tout  un 
programme  industriel  :  il  confiait  à  des  ingénieurs  français  l'exploitation  de  la  mine  de 
plomb  de  Djebba,  la  construction  et  la  direction  de  fabriques  modernes,  manufacture  de 
drap  de  Tebourba,  minoterie  de  la  Djédeida,  boulangerie  de  Tunis,  tannerie,  poudrerie, 
fonderie  de  canons.  11  fallut  importer  d'Europe  équipements  et  machines,  entretenir 
tout  un  peuple  d'ouvriers  et  d'employés  recrutés  à  grands  frais  en  France.  Ahmed  Bey 
voulut  aussi  une  marine  de  guerre.  11  fit  acheter  quelques  bâtiments  légers  et,  pour  les 
accueillir,  il  entreprit  les  décevantes  constructions  de  Porto-Farina. 


1  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872,  80  pages  manuscrites  (A.E.  Tunis.  Mém.  et 
Doc.  vol.  12). 

2  D’après  le  Mémorandum  sur  les  dettes  tunisiennes,  rédigé  par  des  Juifs  livournais,  commissaires  des 
conversions,  le  17  juin  1868  (Arch.  Rome)  qui  trace  un  tableau  idyllique  de  cette  heureuse  époque.  «Les 
affaires  étaient  toutes  locales  et  se  passaient  pour  ainsi  dire  en  famille  ;  le  pays  était  prospère,  le  commerce 
florissait  et  tout  le  monde  était  content». 


119 


1 


Le  palais  de  la  Mohammédia 
[Chassiron,  op.  cit). 


Ces  coûteuses  innovations  n'avaient  pas  empêché  le  bey  de  bâtir  autant  que  ses 
prédécesseurs.  Ahmed  qui  résidait  habituellement  au  Bardo  se  fit  construire  sur  la  côte 
un  palais  d'été,  à  La  Goulette.  11  voulut  avoir  également  sa  résidence  d'hiver.  A  quatre 
lieues  de  Tunis,  sur  la  route  de  Zaghouan,  il  entreprit  la  construction  d'un  énorme 
palais  dont  il  se  flattait  de  faire  le  Versailles  tunisien,  la  Mohammédia.  11  s'y  installait 
en  1846  avec  sa  cour  et  son  armée,  multipliait  les  constructions  et  s'efforçait  de  créer 
une  ville  royale  autour  de  son  palais^.  Ahmed  Bey  voyait  grand  ;  il  ne  ménageait  pas 
l'argent  :  il  aurait  englouti  des  millions  dans  ses  constructions  de  La  Goulette  et  de  la 
Mohammédia^. 

Les  ressources  du  beylik  pouvaient  difficilement  suffire  à  toutes  ces  dépenses. 
Ahmed  Bey  n'avait  pas  songé  à  s'instruire  en  France  des  méthodes  budgétaires  mises  en 
pratique  depuis  la  Restauration.  11  ne  voulait  pas  s'inquiéter  des  questions  financières  et 
continuait  de  s'en  remettre,  en  matière  d'argent,  à  son  favori,  Mustapha,  un  mamelouk 
qu'il  avait  élevé  en  1837  aux  fonctions  de  khaznadar.  Celui-ci  ne  connaissait  d'autre 
système  que  la  vente  anticipée  des  impôts  en  nature,  l'émission  de  bons  du  Trésor  à 
courte  échéance.  Les  dépenses  militaires  finirent  par  absorber  les  deux  tiers  des  revenus 
du  bey.  Pour  entretenir  l'armée,  il  fallut  augmenter  les  impôts,  créer  toute  une  série  de 
monopoles  et  de  fermages^.  L'argent  ne  tarda  pas  à  manquer.  On  dut  interrompre  les 
constructions  à  la  Mohammédia  ;  les  soldes,  les  salaires  n'étaient  plus  payés;  après  la 
mauvaise  récolte  de  1852,  les  collecteurs  d'impôts  furent  reçus  à  coups  de  fusil®.  Les  fonds 
sur  lesquels  on  comptait  ne  rentrant  pas,  en  janvier  1853,  il  fallut  licencier  l'armée.  Les 
manufactures  furent,  les  unes  après  les  autres,  abandonnées  aux  chacals  ;  les  bâtiments 
de  la  Mohammédia  tombèrent  en  ruines  avant  d'avoir  été  achevés.  Ahmed  Bey  ne  devait 
pas  voir  l'écroulement  de  ses  ambitions  :  terrassé  par  une  attaque  d'hémiplégie,  depuis 
juillet  1852,  le  bey  ne  menait  plus  qu'une  existence  diminuée,  parlant  avec  difficulté  et 
se  désintéressant  des  affaires. 


3  Les  premiers  travaux  à  la  Mohammédia  commencèrent  en  1843.  Ils  furent  repris  en  1852  (Ben  Dhiaf  chap. 
VI,  années  1259  et  1268.  _  Dépêche  Tunisienne,  14  octobre  1935.  La  Mohammédia  :  bref  historique  des 
constructions,  avec  plan  des  édifices). 

4  Mémorandum  sur  les  dettes  tunisiennes,  op.  cit  Le  chiffre  de  100  millions  de  piastres  est  manifestement 
exagéré. 

5  Ben  Dhiaf,  chap.  VI,  années  1255,1257,1258  ;  chap.  VIII,  année  1284  (digression). 

6  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  6.  Béclard  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  15  décembre  1852. 


120 


Mustapha  Khaznadar,  beau-frère  du  bey  qui  lui  avait  donné  sa  sœur  Khaltoum, 
conservait  toute  son  influence  et  s'enrichissait  impudemment.  Les  gratifications  du  bey, 
les  domaines  dont  le  prince  récompensait  ses  services,  s'ajoutaient  aux  mille  profits  que 
le  ministre  pouvait  tirer  de  ses  fonctions.  «La  vénalité  des  emplois  a  toujours  été  un  fait  de 
notoriété  publique  ;  le  ministre  avait  des  courtiers  spéciaux  pour  ce  genre  d'affaires  ;  on 
débattait  le  prix  (lafdia)  dont  une  part  était  quelquefois  versée  dans  les  caisses  privées 
du  bey,  mais  la  plus  grosse  part  -  et  le  plus  souvent  la  totalité  -  restait  entre  les  mains 
du  Ministre....  11  ne  suffisait  pas  d'avoir  payé  son  emploi  pour  en  jouir  en  sûreté  :  un 
gouverneur  (caïd)  était  à  peine  entré  en  fonctions  que  déjà,  il  devait  craindre  de  se  voir 
supplanté  par  un  nouvel  enchérisseur  ;  il  fallait  donc  qu'il  fût  toujours  prêt  à  satisfaire 
au  moindre  désir  que  lui  faisait  exprimer  S.E.  ;  il  est  vrai  que  s'il  avait  un  cadeau  de  dix 
mille  piastres  à  offrir  au  Ministre,  il  en  arrachait  quinze  ou  vingt  mille  à  ses  administrés 
et  gardait  pour  lui  la  différence.  En  pareil  cas,  l'impunité  était  assurée  d'avance  à  toutes 
les  exactions...  La  vénalité  de  la  justice  a  été  de  tous  temps,  comme  celle  des  emplois, 
un  fait  de  notoriété  publique,  on  connaissait  l'intermédiaire  auquel  s'adresser  pour 
s'attirer  la  bienveillance  du  Ministre^».  Le  khaznadar  vendait  encore  grades  militaires  et 
décorations  ;  plus  tard,  on  le  vit  même  décorer  d'autorité  caïds  et  khalifas,  en  échange 
de  taxations  aussi  peu  volontaires.  Non  content  de  voler,  il  faisait  payer  les  dépenses  de 
sa  maison  sur  les  comptes  du  bey  et  du  gouvernement,  «puisant  dans  les  magasins  et 
chez  les  fournisseurs  du  gouvernement  comme  dans  le  Trésor  public®».  Pour  bâtir  son 
palais,  il  faisait  payer  les  briques  et  les  ouvriers  en  teskérés  du  gouvernement.  «Un  oukil, 
un  ingénieur  n'auraient  pas  conservé  leurs  fonctions  s'ils  n'avaient  pas  agi  de  la  sorte  - 
ils  savaient,  du  reste,  que  la  bienveillance  la  plus  entière  leur  était  acquise  en  échange  et 
d'avance,  pour  les  abus  qu'ils  ne  manqueraient  pas  de  commettre^». 

Mustapha  avait  accueilli  avec  faveur  l'engagement  du  bey  pour  la  modernisation 
de  son  armée  et  la  création  de  ses  manufactures.  Tous  les  contrats  étaient  pour  lui 
l'occasion  de  substantiels  profits  ;  magasins  et  dépôts  furent  mis  en  coupe  réglée  : 
on  volait  sur  le  grain,  on  volait  sur  le  pain  ;  on  rognait  les  soldes  et  les  salaires  ;  les 
couvertures,  les  pantalons,  les  harnais  étaient  détournés  et  vendus.  Les  officiers  s'en 
accommodaient,  il  est  vrai,  en  mettant  en  congé  leurs  soldats.  Le  général  Bogo,  directeur 
de  l'armement  et  de  l'habillement  de  la  troupe,  fit,  comme  Raffo,  une  rapide  fortune, 
sans  s'aliéner  le  khaznadar.  Créations  et  constructions  nouvelles  étaient  prétextes  à  de 
nouvelles  prévarications,  à  de  nouvelles  exactions  dans  le  pays.  Le  premier  ministre 
savait  en  tirer  profit  en  les  concédant  à  des  favoris  dont  il  faisait  ses  associés.  Ainsi,  la 
fabrique  de  drap  et  la  ferme  des  cuirs  avaient  été  affermées  au  caïd  Mahmoud  Benaïadi®, 


7  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

8  Ibid. 

9  Ibid. 

10  BENAÏAD  (selon  l'orthographe  adoptée  par  l'intéressé),  ou  BEN  AYAD,  ou  BEN  AYET  (Mahmoud  ben 
Mohammed,  général),  né  à  Tunis  à  une  date  qu'il  ignorait  lui-même,  mais  vraisemblablement  avant  1810. 

Il  était  le  fils  d'un  grand  personnage  très  en  faveur  à  la  cour  du  bey  Ahmed  vers  1840,  mais  dont  le  crédit 
avait  baissé  à  la  suite  de  l'échec  d'une  tentative  d'emprunt  en  France,  en  1846.  En  1847,  Mahmoud  Benaïad 
se  brouillait  avec  son  père,  au  sujet  de  la  création  d'une  banque  tunisienne  à  laquelle  ce  dernier  était  hostile. 
Fort  de  l'appui  du  bey  et  de  son  ministre,  il  persécuta  sa  famille,  son  père  et  ses  neveux,  qui  durent  se 
réfugier,  à  deux  reprises,  au  consulat  britannique  (1847-1848)  et  mit  la  main  sur  leurs  biens. 

Intimement  associé  avec  Mustapha  Khaznadar,  Mahmoud  Benaïad  s'empara  de  tous  les  fermages  de  l'Etat,  et, 
pendant  cinq  ans,  jouit  à  Tunis  d'une  faveur  exceptionnelle.  Caïd  de  Bizerte  et  Djerba,  Il  avait,  en  même  temps, 
rang  de  ministre.  Il  réussit  à  amasser  rapidement  une  fortune  considérable  dont  il  plaçait  la  meilleure  part  en 
Europe,  et,  en  1850,  sollicitait  en  secret  du  gouvernement  français  sa  naturalisation  et  celle  du  khaznadar. 

En  juin  1852,  Benaïad  quittait  définitivement  la  Régence  pour  s'installer  à  Paris  où  il  était  naturalisé  Français 


121 


descendant  d'une  vieille  famille,  maîtresse  de  Djerba  depuis  la  fin  du  XVll™®  siècle,  et 
dont  la  richesse  foncière  était  considérable.  Mustapha  lui  concédait  en  même  temps  la 
ferme  des  tabacs,  du  sel,  du  poisson,  le  revenu  de  la  dîme  des  grains.  «C'est  ainsi  que,  pas 
à  pas,  et  de  nécessités  en  nécessités,  le  général  Benaïad  s'est  trouvé  en  quelque  sorte  le 
fermier  universel  du  gouvernement  tunisien.  C'est  qu'à  la  nombreuse  nomenclature  de 
ses  entreprises,  il  faut  ajouter  encore  le  fermage  de  la  brique,  de  la  chaux,  du  plâtre»ib 
en  tout  quelque  soixante-dix  fermages,  dont  les  plus  importants  de  la  Régencei^.  En 
1849,  déjà,  le  consul  de  France,  Marcescheau,  dénonçait  l'association  qui  s'était  établie 
entre  le  premier  ministre  et  Benaïad,  et  déplorait  que  le  bey  Ahmed  leur  laissât  disposer 
de  toutes  ses  finances^^.  Vingt  ans  plus  tard,  un  inspecteur  des  Finances  français,  Villet, 
retrouvait  à  Tunis  les  traces  de  leurs  méfaits  :  «l'administration  de  Benaïad  n'a  été 
qu'une  longue  calamité  publique.  Cet  homme  a  accumulé  et  mis  en  sûreté  à  l'étranger 
une  fortune...  d'environ  50  à  60  millions  de  francs.  Le  ministre  a  reçu  sans  doute  une 
somme  à  peu  près  égale^^».  Les  fermages  n'étaient  concédés  qu'après  cadeau  au  ministre; 
avec  Benaïad,  ce  fut  une  véritable  association.  L'affermage  était  dérisoire,  les  bénéfices 
considérables  ;  Mustapha  en  avait  sa  part  et  se  chargeait  de  décourager  les  concurrents 
possibles,  lors  des  adjudications. 

Directeur  des  magasins  de  l'Etat,  Benaïad  devait  entreposer  les  céréales  et  divers 
autres  produits  du  domaine,  et  subvenir  à  l'approvisionnement  des  troupes  et  de 
la  maison  du  bey.  S'il  faisait  savoir  que  les  magasins  étaient  vides,  le  khaznadar,  sans 
aucun  contrôle,  lui  fournissait  des  teskérés  d'exportation  de  grains  à  négocier.  Benaïad 
négociait  les  teskérés,  en  gardait  le  bénéfice  et  nourrissait  la  troupe  avec  les  grains  du 
gouvernement  qu'il  avait  retenus,  au  lieu  de  les  verser  dans  les  magasins^®. 

Les  compères  avaient  fait  mieux  :  la  création  d'une  banque,  dont  le  privilège  était 
conféré  au  général  Benaïad,  avait  été  décidée  en  1847.  La  banque  avait  reçu  le  monopole 
d'émission  de  billets  remboursables  au  porteur  ;  le  khaznadar  était  chargé  de  surveiller 
les  opérations.  Le  gouvernement  qui  devait  fournir  les  sommes  nécessaires  aux  premières 
émissions,  sollicitait  bientôt  des  avances  de  son  banquier.  Mais,  en  juin  1852,  Si  Mahmoud 
Benaïad,  prétextant  une  cure,  partait  pour  la  France^^  ;  il  n'en  devait  plus  revenir. 

En  mai  1853,  une  descente  de  justice  dans  les  bureaux  démontrait  que  la  banque 
était  ruinée  et  que  Benaïad  s'était  enfui  avec  les  fonds^^.  Les  magasins  étaient  vides  ; 
le  fermier  général  avait  trouvé  des  prêteurs,  en  gageant,  pour  les  années  à  venir,  les 
revenus  des  fermes  qu'il  allait  abandonner. 


par  décret  impérial  du  13  septembre  1852  (Décret  n°  7320.  Bull.  Lois.  Suppl.  1852.  B,  p.  (613).  Il  devait 
rester  en  contestation  avec  le  gouvernement  tunisien  jusqu'en  1876  au  sujet  de  sa  gestion  financière  passée 
et  surtout  des  biens  dont  il  prétendait  que  ses  neveux  l'avaient  spolié  après  son  départ,  avec  la  complicité 
du  gouvernement.  Benaïad  s'était  fixé  à  Constantinople  dès  juillet  1857  ;  il  mourut  le  18  février  1880  (Notice 
sur  le  général  Benaïad,  sa  famille  et  son  administration  à  Tunis  ;  Le  dernier  mot  sur  les  comptes  en  blés  du 
général  Benaïad...  Paris,  1853,  pp  11-12  et  52-53  ;  A.  E.  Tunis.  Comm.  vol.  55.  De  Lagau  à  Guizot.  Tunis,  14 
janvier  1848  ;  F.  0.  102/97.  Mémorandum  sur  la  protection  des  Ben  Ayad  F.  O.  27  octobre  1873,  et,  passim, 
Corresp.  consulaire  française  et  anglaise). 

11  Notice  sur  le  général  Benaïad...  op.  cit.  p.20. 

12  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 

13  A.  E.  Tunis.  Comm.  vol.  55.  Marcescheau  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  19  février  1849. 

14  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 

15  Note  réfutative  du  général  Mahmoud  Benaïad.  Paris,  1854,  pp.3-5 

Réplique  à  la  note  réfutative  de  M.  Benaïad.  Paris,  1854,  pp.  4-6. 

16  A.  E.  Tunis,  vol.  12.  Laplace,  gérant  du  consulat,  au  marquis  de  Turgot.  Tunis,  18  juin  1852. 

17  Résumé  des  comptes  dressés  pour  l'exécution  de  la  sentence  arbitrale  rendue  le  30  novembre  1856...  Paris, 

1857,  p.  1. 


122 


Mustapha  Khaznadar  pouvait  difficilement  poursuivre  Benaïad;  il  en  chargea 
son  gendre  Khérédine.  Benaïad  qui,  entre  temps,  s'était  fait  naturaliser  Français, 
avait  acquis  d'importants  immeubles  à  Paris^*  et  disposait,  grâce  à  sa  fortune, 
d'appuis  sérieux  dans  la  capitale  ;  il  joua  les  victimes  et  entretint  avec  les  agents  du 
gouvernement  une  véritable  guerre  de  libelles.  Mais  l'intendant  juif  que  Benaïad 
avait  chargé  de  surveiller  ses  affaires  à  Tunis,  Nessim  Samama^^,  le  trahissait.  Non 
content  de  s'enrichir  aux  dépens  de  son  maître,  il  livrait  au  gouvernement  ses  papiers 
et  ses  reçusse  et  ne  tardait  pas  à  passer  au  service  du  khaznadar.  Bientôt,  le  neveu  et 
adversaire  de  Mahmoud  Benaïad,  Hamida,  se  réconciliait  avec  le  premier  ministre. 
Celui-ci  le  poussait  à  mettre  la  main  sur  les  propriétés  de  son  oncle,  comme,  quelques 
années  plus  tôt,  il  avait  encouragé  Mahmoud  Benaïad  à  s'emparer  des  biens  de  son 
père  et  de  ses  neveux.  Hamida  Benaïad,  Nessim  Samama  et  un  mamelouk  bien  en  cour, 
le  général  Zarrouk,  se  partagèrent  les  dépouilles  de  Mahmoud  Benaïad,  les  fermages 
qu'il  avait  monopolisés  jusqu'en  1852. 

Cependant,  grâce  à  l'insistance  de  Khérédine  qui,  depuis  trois  ans,  menait 
campagne  à  Paris,  le  gouvernement  du  bey  avait  obtenu  de  l'Empereur,  la  formation 
d'une  commission  d'arbitrage  qui  rendit  sa  sentence  le  30  novembre  1856.  Les  deux 
parties  avaient  établi  chacune  des  comptes  de  plus  de  80  millions  de  piastres  au  débit 
de  l'adversaire^i.  Mais  ces  comptes  étaient  mal  tenus  ;  ils  n'étaient,  le  plus  souvent, 
appuyés  par  aucune  preuve  sérieuse;  beaucoup  de  réclamations  faisaient  double  emploi. 
Après  avoir  réservé  son  avis  sur  les  points  les  plus  obscurs,  la  commission  accordait 
au  général  Benaïad  26.569.636  piastres  pour  ses  réclamations  contre  le  gouvernement 
tunisien,  compte  tenu  des  réclamations  du  gouvernement  contre  Benaïad  ;  mais  elle  le 
condamnait  en  même  temps  à  restituer  au  bey  pour  20.902.750  piastres  en  billets  de 
banque  et  en  papiers  du  gouvernement  que  le  général  détenait  indûment^^  sentence 
était  dans  l'ensemble  favorable  au  général  Benaïad  ;  le  bey  s'en  montrait  surpris.  En 
réalité,  le  général  Khérédine  n'avait  pu  apporter  à  la  commission  impériale  la  preuve 


18  Ainsi  qu'il  résulte  d'une  pièce  justificative  fournie  par  la  banque  Périer  de  Paris  {Extrait  des  mémoires  du 
général  Benaïad...  Paris,  1854,  p.  12).  Benaïad  avait  acquis  de  cette  maison  divers  immeubles  sis  à  Paris  et 
dans  l'arrondissement  de  Saint  Denis.  Benaïad  possédait  notamment  un  hôtel  particulier,  25  quai  d'Orsay, 
où  il  résidait  en  1854,  l'hôtel  d'Albe,  avenue  de  l'Aima,  et  des  immeubles  de  rapport,  43  et  45  rue  Saint 
Georges,  qui  furent  acquis  par  Charles  Ferry  en  1884  Crumont  :  La  Francejuive,  p.  491  ;  Tunis  journal  28 
septembre  1884),  le  passage  du  Saumon,  entre  la  rue  Montmartre  et  la  rue  Montorgueil  qui  avait  alors  son 
heure  de  célébrité  et  dont  une  partie  porte  actuellement  le  nom  de  rue  Benaïad  (A.  E.  Tunis.  Mém.  Et  Doc. 
Procès  de  l'Intransigeant,  vol.  2  plaidoirie  Gâtineau,  p.l91) 

19  SAMAMA  ou  CHEMAMA  (Nessim,  caïd,  comte),  courtier  indigène  né  à  Tunis  en  1805.  Fils  du  rabbin  Salomon, 
polygame,  mort  à  Livourne,  le  24  janvier  1873. 

Après  avoir  été  longtemps  commerçant  en  tissus,  il  entra  au  service  du  général  Benaïad,  comme  domestique, 
puis  caissier,  avant  1850,  passa  au  service  du  premier  ministre,  en  1852  ou  1853.11  ne  tarda  pas  à  cumuler 
les  fonctions  de  trésorier  et  de  contrôleur  des  Finances,  devint  caïd  des  Israélites,  en  octobre  1859,  directeur 
des  Finances  en  avril  1860  et  fut  élevé  à  la  dignité  de  colonel,  puis  de  général  de  brigade. 

En  juin  1864,  il  quittait  définitivement  la  Régence,  en  emportant  près  de  20  millions  de  francs,  produit  de 
ses  détournements.  Il  se  fixait  à  Paris,  puis  à  Livourne,  en  1871,  où  il  mourut,  en  1873,  laissant  une  fortune 
estimée,  en  1881,  à  27.718.688  francs.  Il  avait  été  anobli  par  décret  royal  de  Florence,  en  date  du  10  juin  1866. 
(R.  Corte  d'Appello  di  Lucca  -  Memoria  in  causagovemo  di  Tunisi  e  Samama  -  Applicazione  délia  legge  ebraica... 
Florence,  1879  (Arch.  ;  Tun.  carton  108,  p.  5-6  et  55-62  :  exposé  sur  les  antécédents  du  caïd  Nessim) 

20  Note  rectificative  présentée  par  le  général  Mahmoud  Benaïad  en  réponse  au  second  mémoire  des  héritiers  du 
Caïd  Nessim  Samama.  Paris  1875,  p.  28. 

21  Le  général  Benaïad  réclamait  le  paiement  de  fournitures  qu'il  aurait  faites  au  gouvernement,  le  solde  des  revenus 
des  fermages  qui  lui  avaient  été  repris  après  son  départ,  des  dommages  pour  le  séquestre  mis  sur  ses  propriétés. 

22  Résumé  des  comptes  dressés  pour  l'exécution  de  la  sentence  arbitrale  rendue  le  30  novembre  1856  ...  Paris,  1857, 
page  unique.  -Sentence  arbitrale  rendue  par  S.  M.  l'Empereur  des  Français  sur  les  réclamations  réciproques  de 
S.  Altesse  le  Bey  de  Tunis  et  le  général  Benaïad  (30  novembre  1856),  Paris,  1857,  passim. 


123 


des  détournements  de  Benaïad  dans  l'affaire  de  beaucoup  la  plus  importante  pour  le 
gouvernement,  celle  des  céréales. 

Cette  réclamation  de  27  millions  de  piastres  avait  été  rejetée  faute  de  preuves.  Le 
khaznadar  qui  avait  été  dans  l'affaire  l'associé  de  Benaïad  ne  pouvait,  en  la  circonstance, 
accuser  son  ancien  complice  sans  se  dénoncer  lui-même.  Cette  complicité  apparaissait 
si  clairement  aux  membres  de  la  commission  impériale  que  le  gouvernement  français 
décidait  de  retirer  le  décret  de  naturalisation  du  khaznadar  préparé  quelques 
années  plus  tôt,  à  la  requête  même  de  Benaïad^^.  L'arbitrage  impérial  ne  devait  pas 
mettre  fin  au  conflit  ;  vingt  ans  plus  tard,  Benaïad  protestait  encore  ;  il  assurait  que 
le  gouvernement  tunisien  avait  négligé  d'exécuter  les  clauses  de  la  sentence  qui  lui 
étaient  défavorables. 

Le  départ  de  Benaïad  n'empêchait  pas  le  khaznadar  de  poursuivre  à  Tunis  ses 
opérations  de  pillage.  En  1853,  la  guerre  éclatait  en  Orient,  guerre  russo-turque  d'abord 
qui  allait  bientôt  dégénérer  en  un  conflit  européen,  la  guerre  de  Crimée.  Dès  le  mois 
de  mai  1853,  avant  même  que  les  hostilités  fussent  ouvertes,  le  sultan  invitait  le  bey  à 
lui  fournir,  en  bon  vassal,  les  hommes  dont  il  avait  besoin  pour  la  défense  de  l'Empire 
contre  les  Russes^^.  Après  bien  des  hésitations,  le  gouvernement  français  chargea  son 
consul  d'appuyer  cette  demande  et  de  pousser  le  bey  à  participer  aux  opérations  par 
l'envoi  d'un  contingent  que  l'on  pourrait  adjoindre  peut-être  aux  troupes  françaises^s. 
On  comptait  sur  10.000  hommes  ;  il  fallut  dix  semaines  pour  en  rassembler  à  grand 
peine  6.600  ;  beaucoup  n'avaient  jamais  servi  ;  tous  durent  attendre  dans  l'inaction 
des  camps  de  La  Goulette  que  l'on  pût  leur  fournir  des  équipements,  des  armes,  des 
munitions.  Les  magasins  de  l'Etat  étaient  vides,  les  manufactures  du  bey,  conçues  pour 
l'entretien  de  trente  mille  réguliers,  avaient  à  peine  dans  leurs  stocks  de  quoi  équiper  une 
compagnie.  Le  khaznadar,  qui,  l'année  précédente,  faisait  licencier  l'armée,  se  déclarait 
partisan  résolu  de  l'expédition,  il  menait  grand  bruit  autour  de  l'entreprise,  faisait 
acheter,  réquisitionner.  L'envoi  du  contingent  décidé,  il  avait  aussitôt  fait  percevoir  une 
contribution  extraordinaire  dans  le  Sahel  et  le  Djérid,  vendu  à  l'avance  une  partie  de  la 
récolte  d'huile  de  185526. 

«Pendant  que  se  poursuivaient  ces  préparatifs,  soixante  navires  nolisés  à  grands 
frais  étaient  retenus  indéfiniment  à  La  Goulette,  car,  de  Porto-Farina  il  n'était  même  plus 
question.  Le  premier  départ  eut  lieu  le  26  juillet  1854,  les  autres  successivement.  Arrivés 
à  Constantinople,  les  malheureux  Tunisiens  ne  constituèrent  qu'un  impedimentum  ;  on 
les  relégua  à  Batoum,  où,  ne  recevant  ni  nourriture  ni  solde,  ils  n'eurent  d'autre  ressource 
que  de  se  révolter.  Les  maladies,  la  misère  les  décimèrent,  et  cependant  on  se  garda  de 
les  renvoyer  dans  leurs  foyers,  car  le  bey  payait  pour  leur  entretien  des  sommes  dont  ils 
ne  profitaient  guère,  mais  que  ne  dédaignait  pas  de  toucher  la  Porte»^^. 

Ahmed  Bey  était  mort  le  30  mai  1855  ;  son  cousin  Mohammed,  aîné  des  fils  du 
bey  Hussein,  lui  avait  succédé  sans  difficulté.  Mustapha  Khaznadar  avait  su  s'attirer  les 


23  Fait  exposé  dans  une  lettre  de  Khérédine  à  l'inspecteur  des  Finances  Villet  du  27  avril  1875.  (Corresp. 
publiée  par  MM.  Mzali  et  Pignon  R.T.  1940,  p.  100). 

24  F.  0.102/44.  Baynes  à  Addington.  Tunis,  30  mai  1853. 

25  A.  E.  Tunis,  vol.  14.  Drouyn  de  Lhuys  à  Béclard.  15  et  28  mars  1854. 

26  Ibid.  Dép.  de  Béclard.  Tunis,  7  juillet  1854. 

Les  contributions  extraordinaires  auraient  fourni  2  millions  de  piastres,  la  vente  anticipée  d'huile  1.156.000 
piastres,  la  vente  de  10.400  caffis  de  blé  livrables  à  l'automne  1854,1.529.250  piastres,  soit  au  total  4.685.250 
piastres,  environ  3  millions  de  francs. 

27  P.  H.  X.  La  politique  française  en  Tunisie.  Paris,  1891,  p.  15. 


124 


bonnes  grâces  du  prince,  jouer  de  la  rivalité  possible  de  Sidi  Lamine,  frère  d'Ahmed  Bey  ; 
il  acheta  à  prix  d'or  les  familiers  de  Mohammed  et  conserva  ses  fonctions^^. 


2  -  La  politique  du  khaznadar  et  l'endettement  de  la  Régence 
(1855-1862) 

Malgré  sa  déférence  à  l'égard  du  sultan.  Mohammed  Bey  désirait  rappeler  le 
contingent  tunisien  Le  khaznadar,  fort  de  l'appui  des  consuls  européens,  l'en  dissuada. 
11  réussit  même  à  convaincre  le  bey  d'envoyer  de  nouvelles  troupes  en  renfort,  1800 
hommes  en  deux  fois,  et  de  l'argent  pour  leur  entretien.  «En  même  temps  une  mission 
somptueuse  [allait]  demander  au  Sultan  son  investiture  pour  le  nouveau  bey,  formalité 
purement  religieuse  suivant  les  uns,  politique  suivant  d'autres,  mais  très  naturelle 
en  tous  cas  après  la  coopération  de  la  Régence  à  l'expédition  de  Crimée.  Des  cadeaux 
considérables  furent  expédiés  à  cette  occasion^®». 

Heureusement  pour  le  pays,  l'exceptionnelle  récolte  de  grains  et  d'huile  de  1855 
permettait  de  faire  face  à  ces  dépenses  nouvelles,  de  satisfaire  l'avidité  du  khaznadar  et 
de  ses  agents  sans  épuiser  trop  les  fellahs.  La  paix  signée,  le  bey  put  rapatrier  ce  qui  restait 
de  son  contingent  dans  le  courant  de  1856,  quelque  6.000  hommes  seulement  ;  les  autres 
avaient  péri  de  maladie  dans  les  camps  ottomans.  Mohammed  licencia  les  survivants  qui 
s'organisèrent  en  bandes  pillardes  ;  il  négligea  d'entretenir  l'armée,  ainsi  que  les  autres 
créations  et  les  constructions  de  son  prédécesseur. 

Les  goûts  du  souverain  étaient  moins  dispendieux,  sans  doute,  que  ceux  d'Ahmed 
Bey;  ils  étaient  surtout  différents.  Mohammed  Bey  se  souciait  moins  d'imiter  l'Europe  ;  il 
vivait  en  souverain  oriental  et  entretenait  un  gigantesque  sérail,  le  plus  vaste  qu'on  eût 
vu,  dit-on,  depuis  le  règne  de  Salomon^o.  Esprit  religieux  et  traditionaliste,  il  écoutait 
volontiers  les  ulémas,  son  beau-frère,  le  cheikh  el  Islam  ;  il  devait  cependant  se  laisser 
convaincre  par  son  ami  Léon  Roches  et  fit  proclamer  solennellement  au  Bardo  le  Pacte 
fondamental  qui  instituait  l'égalité  de  tous  devant  la  loi.  Il  ne  bâtit  que  deux  palais,  celui 
de  La  Marsa  et  le  harem  du  Bardo,  dont  il  confia  la  construction  et  la  décoration  à  des 
artistes  indigènes. 

Mohammed  Bey  était  un  prince  faible.  Avec  lui,  cependant,  Mustapha  avait  les 
coudées  moins  franches  ;  les  occasions  de  vol  étaient  plus  rares.  Mohammed  Bey  portait 
en  lui  un  assez  vif  sentiment  de  justice  :  il  prit  lui-même  l'initiative  d'une  réforme  de 
l'achour  qui  substituait  à  la  taxation  arbitraire  de  la  récolte,  un  pourcentage  établi  sur 
les  surfaces  ensemencées^^.  Le  khaznadar  pouvait  néanmoins,  grâce  à  l'étendue  de  ses 
pouvoirs  et  aux  complicités  qu'il  s'était  acquises,  continuer  d'exploiter  la  Régence.  Il  avait 
élevé  aux  fonctions  de  trésorier,  et  bientôt  de  directeur  des  Finances,  le  caïd  juif  Nessim 
Samama,  dont  il  faisait,  depuis  la  fuite  de  Benaïad,  son  confident  et  son  associé.  Le  caïd 
Nessim  se  mit  à  accaparer  les  fermages  et  les  concessions  abandonnés  par  Benaïad. 
Agent  et  fermier  du  gouvernement  à  la  fois,  il  ne  tarda  pas  à  disposer  sans  contrôle  des 
ressources  les  plus  importantes  du  pays,  les  grains,  les  huiles,  les  mines,  la  douane  des 
villes  côtières.  Nessim  traitait  avec  des  sous-fermiers  auxquels  il  imposait  des  conditions 


28  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 

29  P.  H.  X.  op.  cit  p.  17. 

30  «Le  Bey  se  consola  de  ses  déboires  avec  ses  1.200  femmes,  à  qui  il  fit  élever,  au  Bardo,  le  beau  harem  qui 
abrite  aujourd'hui  le  musée  Alaoui.  Son  zèle  à  les  servir  hâta,  dit-on,  sa  fin»  (Ch.  A.  julien  :  Histoire  de  l'Afrique 
du  Nord,  op.  cit  p.  697). 

31  Arch.  Rés.  Consulats.  Roches  à  Walewski,  6  janvier  1857. 


125 


féroces,  des  contrats  où  il  se  réservait  65  %  des  bénéfices^^.  Il  est  vrai  qu'il  devait  compter 
avec  l'avidité  du  premier  ministre  qui  ne  l'avait  élevé  à  ces  lucratives  fonctions  que  pour 
en  tirer  de  larges  bénéfices.  Tous  deux  faisaient  frapper  des  monnaies  d'or  de  mauvais 
aloi,  émettaient  des  pièces  de  cuivre  rapidement  dévaluées,  qui  désorganisaient  le 
commerce  et  faisaient  baisser  le  cours  de  la  piastre^^.  Sous  prétexte  d'équité,  Mustapha 
suggérait  au  bey  de  remplacer  des  contributions  arbitraires  datant  de  l'époque  turque 
par  une  taxe  personnelle  égale  pour  tous,  la  mejha,  plus  lourde  et  plus  facile  à  percevoir 
que  les  anciens  impôts^^. 

Malgré  l'appui  des  consuls  étrangers,  de  Léon  Roches  surtout,  qui  vantait  en  lui 
«le  champion  des  idées  de  progrès  et  de  civilisation^^,  le  khaznadar  sentait  une  sourde 
hostilité  dans  la  famille  du  bey.  Mohammed  es  Sadok,  le  bey  du  camp,  passait  pour  son 
adversaire.  Mohammed  Beyram,  cheikh  el  Islam  et  beau-frère  du  bey  était  à  la  tête  d'un 
parti  conservateur  qui  réprouvait  les  réformes  patronnées  par  le  ministre.  Bien  des 
mamelouks  jalousaient  son  immense  fortune,  souhaitaient  le  supplanter  après  vingt 
ans  de  pouvoir  absolu.  Mais,  à  la  faveur  de  l'émotion  qu'avait  provoquée  l'exécution  de 
Samuel  Sfez,  Mustapha  réussissait  à  entrainer  le  bey  à  proclamer  le  Pacte  fondamental. 
Il  n'eut  pas  le  temps  de  craindre  pour  son  pouvoir  :  en  septembre  1859,  le  bey  s'alitait;  il 
mourait  bientôt  après  une  courte  maladie,  le  21  septembre.  Il  n'avait  que  quarante-huit 
ans. 


Dans  le  trésor  particulier  du  bey,  on  trouva  cinq  millions  de  piastres  dont  le 
khaznadar  et  le  caïd  Nessim  prirent  la  plus  grosse  part  ;  le  reste  fut  envoyé  à  la  Marsa  au 
nouveau  bey  Mohamed  es  Sadok,  frère  cadet  de  Mohammed  Bey  «Le  premier  ministre 
ne  se  contenta  pas  de  ce  détournement  commis  au  grand  jour  et  dont  il  existe  encore 
[en  1872]  des  témoins  ;  il  fit  dépouiller  entièrement  les  membres  de  la  famille  de  Sidi 
Mohammed  qu'il  savait  être  ses  ennemis-  il  s'appropria  leurs  biens  et  leurs  bijoux  à 
l'exception  de  ceux  qui  appartenaient  à  une  jeune  princesse  fiancée  avec  son  fils3S>. 

Mohammed  es  Sadok  était  vite  gagné.  Avec  lui,  Mustapha  parvenait  au  faîte  de  la 
faveur  et  de  la  puissance  «en  s'appliquant  à  satisfaire  et  à  développer  ses  passions  les  plus 
basses,  ses  instincts  les  plus  pervers»^^.  Il  faisait  recruter  les  mignons  dont  le  bey  aimait 
à  s'entourer  et,  profitant  de  la  faiblesse  et  de  la  pusillanimité  du  souverain,  il  gouverna 
bientôt  en  maître  absolu.  Se  couvrant  habilement  d'une  réputation  de  libéralisme  et  de 
modernisme,  le  khaznadar  persévérait  dans  la  «voie  des  réformes»,  faisait  mettre  en 
application  la  Constitution  de  1861,  décidait  l'ouverture  de  travaux  d'intérêt  public.  Le 
caïd  Nessim  était  toujours  en  faveur,  mais  le  comte  Raffo  dont  l'influence  baissait  de  plus 
en  plus,  se  tenait  à  l'écart  par  de  longs  voyages  à  l'étranger^».  En  revanche,  Mustapha 


32  Nessim  avait  rétrocédé  à  Haï  ben  Liaou  Valensi,  Israélite  protégé  français,  le  fermage  des  fournitures  au 
gouvernement.  Dans  le  contrat  il  se  réservait  65,25%  des  bénéfices  à  réaliser  sur  les  marchés  de  l'Etat, 
exigeait  encore  la  fourniture  au  prix  coûtant  de  tous  les  articles  dont  il  aurait  besoin  pour  lui-même  et  pour 
sa  famille.  Sa  femme  Hanna  qui  tenait  la  caisse  avait  pour  principe  de  son  côté  de  faire  des  prélèvements 
personnels  de  5%  sur  tous  les  paiements  qu'elle  devait  effectuer  (F.  0.102/101.  Exposé  des  réclamations  du 
gouvernement  tunisien  contre  le  feu  caïd  Nessim  Semama  et  contre  ses  ayants  cause,  par  le  général  Heussein, 
1874,  pp,  18-19), 

33  Arch.  Rés.  Consulats.  Roches  à  Walewski.  Tunis,  28  octobre  1855  et  4  août  1858. 

34  36  piastres,  soit  environ  22  francs,  payables  par  tous  les  sujets  tunisiens  mâles  ayant  atteint  l'âge  de  la 
puberté, 

35  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  113.  Roches  à  Walewski,  Tunis,  6  novembre  1857. 

36  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

37  Ibid. 

38  C'est  au  cours  d'un  de  ces  voyages  qu'il  mourut  à  Paris,  le  2  octobre  1862. 


126 


poussait  au  poste  de  sous-directeur  des  Affaires  étrangères  l'interprète  Elias  Mussalli, 
son  aller  ego^^,  dont  il  faisait  un  colonel. 

La  situation  financière  ne  s'était  pas  sensiblement  aggravée,  cependant.  Malgré 
vingt  ans  de  désordre,  de  rapines  et  de  vaines  dépenses,  à  la  mort  de  Mohamed  Bey, 
on  ne  comptait  encore  qu'une  dette  flottante  de  19  millions  de  piastres^o,  «plus  que 
couverte  d'ailleurs  par  les  sommes  qui  se  trouvaient  au  trésor  et  surtout  par  les  bijoux 
de  ses  femmes,  bijoux  qui  leur  furent  tous  enlevés»^!.  La  nullité  du  nouveau  bey  allait 
permettre  au  khaznadar  d'élargir  démesurément  le  champ  de  ses  opérations. 

L'ambassade  à  Constantinople  chargée  de  solliciter  le  firman  d'investiture  du  bey, 
les  présents  de  circonstance  au  sultan  et  à  son  entourage  fournirent  le  prétexte  de 
gaspiller  trois  millions.  La  reconstitution  de  l'armée  et  la  politique  de  travaux  publics 
dans  laquelle  le  bey  acceptait  de  se  lancer  furent  plus  coûteuses  encore.  Mohammed  es 
Sadok  s'intéressait  à  l'armée  qu'avait  abandonnée  son  frère  :  le  khaznadar  fit  acheter  en 
Belgique,  en  1859,  une  pacotille  de  fusils  à  pierre  sur  lesquels  le  bey  était  volé  de  30  à 
40%.  Il  fallut  les  mettre  au  rebut  bientôt,  obtenir  du  gouvernement  français  la  cession 
de  dix  mille  fusils  rayés  du  dernier  modèle  185742. 

Le  bey  fit  construire  à  ses  frais,  sur  un  terrain  qu'il  concéda  gracieusement,  avenue 
de  la  Marine,  un  nouvel  hôtel  consulaire  français,  pour  remplacer  le  vétusté  fondouk  où 
le  consul  s'abritait  jusqu'alors^^.  Confiés  à  l'ingénieur  français  Colin,  les  travaux  étaient 
terminés  en  1861  et  le  bey  venait  remettre  lui-même  l'hôtel  consulaire  à  Léon  Roches. 
L'entreprise  avait  coûté  680.000  francs  ;  il  fallut  construire  à  La  Marsa  une  villa  d'été  pour 
le  consul  d'Angleterre  ;  aménagement  et  reconstruction  des  divers  hôtels  consulaires 
revinrent  au  total  à  deux  millions^^. 

Le  khaznadar  faisait  concéder  à  la  France,  le  24  octobre  1859,  le  droit  d'établis 
un  réseau  télégraphique  dans  la  Régence,  entre  Tunis  et  l'Algérie.  Du  moins,  cette 
entreprise  ne  devait-elle  rien  coûter  aux  finances  du  bey,  car  le  ministère  de  l'Algérie 
prenait  tous  les  frais  à  sa  charge.  En  1860,  l'ingénieur  Dubois  ouvrait  la  première  route 
empierrée  de  la  Régence,  celle  de  Tunis  au  Bardo,  longue  de  quatre  kilomètres.  Plus 
spectaculaire,  mais  plus  onéreuse  aussi  devait  être  la  restauration  de  l'aqueduc  de 
Carthage,  dirigée  par  Colin.  Les  travaux  qui  devaient  coûter  sept  millions  revenaient  en 
fait  à  près  de  douze  millions^s.  Le  premier  ministre  encourageait  les  dépenses,  exigeait 
des  entrepreneurs  des  commissions  élevées  pour  lui-même  et  pour  ses  agents.  Mais, 
quand  venait  le  moment  de  payer,  il  suscitait  des  difficultés,  contestait  la  valeur  ses 
travaux,  proposait  des  réductions.  Colin  se  plaignait  de  n'avoir  reçu  que  5.937.000  francs 


39  Arch.  Rome.  Fasciotti  à  Ricasoli.  n°  6.  Tunis,  16  novembre-1861. 

40  A.  E.  Tunis,  vol.  20.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  21  octobre  1860. 

Roches  évaluait  le  déficit  laissé  par  Mohammed  Bey  à  19  millions  de  piastres,  non  compris  les  dépenses 
engagées  pour  les  grands  travaux. 

41  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  17.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  17  août  1867  (Rappel  de  la  situation  financière]. 

42  Ibid.  Dép.  pol.  n°  29,  32  et  35  de  Roches  à  Walewski.  Tunis,  16  décembre  1859,  4  février,  17  mars  1860. 

43  P.  Grandchamp  Lefondouk  des  Français  à  Tunis.  R.T.  1928. 

44  Arc.  Rés.  Consulats.  Annexe  à  dép.  du  29  septembre  1866  :  note  confid.  sur  la  situation  financière  et  politique 
de  la  Tunisie  de  1859  à  1866. 

45  Dans  son  ouvrage.  Ben  Dhiaf  revient  à  plusieurs  reprises  (chap.  VII,  année  1275  ;  chap.  VIII,  années  1279  et 
1283)  sur  les  dépenses  occasionnées  par  la  restauration  de  Paqueduc,  dépenses  qui,  selon  lui,  auraient  été 
la  raison  principale  des  difficultés  financières  de  l'Etat. 

Il  laisse  également  entendre  que  Léon  Roches  aurait  été  intéressé  par  Colin  dans  les  bénéfices  que  devait  lui 
procurer  cette  entreprise  (chap.  VII,  année  1275),  assertion  qui  fut  reprise  par  Wood  de  façon  moins  précise 
(F.  0.102/68  et  102/115). 


127 


L'aqueduc  de  Zaghouan 
(Chassiron,  op.  cit). 


en  espèces  et  le  reste  en  teskérés  qu'il  ne  pouvait  négocier  qu'à  perte,  d'être  assailli  d'une 
légion  de  fonctionnaires  tunisiens  venant  lui  extorquer  un  hakchich^^.  En  janvier  1864, 
le  khaznadar  faisait  remettre  au  consulat  de  France  1.046.712.28  francs  en  teskérés, 
pour  reliquat  des  travaux  dûs  à  Colin  ;  mais  celui-ci  n'acceptait  pas  les  comptes  et  la 
contestation  devait  durer  jusqu'en  1875"^^. 

«L'aqueduc  de  Zaghouan  qui  a  coûté  déjà  11  millions  de  piastres  est  terminé,  mais  la 
distribution  des  eaux  dans  la  ville  n'a  pas  été  faite.  Mécontent,  à  tort  ou  à  raison,  du  prix 
élevé  et  de  la  qualité  des  travaux,  le  Gouvernement  a  refusé  de  donner  à  l'entrepreneur 
français  de  l'aqueduc,  l'entreprise  de  la  distribution  des  eaux.  Avec  l'indolence  des 
Maures,  il  est  à  craindre  que  l'aqueduc  ne  soit  en  ruines  avant  que  l'eau  venue  à  de  si 
grands  frais  ne  soit  utilisée^®».  La  compagnie  française  Davril  enlevait  cependant,  en 
septembre  1862,  l'adjudication  des  derniers  travaux"^^. 

L'argent  manquait,  et  le  khaznadar  multipliait  les  expédients  :  les  fonctionnaires, 
l'armée  n'étaient  plus  payés  que  de  loin  en  loin.  Fournisseurs  et  créanciers  du 
gouvernement  devaient  se  contenter  de  teskérés,  bons  de  paiement  qui  s'étaient  jamais 
honorés  et  qu'il  fallait  brocanter,  après  des  semaines  ou  des  mois  de  vaine  attente 
chez  quelque  courtier  israélite.  Le  khaznadar  abusait  de  ces  traites  sur  l'avenir  et 
encourageait  d'étranges  marchandages  ;  lorsqu'un  porteur  de  teskérés  implorait  un 
paiement,  on  lui  répondait  invariablement  :  «Nous  n'avons  pas  pour  le  moment  de  quoi 
vous  payer  ;  revenez  dans  quelques  jours.  Ce  temps  écoulé,  le  pauvre  diable  se  présentait 
de  nouveau  et  n'obtenait  qu'une  nouvelle  promesse  pour  un  peu  plus  tard.  Et  les  paiements 
étaient  ainsi  différés  de  jour  en  jour  et  de  mois  en  mois.  Dans  le  cas  oû  le  porteur  à  bout 
de  patience  insistait  pour  être  payé...  le  receveur  en  chef  lui  répondait  :  La  Caisse  du 


46  Tchihatcheff.  Espagne,  Algérie,  Tunisie,  Paris,  1880,  p.  505. 

47  Arch.  Rés.  Comm.  N°9,  5  janvier  1864,  dép.  citée  par  M.  Emerit  (Rev.  •  Afr.  1952,  p.  199).  Ibid.  Chancellerie, 
16  juin  1864. 

48  Arch.  Guerre.  Lt-colonel  Campenon  au  maréchal  Randon,  ministre  de  la  Guerre  à  Paris.  Tunis  31  mai  1861, 
cité  par  P.  Grandchamp  :  La  révolution  de  1864  en  Tunisie,  op.  cit  vol.  pp.  XIII  et  XIV. 

49  Arch.  Rome.  Aff.  in  genere  n°  38.  Fasciotti  à  Melegari,  Tunis,  23  septembre  1862. 


128 


GOUVERNEMENT  est  vide.  Or,  il  ne  mentionnait  Je  vide  de  la  caisse  du  Gouvernement 
que  pour  faire  entendre  qu'il  pourrait  payer  avec  l'argent  de  sa  caisse  personnelle,  et 
l'on  comprend  que  ce  paiement  n'avait  lieu  que  moyennant  déduction  d'une  partie  du 
montant  des  teskérés. 

«Le  porteur  pressé  par  le  besoin  se  décidait  alors  à  sacrifier  le  quart  ou  le  tiers  de  la 
somme  portée  par  le  teskéré,  et  souvent  même,  suivant  les  circonstances,  il  n'en  recevait 
effectivement  que  la  moitié  ou  même  le  quart...  Alors,  riches  et  pauvres,  grands  et  petits 
devinrent  également  victimes  de  ce  brigandage  financier,  tout  porteur  d'un  teskéré 
quelconque  se  trouvait  forcément  réduit  à  le  vendre  à  l'un  des  courtiers  du  Caïd  Nissim^o». 
«C'est  ainsi  qu'on  a  vu  le  Caïd  Nissim  ne  payer  que  30%  de  teskérés  qu'il  inscrivait 
ensuite  pour  leur  montant  intégral  dans  ses  comptes  avec  le  gouvernemental». 

Les  embarras  financiers  de  l'Etat  provoquaient  des  faillites  à  Tunis,  rendaient 
difficile  la  situation  des  petits  fonctionnaires.  Ils  posaient  aussi  la  question  plus  grave 
des  dettes  des  princes  de  la  famille  beylicale.  Les  trois  frères  cadets  du  bey,  Taïeb,  Tahar 
et  El  Adel,  son  cousin  Lamine,  menaient  une  vie  dissolue.  Ils  empruntaient,  achetaient 
à  crédit,  hypothéquaient  leurs  biens.  Le  khaznadar  n'avait  pas  pour  eux  les  mêmes 
égards  que  pour  le  bey  du  camp  :  il  ne  les  aidait  pas,  par  des  cadeaux,  à  soutenir  leur 
train  de  vie.  Bientôt,  les  princes  eurent  des  dettes  considérables.  Incapables  de  les 
payer,  ils  renvoyaient  au  bey  leurs  créanciers.  En  décembre  1859,  le  bey  s'était  décidé 
à  régler  environ  900.000  piastres  dues  par  les  princes  de  sa  famille.  Mais  il  leur  avait 
fixé  à  chacun  une  pension  mensuelle  de  5.000  piastres  et,  pour  prévenir  le  retour  d'une 
situation  semblable,  il  avait  fait  avertir  les  commerçants  de  Tunis,  par  une  circulaire  du 
22  décembre  adressée  aux  consuls,  qu'à  l'avenir  il  ne  reconnaîtrait  ni  ne  paierait  plus 
aucune  dette  des  princes. 

Mais  les  princes  n'avaient  rien  changé  à  leur  genre  de  vie.  Une  pension  de  5.000 
piastres  était  manifestement  insuffisante  pour  leur  permettre  de  tenir  leur  rang.  Tous 
avaient  femmes,  esclaves,  et  les  intendants  juifs  à  leur  service  s'enrichissaient  à  leurs 
dépens.  Les  pensions  elles-mêmes  n'étaient  payées  qu'irrégulièrement,  avec  des  retards 
souvent  considérables.  Malgré  leurs  plaintes,  les  princes  n'étaient  guère  mieux  traités 
que  les  créanciers  du  gouvernement.  Ils  recommencèrent  à  s'endetter  dangereusement. 
Plus  les  mois  passaient  et  plus  leur  situation  devenait  difficile.  Ils  ne  trouvaient  prêteur 
qu'à  des  conditions  léonines  et  les  usuriers  de  la  place  ne  leur  accordaient  du  crédit 
qu'à  des  taux  de  50  et  100%.  A  la  fin  de  1863,  la  dette  globale  des  quatre  princes  étaient 
estimée  à  trois  millions  de  piastres  environ,  plus  de  douze  fois  leur  pension  annuelle. 
Les  créanciers  s'adressaient  vainement  au  caïd  Nessim,  au  khaznadar.  Celui-ci  refusait 
tout  compromis  et  déclarait  s'en  tenir  aux  termes  de  la  circulaire  de  1859^2 

Les  opérations  sur  la  monnaie  étaient  pour  le  premier  ministre  et  pour  son  trésorier 
la  source  d'autres  spéculations.  Tunis  était  inondée  d'une  mauvaise  monnaie  de  cuivre 
dont  les  arrêtés  beylicaux  modifiaient  périodiquement  la  valeur^s  ;  le  gouvernement 
payait  en  cuivre,  mais  les  commerçants  n'acceptaient  plus  le  billon  que  sous  réserve  de 
réductions  considérables,  suivant  un  cours  du  jour  qui  s'établissait  de  bouche  à  oreille 
dans  le  grouillement  cosmopolite  de  la  piazza  Marina. 


50  F.  0.102/101.  Exposé  des  réclamations  du  gouvernement  tunisien  contre  lefeu  caïd  Nissim  Semama,  op.  cit  pp. 
12  et  13. 

51  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

52  Arch.  Rome.  Dép.  de  Gambarotta.  Tunis,  26  décembre  1863. 

53  Protestations  des  consuls  à  leurs  gouvernements,  en  1863  et  1864. 


129 


Le  bey  empruntait  maintenant  à  son  receveur  général,  qui  faisait  fructifier  le 
produit  de  ses  vols  à  12  et  13%  l'an.  Le  caïd  Nessim  imitait  fidèlement  l'exemple  de 
Benaïad  :  il  se  faisait  adjuger  les  fermes,  trafiquait  des  produits  d'exportation,  des 
monnaies,  des  paiements,  déployant  une  activité  intense  et  faisant  montre  des  plus 
belles  qualités  d'imagination.  «11  conserva...  pendant...  quinze  ans,  au  même  prix  de 
300.000  piastres,  la  ferme  de  la  douane  d'importation  de  Tunis  ;  ce  fut  inutilement  que 
d'autres  personnes  offrirent  au  gouvernement...  trois  ou  quatre  fois  plus  ;  il  conserva 
son  privilège.  11  est  vrai  qu'il  a  plus  tard  expliqué  cette  bizarrerie  en  disant  que  cette 
ferme  appartenait  en  réalité  au  ministre  dont  il  n'avait  été  que  le  prête-nom»^^.  Le 
caïd  Nessim  «se  faisait  délivrer...  un  amra  pour  la  sortie  de  10.000  métaux  d'huile 
par  le  port  de  Sousse  par  exemple  ;  quelques  jours  après,  il  disait  qu'il  n'y  avait  pas  à 
Sousse  d'huile  pour  l'exportation»  mais  qu'il  y  en  avait  ailleurs  à  Sfax  ou  Mahdia,  «et 
il  demandait,  qu'en  remplacement  de  l'amra  précédent,  on  lui  en  délivrât  de  nouveaux 
pour  ces  dernières  villes  ;  il  emportait  les  derniers  amras,  mais  il  oubliait  de  rendre 
les  anciens,  de  même  que  le  ministère  oubliait  de  les  lui  réclamer»  ;  Nessim  exportait 
20.000  métaux  d'huile  (4.800  hectolitres,  mesure  de  Sousse)  et  n'en  faisait  porter  que 

10.000  dans  les  comptes  du  gouvernements^ 

En  1860,  le  bey  devait  dans  le  pays  19  millions  de  piastres  environ  (11.875.000 
francs).  Pour  les  rembourser,  Mustapha  s'adressa  au  caïd  Nessim,  auquel  il  donna,  en 
échange,  des  teskérés  dont  celui-ci  négocia  une  partie  sur  la  place  de  Tunis.  Lorsque  les 
teskérés  venaient  à  échéance,  ils  étaient  simplement  renouvelés  et  grossis  des  intérêts. 
De  mois  en  mois,  la  dette  s'accroissait  à  un  rythme  accéléré  ;  le  gouvernement  contractait 
encore,  auprès  des  négociants,  quelques  petits  emprunts  au  taux  moyen  de  12%  ;  la 
dette  s'élevait,  en  1862,  à  28.026.983  francs^'".  C'est  alors  que  le  khaznadar  songea  à 
conclure  un  emprunt  à  l'étranger. 

3  -  L'appel  au  crédit  étranger 

A  Paris,  à  Londres,  l'argent  était  abondant  et  bon  marché.  Les  capitaux  accumulés 
par  l'épargne,  par  les  bénéfices  du  commerce  et  de  l'industrie,  devaient  se  contenter 
d'une  rémunération  toujours  inférieure  à  6%  l'an.  Les  emprunts  d'Etat  n'offraient  guère 
plus  de  4  à  5%  et  les  gouvernements  pouvaient  se  permettre  des  conversions  sans 
risquer  de  désorganiser  leurs  trésoreries. 

Londres  était  toujours  le  premier  marché  de  capitaux  du  monde.  Les  Anglais 
investissaient  volontiers  à  l'étranger.  Dans  la  première  moitié  du  XIX™®  siècle,  ils  avaient 
dirigé  la  construction  de  chemins  de  fer  en  Europe  occidentale,  aux  Etats-Unis  ;  ils 
avaient  participé  à  l'industrialisation  de  la  France  et  de  la  Belgique,  à  la  mise  en  valeur 
de  la  Ruhr,  des  mines  suédoises.  Des  compagnies  anglaises  installaient  le  gaz  et  l'eau 
dans  les  principales  villes  du  continent.  Les  emprunts  d'Etat  n'étaient  pas  négligés  :  ils 
assuraient  le  plus  souvent  à  l'industrie  anglaise  de  grosses  commandes  de  la  part  des 
gouvernements  emprunteurs. 


54  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

La  douane  de  Tunis  rapportait  près  de  700.000  piastres,  sous  l'administration  de  la  Commission  financière 
de  1870  à  1873,  période  d'économies. 

55  Ibid.  -  Dans  cette  partie  de  son  rapport,  Villet  ne  suit  pas  un  ordre  chronologique  rigoureux  ;  il  cite  sans 
les  dater  les  exemples  qu'il  avance  :  les  faits  concernant  la  gestion  du  caïd  Nessim  paraissent  cependant  se 
rapporter  au  début  du  règne  de  Mohammed  es  Sadok. 

56  Dette  générale  du  gouvernement  tunisien,  brochure  publiée  à  Paris  en  1871  par  la  Commission  financière. 


130 


Depuis  le  milieu  du  siècle,  les  capitalistes  anglais  s'intéressaient  moins  à  l'Europe 
occidentale  où  ils  commençaient  à  rencontrer  la  concurrence  de  rivaux  français,  belges, 
voire  allemands.  La  crise  américaine  de  1857,  bientôt  la  guerre  de  Sécession,  les 
détournèrent  pour  un  temps  des  Etats-Unis.  Ils  investirent  alors  dans  les  pays  moins 
évolués  de  l'Europe  orientale  et  de  l'Amérique,  en  Egypte  et  en  Turquie.  Mais  c'est  dans 
leur  domaine  colonial  qu'ils  portèrent  tous  leurs  efforts.  Le  Canada  développait  ses 
chemins  de  fer.  A  partir  de  1857,  un  gros  appel  d'argent  vint  des  Indes  où  lord  Dalhousie 
lançait  la  construction  d'un  vaste  réseau  ferré,  en  faisant  offrir  par  le  gouvernement  des 
garanties  d'intérêt  aux  compagnies.  Presque  chaque  année,  le  gouvernement  de  Delhi 
plaçait  un  nouvel  emprunt  en  bourse  de  Londres,  qui  servait  à  financer  le  programme 
de  grands  travaux.  Plantations  de  thé,  usines  de  jute,  banques,  sociétés  financières 
drainaient  également  les  capitaux  britanniques.  De  1854  à  1869,150  millions  de  livres 
furent  ainsi  investis  dans  les  Indes  par  les  Anglais®^. 

A  partir  de  1860,  de  nouveaux  appels  au  crédit  étaient  lancés  sur  le  marché  de 
Londres,  qui  vinrent  s'ajouter  aux  demandes,  devenues  régulières,  du  gouvernement 
de  Delhi.  Les  chantiers  navals  britanniques  avaient  besoin  de  fonds  pour  s'adapter  au 
lancement  des  navires  de  métal.  La  famine  de  coton  du  Lancashire  contraignait  les 
industriels  de  Manchester  à  encourager  des  producteurs  nouveaux  en  Egypte  et  dans 
l'Empire.  En  Europe,  les  menaces  de  guerre  poussaient  les  gouvernements  à  réarmer, 
donc  à  emprunter  :  après  la  Russie  et  le  Danemark,  l'Autriche  et  l'Italie  devaient 
s'adresser  à  la  bourse  de  Londres.  D'Amérique  venaient  les  appels  des  Sudistes  qui 
obtenaient  de  l'Angleterre  et  de  la  France  une  avance  de  trois  millions  de  livres.  Toutes 
ces  circonstances  firent  qu'entre  1860  et  1866,  l'argent,  plus  rare,  devint  relativement 
très  cher.  La  situation  financière  était  instable,  le  loyer  de  l'argent  subissait  de  brusques 
variations.  Le  taux  d'escompte  de  la  Banque  d'Angleterre  traduisait  ces  fluctuations  :  du 
15  novembre  1860  au  11  avril  1861,  en  février  1863,  il  atteignait  ou  dépassait  5%^®.  Sans 
doute  étaient-ce  là  des  conditions  bien  différentes  de  celles  des  usuriers  tunisiens.  Mais 
pour  obtenir  quelque  succès  sur  le  marché  de  Londres,  le  gouvernement  du  bey  qui  ne 
présentait  pas  des  garanties  comparables  à  celle  des  Etats  européens  ou  de  l'Inde,  devait 
offrir  un  intérêt  au  moins  aussi  élevé  que  le  gouvernement  du  khédive  qui  empruntait, 
en  1862,  au  taux  de  7%59. 

La  France  impériale  était  devenue  prêteuse  depuis  quelques  années,  et  Paris 
apparaissait  comme  une  place  rivale  de  Londres  sur  le  marché  des  capitaux.  L'évolution 
avait  été  plus  tardive  qu'en  Angleterre,  mais  la  diminution  rapide  du  taux  de  l'intérêt  en 
France,  où  l'effort  d'équipement  industriel  avait  été  moins  grand,  engageait  les  financiers 
à  rechercher  au  dehors  des  placements  plus  avantageux  pour  leurs  capitaux.  A  Paris, 
depuis  1854,  la  rente  perpétuelle  3%  se  négociait  couramment  à  68  ou  70  francs  pour  un 
intérêt  effectif  de  moins  de  4,5%  l'an.  Les  valeurs  mobilières  à  revenu  fixe  rapportaient 
entre  5  et  5,5%,  et,  sans  offrir  beaucoup  plus,  les  compagnies  de  chemins  de  fer  français 
plaçaient  aisément  leurs  emprunts  sur  le  marché  financier. 

Depuis  cinq  ou  six  ans  le  loyer  de  l'argent  tendait  encore  à  s'abaisser  :  en  1858,  le 
P.  L.  M  avait  émis  pour  44  millions  d'obligations  au  taux  moyen  de  5,79%  ;  en  1862,  il 
en  émettait  pour  159  millions  au  taux  de  5,35%,  63  millions  encore,  l'année  suivante. 


57  Jenks  :  The  migration  ofBritish  capital  to  1875.  New  York,  1927,  p.  196.  -  Clapham  :  An  économie  history  of 
England.  Cambridge,  1926,  vol.  2,  p.  238. 

58  Jenks.  op.  cit  p.  253. 

59  Fait  signalé  déjà  par  Santillana  en  1857  (F.O.  335/111/1.  Santillana  à  Wood.  Livourne  22  mai  1857], 


131 


à  5,27%.  Le  cours  moyen  des  obligations  négociées  en  bourse  de  Paris  s'élevait 
sensiblement  tandis  que  diminuait  d'autant  leur  revenu  effectif  :  5,40%  en  1857  ;  4,98% 
en  1862  et  18636°. 

Déjà  d'importants  groupes  financiers  se  tournaient  vers  les  Etats  de  l'Europe 
centrale  ou  orientale,  voire  même  vers  des  pays  coloniaux.  Les  Péreire,  alors  à  l'apogée 
de  leur  fortune^b  développaient  leurs  entreprises  en  Espagne,  renflouaient,  en  1863, 
un  Crédit  Mobilier  turinois  en  déconfiture.  La  compagnie  du  P.  L.  M.  rachetait  les  voies 
ferrées  d'Algérie.  Le  Crédit  Foncier  de  France  réorganisait,  en  1863,  le  Crédit  Colonial 
qu'il  avait  fondé  trois  ans  plus  tôt. 

Le  domaine  colonial  français,  alors  réduit  à  l'Algérie  et  à  quelques  colonies 
secondaires,  ne  pouvait  offrir  aux  capitaux  français  des  débouchés  comparables  à  ceux 
que  représentaient  les  Indes  pour  les  Anglais.  Les  intérêts  commerciaux  français  étaient 
également  beaucoup  moins  importants.  Par  nécessité,  les  Français  devaient  prêter 
surtout  à  l'étranger,  par  goût,  ils  souscrivaient  plus  volontiers  aux  emprunts  d'Etat  qui 
jouissaient  alors  dans  le  public  d'une  réputation  bien  établie  de  sécurité.  La  période 
1860-1865  était  pour  la  France  l'âge  d'or  de  la  bourse  et  de  la  spéculation.  «Les  cours 
ne  montaient  pas,  ils  bondissaient».  Tous  les  journaux  avaient  leur  chronique  financière. 
Les  nouveaux  emprunts  trouvaient  facilement  preneur  dans  les  classes  moyennes, 
soucieuses  d'assurer  l'avenir  et  encouragées  déjà  par  des  expériences  favorables.  La 
France  avait  jusqu'alors  prêté  surtout  aux  pays  voisins,  Italie,  Espagne.  A  partir  de  1860 
apparaissent  en  bourse  de  Paris,  où  ils  étaient  introduits  en  même  temps  qu'à  Londres, 
les  emprunts  d'Etats  plus  lointains  :  Pérou,  Mexique,  Confédérés  américains,  et  surtout 
l'envahissante  série  de  ces  emprunts  orientaux  qu'on  allait  bientôt  désigner  du  nom 
pittoresque  de  valeurs  à  turban^^.  Pour  allécher  le  public,  on  offrait  6  ou  7%  d'intérêt, 
au  lieu  de  4  ou  5%,  et  la  souscription  était  couverte  en  quelques  jours.  On  parlait  de  la 
Turquie  et  de  l'Egypte  comme  de  terres  promises  pour  les  capitaux. 

Le  khaznadar  pouvait  espérer  un  accord  facile  et  une  rapide  mobilisation  des 
capitaux  dont  il  avait  besoin,  grâce  à  l'organisation  savante  de  la  publicité  financière. 
Les  propositions  ne  manquaient  pas.  A  Tunis,  comme  au  Caire  ou  à  Constantinople, 
nombreux  étaient  les  aventuriers  de  la  finance  qui  venaient  offrir  leurs  services  aux 
gouvernements  locaux.  C'étaient  des  Juifs  allemands  pour  la  plupart,  venus  de  Francfort 
ou  de  Mayence  à  la  recherche  d'affaires  fructueuses  que  ne  leur  disputeraient  pas  les 
grosses  maisons  de  banque,  il  était  facile  de  faire  miroiter  les  avantages  d'un  emprunt 
en  Europe  :  on  pourrait  ainsi  racheter  à  meilleur  compte  une  dette  locale  aux  taux 
usuraires,  se  débarrasser  des  bons  du  Trésor  et  des  assignations  en  nature  que  des 
administrations  imprévoyantes  avaient  émis  sans  retenue,  serghis  en  Egypte,  teskérés 
en  Tunisie.  On  parlait  de  grands  travaux,  de  routes,  de  canaux,  de  plantations  de  coton 
aussi,  dont  on  laissait  entrevoir  des  bénéfices  fabuleux.  Le  banquier  trouvait  de  l'argent 
assez  facilement  à  Paris  ou  à  Londres,  ou  sur  les  deux  places  à  la  fois,  en  offrant  un 


60  Leonidas  Loutchich  :  Allure  et  mécanisme  des  variations  du  taux  de  l'intérêt  en  France,  de  1800  à  nos  jours. 
Paris  ;  1930,  pp.  39-50 

61  «De  frères  à  neveu  et  à  gendre,  le  clan  Pereire  -  Thurneyssen  a  la  main  sur  une  cinquantaine  de  compagnies 
et  sur  près  de  5  milliards  de  francs»,  [Georges  Duchêne  :  La  spéculation  pp.  35-37).  En  1863,  ils  occupaient 
37  postes  d'administrateur  de  compagnies  (d'après  Dupont-Ferrier  :  Le  marché  financier  sous  le  second 
Empire). 

62  1862  :  emprunt  péruvien;  1863  emprunt  des  Confédérés.  Emprunts  ottomans  de  1854,  1855,  1858,  1860, 
1862,1863,  au  total,  plus  de  750  millions  de  francs,  placés  tant  à  Londres  qu'à  Paris  (A.  E.  Turquie,  vol.  364. 
Annexe  n°  5  à  dép.  de  Moustier.  Constantinople,  11  mars  1865)  ;  emprunt  égyptien  de  1863. 


132 


taux  d'intérêt  plus  élevé  que  la  moyenne.  11  revendait  cet  argent  au  gouvernement  local 
avec  un  large  bénéfice  et  en  se  gardant  bien  d'engager  ses  fonds  personnels.  Si  l'affaire 
était  d'importance,  il  trouvait  quelques  compères  et  formait  un  syndicat.  Le  banquier 
suggérait  quelques  fournitures,  des  armes,  du  matériel,  au  lieu  de  conseiller  l'économie 
et  de  s'inquiéter  du  service  régulier  de  l'emprunt.  De  rachat  de  la  dette  locale,  il  n'était 
bientôt  plus  question.  Banquiers,  ministres  et  leurs  gens  s'entendaient  pour  piller 
effrontément  :  les  achats  n'étaient  que  prétexte  à  grasses  commissions  pour  tous  les 
intermédiaires.  D'un  premier  emprunt,  on  passait  tout  naturellement  à  un  second, 
puis  à  un  troisième.  La  presse  européenne  chantait  les  louanges  du  prince,  vantait  les 
richesses  de  son  Etat,  et  le  bon  public  se  hâtait  de  profiter  de  garanties  si  sérieuses  et 
d'intérêts  aussi  élevés^^. 

Les  affaires  allaient  ainsi  trois  ans,  cinq  ans...  puis  un  jour,  tout  s'écroulait  d'un  coup. 
Le  public  finissait  par  s'inquiéter  d'emprunts  répétés,  il  boudait  une  nouvelle  émission. 
Bientôt,  le  gouvernement  suspendait  ses  paiements.  Les  cours  de  bourse  s'effondraient. 
Les  malheureux  souscripteurs  se  retrouvaient  avec  un  papier  déprécié,  ayant  tout  perdu 
à  la  fois,  capital  et  intérêts.  Un  parti  baissier  lançait  alors  une  campagne  de  dépréciation 
pour  accentuer  la  panique  boursière.  Le  plus  souvent,  les  banquiers  qui  avaient  patronné 
les  emprunts  menaient  le  jeu. 

«Quand  au  bout  de  plusieurs  années  d'avilissement,  les  titres  invendables  ont  été 
complètement  oubliés,  alors  quelque  chiffonnier  de  la  finance,  -  un  Erlanger,  ou  un 
Camondo,  -  les  ramasse  à  petit  bruit,  puis  ne  tarde  pas  à  prouver  à  un  Rothschild,  qui  le 
répète  à  son  Léon  Say,  lequel  le  démontre  bien  vite  au  gouvernement,  qu'il  y  a  un  «bon 
coup  à  faire»  en  relevant  le  crédit  public  et  en  protégeant  les  pauvres  porteurs  de  fonds 
étrangers. 

«Les  gouvernements  sont  très  dociles  aux  arguments  «logiques»  surtout  quand  la 
finance  y  ajoute  des  sonorités  dorées  ;  aussi  s'empressent-ils,  alors,  d'intervenir  avec 
des  armements  payés  par  les  contribuables,  et  le  tour  est  joué  i^^».  Si  l'affaire  ne  se 
compliquait  pas  d'une  lutte  entre  groupes  rivaux,  une  transaction  finissait  toujours  par 
intervenir.  En  bourse,  les  cours  remontaient  et  les  spéculateurs  pouvaient  alors  revendre 
aux  conditions  les  plus  avantageuses. 

Mais,  pour  obtenir  l'admission  d'emprunts  douteux  à  la  cote  de  Paris^^,  pour 
entraîner  le  gouvernement  à  soutenir  de  mauvaises  créances,  il  avait  fallu  payer  des 
campagnes  de  presse  et  s'assurer  des  concours  dans  les  milieux  politiques.  Ces  affaires 
orientales  engendraient  tout  naturellement  une  collusion  étroite  entre  financiers 
et  députés  d'affaires.  Dans  les  capitales  européennes,  elles  se  déroulaient  dans  une 
atmosphère  de  corruption  aussi  pénible,  sinon  moins  cynique  qu'à  Constantinople,  au 
Caire  ou  à  Tunis. 

Les  valeurs  à  turban,  bientôt  tristement  célèbres,  n'allaient  pas  tarder  à  provoquer 
la  ruine  et  la  mise  en  tutelle  des  souverains  orientaux,  trop  avides  et  trop  imprudents. 

Mais,  de  tout  cela,  le  khaznadar  ne  se  souciait  pas.  11  voulait  beaucoup  d'argent,  tout 
de  suite  et  à  des  conditions  avantageuses.  En  1860  déjà,  des  projets  d'emprunt  avaient 


63  «Ces  emprunts  d'Etat  qui  font  lors  de  leur  émission,  la  fortune  des  concessionnaires  et  des  banquiers,  c'est 
presque  toujours  les  petites  bourses  qui  les  souscrivent»  {Emprunt  tunisien  de  1865.  Compte  rendu  de  la 
réunion  générale  des  porteurs  d'obligations...  Paris,  1867,  p.  7). 

64  Chirac  :  L'agiotage  de  1870  à  1884,  1^'^  partie.  Paris,  1887,  p.  74. 

65  A  Paris,  elle  était  subordonnée  à  une  autorisation  délivrée  par  le  ministre  des  Finances. 


133 


failli  aboutir.  La  maison  Devaux,  de  Paris®®,  proposait  l'émission  de  80.000  obligations 
de  500  francs,  rapportant  3%  l'an.  Mais  les  conditions  de  l'émission  étaient  onéreuses  : 
les  obligations,  prises  à  forfait  par  les  banquiers  sur  la  base  de  240  francs  l'une,  ne 
fourniraient  qu'une  somme  de  19.200.000  francs  dont  le  gouvernement  devait  se  libérer, 
capital  et  intérêts  réunis,  par  31  annuités  de  deux  millions.  11  fallait  compter  encore  avec 
des  prélèvements  variés,  commission,  frais  d'émission,  que  le  projet  mettait  à  la  charge 
du  gouvernement,  soit  un  minimum  de  deux  millions  et  demi.  Au  total,  le  gouvernement 
ne  percevrait  guère  plus  de  seize  millions  et  demi®^.  C'étaient  là  des  conditions  presque 
aussi  dures  que  celles  des  prêteurs  locaux,  puisque,  en  définitive,  les  banquiers  n'offraient 
de  l'argent  au  bey  qu'à  un  taux  voisin  de  12%®^.  La  négociation  avait  été  rompue. 

En  mars  1862,  le  baron  de  Bonnemains  venait  offrir  au  gouvernement  tunisien  des 
capitaux  anglais  pour  financer  les  travaux  publics  de  la  Régence®^.  Sur  l'invitation  de  son 
ministre,  Léon  Roches  restait  étranger  à  la  négociation.  «De  Bonnemains,  accompagné 
de  son  beau-frère,  M.  Staub,  administrateur  des  chemins  de  fer  algériens^**  et  de  M. 
Wallace,  ingénieur  anglais  représentant  M.M.  Morton  et  Peto^b  concessionnaires  des 
dits  chemins  de  fer,  s'est  adressé  à  M.  Wood  qui  a  promis  son  concours  pour  un  prêt 
de  20  millions  de  francs  au  taux  de  12%  par  an  y  compris  l'amortissement  dont  10 
millions  pour  rembourser  la  dette  contractée  par  le  gouvernement  tunisien  envers  le 
Caïd  Nessim,  banquier  et  receveur  général  de  l'Etat,  à  des  conditions  assez  onéreuses, 
10  millions  pour  le  chemin  de  fer  du  Bardo  et  Tunis  à  La  Goulette,  la  route  de  Tunis  à 
Bedja,  la  canalisation  de  la  Medjerdah,  et  la  distribution  de  l'eau  de  Zaghouan^^»  pg 
gouvernement  tunisien  paraissait  séduit  de  cette  proposition  :  à  raison  de  2.400.000 
francs  par  an,  il  rembourserait  en  trente  ans  sa  dette  de  dix  millions  et  pourrait  consacrer 
dix  millions  aux  travaux  publics. 

Roches  qui  aurait  appuyé  un  projet  émanant  d'une  société  française,  s'opposa 
officieusement  à  celui-là  :  «Bonnemains  et  Staub  sont  des  spéculateurs  associés  à  des 
maisons  anglaises  très  puissantes  et  qui  s'inquiètent  peu  des  questions  politiques 
soulevées  par  leurs  propositions.  Ainsi  le  chemin  de  fer  de  La  Goulette  serait  construit 
par  des  Anglais»^^  pg  consul  italien  Fasciotti  prenait  la  même  attitude^^.  Le  5  mai.  Roches 


66  Ainsi  qu'il  ressort  de  la  correspondance  échangée  entre  le  baron  James  de  Rothschild  et  le  khaznadar  (Arch. 
Tun.  Doss.  319,  carton  113  ;  Rothschild  au  khaznadar.  Paris,  25  juillet  1860).  Le  projet  de  contrat  imprimé 
(Emprunt  national  de  la  Régence  de  Tunis.  Paris,  1860)  ne  mentionne  ni  le  nom  de  la  banque,  ni  celui  du 
concessionnaire. 

67  Les  prélèvements  à  déduire  du  produit  de  l'emprunt  s'élevaient  à  2.536.000  Fr.  Il  fallait  encore  y  ajouter  le 
montant  du  courtage  prévu  pour  le  commissaire,  qui  n'était  pas  précisé  dans  le  projet. 

68  D'après  la  formule  des  intérêts  composés 
S  fl+rl2"  =  a  f4+i-l^^*^ 

1  '  —il  ,  S  étant  la  valeur  du  prêt,  n  le  nombre  d'années,  a,  la  valeur  des  versements 

r 

semestriels,  et  2r  l'intérêt  d'un  franc  pendant  un  an.  On  arrive  ainsi  à  un  taux  d'intérêt  approché  de  11,7- 
11,8%. 

69  Les  concessionnaires  éventuels,  Henri  de  Bonnemains,  maire  du  XVP™®  arrondissement,  Alphonse  Staub 
et  William  Gladstone,  banquier  de  la  maison  Thomson,  Bonar  and  Co  de  Londres,  déclaraient  représenter 
les  maisons  Donon,  Aubry  et  Gautier  de  Paris,  Cavan  et  Lubbock  de  Londres  {Arch.  Tun.  Doss.  334,  carton 
113). 

70  La  Compagnie  des  chemins  de  fer  algériens,  en  liquidation  l'année  suivante  (mai  1863),  devait  être  absorbée 
par  le  P.  L.  M.  (D'  après  la  Semaine  financière) 

71  II  doit  s'agir  de  sir  Morton  Peto,  le  financier  anglais  qui  avait  étudié,  en  1859  déjà,  un  projet  de  ligne  Tunis- 
Goulette. 

72  A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Confid.  de  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  22  mars  1862. 

73  Ibid,  même  dépêche. 

74  Arch.  Rome.  Fasciotti  à  Durando,  n®  24.  Tunis,  6  mai  1862. 


134 


pouvait  télégraphier  au  ministre  l'échec  du  baron  de  Bonnemains.  11  était  dû  surtout  à 
une  vive  opposition  dans  les  milieux  du  Bardo  :  le  khaznadar,  en  effet,  avait  convaincu 
le  bey  et  fait  mander  de  Bonnemains  ;  mais  le  caïd  Nessim,  furieux,  mettait  en  avant 
les  capitalistes  de  la  place  et  offrait  un  emprunt  de  dix  millions  de  piastres  à  12%  sans 
amortissement.  Khérédine  et  le  général  Heussein  l'avaient  appuyé,  pour  éviter  toute 
intervention  européenne  dans  les  affaires  de  la  Régence.  «11  vaut  mieux  payer  cher 
l'argent  que  nous  emprunterons  dans  notre  pays,  en  conservant  notre  liberté  d'action, 
que  d'obtenir  des  avantages  matériels  au  prix  de  notre  indépendance»^^.  La  négociation 
avait  été  brutalement  rompue,  de  Bonnemains  décommandé,  et  le  caïd  Nessim  avait 
enlevé  son  emprunt^^. 

Mais  ce  n'était  que  partie  remise.  Si  Mustapha  Khaznadar  avait  dû  céder,  il 
conservait  toute  son  influence  auprès  du  bey.  Le  parti  des  opposants  qui,  au  nom  d'un 
rapprochement  avec  le  sultan,  menait  son  offensive  contre  le  favori,  s'illusionnait  sur 
ses  forces  réelles,  bien  que  vînt  les  renforcer  le  très  conservateur  Mustapha  bach  Agha, 
retour  d'une  mission  à  Constantinople. 

En  décembre  1862,  une  petite  révolution  de  palais  débarrassait  le  premier  ministre 
de  ses  rivaux.  Mustapha  bach  Agha  qui  avait  provoqué  la  crise  en  donnant  sa  démission, 
était  écarté  du  pouvoir  ;  Khérédine  devait  abandonner  le  ministère  de  la  Marine  et  la 
présidence  du  Grand  ConseiF^.  Pendant  neuf  ans  il  se  tint  à  l'écart  des  affaires,  acceptant 
seulement  diverses  missions  qui  le  firent  voyager  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Italie, 
en  France  surtout,  oû  il  fit  un  séjour  prolongé^®.  Le  général  Heussein  se  fit  oublier,  lui 
aussi,  par  de  nombreux  voyages  à  l'étranger  ;  deux  ans  plus  tard,  il  devait  se  démettre  de 
la  présidence  de  la  municipalité  de  Tunis. 

4  -  L'emprunt  de  1863 

Au  début  de  1863,  reprenaient  les  négociations  pour  un  emprunt  étranger.  Au 
Bardo,  nul  ne  gênait  plus  le  khaznadar  qui  avait  installé  ses  créatures  partout,  dans 
les  ministères  comme  au  Grand  Conseil  :  le  général  Roustam,  gendre  et  «enfant  chéri 
du  khaznadar^®»,  à  la  fois  directeur  du  ministère  de  l'Intérieur  et  général  de  la  garde  ; 
Si  Mohammed,  devenu  ministre  de  la  Guerre  après  avoir  abandonné  le  portefeuille 
de  l'Intérieur  ;  Aziz  bou  Attour,  directeur  des  Finances,  le  général  Fahrat,  le  général 
Zarrouk.  Le  colonel  Elias  Mussalli  jouissait  d'une  faveur  croissante  auprès  de  Mustapha 
qu'il  encourageait  dans  une  politique  française.  Léon  Roches  était  reçu  chez  la  belle 


75  A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  17  mai  1862. 

76  Les  obligations  de  cet  emprunt  furent  désignées  sous  le  nom  de  triennales  «parce  qu'elles  laissaient  la 
faculté  de  rembourser  les  porteurs  de  trois  ans  en  trois  ans,  jusqu'à  l'échéance  finale.  (Elles)  furent  émises 
au  pair  et  portaient  des  coupons  annuels  à  raison  de  12%  l'an  en  partant  de  mai  1862».  {Mémorandum  sur 
les  dettes  tunisiennes,  op.  cit.) 

77  Arch.  Rés.  Dép.  Fol.  N°  16.  Roches  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  14  décembre  1862. 

Léon  Roches  se  félicitait  que,  pour  la  première  fois,  un  ministre  eût  pu  être  renvoyé  sans  exécution, 
confiscation  de  biens  ou  emprisonnement.  Ben  Dhiaf  donne  de  l'événement  une  version  différente  de  celle 
des  consuls.  Selon  lui,  Mustapha  bach  Agha  aurait  démissionné  en  raison  de  son  grand  âge.  Sa  retraite 
aurait  entraîné  un  remaniement  ministériel  à  la  faveur  duquel  Mustapha  Khaznadar,  démissionnaire  depuis 
le  5  novembre  1861,  aurait  repris  ses  fonctions  (chap.  VII,  années  1278  et  1279).  Nous  n'avons  retrouvé 
aucune  autre  source  relatant  cette  démission  du  premier  ministre.  Tous  les  auteurs  insistent  au  contraire 
sur  la  continuité  de  son  pouvoir  pendant  37  ans.  Sans  doute  s'agissait-il  d'une  de  ces  fausses  sorties  dont  le 
khaznadar  semblait  coutumier. 

78  A  mes  enfants,  mémoires  de  ma  vie  privée  et  politique,  par  Khérédine  Pacha  (R.  T.  1934,  pp.  186-187). 

79  Arch.  Rés.  Roches  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  2  juin  1863. 


135 


Madame  Elias,  qu'à  Tunis  chacun  lui  donnait  pour  maîtresse®^.  Un  nouveau  venu  avait 
su  se  glisser  dans  l'entourage  du  khaznadar,  supplanter  même  le  caïd  Nessim,  un 
Syrien  arrivé  depuis  peu  dans  la  Régence,  Rochaïd  Dahdah®i,  que  le  consul  de  France, 
de  Beauval,  dépeignait  «fourbe,  astucieux,  avide®^».  Mais  c'étaient  là  précisément  les 
qualités  qui  convenaient  aux  agents  du  premier  ministre.  Mustapha  Khaznadar  ne 
devait  pas  tarder  à  confier  à  Dahdah  des  missions  importantes  et  le  charger  de  gérer 
une  partie  de  sa  fortune. 


80  Une  note  anonyme,  datée  de  1880  ou  1881  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  9,  note  4],  signale  la  valeur 
assez  médiocre,  «la  paresse  et  l'indolence  sans  pareille»  de  Mussalli,  qui  aurait  joué  un  rôle  effacé  sans  sa 
femme. 

Luigia  Mussalli  était  la  fille  aînée  du  négociant  génois  Stefano  Traverso.  Née  à  Tunis,  le  1er  juin  1835,  elle 
avait  seize  ans  et  demi  lors  qu'elle  fut  épousée  par  Mussalli,  le  24  avril  1852,  à  Tunis.  Elle  lui  avait  donné 
trois  enfants,  une  fille  morte  en  bas  âge,  et  deux  fils,  Armando  et  Ricardo  (Reg.  Ste-Croix). 

Elle  avait  18  ans,  lorsqu'elle  vint  pour  la  première  fois  à  Paris  ;  «il  était  impossible  de  voir  une  beauté  plus 
éblouissante...  Aussi  vit-elle  Tout-Paris  à  ses  pieds  de  fée.  Tous  les  jeunes  gens  lui  faisaient  la  cour,  toutes  les 
femmes  la  détestaient.  On  se  battait  pour  elle  et  un  grave  attaché  de  notre  ministère  des  Affaires  Etrangères 
attrapa  en  son  honneur  un  coup  d'épée  qui  lui  traversa  le  poumon  droit  de  part  en  part».  {Ibid.). 

En  1881,  tout  le  monde  s'accordait  encore  à  la  trouver  une  très  belle  femme,  et  Ferdinand  de  Lesseps  tout  le 
premier  (Débats  du  procès  de  VIntransigeant  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  Vol.  I,  p.  70].  A  Tunis,  la  complaisance 
de  Mussalli  était  légendaire;  les  amants  de  sa  femme  ne  se  comptaient  plus. 

81  DAHDAH  (Rochaïd-Joseph),  homme  politique,  négociant  et  lettré  libanais,  fils  du  cheikh  Ghâleb,  né  en  janvier 
1814  à  Aramoun,  village  libanais  situé  à  15  km  au  sud  de  Beyrouth,  naturalisé  Français  par  décret  impérial 
n°  16.394  du  29  août  1863  [Bull.  Lois.  Suppl.  1864  A,  p.  1062),  mort  à  Paris  le  5  mai  1889. 

Les  rapports  consulaires  français  présentent  Dahdah  comme  un  juif.  Ben  Dhiaf  le  dit  Copte,  Khérédine, 
Maronite.  En  fait  il  était  issu  d'une  très  ancienne  famille  de  féodaux  maronites  qui  dominait  un  canton  de  la 
montagne  libanaise  et  qui,  dès  l'époque  des  Croisades  se  serait  distinguée  aux  côtés  des  Francs  dans  la  lutte 
contre  les  Musulmans.  Le  grand-père  de  Rochaïd,  le  cheikh  Salloûm  Dahdah,  exerça  longtemps  les  fonctions 
de  conseiller  auprès  du  gouverneur  chrétien  du  Liban,  sous  les  administrations  turque  puis  égyptienne. 
Rochaïd  qui  avait  fait  de  bonnes  études  dans  les  collèges  catholiques  de  la  région  fut  appelé  aux  mêmes 
fonctions  après  1840.  Mais,  en  1858,  les  paysans  de  la  montagne,  excédés  par  les  exactions  de  leurs  cheikhs, 
se  soulevèrent  contre  eux  et  les  contraignirent  à  quitter  le  pays.  Rochaïd  Dahdah  se  réfugia  en  France  avec 
sa  famille  et  s'installa  près  de  Paris  dans  le  village  de  Saint-Maur-des-Fossés.  Ruiné  par  les  événements,  il  se 
fit  négociant  et  ne  tarda  pas  à  collaborer  à  la  rédaction  d'un  journal  arabe,  le  Byrgys-Barys  (l'Aigle  de  Paris), 
lancé  en  mai  1859  par  l'abbé  Bourgade,  ancien  aumônier  de  Carthage,  qui  venait  de  quitter  la  Tunisie  où  il 
avait  fondé  le  collège  Saint-Louis  ainsi  qu'un  cercle  culturel  franco-musulman,  l'Association  de  Saint-Louis. 
Dahdah  apparut  à  Tunis  au  début  de  1863  ;  il  y  trouva  un  emploi  de  commis  dans  l'administration  beylicale, 
probablement  grâce  aux  recommandations  de  l'abbé  Bourgade.  11  n'était  alors  qu'un  pauvre  hère  sans 
argent  ni  crédit  (Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  20  août  1867)  qu'un  publiciste  dépeignait  comme 
«un  va-nu-pieds  quittant  sans  souliers  un  village  des  environs  de  Paris  pour  atteindre,  en  moins  de  six 
ans,  la  cîme  de  la  fortune»  (G.  Hugelmann  :  Le  conflit  tunisien.  Paris,  1868,  pp.  21-22).  A  Tunis,  il  fut  bientôt 
investi  de  missions  de  confiance  par  le  khaznadar  et  joua  un  rôle  aussi  actif  que  néfaste  dans  les  affaires 
financières  de  la  Régence,  entre  1863  et  1869.  Employé  à  600  francs  par  mois,  il  aurait  amassé  une  fortune 
de  8  millions  en  un  temps  incroyablement  court  (F.  O.  102/99.  Wood  à  Granville.  Tunis,  8  janvier  1874). 
Après  1870,  il  continua  de  s'occuper  d'affaires  financières  à  Paris,  en  liaison  avec  Erlanger  et  le  Comptoir 
d'Escompte,  acheta  la  moitié  d'une  charge  d'agent  de  change  (Lettre  de  Villet  à  Khérédine,  publ.  par  M.  M. 
Mzali  et  Pignon.  Paris,  2  mars  1875.  R.  T.  1940,  p.  80),  tout  en  collectionnant  des  manuscrits  arabes  rares.  Il 
s'était  fait  bâtir  un  bel  hôtel  particulier,  rue  des  Bassins,  l'actuelle  rue  Auguste-  Vacquerie,  dans  le  quartier 
de  l'Etoile,  achetait  des  terrains  à  Dinard  dont  il  fit  une  station  à  la  mode  (Renseignements  fournis  par  M. 
le  Maire  de  Dinard).  Il  avait  pris  ou  acquis  le  titre  de  comte  (transcription  de  sa  dignité  libanaise  de  cheikh, 
selon  M.  B.  Dahdah,  titre  pontifical,  selon  Mme  de  Drée)  et  allié  tous  ses  fils  à  des  familles  nobles  de  Paris.  Il 
était  l'auteur  de  plusieurs  ouvrages  en  arabe  publiés  à  Marseille  et  Paris  entre  1840  et  1880  et  d'un  article 
intitulé  :  Les  colonies  françaises  en  Algérie  et  Tunisie  (Rev.  Afr.  Fr.  1886,  IV,  pp.  340-342). 

(Renseignements  fournis  par  la  marquise  de  Drée,  petite-fille  de  Rochaïd,  par  MM.  j.  Dahdah,  de  Londres,  et 
Badi  Dahdah,  de  Paris  :  Catalogue  des  Manuscrits  Précieux  et  Livres  Rares  arabes  composant  la  bibliothèque 
de  M.  le  Comte  Rochaïd  Dahdah,  par  M-Y.  Bîtâr,  lecteur  à  l'Ecole  des  Langues  orientales.  Paris,  1912,  p.  1;  B. 
Poujoulat  :  La  vérité  sur  la  Syrie...  Paris,  1861,  pp.  54-58  et  470-478). 

Un  frère  de  Rochaïd  était  devenu  archevêque  de  Damas  ;  un  de  ses  cousins,  Elias,  né  à  Aramoun  en  1819, 
négociant  à  Marseille,  fut  naturalisé  Français  en  1870  (Bull.  Lois.  Suppl.  1870,  p.  594), 

82  Arch.  Rés.  Dép.  Pol.  N°  18.  De  Beauval  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  1®^^  avril  1864. 


136 


Le  khaznadar  n'avait  aucune  difficulté  à  faire  autoriser  par  le  Grand  Conseil  un 
emprunt  de  25  millions  de  francs  ;  il  faisait  savoir  aussitôt  à  Paris  et  à  Londres  que  le 
gouvernement  tunisien  était  décidé  à  traiter. 

Dahdah  était  envoyé  à  Paris  pour  jouer  les  rabatteurs.  Plusieurs  concurrents  se 
mettaient  sur  les  rangs  :  deux  maisons  de  Londres  que  patronnait  le  consul  Wood,  Messrs 
Cavan,  Lubbock  and  Co  et  Mackensie®^,  le  baron  James  de  Rothschild®k  le  Crédit  Mobilier 
de  Paris  et  un  banquier  juif  de  Francfort  installé  depuis  peu  à  Paris,  Emile  Erlanger.  A 
la  surprise  générale,  ce  fut  Erlanger  qui  l'emporta.  Léon  Roches  avait  usé  de  toute  son 
influence  auprès  de  Mussalli  et  du  khaznadar  pour  faire  écarter  les  Anglais.  Les  autres 
se  retirèrent  parce  qu'ils  ne  voulurent  pas  faire  leur  part  à  certains  intérêts.  Wood 
devait  confier  à  un  fonctionnaire  français  qu'Erlanger,  personnellement,  lui  avait  offert 
500.000  francs  pour  qu'il  acceptât  de  le  soutenir^^.  De  son  côté,  en  septembre  1863,  un 
autre  rabatteur  du  khaznadar,  Vandoni^C  dénonçait  les  pots-de-vin  qu'avaient  touché 
les  employés  du  Bardo  chargés  de  négocier  l'emprunt®^. 

C'est  Dahdah,  semble-t-il,  qui,  dès  le  début,  avait  patronné  la  candidature 
Erlanger*®  Paris,  Dahdah  était  entré  en  relations  avec  un  aventurier  valaque  du 
nom  de  Ganesco  qui  l'avait  mis  en  relations  avec  Erlanger.  Gregory  Ganesco*®  était  un 


83  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis,  11  mai  1863. 

84  Rothschild  qui  faisait  jusqu'alors  les  affaires  du  bey  en  Europe,  offrait  25  millions  à  8%  sans  amortissement 
(Arch.  Tun.  Doss.  334,  carton  113.  Roux  de  Fraissinet  à  Van  Gaver.  Paris,  9  avril  1863). 

85  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 

86  Federico  BARTOLOZZI,  aventurier  romain,  se  disant  comte  de  Vandoni  expulsé  des  Etats  Pontificaux  comme 
faussaire,  condamné  plusieurs  fois  en  France  et  en  Belgique,  nommé  en  1860  agent  du  bey  à  Gênes,  sur 
la  recommandation  du  consul  d’Autriche  à  Tunis,  Merlato.  Le  gouvernement  italien  qui  ne  lui  avait  pas 
accordé  Yexequatur,  l'expulsa  en  1861,  en  raison  de  ses  intrigues.  Vandoni  se  transporta  alors  en  Suisse, 
puis  en  Angleterre  où,  à  deux  reprises,  à  la  fin  de  1861  et  au  printemps  de  1863,  il  se  chargea  de  négocier 
un  emprunt  pour  le  compte  du  bey.  11  ne  réussit  pas  mieux  en  1866  et  ne  tarda  pas  à  entrer  en  conflit  avec 
le  gouvernement  au  sujet  des  honoraires  auxquels  il  prétendait.  L’affaire  traîna  de  longues  années  durant, 
avant  d'aboutir  à  un  compromis,  en  1879  (Arch.  Rome.  Cerruti  à  Gambarotta.  Note  sur  Vandoni,  confid. 
Turin,  1^*^  juin  1864  ;  Diritti  e  crediti  del  conte  F.B.  de  Vandoni  verso  S.A.  11  Principe  Mohammed  El  Sadock  Bey  di 
Tunisi...  Rome,  1876  ;  Memoria  afavore  del  Governo  di  S.A.  IL  Bey  contro  Federigo  Bortoluzzi  conte  dé  Vandoni. 
Rome,  1879  ;  P.  Grandchamp  :  Dix  mémoires  en  italien  sur  le  procès  Vandoni  (1869-1879).  R.T.  1919,  pp.  347- 
349  ;  H.  Hugon  :  Un  singulier  diplomate.  Le  comte  de  Vandoni....  R.T.  1918,  pp.  349-362). 

87  Memoria  afavore  del  Governo  di  S.  A.  il  Bey  contro  Federigo  Bortolozzi...  op.  cit.  pp.  98-100  :  lettre  de  Vandoni 
du  1®*^  septembre  1863.  Le  texte  même  de  la  lettre  est  contesté,  mais,  dans  les  deux  versions  données  par  le 
gouvernement  et  par  Vandoni,  on  retrouve  la  même  allusion  à  cet  emprunt. 

88  G.  Hugelmann  :  Le  conflit  tunisien...  Paris,  1868,  pp.  21-22. 

89  GANESCO  (Gregory),  publiciste  d'origine  roumaine,  né  le  16  novembre  1834  à  Tirgogioul,  district  de  Gorgi 
(Valachie),  naturalisé  Français  en  1868  (Bull.  Lois.  Suppl.  1868  B,  p.  818  décret  n°  24.106  du  12  novembre 
1868),  mort  célibataire  à  Paris,  le  7  avril  1877  (Etat-civil  Paris  1“). 

Ganesco  s'était  fait  connaître  au  moment  du  Congrès  de  Paris  par  la  publication  de  Diplomatie  et  nationalité, 
en  1856.  «Il  acquit  en  France,  à  partir  de  1860,  une  assez  grande  notoriété  politique  comme  rédacteur  en 
chef  du  Courrier  du  Dimanche,  l'un  des  premiers  organes  de  l'opposition  libérale  sous  le  second  Empire, 
également  remarqué  par  le  mérite  de  la  rédaction  et  pour  les  nombreux  avertissements,  poursuites, 
suspensions  prononcés  contre  lui»  (Vapereau  :  Dictionnaire  universel  des  contemporains,  1870,  p.  728). 
Ganesco  fut  expulsé  de  France  par  arrêté  du  29  janvier  1861.  Revenu  peu  après  sous  condition,  il  fut 
emprisonné  au  début  de  1862,  sous  prévention  de  complot  contre  la  sûreté  de  l’Etat  [Courrier  du  Dimanche, 
3  février,  16  juin  1861,28  décembre  1862).  «Il  dirigea  alors  l'Europe,  journal  français  de  Francfort,  qui  jouit 
d'une  notoriété  internationale.  Suspendue  en  juillet  1866,  par  le  général  de  Falkenstein,  cette  feuille  cessa 
de  paraître  au  mois  de  novembre  de  l’année  suivante»  (Vapereau,  op.  cit.  p.  728). 

Ganesco  n'avait  pas  bonne  réputation  et  faisait  figure  d'aventurier.  «Un  Valaque  qui  se  trouve  par  on  ne  sait 
quel  hasard  rédacteur  en  chef  du  journal  parisien  le  Courrier  du  Dimanche»,  écrit  Adolphe  Guéroult  (Les 
violences  de  la  polémique.  L'opinion  nationale,  février  1860).  Darimon  le  dépeint  «besogneux,  intrigant, 
viveur,  le  matin  au  petit  lever  de  Montalembert,  à  midi,  déjeunant  avec  le  comte  d’Haussonville,  dînant  avec 
Carnot  et  finissant  la  soirée  avec  M.  de  la  Guéronnière  {L'opposition  libérale  sous  l'Empire,  p.  218)  ;  Barbey 


137 


journaliste  d'opposition  qui  avait  été  expulsé  de  France,  puis  emprisonné,  en  1862,  en 
raison  de  ses  attaques  contre  le  gouvernement  impérial,  il  dirigeait  alors  à  Francfort, 
patrie  des  Erlanger,  un  journal  de  langue  française,  l'Europe,  qui  s'était  acquis  une 
certaine  notoriété.  En  la  circonstance,  Dahdah  et  Ganesco  ne  songeaient  qu'à  ramasser 
un  joli  courtage.  Pour  Erlanger,  petit  banquier  de  ordre®°,  qui  avait  végété  quelque 
temps  rue  de  la  Chaussée  d'Antin  avant  de  s'installer  rue  Taitbout,  l'affaire  avait  plus 
d'importance.  L'emprunt  tunisien,  la  première  de  ses  combinaisons  internationales, 
devait  lui  permettre  de  hausser  sa  maison  au  rang  des  banques  d'affaires  parisiennes 
et  d'élargir  de  façon  considérable  le  cercle  de  ses  opérations.  Mais  Erlanger  n'était  pas 
en  mesure  de  s'engager  seul,  il  s'assurait  l'appui  d'un  autre  banquier  juif  allemand  fixé 
à  Alexandrie,  Hermann  Oppenheim^i,  et  de  Rodolphe  Sulzbach,  de  Francfort,  fondé  de 
pouvoir  de  la  Banque  de  Saxe-Meiningen. 


d'Aurevilly  :  «Ce  demi-nègre  à  l'âme  bègue,  au  langage  embrouillé  comme  ses  idées,  mazarinant  le  français. 
Moussu  Ganesco,  enfin,  le  Bohème  international,  le  furet  des  couloirs,  onctueux,  pas  honorable  et  valaque» 
(La  Palférine  :  Le  Musée  parisien.  Le  Gaulois,  20  mai  1869).  Pour  Ernest  Daudet,  Ganesco  donnait  l'impression 
«d'un  personnage  vendu  à  beaucoup  de  gouvernements  (Souvenir  de  mon  temps,  p.  112).  Une  note  de  police 
de  1872  le  jugeait  «sans  convictions  politiques,  il  a  soutenu  à  peu  près  toutes  les  opinions»  {A.N.F.  18.334. 
Préf.  de  Police.  Cabinet,  1^^  Bureau.  Paris,  10  novembre  1872  dossier  du  Courrier  du  Dimanche). 

Revenu  en  France,  Ganesco  s'entremettait  dans  les  emprunts  tunisiens  en  1863  et  1865  et  prenait  la 
direction  du  Nain  Jaune.  Enrichi  par  les  affaires  tunisiennes,  il  s'installait  au  château  de  Montmorency,  se 
faisait  naturaliser  en  novembre  1868  et,  le  mois  suivant,  lors  d'une  élection  au  conseil  général,  posait  une 
candidature  qui  suscitait  les  sarcasmes  du  Figaro  «M.  Gregory  Ganesco,  le  dernier  des  Français...  par  ordre 
d'ancienneté,  ex-professeur  de  moldo-auvergnat  dans  le  parti  de  la  Jeune  Turquie...  Candidat  du  peuple  dans 
le  canton  de  Montmorency,  de  quel  peuple  SVP  ?  Est-ce  du  peuple  français  ou  du  peuple  de  Tunisie»  (Figaro, 
2  décembre  1868).  «Le  Figaro  s'est  amusé  plusieurs  fois  de  la  bouffonne  candidature  de  ce  Valaque  nomade, 
tour  à  tour  républicain,  officieux,  familier  des  Egyptiens  de  distinction,  entremetteur  d'emprunts  cocasses» 
(Le  candidat  de  Montmorency.  Figaro,  13  décembre  1868).  Mais  Ganesco  avait  l'appui  de  l'administration  ; 
il  triompha  au  second  tour.  11  devait  néanmoins  échouer  aux  élections  législatives  de  1869.  Rallié  à  l'Empire 
libéral,  il  dirigea  le  Parlement,  organe  du  Tiers  parti,  «aux  ordres  de  Rouher»,  puis  La  Liberté.  En  1872,  il 
fonda  Le  Républicain  qui  dura  peu,  puis  Les  Tablettes  d'un  Spectateur  (Vapereau,  op.  cit.  1880,  p.  771). 

90  Emile  Erlanger  et  Cie,  rue  Taitbout  à  Paris. 

ERLANGER  (Frédéric-Emile,  baron),  né  à  Francfort-sur-le-Main,  le  19  juillet  1832,  fils  de  Raphaël  Erlanger, 
banquier  israélite,  fondateur  de  la  maison  de  Francfort  qui  était  liée  aux  opérations  du  Crédit  Mobilier  des 
Péreire.  Associé  aux  affaires  en  1853,  Emile  rencontra  en  Egypte,  en  1854,  Ferdinand  de  Lesseps  auquel  il 
s'attacha  et  avec  lequel  il  fit  une  partie  du  voyage  d'exploration  du  futur  canal.  Venu  à  Paris,  en  1858,  le  jeune 
Erlanger  y  fonda  une  maison  «comme  celle  de  Francfort»,  (Finance  et  industrie  illustrée,  27  octobre  1878). 
«Le  baron  Emile...  eut  à  Paris  des  commencements  difficiles.  Peu  de  personnes  se  souviennent  en  effet  que 
sa  maison  était  alors  installée  au  fond  de  la  deuxième  cour  de  l'immeuble  de  la  Chaussée  d'Antin  qui  porte 
aujourd'hui  le  n°  15,  et  que  le  guichet  de  sa  caisse  ...  était  directement  ouvert  sur  le  palier  du  troisième 
étage  de  l'escalier  de  service»...  «Ce  fut  le  député  de  Bordeaux,  M.  Arman  qui,  en  échange  d'une  commande 
de  vaisseaux  obtenue  de  Berlin  pour  ses  chantiers  navals  de  Bacalan»  [grâce  à  l'influence  du  père  d'Emile 
Erlanger]  «  lui  donna  le  premier  coup  d'épaule  en  lui  faisant  concéder  un  emprunt  municipal...  Cette  bague  fit 
bien  dans  la  corbeille  de  mariage  que  reçut  du  baron  Emile  la  belle  Odette  Laffitte,  contrainte  à  ce  mariage  par 
son  père  qui  tenait  à  devenir  le  concessionnaire  de  la  ligne  transrhénane»  (Mot  d'Ordre,  1®*^  octobre  1881). 
Auguste  Chirac,  qui  n'est  pas  tendre  pour  les  Juifs  en  général,  a  consacré  à  Erlanger,  dans  les  Rois  de  la 
République  (Paris,  1883.  tome  2  pp.  272-282)  une  monographie  particulièrement  sévère  :  petit  banquier 
de  dixième  ordre,  en  1860,  archimillionnaire  en  cinq  ou  six  ans,  enrichi  dans  l'affaire  de  l'emprunt  pour  les 
Confédérés  américains  de  75  millions,  lancé  d'accord  avec  Morny,  «une  belle  escroquerie  ».  Les  dix  ou  douze 
escroqueries  majeures  d'Erlanger,  sur  lesquelles  s'attarde  Chirac  et  qui,  toutes,  se  rapportent  à  la  période 
1870-1880,  la  véhémence  de  l'auteur,  nous  laissent  à  penser  que  le  baron  Erlanger  devait  surpasser  en 
audace  et  en  manque  de  scrupules  ses  alliés  et  pairs,  les  Juifs  rhénans  de  Paris. 

91  OPPENHEIM  (Hermann),  banquier,  né  à  Windeck  (Hesse)  le  9  juillet  1821,  d'une  famille  israélite  qui  tirait 
son  nom  de  la  petite  ville.  d'Oppenheim,  située  sur  le  Rhin  en  amont  de  Mayence.  Il  dirigeait  à  Alexandrie, 
sous  la  raison  sociale  «Hermann  Oppenheim,  neveu  et  Cie»  une  maison  de  banque  qui  avait  une  succursale 
à  Paris.  Il  était  en  relations  d'affaires  étroites  avec  la  banque  Oppenheim  de  Cologne,  dirigée  par  son  oncle 
Simon,  avec  celle  de  Londres,  à  la  tête  de  laquelle  était  son  cousin  Henry,  et  celle  de  ses  parents,  Oppenheim 
Alberti  et  Cie  dont  il  partageait  les  bureaux  parisiens.  Il  avait  participé  au  lancement  de  l'emprunt  égyptien 
de  1862  (Jenks  :  The  migration  ofBritish  capital  to  1875,  op.  cit.  p.  313).  Longtemps  consul  de  Prusse  à 
Alexandrie,  Hermann  Oppenheim  obtint,  en  janvier  1866,  l'admission  à  domicile  en  France.  Il  fut  naturalisé 
Français  par  décret  impérial  du  1“  mai  1867  (Décret  n°  21.885.  Bull.  Lois.  Suppl.  1867  A,  p.  1501). 


138 


Wood  pouvait  à  juste  titre  s'étonner  de  voir  le  consul  de  France  repousser  avec  tant 
d'énergie  les  propositions  des  banquiers  anglais,  pour  soutenir  une  combinaison  soi- 
disant  française  que  présentait  une  bande  cosmopolite  d'aigrefins,  des  Juifs  allemands, 
un  Valaque,  un  Syrien,  avec  le  concours  de  l'Italien  Cernuschi^^  laissait  entendre  que 
les  démarches  de  Léon  Roches  n'avaient  pas  été  désintéressées®^. 

Le  contrat  était  signé,  le  10  mai  1863,  après  trois  semaines  de  négociations  entre  le 
gouvernement  tunisien  et  Henri  Cernuschi,  fondé  de  pouvoir  d'Erlanger,  et  recommandé 
par  le  ministère®'*.  Pendant  ce  temps,  Drouyn  de  Lhuys,  insistant  auprès  de  son  collègue 
des  Finances,  obtenait  l'admission  en  bourse  de  Paris  du  nouveau  titre  tunisien®^. 

L'emprunt  devait  être  de  35  millions,  tous  frais  compris  ;  il  fut,  en  réalité,  de 
39.346.000  francs  (valeur  nominale)  en  78.692  obligations  de  500  francs,  émises  au  cours 
de  480,  portant  35  francs  d'intérêt  annuel  et  remboursables  au  pair,  par  voie  de  tirage  au 
sort.  Le  gouvernement  tunisien  affectait  en  garantie  l'impôt  personnel,  ou  mejha,  dont 
il  estimait  le  revenu  à  5  millions  ;  il  devait  verser,  pour  les  intérêts  et  l'amortissement, 
des  annuités  de  4.200.000  francs,  payables  par  semestre.  L'amortissement  devant  être 
réalisé  en  quinze  ans  et  demi,  le  bey  s'engageait  ainsi  à  rembourser  65.100.000  francs 
pour  un  emprunt  effectif  de  37.772.160  francs.  La  maison  Erlanger,  de  son  côté,  devait 
effectuer  ses  versements  en  six  fractions  échelonnées  du  18  juin  1863  au  29  mai  1865®^. 
L'emprunt  aurait  été  couvert  rapidement,  du  moins,  les  Erlanger  le  laissèrent-ils  entendre. 
«40.000  obligations  furent  souscrites  en  Tunisie,  les  autres  trouvèrent  acquéreurs  en 
France.  Le  gouvernement  tunisien  destinait  le  produit  de  l'emprunt  à  rembourser  les 
25  à  30  millions  de  dette  flottante  et  à  développer  la  prospérité  industrielle  et  agricole, 
programme  qui  n'avait  rien  que  de  raisonnable®^».  Le  consul  de  France  se  félicitait  du 
succès  de  l'affaire,  jugeant  les  conditions  de  l'emprunt  beaucoup  moins  onéreuses  que 
celles  des  prêteurs  locaux®^. 

Mais  les  clauses  de  commission  et  de  courtage,  les  trucages  de  comptes  et  les 
arrangements  particuliers  devaient  faire  de  cette  opération  aux  dehors  honorables 


92  CERNUSCHI  {Enrico-  Auguste-  Primo-Giuseppe-  Antonio-Luigi  -  Mansueto-  Carlo-Maria,  dit  Henri),  né  à 
Milan,  le  19  février  1821,  de  Claudio  et  Giuseppe  Délia  Volta,  mort  célibataire  à  Menton,  le  11  mai  1896. 
(Reg.  paroisse  San  Tommaso-in-Terra-Mara  de  Milan  ;  Etat-civil  Menton). 

Avocat,  député  de  Rome  à  l'Assemblée  Constituante  de  la  République  romaine,  en  1849,  il  fut  un  des  chefs  de 
la  défense  de  la  ville  contre  l'armée  française.  Pris  et  jugé  par  les  Français,  il  fut  acquitté.  Il  vint  alors  à  Paris 
où  il  bénéficia  de  la  haute  protection  de  Madame  Cornu  et  du  Dr  Conneau.  En  1852,  Cernuschi  obtenait  un 
petit  emploi  au  Crédit  Mobilier  des  Péreire,  grâce  à  l'intercession  du  financier  Bixio.  ou  de  Morpurgo.  Il  s'en 
retirait,  en  1858,  après  avoir  été  membre  du  conseil  d'administration  de  la  société,  pour  lancer  une  affaire 
de  boucherie  coopérative  qui  échoua  (1861).  On  le  retrouve  ensuite  chargé  de  traiter  de  grandes  affaires 
en  Angleterre,  puis  en  Tunisie,  pour  le  compte  d'un  groupe  de  banquiers.  Cernuschi  aurait  gagné  600.000 
francs,  lors  de  l'emprunt  tunisien. 

En  1869,  Cernuschi  fondait,  avec  Delahante  et  Imbert,  la  Banque  de  Paris,  dont  il  devenait  l'un  des  directeurs. 
Il  se  retira  des  affaires  après  1870  et  se  consacra  surtout  à  la  rédaction  d'ouvrages  financiers  et  monétaires 
(D'après  Cernuschi,  de  Giuseppe  Leti  et  trad.  Lâchât.  Paris,  1936). 

93  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis,  11  mai  1863. 

F.  0.102/115.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  12  décembre  1868. 

94  La  procuration  d'Erlanger  est  conservée  dans  les  archives  tunisiennes  (dos.  280,  carton  110). 

95  A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Ministre  des  Finances  à  ministre  des  Affaires  étrangères,  27  mars  1863  ;  ministre  des  Aff. 
étrangères  à  ministre  des  Finances,  2  avril  1863  ;  ministre  des  Finances  à  ministre  des  Aff.  étrangères,  21 
mai  1863. 

96  Traité  relatif  à  l'émission  des  obligations  de  1863,  publié  par  le  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes 
[Rapport  aux  obligataires.  Paris,  1868.  Document  n°l). 

97  Marcel  Emerit  :  La  crise  des  finances  tunisiennes  et  les  origines  du  protectorat.  R.  Afr.  1949,  p.  251. 

98  7,6%,  avec  amortissement,  au  lieu  de  12  à  13%  (A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Roches  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  9  mai 
1863). 


139 


une  véritable  escroquerie,  sous  la  garantie  du  gouvernement  français  qui  avait  autorisé 
la  cotation  en  bourse  de  Paris.  L'inspecteur  des  Finances  Villet  qui  devait,  quelques 
années  plus  tard,  prendre  la  direction  technique  des  finances  tunisiennes,  a  établi  en 
deux  rapports  de  1872  et  1873,  une  liste  des  irrégularités  qu'il  avait  découvertes  et  qui 
constituaient,  contre  le  khaznadar  principalement,  un  accablant  réquisitoire. 

L'émission  de  78.692  obligations  à  480  francs  devait  rapporter  37.772.160  francs, 
somme  qui  dépassait  de  2.772.160  francs  le  capital  devant  être  réalisé  ;  or  cette  somme 
n'est  passée  nulle  part  en  recette  dans  les  comptes  du  gouvernement".  Le  contrat 
prévoyait  14,5%  d'escompte  et  de  commission  sur  le  montant  de  l'emprunt,  soit 
5.075.000  francs  sur  35  millions.  «On  devine  que  la  plus  forte  partie  de  cette  somme 
n'a  fait  que  passer  entre  les  mains  de  M.  Erlanger  :  d'après  des  renseignements  qui 
semblent  mériter  une  entière  confiance,  un  million  et  demi  serait  entré  dans  la  caisse 
du  Khaznadar,  un  million  serait  resté  entre  les  mains  de  Cernuski,  500  mille  francs  entre 
celles  de  Dahdah  -  venaient  ensuite  dans  la  répartition  MM  Ganesco,  Aziz  bou  Attour, 
ministre  des  Finances,  Elias  Mussalli,  Taïeb  et  autres»ioo.  Le  caïd  Nessim,  lui-même,  ne 
dédaignait  pas  de  prendre  son  courtagei^i  ;  il  s'attribuait  un  million  de  piastresi^^. 

Après  le  prélèvement  des  5.075.000  francs  de  commission,  restaient  encore 
29.925.000  francs,  «somme...  supérieure  à  la  dette  du  gouvernement»,  dette  dont  le 
remboursement  était  nécessaire,  puisqu'une  partie  portait  intérêt  à  12%  ;  «c'est  ce 
qu'on  a  paru  faire  jusqu'à  concurrence  seulement  de  15  millions  de  francs  environ; 
mais,  en  même  temps  que  dans  les  bureaux  du  représentant  de  la  maison  Erlanger  à 
Tunis  on  remboursait  les  anciens  titres...  un  courtier  du  gouvernement  (M.  Guttierez) 
installé  dans  le  voisinage  reprenait  du  public  l'argent  que  celui-ci  venait  de  recevoir, 
en  échange  de  nouveaux  teskérés  émis  au  taux  de  91%.  A  la  faveur  de  cette  comédie  de 
remboursement,  la  dette  se  trouva  simplement...  augmentée  de  15  millions  à  peu  près»!^^. 
Pour  le  surplus,  5  millions  environ  étaient  versés  dans  les  caisses  du  gouvernement  pour 
couvrir  les  dépenses  ordinaires.  «Les  fonds  provenant  de  l'emprunt  de  1863  versés  en 
espèces  au  Bardo  ont  été  inscrits  à  un  compte  spécial;  mais  ne  sont  pas  entrés  dans  la 
comptabilité  générale  du  gouvernement,  ils  ne  sont  pas  entrés  dans  les  caisses  de  l'Etat 
et  rien  ne  fait  croire  qu'ils  aient  servi  à  l'acquittement  des  dépenses  publiques De 
fait,  quelques  années  plus  tard,  on  découvrit  que  le  caïd  Nessim  s'était  approprié  plus 
de  trois  millionsi^^. 


99  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  de  M.  Villet  contre  le  khaznadar^  16  décembre  1873. 

100  Ibid.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

101  Exposé  des  réclamations  du  gouvernement  tunisien  contre  le  feu  caïd  Nissim  Semama  et  contre  ses  ayants 
cause,  par  le  général  Heussein  (1874  ?),  p.  9  (F. 0.102/101). 

102  «Une  autre  clause  de  ce  contrat  portait  «Reconnaissance  en  faveur  du  gouvernement  d*un  million  de 
piastres  -  628.124  Fr  -  pour  la  conclusion  du  traité»  dont  il  devient  très  facile  de  deviner  la  vraie  destination 
si  l'on  remarque  que,  au  lieu  de  figurer  dans  les  comptes  du  gouvernement  en  augmentation  du  produit  de 
l'emprunt,  elle  se  trouve  au  contraire  déduite  dans  les  mêmes  comptes,  des  sommes  que  la  maison  Erlanger 
devait  verser  sur  le  même  produit»  (Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit).  Après  la 
mort  du  caïd  Nessim,  en  1873,  et  l'ouverture  de  sa  succession  à  Livourne,  on  put  établir  que  Nessim  était  le 
bénéficiaire  de  cette  étrange  opération  (Arch.  Tun.  Doss.  228,  carton  100-bis  :  Rapport  général  du  général 
Heussein,  ministre  conseiller  d'Etat,  S.  D.  (entre  1876  et  1880),  pièce  qui  établit  le  bilan  des  réclamations 
du  gouvernement  tunisien  contre  la  succession  Samama). 

103  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 

104  Note  de  M.  Villet  contre  le  khaznadar,  1873,  op.  cit. 

105  Dans  sa  note  contre  le  khaznadar,  Villet  le  rendait  responsable  du  détournement  de  4.500.580,75  Fr, 
somme  que,  dans  un  additif  du  22  décembre  1873,  il  réduisait  à  2.178.885  Fr,  après  avoir  retrouvé  des 
pièces  comptables  oubliées  par  le  ministère.  Grâce  aux  papiers  trouvés  à  Livourne  entre  1873  et  1876  dans 
la  succession  du  caïd  Nessim,  le  gouvernement  put  établir  que  le  directeur  des  Finances  avait  détourné 


140 


Un  reliquat  de  9.887.535  francs  restait  disponible  chez  les  Erlanger  à  Paris  jusqu'en 
janvier  1864.  On  aurait  pu  l'utiliser  à  racheter  une  partie  de  la  dette.  Mais  le  khaznadar 
avait  des  «vues  plus  larges».  «En  janvier  1864,  il  fit  racheter  -  ou  parut  faire  racheter  - 
par  la  maison  Erlanger  à  la  Bourse  de  Paris,  avec  les  9.887.535  fr...  20.926  obligations  de 
l'emprunt  lui-même.  Ces  obligations  émises  à  480  francs  se  négociaientalors,  en  moyenne, 
à  457,50  francs  ;  si  donc  on  avait  annulé  celles  retirées  de  la  circulation,  l'opération, 
toute  étrange  qu'elle  eût  dû  paraître,  pouvait  en  définitive  procurer  un  certain  bénéfice. 
Mais  ce  n'était  pas  là  encore  ce  que  voulait  faire  Sidi  Mustapha,  il  commença  par  fixer 
pour  le  rachat  de  ces  20.926  obligations  un  taux  supérieur  à  celui  de  la  cote  officielle  ; 
au  lieu  de  457,50  Fr...  les  comptes  du  gouvernement  ont  été  débités  de  472,50  Fr.  Qu'est 
devenue  la  somme  de  310.000  francs  au  minimum  [le  rapport  de  1873  porte  314.535 
Fr.]  que  cette  bizarre  opération  a  mise  à  l'écart  ?  La  nature  des  moyens  employés  pour  la 
former  permet  toutes  les  suppositions»^®^. 

L'inspecteur  Villet  ne  nous  donne  pas  la  clé  de  cette  étrange  opération.  Il  était 
en  effet  d'autres  moyens  plus  simples  et  plus  expéditifs  de  s'approprier  les  fonds  du 
gouvernement  ;  le  khaznadar  et  le  caïd  Nessim  en  savaient  quelque  chose.  Nous  avons 
toutes  les  raisons  de  penser  que  ces  manœuvres  avaient  pour  but  de  dissimuler  une 
vérité  que  le  public  devait  ignorer  absolument,  l'échec  complet  de  l'emprunt  tunisien 
sur  la  place  de  Paris.  Si  les  Erlanger  rachetaient  -  ou  paraissaient  racheter  -  20.926 
obligations  en  janvier  1864,  8.000  autres  en  1865,  sur  les  38.692  qu'ils  étaient  censés 
avoir  placées  en  Europe,  c'est  que  les  titres  en  question  étaient  en  fait  restés  pour 
compte  à  leurs  guichets.  Avec  la  complicité  du  premier  ministre,  ils  se  livraient  à  une 
opération  de  liquidation  par  laquelle  ils  revendaient  au  gouvernement  les  titres  de  son 
propre  emprunt,  tout  en  conservant  les  courtages  qu'ils  s'étaient  réservés  sur  la  totalité 
du  placement.  Il  devient  facile  d'expliquer  alors  la  pénurie  d'argent  du  gouvernement 
aussitôt  après  la  conclusion  de  l'emprunt,  les  raisons  pour  lesquelles  les  Erlanger 
préféraient  laisser  à  un  autre  établissement  de  crédit,  le  Comptoir  d'Escompte,  la 
responsabilité  de  l'emprunt  qui  allait  suivre  bientôt. 

Il  est  étrange,  en  effet,  que  nous  ne  voyions  jamais  se  manifester  la  présence 
d'obligataires  ou  d'anciens  obligataires  de  l'emprunt  de  1863.  Il  est  curieux  qu'en  bourse 
de  Paris,  des  opérations  de  rachat  portant  en  deux  fois  sur  les  trois  quarts  des  titres  en 
circulation  n'aient  point  provoqué  une  sensible  remontée  des  cours.  Des  contemporains 
qui  ne  pouvaient  être  au  courant  des  comptes  particuliers  du  bey  avec  Erlanger,  avaient 
la  même  opinion  sur  le  succès  de  l'emprunt  :  le  rédacteur  du  Moniteur  des  Fonds  Publics, 
hebdomadaire  bien  informé  en  matière  de  finances  tunisiennes,  écrivait  à  ce  propos,  le 
19  août  1869.  «Nous  croyons  être  dans  le  vrai  en  affirmant  que  5.000  obligations,  tout 
au  plus,  devinrent  la  propriété  de  porteurs  résidant  en  France.  Il  restait  donc  environ 
30.000  obligations  entre  les  mains  de  M.  Erlanger.  Dans  cette  situation  il  se  trouvait  fort 
embarrassé  pour  faire  face  aux  engagements  qu'il  avait  contractés  avec  le  bey.  Comment 
fit-il  ?  Nous  croyons  que,  déposant  entre  les  mains  du  Comptoir  d'Escompte  les  titres 
qu'il  n'avait  pu  placer,  il  en  obtint  une  avance  à  l'aide  de  laquelle  il  put  envoyer  quelques 


3.158.885  Fr.  soit: 

1.000.000  Fr.  versés  par  Cernuschi  à  titre  de  garantie  pour  l'exécution  du  contrat; 

1.630.000  Fr.,  paiement  effectué  par  Cernuschi  à  Nessim,  sur  le  premier  versement  de  l'emprunt; 

528.885  Fr.,  remise  d'un  agent  d'Erlanger  sur  le  premier  versement  du  contrat. 

(Arch.  Tun.  Doss.  228,  carton  100  -bis  Rapport...  Heussein.  S.  D.  op.  cit).  Ces  deux  dernières  sommes 
(ensemble  2.158.885  Fr)  correspondent  à  celles  dont  Villet  n'avait  pu  retrouver  l'emploi. 

106  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 


141 


fonds  à  Son  Altesse».  Comme  la  situation  ne  pouvait  s'éterniser,  il  fallut  avoir  recours  à 
un  deuxième  emprunt^^^. 

Quant  aux  20.926,  puis  28.926  obligations  dont  le  khaznadar  ne  dédaignait  pas 
de  toucher  les  couponsio®,  elles  ne  devaient  point  être  annulées;  elles  restèrent  entre 
les  mains  d'Erlanger,  où  elles  gagèrent  les  avances  en  compte  courant  qu'il  fit  au 
gouvernement,  dès  juillet  1863.  Elles  devaient,  par  la  suite,  être  affectées  avec  d'autres, 
à  la  garantie  d'emprunts  nouveaux. 

Les  39.346.000  francs  dont  le  gouvernement  tunisien  s'était  endetté  en  mai  1863 
avaient  été  dissipés  aux  trois  quarts  en  moins  d'un  an.  La  dette  locale  avait  été  plus 
que  doublée  par  l'emprunt  étranger,  les  grands  projets  de  travaux  publics  paraissaient 
abandonnés  et,  déjà,  le  khaznadar  songeait  à  renouveler  d'aussi  fructueuses 
opérationsio®. 

il  en  fut  empêché  -  pour  un  temps  -  par  le  développement  d'une  révolte  générale, 
dont  il  avait  donné  comme  le  signal,  en  faisant  décider  par  le  Grand  Conseil  le  doublement 
de  la  mejba  (décembre  1863].  Avec  trop  d'habileté,  Mustapha  Khaznadar  voulait  se 
réserver  dans  leur  totalité  les  revenus  de  la  Régence,  après  avoir  dû  en  aliéner  une  partie 
pour  l'emprunt  Erlanger. 


107  Moniteur  desfonds  publics,  19  août  1869  :  Dette  Tunisienne. 

Les  28.926  obligations  qui  n'avaient  pas  été  souscrites  allaient  jouer  un  grand  rôle  dans  les  affaires 
financières  tunisiennes,  jusqu'en  1870.  Déposées  chez  Erlanger,  puis  au  Comptoir  d'Escompte,  elles 
devaient  permettre  aux  financiers  parisiens  de  réaliser,  aux  dépens  du  bey,  toute  une  série  d'opérations 
lucratives 

108  D'après  une  lettre  de  Schmidt,  agent  d'Erlanger  à  Tunis,  le  produit  des  coupons  et  des  tirages  pour  les 

et  semestres  de  l'emprunt,  soit  1.029.130  Fr,  fut  versé  au  compte  particulier  du  khaznadar  (Note  de  M. 
Villet  contre  le.  khaznadar,  op.  cit). 

109  «L'argent  est  tout  aussi  rare  qu'avant  l'emprunt  et  l'on  se  demande  si  le  pays  n'a  pas  encore  été  une  fois 
dupe  d'une  combinaison  financière  ayant  pour  but  unique  de  remplir  les  coffres  de  quelques  grands 
personnages»  notait  avec  lucidité  le  colonel  Campenon  (A.  E.  Tunis,  vol.  22.  Campenon  au  ministre  de  la 
Guerre.  Tunis,  15  décembre  1863). 


142 


CHAPITRE  V 


L'INSURRECTION  DE  1864 


1  -  Les  origines  du  soulèvement 

Au  printemps  de  1864,  le  gouvernement  tunisien  était  surpris  par  une  insurrection 
de  tribus  qui,  en  quelques  semaines  s'étendait  au  pays  tout  entier.  L'augmentation 
des  impôts  en  était  la  cause  immédiate,  mais  le  mécontentement  avait  également  des 
origines  plus  lointaines. 

Les  réformes  à  l'européenne,  la  réorganisation  de  l'administration  et  de  la  justice 
n'avaient  pas  été  accueillies  avec  faveur  dans  le  pays.  Au  Bardo  même,  le  khaznadar 
avait  rencontré  l'opposition  d'un  groupe  de  notables  conservateurs,  familiers  ou 
parents  du  bey.  Mais  il  avait  pu  négliger  cette  opposition,  car  le  bey,  tout  à  ses  mignons, 
se  désintéressait  complètement  des  affaires  ;  de  ce  côté,  Mustapha  avait  su,  jusqu'alors, 
écarter  rivaux  et  ambitieux.  Le  bey  du  camp,  Hassouna,  le  seul  des  frères  de  Mohammed 
es  Sadok  qui  eût  pu  gêner  le  khaznadar,  mourait  subitement  en  août  1863.  Cette  mort 
rapide  qui  servait  les  intérêts  du  premier  ministre  avait  éveillé  les  suspicions.  On  avait 
parlé  de  poison  ;  certains  y  avaient  vu  la  main  du  khaznadar. 

La  rébellion  des  généraux  Khérédine  et  Heussein  contre  la  politique  financière  du 
premier  ministre  aurait  pu  être  grave  ;  mais  les  gendres  du  khaznadar  étaient  restés 
isolés  au  sein  du  Grand  Conseil.  11  leur  avait  fallu  se  démettre  de  leurs  charges,  vivre 
à  l'étranger  en  un  demi  exil.  Sidi  Mustapha  n'avait  pas  eu  de  peine  à  leur  trouver  des 
remplaçants.  En  octobre  1863,  il  faisait  instituer  un  Conseil  privé  de  25  membres, 
chargé  d'examiner  toutes  les  affaires  avant  le  Grand  Conseil.  Le  premier  ministre 
préparait  ainsi  la  transmission  du  pouvoir  à  une  assemblée  plus  restreinte  et  plus 
docile  que  le  Grand  Conseil  lui-même^. 

Au  Bardo,  le  premier  ministre  s'était  facilement  débarrassé  des  opposants,  mais, 
dans  le  pays,  le  mécontentement  était  plus  grave. 

Les  caïds,  les  khalifas,  les  cadis  avaient  été  vivement  irrités  par  les  réformes 
judiciaires  qui  avaient  transféré  aux  tribunaux  des  mamelouks  l'essentiel  de  leurs 


1  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis,  8  octobre  1863. 


143 


attributions  d'antan.  Ils  jalousaient  l'insolente  fortune  des  favoris,  dénonçaient  leur 
politique  d'accaparement  des  grandes  charges,  le  gaspillage  des  finances  et  la  lourdeur 
des  impôts.  «Plus  de  capitation  ;  plus  de  Mamelucks  ;  plus  de  constitution»^,  tel  fut  le 
mot  d'ordre  lancé  par  les  notables,  auquel  devaient  se  rallier  les  insurgés  de  1864. 

Les  indigènes  avaient  d'autres  sujets  de  mécontentement.  Réformes  et  innovations 
techniques  avaient  plus  frappé  leur  esprit  que  le  désordre  des  finances,  les  exactions 
fiscales,  rendus  presque  naturels  par  une  longue  tradition  dans  la  Régence.  Très  attachés 
à  leurs  habitudes,  les  Bédouins  se  défiaient  des  nouveautés  dont,  par  expérience,  ils 
redoutaient  une  aggravation  de  leur  sort.  La  Constitution  les  avait  peu  touchés,  mais 
la  réforme  des  tribunaux  leur  apparut  bien  vite  comme  une  détestable  innovation.  Ils 
étaient  rebutés  par  de  longs  séjours  à  la  ville,  par  des  lenteurs  et  un  formalisme  qu'ils 
ne  pouvaient  comprendre.  Gens  frustes,  ils  se  souciaient  peu  des  grands  principes  et, 
puisque,  en  définitive,  il  leur  fallait  toujours  payer,  ils  préféraient  en  revenir  à  la  justice 
de  leurs  cadis,  aussi  coûteuse  peut-être,  mais  plus  expéditive  que  celle  des  mamelouks 
détestés. 

La  restauration  de  l'aqueduc  de  Zaghouan  avait  d'abord  été  accueillie  avec  faveur. 
Campagnards  et  citadins  s'étaient  émerveillés  de  voir  couler  avec  tant  d'abondance  cette 
eau  précieuse.  Mais  les  Tunisois  s'étaient  irrités  de  voir  qu'on  voulût  leur  vendre  l'eau; 
les  campagnards  maugréaient  contre  les  équipes  de  surveillance  qui  les  empêchaient 
de  détourner  les  conduites  à  leur  profit.  Bientôt,  tout  le  monde  déplorait  que  ce  grand 
travail  eût  ruiné  la  Régence^. 

L'installation  d'un  réseau  télégraphique  était  passée  presque  inaperçue  dans 
l'intérieur,  mais  les  tribus  nomades  n'avaient  pas  tardé  à  la  considérer  comme  une 
invention  étrangère  néfaste  qui  faisait  accourir  avec  une  étonnante  promptitude  les 
cavaliers  du  bey.  Si  les  fils  étaient  faciles  à  couper,  il  est  vrai,  leur  destruction  provoquait 
encore  des  punitions  collectives,  amendes  ou  bastonnades  qu'une  répression  sommaire 
rejetait  souvent  sur  des  innocents. 

Dès  1862,  il  existait  dans  l'intérieur  du  pays  un  mécontentement  latent,  mais 
sensible,  entretenu  par  des  cheikhs  et  des  notables  qu'irritait  la  dépossession  d'une 
partie  de  leurs  pouvoirs.  Un  observateur  averti  nous  en  apporte  le  témoignage  lucide. 
Le  27  février  1862,  le  lieutenant-colonel  Campenon  venait,  après  une  absence  de  huit 
années,  reprendre  la  direction  de  l'école  militaire  du  Bardo  qu'il  avait  assumée,  de  1850 
à  1854,  sous  le  règne  d'Ahmed  Bey.  Il  s'étonnait  des  transformations  du  pays  et,  dans 
une  longue  dépêche  adressée  au  ministre  de  la  Guerre,  dépeignait  l'état  de  malaise  et 
de  sourde  irritation  qui  couvait  dans  la  Régence  :  «L'Arabe  demande,  avant  tout,  à  son 
maître,  de  ne  pas  être  trop  écrasé  d'impôts,  d'être  administré  par  le  plus  petit  nombre 
possible  de  fonctionnaires,  de  trouver  une  justice  locale  et  expéditive. 

«Rien  de  cela  n'a  lieu  aujourd'hui.  Le  pays  est  endetté  par  les  grandes  entreprises 
de  travaux  publics  dans  lesquelles  a  été  lancé  trop  vite  ce  petit  gouvernement...  Or,  nulle 
part  le  contribuable  ne  reçoit  plus  vivement  qu'en  pays  arabe  le  contre  coup  d'une 
situation  financière  gênée. 

«En  second  lieu,  l'Arabe  dépendait  autrefois,  administrativement,  du  Caïd,  et 
judiciairement,  du  Cadi,  avec  recours  suprême  au  Bey.  Il  était,  suivant  son  expression 


2  Arch.  Rés.  De  Beauval,  successeur  de  Roches,  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  20  avril  1864. 

3  Ben  Dhiaf  :  chap.  VU  et  VIII,  années  1275,1279  et  1283. 


144 


pittoresque,  mangé  par  deux  hommes,  mais  par  deux  hommes  seulement.  Aujourd'hui 
que  la  plupart  des  attributions  du  Caïd  et  du  Cadi  sont  dévolues  à  des  tribunaux,  il  est 
mangé  par  tous  les  membres  de  ces  tribunaux.  11  s'inclinait  naguère  devant  la  décision  de 
la  justice  locale,  parce  qu'elle  était  prompte,  et  dans  des  cas  graves,  seulement,  il  venait 
en  appeler  au  Souverain.  Aujourd'hui,  l'habitant  de  Gabès,  à  80  lieues  de  Tunis,  qui  veut 
faire  casser  un  jugement  rendu  contre  lui  par  le  tribunal  de  la  localité,  doit  se  rendre  à 
Tunis.  Et  après  ce  déplacement  si  onéreux  pour  lui,  il  n'a  plus  la  faveur  d'exposer  lui- 
même  ses  griefs  au  Bey  ;  c'est  encore  un  comité  émanant  du  Conseil  suprême,  un  certain 
nombre  de  ces  Mameluks  détestés  qui,  transformés  en  membres  de  la  Cour  de  Cassation, 
annulent  ou  valident  le  premier  jugement. 

«Tout  a  donc  été  changé  subitement  dans  les  habitudes  de  ce  peuple  arabe  si 
immobile  ;  aussi  les  germes  de  mécontentement  n'ont-ils  pas  tardé  à  se  produire.  11  ,y 
a  quelques  mois,  douze  cents  habitants  de  Tunis  se  rendirent  au  Bardo,  en  portant  les 
bannières  des  marabouts  les  plus  vénérés  du  peuple.  Ils  allaient  demander  au  Bey  de 
les  délivrer  des  innovations  et  d'empêcher  l'exportation  des  grains.  Le  Bey  tint  bon  et  fit 
emprisonner  les  principaux  meneurs.  Nul  doute  que  s'il  eût  cédé,  de  graves  désordres 
n'ayent  eu  lieu  dans  le  quartier  européen  de  Tunis. 

«C'est  que  dans  leur  politique  cauteleuse,  les  Mameluks  n'ont  pas  manqué  de  dire 
aux  indigènes  :  «Les  réformes  contre  lesquelles  vous  réclamez,  ne  sont  pas  notre  œuvre, 
mais  bien  celle  des  chrétiens.  Leurs  consuls  nous  les  ont  imposées  par  la  force,  inclinez- 
vous  donc,  jusqu'à  ce  que  viennent  à  surgir  des  jours  meilleurs». 

Campenon  montrait  ensuite  l'amoindrissement  de  l'influence  des  Européens  : 
«Aujourd'hui,  l'intervention  directe  des  consuls  sur  le  Bey  n'existe  plus,  puisque  le  Bey 
ne  gouverne  pas.  Leurs  conseils  ne  sont  plus  demandés,  leurs  représentations  guère 
écoutées.  11  suffit  presque  qu'ils  interviennent  dans  un  projet  quelconque,  pour  que 
ce  projet  échoue...  Chaque  semaine,  le  télégraphe  est  coupé,  les  tuyaux  de  conduite 
d'eau  dégradés  et  aux  réclamations  des  Consuls,  le  Gouvernement  répond  qu'il  donne 
des  ordres  à  la  police,  mais  que  la  Constitution  repousse  comme  une  chose  barbare, 
l'application  de  la  responsabilité  des  tribus»"*. 

En  outre,  des  rumeurs  malveillantes  circulaient  dans  la  Régence;  on  accusait  le 
khaznadar  d'avoir  vendu  le  pays  aux  Français  :  les  grands  travaux,  l'emprunt  Erlanger 
étaient,  avec  la  constitution  patronnée  par  Léon  Roches,  autant  d'arguments,  autant 
de  preuves  de  cette  complicité.  Les  caïds  ou  les  khalifas  excusaient  leur  rapacité 
en  évoquant  les  millions  que  les  étrangers  coûtaient  au  pays,  et  les  agents  anglais 
attisaient  le  mécontentement  en  répandant  des  propos  anti-français.  «11  faut 
expliquer  aux  yeux  des  peuples,  la  rigueur  des  taxes,  les  emprunts,  les  dépenses 
publiques  immodérées  dont  la  véritable  origine  est  dans  la  dilapidation  des  hauts 
fonctionnaires.  On  caresse  donc  leur  unique  passion,  le  fanatisme,  en  faisant 
remonter  aux  Chrétiens  la  véritable  cause  des  sacrifices  exigés.  C'est  ainsi  que  les 
constructions  de  l'hôtel  consulaire  de  France,  les  travaux  exécutés  à  La  Marsa,  la 
restauration  de  l'aqueduc  de  Carthage,  ont  été  présentés  jusque  dans  les  provinces 
les  plus  éloignées  comme  le  principe  des  embarras  du  Trésor.  De  là,  le  peu  de 
sympathie  que  nous  inspirons»®. 


4  Arch.  Guerre.  Corresp.  Campenon.  Lt-colonel  Campenon  au  maréchal  Randon,  ministre  de  la  Guerre.  Tunis, 
31  mai  1862  [dép.  cit) 

5  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  10  janvier  1864. 


145 


Depuis  la  fin  de  1861,  les  incidents  se  faisaient  plus  nombreux  dans  le  pays  ;  sur  la 
frontière,  les  tribus  tunisiennes  prenaient  plus  d'audace  dans  leurs  incursions  en  Algérie. 
Dans  l'intérieur,  les  tribus  se  querellaient  entre  elles,  coupaient  les  pistes,  rançonnaient 
les  caravanes^.  Les  réformes  ont  déplu  aux  caïds,  expliquait  Léon  Roches.  Ils  ont  «voulu 
prouver  les  vices  de  la  nouvelle  organisation  et  à  cet  effet,  ils  ont  toléré  le  désordre, 
état  normal  des  Arabes  quand  ils  ne  sont  pas  retenus  par  une  main  de  fer.  Un  grand 
nombre  d'assassinats  et  de  vols  ont  été  commis.  Des  fractions  de  tribus  et  des  tribus 
entières  ont  razzié  leurs  voisines»^.  Le  gouvernement  avait  peine  à  recouvrer  les  impôts 
;  les  rentrées  d'argent  restaient  partout  insuffisantes.  A  l'automne  1862,  le  bey  du  camp, 
Hassouna,  en  difficulté  dans  l'ouest  montagneux,  n'avait  dû  son  salut  qu'à  l'intervention 
d'une  colonne  française  dans  la  région  de  La  Calle®. 

Sur  la  frontière,  les  incidents  se  multipliaient.  En  juin  1862,  le  maréchal  Pélissier 
qui,  depuis  deux  mois,  était  tenu  en  alerte  par  des  incursions  tunisiennes  en  Algérie, 
faisait  répondre  à  une  attaque  des  Ouled  bou  Ghanem  par  une  opération  en  force  contre 
leur  territoire.  Mais,  dès  l'automne  suivant,  le  consul  de  France  signalait  encore  des 
combats,  des  razzias  sur  les  mêmes  confins^.  Ces  incidents  qui  se  renouvelaient  avec 
plus  de  gravité,  l'année  suivante,  entraînaient  une  nouvelle  intervention  des  troupes 
françaises  dans  la  Régence,  en  direction  de  Thala,  en  juillet  1863^0,  intervention  dont 
l'effet  devait  demeurer  aussi  éphémère  que  celui  de  l'expédition  de  1862. 

11  était  difficile  à  Léon  Roches  de  se  déjuger  publiquement,  de  reconnaître  l'échec 
de  sa  politique  de  réformes,  d'avouer  le  recul  de  son  influence  au  Bardo^i.  Si  les  affaires 
traînaient,  il  en  rejetait  la  responsabilité  sur  des  conseillers  fanatiques,  sur  Heussein 
et  sur  Khérédine,  devenus  hostiles  à  la  France.  Au  quai  d'Orsay,  on  s'étonnait  de  voir  le 
consul  condamner  ceux  dont  il  vantait  les  mérites  deux  ans  plus  tôt^^^  taxer  de  versatilité 
les  Français  de  Tunis  qui  protestaient  contre  la  Constitution,  après  l'avoir  approuvée. 
Léon  Roches  n'allait  d'ailleurs  pas  tarder  à  quitter  la  Régence  :  il  s'embarquait  pour 
la  France  en  juillet  1863,  laissant  l'intérim  à  l'élève-consul  Moulinié,  Le  gouvernement 
italien,  de  son  côté,  mettait  fin  à  la  difficile  gestion  du  chevalier  Bensa  et  le  remplaçait, 
à  la  tête  du  consulat,  par  Cambarotta  qui,  selon  Moulin,  avait  laissé  de  bons  souvenirs  à 
Tunis,  en  tant  que  vice-consul.  Richard  Wood  allait  désormais  passer  au  premier  plan. 

Le  nouveau  consul  de  France,  Charles  de  BeauvaP'^,  qui  débarquait  à  La  Coulette, 
le  l®'  novembre  1863,  ne  pouvait  avoir  la  même  autorité.  11  n'était  pas  nouveau 
cependant  en  pays  d'Islam,  car  il  avait  géré  pendant  trois  ans  le  consulat  d'Alexandrie. 
Nommé  consul  à  Buenos-Aires,  il  avait  refusé  ce  poste  et  obtenu  la  gérance  de  celui 


6  Arch.  Rome.  Dép.  de  Fasciotti.  Tunis,  2  juillet  1862. 

7  Arch.  Rés.  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  7  décembre  1861  (dép.  cit). 

8  F.  0.  102/65.  Wood  à  Russell.  Tunis,  20  et  29  novembre  1862. 

Arch.  Rés.  Dép.  pol.  de  Roches.  Tunis,  13  décembre  1862. 

9  Ibid.  Dép.  pol.  de  Roches.  Tunis,  6  septembre  et  13  décembre  1862. 

10  F.  0.102/68.  Wood  à  Russell.  Tunis.  31  juillet  1863  (dép.  cit). 

11  Signalé  par  le  consul  italien,  dès  la  fin  de  1862  (Arch.  Rome.  Bensa  à  Durando.  Tunis,  décembre  1862). 

12  A.  E.  Tunis,  vol.  21.  Note  marginale  sur  la  dépêche  n°  21  de  Roches  à  Thouvenel.  Tunis,  17  mai  1862. 

13  II  était  nommé  ministre  à  Yedo,  le  7  octobre  1863. 

14  BEAUVAL  (Barthélemy-C7?ar/es-DEQUENT  de)  né  le  27  février  1817,  attaché  aux  Archives,  29  octobre  1840  ; 
attaché  au  Cabinet,  2  janvier  1843  ;  attaché  payé,  1®*^  novembre  1843  ;  chevalier  de  la  Légion  d'honneur, 
1845  ;  rédacteur  à  la  direction  politique,  1848  ;  mis  en  disponibilité,  8  novembre  1858  ;  secrétaire  ;  chargé 
de  la  gestion  du  consulat  général  d’Alexandrie,  1860  ;  officier  de  la  Légion  d'honneur,  15  février  1862  ; 
consul  général  à  Buenos-Aires,  25  février  1863  chargé  de  la  gestion  du  consulat  de  Tunis,  16  novembre 
1863-8  janvier  1865.  Admis  à  l'inactivité,  2  janvier  1866  (fichier  A.  E). 


146 


de  Tunis,  grâce  à  la  recommandation  de  Madame  Cornu  auprès  de  l'Empereur.  De 
Beauval  était  peu  pondéré,  «nerveux,  orgueilleux,  de  langage  brutal.  Mais  la  faveur 
exceptionnelle  dont  il  venait  de  bénéficier  faisait  de  lui  le  fidèle  serviteur  du  Secret 
de  l'Empereur». 

11  recopia  tous  les  rapports  adressés  à  Drouyn  de  Lhuys  pour  Madame  Cornui^, 
auxquels  il  joignit  des  lettres  personnelles  où  il  dépeignait  choses  et  gens  d'une  façon 
plus  directe^®. 

En  septembre  1863,  le  gouvernement  avait  décidé  d'étendre  à  tous  les  sujets  tunisiens, 
sans  distinction  de  classe  ni  de  religion,  la  taxe  de  la  capitation,  ou  mejba,  dont  étaient 
jusqu'alors  dispensés  les  habitants  de  la  capitale,  ceux  de  Kairouan,  de  Sousse,  Monastir 
et  Sfax,  ainsi  que  les  fonctionnaires,  les  soldats,  les  étudiants,  les  ulémas  et  les  Juifs  de 
Tunis.  Trois  mois  plus  tard,  la  mejba  était  doublée,  portée  généralement  à  72  piastres. 
«Déjà  les  dernières  rentrées  du  Trésor  avaient  été  très  incomplètes  ;  du  côté  du  Djérid, 
on  a  refusé  l'impôt  ;  ailleurs,  des  tribus  nomades  ont  passé  sur  le  territoire  de  Tripoli.  11 
est  certain  qu'aucun  accroissement  de  la  prospérité  générale  ne  justifie  l'aggravation  des 
taxes.  Sous  le  dernier  règne,  60.000  mesures  de  terre  étaient  cultivées  ;  aujourd'hui  le 
chiffre  n'en  atteint  pas  40.0001^».  De  Beauval,  prévoyant  des  troubles,  avait  déjà  pris  sur 
lui  d'envoyer  au  khaznadar,  le  5  décembre,  une  lettre  de  conseils^®  que  celui-ci  relevait 
avec  quelque  froideuri®.  Drouyn  de  Lhuys,  de  son  côté,  rappelait  à  l'ordre  le  consul  dont 
il  qualifiait  nettement  la  démarche  d'inopportune^o.  La  déception  de  de  Beauval  était 
vive,  son  orgueil  profondément  mortifié.  11  rejeta  sur  le  khaznadar  la  responsabilité  de 
son  échec  et  lui  voua  une  haine  si  vive  qu'elle  apparaissait  même  dans  le  style  officiel  de 
sa  correspondance  avec  le  quai  d'Orsay. 


15  M.  Emerit  :  La  Révolution  tunisienne  de  1864.  Le  secret  de  l'Empereur.  R.  T.  1939,  p.  225. 

Broadley  insiste  sur  la  raideur  et  la  brutalité  du  consul  dans  ses  rapports  avec  le  gouvernement  tunisien 
[Last  Punie  Wfar,  vol.  1,  pp.  122-139). 

16  «A  Paris,  je  pensais  absolument  comme  vous  ;  à  Tunis,  mon  opinion  est  toute  différente,  et  elle  n'est  pas 
de  fantaisie.  Je  n'ai  point  entendu  un  autre  langage  que  celui  que  j'adresse  au  Ministre  par  une  dépêche 
(Dép.  pol.  n°  1,  du  même  jour)  dont  je  vous  envoie  copie.  Cinquante  personnages  au  plus,  élevés  de  l'état 
d'esclaves  à  la  plus  haute  fortune,  gouvernent  le  pays.  Le  bey,  pour  rétablir  l'équilibre  en  faisait  de  temps  à 
autre  pendre  quelques-uns. 

Ils  ont  réussi  à  le  lier  par  une  Constitution  qui  les  défend  seuls.  Ils  l'ont  abruti  par  de  tristes  plaisirs  ;  c'est 
dommage.  Son  visage  inspire  tout  d'abord  la  sympathie  et  il  est  plus  beau  que  tous  les  Mamelucks.  Nul  doute 
que  s'il  s'émancipait,  on  lui  ferait  passer  un  mauvais  moment»  M.  Emerit,  op.  cit.  R.  T.  1939,  pp.  225-226). 

17  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  5.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  11  décembre  1863. 

18  Cette  lettre  manque. 

19  «J'ai  reçu  votre  lettre  personnelle  du  5  décembre  1863  ;  j'ai  pris  connaissance  des  conseils  qu'il  vous  a 
semblé  utile  de  donner  au  sujet  de  l'augmentation  de  l'impôt  (de  capitation)  et  j'ai  exposé  ces  conseils  à  S.A. 
Si  Dieu  le  veut,  les  troubles  que  vous  craignez  ne  se  produiront  pas.  Puissiez-  vous  vivre  sous  la  sauvegarde 
divine».  (Arch.  Rés.  Premier  ministre  à  Beauval,  5  janvier  1864). 

20  «Si  nous  devons  tenir  la  main  à  ce  que  nos  nationaux  ne  soient  pas  lésés  dans  leurs  droits  séculaires,  nous  ne 
saurions  être  trop  réservés  en  ce  qui  concerne  l'administration  intérieure  du  pays,  dans  laquelle  nous  n'avons 
aucun  titre  pour  intervenir,  à  moins  que  les  intérêts  de  nos  nationaux  ne  s'en  trouvent  particulièrement 
atteints.» 

«Sans  doute  le  Consulat  général  peut,  suivant  l'occasion,  faire  entendre  d'utiles  conseils,  mais  en  évitant  avec 
soin  d'engager  sa  responsabilité  ou  celle  du  Gouvernement  de  l'Empereur.  Si  le  Khaznadar  vous  avait  consulté 
sur  l'augmentation  projetée  de  la  dîme,  vous  auriez  dû  lui  présenter  les  objections  que  cette  mesure  vous 
paraît  provoquer,  mais  j'aurais  préféré  que  vous  ne  prissiez  pas  l'initiative  de  lui  adresser  vos  observations 
et,  dans  tous  les  cas,  que  vous  ne  le  fissiez  pas  par  une  communication  écrite.  Des  démarches  de  cette  nature, 
même  en  leur  conservant  une  forme  officieuse,  ne  sont  pas  sans  inconvénient  et  je  vous  recommande  de  n'y 
avoir  recours  à  l'avenir  que  dans  le  cas  où  votre  intervention  serait  suffisamment  justifiée»  (Ibid.  Drouyn  de 
Lhuys  à  Beauval,  23  décembre  1863). 


147 


Si  le  consul  avait  été  maladroit,  l'événement  lui  donnait  cependant  raison.  La  mejba 
était  une  taxe  impopulaire.  Dès  que  les  agents  du  bey  voulurent  la  percevoir  sur  le  taux 
de  72  piastres,  la  révolte  éclata. 

2  -  Le  développement  de  la  révolte 

Le  10  mars  1864,  Jean  Mattepi  télégraphiait  de  Sfax.  «Toutes  les  tribus  sont  d'accord 
pour  ne  point  payer  le  nouvel  impôt  de  72  piastres.  Déjà  les  Bénézid22,  malgré  la  présence 
chez  eux  du  camp  commandé  par  Si  Sélim^^,  se  sont  refusés  de  payer  l'impôt  susdit. 
A  peine  s'ils  se  décident  à  payer  les  36.  La  jonction  de  toutes  les  tribus  aura  lieu  au 
premier  signal  de  départ  de  Tunis  d'un  camp  quelconque  ayant  l'intention  de  prélever 
cet  impôt24».  Le  14  mars,  c'est  le  caïd  des  Algériens  du  Kef  qui  annonce  :  «Les  Ouled 
Bou  Ghanem  et  les  Frèchich  ont  attaqué  les  Ouled  Yaya  d'Algérie...  Toutes  les  tribus  de 
la  frontière  sont  en  mouvement.  11  y  a  beaucoup  d'irritation  contre  le  gouvernement 
tunisien.  Une  grande  agitation  règne  dans  le  pays  à  cause  de  l'impôt  de  72  piastres^s». 

a)  Soulèvement  des  tribus 

Partie  de  l'Arad,  l'insurrection  gagnait  le  Djérid,  le  pays  de  Kairouan,  se  propageait 
dans  l'ouest,  autour  du  Kef,  pour  atteindre  en  avril  la  vallée  de  la  Medjerda.  En  moins 
d'un  mois,  presque  tout  le  pays  était  en  état  de  révolte.  Les  barques  maltaises  apportaient 
ouvertement  la  poudre  anglaise  de  contrebande  que  les  tribus  commandaient  aux  Juifs 
de  la  côte.  Les  seules  caravanes  qui  pouvaient  circuler  étaient  celles  qui  étaient  chargées 
de  poudre  ou  de  plomb  et  qu'escortaient  les  révoltés  eux-mêmes^^.  Un  peu  partout,  des 
notables  avaient  pris  la  tête  du  mouvement  :  les  caïds  ou  les  khalifas  devaient  s'enfuir 
ou  se  terrer  ;  les  rebelles  s'emparaient  de  leurs  cachets,  pillaient  leurs  silos  ;  des 
serments  solennels,  des  repas  pris  en  commun  scellaient  leur  entente.  Chez  les  Zlass, 
le  mouvement  était  dirigé  par  un  homme  de  grande  tente,  Sebouaï  ben  Mohammed 
Sebouaï  ;  chez  les  Riah,  par  Ben  Dahar.  Dans  l'ouest,  un  lettré  de  la  tribu  des  Majeur,  Ali 
ben  Ghedahem,  avait  été  reconnu  chef  de  la  révolte,  probablement  grâce  à  l'appui  de  la 
puissante  confrérie  des  Tijâniyya^^.  Ben  Ghedahem  était  âgé  alors  d'une  cinquantaine 
d'années.  Fils  d'un  cadi  des  Majeur  qui  aurait  été  empoisonné  par  le  caïd  de  la  tribu. 


21  MATTEI  {Jean-Henri),  agent  consulaire  de  France  à  Sfax  depuis  le  25  juin  1858  (Arch.  Rés.  Comm.  n°  211. 
Tunis,  2  novembre  1872],  né  en  1827  à  Benghazi,  mort  à  Sfax  en  1903.  II  était  le  fils  du  Corse  Thomas  Mattéi, 
ancien  maréchal  des  logis  sous  le  premier  Empire,  ancien  capitaine  de  la  marine  marchande,  fixé  à  Benghazi, 
puis  à  Sfax,  à  partir  de  1833.  Jean  Mattéi  avait  deux  frères  et  quatre  sœurs,  dont  l'une  épousa  Espina,  agent 
consulaire  de  France  à  Sousse.  Il  eut  neuf  enfants  (P  -  Grandchamp  :  Documents  relatifs  à  la  révolution  de 
1864  en  Tunisie  Tunis  1935,  vol.  2,  note  2,  p.  377). 

Jean  Mattéi  qui  pratiquait  le  négoce  pour  le  compte  de  correspondants  marseillais  était  en  relations  avec  les 
tribus  de  l'intérieur.  Agent  actif,  très  lié  avec  Roustan,  il  milita  vivement  en  faveur  de  l'expédition  française 
en  Tunisie.. 

22  Béni  Zid,  tribu  de  l'Arad. 

23  Le  général  Sélim,  gouverneur  de  l'Arad,  qui  devint  gouverneur  de  Tunis  en  octobre  1865.  Il  avait  au  moins  un 
homonyme,  le  général  d'artillerie  Sélim. 

24  Arch.  Rés.  Mattéi  à  Beauval.  Sfax,  10  mars  1864. 

25  Ibid.  Tél.  à  Beauval.  Le  Kef,  14  mars  1864. 

26  Ibid.  Tél.  de  Mattéi  à  Beauval.  Sfax,  10  mars  1864;  Espina  à  Beauval  Sousse,  17  avril  1864. 

-  ESPINA  (Antoine-Augustin-François  de  Paule-  Joseph)  né  à  Rome,  le  14  mars  1819,  naturalisé  en  1849 
(Arrêté  du  ministère  de  la  Justice  n°  1175.  Bull.  Lois.  Suppl.  1849,  vol.  1,  p.l82).  Entre  aux  Affaires  étrangères, 
le  15  février  1849;  agent  consulaire  à  Sfax,  26  juillet  1852  ;  à  Sousse,  1857  ;  mort  du  choléra  à  Sousse,  en 
1867  (Fichier  A.  E.),  Il  était  le  beau-frère  de  Jean  Mattéi  dont  il  avait  épousé  la  sœur  Marie. 

27  F.  0.102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  25  Juin  1864. 

Ch.  Monchicourt  :  La  région  du  Haut  Tell  en  Tunisie,  op.  cit.  p.  318. 


148 


Larbi  Baccouche  Sehili,  il  avait  fait  quelques  études  à  la  Grande  Mosquée  et  était  devenu 
le  secrétaire  de  Larbi  Baccouche.  Proclamé  bey  du  peuple,  semble-t-il,  par  les  Majeur, 
il  n'allait  pas  tarder  à  faire  reconnaître  son  autorité  par  les  tribus  voisines,  Ouled  Ayar, 
Frèchich  et  Ounifa,  et  à  faire  figure  de  chef  suprême  des  insurgés^®. 

De  semaine  en  semaine,  les  dépêches  consulaires  montraient  l'extension  du 
mouvement  :  «Le  Kef  a  été  envahi  et  ses  six  bazars  pillés.  Aux  environs  du  Kairouan,  les 
communications  ont  cessé.  Du  côté  de  Gabès,  le  général  Si  Sélim  et  un  corps  de  troupes 
qu'il  commande  se  trouvent  comme  bloqués.  Vers  la  frontière  de  Tripoli,  1.300  morts  ou 
blessés  restent  sur  le  terrain  où  s'étaient  rencontrés  les  Noraïls  et  les  Ourghemmas...  Les 
troupeaux  du  Bey  continuent  d'être  pillés  ;  partout  le  vol  et  le  brigandage  ;  les  caravanes 
renoncent  à  partir  ou  prennent  de  longs  détours»^®. 

«L'effervescence  des  provinces  continue.  Medjess-el-Bab  a  été  le  théâtre  d'une 
lutte  acharnée,  Baja  [Béja],  centre  d'un  riche  pays  de  culture,  a  été  pillé.  Les  environs 
immédiats  de  Tunis  ne  sont  pas  épargnés.  On  a  dévasté  une  ferme  du  Khaznadar  et 
le  palais  d'un  général  appelé  à  prendre  l'initiative  de  la  répression.  Le  Gouvernement 
affecte  de  se  montrer  calme...  A  ses  yeux  la  lutte  est  la  suite  d'une  rivalité  ordinaire  de 
tribus  à  tribus»^^. 

«L'effervescence  est  devenue  révolution.  Nomdoun-el-Schérif  El  Medjerd^i,  ancien 
caïd  des  Ouled  Medjeur,  a  été  proclamé  Bey  dans  la  province  du  Kef.  Plus  de  capitation  ; 
plus  de  Mamelucks;  plus  de  constitution  ;  tel  est  le  mot  d'ordre.  Jusqu'à  présent,  le 
fanatisme,  et,  à  l'exception  d'actes  isolés,  le  pillage  sont  restés  étrangers  au  mouvement.... 
L'insurrection  est  générale  et  s'étend  jusqu'à  une  heure  de  Tunis32». 

Les  caïds  que  le  bey  avait  envoyés  dans  leurs  provinces  pour  procéder  à  la  levée  des 
impôts  devaient,  les  uns  après  les  autres,  revenir  précipitamment  au  Bardo:  le  général 
Heussein,  agha  et  caïd  de  Béja,  Ahmed  Zarrouk,  caïd  du  Djérid,  Ibrahim  ben  Abbas,  caïd 
des  Drid,  le  général  de  division  Rechid,  caïd  de  Kairouan  et  des  Zlass.  Moins  heureux,  le 
général  Farhat,  gouverneur  du  Kef  et  des  Ounifa,  trouvait  la  mort,  le  16  avril,  dans  un 
engagement  avec  un  parti  de  rebelles  Ounifa,  entre  Teboursouk  et  le  Kef.  Abandonné 
par  les  150  spahis  de  son  escorte,  il  avait  succombé  après  une  belle  résistance,  avec 
la  poignée  de  serviteurs  qui  lui  étaient  restés  fidèles^^.  Le  22  avril,  Wood  signalait  que 
la  rébellion  était  générale  :  Tunis  était  coupée  de  Sousse,  les  insurgés  avaient  pris 
Kairouan.  Craignant  que  la  révolte  ne  prît  l'allure  d'une  guerre  sainte  et  ne  provoquât  le 
massacre  des  chrétiens,  il  demandait  l'envoi  de  navires  de  guerre  sur  les  points  les  plus 
menacés^^. 

Les  lignes  télégraphiques  avaient  été  rompues  dès  le  début  d'avril;  il  fallait  bientôt 
renoncer  à  les  rétablir  devant  les  dangers  qui  menaçaient  le  personnePs.  Le  service 
était  interrompu  sur  l'ensemble  du  réseau  et  Tunis  coupée  de  l'Algérie.  Au  Kef,  les  trois 


28  Ben  Dhiaf  :  chap.  VIII,  insurrection  de  1864. 

29  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  1^^  avril  1864. 

30  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  16  avril  1864. 

31  II  doit  s'agir  d'une  déformation  du  nom  de  [Ali  ben]  Ghedahem  ech  cherif  el  Majeur. 

32  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  20  avril  1865. 

33  Ibid,  même  dépêche.  Lettre  de  Jacomet  à  Beauval.  Tunis,  21  avril  1864  (publiée  par  P.  Grandchamp,  op.  cit. 
vol.  1,  p.  24)  ;  Ben  Dhiaf,  chap.  VIII. 

34  F.  0.102/71.  Wood  au  vice-amiral  Smart.  Tunis,  avril  1864. 

35  36  employés,  dont  22  Français  et  14  indigènes,  sous  la  direction  du  sous-inspecteur  Jacomet,  en  six  bureaux  : 
Tunis,  Le  Bardo,  La  Goulette,  Le  Kef,  Sousse  et  Sfax  (d'après  la  liste  du  personnel  de  la  mission  télégraphique 
publiée  par  P.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  1,  p.  3). 


149 


employés  français  du  bureau,  perdus  au  milieu  d'une  foule  musulmane  hostile,  risquaient 
le  massacre  à  tout  moment.  Le  général  Desvaux,  commandant  du  cercle  de  Souk-Ahras, 
leur  envoya  un  messager  sûr  qui  réussit  à  les  faire  sortir  du  Kef  et  à  les  ramener,  sains  et 
saufs,  en  Algérie^^. 

Sur  la  côte,  la  situation  était  moins  grave  ;  les  villes  qui  avaient,  comme  les  tribus, 
refusé  le  doublement  de  la  mejha,  n'avaient  cependant  pas  fait  cause  commune  avec  elles. 
Sousse,  Monastir,  Sfax  comptaient  sur  leurs  remparts  pour  prévenir  le  pillage  par  les 
nomades  ou  les  villageois  du  Sahel.  Mais,  à  Sousse,  les  troupes  fondaient  par  désertion 
de  cinq  mille  hommes  à  deux  cents^^  ;  il  fallait  recourir  aux  citadins  pour  assurer  un 
service  de  patrouilles.  Tous  les  villages  du  Sahel  étaient  en  état  de  révolte  :  nomades 
et  sédentaires  s'entendaient  pour  piller  les  jardins,  enlever  les  troupeaux  de  la  ville. 
Mahdia,  cité  sans  remparts,  était  pillée  le  25  avril  par  les  villageois  d'alentour^». 

«Pris  à  l'improviste  comme  toujours,  le  Gouvernement  qui,  en  dehors  de  ses  spahis 
irréguliers,  n'a  à  opposer  au  mouvement  que  trois  ou  quatre  mille  recrues,  dont  un 
bataillon  est  à  peu  près  seul  organisé  à  Tunis,  se  voit  contraint  encore  une  fois  de  rappeler 
les  vieux  soldats  qui  avaient  été  renvoyés  pour  la  plupart  dans  leurs  foyers»»®,  ces  «deux 
ou  trois  mille  soldats  vieillis  et  déguenillés»  auxquels  Campenon  faisait  allusion,  deux 
ans  plus  tôpo,  et  que  Broadley  jugeait  «plus  aptes  à  tricoter  des  bas  qu'à  affronter  les 
intrépides  nomades  de  rintérieur»"*!.  Mustapha  faisait  d'ailleurs  savoir  à  de  Beauval,  le  14 
avril,  que  le  gouvernement  avait  décidé  de  se  passer  désormais  des  services  du  lieutenant- 
colonel  Campenon,  chef  de  la  mission  militaire  française^».  Pour  apaiser  l'insurrection, 
le  bey  annonçait,  par  une  circulaire  aux  caïds  datée  du  21  avril  1864,  qu'il  renonçait  au 
doublement  de  la  mejha,  ainsi  qu'à  la  réforme  de  la  justice.  En  même  temps,  l'application 
de  la  constitution  était  temporairement  suspendue. 

h)  L'arrivée  des  escadres  européennes 

Répondant  à  l'appel  de  leurs  consuls,  les  gouvernements  anglais,  français  et  italien 
dépêchaient  des  navires  vers  la  Régence,  pour  assurer  la  protection  de  leurs  nationaux. 
Le  14  avril,  la  corvette  anglaise  Firefly  arrivait  en  rade  de  La  Goulette.  Elle  y  était  rejointe, 
les  25  et  26  avril,  par  une  corvette  et  une  frégate  italiennes  et  deux  navires  anglais.  Un 
bâtiment  français  suivait  de  près.  Mais  ce  n'était  là  que  l'avant-garde  de  forces  plus 
considérables.  Une  escadre  française,  sous  les  ordres  du  contre-amiral  d'Herbinghem, 
mouillait  le  28  dans  les  eaux  de  Tunis.  Les  Italiens  dépêchaient  de  leur  côté  le  vice-amiral 
Albini  avec  trois  vaisseaux  de  ligne. 

Aussitôt  s'organisa  tout  un  système  de  patrouilles,  les  unités  les  plus  légères 
s'embossant  de  rade  en  rade  sur  les  côtes  orientales  de  la  Régence.  A  Sousse,  à  Sfax, 
corvettes  et  frégates  stationnaient  en  permanence,  prêtes  à  recueillir,  en  cas  de  besoin, 
les  familles  italiennes  et  maltaises  des  quartiers  francs.  Des  avisos  assuraient  la  liaison. 


36  Correspondance  entre  Jacomet  et  ses  agents  publiée  par  Grandchamp,  op.  cit.  vol.  1. 

37  Arch.  Rés.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  25  avril  1864. 

38  Ihid.  Arnaud  à  Beauval.  Mahdia,  25  avril  1864. 

ARNAUD  (Dominique],  agent  consulaire  à  Mahdia  depuis  le  31  mai  1862  (Arch.  Rés.  Comm.  n°  211.  Tunis, 
2  novembre  1872).  Né  à  Tunis,  il  était  âgé  de  44  ans  en  1864  et  célibataire.  Il  avait  succédé  à  ses  frères 
Thomas  et  Henri  (Grandchamp,  op.  cit  vol.  2,  p.  368). 

39  Arch.  Guerre.  Doss.  Campenon.  Campenon  au  maréchal  Randon.  Tunis.  19  mars  1864. 

40  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  31  mai  1862. 

41  hast  Punie  War,  vol.  1,  p.  123 

42  Arch.  Rés.  Mustapha  Khaznadar  à  Beauval,  14  avril  1864. 

Campenon,  attendant  les  instructions  du  ministre  de  la  Guerre,  devait  rester  à  Tunis  jusqu’au  20  juillet  1864. 


150 


visitaient  Gabès,  Monastir,  Mahdia,  transportant  le  courrier,  les  agents  du  bey,  les  réfugiés 
qui  voulaient  regagner  Tunis  ou  l'Europe.  Le  gros  des  escadres  stationnait  en  rade  de  La 
Goulette,  prêt  à  intervenir  au  premier  signal.  Leur  présence  ne  suffisait  cependant  pas  à 
rassurer  la  colonie  européenne.  Au  début  de  mai  apparaissaient  quelques  bandes  dans 
la  banlieue  de  Tunis.  Cette  menace,  les  échos  démesurément  grossis  des  désordres  et  du 
pillage  des  villes  de  la  côte,  entretenaient  dans  la  capitale  une  atmosphère  de  panique. 
Tous  les  mercredis,  le  paquebot-poste  italien^^  était  envahi  par  les  familles  italiennes, 
maltaises,  israélites  surtout,  qui  cherchaient  refuge  hors  de  la  Régence.  C'est  ainsi  que, 
le  8  juin,  disparaissait  le  caïd  Nessim,  infidèle  trésorier  du  gouvernement,  qui  mettait  en 
lieu  sûr  quelque  vingt  millions  «d'économies»44. 

Le  consul  de  France  était  maintenant  en  état  d'hostilités  ouvertes  avec  le  khaznadar. 
Appuyé  par  Campenon  que  le  premier  ministre  avait  cavalièrement  remercié  de  ses 
services,  de  Beauval  utilisait  toutes  les  circonstances,  tous  les  prétextes  pour  harceler 
Mustapha.  11  perdait  toute  mesure,  même  dans  sa  correspondance  avec  le  Quai  d'Orsay. 
En  dépit  des  conseils  de  modération  prodigués  par  Drouyn  de  Lhuys,  sa  gestion 
consulaire  semblait  n'être  plus  qu'un  duel  avec  le  khaznadar^s.  Le  18  avril  1864,  il  avait 
sommé  le  bey  d'abolir  la  constitution  ;  le  21,  il  revenait  à  la  charge  contre  la  convention 
anglaise  de  1863^6,  il  exigeait  la  démission  des  ministres.  La  présentation  au  Bardo  du 
commandant  de  l'escadre  française,  l'amiral  d'Herbinghem,  le  29  avril,  devait  être  pour 
de  Beauval  l'occasion  de  renouveler  au  bey  sa  demande  d'abrogation  de  la  constitution 
et  de  renvoi  du  khaznadar.  L'intervention  du  colonel  Campenon,  qui  attaqua  violemment 
le  premier  ministre,  fit  dégénérer  cette  protocolaire  visite  de  courtoisie  en  une  violente 
altercation  avec  le  khaznadar^^.  Le  bey  disait  à  Wood  que  ses  entretiens  avec  de  Beauval 
s'achèveraient  quelque  jour  en  pugilats.  Du  3  au  12  mai,  le  consul  et  le  premier  ministre 
échangeaient  dix  lettres  en  dix  jours,  brefs  billets  à  peine  polis,  malgré  les  formules 
de  courtoisie  à  l'orientale  ;  le  consul  signalait  les  incidents,  soulignait  les  désordres  et 


43  Le  service  Gênes-Livourne-Cagliari-Tunis  était  devenu  hebdomadaire  depuis  avril  1864  (Arch.  Rome.  Cerruti 
à  Gambarotta,  n°  22,  Turin,  15  mars  1864). 

44  Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  8  juin  1864. 

Le  caïd  Nessim  partait  pour  Paris  avec  mission  officielle  d'y  négocier  un  nouvel  emprunt.  Il  s'était  fait  donner 
quitus  de  sa  gestion  financière  par  le  khaznadar.  Nessim  partait  sans  esprit  de  retour.  Il  avait  le  bon  esprit 
d'emmener  avec  lui  une  partie  des  dossiers  financiers  du  gouvernement,  des  documents  compromettants 
pour  lui  et  pour  ses  complices,  qui  lui  permettaient  de  menacer  les  ministres  ou  les  fonctionnaires 
susceptibles  de  l'attaquer  après  son  départ.  Il  n'y  eut  pas  de  procès  Samama  comme  il  y  avait  eu  un  procès 
Benaïad.  Nessim  s'installa  à  Paris  où  il  demeura  jusqu'à  la  guerre  franco-allemande.  Il  y  négocia  presque 
simultanément  l'acquisition  des  nationalités  française  et  italienne,  mais  n'obtint  ni  l'une  ni  l'autre  pour  des 
raisons  que  nous  ignorons.  En  1871,  il  quitta  Paris  pour  Livourne  où  il  mourut,  le  24  janvier  1873.  Il  avait 
gardé  jusqu'à  sa  mort  la  disposition  de  ses  biens  immeubles  situés  dans  la  Régence,  30  maisons,  boutiques 
ou  terrains  qui  couvraient  tout  un  quartier  de  la  Hara  de  Tunis,  deux  domaines  de  400  et  450  hectares  à 
la  Mohammédia,  19  pièces  de  terre  à  La  Marsa,  des  maisons,  des  jardins  à  La  Goulette,  à  Sidi-Bou-Saïd,  à 
l'Ariana...  dont  la  valeur  était  globalement  estimée  à  un  million  de  francs. 

Il  fallut  attendre  l'ouverture  de  la  succession  du  caïd  Nessim  pour  pouvoir  dresser  le  bilan  de  sa  gestion. 
Le  montant  total  de  ses  détournements,  en  un  peu  plus  de  dix  ans,  fut  arrêté  à  15.626.209  piastres,  plus 
7.079.778,34  Fr,  soit  16.768.027,92  Fr  ou  27.045.206  piastres,  l'équivalent  d'une  année  et  demie  de  revenus 
de  la  Régence.  Il  est  impossible  d'apprécier  exactement  l'énormité  de  ce  chiffre.  Notons  seulement  qu'à 
l'heure  actuelle,  le  budget  des  recettes  tunisiennes  dépasse  20  milliards  de  francs.  Nessim  sut  encore  gérer 

habilement  sa  fortune  puisque  sa  succession  devait  être  estimée,  en  1881,  à  plus  de  27  millions  de  francs,  en 

valeurs  et  en  immeubles.  (Arch.  Tun.  Cartons  101-104,  passim). 

45  Gambarotta  télégraphiait  de  Tunis,  le  II  mai  1864  :  «Le  conflit  entre  le  Consul  de  France  et  le  Premier  Ministre 
est  devenu  une  affaire  personnelle».  (Arch.  Rome). 

46  F.  0.  102/71.  Wood  à  Russell.  Dép.  n°  13  et  15.  Tunis,  21  avril  1864. 

47  D'après  Broadley,  op.  cit  vol.  I,  p.  124.  F.  0.  102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  30  avril  1864.  Version  plus 

atténuée  chez  Campenon  (Arch.  Guerre.  Campenon  au  maréchal  Randon.  Tunis,  30  avril  1864). 


151 


ne  manquait  pas  d'en  rejeter  sur  le  gouvernement  du  bey  toute  la  responsabilité  ;  le 
khaznadar  répondait  en  niant  les  faits  ou  en  accusant  les  Français. 

De  l'intérieur  parvenaient  à  Tunis  les  nouvelles  les  plus  confuses  et  les  plus 
contradictoires.  Depuis  le  début  d'avril  1864,  tout  le  pays,  jusqu'aux  tribus  d'ordinaire 
les  plus  soumises,  était  en  état  de  rébellion.  Les  tribus  maghzen  elles-mêmes,  comme  la 
puissante  confédération  des  Drid,  s'étaient  jointes  au  mouvement.  La  plupart  des  caïds 
résidaient  à  Tunis  ;  ils  se  gardaient  bien  d'en  sortir,  craignant  un  sort  aussi  tragique  que 
celui  du  général  Farhat.  Bon  gré,  mal  gré,  cheikhs  et  notables  composaient  avec  la  révolte, 
quand  ils  n'en  avaient  pas  donné  eux-mêmes  le  signal.  Le  gouvernement,  impuissant, 
restait  fidèle  à  sa  tactique  de  temporisation  :  périodiquement,  le  khaznadar  annonçait  des 
soumissions,  faisait  publier  dans  le  journal  officiel  les  communiqués  les  plus  rassurants. 

L'étendue  de  la  rébellion  n'en  assurait  cependant  pas  l'unité.  La  plupart  des  tribus 
s'étaient  cantonnées  dans  une  attitude  purement  passive  :  elles  refusaient  de  payer  les 
taxes  et  de  recevoir  les  agents  du  Bardo.  Quelques  bandes  pillardes  venaient  menacer 
les  alentours  des  villes  du  Sahel,  mais  les  grandes  tribus  ne  prenaient  pas  l'initiative 
d'un  mouvement  dirigé  contre  la  capitale.  Au  début  de  mai,  les  chefs  des  Béni  Zid,  des 
Flammama,  des  Frèchich  et  des  Zlass  tenaient  à  Kairouan  une  conférence  qui  s'achevait 
dans  la  confusion^®.  La  steppe  restait  étonnamment  tranquille  cependant  :  les  caravanes 
continuaient  de  circuler  ;  les  tribus  les  plus  remuantes  faisaient  elles-mêmes  la  police^^. 

A  l'ouest,  Ali  ben  Ghedahem  avait  réussi  à  faire  reconnaître  son  autorité  par  les 
tribus  voisines,  les  Ouled  Ayar,  les  Ouartane  et  les  Frèchich,  du  même  parti  pachiste,  et 
même  par  la  plupart  des  Ounifa.  Appuyé  par  quelques  bandes,  il  tombait  sur  le  caïd  des 
Majeur,  Larbi  ben  Amar^o,  qu'il  accusait  de  vouloir  le  faire  empoisonner  à  l'instigation  du 
khaznadar,  et  le  tuait  avec  son  entourage^i.  Fin  mai.  Ben  Ghedahem  essayait  d'organiser 
une  nouvelle  conférence  des  chefs  de  tribus  à  Kairouan^^,  mais,  soit  lassitude,  soit 
mauvaise  volonté,  l'affaire  traîna  sans  se  réaliser. 

En  fait,  depuis  le  milieu  de  mai,  l'insurrection  marquait  le  pas.  Tunis  n'avait  pas 
même  été  menacée  et,  comme  l'avait  prévu  le  colonel  Campenon,  les  tribus  de  laboureurs 
s'occupaient  surtout  de  moissonner  leur  orge  et  leur  blé  et  de  les  mettre  en  lieu  sûr.  Ce 
temps  d'arrêt  était  suivi  par  les  nomades  vivant  de  l'échange  des  produits  sahariens 
contre  les  grains  du  TelF^.  Bientôt  allaient  reprendre  les  traditionnelles  rivalités  entre 
tribus  ou  fractions  de  tribus. 


48  F.  0.102/71.  Stevens  à  Wood.  Sousse,  4  et  9  mai  1864. 

49  Ibid.  Wood  à  Russell.  Tunis,  7  mai  1864. 

50  Si  Larbi  ben  Amar  el  Baccouche  Sehili. 

51  «Je  vous  ai  mis  au  courant  du  démembrement  des  bandes  dirigées  par  Ali  ben  Ghedahem...  En  constatant 
l'état  de  ses  bandes.  Ali  ben  Ghedahem  invita  les  Oulad  Ounifa  à  attaquer  le  bordj  de  notre  dévoué  Larbi  ben 
Amar  et  à  le  piller.  Ces  fractions  refusèrent  de  lui  obéir  mais,  samedi  soir,  le  bruit  se  répandit  que  Ali  ben 
Ghedahem  et  ses  partisans  auxquels  s'étaient  joints  quelques  habitants  des  Ouled  Ayar,  Ourtatani,  Fraichich, 
Oulad  bou  Ghanem  et  quelques  personnes  malhonnêtes  des  fractions  des  Ounifa...  avaient  attaqué  samedi 
matin  le  bordj  de  Sidi  Larbi  et  massacré  ses  habitants.  Le  nombre  des  morts  dans  les  rangs  des  rebelles 
serait  de  70  hommes  et  celui  des  autres  morts  serait  de  quarante.  Les  rebelles  pillèrent  et  saccagèrent  tout.» 
(Colonel  Salah  ben  Mohammed  Bach  Hamba  au  premier  ministre.  Le  Kef,  24  mai  1864.  Arch.  Secrétariat 
général,  doc.  Publié  par  P.  Grandchamp,  op.  cit.  vol.  2,  pp.  287-288). 

La  version  donnée  par  le  consul  de  France  était  plus  tendancieuse  :  «Le  nouveau  Bey  a  fait  juger  régulièrement 
et  condamner  à  mort  le  chef  de  la  tribu  des  Madjer,  convaincu  d'avoir  voulu  l'assassiner,  à  la  suggestion  du 
Premier  Ministre»  (Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  34.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  24  mai  1864). 

52  F.  0.102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  28  mai  1864. 

53  Arch.  Guerre.  Doss.  Campenon.  Campenon  au  maréchal  Randon.  Tunis,  15  mai  1864. 


152 


c)  Soulèvement  de  la  côte 


La  situation  s'aggravait  sur  la  côte  où  l'arrivée  des  bâtiments  européens  provoquait 
une  flambée  d'agitation  populaire,  une  poussée  de  fanatisme  religieux  et  de  xénophobie 
dont  les  quartiers  francs  des  villes  furent  les  premiers  à  souffrir.  Surexcitée  par  la  menace 
d'un  débarquement  français®"*  ou  italien  la  populace  urbaine  se  rua  sur  les  quartiers 
européens  et  juifs,  qu'elle  livra  au  pillage  et,  répudiant  l'autorité  du  bey  et  de  ses  agents, 
prétendit  se  placer  sous  la  protection  du  sultan. 

Sfax  était  pillée  le  30  avril,  et  les  habitants  du  faubourg  européen,  leurs  agents 
consulaires  en  tête,  devaient  se  réfugier  à  bord  d'une  corvette  anglaise®®.  Trois  semaines 
plus  tard,  le  caïd  devait  s'enfuir,  un  gouvernement  provisoire  de  notables  se  formait, 
tandis  qu'était  hissé  le  drapeau  vert  du  Prophète.  Les  rebelles  refusaient  de  recevoir 
l'envoyé  du  bey,  le  général  Osman  ;  ils  le  conspuaient  et  le  menaçaient  de  mort  aux  cris 
de  «vive  le  sultan  !  A  bas  le  bey  !.»  Le  3  juin,  les  Européens  qui  avaient  cru  pouvoir 
revenir  à  terre  devaient  à  nouveau  se  réfugier  sur  un  navire  français®®. 

Les  villes  du  Sahel  conservèrent  longtemps  plus  de  tranquillité.  A  Sousse,  écrivait 
Espina,  le  5  mai,  «et  dans  les  autres  villes  littorales,  la  crainte  d'être  bombardé  empêche 
les  citadins  de  se  pencher  du  côté  des  Arabes,  auxquels  se  mêlerait  inévitablement  la 
plèbe  du  pays,  c'est-à-dire  les  gens  sans  avoir,  ayant  tout  intérêt  à  piller.  Quant  à  ces 
derniers,  ils  déclarent  hautement  qu'ils  ouvriraient  la  ville  aux  Arabes  si  on  venait  à 
la  fermer,  par  la  nécessité  des  vivres  qui  leur  arrivent  de  la  campagne®''».  Un  vice-caïd 
énergique.  Si  Ahmed  Bou  Achour,  maintenait  l'ordre  dans  la  cité  de  Sousse,  sous  la 
menace  du  canon  et  des  quelques  soldats  qui  lui  restaient®®.  Une  sotte  panique  faisait 
cependant  s'embarquer  Italiens  et  Maltais  sous  la  direction  de  leurs  agents  consulaires, 
tandis  que  les  Français  restaient  dans  la  ville. 

Pour  restaurer  son  autorité  sur  la  côte,  le  bey  envoyait  en  mission  à  Sousse,  au 
milieu  de  mai,  le  caïd  et  ministre  de  la  Guerre,  Mohammed  Khaznadar,  dont  le  prestige 
était  grand  dans  le  Sahel.  Mais,  en  dépit  de  ses  bonnes  paroles,  de  la  promesse  du 
pardon  qu'il  répandit  généreusement,  le  général  Mohammed  ne  réussit  pas  à  rallier  les 
populations  et  à  lever  les  troupes  dont  le  bey  avait  besoin.  Le  jour  même  de  son  départ, 
le  31  mai,  l'insurrection  éclatait  dans  Sousse  ;  les  révoltés  se  faisaient  remettre  les  clefs 
de  la  kasbah  et  des  portes  de  la  ville.  Le  lendemain,  tous  les  Européens  s'enfuyaient  à 
bord  du  Garibaldi  ;  le  drapeau  vert  flottait  bientôt  sur  les  murs  de  la  ville®^. 

Malgré  plusieurs  alertes,  Monastir  évitait  le  pillage  comme  l'insurrection.  Les 
habitants  restaient  relativement  tranquilles,  se  contentant  de  ne  payer  ni  leurs  impôts, 
ni  leurs  dettes  envers  leurs  créanciers  européens  ou  juifs.  Ils  se  maintenaient  dans  une 
demi-neutralité  à  l'égard  des  rebelles,  tolérant  leur  gouverneur  réduit  aux  fonctions  d'un 
juge  de  paix®®.  Mahdia  adoptait  la  même  attitude,  mais  les  habitants  entreprenaient  la 


54  Arch.  Rés.  Circulaire  de  Beauval  aux  agents  consulaires,  24  mai  1864. 

55  Ibid.  Espina  à  Beauval.  Sousse.  5  mai  1864. 

56  Ibid.  Thomas  Mattéi  à  Beauval.  Sfax,  27  mai  et  4  juin  1864, 

Arch.  Rome.  Awocato  et  Gambarotta,  n°  99.  Sfax,  29  mai  1864,  (copié  par  Gambarotta  pour  Visconti-Venosta. 
N°  61,  7  juin  1864). 

57  Arch.  Rp.s.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  5  mai  1864. 

58  Arch.  Rome.  De  Gubernatis  à  Gambarotta.  Sousse,  1®»^  juin  1864. 

59  Arch.  Rés.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  20  et  31  mai,  3  juin  1864.  Ibid.  Cloquemin  à  l'inspecteur  Jacomet.  Sousse. 
31  mai  et  3  juin  1864  P.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  I,  pp.  149  et  155)  Arch.  Rome.  De  Gubernatis  à  Gambarotta. 
n°  66  et  67,  31  mai  et  l^>^juin  1864  (copié  par  Gambarotta  pour  Visconti-Venosta,  n°  61,  7  juin  1864). 

60  Arch.  Rés.  Gnecco  à  Beauval.  Monastir,  9  juillet  1864. 


153 


construction  d'un  rempart  pour  prévenir  le  retour  d'un  nouveau  pillage®^.  Les  menaces 
les  plus  graves  venaient  en  effet  des  villageois  du  Sahel  :  jaloux  de  l'aisance  des  citadins,  ils 
ne  rêvaient  que  pillage  ;  ils  profitaient  de  la  carence  du  gouvernement  pour  régler  entre 
eux  de  vieilles  querelles,  Husseinites  contre  Pachistes,  avec  l'appui  de  bandes  nomades 
du  voisinage.  Le  gros  bourg  de  Msaken  était  de  tous  le  plus  agité,  le  plus  fanatique®^  ; 
c'était  de  lui  que  partaient  tous  les  mots  d'ordre,  tous  les  mouvements  dirigés  contre 
Sousse. 

Isolée  au  sud,  Gabès  n'avait  pas  souffert  de  l'insurrection  de  l'Arad.  Mais,  le  28  mai, 
à  la  nouvelle  que  le  général  Sélim  devait  s'embarquer  sur  un  navire  anglais,  les  tribus 
révoltées  envahirent  l'oasis  et,  sous  la  menace,  contraignirent  le  caïd  à  restituer  l'argent 
qu'il  avait  naguère  perçu  de  ses  administrés®^.  De  Djerba  parvenaient  au  consulat  italien, 
le  3  juin,  des  nouvelles  d'anarchie  et  de  pillage,  les  Arabes  de  Zarzis  venant  pirater  dans 
rîle®4. 


SOUSSE 

(Chassiron,  op.  cit). 


3  -  L'intervention  des  grandes  puissances 

En  prenant  la  décision  d'envoyer  des  navires  dans  les  eaux  tunisiennes,  les  trois 
gouvernements  n'avaient  d'autre  intention  que  de  protéger  leurs  nationaux  et  leurs 
intérêts  dans  la  Régence.  Ils  prirent  soin  de  le  rappeler  à  leurs  représentants  à  Tunis  et 
chacun  d'entre  eux  protesta  de  son  désintéressement  par  des  déclarations  rassurantes 
auprès  des  autres  cabinets.  Le  gouvernement  français  a  envoyé  l'escadre  à  Tunis, 
écrivait  Drouyn  de  Lhuys,  «pour  protéger  la  sécurité  de  nos  nationaux  sans  intervenir 
en  rien  dans  le  conflit  intérieur.  Notre  intention  est  d'éviter  jusqu'à  l'apparence  d'un 
antagonisme  avec  le  consulat  général  d'Angleterre  à  Tunis.  Je  l'ai  expressément 
recommandé  à  M.  de  Beauval...  Nous  ne  sommes  en  effet  guidés  par  aucune  prétention 
d'influence  exclusive  et  nous  n'obéissons  qu'aux  nécessités  d'une  position  qu'il  est  de 
notre  devoir  de  sauvegarder»®^,  il  invitait  l'ambassadeur  français  à  Londres,  le  prince 


61  Ibid.  Rapports  d'Arnaud  à  Beauval  ;  Arch.  Rome.  Gambarotta  à  Visconti-Venosta,  n°  62.  Tunis,  14  juin  1864. 

62  Msaken,  bourg  de  six  à  sept  mille  âmes,  situé  à  douze  kilomètres  au  sud  de  Sousse.  Son  accès  était 
traditionnellement  interdit  aux  Infidèles. 

63  Arch.  RES.  H.  Sicard  à  son  père,  à  Sousse.  Gabès,  28  mai  1864. 

64  Arch.  Rome.  Rapport  du  vice-consul  italien  copié  par  Gambarotta  pour  Visconti-Venosta,  n°  61,  7  juin  1864. 

65  A.  E.  Angleterre,  vol.  729.  Drouyn  de  Lhuys  à  La  Tour  d'Auvergne.  Paris,  24  avril  1864. 


154 


de  La  Tour  d' Auvergne®®,  à  en  informer  lord  Russell®^.  Celui-ci  assurait  à  son  tour  que  le 
gouvernement  britannique  n'avait  pas  d'autres  desseins.  Il  faisait  lire  au  prince  de  La 
Tour  d'Auvergne  les  instructions  qu'il  venait  d'envoyer  au  consul  Wood  «Vous  n'avez 
en  aucune  façon  à  intervenir  dans  les  affaires  intérieures  du  pays.  J'apprends  que  le 
gouvernement  français  a  donné  des  instructions  identiques  ;  vous  agirez  donc  autant 
que  possible  de  concert  avec  votre  collègue  français®®».  Le  gouvernement  italien  donnait 
les  mêmes  assurances  :  «L'officier  général  qui  commande  ces  forces  maritimes  a  pour 
mission  de  protéger  les  intérêts  de  ses  nationaux;  ses  instructions  lui  enjoignent  en 
outre,  de  se  concerter  en  toute  occasion  avec  les  commandants  des  escadres  française 
et  anglaise  et  d'agir  en  parfait  accord  avec  eux»®^. 

De  fait,  les  instructions  envoyées  à  leurs  consuls  par  les  trois  cabinets  de  Paris, 
de  Londres  et  de  Turin,  leur  prescrivaient  également  de  se  limiter  à  la  protection  de 
leurs  ressortissants  et  de  s'abstenir  de  toute  ingérence  dans  les  affaires  intérieures 
tunisiennes.  Chacun  des  gouvernements  se  montrait  décidé  à  pratiquer,  d'accord  avec 
les  autres,  une  politique  de  stricte  non  intervention  et  à  ne  pas  profiter  de  la  présence  de 
son  escadre  pour  s'assurer  des  avantages  particuliers  dans  la  Régence^®. 

Or,  le  11  mai,  un  détachement  naval  ottoman  venait  se  joindre  aux  forces  françaises, 
anglaises  et  italiennes  stationnées  dans  les  eaux  tunisiennes.  La  Porte  qui  n'avait  cessé 
de  considérer  la  Régence  comme  une  des  provinces  de  l'Empire,  trouvait  dans  la  révolte 
et  l'intervention  collective  des  puissances,  une  excellente  occasion  de  resserrer  les 
liens  de  suzeraineté  qui  Punissaient  au  gouvernement  du  bey.  Elle  dépêcha  en  mission 
d'information  un  envoyé  extraordinaire,  Haïder  Effendi,  ancien  ministre  plénipotentiaire 
à  Téhéran.  Du  moins.  Ali  Pacha,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  turc,  assurait-il  à 
l'ambassadeur  de  France,  le  marquis  de  Moustier^i,  «que  la  Porte  n'avait  nulle  envie  de 


66  LA  TOUR  DAUVERGNE-LAURAGUAIS,  (Henri-Bernard-Godefroi-Alphonse,  prince  de),  diplomate  et  homme 
d  Etat  français,  né  en  1823,  mort  en  1871.  Entré  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  comme  surnuméraire 
en  1841,  il  fut  détaché  en  mission  en  Italie,  en  1848  et  1849  et  devint  secrétaire  à  Rome,  jusqu'en  1854  ; 
ministre  à  Weimar,  4  décembre  1854,  ministre  plénipotentiaire  près  le  grand  duc  de  Toscane,  7  novembre 
1855  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  près  le  roi  de  Sardaigne,  16  août  1857  ;  à  Berlin, 
7  décembre  1859  ;  ambassadeur  à  Londres,  13  octobre  1863  ;  ministre  des  Affaires  étrangères,  du  17  juillet 
1869  au  2  janvier  1870  ;  ambassadeur  à  Vienne,  du  16  juillet  1870  au  13  mars  1871;  grand  croix  de  la  Légion 
d'honneur,  depuis  le  10  août  1867.  (Fichier  A.  E). 

67  RUSSELL  (lord  John,  comte),  homme  d'Etat  anglais,  né  et  mort  à  Londres  (1792-1878),  troisième  fils  de  John 
Russell,  sixième  comte  de  Bedford.  Elu  député  en  1813,  il  fut  chargé  de  fonctions  subalternes  dans  le  cabinet 
whig,  dès  1831.  Secrétaire  d'Etat  à  l'Intérieur,  puis  aux  Colonies  dans  le  cabinet  Melbourne  (1835-1841)  ; 
premier  ministre  et  premier  lord  de  la  Trésorerie  (1846-1852)  ;  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères 
dans  le  cabinet  Aberdeen,  décembre  1852,  il  démissionna  le  21  février  1853  ;  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires 
étrangères  pour  la  seconde  fois,  dans  le  deuxième  ministère  Palmerston  (1859-1865),  il  devint,  pour  la 
seconde  fois,  premier  ministre  à  la  mort  de  Palmerston,  le  18  octobre  1865,  et  démissionna  le  18  juin  1866. 
Il  avait  été  élevé  à  la  pairie,  en  juillet  1861,  comme  premier  comte  Russell  et  vicomte  Amberley,  et  fait 
chevalier  de  la  Jarretière,  en  janvier  1862. 

68  A.  E.  Angleterre,  vol.  729.  La  Tour  d'Auvergne  à  Drouyn  de  Lhuys.  Londres,  25  avril  1864. 

F.  0.  102/70.  Tél.  de  Russell  à  Wood.  F.  O.  24  avril  1864. 

69  A.  E.  Italie,  vol.  9.  Malaret  à  Drouyn  de  Lhuys.  Turin,  29  avril  1864. 

70  Arch.  Rés.  Drouyn  de  Lhuys  à  Beauval.  Paris,  27  avril  1864. 

F.  0.10  2/70.  Tél.  de  Russell  à  Wood.  F.  O.  24  avril  1864. 

Arch.  Rome.  Visconti-Venosta  à  Gambarotta  et  à  l'amiral  Albini.  Turin,  27  avril  1864. 

71  MOUSTIER  (Léonel-Desle-Marie-François-René,  marquis  de),  né  le  23  août  1817,  mort  à  Paris,  le  5  février 
1869. 

Conseiller  général  du  Doubs,  député  à  l'Assemblée  législative,  en  1849  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  à  Berlin,  5  mars  1853  ;  ambassadeur  à  Vienne,  17  novembre  1859  ;  ambassadeur  à 
Constantinople,  28  août  1861  ;  ministre  des  Affaires  étrangères,  du  1^*^  septembre  1866  au  17  décembre 
1868  (Fichier  A.  E.). 


155 


faire  un  coup  de  tête^^».  Haïder  Effendi  «a  pour  mission  de  s'enquérir  des  causes  qui 
ont  pu  amener  les  derniers  événements  et  de  l'état  des  choses.  11  a  l'ordre  de  fournir 
des  renseignements  à  la  Porte  et  d'attendre  de  nouvelles  instructions.  Deux  frégates 
et  une  corvette  accompagnent  Haïder  Effendi  qui  doit  se  mettre  en  rapport  avec  les 
commandants  des  escadres  anglaise  et  française.  La  Porte  est  disposée  à  ne  rien  faire 
sans  s'entendre  avec  nous,  et  elle  espère  que  le  gouvernement  de  l'Empereur  usera  de  la 
même  réciprocité^^»  pg  gouvernement  turc  faisait  la  même  communication  au  cabinet 
de  Turin. 

Drouyn  de  Lhuys  ne  pouvait  se  réjouir  de  l'intervention  turque  dans  les  affaires 
tunisiennes.  Depuis  près  de  trente  ans,  le  gouvernement  français  avait  pour  constante 
politique  de  sauvegarder  l'indépendance  de  la  Tunisie  et  de  la  protéger  contre  toute 
tentative  de  la  Porte  de  la  réduire,  comme  Tripoli,  à  la  situation  d'une  simple  province. 
Mais  il  était  alors  plus  difficile  qu'en  1845  ou  1850  de  s'opposer  à  la  mission  ottomane. 
L'intervention  commune  des  trois  puissances  faisait  perdre  à  la  France  une  partie  de  sa 
liberté  de  manœuvre.  L'Angleterre  considérait  toujours  Tunis  comme  une  principauté 
vassale  de  la  Porte  ;  il  fallait  compter  avec  des  réactions  probables  de  sa  part,  si  le 
gouvernement  français  agissait  trop  brutalement  à  l'égard  des  Turcs.  On  pouvait 
d'ailleurs  penser  que  le  grand  vizir  n'avait  pas  pris  la  décision  d'envoyer  cette  division 
navale  à  Tunis  sans  consulter  l'ambassadeur  anglais  à  Constantinople  et  sans  en  obtenir 
au  moins  une  tacite  approbation^^. 

La  présence  même  des  trois  escadres  rassurait  d'autre  part  le  gouvernement 
français  sur  le  danger  d'une  initiative  brusquée  de  la  part  des  Turcs.  Drouyn  de  Lhuys 
pouvait  compter  tout  particulièrement  sur  la  bonne  volonté  du  cabinet  de  Turin.  Les  deux 
gouvernements  s'étaient  promis  de  suivre  la  même  ligne  de  conduite  dans  les  affaires 
tunisiennes.  Le  ministre  italien  des  Affaires  étrangères,  Visconti-Venosta,  avait  même 
suggéré  un  débarquement  collectif  des  puissances,  en  cas  d'une  intervention  armée 
de  la  Porte  à  Tunis^®.  L'amiral  turc  n'oserait  défier  les  forces  françaises  et  italiennes, 
et  le  gouvernement  anglais  donnerait  certainement  à  Constantinople  des  conseils  de 
sagesse.  Comme  les  intentions  officielles  du  gouvernement  français  étaient  de  maintenir 
le  statu  quo,  dans  la  mesure  du  possible,  et  que  la  Porte  n'avouait  pas  d'autres  desseins, 
le  quai  d'Orsay  pouvait  tolérer  la  mission  extraordinaire  du  commissaire  turc.  D'autres 
influences  avaient  pu  s'exercer  dans  ce  sens  à  Paris.  Monsieur  Emerit  a  publié^®  une 
lettre  adressée  à  la  confidente  de  l'Empereur,  Madame  Cornu,  par  un  de  ses  amis,  Michel 
Czaykowski,  officier  polonais  devenu,  sous  le  nom  de  Sadyk  Pacha,  un  grand  personnage 
à  la  cour  de  Constantinople^^.  «La  France»,  écrivait  Czaykowski,  «devrait  non  seulement 
ne  pas  nous  faire  d'opposition  à  Tunis,  mais  même,  ce  qui  est  plus,  devrait  nous  aider,  et 


72  A.  E.  Turquie,  vol.  361.  Moustier  à  Drouyn  de  Lhuys.  Péra,  28  avril  1864. 

73  Ihid.  Tél.  du  même  au  même.  Péra,  28  avril  1864. 

74  Nous  n'avons  pas  trouvé  d'indications  à  ce  sujet  dans  les  documents  britanniques. 

75  A.  E.  Italie,  vol.  9.  Drouyn  de  Lhuys  à  Malaret.  Paris,  16  mal  1864,  et  Malaret  à  Dr.  de  Lhuys.  Turin,  18  mai 

1864. 

Arch.  Rome.  Tél.  de  Visconti-Venosta  à  Nigra.  Turin,  27  mai  1864. 

76  La  révolution  tunisienne  de  1864  et  le  secret  de  l'Empereur.  R.  T.  1939,  p.  228,  lettre  sans  date. 

77  CZAYKOWSKI  (Michel),  plus  connu  sous  le  nom  de  Sadyk  Pacha,  né  en  1808  au  château  de  Hatezyniec 
(Podolie),  mort  par  suicide  près  de  Tchernigov,  en  1886. 

Après  avoir  pris  part  à  la  révolte  polonaise  de  1831,  il  émigra  en  France,  puis  en  Turquie  et  devint  commandant 
en  chef  des  Cosaques  de  l'Empire  ottoman.  Il  se  distingua  au  siège  de  Silistrie  et  dans  la  Dobroudja,  devint 
gouverneur  militaire  de  Bucarest,  puis  commandant  de  l'armée  turque  en  Bessarabie.  Il  quitta  le  service 
de  l'armée  turque  en  1872  pour  se  fixer  à  Kiev.  (Vapereau  :  Dictionnaire  universel  des  contemporains.  Paris, 

1865,  pp.  454-455  ;  1893,  p.  402). 


156 


amener  par  là  une  reconnaissance  légale  de  la  domination  française  en  Algérie  ce  qui, 
venant  du  descendant  des  Khalifes  ferait  indubitablement  rentrer  les  Arabes  à  la  raison, 
ce  qui  porterait  un  coup  aux  projets  de  l'Angleterre».  Dans  les  derniers  jours  de  mai  1864, 
Ali  Pacha  fit  des  ouvertures  confidentielles  à  un  fonctionnaire  de  l'ambassade  française 
à  Constantinople,  Outrey  ;  il  lui  suggéra  que  la  France  aurait  avantage  à  avoir  la  Turquie 
pour  voisine,  au  lieu  d'un  petit  prince.  Au  marquis  de  Moustier,  il  parla  de  régulariser  la 
situation  du  bey  vis-à-vis  du  sultan,  d'offrir  des  garanties  pour  la  sécurité  de  la  frontière 
algérienne.  La  Porte  pourrait,  en  revanche,  reconnaître  à  la  France  la  possession  de 
l'Algérie.  L'ambassadeur  se  montrait  surpris  de  ces  ouvertures  ;  ils  les  déclinait  en 
rappelant  que  la  politique  du  gouvernement  français  était  de  s'en  tenir  au  maintien  du 
statu  quo  en  Tunisie.  Le  marquis  de  Moustier  protestait  également  auprès  de  Drouyn 
de  Lhuys  contre  les  assertions  d'un  rapport  confidentiel  adressé  de  Constantinople 
«au  Vice-roi  d'Egypte  par  un  agent  secret»,  rapport  que  le  ministre  lui  avait  transmis^®. 
L'ambassadeur  assurait  qu'il  n'avait  pas  encouragé  la  Porte  à  envoyer  un  commissaire  à 
Tunis  ;  «elle  ne  pouvait  pas  s'en  dispenser  et  je  n'ai  pas  dû  m'y  opposeras». 

Du  moins,  Drouyn  de  Lhuys  prit-il,  vis-à-vis  de  la  Turquie,  un  certain  nombre 
de  mesures  de  précaution.  En  prenant  acte  des  déclarations  d'Ali  Pacha,  il  lui  faisait 
savoir  que  le  gouvernement  de  l'Empereur  ne  pourrait  tolérer  la  moindre  atteinte  au 
statu  quo  et  qu'il  n'admettrait  aucun  changement  dans  l'ordre  de  succession  en  cas  de 
déposition  du  bey. 

Toute  l'escadre  française  de  Méditerranée  sous  le  commandement  du  vice-amiral, 
comte  Bouët  -  Willaumez,  fut  dépêchée  à  La  Goulette^o  ;  le  maréchal  Randon  était  invité 
à  tenir  des  forces  prêtes  à  agir  sur  les  frontières  de  l'Algérie^i.  Et,  comme  le  bruit  se 
répandait  que  la  Turquie  songeait  à  envoyer  en  Tunisie  des  troupes  stationnées  à 
Tripoli,  Drouyn  de  Lhuys  donna  au  marquis  de  Moustier  mission  d'avertir  Ali  Pacha 
que,  dans  une  telle  éventualité,  «un  corps  français  entrerait  immédiatement  dans  la 

Tunisie®^» 

Flaïder  Effendi  que,  sur  les  instructions  de  Beauval,  le  contre-amiral  d'FIerbinghem 
avait  empêché  de  débarquer,  put  se  rendre  à  Tunis.  Mais  les  navires  turcs  restèrent 
étroitement  surveillés  en  rade  de  La  Goulette,  l'amiral  français  ne  leur  permettant  pas 
de  s'éloigner  pour  aller  croiser  le  long  des  côtes  tunisiennes. 

A  Tunis,  cependant,  les  consuls  prenaient  quelques  libertés  avec  les  instructions  de 
leurs  gouvernements.  La  présence  des  escadres  renforçait  leur  prestige  et  accroissait 
leurs  moyens  d'action.  Le  danger  n'avait  pas  apaisé  leurs  discordes  ;  il  semblait,  au 
contraire,  exaspérer  leurs  rivalités.  Par  leurs  dénonciations  et  leurs  rapports  souvent 
tendancieux,  les  consuls  cherchaient  à  faire  épouser  leurs  querelles  ou  leurs  ambitions 
par  leurs  gouvernements.  A  Paris,  à  Londres,  on  montrait  plus  de  circonspection 
qu'à  Tunis;  des  incidents  sérieux  pouvaient  naître  cependant  d'une  initiative  locale 
imprudente.  La  Tour  d'Auvergne  confiait  son  inquiétude  à  ce  propos  à  Drouyn  de  Lhuys  : 
«Je  regrette  un  peu,  je  l'avoue,  que  dans  des  conjonctures  aussi  délicates  nous  ne  soyons 


78  Ce  rapport  manque. 

79  A.  E.  Turquie,  vol.  362.  Moustier  à  Drouyn  de  Lhuys.  Thérapia,  juin  1864. 

80  L'amiral  Bouët-Willaumez  arriva  le  24  mai  de  Toulon  avec  deux  vaisseaux  de  ligne,  une  frégate  et  un  aviso, 
ce  qui  portait  à  huit  le  nombre  des  bâtiments  français  dans  les  eaux  tunisiennes  (Arch.  Rome.  Tél.  de 
Gambarotta.  Tunis,  25  mai  1864). 

81  A.  E.  Turquie,  vol.  362.  Dr.  de  Lhuys  à  Moustier.  Paris,  20  mai  1864. 

82  Ibid.  Tél.  -  du  même  au  même.  Paris,  25  mai  1864. 


157 


pas,  l'Angleterre  et  la  France,  représentés  à  Tunis  par  des  agents  plus  calmes  dans  leurs 
jugements  et  surtout  plus  circonspects  dans  leurs  démarches®^». 

L'arrivée  de  Haïder  Effendi  à  Tunis  venait  compliquer  encore  une  situation  déjà 
confuse.  Autour  du  commissaire  turc  allaient  s'exercer  intrigues  et  tentatives  de  pression 
les  plus  diverses,  de  la  part  des  trois  consuls  européens,  comme  des  ministres  du  bey. 
Wood  se  montrait  le  plus  empressé  ;  le  khaznadar  était  plein  de  prévenances.  «Je  n'ai 
rien  épargné  pour  gagner  Haïder  Effendi»,  écrivait  de  son  côté  de  Beauval*'*.  Le  «fort 
petit  personnage»®^  envoyé  par  le  sultan  allait  être  amené  à  jouer  à  Tunis  un  rôle  hors 
de  proportion  avec  la  mission  d'information  dont  il  était  chargé. 

a)  La  politique  de  Wood 

Haïder  Effendi  trouvait  au  consulat  anglais  appui  et  encouragement.  La  situation 
personnelle  de  Richard  Wood  était  solidement  assurée  au  Bardo,  depuis  le  départ  de 
Léon  Roches.  Les  incartades  de  de  Beauval  avaient  encore  accru  son  influence  auprès 
du  premier  ministre.  Le  consul  d'Angleterre  allait  désormais  s'employer  à  convaincre 
le  khaznadar,  comme  Haïder  Effendi  de  la  nécessité  de  rapprocher  leurs  points  de 
vue  pour  aboutir  à  une  entente.  A  Tunis,  au  Bardo,  à  La  Marsa,  se  succédaient  les 
conférences  à  trois®®.  Wood  recevait  en  privé  le  commissaire  ottoman;  il  fréquentait 
chez  le  premier  ministre  dont  le  palais  était  tout  proche  de  son  domicile  privé,  place 
Halfaouine.  Les  consuls  de  France  et  d'Italie  dénonçaient  les  intrigues  turques  de  Wood. 
ils  l'accusaient  d'avoir  fomenté  la  rébellion  afin  de  replacer  le  pays  sous  la  domination 
ottomane.  De  Beauval  rappelait  que  l'insurrection  avait  été  précédée  d'un  long  voyage 
de  Wood  sur  la  côte,  que  les  rebelles  arboraient  partout  des  bannières  turques  et 
rejetaient  l'autorité  du  bey  pour  celle  du  sultan®^.  A  Tunis,  la  population  italo-maltaise 
que  l'arrêt  des  affaires  mettait  dans  une  situation  difficile  manifestait  son  irritation 
en  couvrant  les  murs  du  consulat  anglais  d'inscriptions  injurieuses  ou  menaçantes®®. 
En  réalité,  Wood  ne  pouvait  songer  sérieusement  à  une  modification  du  statu  quo 
de  la  Régence.  La  position  de  la  France  était  trop  forte,  elle  avait  trop  bien  défini  à 
l'égard  de  la  Turquie  sa  politique  tunisienne  ;  il  ne  pouvait  ignorer  qu'une  intervention 
ottomane  dans  la  Régence  provoquerait  aussitôt  les  réactions  françaises  les  plus 
vives.  Des  propos  antifrançais  répandus  sans  discrétion  par  des  agents  locaux  trop 
zélés,  rapportés,  amplifiés,  déformés  sans  doute,  tels  étaient  les  échos,  démesurément 
grossis,  de  la  petite  guerre  que  se  faisaient,  au  niveau  d'une  bourgade  ou  d'une  tribu, 
les  représentants  des  grandes  puissances  que  séparaient  des  rivalités  de  prestige  et  des 
inimitiés  personnelles. 

Wood  souhaitait  le  rétablissement  des  relations  traditionnelles  entre  la  Régence 
et  la  Porte,  sur  la  base  du  statu  quo.  il  voulait  la  réalisation  d'un  accord  entre  Tunis  et 
Constantinople  qui  définît  la  situation  d'une  Tunisie  autonome  dans  le  cadre  de  l'Empire 
ottoman.  Mais,  pour  que  ce  plan  pût  réussir,  il  fallait  d'abord  sauver  le  bey  des  dangers  qui 
le  menaçaient,  l'aider  à  vaincre  l'insurrection,  il  fallait  également  écarter  la  menace  d'une 
intervention  européenne,  en  évitant  toute  apparence  d'une  pression  turque  sur  le  Bardo. 


83  A.  E.  Angleterre,  vol.  729.  La  Tour  dAuvergne  à  Drouyn  de  Lhuys.  (Particulière).  Londres,  19  mai  1864. 

84  A.  E.  Tunis,  vol.  22.  Beauval  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  15  mai  1864. 

85  A.  E.  Turquie,  vol.  362.  Moustier  à  Dr.  de  Lhuys.  Thérapia,  1®' juin  1864. 

86  «Le  Khaznadar,  Mr  Wood  et  Haïder  Effendi  ont  formé  une  sorte  de  triumvirat»  (Arch.  Rés.  Beauval  à  Dr.  de 
Lhuys,  l^r  juillet  1864). 

87  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  5  mai  1864. 

88  F.  0.102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  30  juin  1864. 


158 


La  politique  de  Wood  était  claire  ;  il  s'employa  à  la  poursuivre  avec  ténacité.  Sans  doute, 
ses  démarches  étaient-elles  assez  peu  conformes  aux  principes  de  non-intervention 
développés  par  lord  Russell.  Elles  n'étaient  pas  contraires  du  moins  à  l'esprit  général 
de  la  politique  anglaise  en  Orient  et  en  Tunisie.  Le  consul  avait  l'habileté  de  n'intervenir 
qu'à  titre  officieux,  sans  laisser  de  traces  écrites  de  sa  diplomatie  secrète. 

Wood  s'engageait  fortement  en  faveur  du  khaznadar.  il  ne  cessait  de  le  presser  d'agir, 
conseillant  d'alléger  les  taxes  pour  calmer  l'irritation  et  dissocier  la  révolte.  Comme  la 
Régence  n'avait  ni  armée,  ni  argent,  Wood  suggérait  l'octroi  par  le  sultan  d'un  prêt  de 
100.000  livres,  juste  retour  des  frais  que  le  bey  avait  engagés  naguère  en  participant  à 
la  guerre  de  Crimée.  Pour  répondre  aux  propositions  de  Gambarotta  et  de  De  Beauval 
qui  offraient  au  bey  l'appui  de  troupes  italiennes  ou  françaises,  il  proposait  que  la  Porte 
mît  des  contingents  égyptiens  à  la  disposition  du  prince  ;  la  présence  de  ces  troupes 
musulmanes  ne  froisserait  pas  les  sentiments  religieux  du  pays  et  la  France  pourrait 
sans  doute  la  tolérer^®. 

A  Sousse,  à  Sfax,  les  agents  britanniques  s'employaient  à  calmer  les  rebelles. 
Carleton  sommait  les  Sfaxiens  de  répudier  l'allégeance  qu'ils  avaient  jurée  au  sultan.  Le 
vice-consul  à  Sousse,  Stevens,  était  en  pourparlers,  dès  le  milieu  de  mai,  avec  des  chefs 
rebelles  de  l'intérieur.  11  leur  conseillait  de  se  soumettre  et  d'aller  exposer  directement 
leurs  griefs  au  bey^°. 

11  n'était  pas  facile  de  concilier  les  points  de  vue  du  khaznadar  et  de  l'envoyé  turc.  Le 
gouvernement  tunisien  avait  de  longues  habitudes  d'indépendance.  Depuis  la  conquête 
de  l'Algérie,  les  liens  politiques  qui  unissaient  la  Régence  à  la  Sublime  Porte  n'avaient 
cessé  de  se  relâcher.  11  semblait  difficile  de  réduire  un  prince  qui  avait  été  traité  en 
souverain  par  la  France  à  la  condition  d'un  simple  gouverneur  de  province.  Mais,  pour 
Haïder  Effendi,  comme  pour  Wood  d'ailleurs,  la  Tunisie  n'avait  jamais  cessé  de  faire 
partie  intégrante  de  l'Empire.  Les  beys  n'étaient  que  des  gouverneurs  jouissant  de  larges 
prérogatives,  des  pachas  investis  par  le  sultan,  qui  battaient  monnaie  à  son  chiffre,  qui 
invoquaient  son  nom  dans  la  prière  du  vendredi.  Le  commissaire  turc  tenait  évidemment 
à,  obtenir  le  règlement  des  relations  entre  le  bey  et  la  Porte;  mais,  tout  en  se  déclarant 
disposé  à  maintenir  le  principe  du  statu  quo,  il  insistait  sur  un  certain  nombre  de  points 
destinés  à  manifester  de  façon  visible  la  vassalité  de  la  Régence.  La  Tunisie  resterait 
gouvernée  par  un  bey  héréditaire  issu  de  la  famille  husseinite  ;  elle  conserverait  son 
autonomie  intérieure,  mais  elle  devrait,  à  l'avenir,  faire  ratifier  par  le  sultan  les  traités 
négociés  avec  l'étranger.  Les  beys  devraient  encore  se  rendre  à  Constantinople  pour 
recevoir  leur  investiture  ;  ils  seraient  astreints  à  payer  un  tribut  annuel  de  trois  millions 
de  piastres.  Le  commissaire  turc  allait  même  jusqu'à  soulever  la  question  de  la  convention 
anglo-tunisienne  de  1863  accordant  le  droit  de  propriété  aux  sujets  britanniques  dans  la 
Régence  ;  il  demandait  qu'elle  fût  soumise  à  l'approbation  du  sultan. 

Wood  protestait  contre  cette  prétention,  rappelant  que  les  princes  tunisiens  avaient 
toujours  disposé  du  droit  de  traiter,  comme  en  témoignaient  cent  quarante  conventions 
ou  traités  conclus  depuis  le  XllP™  siècle.  11  insistait  pour  obtenir  la  renonciation  de  la 
Porte  à  un  tribut  qui  alourdirait  inutilement  les  finances  du  bey  et  n'apporterait  qu'une 
contribution  dérisoire  au  Trésor  ottoman^i. 


89  F.  0.102/71.  Wood  à  Russell  (secret  et  confid.).  Tunis,  20  juin  1864. 

90  Ihid.  Wood  à  Russell.  Tunis,  17  mai  1864.  (En  annexe  :  Stevens  à  Wood.  Sousse,  13  mai  1864). 

91  Ihid.  Wood  à  Russell,  dép.  n°  44,  secr.  et  confid.  et  45.  Tunis,  26  mal  1864. 


159 


Le  khaznadar  aurait  certainement  souhaité  conserver  les  avantages  d'une  politique 
d'oscillation  entre  les  influences  rivales  de  la  France  et  de  la  Turquie.  Mais,  depuis  sa 
rupture  ouverte  avec  De  Beauval,  il  ne  recevait  plus  les  encouragements  du  consulat 
de  France.  Wood  était  seul  à  donner  ses  conseils  au  Bardo  ;  il  ne  cessait  de  dénoncer 
la  menace  d'une  France  puissante  et  ambitieuse  qui  songerait  quelque  jour  à  annexer 
Tunis  à  l'Algérie.  En  outre,  les  violences  et  les  menaces  de  De  Beauval,  désormais  acharné 
à  sa  perte,  faisaient  craindre  au  premier  ministre  que  le  gouvernement  impérial  ne  fût 
décidé  à  obtenir  son  renvoi. 

Les  négociations  se  poursuivirent  jusqu'au  début  de  l'été.  Elles  n'aboutirent  pas, 
elles  ne  pouvaient  aboutir  à  la  signature  d'un  accord.  Les  circonstances  n'étaient 
pas  favorables.  Le  gouvernement  du  bey,  réduit  à  l'impuissance  par  la  persistance 
de  l'insurrection,  n'eût  pas  semblé  jouir  pleinement  de  sa  liberté  de  décision.  Les 
gouvernements  français  et  italien  n'eussent  pas  manqué  de  dénoncer  une  intolérable 
pression  de  la  part  de  la  Turquie  ;  ils  auraient  pu  céder  aux  sollicitations  de  leurs 
consuls  et  permettre  le  débarquement  de  troupes  pour  sauvegarder  le  statu  quo. 
D'autre  part,  Haïder  Effendi,  simple  observateur,  n'avait  pas  qualité  pour  traiter. 
Aucune  décision  ne  pouvait  venir  que  du  sultan  qui  devait  rendre  un  firman  émané 
de  sa  volonté  souveraine,  pour  régler  la  situation  du  gouverneur  de  sa  province  de 
Tunis. 

Wood  avait  néanmoins  obtenu  des  résultats  d'importance.  Il  avait  fait  admettre  au 
khaznadar  la  nécessité  de  s'appuyer  désormais  sur  la  Turquie  et  sur  l'Angleterre.  En 
discutant  avec  Flaïder  Effendi  des  conditions  de  l'entente,  le  consul  d'Angleterre  s'était 
porté  comme  garant  de  Fautonomie  tunisienne.  Bien  des  clauses  restaient  à  préciser, 
sans  doute,  mais  l'essentiel  paraissait  désormais  acquis  :  le  gouvernement  du  bey, 
de  lui-même,  admettait  le  principe  de  sa  vassalité.  Il  n'y  avait  plus  qu'à  attendre  des 
circonstances  plus  favorables  pour  obtenir  du  bey  qu'il  sollicitât  par  une  ambassade 
auprès  du  sultan  la  reconnaissance  de  sa  situation  particulière. 

Le  gouvernement  anglais  donnait  son  approbation.  Dans  une  dépêche  qu'il 
avait  soumise  à  la  Reine  et  à  Palmerston,  lord  Russell  développait  le  désir  du  cabinet 
britannique  de  voir  maintenu  le  statu  quo  à  Tunis.  Le  bey  ne  devait  pas  être  considéré 
comme  un  souverain  indépendant,  mais  comme  un  prince  gouvernant  la  Régence  sous 
la  suzeraineté  du  sultan.  Si  le  bey  proclamait  son  indépendance,  il  deviendrait  tôt  ou 
tard  le  vassal  de  la  France.  Mais  la  Porte  ne  devait  pas  pour  autant  chercher  à  réduire  la 
Tunisie  à  la  situation  de  l'Egypte.  Le  pays  était  trop  loin  de  Constantinople  et  le  projet  se 
heurterait  aux  résistances  de  la  France®^. 

La  Porte,  de  son  côté,  manifestait  sa  bonne  volonté  à  l'égard  de  la  Régence.  En  août 
1864,  le  sultan  accordait  sur  sa  cassette  un  don  de  50.000  souverains  qui  allait  aider  le 
bey  à  lever  de  nouvelles  troupes  et  à  vaincre  l'insurrection^^ 

b)  La  politique  de  De  Beauval 

Les  manœuvres  de  Wood  étaient  violemment  dénoncées  par  ses  deux  collègues,  de 
Beauval  et  Gambarotta,  qui  faisaient  en  général  cause  commune  contre  lui.  Ils  paraissaient 
chercher  l'un  et  l'autre  un  prétexte  d'intervention  pour  mettre  leurs  gouvernements 
devant  le  fait  accompli  d'un  débarquement,  à  la  faveur  de  l'urgence  et  de  l'impossibilité 


92  F.  0.102/70.  Russell  à  Wood.  F.  0.15  juillet  1864  (dép.  cit). 

93  F.  0.102/72.  Wood  à  Russell.  Tunis,  20  août  1864. 


160 


d'en  référer®^.  De  Beauval  était  le  plus  actif,  le  plus  prompt  aussi  à  se  lancer  dans  des 
initiatives  hasardeuses.  11  avait  pris  sur  lui  d'empêcher  le  débarquement  du  commissaire 
turc®5.  De  concert  avec  l'amiral  d'Herbinghem,  il  avait  tenté  également  de  faire  débarquer 
à  La  Goulette,  dans  la  nuit  du  7  au  8  mai,  un  contingent  de  marins  français  en  armes.  Mais 
l'affaire  avait  échoué  :  l'entrée  du  port  était  barrée  d'une  chaîne  que  l'amiral  tunisien 
Ahsen,  caïd  de  La  Goulette,  refusa  de  faire  enlever.  Les  Français  eurent  beau  faire  entendre 
que  les  marins  étaient  venus  simplement  en  corvée  d'eau,  personne  ne  les  crut.  L'action 
isolée  du  consul  de  France  fut  sévèrement  blâmée  par  ses  deux  collègues®^.  De  Beauval 
n'en  poursuivait  pas  moins  sa  politique  personnelle.  Comme  il  avait  perdu  tout  crédit 
au  Bardo,  il  eut  l'idée  d'entrer  en  relations  avec  le  chef  des  rebelles  de  l'ouest.  Ali  ben 
Ghedahem.  Misant  sur  l'insurrection,  le  consul  espérait  rétablir  son  influence  à  la  faveur 
d'un  succès  des  rebelles  qui  provoquerait  nécessairement  la  chute  de  son  ennemi,  le 
khaznadar.  Pour  expliquer  sa  nouvelle  politique,  il  transmettait  à  Paris  les  informations 
les  plus  tendancieuses  sur  les  événements  de  Tunisie.  11  amplifiait  ou  travestissait,  au  gré 
de  son  humeur,  les  nouvelles  souvent  peu  fondées  qui  lui  parvenaient  de  ses  agents. 

Malgré  le  manque  total  d'informations  sérieuses  sur  la  situation  dans  l'intérieur,  de 
Beauval  rédigeait  à  l'intention  de  son  ministre  de  véritables  communiqués  d'opérations, 
dans  lesquels  il  dissimulait  à  peine  les  vœux  qu'il  formait  pour  la  cause  des  rebelles.  11 
ignore  tout  de  leur  chef  -  jusqu'à  son  nom^^  -  mais  il  ne  lui  en  prête  pas  moins  des  intentions 
précises  et  des  vues  désintéressées  :  «Jusqu'à  présent  les  efforts  et  les  sacrifices  d'argent 
du  Bardo  pour  diviser  les  tribus  restent  sans  succès.  Les  quelques  centaines  de  soldats 
campés  sous  le  Palais  diminuent  chaque  jour  par  la  désertion.  L'armée  du  nouveau  bey 
[AU  ben  Ghedahem]  évaluée  à  40  mille  hommes,  est  à  Testour  et  à  Téboursouk,  à  20 
lieues  de  Tunis,  au  plus  ;  et  le  chef  des  révoltés  annonce,  dit-on,  qu'il  fera  savoir  en  temps 
opportun  quelles  sont  ses  vues,  d'ailleurs  toutes  désintéressées^*».  «L'insurrection  obéit 
à  une  direction  unique  qui  ne  craint  pas  de  se  compromettre  vis-à-vis  du  Bardo  même 
par  la  mort  ou  la  poursuite  des  Mamelucks,  mais  qui  suit  un  plan,  un  système  dont  le 
point  saillant  est  d'éviter  tout  acte  de  fanatisme  contre  les  Européens»®®...  «Aucun  excès 
dans  les  provinces  dont  les  rebelles  sont  complètement  les  maîtres.  Ils  y  établissent,  au 
contraire,  l'ordre  qui  cesse  de  régner  dans  les  centres  où  les  Autorités  du  Bey  n'ont  plus 
de  force,  où  celles  de  la  révolte  n'en  ont  pas  encorei®o». 

De  Beauval  avouait  avec  plus  de  franchise  à  Madame  Cornu  la  politique  personnelle 
qu'il  poursuivait  au  milieu  de  l'insurrection.  Le  23  mai,  il  écrivait  :  «Je  fais  tout  au  monde 
pour  bien  faire  savoir  aux  Arabes  que  nous  sommes  avec  eux.  Vous  m'entendez  :  je  veux  dire 
que  notre  armée  et  notre  flotte  n'interviendront  pas  contre  eux.  Je  ne  néglige  aucun  effort  : 
le  caïd  de  Sousai°i  qui  a  trente  millions  de  fortune  et  qui  est  un  bon  administrateur,  qui  sait 
voler  et  faire  les  affaires  du  pays,  a  été  opposé  sous  main  par  moi  au  Khaznadar  ;  et  à  Sousa, 
il  a  été  proclamé  à  la  manière  dont  l'étaient  les  Imperators  romains.  11  est  compromis  avec 


94  Les  fils  télégraphiques  avaient  été  coupés  dès  le  début  de  la  révolte  et  les  consuls  ne  communiquaient  plus 
que  par  mer  avec  leurs  gouvernements. 

95  Arch.  Rés.  Tél.  de  Beauval  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  Il  mai  1864. 

96  Ibid.  Tél.  de  Beauval  à  Cubisol.  Tunis,  10  mai  1864  ;  Tél.  de  Cubisol  à  Beauval.  Goulette,  10  mai  1864  ; 
Beauval  au  bey.  Tunis,  11  mai  1864.  Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  Il  mai  1864. 

F.  0.102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  11  mai  1864. 

97  Jusqu'au  début  de  juin,  tout  au  moins. 

98  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°26.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  30  avril  1864. 

99  Ibid.  Dép.  pol.  n°30  du  même  au  même.  Tunis,  11  mai  1864. 

100  Ibid.  Dép.  pol.  n°32  du  même  au  même.  Tunis,  18  mai  1864. 

101  Si  Mohammed,  caïd  de  Sousse,  souvent  désigné  du  nom  de  Mohammed  Khaznadar. 


161 


nous.  Je  viens  de  recevoir  de  bonnes  nouvelles.  Béja  est  pris  ou  va  être  pris  par  les  rebelles. 
Enfin  mes  informations  sont  dans  le  sens  où  j'écris  ;  Résistance  partout^^^». 

Le  30  mai  :  «11  sera  digne  de  l'Empereur  de  réunir  plus  tard,  toutes  les  tribus  de  la 
Tunisie  en  une  petite  confédération  arabe.  C'est  là  une  idée  d'avenir.  Aujourd'hui  notre 
but  est  très  simple  et  en  même  temps  très  compliqué  :  Laisser  faire  la  révolution.  Sauver 
le  prince.  Si  impossible,  sauver  la  dynastie.  Empêcher  chrétiens  et  juifs  d'avoir  à  souffrir 
du  mouvement...  Toutes  mes  minutes,  et  ce  n'est  pas  trop,  sont  employées  à  amener  ce 

résultat»io3. 

De  fait,  le  consul  de  France,  mettant  de  côté  les  règles  les  plus  élémentaires  de  la 
prudence  diplomatique,  faisait  tenir  au  chef  des  insurgés,  entre  le  1'^'"  et  le  20  juin,  cinq 
lettres  d'encouragement  rédigées  par  Jean  Mattéi,  agent  consulaire  à  Sfax^o^^,  réfugié 
alors  à  Tunis,  qui  parlait  et  écrivait  couramment  l'arabeio^.  Cette  correspondance  avec 
Ali  ben  Ghedahem  devait  se  poursuivre  au  moins  jusqu'au  milieu  de  juillet,  car  dans 
un  rapport  du  23  juillet  1864,  de  Beauval  avoue  qu'il  est  en  relations  avec  le  chef  des 
insurgés  :  «Je  puis  être  un  frein,  un  modérateur,  un  intermédiaire.  11  m'a  paru  que  mon 
devoir  était  de  ne  pas  refuser  ce  rôle»,  écrivait-il  à  Drouyn  de  Ehuys^o^.  La  modération 
n'était  cependant  pas  la  vertu  qu'il  prêchait  aux  rebelles.  Les  lettres  qu'il  dictait  à 
Mattéi  n'étaient  qu'une  longue  diatribe  contre  Wood  et  contre  l'Angleterrei^^.  Pendant 


102  Lettre  publiée  par  M.  Emerit  :  La  révolution  de  1864,  op.  cit  R.T.  1939.  P.  232. 

103  Ibid.  p.  232. 

104  Mattéi,  comme  ses  collègues  anglais  de  Sousse  et  Sfax,  Stevens  et  Carleton,  était  en  relations  d'affaires  avec 
des  cheikhs  et  des  notables  de  plusieurs  tribus  de  l'intérieur.  11  en  avait  profité  pour  envoyer  de  lui-même 
explications  et  conseils  aux  chefs  de  la  révolte,  comme  en  témoigne  la  lettre  du  22  avril  qu'il  adressait  à  dix 
cheikhs  des  Majeur  et  des  Frèchich,  lettre  qui  a  été  conservée  dans  les  archives  de  la  Résidence  (Mattéi  à  Ali 
ben  Ghedahem,  Ahmed  Kefi,  etc.  Sfax,  22  avril  1864.  Annexe  à  dép.  à  Beauval.  Sfax,  21  avril  1864). 

105  Trois  de  ces  lettres,  datées  des  1^^,  15  et  20  juin  1864,  ont  été  renvoyées  en  août  au  khaznadar  par  Ali  ben 
Ghedahem,  en  gage  de  réconciliation.  Les  archives  tunisiennes  ont  conservé  le  billet  accompagnant  l'envoi 
des  lettres  :  «Certaines  personnes  racontent  que  j'ai  trahi  les  tribus,  je  vous  envoie  les  lettres  que  m'ont 
adressées  les  Français  :  vous  jugerez  qu'un  autre  que  moi  aurait  agi  autrement»  (Ali  ben  Ghedahem,  son 
frère  Abd  en  Nebi,  Mosbah  ben  Abbas  au  khaznadar,  10  août  1864.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  2,  p.  296).  Ces 
lettres  -  ou  plutôt  leur  traduction  en  un  mauvais  anglais  -  ont  été  publiées  par  Broadley  (op.  cit  pp.  128- 
134)  qui  les  tirait  du  consulat  britannique.  11  ne  semble  pas  qu'on  puisse  douter  de  leur  authenticité.  MM. 
Emerit,  qui  attaque  de  Beauval,  et  Grandchamp,  qui  l'excuse,  sont  également  de  cet  avis.  Nous  donnons  ici 
la  traduction,  à  partir  du  texte  anglais,  de  la  première  de  ces  lettres,  la  plus  significative. 

106  Arch.  Rés.  Tunis,  23  juillet  1864. 

107  «Au  nom  de  Dieu  l'Unique  !  De  la  part  de  M.  de  Beauval,  consul  de  France  à  Tunis,  à  notre  bien-aimé,  respecté 
et  savant  Sidi  Ali  ben  Mohammed  ben  Ghadam. 

Après  salutations,  nous  devons  vous  faire  savoir,  d'abord,  que  nous  jurons  solennellementpar  le  Tout-Puissant 
qui  a  envoyé  l'Evangile  et  le  Christ,  de  ne  vous  dissimuler  aucun  des  desseins  de  notre  gouvernement. 
L'arrivée  de  nos  navires  de  guerre  à  La  Goulette  a  pour  objet  de  contraindre  votre  gouvernement  à  donner 
satisfaction  à  vos  requêtes,  sans  que  vos  biens,  vos  personnes  et  votre  bien-être  en  soient  affectés...  Peu 
avant  votre  soulèvement,  vos  ministres  ont  passé  un  traité  avec  les  Anglais.  La  première  clause  leur  accorde 
le  droit  de  posséder  désormais  des  biens  immeubles,  des  maisons,  des  fermes,  des  terres.  C'est  donc  vous 
qui  allez  être  dépouillés  de  tous  ces  biens,  car  vous  n'avez  pas  leur  richesse.  Ainsi,  les  Anglais  pourront 
offrir  dix  mille  piastres  d'un  champ  que  vous  ne  pouvez  pas  payer  mille  piastres  et  que  votre  mode  de 
culture  vous  permet  d'ensemencer  seulement  d'un  caffi  d'orge  et  d'un  caffi  de  blé;  grâce  à  leurs  procédés 
d'exploitation  supérieurs,  ils  pourront  y  planter  du  coton  ou  d'autres  riches  cultures,  ce  que  vous  n'avez  ni 
la  possibilité  ni  l'habitude  de  faire. 

Ils  désirent  également  construire  des  voies  ferrées  comme  celles  de  nos  pays.  Elles  resteraient  en  leur 
possession  jusqu'à  ce  que  leurs  revenus  aient  remboursé  le  capital  engagé,  les  comptes  devant  être 
acceptés  tels  qu'ils  les  présenteraient.  C'est  là  justement  la  façon  de  s'emparer  de  votre  pays  :  d'après 
leur  législation,  quiconque  reste  en  possession  d'un  bien  pendant  vingt  ans  sans  interruption  en  devient 
propriétaire.  Malgré  les  titres  légaux  qu'il  pourra  posséder,  le  légitime  propriétaire  du  sol  n'aura  plus  qu'à 
en  demander  la  restitution  au  Tout  Puissant;  car,  d'après  leurs  lois,  la  possession  compte  plus  que  les  titres 
de  propriété...» 


162 


ce  temps,  Drouyn  de  Lhuys  s'évertuait  en  vain  à  recommander  la  non-intervention^o®. 
Mais  les  rebelles  ne  se  décidaient  pas  à  vaincrei°®,  et  la  correspondance  que  de  Beauval 
avait  adressée  à  Ben  Ghedahem  fut  livrée  par  celui-ci  au  khaznadar.  Wood  en  était 
informé.  11  en  communiqua  aussitôt  la  teneur  à  l'amiral  français  et  adressa  au  Foreign 
Office  la  traduction  des  trois  lettres  qui  lui  avaient  été  remises  par  le  premier  ministre. 
L'affaire  provoquait  dans  les  milieux  diplomatiques  anglais  le  plus  vif  ressentiment 
contre  la  Franceno.  L'ambassadeur  britannique  se  plaignait  auprès  du  gouvernement 
de  l'Empereur  de  la  conduite  de  son  représentant  à  Tunis,  en  faisant  état  des  lettres  de 
de  Beauval  qui  lui  avaient  été  communiquées.  11  ne  restait  à  Drouyn  de  Lhuys  d'autre 
solution  que  de  promettre  le  rappel  prochain  du  consul^.  Ce  devait  être  le  seul  résultat 
de  la  politique  imprudente  et  puérile  de  de  Beauval. 

c)  Une  expédition  italienne  manquée 

Le  consul  d'Italie  jouait  à  Tunis  un  rôle  plus  effacé  que  ses  collègues  de  France 
et  d'Angleterre.  Ses  ressortissants  lui  reprochaient  de  ne  défendre  qu'avec  mollesse 
leurs  intérêts  et  leurs  créances  auprès  du  gouvernement  tunisien.  Gambarotta  n'avait 
pas  acquis  au  Bardo  l'autorité  qu'auraient  dû  lui  conférer  les  fonctions  d'agent  d'une 
grande  puissance  et  de  représentant  de  la  colonie  étrangère  la  plus  nombreuse.  Les 
mutations  étaient  trop  fréquentesii^  ;  le  khaznadar  n'avait  guère  plus  d'égards  pour 
le  consul  d'Italie  qu'il  n'en  témoignait  précédemment  pour  l'agent  du  royaume  sarde. 
Dans  ce  pays  où  tout  le  monde  parlait  italien,  Gambarotta  était  visiblement  assez  mal 
renseigné.  Les  fonctionnaires  européens  de  la  cour  étaient  du  parti  français  ou  du  parti 


Ces  abominables  transactions...  ont  provoqué  le  mécontentement  de  mon  gouvernement.  11  a  voulu,  en 
envoyant  l'escadre,  obtenir  le  renvoi  du  ministre  et  l'abrogation  des  lois  organiques  sur  lesquelles  était 
fondé  ledit  traité.  Avec  l'aide  de  Dieu,  l'abrogation  de  la  constitution  entraînera  avec  elle  l'annulation 
du  traité,  ainsi  que  la  chute  du  ministre  qui  en  est  l'auteur.  Je  dois  également  vous  faire  savoir  que  mon 
puissant  pays,  la  France,  fait  de  grands  efforts  pour  assurer  la  prospérité  de  tous  les  pays,  et  de  la  Tunisie 
en  particulier,  à  cause  de  son  voisinage  de  l'Algérie,  et  des  princes  de  la  dynastie  husseinite. 

Je  dois  aussi  vous  informer  que  vos  ministres  font  pression  sur  le  Bey  pour  qu'il  envoie  un  camp  de  troupes 
avec  de  l'artillerie,  sur  la  route  de  Béja  et  Kairouan  pour  séparer  de  vous  les  tribus  et  vous  affaiblir.  Il 
faut  absolument  que  vous  veniez  à  Sidi  el  Hattab  (sanctuaire  proche  de  Tunis)  avec  environ  quatre  mille 
cavaliers,  en  me  prévenant  de  votre  -arrivée  un  ou  deux  jours  à  l'avance.  Vous  demanderez  alors  une 
conférence  générale;  je  serai  avec  vous  et  pour  vous.  Il  ne  pourra  en  résulter  que  des  avantages. 

Salut  de  l'auteur  de  ces  lignes,  Giannino,  consul  à  Sfax,  actuellement  à  Tunis,  et  qui  vous  écrit  la  présente 
lettre  sur  l'ordre  de  M.  le  consul  Beauval,  agent  de  l'Empereur  de  France  -  que  Dieu  le  rende  victorieux-  et 
de  votre  ami  et  affectionné  le  colonel  français  Campenon,  25  hodja  1280  =  juin  1864. 

P.S.  Si  vous  êtes  dans  l'impossibilité  de  venir,  envoyez  nous  un  document  certifié  des  principaux  chefs  de 
toutes  les  tribus  et  de  leurs  partisans,  contenant  toutes  leurs  revendications  auprès  du  gouvernement 
tunisien,  ainsi  que  vos  propres  desiderata». 

(F.  0.102/72.  Wood  à  Russell,  annexe  à  dép.  n°  100,  3  septembre  1864). 

108  «Je  ne  puis  que  vous  recommander  de  nouveau  de  vous  pénétrer  de  mes  instructions  successives  et  d'y 
conformer  votre  attitude  et  votre  conduite,  en  vous  rappelant  particulièrement  que  la  prolongation  de 
l'insurrection  est,  à  nos  yeux,  on  ne  peut  plus  déplorable;  que  nous  désirons  par  dessus  tout  la  voir  cesser,  et 
que  le  Consulat  général  doit  dès  lors  répudier  jusqu'à  l'apparence  d'un  encouragement  ou  d'une  sympathie 
quelconque  pour  les  insurgés»  (Arch.  Rés.  Drouyn  de  Lhuys  à  Beauval.  Paris,  15  juin  1864.  Dép.  publiée  par 
P.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  I,  p.  176). 

109  En  juillet,  de  Beauval  gardait  encore  confiance  :  «Vers  la  fin  du  mois,  la  rentrée  des  récoltes  décidera  sans 
doute  les  Arabes  à  faire  un  mouvement  vers  Tunis»  (Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  50.  A  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis, 
9  juillet  1864). 

110  «The  conduct  ofthe  Emperor  and  of  Drouyn  de  Lhuys  in  these  matters  has  been  a  compound  ofthe  grossest 
injustice  and  the  most  disgraceful  duplicity».  (F.  0.102/72.  Note  anonyme.  F.  O.  26  septembre  1864). 

111  F.  O.  102/72,  passim,  août-septembre  1864.  -  A.  E.  Angleterre,  vol.  731.  A  La  Tour  d'Auvergne.  Paris, 
19  décembre  1864. 

112  Arrivé  à  Tunis  en  juin  1863,  Gambarotta  était  le  quatrième  consul  depuis  1860. 


163 


anglais.  Le  jeune  comte  Raffo  lui-même,  que  ses  origines  génoises  auraient  dû  pousser 
à  militer  en  faveur  de  l'Italie,  servait  plutôt  les  intérêts  anglais  ;  il  avait  d'ailleurs  épousé 
une  Anglaise.  La  colonie  italienne  de  Tunis  était  également  d'un  médiocre  secours  pour 
Gambarotta.  Les  traditions  de  coteries  de  l'époque  sarde  n'avaient  pas  été  apaisées  par 
l'unification  de  la  péninsule.  L'opposition  des  clans  qui  divisaient  la  colonie  génoise 
s'était  compliquée  de  rivalités  entre  Génois  et  Livournais,  ceux-ci  cherchant  volontiers 
appui  auprès  du  consulat  d'Angleterre.  Tous  étaient  également  prompts  à  se  plaindre  à 
Turin,  à  susciter  des  cabales,  à  organiser  des  pétitions. 

Gambarotta  devait  s'animer  quelque  peu,  à  la  faveur  des  événements.  Pour  la 
première  fois,  depuis  l'unité,  la  présence  d'une  escadre  italienne  à  La  Goulette  soulignait 
le  rôle  de  grande  puissance  que  l'Italie  entendait  jouer  en  Méditerranée.  Le  consul 
était  poussé  à  déployer  plus  d'énergie  en  faveur  de  la  cause  italienne.  Les  négociants 
génois  et  les  courtiers  livournais  qui  voyaient  là  un  moyen  de  pression  efficace  pour 
assurer  le  règlement  des  affaires  en  souffrance  au  Bardo,  pressaient  le  consul  d'agir, 
pour  le  prestige  de  l'Italie  à  la  fois  et  la  défense  de  leurs  intérêts.  Aussi  Gambarotta 
prit-il  assez  nettement  position  dans  le  conflit  qui  opposait  le  consul  de  France  à  son 
collègue  britannique.  Sans  épouser  complètement  la  querelle  de  de  Beauval  avec 
le  khaznadar,  il  le  soutenait  en  général  dans  sa  lutte  contre  le  parti  anglo-turc.  Ses 
rapports,  plus  modérés  que  ceux  du  Français,  dépeignaient  les  intrigues  de  Wood  et 
dénonçaient,  comme  causes  de  la  rébellion,  la  mauvaise  administration  du  khaznadar 
et  la  Constitution  de  1861.  Gambarotta  insistait  sur  l'impuissance  du  gouvernement, 
sur  les  dangers  courus  par  la  colonie  européenne;  il  soulignait  la  nécessité  d'une 
intervention  et  appelait  de  tous  ses  vœux  l'heure  d'un  débarquement^i^.  Huit  cents 
hommes  d'infanterie  de  marine,  quelques  pièces  d'artillerie  de  campagne  étaient 
à  bord  des  navires  italiens.  Lors  de  l'arrivée  en  rade  des  navires  turcs,  le  11  mai 
1864,  Gambarotta  convoqua  ses  collègues  pour  discuter  avec  eux  des  modalités  d'un 
éventuel  débarquement.  Les  officiers  italiens,  de  leur  côté,  n'hésitaient  pas  à  prendre 
des  initiatives  :  sous  prétexte  d'assurer  la  sécurité  des  Européens,  ils  envoyaient  à 
terre  des  patrouilles  armées  qui  reconnaissaient  le  terrain  et  préparaient  les  voies 
pour  une  action  future^i^. 

A  Turin,  on  commençait  à  s'inquiéter.  Les  rapports  de  Gambarotta,  confirmés 
par  ceux  de  de  Beauval,  laissaient  craindre  une  intervention  armée  des  Turcs  dans  la 
Régence.  Aussi  le  gouvernement  italien,  comptant  sur  l'appui  de  la  France,  commença- 
t-il  à  envisager  sérieusement  l'éventualité  d'un  débarquement.  Le  ministre  des  Affaires 
étrangères  italien,  Visconti-Venosta,  avait  manifesté  plus  d'empressement  que  son 
collègue  de  France  à  accueillir  les  suggestions  de  son  représentant  à  Tunis.  Tandis 
que  de  Beauval  recevait  surtout  des  conseils  de  prudence,  les  instructions  envoyées 
à  Gambarotta  lui  prescrivaient  plus  d'initiative.  «Le  gouvernement»,  télégraphiait 
Visconti-Venosta,  le  9  mai,  «désire  que  nos  nationaux  soient  efficacement  protégés, 
même  en  débarquant  des  troupes»!!^.  «L'amiral  Albini  et  notre  consul  à  Tunis  prévoient 
le  cas  prochain  d'une  intervention  armée  de  la  Porte  à  Tunis  en  vertu  de  sa  haute 
souveraineté  ;  ils  supposent  que  l'amiral  français  s'y  opposera  même  par  la  force  et 


113  Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  7  et  11  mai  1864. 

F.  0.102/71.  Wood  au  vice-amiral  Smart,  commandant  en  chef  des  forces  anglaises  en  Méditerranée.  Tunis, 
5  mai  1864. 

114  F.  0.102/71.  Stevens  à  Wood.  Sousse,  14  mai  1864. 

Arch.  Rés.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  11  et  12  mai  1864. 

115  Arch.  Rome.  Tél.  de  Visconti-Venosta  à  Gambarotta.  Turin,  9  mai  1864. 


164 


demandera  d'urgence  des  instructions.  Nous  avons  répondu  qu'ils  devraient  proposer 
débarquement  collectif  d'Italie,  France,  Turquie  et  d'Angleterre,  en  déclarant  s'opposer 
même  par  la  force,  d'accord  avec  la  France  à  tout  débarquement  d'une  seule  puissance 
sans  entente  préventive»ii®. 

L'Italie  ne  disposait  pas,  comme  la  France,  d'autres  moyens  de  pression  sur  le 
gouvernement  du  bey.  Celle-ci  pouvait  en  effet  s'appuyer  sur  les  forces  qu'elle  entretenait 
en  Algérie  et  le  maréchal  Randon  venait  d'être  invité  à  tenir  sur  la  frontière  un  corps 
de  troupes  prêt  à  intervenir  ;  le  consul  de  France  en  profitait  pour  proposer  au  Bardo 
l'appui  de  30.000  hommes  pour  lutter  contre  les  rebelles. 

En  juin  1864,  le  ministre  de  la  Guerre  italien,  le  général  Délia  Rovere,  fit  activement 
pousser  les  préparatifs  d'un  corps  expéditionnaire.  Afin  d'organiser  le  débarquement,  il 
envoya  à  Tunis  une  mission  d'étude  de  quatre  officiers.  Le  commandant  du  génie  Ricci^i^ 
qui  la  dirigeait  arriva  en  rade  de  La  Goulette,  le  13  juin.  11  étudia  aussitôt  le  port,  les 
routes  menant  à  Tunis,  établit  des  plans  pour  le  débarquement,  la  marche  des  troupes, 
leur  ravitaillement  et  leur  cantonnement  sur  la  colline  du  Belvédère  qui  domine  Tunis 
au  nord.  En  vue  d'une  action  combinée  avec  la  France,  il  demandait  l'envoi  d'un  corps  de 
quatre  mille  hommes  environ  :  deux  régiments  d'infanterie,  un  bataillon  de  bersagliers, 
une  batterie  d'artillerie,  une  compagnie  du  génie^i®.  L'amiral  Albini  était  plus  exigeant  ; 
il  demandait  au  moins  dix  mille  hommes  pour  occuper  non  seulement  Tunis,  mais  aussi 
les  principales  villes  de  la  côte^i®. 

A  Turin,  on  préparait  la  constitution  du  corps  expéditionnaire,  l'organisation  des 
détachements  et  l'embarquement  du  matériel  dans  le  port  de  Gênes.  Les  troupes  devaient 
venir  de  la  haute  Italie.  C'étaient  les  49®“'®  et  ôZ®™®  Régiments  d'infanterie  stationnés  à 
Faenza  et  Alexandrie,  le  9®"“®  Bataillon  de  bersagliers,  en  résidence  à  Milan,  une  batterie 
du  5®"“®  Régiment  d'artillerie,  une  compagnie  du  1®'  Régiment  du  génie,  sans  compter  les 
services  annexes,  train,  santé,  intendance.  Le  commandant  de  l'expédition  devait  être  le 

général  Longonii^o. 

Dans  les  bureaux  de  l'Etat-Major,  on  rassemblait  toute  la  documentation 
nécessaire  :  un  mémoire  statistique  et  militaire  de  1828,  dû  à  un  ancien  consul  à  Tunis, 
le  comte  Gaetano  Palma  di  Borgofranco,  un  plan  de  Tunis^^i,  une  carte  de  la  Tunisie;  on 
demandait  aux  officiers,  aux  consuls  qui  avaient  habité  la  Régence,  des  rapports,  des 
renseignements  utiles. 


116  Ibid.  Tél.  de  Visconti-Venosta  à  Nigra.  Turin,  27  mai  1864. 

117  Le  commandant  d'Etat-Major  Agostino  Ricci.  11  avait  participé  à  la  guerre  de  Crimée,  était  devenu  précepteur 
du  prince  Humbert,  puis  avait  été  chargé  de  la  délimitation  de  la  frontière  franco-italienne  après  1860.  Il 
était  déjà  à  bord  des  navires  italiens  en  rade  de  La  Goulette  en  avril. 

118  Ministero  délia  Difesa-Esercito.  Africa.  Carton  8.  Relazione  e  rapporto  sulla  Tunisia  del  Maggiore  Agostino 
Ricci  ;  Ricci  a  délia  Rovere.  Tunis,  13,14  et  20  juin  1864. 

119  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  11  juillet  1864. 

120  Colonel  Mario  Grosso  :  La  Tunisia  nel  1864  ed  una  mancata  spedizione  italiana  (Rassegna  italiana.  Rome, 
juin  1932  ;  et  Unione  de  Tunis,  3  juillet  1932,  extraits  publiés  par  P.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  1,  p.  XXIII). 
Capitaine  G.  Cappello  :  La  spedizione francese  in  Tunisia  in  Memorie  storiche-miîitari  a  cura  del  Comando  del 
Corpo  diStato  Maggiore,  tome  VI,  fasc.  2,  pp.  232-233.  Città  di  Castello,  1912. 

Ces  deux  auteurs  se  réfèrent  aux  documents  conservés  à  l'Ufficio  storico  del  Corpo  di  Stato  Maggiore 
(Ministero  délia  Difesa-Esercito). 

Le  général  de  brigade  Ambrogio  Longoni  s'était  distingué  pendant  le  siège  de  Sébastopol,  à  la  tête  d'un 
bataillon  de  bersagliers.  A  trois  reprises,  il  avait  été  élu  député  au  Parlement  sarde  puis  italien  (T.  Sarti  II 
Parlamento  subalpino  e  nazionale...  Rome,  1896,  p.  585). 

121  Fig.  12,  p.  147.  (Ministero  délia  Difesa.  Africa,  carton  8). 


165 


Tous  ces  préparatifs  devaient  se  poursuivre  en  secret.  Ils  donnèrent  l'éveil 
cependant  et  la  presse  s'en  empara,  diffusant  des  informations  souvent  inexactes^^^.  Le 
13  juin,  Visconti-Venosta  était  interpellé  à  la  Chambre  sur  les  affaires  de  Tunisie.  Le 
député  Mordini  invita  le  gouvernement  à  se  borner  strictement  à  la  protection  de  ses 
nationaux  et  à  ne  point  participer  à  une  expédition  qui  pourrait  tenter  l'ambition  de  la 
France.  Il  demanda  si  le  gouvernement  italien,  dans  le  cas  où  une  action  militaire  serait 
reconnue  nécessaire,  agirait  de  concert  avec  la  France  et  l'Angleterre  ou  avec  l'une  ou 
l'autre  de  ces  deux  puissances.  Visconti-Venosta  eut  le  front  de  déclarer  que  les  projets 
d'expédition  n'existaient  pour  le  moment  que  «dans  l'imagination  de  M.  Mordini».  Sur  la 
question  d'une  action  commune  avec  la  France  et  l'Angleterre,  ou  avec  la  France  seule,  il 
ne  répondit  pas.  Il  affirma  que  le  gouvernement  entendait  assurer  la  protection  de  ses 
nationaux  et  maintenir  l'indépendance  de  la  Tunisie  vis-à-vis  de  la  Portei^s, 

Depuis  longtemps,  l'attention  des  gouvernements  étrangers  avait  été  attirée  par 
les  avertissements  de  leurs  agents.  Wood,  dès  le  25  mai,  transmettait  des  informations 
selon  lesquelles  dix  mille  hommes  se  rassemblaient  sur  les  côtes  de  Sicile  entre  Palerme 
etTrapani.  La  nouvelle  n'était  pas  sérieuse  et,  de  Turin,  le  ministre  anglais  Ellioti24  devait 
la  démentir  formellementi^s.  Mais,  au  milieu  de  juin,  Elliot  comme  son  collègue  français, 
le  baron  de  Malaret,  savait  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  préparatifs  italiens.  Tous  les  journaux 
de  Turin  et  de  Milan  en  avaient  parlé.  De  Beauval  signalait  bientôt  la  présence  de  troupes 
de  débarquement  à  Gênes,  les  travaux  et  les  voyages  de  la  mission  Ricci.  Wood,  au  comble 
de  l'inquiétude,  échafaudait  projets  sur  projets  pour  essayer  de  sauver  le  bey  et  éviter 
toute  intervention  européenne.  Le  17  juin,  Gambarotta  et  l'amiral  Albini  venaient  offrir 
officiellement  au  khaznadar  peu  enthousiaste  l'appui  d'un  corps  de  troupes  italien  pour 
mater  la  révolte. 

L'Angleterre  était  émue  :  les  16  et  17  juin,  Elliot  venait  demander  à  Visconti-Venosta 
et  au  président  du  conseil  Minghetti  des  explications  sur  les  projets  italiens.  L'im  et 
l'autre  nièrent  de  la  façon  la  plus  catégorique.  Elliot  n'était  pas  convaincu  cependant. 
«J'ai  de  fortes  raisons  de  penser»,  écrivait-il  à  lord  Russell,  «que  la  décision  d'embarquer 
des  troupes  à  Gênes  a  été  réellement  prise  il  y  a  quelques  jours  et  qu'elle  a  été  seulement 
abandonnée  au  dernier  moment,  lorsqu'elle  était  sur  le  point  d'être  exécutée»i26, 

L'Italie  dont  la  politique  était  encore  très  liée  à  celle  de  l'Empire,  n'aurait  pas  osé 
s'engager  si  avant  sans  y  avoir  été  encouragée  par  la  France.  Les  affaires  de  Tunisie 
avaient  été  évoquées  en  effet  à  Fontainebleau,  en  juin  1864,  lors  des  premiers 
pourparlers  franco-italiens  sur  la  question  romaine  qui  devaient  aboutir  à  la  Convention 
de  Septembre.  Le  marquis  Pepolii^^  qui  avait  été  envoyé  en  France  en  mission  spéciale 


122  L'indépendance  belge,  dans  sa  correspondance  de  Turin  des  13  et  14  juin,  signalait  l'embarquement  à  Gênes 
du  général  Pallavicini  avec  deux  régiments  d'infanterie  et  deux  batteries  d'artillerie. 

123  A.  E.  Italie,  vol.  10.  Malaret  à  Dr  de  Lhuys.  Turin,  14  juin  1864. 

124  ELLIOT  (Henry-George),  diplomate  anglais,  né  à  Minto  en  1817,  mort  à  Wantage  en  1887  ;  chargé  d'affaires 
à  La  Haye,  Vienne  et  Copenhague  de  1850  à  1859,  il  fut  promu  au  rang  d'envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire,  le  4  juillet  1859,  et  chargé  de  la  légation  de  Naples,  envoyé  en  mission  spéciale  à  Athènes, 
en  1862  et  1863,  et  nommé  à  Turin,  le  12  septembre  1863.  Il  fut  nommé  ambassadeur  à  Constantinople,  le 
6  juillet  1867,  à  Vienne,  le  31  décembre  1877  (F.  0.  List,  1878,  p.  92). 

125  F.  0.102/71.  Wood  à  Russell.  Tunis,  25  mai  1864. 

F.  0.  45/57.  Tél.  d'Elliot  à  Russell.  Turin,  4  juin  1864. 

126  Ibid.  Elliot  à  Russell.  Turin,  17  juin  1864. 

127  PEPOLI  (Gioacchino,  marquis),  homme  d'Etat  italien,  né  et  mort  à  Bologne  (1825-1881).  Il  était  le  fils 
du  marquis  Guido  Taddeo  et  de  la  princesse  Laetitia  Murât,  fille  de  Joachim,  roi  de  Naples,  et  Caroline 
Bonaparte.  Membre  du  gouvernement  provisoire  de  la  Romagne,  député  de  Bologne  après  l'annexion,  il  fut 


166 


pour  négocier  à  ce  sujet  avec  l'Empereur,  devait  révéler  au  Sénat  italien  en  décembre 
1880,  que  dans  un  entretien  privé  avec  Napoléon  111,  celui-ci  lui  avait  assuré  qu'il  ne 
s'opposerait  pas  à  ce  que  Tunis  devînt  possession  italienne  et  que  la  France  «ne  pouvait 
voir  qu'avec  confiance  une  colonie  italienne  en  Afrique»^^^.  Une  note  fut  même  rédigée 
par  l'Empereur  à  l'intention  du  cabinet  de  Turini^s.  Mais,  des  conversations  sur  Tunis, 
le  ministre  Italien  Nigra  ne  soufflait  mot.  11  se  bornait  à,  un  laconique  «Pepoli  vous  dira 
le  reste»i3o.  Du  côté  français  comme  du  côte  italien,  la  correspondance  officielle  restait 
muette  à  ce  sujet^^i  diplomatie  française  devait  même  prendre  pour  attitude,  dans 
les  années  suivantes,  de  nier  catégoriquement  que  Tunis  eût  jamais  été  offert  à  l'Italie 
par  la  France,  en  1864. 

Les  ouvertures  de  Napoléon  111  ne  devaient  certes  pas  être  entièrement 
désintéressées.  L'empereur  y  voyait  sans  doute  le  moyen  d'endormir  la  question 
romaine  en  détournant  l'Italie  vers  des  ambitions  africaines,  de  la  même  façon  que, 
deux  ans  plus  tard,  il  allait  soulever  la  question  de  Venise  pour  faire  oublier  celle  de 
Rome.  11  est  possible  qu'il  eût  songé  à  se  concilier  les  milieux  militaires  français  en 
imaginant  de  reculer  les  frontières  de  l'Algérie  jusqu'à  la  Medjerda  de  façon  à  englober 
la  base  naturelle  de  Bizertei32.  Wood  qui  était  d'ordinaire  bien  informé,  ne  devait  cesser 
de  dénoncer  les  ambitions  françaises  sur  le  nord  de  la  Tunisie.  A  plusieurs  reprises. 


constamment  réélu  jusqu'en  1868;  ministre  de  l'Agriculture,  du  Commerce  et  de  l'industrie  dans  le  cabinet 
Rattazzi,  mars  1862  ;  ministre  plénipotentiaire  à  Saint  Petersbourg,  février  1863;  chargé  de  négocier  à 
Paris  la  convention  de  septembre  1864;  chargé  de  mission  à  Paris  en  octobre  1867;  sénateur,  12  mars  1868. 
Pepoli  jouissait  de  la  confiance  de  l'Empereur.  Il  avait  été  mêlé  à  toutes  les  négociations  franco-italiennes 
depuis  Plombières.  En  France,  il  venait  doubler  le  chargé  d'affaires  en  titre,  le  chevalier  Nigra.  Napoléon  qui 
n'aimait  guère  la  diplomatie  officielle  et  qui  avait  un  goût  très  vif  pour  les  négociations  secrètes  était  tout 
naturellement  tenté  de  faire  ses  confidences  à  son  cousin  Pepoli  qui  lui  apparaissait  comme  l'ambassadeur 
du  Roi,  de  préférence  à  Nigra,  le  chargé  d'affaires  du  gouvernement  italien. 

Pepoli  avait  été  autorisé  par  l'Empereur  à  faire  passer  sa  correspondance  de  Tunis  par  l'intermédiaire  de  la 
légation  française  (A.  E.  Italie,  vol.  11,  novembre  1864). 

128  Chiala  rapportait  ainsi  la  déclaration  de  Pepoli  au  Sénat,  dans  la  séance  du  18  décembre  1880  :  «L'on. 
Minghetti,  quando  era  présidente  del  Consiglio  dei  ministri  (nel  1864)  m'incarico  'di  chiedere  ail'  imperatore 
Napoleone  quale  fosse  il  suo  concetto  relativamente  a  Tunisi....Ecco  corne  io  rendevo  conto  al  présidente 
del  Consiglio,  onorevole  Minghetti,  del  colloquio  avuto  :  «En  mettant  de  côté,  pour  un  moment,  la  question 
de  Rome,  je  lui  ai  parlé  de  la  question  de  Tunis  ;  je  lui  ai  demandé  s'il  voyait  avec  défiance  l'intervention 
italienne,  il  m'a  répondu  négativement.  Je  lui  ai  demandé  s'il  s'opposerait  à  ce  que  Tunis  devînt  une  colonie 
italienne  ;  il  m'a  répondu  que  quant  à  la  France  elle  ne  pouvait  voir  qu'avec  confiance  une  colonie  italienne  en 
Afrique  (Dal  1858  al  1892.  Pagine  di  storia  contemporanea.  Turin,  1892-1893,  vol.  2,  Tunisie,  p.  223). 

La  plupart  des  auteurs  Italiens,  Giuseppe  Gonni  {Regie  navi  sarde  ed  italiane  a  Tunisi  (1843-1864)  dans  le 
Bolletino  delVufficio  Storico  édité  par  le  Comando  del  Corpo  di  Stato  Maggiore.  Rome,  janvier  1931,  cité  par 
Grandchamp  op.  cit  vol.  2,  p.  271),  F.  L.  Sarti  {Memento  Carthago.  Pensieri.  Milan,  1881,  p.  157),  G.  Cappello 
(op.  cit)  se  sont  référés  à  l'ouvrage  de  Chiala  ou  au  compte  rendu  des  débats  du  Sénat. 

Dans  son  récent  ouvrage  (Storia  délia  politica  Estera  italiana,  dal  1870  al  1896,  vol.  1  :  Le  premesse.  Bari, 
1951,  pp.  541.542),  M.  Federico  Chabod  cite  une  lettre  de  Visconti-Venosta  à  Nigra  du  29  mai  1894,  tirée 
des  archives  de  Visconti-Venosta,  qui  rapporte  ces  entretiens  d'une  façon  analogue  :  «Ricordo  anche 
che  nell'estate  del  1864,  credo  nel  giugno,  a  Fontainebleau,  quando  si  fecero  le  prime  trattative  per  la 
Convenzione  di  Settembre,  l'Imperatore  Napoleone,  parlando  tra  le  altre  quistioni  anche  délia  tunisina, 
vi  deve  aver  detto  qualcosa  di  simile  a  questo  -  che,  senza  giudicare  dell'interesse  che  potevano  averci  in 
quel  momento,  se  l'italia  avesse  creduto  di  andare  a  Tunisi,  egli  non  si  sarebbe  opposto.  Io,  pero'  di  questo 
incidente  non  ho  un'esatta  memoria».  Pour  le  discours  de  Pepoli  au  Sénat,  Visconti-Venosta  renvoyait 
son  correspondant  à  l'ouvrage  précité  de  Chiala. 

129  F.  0.102/75.  F.  0.,  à  Wood,  2  mai  1865.  Note  annexe  contenant  les  observations  de  l'Empereur  (manque). 

130  Arch.,  Rome.  Tél.  de  Nigra.  Fontainebleau,  23  juin  1864. 

131  G.  Gorrini  le  remarquait  en  1890  dans  l'étude  qu'il  rédigeait  pour  Crispi  (Tunisi  e  Biserta.  Milan,  1940, 

pp.  6.8). 

132  L'initiative  de  l'Empereur  n'était  visiblement  pas  préparée.  De  Beauval  n'en  fut  pas  même  informé  sur  le 
moment. 


167 


Il  affirma  que  les  Français  méditaient  de  s'en  emparer,  à  la  faveur  d'une  intervention 
italienne  à  Tunis  qu'ils  auraient  tolérée^^^. 

Mais  l'affaire  ne  devait  pas  avoir  d'autre  suite.  Il  semble  que  Victor  Emmanuel  et 
son  ministre  Minghetti  n'eussent  pas  goûté  les  suggestions  impériales.  La  possession  de 
Rome  était  en  effet  pour  les  Italiens  d'un  autre  prix  que  celle  de  Tunis.  Les  circonstances 
n'étaient  pas  non  plus  très  favorables.  La  situation  financière  de  l'Italie  était  fort 
mauvaise  ;  une  partie  de  l'armée  devait  mener  campagne  dans  le  sud  pour  réprimer  le 
brigandage  des  pays  napolitains.  L'Italie  ne  pouvait  s'engager  seule  dans  une  aventure 
africaine.  Les  instructions  données  au  commandant  Ricci  lui  prescrivaient  de  préparer 
une  expédition,  en  tenant  pour  acquis  l'accord  du  gouvernement  tunisien  et  au  moins 
la  coopération  militaire  de  la  France.  Or,  le  bey  ne  semblait  pas  plus  décidé  à  solliciter 
une  intervention  italienne  qu'une  intervention  française.  Ni  Drouyn  de  Lhuys,  ni  le 
baron  de  Malaret  n'étaient  favorables  à  une  expédition  italienne  et  l'Angleterre,  surtout, 
paraissait  disposée  à  s'y  opposer  avec  vigueur.  «Si,  des  quelques  paroles  qui  avaient 
été  échangées  sous  les  arbres  de  Fontainebleau,  on  avait  voulu  passer  aux  faits»,  notait 
Visconti-Venosta,  «la  déclaration  un  peu  vague  de  l'Empereur  aurait  rencontré  une 
vive  opposition  chez  ses  propres  ministres,  surtout  chez  Drouyn  de  Lhuys,  gardien  des 
traditions  anciennes.  Les  circonstances,  d'ailleurs,  suffisaient  d'elles-mêmes  à  rendre 
vaines  ces  paroles.  Nous  cherchions  alors  s'il  n'était  pas  possible  d'engager  l'Empereur 
dans  une  alliance  franco-anglaise  sur  la  question  danoise,  alliance  qui  devait  conduire  à 
la  libération  de  la  Vénétie.  Et,  si  aucune  combinaison  de  ce  genre  ne  pouvait  se  réaliser, 
nous  cherchions  à  conclure  avec  l'Empereur  quelque  accord  important,  décisif  dans  la 
question  romaine.  En  somme,  la  guerre  avec  l'Autriche  ou  la  Convention  de  Septembre.  Il 
me  semble  assez  difficile  d'admettre  que  le  gouvernement  italien  eût  choisi  ce  moment 
pour  aller  chercher  au  contraire  en  Afrique  une  compensation  tunisienne  à  l'acquisition 
de  Venise  ou  de  Romei^r», 

L'opposition  de  l'Angleterre,  celle  de  la  diplomatie  officielle  française  firent 
aisément  renoncer  le  gouvernement  italien  à  son  projet  d'expédition.  Le  23  juin 
1864,  Visconti-Venosta  assurait  le  chargé  d'affaires  français  que  son  gouvernement 
ne  méditait  aucun  projet  de  conquête.  Drouyn  de  Lhuys  lui  faisait  répondre  par  cette 
mise  en  garde  :  «Nous  ne  verrions  pas  d'un  œil  jaloux  l'extension  des  rapports  et  de 
l'influence  de  l'Italie  dans  la  Régence.  Mais  le  cabinet  de  Turin  doit  se  préoccuper 
des  obstacles  que  d'autres  puissances  pourraient  apporter  à  ses  entreprises,  si  elles 
avaient  un  caractère  brusque  et  inquiétant.  Nous  ne  demandons  pas  mieux  que  de 
nous  entendre  avec  l'Italie  pour  développer  dans  ces  contrées,  la  civilisation  et  le 
commerce.  Nous  prenons  acte  avec  plaisir  des  assurances  de  M.  Visconti-Venosta»!^^. 
Le  Foreign  Office  avait  précisé  son  attitude  en  demandant  au  gouvernement  italien,  à 
plusieurs  reprises,  des  explications  sur  les  préparatifs  militaires  de  Gênes.  Visconti- 
Venosta  fit  sonder  encore  une  fois  le  gouvernement  impérial  pour  savoir  quelle 
politique  il  entendait  suivre  au  cas  oû  le  bey  solliciterait  le  débarquement  de  forces 
européennes!36.  Mais  la  nouvelle  se  répandait  alors  que  les  insurgés  avaient  fait  leur 


133  F.  0.  102/74.  Sprat  à  Paget,  lettre  confid.  Tunbridge  Wells,  28  juillet  1864,  F.  0.  102/75.  Wood  à  Russell, 
Tunis,  15  septembre  1865. 

F.  0.102/79.  Wood  à  Stanley,  confid,  Tunis,  3  avril  1867, 

134  F.  Chabod,  op,  cit  p.  542,  Visconti-Venosta  à  Nigra,  29  mai  1894,  doc.  cit. 

135  Note  marginale  de  Drouyn  de  Lhuys  sur  la  dépêche  n°  57  de  Malaret  du  23  juin  1864,  note  développée  dans 
la  dép.  n°  31,  du  28  juin  (A.  F.  Italie,  vol.  10). 

136  Arch.  Rome.  Tél.  à  Nigra.  Turin,  22  juillet  1864. 


168 


soumission.  La  mission  Ricci  était  rappelée.  Le  consul  Gambarotta  retombait  dans 
son  apathie  et  de  Beauval  se  plaignait  bientôt  qu'il  se  fût  rallié  contre  lui  au  parti 
anglais^^^. 

4  -  Fin  de  l'insurrection 

Les  efforts  de  dissociation  du  khaznadar  commençaient  à  porter  leurs  fruits  au 
milieu  de  la  lassitude  générale.  Le  mouvement  bédouin  qui  n'avait  jamais  été  cohérent 
ni  unanime,  s'émiettait  depuis  le  début  de  l'été  en  une  multitude  de  rivalités  de  détail,  de 
razzias,  de  combats  et  de  négociations  avec  le  Bardo.  Zlass  et  Hammama  se  ralliaient  les 
premiers,  ainsi  qu'une  partie  au  moins  des  Drid.  Ils  en  profitaient  pour  vider  de  vieilles 
querelles  avec  leurs  voisins  et  rivaux.  Ainsi,  au  début  de  juillet,  une  fraction  des  Zlass 
ayant  été  malmenée  par  des  Ouled  Said,  alors  qu'elle  razziait  une  petite  tribu  de  leurs 
alliés,  les  Zlass  tombaient  sur  les  Ouled  Said  qu'ils  écrasaient  complètement  ;  Methellith, 
Souassi  et  Béni  Zid  de  lancer  alors  leurs  cinq  mille  cavaliers  pour  venger  les  Ouled  Said 
et  punir  les  Zlass  et  leurs  alliés  Hammamai^s.  Les  Methellith,  d'ailleurs  étaient  prêts  à 
se  rallier  au  bey  afin  de  pouvoir  piller  impunément  la  ville  de  Sfax.  -  «Les  bourgeois», 
écrivait  Espina  le  12  juillet  1864,  «sont  partout  fatigués  de  l'état  de  choses  persistant  et 
finiraient  par  demander  l'intervention  (du  bey),  de  guerre  lasse»!^^.  «Les  Arabes  ne  se 
tiennent  pas  tranquilles,  ils  pillent  le  bétail  des  villages  voisins  et  tout  cela  aigrit  l'esprit 
des  citadins  d'ici.  Si  le  Bey  venait  avec  des  troupes...  ils  se  soumettraient  et  s'uniraient  à 
lui  pour  aller  châtier  les  Arabes»^''*’. 

a)  Soumission  des  rebelles 

Après  des  négociations  avec  des  chefs  arabes  de  la  région  de  Kairouan,  le  khaznadar 
faisait  décider  par  le  bey  une  série  de  mesures  de  pacification  dictées  par  les  insurgés 
eux-mêmes  :  «amnistie  sans  réserve,  abaissement  de  moitié  de  Vachour  ;  nomination 
dans  les  provinces  de  caïds  indigènes  au  lieu  de  Mamelucks»i4i,  abolition  de  la 
Constitution  et  suppression  définitive  des  tribunaux  installés  en  1861.  En  même  temps, 
le  gouvernement  du  bey  s'efforçait  d'organiser  des  mehallas.  Mais  les  vieux  soldats  ne 
voulaient  pas  reprendre  du  service,  exigeaient  de  l'argent  ;  les  recrues  se  débandaient, 
désertaient  avec  leurs  armes.  On  ne  pouvait  rien  tirer  du  Sahel  qui  fournissait  d'ordinaire 
la  majeure  partie  du  contingent.  Les  troupes  régulières  avaient  presque  toutes  disparu. 
Les  3®“’"=  et  l®"'®  Régiments  ont  déserté  en  masse,  écrivait  le  commandant  Ricci  ;  du 
2°  Régiment  reste  une  centaine  d'hommes,  du  1®"',  un  millier,  et  des  6™®  et  7®""®  ensemble, 
environ  sept  cents.  Cinquante  cavaliers  et  trois  cents  artilleurs  étaient  les  débris  de  deux 
autres  unités^^^  juin,  le  gouvernement  arrivait  à  rassembler  quatre  mille  hommes, 
des  irréguliers  pour  la  plupart,  soutenus  par  une  batterie  d'artillerie.  11  en  confiait  le 
commandement  au  général  Ismaïl  Sunnii^s.  Mais  le  camp  qui  était  chargé  de  châtier  les 


137  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  20,  23  juillet  1864. 

138  Ibid.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  8  juillet  et  5  août  1864;  Gnecco  à  Beauval.  Monastir,  5  août  1864. 

139  Ibid.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  12  juillet  1864. 

140  Ibid.  Gnecco  à  Beauval.  Monastir,  9  juillet  1864. 

141  Ibid.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  n°  57.  Tunis,  31  juillet  1864. 

142  Ministero  délia  Difesa.  Carton  8,  Africa.  Lettre  de  Ricci.  Tunis,  26  juin  1864. 

Les  troupes  régulières  du  bey  se  composaient  de  six  régiments  d'infanterie,  d'un  effectif  théorique  de  3.000 
hommes  chacun,  d'un  régiment  de  cavalerie  et  d'un  régiment  d'artillerie,  de  1.000  hommes  chacun. 

Les  et  6^“«  régiments  étaient  stationnés  à  Tunis  avec  l'artillerie  et  la  cavalerie  ;  le  2  Régiment,  à 

Sousse,  le  3^»"®  à  Monastir  et  le  4^»"®  à  Kairouan. 

143  Ismaïl  Sunni,  beau-frère  du  bey,  ancien  garde  des  sceaux  de  Mohammed  Bey,  âgé  à  l'époque  d'environ 
soixante-cinq  ans.  Il  devait  périr  étranglé  par  ordre  du  bey  en  octobre  1867. 


169 


rebelles  du  nord-ouest  fondait  aussitôt  par  la  désertion.  «Le  camp  est  à  13  kilomètres 
Ouest  de  Tunis»,  écrivait  de  Beauval.  «De  4.000  hommes,  il  s'est  réduit  à  2.000,  en 
comprenant  dans  ce  chiffre  les  charretiers...  Ce  ne  serait  plus  même  une  menace,  mais 
une  sorte  d'ambassade  de  persuasion  et  de  séduction  que  le  Bey  enverrait  à  toute  la 
populationi44».  Ismaïl  Sunni  progressait  néanmoins  jusqu'à  Béja.  il  s'y  arrêtait  au  milieu 
de  juillet  et  entreprenait  de  négocier  avec  les  rebelles  qui  s'étaient  portés  au  devant  de 
lui.  Le  bruit  se  répandait  alors  à  Tunis  que  le  camp  en  déroute  rebroussait  piteusement 
chemin,  suivi  par  les  cavaliers  de  Ben  Ghedahem  qui  enlevaient  ses  convois^^s  p)e  Beauval 
aussitôt  d'exulter  et  de  faire  connaître  au  ministre  les  relations  qu'il  entretenait  avec  le 
chef  des  insurgési^s. 

Mais  Ali  ben  Ghedahem  dont  l'autorité  paraissait  s'affaiblir,  accepta  l'amnistie  qu'on 
lui  offrait,  se  préoccupant  uniquement  de  monnayer  sa  soumission  en  avantages  pour 
les  siens.  Le  26  juillet  1864,  quatre  cents  cheikhs  et  notables  faisaient  leur  soumission 
au  nom  de  quatorze  tribus  du  nord-ouest,  en  posant  comme  conditions  la  réduction  de 
la  mejba  à  dix  piastres  et  la  diminution  de  moitié  de  l'achour. 

Ben  Ghedahem  avait  exigé  et  obtenu  pour  lui-même  un  vaste  domaine,  l'henchir 
Rohia,  pour  son  frère  Abd  en  Nebi,  le  caïdat  des  Majeur,  pour  ses  partisans,  des  cheikhats 
dans  différentes  tribus^^^.  Le  bey  ratifiait  cet  accord  et,  en  le  remerciant.  Ben  Ghedahem 
envoyait  au  khaznadar  les  lettres  que  lui  avait  adressées  de  Beauval. 

Elias  Mussalli  venait  informer  officiellement  le  consul  de  France,  le  28  juillet,  que 
quatorze  tribus  avaient  fait  leur  soumission  et  que  Ali  ben  Ghedahem  s'était  retiré  chez 
ses  Majeur.  De  Beauval  ne  pouvait  s'y  résigner!"*»,  mais  Wood  et  Pinna  télégraphiaient  la 
nouvelle  à  leurs  gouvernements,  le  29  juillet,  en  assurant  que  «l'insurrection  des  Arabes 
pouvait  être  considérée  comme  terminée!!^». 

Cependant  le  khaznadar  s'employait  à  réunir  un  nouveau  camp  destiné  à  restaurer 
l'autorité  du  bey  sur  la  côte.  Mais  les  vétérans  que  l'on  comptait  enrôler  de  nouveau 
manifestèrent  violemment  dans  Tunis^^o.  Le  gouvernement  dut  faire  appel  «à  des 
recrues  prises  dans  la  lie  de  Tunis  et  de  ses  faubourgs»,  baptisées  du  nom  de  Zouaouas, 
dont  les  violences  effrayaient  les  habitants  de  la  capitale.  De  Beauval  obtenait  du  bey 
que  le  camp  attendît  l'ordre  du  départ  hors  de  la  ville.  Les  2.600  hommes,  appuyés  par 
huit  pièces  de  canon  et  placés  sous  le  commandement  d' Ahmed  Zarrouk  «créature  du 
Khaznadarisi»,  se  mettaient  lentement  en  marche,  au  début  de  septembre,  en  direction 
de  Sousse.  11  leur  fallait  près  d'un  mois  pour  parcourir  sans  combattre  les  quatre-vingt 
dix  kilomètres  qui  séparent  Hergla  de  Hammam-Lif.  Leur  approche  ne  ramenait  pas 
le  calme  dans  le  Sahel  ;  elle  semblait  au  contraire  exaspérer  les  haines,  provoquer  les 
violences.  Informés  de  l'organisation  d'un  camp  destiné  à  réduire  le  littoral,  les  gens 


144  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  n°  47.  Tunis,  1®“^  juillet  1864. 

145  Ibid.  Du  même  au  même,  n°  53  et  54.  Tunis,  20  juillet  1864. 

Ibid.  Tél.  de  Cubisol  à  Beauval.  Goulette,  27  juillet  1864. 

Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  19  et  26  juillet  1864. 

146  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  n°  55.  Tunis,  23  juillet  1864. 

147  Arch.  Secret.  Général.  Doc.  publ.  par  P.  Grandchamp,  op.  cit  vol.  2,  pp.  293-296. 

148  «Quoi  qu'il  en  soit,  de  l'aveu  général,  l'insurrection  devient  plus  unanime  que  jamais.  Ben  R'daoum,  que 
le  Bardo  accusait,  sans  vraisemblance,  d'être  vendu,  a  gardé  ou  repris  le  commandement  des  révoltés.  Il 
s'occupe  même  de  réunir  à  Kairouan,  une  assemblée  appelée  à  délibérer  sur  les  intérêts  communs»  (Arch. 
Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  n°  60.  Tunis,  20  août  1864). 

149  F.  0.102/72.  Tél.  de  Wood.  Tunis,  29  juillet  1864. 

150  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  n°  52.  Tunis,  19  juillet  1864. 

151  Ibid.  Du  même  au  même,  n°  62.  Tunis,  30  août  1864. 


170 


Croquis  du  Sahel 
(Arch.  Ministero  délia  Difesa) 

On  peut  suivre  les  limites  des  caïdats  de  Sousse  et  Monastir,  mais  la  localisation 
des  villages  de  l'intérieur  n'est  que  très  approximative. 


de  Msaken  avaient  entraîné  dans  une  nouvelle  rébellion  les  villages  d'alentour.  Sousse 
qui  avait  fermé  ses  portes  était  bloquée  et,  le  24  juillet,  devait  répondre  à  l'assaut  des 
Msakniens  à  coups  de  fusil  et  de  canon.  Les  villageois  bouchaient  l'aqueduc,  tiraillaient 
tous  les  soirs  contre  les  remparts  ;  «de  temps  à  autre  un  coup  de  canon  les  dispersait». 
Les  Soussiens,  de  leur  côté,  risquaient  quelques  sorties^^^  Au  bout  de  quinze  jours,  les 
deux  parties  se  fatiguèrent  de  jouer  à  la  petite  guerre  ;  les  villageois  se  querellaient 
entre  eux,  pour  se  réconcilier  bientôt  devant  la  menace  du  camp. 

La  grande  tribu  husseinite  des  Zlass,  ralliée  au  bey,  profitait  de  ces  querelles  pour 
attaquer  les  uns  après  les  autres  les  villages  de  la  ligne  msaknienne.  Ceux-ci,  pour  se 
venger,  faisaient  appel  aux  Methellith  pour  châtier  ensemble  les  gens  de  Kalaa  Kbira 
qui  refusaient  de  se  joindre  à  la  rébellion^^^  C'est  alors  que,  pour  protéger  Kalaa  Kbira, 
Zarroukfit  un  mouvement  vers  le  sud,  le  5  octobre  1864,  quittant  Hergla  où  il  séjournait 
depuis  une  semaine.  Le  camp  se  heurtait,  le  6,  à  un  parti  de  gens  de  Kalaa  Srira  qu'il 
bousculait  sans  peine  ;  il  les  poursuivait  dans  leur  village  qu'il  prenait  d'assaut  et  livrait 
au  pillage.  Le  camp  des  rebelles,  fort  de  5.000  hommes  et  de  quelques  pièces  de  canon. 


152  Ibid.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  24,  25,  27  et  31  juillet,  2,  4,  5,  et  8  août  1864, 

153  Ibid.  Du  même  au  même.  Sousse,  19  et  26  septembre  1864. 

Le  village  de  Kalaa  Kbira  avait  été  complètement  ruiné  au  cours  des  luttes  qui  opposaient  Husseinites  et 
Pachistes.  Ses  habitants,  demeurés  fidèles  au  so/husseiniste,  détestaient  particulièrement  leurs  voisins  de 
Kalaa  Srira  (J.  Despois  :  La  Tunisie  orientale,  op.  cit.  p.225). 


171 


n'était  pas  intervenu,  les  Msakniens  s'étant  rués  vers  leur  village  qu'ils  croyaient  menacé. 
Le  lendemain,  tous  se  précipitaient  pour  demander  l'aman^^*. 

«Presque  tous  les  villages  du  Sahel,  à  l'imitation  de  Messaken,  ont  fait  les  uns 
après  les  autres,  leur  soumission  au  Bey,  en  envoyant  au  camp  leurs  Mécheikhs  et 
leurs  notables  précédés  des  drapeaux  de  la  localitéi^^».  Zarrouk  avait  pu  faire  dans 
Sousse,  le  lendemain  de  sa  victoire,  une  triomphale  entrée,  à  la  tête  de  ses  troupes  et 
de  ses  prisonniers  chargés  de  chaînes.  11  parcourait  ensuite  toute  la  côte,  recevant  les 
soumissions  et  ramassant  les  armes.  La  grande  révolte  s'était  effondrée  d'un  coup,  mais 
la  répression  allait  durer  plus  longtemps. 

Quinze  jours  avant  l'escarmouche  de  Kalaa  Srira,  les  escadres  européennes,  d'un 
commun  accord,  avaient  quitté  leur  mouillage  de  La  Goulette.  11  avait  fallu  quatre 
semaines  de  négociations  pour  arriver  à  ce  résultat.  Depuis  le  mois  d'août,  d'accord 
avec  l'amiral  Yelverton,  commandant  de  l'escadre,  Wood  pressait  Haïder  Effendi 
de  regagner  Constantinople.  Tant  que  les  Turcs  resteraient  à  Tunis,  ni  l'escadre 
française,  ni  l'escadre  italienne  ne  consentiraient  à  s'éloigneri^e.  Les  négociations 
avec  le  gouvernement  tunisien  étant  achevées,  la  présence  du  commissaire  ottoman 
ne  présentait  désormais  plus  que  des  inconvénients.  L'amiral  Yelverton  s'employa 
activement  auprès  du  bey  et  de  ses  collègues  français  et  italien  pour  obtenir  une 
retraite  honorable  de  tous  les  bâtiments  stationnés  dans  les  eaux  de  Tunis.  Haïder 
Effendi  en  référa  à  Constantinople.  Le  7  septembre  1864,  le  chargé  d'affaires  de 
France  auprès  du  gouvernement  ottoman  informait  Drouyn  de  Lhuys  que  la  Sublime 
Porte  songeait  à  rappeler  son  envoyé^^^.  11  fallut  ensuite  ménager  les  susceptibilités 
nationales,  respecter  les  préséances.  Le  gouvernement  français  n'acceptait  la  retraite 
des  escadres  européennes  qu'après  le  départ  de  l'envoyé  de  la  Porte  et  des  deux 
frégates  ottomanesi^s. 

Le  23  septembre,  Haïder  Effendi  partait  le  premier  à  bord  de  la  frégate  ottomane; 
les  escadres  française  et  italienne  appareillant  vingt  minutes  après,  selon  un 
programme  précis  arrêté  de  concert  entre  les  deux  amiraux  et  les  autorités  turques. 
La  station  anglaise  en  Tunisie  réduite  alors  à  deux  navires,  n'avait  pas  à  participer  à  ce 
programme  de  départ.  L'amiral  français  laissait  en  rade  de  Tunis  pour  les  besoins  du 
service  une  frégate  et  un  aviso,  l'amiral  italien,  une  corvette,  plus  un  aviso  stationné 
à  Sousse^s®.  Restaient  également  les  deux  navires  anglais,  une  corvette  à  hélice,  et  le 
vaisseau  Revenge,  portant  la  marque  du  contre-amiral  Yelverton  Le  29  septembre,  le 
Revenge  quittait  à  son  tour  son  mouillage  pour  croiser  sur  les  côtes  tunisiennes  et 
regagner  Malte. 


154  F.  0.  102/72.  Wood  à  Russell.  Tunis,  8  octobre  1864. 

Lettres  de  Pistoretti,  vice-consul  d'Espagne  et  d'Autriche  à  Sousse,  6-8  octobre  1864,  publ.  par  Grandchamp, 
op.  cit  vol.  2,  pp.  54-57.  Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  12  octobre  1864.  Le  consul  ajoutait  «L'autorité 
du  Bey  est  désormais  rétablie  partout,  mais  le  consul  de.  France  ne  continue  pas  moins  à  mettre  en  doute  ce 
qui  est  évident  pour  tout  le  monde». 

155  Arch.  Rés.  Espina  à  Beauval.  Sousse,  13  octobre  1864. 

156  F.  0.102/72.  Wood  à  Yelverton.  Tunis,  25  août  1864. 

157  A.  E.  Turquie,  vol.  363.  De  Bonnières  à  Drouyn  de  Lhuys.  Thérapia,  7  septembre  1864  (De  Bonnières  gérait 
l'ambassade  pendant  un  congé  du  marquis  de  Moustier). 

158  A.  E.  Angleterre,  vol.  731.  Drouyn  de  Lhuys  au  marquis  de  Cadore,  gérant  de  l'ambassade  de  Londres.  Paris, 
9  septembre  1864. 

159  Arch.  Rés.  Programme  arrêté  de  concert  entre  les  amiraux  français,  italien  et  les  autorités  ottomanes,  au 
sujet  du  départ  des  forces  navales  françaises,  italiennes  et  turques,  fixé  au  vendredi  23  septembre  à  11  h.  et 
demi. 


172 


b)  La  répression 

La  pacification  définitive  de  la  Régence  devait  durer  tout  l'automne  et  une  partie  de 
l'hiver  1864-1865.  En  décembre,  un  camp  de  4.000  hommes  placé  sous  les  ordres  de  Sidi 
Ali,  bey  du  camp,  quittait  Tunis  pour  prêter  main  forte  aux  troupes  du  général  Roustam, 
en  difficulté  autour  du  Kef.  Ben  Ghedahem  avait  en  effet  repris  les  armes  à  l'automne  et 
levé  4.000  hommesi^o.  A  la  suite  de  razzias  de  troupeaux  entre  tribus  traditionnellement 
hostiles,  il  avait  essayé  de  s'imposer  comme  médiateur.  Mais  personne  ne  l'avait  écouté 
et  il  lui  avait  fallu  lancer  ses  Majeur  contre  les  Zlass  qui  firent  aussitôt  appel  au  Bardo. 

Ben  Dahar,  lieutenant  de  Ben  Ghedahem,  en  dépit  de  l'aman  que  lui  avait  accordé  le 
bey,  avait  été  livré  par  un  marabout  de  Tozeur.  Traîné  au  Bardo,  on  l'y  jetait  à  demi-mort 
dans  un  cachot,  après  avoir  subi  sous  les  yeux  des  femmes  du  sérail  l'horrible  châtiment 
de  mille  coups  de  bâtonisi.  Au  début  de  janvier  1865,  les  deux  camps  réunis  de  Sidi  Ali 
et  du  général  Roustam,  appuyés  par  la  cavalerie  des  Zlass,  écrasaient  les  contingents 
d'Ali  ben  Ghedahem  à  la  hauteur  de  Tébessa.  Quelques  bandes  se  réfugiaient  avec  leur 
chef  en  territoire  algérien  ;  les  autorités  françaises  qui  accueillaient  les  fuyards  devaient 
s'opposer  au  passage  des  goums  tunisiens  de  Roustami62.  Ali  ben  Ghedahem,  son  frère 
Abd  en-Nebi  et  leurs  familles  furent  internés,  sur  l'ordre  du  maréchal  de  Mac-Mahon, 
d'abord  à  Constantine,  puis  dans  la  tribu  des  Ouled  Abd  en-Nour,  où  ils  devaient  rester 
jusqu'au  début  de  1866^^^. 

Tandis  que  Roustam  opérait  dans  l'ouest,  multipliant  amendes,  confiscations  de 
biens  et  exécutions  capitales,  Zarrouk  écrasait  le  Sahel  d'une  répression  si  féroce  que  le 
souvenir  en  demeurait  vivace  trente-cinq  ans  plus  tard^^'^. 

Sous  prétexte  de  recouvrer  les  impôts  auxquels  s'étaient  soustraits  les  habitants 
pendant  l'insurrection,  de  leur  faire  payer  les  frais  du  camp  chargé  de  les  soumettre,  il 
écrasait  de  taxes  et  d'amendes  un  pays  déjà  épuisé  par  le  pillage.  «Le  Gouvernement  du 
Bey  a  promptement  renoncé  au  système  de  clémence  qu'il  semblait  vouloir  inaugurer... 
il  est  revenu  à  la  rigueur,  à  celle  qui  se  traduit  par  les  fers  et  la  torture,  pour  obtenir, 
des  provinces  du  littoral,  des  impôts  exorbitants  de  guerre^^^».  «11  est  de  mon  devoir  de 
vous  informer»  écrivait  Gnecco,  «de  la  façon  barbare  dont  agit  le  général  Zarrouk  pour 
exécuter  les  ordres  du  Bey,  en  dépouillant  complètement  les  indigènes,  en  mettant  à  la 
torture  les  personnes  âgées  et  les  femmes  qui  n'ont  pris  aucune  part  à  la  révolution»^®®. 
«L'amende  n'a  pu  être  perçue  qu'au  moyen  de  la  réclusion,  de  la  mise  aux  fers,  de  la 
bastonnade  et  des  rigueurs  les  plus  illégales  au  point  de  vue  de  notre  droit  public  actuel. 
Parmi  ces  rigueurs  je  signalerai  la  confiscation  des  biens,  la  torture  poussée  parfois 


160  F.  0.102/72.  Wood  à  Russell.  Tunis,  7  octobre  1864. 

161  Arch.  Rés.  Cubisol  à  Beauval.  Goulette,  19  décembre  1864. 

162  Ibid.  Mac  Mahon,  Gouv.  général  de  l'Algérie  à  Drouyn  de  Lhuys.  Alger,  17  janvier  1865. 

163  Au  début  de  1866,  les  deux  frères  s'évadèrent  d'Algérie  pour  aller  se  cacher  aux  environs  du  Kef.  «Ben 
Rhadaoum»,  écrit  Duchesne  de  Bellecourtà  Drouyn  de  Lhuys,  le  27  février  1866,  «avait  cru  pouvoir  profiter 
du  passage  par  la  Tunisie,  du  célèbre  marabout  Tidjani  (Si  Mohammed  El  Aïd)  qui  se  rend  à  La  Mecque, 
et  du  prestige  que  ce  personnage  religieux  exerce  parmi  les  Musulmans  pour  implorer,  sous  son  égide,  la 
clémence  du  Bey»  (Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  26].  Mais  il  était  arrêté  le  28  février  par  les  cavaliers  du  bey,  avant 
d'avoir  pu  atteindre  le  marabout  (ihid.  Dép.  pol.  N°  28  du  même  au  même,  3  mars  1866)  et  amené  au  Bardo. 
Le  Bey  lui  faisait  grâce  de  la  vie,  sur  les  instances  du  consul  de  France.  Dix-huit  mois  plus  tard,  on  le  trouvait 
mort  dans  son  cachot  de  La  Goulette  (10  octobre  1867).  Plus  heureux  que  lui,  Abd  en-Nebi  avait  réussi  à 
s'échapper. 

164  P.  Ducroquet  La  crise  économique  de  1897  au  Sahel  tunisien.  R.T.  1909,  p.  24. 

165  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys  n°  80.  Tunis,  4  décembre  1864. 

166  Ibid.  Gnecco  à  Beauval  (en  italien).  Monastir,  16  février  1865. 


173 


jusqu'à  ce  que  lésion  ou  mort  s'ensuive,  la  violation  de  domicile  et,  enfin,  le  viol  des 
femmes  tenté  ou  consommé  sous  l'œil  même  des  pères  ou  des  maris  enchaînési^^».  En 
mars  1865,  Espina  estimait  à  23  millions  de  piastres,  les  sommes  que  le  gouvernement 
avait  tirées  du  Sahel,  d'octobre  1864  à  janvier  1865,  sans  compter  quelque  5  millions  de 
piastres  extorqués  par  ses  employés  pour  leur  propre  compte.  Le  26  mars,  il  envoyait  au 
consul  de  France  le  tableau  des  contributions  payées  par  les  trois  caïdats  pendant  cette 
périodei^®. 

Comme  le  pays,  pressuré,  épuisé,  insolvable,  ne  lui  paraissait  pas  rendre 
suffisamment,  Zarrouk  s'entendait  avec  les  courtiers  juifs  des  villes.  C'est  lui  qui  «aurait 
eu,  dit-on,  la  pensée  d'indiquer  aux  contribuables  des  prêteurs  qui  les  mettraient  en 
mesure  de  payer  les  taxes  qui  leur  sont  imposées  moyennant  un  intérêt  de  40%  par 
anifi®».  «Les  maisons  juives  qui  prêtaient  aux  villages  se  mettaient  facilement  d'accord 
avec  le  général  Zarrouk  qui  ne  songeait  qu'à  toucher  le  montant  de  la  contribution  de 
guerre  arbitrairement  imposée  par  lui.  Les  notaires  écrivaient  tout  ce  que  voulaient  les 
prêteurs,  les  Arabes  portés  garants  ou  solidaires  de  ces  actes,  n'étaient  pas  même  appelés, 
et  quand,  ayant  payé  la  part  qui  leur  incombait,  ils  se  croyaient  entièrement  libérés,  ils 
voyaient  les  prêteurs  armés  de  ces  mêmes  actes  qu'ils  ne  connaissaient  même  pas  venir 
leur  réclamer  jusqu'à  complet  épuisement  de  leurs  ressources  la  somme  entière  due  par 
leurs  villages.  D'accord  toujours  avec  l'autorité  locale,  dont  la  complaisance  leur  était 
facilement  acquise,  ces  prêteurs  faisaient  saisir  leurs  récoltes,  séquestrer  leurs  biens, 
emprisonner  leurs  personnes  et  si  quelquefois  les  cris  de  ces  malheureux  arrivaient 
jusqu'au  Bey,  le  général  Zarrouk  les  avait  bientôt  étouffés^^o».  L'usure  juive  devait 
prolonger  la  ruine  du  Sahel  et  faire  passer  la  propriété  de  nombreuses  olivettes  aux 
mains  des  créanciers.  La  crise  avait  assuré  la  fortune  des  usuriers  de  Sousse,  Monastir  et 
Mahdia.  Ainsi,  Isaac  Younès,  son  gendre  YoussefLevyi^b  que  la  rumeur  publique  dénonçait 
comme  les  associés  du  général  Zarrouk,  devenaient-ils  les  principaux  propriétaires 
fonciers  de  Sousse.  ils  accaparaient  en  même  temps  l'exportation  des  huiles,  avec  la 
complicité  des  autorités  locales,  et  ne  tardaient  pas  à  ruiner  les  négociants  européens 
qui  vivaient  de  ce  trafic. 

De  Sfax,  venaient  les  mêmes  informations  :  Jean  Mattéi  estimait  à  4.686.000  piastres 
le  montant  des  sommes  que  les  villes  avaient  dû  verser,  sous  réserve  de  créances 


167  Ihid.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sousse,  mars  1865. 

168  Ibid.  Du  même  au  même.  Sousse,  1^^  et  26  mars  1865  :  Note  et  Tableau  général  des  redevances  et  contributions 
payées  par  le  Sahel  depuis  le  15  octobre  1864jusqu'au  29  janvier  1865  (publ.  par  P.  Grandchamp  :  La  révolution 
de  1864  en  Tunisie,  op,  cit  vol.  2,  pp.  148-167}. 

Impôts  ordinaires  :  Piastres  3.455.846,195 

Impôts  extraordinaires  :  Piastres  20.015.039,50 
TOTAL  :  23.470.885,695  [15.256.075,7  Fr) 

169  Ibid.  Beauval  à  Espina  à  Sousse.  Tunis,  6  décembre  1864. 

170  A.  E.  Tunis,  vol.  34.  Botmiliau  à  Daru  :  Enquête  sur  l'usure  juive  dans  le  Sahel.  Tunis,  8  mars  1870. 

Un  rapport  de  1870  dû  à  Mohammed  Khaznadar,  redevenu  caïd  de  Sousse  et  Monastir,  citait  en  exemple 
les  opérations  des  usuriers  dans  le  village  de  Bou  Merdas  (caïdat  de  Monastir).  Ce  village  qui  ne  comptait 
que  68  imposables  à  la  mejba  en  1863,  avait  été  frappé  d'une  contribution  de  guerre  de  100.000  piastres. 
Quelques  notables  avaient  pu  s'acquitter  immédiatement.  La  quote-part  des  autres,  soit  60.000  piastres, 
avait  été  avancée  sur  hypothèques  par  un  groupe  de  Juifs.  En  deux  ans,  Younès  et  ses  amis  avaient  arraché 
234.000  piastres  à  leurs  débiteurs,  pour  prix  du  capital  et  des  intérêts,  non  sans  avoir  fait  jeter  en  prison 
certains  des  notables  qui  avaient  payé  comptant. 

171  Isaac  YOUNES  était  un  Israélite  protégé  français  dont  la  fille,  Esther,  avait  épousé  Youssef  Levy,  sujet  anglais, 
qu'Espina  avait  dénoncé  comme  un  des  agents  de  la  propagande  de  Wood  et  l'un  des  ennemis  les  plus 
acharnés  de  la  France.  Levy  devait  être,  quinze  ans  plus  tard,  le  héros  de  l'affaire  de  l'Enfida. 


174 


hypothécaires  abusives^^^  récompense  d'une  mission  si  heureusement  accomplie, 
le  bey  avait  nommé  Zarrouk  caïd  de  Sousse  et  Monastir,  en  février  1865.  En  dépit  de 
l'aman,  la  répression  n'avait  pas  encore  cessé  en  avril  1865.  Non  content  de  sévir  sur 
place,  Roustam  envoyait  au  Bardo,  enchaînés  par  le  cou,  250  à  300  cheikhs  que  l'on 
bâtonnait  à  mort  dans  la  cour  du  palais,  sous  les  fenêtres  des  princesses.  11  fallait  les 
protestations  indignées  du  consul  de  France  pour  obtenir  du  khaznadar  le  désaveu  de 
ces  procédés  barbaresi^^ 

c)  La  mission  Khérédine 

Le  départ  des  escadres  et  la  fin  de  l'insurrection  assuraient  le  prestige  de  Wood  à  la 
cour  tunisienne.  Mustapha  Khaznadar,  tout  acquis  désormais  à  la  politique  anglaise^^^, 
écoutait  les  conseils  que  celui-ci  lui  soufflait.  C'est  ainsi  qu'il  décidait  le  bey  à  envoyer  le 
général  Khérédine  en  ambassade  à  Constantinople,  sous  le  prétexte  officiel  de  remercier 
le  sultan  Abdul-Aziz  de  ses  bons  offices  pendant  l'insurrection. 

En  réalité,  Khérédine  avait  surtout  mission  de  négocier  un  accord  réglant  les 
relations  entre  le  bey  et  la  Porte,  avec  pouvoirs  pour  traiteri^s  Aussitôt  informé,  de 
Beauval  se  précipitait  au  Bardo,  s'emportait  devant  le  bey,  menaçait  de  barrer  le  passage 
par  la  force  à  son  envoyé^^^.  11  télégraphiait  à  Paris,  le  12  novembre  1864  :  «Le  Bey  m'a 
fait  dire  ce  matin  que  Kehr  Ed  Din  partirait  le  17  pour  Constantinople  avec  mission  de 
remercier  le  Sultan  de  l'envoi  de  Haïder  Effendi.  J'ai  prié  S.A.  avec  instance  et  comme 
faveur  d'ajourner  le  départ  de  quelques  jours  afin  de  prévenir  V.  Exc.  J'ai  reçu  un  refus 
net,  non  motivé,  malveillant». 

«Toutefois,  je  ne  laisserai  pas  partir  le  vapeur  tunisien  avant  d'avoir  reçu  vos 
ordres.  Toute  l'intrigue  est  préparée  de  longue  main.  Je  considère  cette  mission  comme 
plus  dangereuse  encore  que  celle  de  Haïder  Effendi.  Kehr  Ed  Din  reviendra  après  avoir 
replacé  secrètement  la  Tunisie  sous  suzeraineté  de  Constantinople^^^». 

Au  lieu  d'ajourner,  le  Bardo  faisait  avancer  le  départ  de  Khérédine  qui  s'embarquait 
le  14  à  bord  de  l'aviso  Béchir^^^.  Informé  par  de  Beauval,  le  commandant  de  la  frégate 
l'invincible,  mouillée  au  large  de  La  Goulette,  dépêcha  un  officier  à  bord  du  Béchir  pour 
engager  Khérédine  à  renoncer  à  son  départ.  Celui-ci  «répondit  avec  la  plus  parfaite  courtoisie 
que  ses  ordres  étaient  absolus  et  que  rien  que  la  force  l'empêcherait  de  les  exécuter. 

«Au  moment  où  le  départ  du  Béchir  s'est  effectué  (14  novembre,  8  H.  du  soir), 
l'invincible  était  sous  vapeur,  ayant  à  bord  Mr  Moulin,  élève  consul,  porteur  de  la  pensée 
de  Mr  de  Beauval...  que  je  n'avais  plus  le  temps  de  renvoyer  à  terre.  J'aurais  pu  trouver 
que  mon  rôle  était  fini,  mais  sur  les  instances  de  Mr  Moulin,  je  me  décidai  à  appareiller 


172  Arch.  Rés.  J  Mattéi  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Sfax,  18  juin  1865. 

173  Ihid.  Duchesne,  de  Bellecourt  à  E>r.  de  Lhuys.  Tunis,  14  avril  1865. 

174  11  devait  solliciter  et  obtenir  en  secret  la  protection  britannique. 

F.  0.  102/72.  Wood  à  Russell,  secret.  Tunis,  10  décembre  1864. 

F.  0.102/75.  Russell  à  Wood.  F.  0.10  janvier  1865) 

175  F.  0.102/72.  Wood  à  Russell,  secret  et  confid.  Tunis,  26  novembre  1864. 

176  «The  discussion  waxed  warm  between  them,  and  de  Beauval  at  last,  told  Mohamed  es  Sadek  that  he  would 
bar  the  passage  of  the  General  Kher-ed-Din»  (Broadley,  op.  cit.  p.  138) 

Gambarotta  signale  «l'attitude  hautaine  et  l'intempérance  de  langage  du  consul,  qui  a  complété  le  scandale 
en  refusant  la  main  que  le  Bey  lui  a  offerte  en  prenant  congé  et  en  s'éloignant  avec  des  gestes  très  peu 
respectueux»  (Arch.  Rome.  Tel.  en  français.  Tunis,  15  novembre  1864). 

177  Arch.  Rés.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  12  novembre,  1864. 

178  Navire  vendu  par  la  compagnie  Rubattino  de  Gênes. 


175 


et  suivre  le  Béchir.  Quand  je  l'ai  vu  prendre  le  passage  entre  Zimbrotte  et  la  terre^^^,  je 
revins  au  mouillage. 

«J'ai  fait  ainsi  tout  ce  qu'il  était  possible  pour  protester  par  mes  paroles  et  mes  actes 
contre  le  départ  de  l'ambassadeur  et  ne  me  suis  arrêté  que  juste  au  point  où  cessait  la 
protestation  et  où  eût  commencé  l'emploi  de  la  violence». 

«Je  n'eusse  pas  du  reste  été  certain  de  réussir  à  exécuter  un  acte  dont  il  avait  été 
question  entre  Mr  de  Beauval  et  moi  et  qui  eût  consisté  à  prendre,  hors  de  vue  des  côtes, 
le  Béchir  à  la  remorque  et  à  le  conduire  dans  un  des  ports  de  France.  Je  ne  regrette  pas 
de  ne  l'avoir  ni  essayé,  ni  même  réussi^^o». 

L'initiative  du  consul  de  France  qui  agissait  de  lui-même  en  la  circonstance^®!,  cette 
«burlesque  tentative  pour  capturer  en  haute  mer  l'envoyé  extraordinaire  tunisien»!®^^ 
devait  être  promptement  désavouée  par  le  ministère.  Malgré  l'appui  de  Madame  Cornu, 
de  Beauval  était  rappelé  à  Paris,  le  3  janvier  1865,  sur  les  réclamations  du  khaznadar 
et  des  Anglais!®®.  C'était  la  fin  de  sa  carrière!®^,  c'était  aussi  la  fin  d'une  «politique 
personnelle  et  brouillonne  qui  aurait  mérité  un  plus  prompt  châtiment»!®®.  Drouyn  de 
Lhuys  avait  fait  hâter  l'arrivée  du  titulaire  du  consulat,  Duchesne  de  Bellecourt!®®,  qui 
rejoignait  son  poste  le  5  janvier  1865.  Deux  mois  plus  tard,  le  gouvernement  italien 
déplaçait  à  Lyon  son  consul  général,  Gambarotta,  et  lui  donnait  pour  successeur  Luigi 
Pinna!®^,  consul  à  Alger,  qui  avait  fait  toute  sa  carrière  dans  les  postes  d'Orient.  Les 
marchands  italiens  s'étaient  plaints  en  effet  que  Gambarotta  n'eût  point  profité  de  la 
présence  de  l'escadre  pour  régler  leurs  affaires  avec  le  bey.  Sévèrement  blâmé  par  son 


179  «Un  chenal  dangereux  entre  (l'îlot  de  Zembra)  et  la  terre  ferme  donne  à  tout  vaisseau  qui  l'emprunte  un 
avantage  de  plusieurs  milles».  (Broadley,  op.  cit  vol.  I,  p.  139).  La  frégate  française  ne  pouvait  risquer  ce  que 
tentait  l'aviso  tunisien. 

180  Capitaine  de  vaisseau  Chevalier  au  ministre  de  la  Marine.  Invincible,  19  novembre  1864. 

181  II  n'avait  pas  reçu  de  réponse  à  son  télégramme  du  12.  La  ligne  d'Algérie  n'ayant  pas  été  rétablie,  de  Beauval 
envoyait  l'Actif  porter  à  Cagliari  une  dépêche  chiffrée  dont  le  navire  devait  ramener  la  réponse. 

182  Broadley,  op.  cit  vol.  1,  p.  139. 

«Ce  qu'avait  fait  notre  consul  n'avait  pas  le  sens  commun»  (A.  E.  Turquie,  vol.  363.  Moustier  à  Dr.  de  Lhuys. 
Péra,  7  décembre  1864). 

183  F.  0.102/72.  Corresp.  de  Wood,  août-septembre  1864^,  passim. 

Arch.  Tun.  Cartons  184,185  et  205,  passim. 

184  II  fut  admis  à  l'inactivité,  le  2  janvier  1866. 

185  M.  Emerit  :  La  révolution  de  1864.  R.T.  1939,  p.  239. 

186  DUCHESNE  de  BELLECOURT  (Gustave),  né  et  mort  à  Paris  (23  janvier  1817-23  juillet  1881)  ;  licencié  en 
droit  ;  attaché  aux  Archives,  1^“^  janvier  1842  ;  attaché  à  la  Direction  politique,  8  novembre  1844;  attaché 
payé,  1®!^  juin  1848  ;  secrétaire  à  Copenhague,  7  juillet  1848  ;  à  Francfort,  30  juin  1854  ;  premier  secrétaire 
en  Chine,  29  avril  1857  ;  consul  général  à  Yedo,  2  février  1859  ;  consul  général  à  Tunis,  7  octobre  1863  ; 
à  Batavia,  7  mars  1867  ;  à  Quito,  13  mars  1877  ;  ministre  plénipotentiaire  de  2^"^^  classe,  25  juillet  1879  ; 
admis  à  la  retraite,  29  avril  1880.  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  9  décembre  1850  ;  officier,  18  septembre 
1858  ;  commandeur,  24  juillet  1865  (Fichier  A.  E). 

187  PINNA  (Giuseppe-Luigi),  né  en  1805  à  Sassari  (Sardaigne)  ;  licencié  en  droit  de  l'université  de  Sassari, 
juillet  1827  ;  admis  dans  la  chancellerie  de  la  légation  royale  à  Rome,  23  décembre  1833  ;  nommé  commis 
de  consulat  de  3^"^^  classe,  destiné  à  Chypre,  2  août  1837  ;  transféré  à  Beyrouth,  8  décembre  1838;  envoyé 
à  Alep  en  mission  spéciale,  novembre  1842  ;  envoyé  en  mission  spéciale  à  Jérusalem,  juin  1843;  commis  de 
2ème  classe,  10  janvier  1843  ;  commis  de  classe,  19  octobre  1847  ;  à  Damas  en  mission  spéciale,  juillet 
1848;  transféré  à  Tanger,  mai  1849  ;  vice-consul  de  3^“®  classe,  12  juin  1849  ;  envoyé  provisoirement  auprès 
du  consulat  de  Marseille,  2  avril  1851  ;  vice-consul  de  2^'"^  classe,  15  août  1852  ;  chancelier  de  la  légation 
royale  à  Constantinople,  10  mars  1853  ;  décoré  du  Medjidié  ottoman  de  4^»"®  classe,  juin  1855  ;  nommé 
consul  à  Salonique,  29  décembre  1855  ;  transféré  à  Smyrne,  26  avril  1857  ;  chevalier  des  S.S.  Maurice  et 
Lazare,  8  août  1858  ;  consul  général  de  2^»"®  classe,  20  mars  1859  ;  de  classe,  27  juin  1861  ;  officier  des 
SS.  Maurice  et  Lazare  ;  18  septembre  1862  ;  transféré  à  Alger,  21  décembre  1864  ;  transféré  à  Tunis  en 
qualité  d'agent  et  consul  général,  26  février  1865  ;  admis  à  la  retraite,  août  1878  (Fichier  Rome). 


176 


gouvernement,  Gambarotta  avait  offert  sa  démission,  le  8  août  1864,  démission  qui 
n'avait  pas  été  acceptée^®®.  Il  était  encore  vivement  attaqué  dans  la  presse  italienne  en 
décembre^®®.  Les  plaintes  de  la  colonie  contraignaient  le  gouvernement  italien  à  changer 
de  titulaire,  une  fois  de  plus,  le  consulat  général  de  Tunis.  Avec  Pinna,  qui  arrivait  au 
début  d'avril  1865,  c'était  le  cinquième  agent  italien  en  cinq  ans,  depuis  l'unité. 

5  -  La  restauration  de  l'influence  française 

A  Constantinople  cependant,  Khérédine  était  reçu  avec  les  plus  grands  égards.  Les 
milieux  officiels  turcs  assuraient  néanmoins  que  cette  mission  était  de  pure  courtoisie, 
l'envoyé  tunisien  étant  uniquement  chargé  de  remercier  le  sultan  de  ses  secours  en 
argent  pendant  l'insurrection.  Mais  l'ambassadeur  de  France  n'en  croyait  rien.  «Il 
est  plus  probable»,  écrivait  le  marquis  de  Moustier,  «que  l'envoyé  du  Bey  sera  fêté, 
choyé,  entouré  par  la  Porte,  et...  que  Khérédine  Pacha  ne  se  fera  pas  faute  de  dire  aux 
ministres  que  le  pacha  de  Tunis  est  un  des  plus  fidèles  sujets  de  Sa  Majesté  le  Sultan 
dont  il  sollicite  l'appui  contre  le  gouvernement  français,  tandis  qu'il  m'avouera,  s'il  ne 
craint  pas  de  se  compromettre  en  me  faisant  une  visite,  que  son  maître  a  besoin  de 
toute  notre  sollicitude  pour  résister  aux  empiétements  de  la  Porte  et  pour  maintenir  son 
indépendance.  C'est  en  général  la  tactique  des  envoyés  du  Bey  de  Tunis  pendant  leur 
séjour  à  Constantinoplei^o». 

Drouyn  de  Lhuys  avait  pris  très  nettement  position  :  «La  mission  dont  il  s'agit  ne 
saurait  être  jugée  qu'inopportune  ;  elle  peut  même  devenir  dangereuse  pour  le  statu 
quo  que  nous  entendons  maintenir  dans  la  Régence,  et  elle  exige  dès  lors  de  votre  part, 
M.  le  Marquis,  une  surveillance  particulière^^i».  Le  marquis  de  Moustier  se  chargea 
d'exposer  au  ministre  des  Affaires  étrangères  turc.  Ali  Pacha,  les  défiances  profondes 
qu'inspirait  à  la  France  la  mission  du  général  Khérédine.  «La  politique  de  la  France  à 
l'égard  de  la  Tunisie  est  très  simple»,  avait-il  dit  :  «nous  ne  voulons  pas  y  avoir  la  Porte 
pour  voisinei52» 

Et  comme  Ali  Pacha  avait  protesté  de  son  désir  sincère  de  ne  point  modifier  la 
situation  de  la  Régence,  Drouyn  de  Lhuys  lui  fit  savoir  qu'il  prenait  «acte  de  la  résolution 
du  Sultan  de  conserver  sans  aucun  changement  le  statu  quo  à  Tunis»...  «condition  absolue 
du  maintien  de  nos  bons  rapports  avec  la  Porte^^^».  Restait,  il  est  vrai,  à  s'entendre  sur 
la  définition  du  statu  quo. 

Or,  le  15  décembre  1864,  l'ambassadeur  britannique  à  Paris,  lord  Cowleyi^^,  venait 
remettre  officiellement  un  mémorandum  sur  les  bases  d'un  arrangement  entre  la 
Turquie  et  le  bey  de  Tunis,  mémorandum  qui  reproduisait  les  instructions  confiées  par 
le  bey  au  général  Khérédine.  Le  khaznadar  en  avait  remis  le  texte  à  Wood  qui  l'avait 


188  Arch.  Rome.  Tél.  de  Gambarotta.  Tunis,  8  août  1864. 

F.  0.102/72.  Wood  à  Russell.  Tunis,  17  août  1864. 

189  Diritto  des  14  et  15  décembre  1864  (F.  0.102/75.  Wood  à  Elliot.  Tunis,  30  décembre  1864). 

190  A.  E.  Turquie,  vol.  363.  Moustier  à  Drouyn  de  Lhuys.  Péra,  30  novembre  1864. 

191  Ihid.  Dr.  de  Lhuys  à  Moustier.  Paris,  24  novembre  1864. 

192  Ibid.  Moustier  à  Dr.  de  Lhuys.  Péra,  7  décembre  1864,  dép.  cit. 

193  Ibid.  Tél.  de  Dr.  de  Lhuys  à  Moustier.  Paris,  15  décembre  1864. 

194  COWLEY  (Henry-Richard-Charles  Wellesley,  comte).  Ministre  plénipotentiaire  à  Berne  puis  à  Francfort 
(1848-1852),  il  fut  nommé  ambassadeur  extraordinaire  et  plénipotentiaire  à  Paris,  le  5  février  1852.  A  ce 
titre,  il  fut  l'un  des  représentants  britanniques  aux  conférences  de  Paris,  en  1856,  il  négocia,  avec  Cobden, 
le  traité  de  commerce  franco-anglais  de  1860.  11  prit  sa  retraite  en  juillet  1867  et  fut  remplacé  à  Paris  par 
lord  Lyons. 


177 


transmis  à  Londres.  C'est  de  cette  «singulière  façon»  que  le  gouvernement  tunisien  qui 
avait  cessé  pratiquement  ses  relations  avec  de  Beauval,  informait  de  ses  intentions  le 
gouvernement  français.  Les  conditions  de  l'arrangement  étaient  les  suivantes  : 

«1°  -  Le  droit  héréditaire  de  la  succession  par  droit  d'aînesse  est  à  jamais  confirmé 
dans  la  famille  husseinite. 

2°  -  Le  Bey  aura  le  droit  d'exercer  son  autorité  dans  les  affaires  intérieures  de  la 
Régence  qu'il  gouvernera  d'après  des  lois  constitutives  et  administratives. 

3°  -  Comme  conséquence,  il  aura  droit  de  nommer  des  officiers  civils,  militaires  et 
de  la  Marine,  jusqu'au  grade  de  Férick. 

4°  -  Le  Bey  aura  la  faculté  de  maintenir  des  relations  extérieures. 

5°  -  Le  Bey  aura  le  droit  de  faire,  comme  par  le  passé,  des  traités  généraux  et  des 
conventions  de  commerce  et  de  navigation,  mais  aucun  traité,  convention  ou  autre 
pacte  qui  pourra  affecter  la  sécurité  générale  de  l'Empire,  tels  que  les  traités  d'alliance 
offensive  et  défensive,  cession  de  territoire,  démarcation  de  frontière,  ne  pourra  être 
valide  et  exécutoire  sans  la  ratification  du  Sultan. 

6°  -  A  l'avènement  d'un  Bey,  il  demandera  et  recevra,  comme  par  le  passé,  son 
investiture  du  Sultan. 

7°  - 11  sera  facultatif  au  Bey  de  se  rendre  à  Constantinople,  mais  toutes  les  fois  qu'il  s'y 
rendra,  il  sera  reçu  avec  tous  les  honneurs  qui  sont  dus  au  rang  d'un  prince  héréditaire. 

8°  -  Les  présents  usuels  dans  de  pareilles  occasions  sont  abolis  à  jamais  et,  seront 
remplacés  par  une  contribution  annuelle  de...  (sic)  à  l'Arsenal  Impérial  à  titre  d'aide 
pour  la  défense  générale  de  l'Empire 

9°  -  La  Porte  reconnaîtra  comme  par  le  passé  le  drapeau  distinctif  de  la  Régence  de 
Tunis. 

10°  -  S.  M.  le  Sultan  déléguera  au  Bey  le  droit  de  donner  des  décorations  civiles  et 
militaires. 

11°  -  La  monnaie  sera  frappée  au  nom  du  Sultan. 

12°  -  les  «Hotba»  ou  prières  publiques  seront  récitées  «au  nom  du  Sultan»!®^, 

On  avouait  enfin  l'objet  essentiel  de  la  mission  Khérédine.  Elle  était  chargée 
d'obtenir  la  reconnaissance  des  libertés  de  la  Régence,  de  faire  garantir  par  le  sultan 
l'autonomie  du  pays  dans  le  cadre  de  l'Empire  ottoman.  Sur  les  points  restés  en  litige, 
lors  de  la  négociation  engagée  à  Tunis  avec  Haïder  Effendi,  le  bey  offrait  une  série  de 
transactions  :  le  projet  ne  prévoyait  que  la  faculté  et  non  l'obligation  pour  le  bey  de 
se  rendre  à  Constantinople  lors  de  son  avènement.  Le  terme  de  tribut  faisait  place  à 
celui  de  contribution  militaire.  L'article  5  établissait  une  distinction  entre  les  traités  de 
commerce  qui  resteraient,  comme  par  le  passé,  du  ressort  du  gouvernement  tunisien,  et 
les  traités  politiques  qui  relèveraient  de  l'autorité  souveraine  du  sultan. 

Drouyn  de  Lhuys  avait  pris  acte  des  déclarations  du  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires 
étrangères,  lord  Russell,  en  faveur  du  statu  quo  dans  la  Régence.  Qr,  le  29  décembre, 
lord  Russell  faisait  savoir  à  l'ambassadeur  de  France  «que  le  projet  d'arrangement  entre 
Tunis  et  la  Turquie  étant  considéré  par  le  gouvernement  de  la  Reine  comme  n'altérant 


195  A.  E.  Angleterre,  vol,  731.  Mémorandum  (en  français)  remis  par  lord  Cowley  le  15  décembre  1864.  -  F.  0. 
102/72.  Wood  à  Russell,  secret  et  confid.  Tunis,  26  novembre  1864. 


178 


pas  les  relations  du  Bey  avec  la  Porte,  telles  que  l'usage  les  a  consacrées,  il  invitait  le 
représentant  de  l'Angleterre  à  Constantinople  à  faire  connaître...  que  ce  projet  obtenait 
l'approbation  du  cabinet  de  Londres^^^». 

Une  telle  définition  du  statu  quo  soulevait  aussitôt  les  protestations  du  cabinet 
impérial.  Drouyn  de  Lhuys  en  avertit  les  ambassadeurs  français  à  Londres  et  à 
Constantinople.  A  Constantinople,  il  fit  savoir  qu'il  considérait  l'adoption  du  projet 
anglais  «comme  une  violation  directe  des  engagements»  qu'Ali  Pacha  avait  renouvelés 
dernièrement,  et  dont  le  gouvernement  français  avait  pris  acte  par  une  démarche 
formellei®^.  En  même  temps,  il  chargeait  le  prince  de  La  Tour  d'Auvergne  de  protester 
dans  ce  sens  auprès  de  lord  Russell. 

L'Italie  avait  été  jusqu'alors  tenue  à  l'écart  de  la  négociation.  Le  général  La  Marmora, 
ministre  des  Affaires  étrangères  italien,  relevait  non  sans  humeur  que  le  cabinet  de 
Turin  n'avait  reçu  aucune  communication  officielle,  ni  de  la  Porte,  ni  du  gouvernement 
beylical^®®.  Le  20  décembre,  Drouyn  de  Lhuys  demanda  cependant  au  chargé  d'affaires 
français  à  Turin,  le  baron  de  Malaret,  de  sonder  les  dispositions  du  gouvernement  italien. 
La  Marmora  témoigna  de  son  désir  de  voir  maintenu  le  statu  quo  tunisien,  il  assura  que 
des  instructions  allaient  être  envoyées  au  consul  d'Italie  à  Tunis  afin  qu'il  agisse  dans  ce 
sens,  d'accord  avec  la  politique  française^^^.  Les  consuls  de  France  et  d'Italie  furent  invités 
à  agir  de  concert  auprès  du  bey  pour  lui  demander  des  explications  sur  les  démarches 
qu'il  faisait  entreprendre  à  Constantinople.  Le  gouvernement  italien  soutenait  la  France 
dans  la  querelle  tunisienne  et,  sans  que  sa  doctrine  fût  explicitement  définie,  il  semblait 
se  rallier  à  la  conception  française  d'une  Tunisie  indépendante  de  la  Porte,  opposée  à 
la  doctrine  de  l'Angleterre  qui  tenait  toujours  la  Régence  pour  une  province  vassale  de 
l'Empire  ottoman. 

Mais  déjà  l'attitude  décidée  du  cabinet  impérial  avait  déterminé  le  gouvernement 
anglais  à  réviser  sa  politique.  Le  chargé  d'affaires  italien  à  Londres,  d'Azeglio,  en  informait 
le  général  La  Marmora  le  2  janvier  18  65^°°  et  Drouyn  de  Lhuys  pouvait  écrire  au  marquis 
de  Moustier  :  «Le  gouvernement  anglais  qui  s'était  aventuré,  ou  du  moins  fort  avancé 
dans  cette  question...  est  revenu  sur  ses  pas  et  subordonne  ses  vues  et  ses  démarches 
à  celles  du  gouvernement  ottoman»2oi.  De  fait,  lord  Russell  renonçait  à  soutenir  à 
Constantinople  le  projet  élaboré  par  Wood,  et,  comme  celui-ci  prenait  sur  lui  d'adresser 
au  bey,  le  25  janvier  1865,  une  lettre  l'encourageant  à  persévérer  dans  sa  politique,  le 
Foreign  Office  désapprouva  nettement  cette  initiative  comme  portant  atteinte  au  statu 
quo  tunisien202. 

Le  revirement  britannique  entraînait  aussitôt  la  décision  de  la  Turquie.  Le  sultan 
renonçait  à  rendre  le  firman  impérial  qu'était  venu  solliciter  le  général  Khérédine. 


196  A.  E.  Angl.  vol.  731.  Tél.  de  La  Tour  dAuvergne.  Londres,  29  décembre  1864. 

197  A.  E.  Turquie,  vol.  363.  Dr.  de  Lhuys  à  Moustier.  Paris,  30  décembre  1864. 

198  Arch.  Rome.  Tél.  de  La  Marmora  au  comte  Greppi  à  Constantinople.  Turin,  2  janvier  1865. 

199  A.  E.  Italie,  vol.  O.  Dr.  de  Lhuys  à  Malaret.  Paris,  20  décembre  1864  ;  Rothan  à  Dr.  de  Lhuys.  Turin,  23 
décembre  1864. 

200  Arch.  Rome.  Tél.  dAzeglio.  Londres,  2  janvier  1865. 

A.  E.  Angl.  vol.  732.  La  Tour  dAuvergne  à  Dr.  de  Lhuys.  Londres,  2  janvier  1865. 

201  A.  E.  Turquie,  vol.  364.  Dr.  de  Lhuys  à  Moustier.  Paris,  6  janvier  1865. 

202  F.  0.102/75.  Wood  à  Russell.  Tunis,  31  janvier  1865.  Annexe  n°  1. 

Wood  au  Bey.  Tunis,  25  janvier  1865. 

Ibid.  Russell  à  Wood.  F.  0.11  février  1865. 


179 


L'envoyé  du  bey  ne  ramenait  à  Tunis,  en  janvier  1865,  qu'une  simple  lettre  rédigée 
par  le  grand  vizir  (le  20  décembre  1864)  qui  confirmait  les  privilèges  anciens  de  la 
Régence  dans  les  conditions  prévues  par  le  mémorandum  communiqué  à  la  France^^^. 

La  lettre  vizirielle  formulait  les  bases  de  l'entente  qui  s'était  établie  entre  la  Porte 
et  la  Régence  pour  le  règlement  de  leurs  relations.  C'était  la  première  fois  qu'était 
officiellement  reconnue  par  un  ministre  turc  la  situation  particulière  du  bey  de  Tunis. 
Mais,  en  renonçant  à  publier  un  firman,  le  sultan  renonçait  par  là  même  à  faire  admettre 
ses  prétentions  par  les  diplomaties  occidentales.  La  France  et  l'Italie  n'avaient  pas 
à  connaître  la  lettre  vizirielle.  Elles  affectèrent  de  tenir  pour  inchangée  la  situation 
internationale  de  la  Régence  et  maintenu  un  statu  quo  dont  la  France  avait  plusieurs 
fois  apporté  la  définition. 

L'échec  partiel  de  la  mission  Khérédine  était  un  succès  diplomatique  pour  la 
France.  Le  bey  lui-même  s'en  rendait  compte.  Au  printemps  de  1865,  il  reprenait 
l'initiative  de  ces  démarches  de  courtoisie  auprès  du  gouvernement  impérial  dont 
la  tradition  semblait  oubliée  au  Bardo,  depuis  quelques  années.  En  avril,  le  général 
Khérédine  était  envoyé  à  Paris  ;  en  mai,  le  prince  Taïeb,  frère  du  bey,  venait  saluer 
Napoléon  111  lors  de  son  voyage  en  Algérie.  Mais  le  consul  d'Angleterre  pouvait,  plus 
que  jamais,  compter  sur  la  bonne  volonté  du  premier  ministre.  Sur  sa  demande, 
Wood  venait  de  lui  faire  accorder  en  grand  secret  la  protection  anglaise,  par  lord 
Russelpo4.  Tout  en  demeurant  ministre  tunisien,  Mustapha  Khaznadar  obtenait  enfin 
la  protection  qu'il  avait  vainement  sollicitée  de  la  France,  quinze  ans  plus  tôt,  et 
que  son  complice.  Mahmoud  Benaïad,  avait  obtenue,  en  venant  s'installer  à  Paris, 
en  1852.  Le  rappel  de  Beauval  n'avait  point  fait  oublier  au  premier  ministre  la 
violente  pression  qu'avait  exercée  sur  le  bey  le  consulat  de  France  afin  d'obtenir 
sa  destitution.  Le  khaznadar  avait  de  bonnes  raisons  de  penser  que  les  Français 
restaient  ses  adversaires.  En  juillet  1865,  il  avait  intercepté  une  lettre  adressée 
par  l'agent  du  bey  à  Bône,  le  Français  Allegro^os,  à  Duchesne  de  Bellecourt.  Allegro 
proposait  au  consul  de  France  de  soulever  les  tribus  frontalières  tunisiennes  contre 
le  khaznadar  et  de  fournir  ainsi  au  gouvernement  français  un  prétexte  pour  exiger 
du  bey  la  démission  de  son  ministre^o®. 

Mustapha  était  désormais  acquis  sans  réserve  à  la  politique  de  Wood.  Il  restait  tout 
puissant  sur  l'esprit  du  bey  et,  s'il  ne  réussissait  pas  à  lui  faire  adopter  l'idée  de  remettre 
en  vigueur  la  constitution  de  1861,  du  moins  se  débarrassait-il  de  ses  adversaires  les  plus 
dangereux.  En  août  1865,  à  La  Goulette,  une  petite  révolution  de  palais  permettait  au 
Khaznadar  de  placer  dans  les  postes  de  confiance  ses  plus  fidèles  partisans  du  moment. 
Son  gendre,  le  général  Roustam,  devenait  ministre  de  FIntérieur  ;  le  général  Zarrouk, 
caïd  de  Sousse,  devenait  ministre  de  la  Guerre  ;  Mohammed  Khaznadar  échangeait  son 
portefeuille  de  la  Guerre  contre  celui  de  la  Marine  ;  Hamida  Benaïad  devenait  caïd  de 


203  La  traduction  de  la  lettre  vizirielle  figure  en  annexe  à  la  dépêche  du  17  octobre  du  comte  de  Vogue 
{A.  E.  Turquie,  vol.  390.  A.  Rémusat.  Constantinople,  17  octobre  1871). 

204  F.  0.102/72.  Wood  à  Russell,  secret.  Tunis,  10  décembre  1864. 

F.  0.102/75.  Russell  à  Wood.  F. 0.10  janvier  1865. 

205  ALLEGRO  (Youssef  ou  Joseph),  né  à  Bône,  le  27  octobre  1846,  de  Louis  Arnold,  chef  d’escadron  de  spahis, 
et  d'une  femme  kabyle,  Rhadouja  bent  Tahar  ;  agent  du  bey  à  Bône  ;  caïd  de  l’Arad,  octobre  1881  ;  marié 
le  6  octobre  1894  à  Alexandrine-Louise-Victoire-Marie,  fille  du  comte  de  Casamajor  de  Charritte,  ancien 
conseiller  à  la  Cour  de  Paris  ;  général  de  division  tunisien  ;  grand  officier  de  la  Légion  d'honneur  ;  mort  à 
Vichy,  le  2  août  1906  (Etat-civil  Vichy). 

206  F.  0.  102/75.  Wood  à  Russell,  confid.  Tunis,  14  septembre  1865.  En  annexe,  copie  de  la  lettre  d’Allegro  (en 
français).  Bône,  Il  juillet  1865. 


180 


Tabarka.  Quelques  employés  étaient  destitués  ou  emprisonnés.  Le  général  Heussein 
devait  abandonner  la  présidence  de  la  municipalité  de  Tunis.  La  disgrâce  du  général 
Khérédine  était  moins  brutale  :  le  gendre  du  premier  ministre,  tenu  à  l'écart  par 
des  missions  plus  ou  moins  volontaires  à  l'étranger,  n'avait  plus  aucune  part  dans  le 
gouvernement  depuis  trois  ans.  Néanmoins  il  affectait  de  craindre  pour  sa  sécurité  et 
pour  ses  biens  et  songeait  à  vendre  ses  domaines  pour  pouvoir  s'installer  définitivement 

à  l'étranger207. 

La  politique  de  rapprochement  avec  la  Turquie  qu'avait  recommandée  Wood 
depuis  près  de  dix  ans  venait  d'échouer  à  Constantinople  devant  l'opposition  déclarée 
du  gouvernement  français.  Aussi  le  khaznadar  essaya-t-il  d'une  autre  politique, 
l'internationalisation  de  la  Régence  sous  la  garantie  des  grandes  puissances.  Dès  le 
mois  de  juin  1865,  le  consul  de  France  dénonçait  les  encouragements  que  le  bey  aurait 
reçus  dans  ce  sens  de  la  part  de  certains  consulats,  il  s'agissait  en  effet  de  «substituer 
le  protectorat  collectif  de  toutes  les  puissances  à  la  protection  exclusive  que  la  France  a 
toujours  exercée  sur  la  Tunisie^os».  Duchesne  de  Bellecourt  revenait  plus  longuement  sur 
ce  sujet  en  septembre,  dans  un  mémorandum  consacré  à  la  politique  du  gouvernement 
tunisien209.  Il  montrait  que  ce  projet  flattait  la  vanité  du  bey  et  l'ambition  des  principaux 
mamelouks.  Le  prince  y  gagnerait  sans  doute  d'être  reconnu  comme  souverain 
indépendant  et  d'échapper  ainsi  aussi  bien  à  la  suzeraineté  turque  qu'à  la  menace 
française.  Les  conseillers  du  bey  pourraient  obtenir  les  charges  de  ministres  résidents  à 
l'étranger  dont  certains  rêvaient.  La  nouvelle  politique  tunisienne  était  dangereuse  pour 
les  intérêts  français.  Elle  semblait  avoir  plus  de  chances  de  succès  auprès  des  cabinets 
européens  que  la  politique  de  rapprochement  avec  la  Turquie  que  défendaient  toujours 
Khérédine  et  Heussein  ;  c'était,  en  la  circonstance,  la  seule  qui  eûtpu  assurer  l'Indépendance 
réelle  de  la  Tunisie.  Duchesne  de  Bellecourt  avait  de  sérieuses  raisons  de  s'inquiéter.  En 
février  1865,  Gambarotta  avait  reçu  des  ouvertures  du  premier  ministre  ;  en  juillet,  son 
successeur,  Pinna,  se  rendait  spécialement  à  Florence^io  pour  apporter  des  explications 
importantes  sur  la  politique  tunisienne.  Le  général  Roustam,  ministre  de  l'intérieur, 
était  envoyé  en  mission  à  Florence  à  la  même  époque,  pour  négocier  l'installation  dans 
cette  ville  d'un  ministre  résident  tunisien  qui  aurait  pu  être  le  comte  Raffo^n.  Le  consul 
d'Autriche,  Merlato,  un  ami  de  Wood,  était  favorable  à  ces  projets  et,  sans  trop  s'engager, 
Wood,  dès  février  1865,  avait  parlé  du  désir  du  bey  de  voir  reconnue  la  neutralité 
tunisienne  en  temps  de  guerre^i^.  En  même  temps,  le  khaznadar  négligeait  de  donner 
son  adhésion  officielle  aux  déclarations  de  Drouyn  de  Lhuys  qui,  à  deux  reprises,  les  19 
et  26  avril  1865,  avait  expressément  reconnu  l'indépendance  de  la  Tunisie.  Duchesne 
de  Bellecourt  avait  été  chargé  de  communiquer  au  bey  la  dépêche  du  26  avril  où  le 
ministre  des  Affaires  étrangères  exposait  ses  conclusions  sur  la  lettre  vizirielle  :  «Tout  ce 
qui  caractérise  essentiellement  l'indépendance  d'un  gouvernement  est  reconnu  par  le 


207  Arch.  Rome.  Pinna  à  La  Marmora.  Tunis,  29  août  1865. 

Arch.  Rés.  Dép.  de  Duchesne  de  Bellecourt.  Tunis,  2  septembre  1865. 

208  A.  E.  Tunis,  vol.  25.  Duchesne  de  Bellecourt,  partant  en  congé,  à  Dr.  de  Lhuys.  A  bord  de  VEcîaireur  (4  ou  5 
juillet  1865).  Les  consuls  ainsi  dénoncés  étaient  Wood  et  Merlato,  consul  dAutriche. 

209  Ibid.  Du  même  au  même.  Annexe  n°  1  à  dép.  du  30  septembre  1865. 

210  Le  transfert  officiel  de  la  capitale  italienne  avait  eu  lieu  le  29  mai  1865. 

211  Arch.  Rome.  Gambarotta  à  La  Marmora.  Tunis,  25  février  1865.  Ibid.  Tél.  de  Pinna.  Tunis,  30  juin  1865. 

A.  E.  Tunis,  vol.  25.  Moulin,  élève-consul  gérant  le  consulat  en  l'absence  de  Duchesne  de  Bellecourt,  à  Drouyn 
de  Lhuys.  Tunis,  10  juillet  1865. 

212  F.  0.  102/75.  Wood  à  Russell.  Tunis,  25  février  1865.  Mais  cette  allusion  ne  fut  pas  relevée  par  le  Foreign 
Office. 


181 


Grand  Vizir  lui-même  comme  existant  par  le  fait  d'une  tradition  ancienne  à  Tunis.  Quant 
aux  rapports  des  beys  avec  S.M.  le  Sultan,  ils  sont  uniquement  ceux  d'une  suzeraineté 
religieuse^i^».  Le  khaznadar  avait  exprimé  verbalement  sa  satisfaction,  mais  il  s'était 
bien  gardé  de  fournir  la  réponse  écrite  qu'on  attendait  de  lui.  La  publication  du  point 
de  vue  français  sur  la  question  tunisienne,  en  juin  1865,  dans  le  Moniteur  Officiel  ne 
devait  pas  avoir  plus  de  succès.  Le  gouvernement  tunisien  refusait  de  s'engager  par  une 
déclaration  officielle. 

Le  consul  de  France  avait  d'autres  griefs  contre  le  premier  ministre.  Toutes  les 
affaires  dans  lesquelles  des  Français  étaient  engagés  restaient  en  souffrance  au  Bardo. 
Le  khaznadar  prétextait  la  pénurie  des  finances  pour  différer  tout  règlement;  mais  les 
difficultés  d'argent  ne  l'empêchaient  pas  d'accueillir  avec  faveur  un  projet  de  transaction 
fort  onéreux  sur  la  très  discutable  question  des  dettes  des  princes,  parce  que  ce  projet  lui 
était  présenté  au  nom  de  créanciers  israélites  anglais  et  italiens  par  Wood  et  par  Pinna^i^. 
Sur  la  frontière,  depuis  la  fin  de  la  révolte,  les  incidents  entre  tribus  avaient  repris  avec 
plus  de  gravité.  Les  incendies  qu'allumaient  les  tribus  tunisiennes  dévastaient,  dans  le 
seul  mois  de  juillet  1865,  vingt-cinq  forêts  du  Constantinois,  sans  que  les  autorités  de 
la  Régence  fissent  la  moindre  tentative  pour  prévenir  ces  méfaits  ou  même  en  punir  les 
coupables.  Le  kahia  du  Kef,  Si  Salah  ben  Mohammed,  était  connu  pour  ses  sentiments 
hostiles  à  la  France  et  on  le  soupçonnait  d'entretenir  volontairement  le  désordre  sur  la 
frontière.  De  son  côté,  le  nouveau  caïd  de  Tabarka,  Hamida  Benaïad,  protégé  britannique, 
patronnait  la  constitution  d'une  société  officiellement  espagnole,  qui,  en  juillet  1865, 
obtenait  pour  douze  ans  le  droit  d'exploiter  les  forêts  et  les  mines  de  la  région  frontalière 
de  Tabarka^is. 

Duchesne  de  Bellecourt  apprenait  encore  qu'à  Tunis  comme  dans  l'intérieur,  des 
Algériens  protégés  français  avaient  été  assujettis  à  des  taxes,  que  des  protégés  avaient 
été  maltraités,  bétonnés  par  ordre  des  agents  du  bey,  en  dépit  de  leurs  protestations.  Le 
consul  d'Italie  avait  facilement  obtenu  du  bey,  en  juillet  et  en  août  1865,  des  réparations 
et  une  punition  sévère  pour  les  tunisiens  coupables  d'avoir  maltraité  des  pêcheurs 
italiens  à  Bizerte  et  près  du  cap  Bon^i^,  mais  le  consul  de  France  ne  pouvait  rien  obtenir 
du  khaznadar  pour  des  incidents  autrement  plus  graves.  La  mauvaise  volonté  du  premier 
ministre  était  évidente.  Pour  mettre  fin  à  sa  «politique  de  coups  d'épingles»^!^,  pour 
couper  court  à  ses  desseins  d'internationaliser  la  question  tunisienne,  pour  rétablir 
au  Bardo  l'influence  française,  le  gouvernement  impérial  se  décida  à  frapper  un  grand 
coup. 

Dès  le  mois  de  juin  1865,  Drouyn  de  Lhuys  avait  fait  sonder  les  cabinets  de 
Florence  et  de  Vienne  sur  leur  politique  tunisienne.  11  recevait  du  baron  de  Malaret  des 
informations  rassurantes  sur  les  dispositions  conciliantes  du  général  La  Marmora^i*. 
De  son  côté,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  autrichien,  le  comte  de  Mensdorff- 
Pouilly  déclarait  que  sa  politique  n'était  pas  opposée  à  celle  de  la  France  en  Tunisie  ;  il 


213  A.  E.  Tunis,  vol.  25.  Dép.  de  Dr.  de  Lhuys.  Paris,  26  avril  1865. 

214  F.  0.102/75.  Wood  à  Russell.  Tunis,  10  août  1875. 

215  Arch.  Rés.  Moulin  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  21  juillet  et  29  août  1865. 

Les  concessionnaires  étaient  un  Juif  espagnol  de  Tanger,  du  nom  de  Sicsù,  interprète  au  consulat  d'Espagne, 
et  le  Marocain  Ahmed  Bennani,  protégé  anglais,  tous  deux  évidemment  des  prête-noms.  Le  projet  constituait 
une  menace  pour  les  intérêts  français,  surtout  pour  les  concessionnaires  de  la  mine  d'Oum  Teboul. 

216  Arch.  Rome.  Pinna  à  La  Marmora.  Tunis,  25  juillet,  6  et  21  août  1865. 

217  Ibid.  Du  même  au  même,  confid.  Tunis,  3  octobre  1865. 

218  A.  E.  Italie,  vol.  12.  Malaret  à  Dr.  de  Lhuys.  Florence,  5  juin  1865. 


182 


désavouait  les  intrigues  de  Merlato  et  assurait  qu'il  allait  recevoir  pour  instruction  de 
modifier  sa  ligne  de  conduite^i®. 

En  septembre,  les  affaires  tunisiennes  furent  discutées  en  un  conseil  des  ministres 
présidé  par  l'Empereur.  Consulté,  le  gouverneur  de  l'Algérie,  le  maréchal  de  Mac- 
Mahon,  proposait  d'envoyer  un  corps  expéditionnaire  jusqu'à  Tunis  et  présentait  un 
projet  détaillé  sur  la  marche  et  l'organisation  de  cette  colonne.  Mais  ce  plan  dépassait 
de  beaucoup  les  intentions  du  gouvernement^^o.  Le  ministère  s'en  tint  à  l'envoi  d'un 
ultimatum  au  bey  présenté  par  un  envoyé  spécial,  le  baron  Saillard,  qu'appuierait  au 
besoin  une  démonstration  sur  les  frontières.  En  cas  de  refus  seulement,  les  troupes 
françaises  seraient  appelées  à  occuper  la  région  du  Kef22i. 

Le  baron  Saillard222  arrivait  à  La  Goulette,  le  19  septembre,  à  bord  de  l'aviso 
l'EcIaireur,  après  avoir  touché  à  Alger  afin  de  s'entendre  avec  le  maréchal  de  Mac- 
Mahon.  Le  24  septembre223,  il  invitait  le  bey  à  donner  des  satisfactions  à  la  France  pour 
les  dommages  subis  à  cause  des  incendies  de  forêt,  pour  les  offenses  au  pavillon  français 
et  la  bastonnade  d'Algériens  protégés.  11  donnait  vingt-quatre  heures  au  gouvernement 
pour  se  décider,  exigeait  la  destitution  des  gouverneurs  ou  vice  gouverneurs  de  Tunis,  du 
Kef  et  de  Kélibia,  ainsi  qu'une  visite  officielle  d'excuses  du  premier  ministre  au  consulat 
de  France. 

Lord  Russell  qui  avait  été  informé  par  la  France  télégraphia  à  Wood  :  «Conseillez  au 
Bey  de  satisfaire  aux  exigences  françaises»224.  Le  bey  céda  sans  difficulté  ;  le  khaznadar, 
effrayé,  accorda  sans  débat  tout  ce  que  demandait  le  baron  Saillard.  Finalement,  l'envoyé 
français  se  contenta  de  la  révocation  du  kahia  du  Kef,  Salah  ben  Mohammed,  et  du 
président  de  la  municipalité  de  Tunis,  Si  Ayoub225,  de  la  promesse  d'une  indemnité  de 
400.000  francs  couvrant  les  pertes  subies  par  les  Français  pendant  l'insurrection,  de 
diverses  indemnités  en  faveur  des  Algériens  maltraités,  et  de  l'engagement  formel  du 
bey  de  traiter  désormais  les  Algériens  protégés  par  la  France  de  la  même  façon  que  les 
Français. 

Mais  la  mission  Saillard  avait  surtout  une  signification  politique.  Comme  l'avait 
compris  Wood,  les  demandes  de  réparations  n'étaient  qu'un  prétexte.  Le  baron  Saillard 
était  venu  parler  haut  à  Tunis,  rappeler  à  l'entourage  du  bey  que  le  gouvernement  français 
ne  pouvait  tolérer  d'être  traité  avec  désinvolture  et  selon  l'expression  de  l'envoyé  lui- 
même,  «qu'en  Tunisie,  il  ne  devait  y  avoir  d'autre  politique  et  d'autre  influence  que  celle 


219  A.  E.  Autriche,  vol.  488.  Gramont  à  Dr.  de  Lhuys.  Vienne,  10  juin  1865. 

A.  E.  Tunis,  vol.  25.  Dr.  de  Lhuys  au  consul.  Paris,  5  juillet  1865. 

220  Ibid.  vol.  26.  Ministre  de  la  Guerre  à  ministre  des  Aff.  étrangères.  Paris,  14  septembre  1865. 

221  Arch.  Rome.  Pinna  à  La  Marmora,  confid.  Tunis,  3  octobre  1865. 

F.  0.102/75.  Tél.  de  Wood  à  Russell.  Tunis,  21  septembre  1865. 

222  SAILLARD  (Edouard-Ernest,  baron],  diplomate  français  né  à  Paris,  le  8  juin  1824,  mort  le  12  décembre 
1870,  des  suites  de  blessures  reçues  au  combat  d'Epinay.  Entré  dans  la  diplomatie,  comme  attaché  libre 
à  Athènes  en  1849  ;  de  nouveau  à  Athènes,  comme  attaché  payé,  31  mai  1856,  puis  secrétaire  de  3^“®  et 
2ème  classe  ;  attaché  payé  à  la  direction  politique,  8  juin  1858  ;  secrétaire  de  1^”^®  classe,  7  décembre  1859  ;  à 
Munich,  10  décembre  1859  ;  à  Berlin,  8  mars  1860  ;  à  Athènes,  5  décembre  1860  ;  à  Rome,  29  janvier  1862  ; 
commissaire  du  gouvernement  près  le  Conseil  impérial  des  Prises,  31  août  1865  ;  en  mission  au  Mexique, 
1866  ;  détaché  au  ministère  d'Etat,  25  septembre  1866  ;  ministre  plénipotentiaire,  7  août  1869. 

Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  13  août  1859  ;  officier,  15  avril  1866  ;  commandeur,  12  décembre  1866 
(Fichier  A.E.). 

223  Des  cas  de  choléra  s'étant  déclarés  à  bord,  il  dut  attendre  cinq  jours  en  rade  avant  d'accomplir  sa  mission. 

224  F.  0.102/75.  Tél.  à  Wood.  F.  O.  26  septembre  1865. 

225  Ils  furent  respectivement  remplacés  par  Si  Salah  el  Ouartani  et  par  le  général  Selim,  gouverneur  de  PArad. 


183 


de  la  France»226  Lg  gouvernement  français  entendait  compléter  le  succès  diplomatique 
qu'il  avait  remporté  à  Constantinople,  en  janvier  1865  en  rétablissant  son  influence  au 
Bardo.  il  s'agissait  de  restituer  au  consulat  de  France  le  crédit  dont  il  jouissait  dans  les 
conseils  du  bey  avant  que  ne  l'eussent  compromis  les  erreurs  de  Léon  Roches  et  les 
incartades  de  De  Beauval. 

L'avertissement  était  sévère  ;  du  moins,  fut-il  entendu.  Les  intrigues  tunisiennes 
avec  l'étranger  furent  arrêtées  ;  pendant  plusieurs  années,  il  ne  devait  plus  être  question 
de  rapprochement  avec  la  Turquie  ni  de  projet  d'internationalisation  de  la  Régence.  Si 
Wood  demeurait  le  conseiller  et  l'ami  du  khaznadar,  le  consul  de  France  redevenait  à 
Tunis  un  personnage  écouté,  traité  avec  déférence  ;  rien  ne  se  décidait  au  Bardo  avant 
qu'il  eût  été  consulté.  Les  relations  entre  le  consulat  de  France  et  le  premier  ministre 
redevenaient  sinon  cordiales,  du  moins  satisfaisantes.  Mustapha  Khaznadar  affectait 
en  toutes  circonstances  d'accorder  la  primauté  à  la  France,  de  réserver  à  ses  intérêts 
un  traitement  privilégié.  C'était  une  politique  de  sagesse  d'ailleurs,  car  les  embarras 
financiers  du  gouvernement  le  mettaient  de  plus  en  plus  à  la  merci  des  banquiers 
parisiens. 


226  Arch.  Rome.  Pinna  à  La  Marmora,  confid.  Tunis,  3  octobre  1865. 


184 


CHAPITRE  VI 

LA  CRISE  DES  FINANCES  TUNISIENNES 
(1864  1868) 


Le  développement  de  l'insurrection  avait  rendu  tragique  la  pénurie  du  Trésor 
tunisien.  Les  fonds  de  l'emprunt  étaient  dilapidés,  les  impôts  cessaient  de  rentrer.  Le 
caïd  Nessim  venait  de  s'enfuir,  laissant  un  découvert  de  vingt  millions^  ;  il  fallait  trouver 
de  l'argent  frais  pour  les  besoins  courants,  pour  la  levée  d'un  camp  dont  les  soldats 
refusaient  de  partir  sans  avance  de  solde.  Mustapha  Khaznadar  avait  vendu  les  récoltes 
à  l'avance,  reçu  deux  millions  du  sultan  ;  il  songeait  tout  naturellement  à  l'emprunt,  mais 
les  circonstances  étaient  peu  favorables  au  lancement  de  la  grande  souscription  qu'il 
aurait  souhaitée.  En  juillet  1864.  il  conclut  avec  un  courtier  d'Alexandrie,  Morpurgo^, 
un  petit  emprunt  de  cinq  millions  à  échéance  de  dix-huit  mois.  Près  de  dix  millions 
dormaient  chez  Erlanger^  ;  le  premier  ministre  n'en  souscrivait  pas  moins  aux  conditions 
léonines  de  son  bailleur  de  fonds  :  sur  les  cinq  millions,  Morpurgo  retranchait  à  l'avance 
1  050.000  francs  d'intérêts  et  de  courtage^,  il  se  faisait  rembourser  500.000  francs  de 
teskérés  dont  il  était  porteur. 

11  payait  500.000  francs  en  numéraire,  2.500.000  en  traites  dont  l'usage  devait  rester 
inconnu  ;  le  surplus,  soit  400.000  francs,  finit  par  lui  être  abandonné  plus  tard,  sous 


1  Le  8  juin  1804.  avec  la  complicité  du  khaznadar.  «Il  paraît  être...  de  notoriété...  publique  que  ce  versement  de 
I  million  réellement  effectué  d'ailleurs  par  Caïd  Nessim  dans  les  caisses  de  l'Etat,  n'a  été  que  le  prix  auquel 
il  a  acheté  le  consentement  du  premier  ministre  à  son  départ  de  la  Régence».  (Note  de  M.  Villet  contre  le 
khaznadar,  16  décembre  1873.  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  vol.  12). 

2  C.  M.  MORPURGO,  courtier  israélite  autrichien,  originaire  de  Trieste,  fixé  à  Alexandrie  où  ses  affaires  étaient 
liées  à  celles  d'Herman  Oppenheim.  Il  ne  semble  avoir  eu  aucune  parenté  avec  les  Morpurgo  de  Tunis  et 
ne  joua  qu'un  rôle  épisodique  dans  les  affaires  tunisiennes  en  1864  et  1865,  avec  l'appui  de  Castelnuovo 
qu'il  avait  connu  en  Egypte  (F.  O.  102/123.)  Dép.  de  Wood.  Tunis.  19  juin  1875).  Dès  le  début  de  1865,  il  se 
brouilla  avec  Dahdah  et  Erlanger  et  perdit  tout  crédit  à  la  cour  du  Bardo.  Arch.  Tun.  Doss.  292.  carton  111). 
II fit  faillite  l'année  suivante. 

3  Les  20.926  obligations  de  l'emprunt  de  1863  dont  une  partie  servait  à  gager  les  avances  en  compte  courant 
faites  par  la  maison  Erlanger  elle-même. 

4  Intérêts  à  12%  payables  d'avance,  soit  900.000  Fr.  pour  dix-huit  mois,  50.000  Fr.  de  courtage,  100.000  Fr.  de 
commission. 


185 


prétexte  de  bonification®.  En  définitive,  le  gouvernement  s'était  endetté  de  cinq  millions 
pour  une  avance  d'argent  liquide  d'un  demi-million.  Intermédiaires  et  négociateurs  de 
l'emprunt  avaient  été  largement  récompensés  ! 

1  -  L'emprunt  de  1865 

Après  la  défaite  des  rebelles,  le  gouvernement  tunisien  se  trouvait  en  meilleure 
posture  pour  reprendre  la  discussion  d'un  grand  emprunt.  Les  Erlanger  s'offraient  déjà, 
envoyant  un  mandataire  sur  place,  Guillaume  Schmidt.  Personne  ne  pouvait  rivaliser 
avec  eux;  ils  avaient  trop  d'alliés  au  Bardo^.  Un  contrat  fut  signé  le  l‘=>'  novembre  1864 
qui  prévoyait  un  emprunt  de  quinze  millions  de  francs  portant  intérêt  à  7%  sur  le  capital 
nominal.  Le  gouvernement  affectait  en  garantie  le  revenu  des  douanes,  estimé  à  près  de 
deux  millions  de  francs  par  an  ;  il  s'engageait  à  verser  1.800.000  francs  pendant  quinze 
ans  pour  l'amortissement  du  capital  et  les  intérêts. 

Mais  l'article  3  prévoyait  que  «les  contractants  prennent  l'engagement  à  forfait,  au 
cours  de  72  francs  pour  100  francs  de  capital  nominal,  c'est-à-dire  qu'ils  paieront  au 
gouvernement  dix  millions  huit  cent  mille  francs  effectifs  contre  des  obligations  pour 
quinze  millions».  Ils  s'engageaient  à  verser  cette  somme  en  cinq  termes  échelonnés  sur 
quatorze  mois  et  demi  à  compter  de  la  ratification,  et  se  réservaient  7%  d'escompte 
en  cas  de  versements  anticipés.  MM.  Erlanger  recevaient  en  outre  300.000  francs  à 
titre  de  «gratification  pour  leurs  peines  et  soins»  [art.  10),  4.500  francs  par  semestre,  à 
titre  de  commission  pour  le  paiement  du  coupon  (art.  11)^.  Au  total,  le  gouvernement 
s'engageait  à  rembourser  27  millions  en  quinze  ans  pour  un  emprunt  de  10.365.000 
francs  effectifs. 

Vers  la  mi-novembre  1864,  Ganesco  faisait,  lui  aussi,  le  voyage  de  Tunis  avec 
Morpurgo.  C'était  toujours  la  même  bande  d'aventuriers  en  quête  de  courtages  et  de 
commissions.  Ganesco  venait  offrir  au  khaznadar  les  services  du  journal  qu'il  dirigeait 
à  Francfort®.  Bien  accueilli  par  le  premier  ministre,  il  obtenait  en  outre  la  concession 
d'un  emprunt.  Morpurgo,  qui  représentait  Oppenheim,  traitait  de  son  côté,  avec  l'accord 
des  Erlanger,  pour  un  nouvel  emprunt  de  dix  millions  de  francs,  garanti  par  le  canoun 
des  oliviers.  En  février  1865,  les  emprunts  d'Erlanger  et  Morpurgo  étaient  fondus  en  un 
seul,  avec  les  mêmes  garanties  attachées  à  chacun  d'eux^. 

Mais  les  concessionnaires  des  emprunts,  «nantis  de  leur  concession,  n'en  pouvaient 
rien  faire  ;  le  ministre  des  Finances  hésitait  à  mettre  à  la  cote  le  nouvel  emprunt  ;  mais 


5  «Bonification  pour  arrangement  à  l'amiable»,  selon  les  états  officiels  du  ministère  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc., 
vol.  12.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872,  op.  cit). 

6  «Comme  [ces  commissions]  ils  savent  les  partager  avec  le  Caïd  Nessim  et  autres,  ils  rencontrent  appui 
partout».  (A.  E.  Tunis,  vol.  22.  De  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys,  confid.  Tunis,  19  février  1864). 

7  Si  le  gouvernement  tunisien  devait  retarder  le  paiement  d'un  semestre,  les  banquiers  en  feraient  l'avance 
pour  en  être  remboursés  au  plus  tard  le  semestre  suivant,  la  somme  portant  intérêt  à  8%.  Le  bey  devrait 
alors  leur  remettre  en  gage  la  valeur  de  la  somme  avancée,  moitié  en  teskérés  d'huile,  moitié  en  permis 
de  douanes  (art.  13)  (Arch.  Rés.  Convention  entre  le  Premier  Ministre  et  M.  Emile  Erlanger,  annexe  à  dép. 
comm.  n°  23.  Tunis,  17  décembre  1864). 

8  Ganesco  demandait  50.000  francs  par  an  (A.  E.  Tunis,  vol.  24.  Beauval  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  4  décembre 
1864).  Il  obtint,  an  moins  partiellement,  satisfaction  (Arch.  Tun.  Doss.  292,  carton  111  :  mission  Ganesco. 
Corresp.  avec  le  khaznadar,  1865). 

9  Traité  du  9  février  1865  signé  par  Erlanger,  Oppenheim  et  Morpurgo.  Le  financier  juif  Camondo  aurait  été 
également  partie  prenante  (selon  Emprunt  tunisien  de  1865...,  op.  cit.  p.  9),  bien  que  son  nom  ne  figure  pas 
dans  le  document  précité.  S'il  en  avait  été  ainsi,  il  fût  intervenu  officieusement  à  titre  d'associé  de  la  maison 
Oppenheim  dans  laquelle  il  avait  une  participation  (A.  N.  1  AQ.  Grand  Livre  Camondo). 


186 


le  journaliste  [Ganesco]  parvint  à  démontrer  au  Ministre  des  Affaires  étrangères  qu'il  y 
allait  de  l'influence  de  la  France  à  Tunis  d'envoyer  notre  argent  au  Khaznadar  ;  et  M.  Fould, 
sur  la  prière  de  M.  Drouyn  de  Lhuys,  autorisa  l'émission  de  l'emprunt.  C'est  alors  que  le 
Comptoir  d'Escompte  s'engagea,  mais  il  n'intervint...  qu'à  titre  de  simple  intermédiaire 
irresponsable»!^.  Drouyn  de  Lhuys  avait  dû  insister  particulièrement  auprès  de  Fould. 
il  revint  à  deux  reprises  sur  le  sujet  et  mit  en  avant  des  raisons  politiques  :  en  cas  de 
refus  de  la  France,  ce  seraient  des  capitaux  anglais  qui  iraient  s'investir  en  Tunisie^. 
Fould  était  sceptique  :  «Ainsi  que  j'ai  eu  déjà  l'occasion  de  l'exprimer  à  Votre  Excellence, 
je  vois  avec  un  profond  regret  notre  marché  envahi  par  des  valeurs  étrangères  qui 
n'offrent  pas,  pour  le  placement  des  capitaux,  toute  la  sécurité  désirable.  Ce  défaut  de 
garanties  mérite  d'autant  plus  d'attention  que  les  emprunts  dont  il  s'agit  attirent  de 
préférence  les  épargnes  des  classes  laborieuses  et  peu  aisées,  par  suite  de  l'intérêt  élevé 
qu'ils  comportent.  Indépendamment  des  causes  de  dépréciation  qu'ils  présentent,  ils 
constituent  un  embarras  sérieux  pour  le  marché  et  nuisent  à  la  capitalisation  des  valeurs 
nationales».  Le  ministre  des  Finances  donnait  néanmoins  son  accord!^. 

En  mars  1865,  paraissait  dans  la  presse  l'avis  d'emprunt  du  gouvernement  tunisien  : 
73.568  obligations  de  500  francs,  émises  à  380,  portant  un  intérêt  annuel  de  35  francs, 
et  remboursables  à  500  francs  par  tirage  au  sort  pendant  quinze  ans.  La  souscription 
était  ouverte  au  Comptoir  d'Escompte^^  à  partir  du  27  mars.  Cet  avis  était  accompagné 
de  considérations  flatteuses  sur  les  richesses  de  la  Tunisie,  sur  la  sécurité  qu'offrait 
l'emprunt  :  «Le  Bey  de  Tunis  est  aujourd'hui  sous  le  protectorat  moral  de  la  France, 
qui  a  intérêt  à  favoriser  la  prospérité  du  peuple  tunisien  puisque  cette  prospérité  est 
une  sécurité  de  plus  pour  l'Algérie»!^.  Le  soir  même  du  27  mars,  la  souscription  était 
couverte  en  totalité  ;  il  fallut  même  opérer  des  réductions.  Confiants  dans  l'autorisation 
du  gouvernement  français  et  dans  le  patronage  du  Comptoir  d'Escompte,  les  petits 
épargnants  s'étaient  précipités  pour  souscrire  à  l'un  de  ces  emprunts  d'Etat  qui  avaient 
toute  leur  faveur^^. 

L'opération  avait  été  excellente  pour  les  banquiers  :  ils  se  partageaient  près  d'un 
million  et  demi  ramassé  en  vingt-quatre  heures!®,  sans  avoir  eu  à  engager  la  moindre 
somme,  le  contrat  prévoyant  le  versement  du  premier  terme  à  soixante-quinze  jours 
de  la  ratification.  Erlanger  et  Oppenheim  s'étaient  prémunis  contre  tout  risque  :  c'était 
aux  guichets  du  Comptoir  que  l'argent  des  souscripteurs  était  versé,  c'était  entre  leurs 
mains  que  le  gouvernement  déposerait  le  montant  des  coupons.  Que  le  bey  cessât  un 
jour  ses  paiements  —  éventualité  que  pouvaient  certainement  prévoir  des  financiers  au 
courant  comme  eux  des  affaires  tunisiennes  —  les  obligataires  seuls  en  supporteraient 
les  conséquences.  Les  Erlanger  ne  s'étaient  pas  souciés  d'obtenir  l'administration  directe 


10  Emprunt  tunisien  de  1865...,  op.  cit.  pp.  9  et  10. 

11  A.  N.  F  30.  240.  Emprunt  de  1865,  admission  à  la  cote.  Drouyn  de  Lhuys  à  Fould,  27  février  et  11  mars 
1865. 

12  Ihid.  Fould  à  Dr.  de  Lhuys,  18  mars  1865. 

13  Le  Comptoir  d'Escompte  avait  alors  pour  directeurs  Hippolyte  BIESTA  et  Alphonse  PINARD.  Cet  établissement 
se  retrouvait  associé  aux  Erlanger,  dans  les  mêmes  conditions,  pour  le  lancement  des  emprunts  mexicains 
d'avril  1864  et  1865,  ce  dernier  de  250  millions  nominaux  (Semainefinancière,  15  avril  1865).  Marcel  Marion 
dans  son  Histoire  financière  de  la  France  (Tome  V,  pp.  466-467),  se  montre  très  sévère  pour  les  emprunts 
mexicains  qui  ont  enrichi  surtout  les  banquiers  par  d'énormes  commissions. 

14  Semainefinancière,  25  mars  1865. 

15  «Ces  emprunts  d'Etat  qui  font  lors  de  leur  émission,  la  fortune  des  concessionnaires  et  des  banquiers,  c'est 
presque  toujours  les  petites  bourses  qui  les  souscrivent»  {Emprunt  tunisien  de  1865  —  Compte-rendu  de  la 
réunion  générale  des  porteurs  d'obligations  de  cet  emprunt.  Paris,  1867,  p.  7). 

16  Exactement  1.471.360  francs  :  l'action,  prise  à  forfait  à  360  francs,  avait  été  vendue  380  francs  au  public. 


187 


des  revenus  affectés  en  garantie  des  emprunts.  Ils  n'avaient  pas  exigé  de  garanties 
sérieuses  pour  l'emprunt  de  1863,  en  remplacement  de  la  mejha,  réduite  par  le  bey  à 
vingt  piastres.  Il  était  trop  visible  qu'ils  se  désintéressaient  d'aussi  ternes  opérations 
que  le  paiement  régulier  d'un  coupon.  L'important  pour  eux  était  de  réaliser  rapidement 
de  grosses  affaires  payantes,  sans  attendre  une  banqueroute  qu'ils  hâtaient  par  leurs 
procédés.  Le  khaznadar,  pour  toutes  ces  opérations  était  un  bon  partenaire.  L'exécution 
du  contrat  fournissait  aux  deux  parties  d'agréables  ristournes  dont  le  détail  nous  est 
fourni,  impitoyablement,  par  l'inspecteur  Villet.  L'émission  de  73.568  obligations  à  380 
francs  devait  produire  27.955.848  frs,  soit  2.955.848  francs  de  plus  que  le  capital  de 
25  millions  que  l'on  voulait  réaliser.  Comme  pour  l'emprunt  de  1863,  cet  excédent  ne 
figurait  nulle  part  dans  les  recettes  du  gouvernementi^.  La  destination  en  reste  facile  à 
deviner  :  c'était  la  part  du  khaznadar  et  de  ses  amisi®. 

Emile  Erlanger  et  Morpurgo-Oppenheim  s'étaient  finalement  entendus  pour  se 
répartir  également  les  vingt-cinq  millions  de  l'emprunt,  tout  en  exécutant  séparément 
leurs  contrats.  Courtages  et  commissions  s'élevaient  à  18%.  Morpurgo  faisait  déduire  de 
sa  part  les  cinq  millions  du  premier  emprunt  qu'il  avait  négocié  pendant  l'insurrection, 
mais  il  ne  déduisait  pas  des  frais  de  courtage  ceux  qu'il  avait  déjà  encaissés  à  cette 
occasion,  de  même  qu'il  oubliait  de  tenir  compte  des  intérêts  versés  d'avance  par  le  bey 
pour  ce  même  emprunt  de  cinq  millions.  De  ce  côté,  «la  recette  effective  du  gouvernement, 
en  admettant  que  trois  millions  de  traites  y  mentionnées  aient  été  réellement  versées, 
aurait  été  de  7.794.703  francs  ;  à  cette  somme  correspondaient  12.500.000  francs 
de  souscription  des  obligataires  et  une  dette  nominale  de  18.392.000  francs...  Quant 
aux  Erlanger,  leurs  12.500.000  francs  étaient  réduits  à  9.248.759  francs,  par  les  frais 
de  commission,  de  courtage,  les  intérêts  prélevés  à  ravance»!^.  Ils  allaient  d'ailleurs 
trouver  le  moyen  de  les  faire  valoir  par  une  habile  politique  de  fournitures,  tout  en 
conservant  en  partie  la  disposition  des  fonds  qu'ils  avaient  reçus  du  public.  En  même 
temps,  les  banquiers  de  la  rue  Taitbout  continuaient  de  montrer  la  même  indulgence 
pour  d'étranges  confusions  de  comptes  courants  qui,  toujours,  tournaient  à  l'avantage 
du  khaznadar. 

Le  5  mai  1865,  le  gouvernement  faisait  «racheter»  par  Erlanger  8.000  obligations  de 
l'emprunt  de  1863  «au  prix  convenu  de  472,50  Fr»2o.  Avec  les  frais,  l'opération  revenait  à 
3.823.824,30  Fr.  ;  au  cours  de  bourse  du  jour  (383,50  Fr.),  elle  aurait  dû  coûter  3.071.680 
francs.  Villet  ne  pouvait  retrouver  la  trace  de  la  différence.  Les  8.000  obligations  venaient 
s'ajouter  aux  20.926  qu'Erlanger  avait  revendues  au  bey  en  janvier  1864  et  dont  il 
avait  toujours  la  garde.  1.138  d'entre  elles  étant  sorties  aux  trois  derniers  tirages  de 
l'emprunt,  il  devait  rester,  fin  1865,  27.788  obligations  chez  Erlanger.  Or  ce  chiffre  se 
réduit  brusquement  à  5.788,  ainsi  qu'il  ressort  de  la  correspondance  d'Erlanger  avec  le 
premier  ministre.  Le  vol  des  2.000  obligations  que  Villet  devait  considérer  comme  «un 
détournement  commis  au  profit  de  S.E.  Sidi  Mustapha  tout  seul»2i,  confirmé  en  1873 
par  la  vérification  du  numéro  des  titres,  devait  être  un  élément  décisif  dans  la  chute 


17  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872,  op.  cit. 

18  1.471.360  francs  revenaient  aux  banquiers.  Le  surplus,  soit  1.484.480  francs,  fut  certainement  la  part  des 
ministres  et  des  intermédiaires.  «Je  me  suis  laissé  dire»,  écrivait  Ganesco  au  khaznadar,  en  avril  1865,  «que 
sur  l'opération  de  l'emprunt  si  merveilleusement  accomplie  et  à  laquelle  j'ai  si  puissamment  contribué. 
Votre  Excellence  s'inspirant  d'un  sentiment  des  plus  élevés  et  des  plus  fructueux  me  fera  une  part  de  trois 
cent  cinquante  mille  francs»  (Arch.  Tun.  Doss.  292,  carton  111). 

19  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

20  Ihid. 

21  Ibid. 


188 


du  premier  ministre,  huit  ans  plus  tard.  25.000  obligations  devaient  être  déposées  au 
Comptoir  d'Escompte  en  1866,  en  garantie  de  nouveaux  emprunts.  Les  788  qui  restaient 
et  qui  furent  retrouvées  chez  Erlanger,  continuèrent  d'alimenter  de  leurs  coupons  le 
compte  courant  du  khaznadar.  On  comprend  alors  comment  le  premier  ministre  pouvait 
tirer  en  moins  d'un  mois,  rue  Taitbout,  pour  quatre  millions  de  traites  sur  un  compte  privé 
que  ne  venait  alimenter  aucun  crédit  régulier.  La  complicité  des  banquiers  ressortait 
de  leur  correspondance  avec  le  premier  ministre,  correspondance  que  cite  longuement 
Villet  dans  sa  note  contre  le  khaznadar22. 

Les  agents  d'Erlanger  se  retrouvaient  avec  Morpurgo,  avec  Dahdah,  pour  proposer 
au  gouvernement  du  bey  des  fournitures  militaires  de  tous  genres,  articles  de  rebut 
facturés  au  plus  haut  prix  qui  laissaient  de  larges  bénéfices  aux  signataires  des 
contrats23,  Morpurgo  débarquait  en  avril  1865,  accompagné  du  négociant  marseillais 
Audibert,  autre  associé  de  la  maison  Oppenheim,  et  proposait  au  Bardo  deux  navires 
désarmés,  hors  d'état  de  naviguer.  L'affaire  était  conclue  et  les  deux  sabots,  payés  au 
prix  du  neuf  (250.000  francs),  s'en  allaient  pourrir  en  rade  de  La  Goulette.  Le  bey 
désirait  équiper  son  armée  de  ces  canons  rayés  qui,  depuis  1858,  remplaçaient  de  plus 
en  plus  les  canons  lisses  dans  l'artillerie  des  nations  européennes.  Erlanger  s'engageait 
à  fournir  «100  canons  rayés  nouveau  modèle  pour  un  million».  Or  il  ne  livrait,  en  août 
1865,  que  de  vieux  canons  déjà  mis  au  rebut,  mais  dont  la  culasse  avait  été  doublée 
d'une  sorte  de  manchon.  La  fraude  était  par  trop  grossière  ;  on  sut  bien  vite  que  ces 
canons  n'avaient  coûté  au  fournisseur  que  200.000  francs  environ»^^.  Et  comme  au 
départ  on  s'étonnait,  le  fournisseur  lui-même  découvrit  les  dessous  de  l'opération. 
«Le  Premier  ministre,  dit-il,  veut  gagner  sur  ce  marché  500.000  francs.  Je  ne  puis  l'en 
empêcher  et  n'ai  pas  à  contrôler  les  affaires  du  gouvernement  tunisien»25.  L'affaire  des 
canons  «rayés  en  dehors»^^  devait  faire  quelque  bruit.  Un  officier  français  fut  commis 
pour  l'expertise  mais  le  million  resta  au  compte  du  gouvernement  et  le  khaznadar 
conserva  sa  «commission».  La  maison  Erlanger  dont  la  compétence  semblait  devenue 
universelle,  achetait  encore  vingt  mille  fusils,  des  uniformes,  des  barils  de  poudre 
anglaise  par  dizaines  de  milliers  qui  s'entassaient  à  Tunis,  à  la  consignation  de 
Schmidt22. 


22  Ibid.  Erlanger  au  khaznadar  :  «Nous  avons  l'honneur  de  recevoir  la  lettre  de  V.E.  du  7  Rabia  El  Tani,  par 
laquelle  vous  nous  annoncez  vos  traites  de  Fr.  2  millions  à  75  jours  de  date,  du  29  août,  pour  votre  compte 
privé.  Nous  nous  sommes  empressés  d'accepter  ces  traites  pour  le  compte  privé  de  Votre  Excellence  au  débit 
duquel  nous  les  portons»  (Paris,  13  septembre  1865). 

«Nous  avons  reçu  aujourd'hui  votre  estimable  lettre  du  27  Rabia  el  Tani  nous  avisant  vos  traites  sur  nous  pour 
la  somme  de  Fr.  2  millions  pour  votre  compte  particulier.  Permettez-nous  de  vous  exprimer  notre  surprise  de 
ce  tirage  sans  notre  autorisation  préalable.  Veuillez  remarquer.  Excellence,  que  votre  compte,  soit  avec  nous, 
soit  avec  notre  agence  à  Tunis,  ne  se  balance  en  votre  faveur  que  pour  une  somme  peu  considérable...  et  que 
cette  somme  ne  représente  qu'une  faible  partie  des  4  millions  qui  nous  sont  dûs»  (Paris,  24  octobre  1865). 

23  En  avril  1865,  Erlanger  formait  avec  le  khaznadar  une  association  en  commandite  au  capital  de  six  millions 
de  francs.  Deux  millions  étaient  fournis  par  les  maisons  Erlanger  de  Paris  et  de  Francfort,  deux  millions  par  le 
khaznadar  et  deux  millions  par  le  bey.  Rochaïd  Dahdah  était  désigné  comme  contrôleur  de  l'association  (Arch. 
Tun.  Doss.  283,  carton  110  :  convention  ratifiée  par  Emile  et  Raphaël  Erlanger,  les  29  avril  et  1®^  mai  1865). 
C'est  par  le  canal  de  cette  cynique  association  entre  le  premier  ministre  et  les  banquiers  que  furent 
probablement  commandées  en  Europe  les  étranges  fournitures  militaires  dans  lesquelles  le  gouvernement 
tunisien  gaspilla  hâtivement  le  produit  de  l'emprunt  de  1865. 

24  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

25  Documents  sur  Khérédine  publiés  par  MM.  Mzali  et  Pignon.  R.T.  1937,  p.  234. 

26  D'Estournelles  de  Constant  (P.H.X.)  :  La  politique  française  en  Tunisie,  op.  cit.  p.  43. 

27  Arch.  Rés.  Comm.  n°  14.  Tunis,  10  mars  1866. 

Arch.  Tun.  Doss._  284.  Carton  110.  Schmidt  et  Plock  au  khaznadar  :  facture  de  4.992  vestes  et  gilets  de 
zouaves.  Tunis,  22  mars  1865.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit. 


189 


Pour  reconstituer  la  marine  du  bey,  des  intermédiaires,  vraisemblablement  suscités 
par  les  Erlanger,  faisaient  acheter  au  gouvernement  un  aviso  facturé  750.000  francs,  et 
une  frégate,  estimée  à  2.410.000  francs.  Qr,  la  frégate  «n'était  qu'une  corvette»  et  «un 
navire  de  ce  modèle...  ne  doit  coûter  que  900.000  à  un  million...  et  on  y  a  ajouté,  le  30 
juin  1865,  sous  un  prétexte  resté  inconnu  jusqu'ici,  un  supplément  de  130.000  francs. 
C'est  donc  au  minimum  1.540.000  francs  que  le  gouvernement  a  payé  au  delà  de  la 
valeur  vraie  du  navire  qui  lui  a  été  livré»^^.  Enfin,  la  maison  Erlanger  fournissait  pour 
huit  à  dix  millions  de  monnaie  de  cuivre  frappée  à  une  valeur  très  supérieure  à  sa  valeur 
effective^^.  L'avidité  des  financiers  étrangers  ne  se  satisfaisait  pas  de  ces  avantageux 
marchés.  Pour  s'assurer  l'avenir  et  se  réserver  de  nouveaux  profits,  Erlanger  réclamait 
au  khaznadar  des  concessions  de  tous  genres,  des  biens  fonciers  aisément  négociables 
et  non  des  gages  fiscaux  plus  difficiles  à  surveiller. 

Aux  obligataires  de  1865,  revenu  des  douanes  et  canoun  des  oliviers,  aux  Erlanger, 
la  concession  de  la  fabrique  de  Tebourba.  La  manufacture  de  drap  créée  par  Ahmed 
Bey  pour  l'équipement  de  ses  troupes  avait  cessé  de  fonctionner  depuis  longtemps.  Au 
début  de  mai  1865,  Schmidt  en  obtenait  la  concession  pour  neuf  ans  :  le  bey  s'engageait 
à  remettre  la  fabrique  en  état  de  marche  ;  il  accordait  au  concessionnaire  le  privilège 
de  la  fourniture  à  son  armée  du  drap  d'uniforme  et  de  couvertures,  en  échange  d'un 
loyer  annuel  de  50.000  piastres^**.  Peu  après,  le  consul  de  France  signalait  que  la  maison 
Erlanger  allait  probablement  obtenir  la  concession  d'un  chemin  de  fer  Tunis-Bardo- 
Goulette  que  se  disputaient  trois  concurrents^!.  11  insistait  sur  l'extension  considérable 
que  prenaient  les  Erlanger  en  Tunisie,  doutant  des  avantages  qu'en  pouvait  tirer  la 
France. 

Mais  on  voyait  prospérer  tous  les  aigrefins  qui  tripotaient  dans  les  affaires 
tunisiennes.  Erlanger  et  le  khaznadar  n'oubliaient  pas  leurs  amis.  Dahdah,  employé  du 
bey  à  600  francs  par  mois,  amassait,  dit-on,  huit  millions  en  trois  ou  quatre  ans^^  p  avait 
domicile  à  Tunis  comme  à  Paris  où  il  s'installait,  rue  des  Bassins,  dans  l'élégant  quartier 
de  l'Etoile,  après  avoir  quitté  sa  modeste  résidence  de  Saint-Maur.  Le  bey  l'élevait  en 
1866  à  la  dignité  de  lieutenant-colonel.  Pour  compléter  cette  réussite  tardive  mais 
brillante,  Dahdah  devait  plus  tard  se  parer  du  titre  de  comte  ;  il  devenait  le  comte  Dahdah, 
tout  simplement...!  De  son  côté,  Ganesco  qu'on  ne  devait  plus  revoir  à  Tunis,  menait 
grand  train  dans  le  château  de  Montmorency  qu'il  venait  d'acquérir^s.  Devenu  riche,  le 
journaliste  valaque  se  réconciliait  avec  le  gouvernement  impérial  qu'il  avait  longtemps 
combattu  ;  il  se  faisait  le  défenseur  de  la  politique  de  Rouher  et  n'allait  pas  tarder  à 
obtenir  la  récompense  de  ses  bons  services,  la  naturalisation  française  et  un  siège  de 
conseiller  général.  La  fortune  des  amis  tunisiens  progressait  tout  aussi  sûrement.  Le 


28  Ibid. 

29  Ibid. 

4  lettres  de  Schmidt  et  Plock  au  khaznadar^  datées  du  5  au  20  décembre  1864,  annonçaient  la  livraison 
de  374  barils  de  cuivre  monnayé  contenant  chacun  4.000  piastres,  facturés  518.700,60  Fr.  Quatre  autres 
lettres,  datées  du  20  mars  au  22  mai  1865,  annonçaient  la  livraison  de  582  autres  barils,  facturés  807.175,80 
Fr.  (Arch.  Tun.  Doss.  284,  carton  110). 

30  Arch.  Rés.  Fol.  N°  53.  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  4  et  31  mai  1865. 

31  Le  consul  signalait,  en  juillet  une  compagnie  anglo-belge,  une  compagnie  franco-italienne,  une  compagnie 
française  représentée  par  le  comte  de  Vernon,  sous  la  garantie  du  Comptoir  d'Escompte  (Arch.  Rés.  Comm. 
n°  9,  28  juillet  1865).  C'est  d'accord  avec  cette  dernière,  sans  doute,  que  les  Erlanger  souhaitaient  enlever  la 
concession.  Mais  l'affaire  n'eut  pas  de  suite. 

32  F.  0.102/99.  Wood  à  Granville.  Tunis,  8  janvier  1874. 

33  Figaro  :  Gregory  Ganesco.  Dimanche,  8  avril  1877. 


190 


Tunis  :  La  porte  de  la  mer 
(actuelle  porte  de  France) 

(Illustration,  1879). 


khaznadar  avait  trouvé  un  habile  trésorier  pour  ses  finances,  le  caïd  Chloumou  Samama, 
qui  suivait  fidèlement  l'exemple  de  son  oncle^^.  Hamida  Benaïad,  Mussalli,  les  courtiers 
juifs  du  premier  ministre,  Guttieres,  Cesana^^,  les  ministres  tunisiens  s'enrichissaient 
par  le  jeu  des  courtages,  des  concessions,  les  pilleries  de  toutes  sortes  aux  dépens  du 
gouvernement.  La  bande  ne  cessait  de  s'accroitre,  le  premier  ministre  trouvait  toujours 
de  nouveaux  concours  pour  des  missions  intéressées.  A  la  fin  de  1865,  on  voyait  la  tribu 
Valensi  passer  des  bureaux  consulaires  au  service  mieux  rémunéré  du  gouvernement^®. 


34  SAMAMA  (Salomon  dit  Chloumou,  caïd),  fils  de  Nathan,  receveur  général  des  Finances,  du  9  septembre  1864 
au  11  avril  1866,  puis  du  13  octobre  1869  au  12  juin  1873,  mort  le  13  mars  1883.  Il  détourna  plus  de  10 
millions  de  piastres  entre  1864  et  1866  et  s'enfuit  à  Corfou  lorsque  fut  ouverte  la  succession  de  son  oncle,  le 
caïd  Nessim.  Après  sa  mort,  le  gouvernement  saisit  ses  biens  estimés  6.700.000  piastres  (Arch.  Tun.  Carton 
104,  Doss.  231  et  245  —  Rapport  de  David  Santillana  du  2  décembre  1890  (Doss.  231)  établissant  le  bilan  de 
la  gestion  de  Chloumou,  soit  un  débit  de  10.575.657  piastres  et  un  crédit  de  215.135,24  FR,  ce  qui,  au  taux 
de  1,6  piastre  par  franc,  donne  un  débit  général  de  10.231.441  piastres). 

35  GUTTIERES  (Giacomo),  courtier  italien,  né  à  Livourne  en  1828  d'Elia  fù  Giacomo,  né  lui-même  à  Livourne 
en  1790,  et  d'Estere  Funaro,  son  épouse,  mari  de  Benedetta  lacchia,  mort  en  1896  ou  1897  (Arch.  Rome. 
Recensement  des  Toscans.  Tunis,  1861). 

Pendant  vingt-cinq  ans,  il  fut  mêlé  à  toutes  les  opérations  financières  tunisiennes.  Il  édifia  sa  fortune,  à  partir 
de  1860,  en  servant  le  khaznadar  et  le  caïd  Nessim  Samama,  et  ne  tarda  pas  à  diriger  toutes  les  opérations 
menées  par  ses  coreligionnaires  sur  la  place  de  Tunis.  Il  fut  l'animateur  des  conversions,  en  1867,  fut  élu 
membre  du  Comité  de  contrôle  de  la  Commission  financière  instituée  en  1869.  Démissionnaire  en  février 
1873,  il  fut  réélu,  en  décembre  1874. 

Entre  1878  et  1880,  Guttieres  fut  partiellement  ruiné  par  des  spéculations  boursières  malheureuses. 
Il  fut  alors  chargé  par  le  gouvernement  de  défendre  ses  intérêts  à  Livourne,  dans  les  procès  suscités  par 
l'ouverture  de  la  succession  Samama,  de  1881  à  1890,  mission  dont  il  profita  surtout  pour  s'enrichir  (Arch. 
Tun.  Corresp.  consulaire  française  et  italienne,  passim). 

CEZANA  (Isacco  fù  Giaccobe),  courtier  italien  originaire  de  Livourne,  né  à  Tunis  vers  1810,  comptable  du 
comte  Giuseppe  Raffo  pendant  une  trentaine  d'années.  Protégé  ionien  comme  ses  frères,  il  chercha  vainement 
à  obtenir  la  protection  anglaise  après  le  rattachement  des  îles  ioniennes  à  la  Grèce  et  se  fit  reconnaître  comme 
sujet  italien  à  la  fin  de  1863  (Arch.  Rome.  Gambarotta  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  24  octobre  1863). 

36  VALENSI  (Léon,  fils  de  Gabriel)  Israélite  né  en  avril  1819  à  Tunis  {Bull  des  LoisSuppl.  1865,  p.  886)  interprète 
auxiliaire  au  consulat  de  France  admis  à  domicile  par  décret  impérial  n°  19.017  du  3  mai  1865). 

VALENSI  (Gabriel,  fils  de  Ruben),  neveu  du  précédent,  également  interprète  au  consulat  de  France.  VALENSI 
(Moïse)  né  le  l“juin  1829  à  Tunis  et  VALENSI  (Joseph-Vita)  né  le  20  septembre  1834  à  Tunis,  frères  de  Léon, 


191 


2  -  La  banqueroute 

Trois  mois  après  la  conclusion  du  grand  emprunt,  le  gouvernement  tunisien  était 
déjà  réduit  aux  expédients.  La  victoire  de  Zarrouk,  la  répression  qu'il  avait  exercée  sur  la 
côte  avaient  cependant  apporté  au  Trésor  beylical  une  ressource  extraordinaire  de  trente 
millions  de  piastres^^,  somme  qui  dépassait  largement  les  revenus  de  l'Etat  en  année 
normale.  Intermédiaires  et  favoris  avaient  dû  en  prendre  leur  large  part  ;  le  reste  était 
absorbé  par  les  dépenses  courantes,  le  paiement  de  quelques  mois  de  solde  à  l'armée, 
le  traitement  des  fonctionnaires  ;  le  gouvernement  offrait  encore  1.200.000  francs  pour 
régler  les  dettes  des  princes  de  la  famille  beylicale^s  ;  il  ne  renonçait  pas  pour  autant  aux 
dépenses  somptuaires,  envoi  de  missions  de  courtoisie  à  Paris,  en  Algérie,  où  le  frère  du 
bey,  Sidi  Taïeb,  allait  complimenter  l'Empereur  (mai  1865)39. 

Les  versements  des  Erlanger  se  transformaient  en  fournitures  étranges  ;  le 
gouvernement  n'en  devait  pas  moins  acquitter  les  bons  à  court  terme  qu'il  avait 
souscrits  à  l'intérieur  et  les  coupons  de  la  dette  extérieure.  Les  bons  sur  le  Trésor  que 
le  khaznadar  et  ses  agents  avaient  émis  par  milliers  pendant  l'insurrection  revenaient, 
grossis  d'intérêts  variant  entre  10  et  13%''°.  11  fallait  les  payer,  au  moins  en  partie, 
quitte  à  repousser  la  créance  sur  le  semestre  ou  l'année  suivante  par  l'émission  d'un 
nouveau  billet.  La  vente  anticipée  des  récoltes  se  soldait  par  une  perte  considérable.  En 
mai  1864,  comme  les  autres  années,  le  khaznadar  avait  fait  négocier  des  teskérés  pour 
600.000  métaux  d'huile  à  valoir  sur  la  récolte  de  l'année  suivante.  Les  bons  s'étaient 
vendus  16  et  17  piastres  le  métal,  le  gouvernement  s'engageant  à  payer  en  huile,  lors  de 
l'échéance,  ou  à  rembourser  les  quantités  promises,  au  cours  du  jour.  Or,  la  récolte  avait 
été  des  plus  mauvaises  ;  le  khaznadar  avait  émis  plus  de  bons  qu'il  n'en  pouvait  honorer. 
Les  cours  montaient  et  le  gouvernement  devait  reprendre  son  papier  au  double  du  prix 
d'émission.  En  juin  1865,  le  gouvernement  payait  six  millions  en  traites  sur  Erlanger^i, 
mais  il  ne  pouvait  faire  face  à  l'échéance  des  coupons.  11  fallait  encore  emprunter.  On 
s'adressa  cette  fois  à  Pinard'^^,  directeur  du  Comptoir  d'Escompte,  qui  avança  5.500.000 
francs  à  6%  par  trimestre,  plus  1%  de  commission  pour  Erlanger,  en  raison  de  ses  «bons 
offices».  Le  gouvernement  déposait  en  garantie  25.000  de  ses  obligations  de  l'emprunt 


négociants  installés  à  Marseille,  tous  deux  admis  à  domicile  en  France  par  décret  impérial  n°  7.380  du  10 
février  1858.  (Bull.  Lois.  Suppl.  1858.  AP.  1012),  puis  naturalisés  en  août  1867.  Un  autre  frère  Valensi  était 
interprète  au  consulat  dAutriche  à  Tunis. 

37  D'après  Espina  et  Mattéi  (Arch.  Rés.  Espina  à  Duchesne  de  Bellecourt,  Sousse,  1^^  et  26  mars  1865.  Mattéi  à 
de  Bellecourt.  Sfax,  18  juin  1865). 

Villet  indique  100  millions  de  piastres. 

38  Ce  qui  provoquait  le  mécontentement  des  créanciers  italo-maltais  :  1.200.000  piastres  ne  représentaient 
que  28%  des  créances  qu'ils  exhibaient  (Arch.  Rome.  Pinna  à  La  Marmora.  Tunis,  20  juin  1865). 

39  Ibid.  Pinna  au  secrétaire  général  Cerutti,  avril  1865.  Pinna  à  La  Marmora.  Tunis,  16  mai  et  13  juin  1865. 

40  II  fallait  compter  également  avec  les  faux  teskérés  qui  étaient  légion.  Cette  période  aurait  été  en  effet  un 
véritable  âge  d'or  pour  les  faussaires,  tels  ces  Attias  dont  se  plaignait  le  khaznadar,  des  Juifs  du  cru  qui  firent 
leur  fortune  en  maquillant  le  papier  du  gouvernement  (Arch.  Tunis.  Doss.  333,  carton  113). 

41  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°4.  Moulin  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  8  juillet  1865. 

42  PINARD  (Alphonse-louis),  financier  français,  né  à  Sens  le  18  janvier  1815,  de  Jacques-Simon  et  d'Anne-Julie 
Guériteau  son  épouse,  époux  d'Adèle  Emélie  Robert,  mort  à  Fécamp  le  18  octobre  1871  (Etat-civil  Sens, 
Fécamp). 

Second  directeur  du  Comptoir  d'Escompte,  depuis  sa  fondation,  en  1848,  jusqu'en  1871,  il  fit  partie  du 
conseil  d'administration  de  la  Société  Générale  et  de  la  Banque  des  Pays-Bas,  dès  la  création  de  ces  deux 
établissements,  en  1864  et  1865.  Membre  du  Conseil  supérieur  de  l'Algérie  et  des  Colonies,  il  avait  été  élevé 
au  grade  d'officier  de  la  Légion  d'honneur,  par  décret  impérial  du  31  décembre  1860  (Décret  n°  10.875.  Bull. 
Lois.  Suppl.  1861  A,  p.  342).  Nous  ne  lui  connaissons  aucun  lien  de  parenté  avec  son  homonyme,  Pierre- 
Ernest  Pinard,  ministre  de  l'Intérieur  de  novembre  1867  à  décembre  1868. 


192 


de  1863^^.  Deux  avances  de  la  même  maison  devaient  suivre  bientôt.  Comme  on  ne 
pouvait  les  rembourser  intégralement,  il  fallut  les  reporter  plus  tard  dans  un  quatrième 
contrat,  en  janvier  186744. 

L'année  1866  s'ouvrait  sous  des  auspices  plus  défavorables  encore.  Le 
gouvernement  du  bey  qui  ne  pouvait  plus  compter  sur  des  recettes  extraordinaires 
comme  la  contribution  de  guerre  du  Sahel,  ne  disposait  plus  que  des  revenus 
ordinaires  de  la  Régence.  Or,  ces  revenus  étaient  diminués  par  l'abaissement  du 
taux  de  la  mejha,  de  Vachour,  par  la  diminution  des  surfaces  cultivées  -  une  des 
conséquences  de  la  révolte.  On  ne  pouvait  espérer  beaucoup  de  la  récolte  des  olives, 
les  villageois  l'ayant  engagée  en  grande  partie  pour  pouvoir  payer  les  taxes  du  général 
Zarrouk.  Dans  un  rapport  de  fin  d'année  sur  la  situation  probable  de  la  Régence  en 
1866,  le  consul  de  France  prévoyait  des  recettes  «un  peu  incertaines  de  25  millions 
de  francs»,  en  regard  de  dépenses  qu'il  estimait  à  61.  556.000  francs,  il  concluait  à 
un  déficit  presque  inévitable  de  36.500.000  francs45.  Il  était  moins  optimiste,  huit 
mois  plus  tard,  car  il  prévoyait,  pour  le  même  exercice  1866,  non  plus  36,  mais  42 
millions  de  déficit45bis. 

Le  premier  ministre,  cependant,  comptait  toujours  sur  les  expédients,  sur  les  moyens 
dilatoires  qui  lui  avaient  réussi  jusqu'alors,  et  dont  M.  Emerit  retrace  l'exposé  avec 
netteté  :  «Le  khaznadar  se  tira  d'affaire  aux  premières  échéances  en  émettant  des  bons 
et  en  vendant  à  découvert  de  grandes  quantités  d'huile,  de  blé  et  d'orge  à  des  conditions 
désastreuses  pour  le  Trésor4b,  sans  même  songer  que  la  quantité  de  ces  denrées  dépassait 
le  rendement  de  l'impôt  en  nature  prévu  pour  l'année,  et  que  cet  impôt  appartenait  aux 
obligataires  de  l'emprunt  de  1865.  Aux  commerçants  qui  essayaient  de  lui  ouvrir  les 
yeux,  il  répondait  qu'il  songeait  aussi  à  vendre  la  quantité  d'huile  qui  lui  reviendrait  sur  la 
récolte  de  1868.  Ce  fut  un  beau  concert  de  protestations  !  Le  consul  de  France  se  chargea 
d'exprimer  les  inquiétudes  de  nos  nationaux  ;  le  khaznadar  lui  répondit  avec  tranquillité 
qu'il  ne  pourrait  faire  face  aux  prochaines  échéances,  mais  qu'il  espérait  bien  pouvoir 
conclure  un  nouvel  emprunt  à  l'étranger». 

«Ce  n'était  plus  très  facile,  car  les  grands  pays  d'Europe  subissaient  une  crise 
financière,  et  les  Erlanger  eux-mêmes  hésitaient  à  tenter  de  nouvelles  opérations  de 
grande  envergure». 

«Le  khaznadar  multiplia  les  sollicitations.  Tunis  devint  une  sorte  de  foire  financière 
où  une  nuée  de  candidats-prêteurs  présentaient  des  offres  alléchantes,  mais  toujours 
sous  condition  de  pouvoir  transmettre  la  créance  à  de  naïfs  épargnants,  si  l'on  en 
trouvait  encore,  et  de  rompre  le  contrat  si  la  maison  d'émission  ne  pouvait  se  défaire  de 
ses  titres4b>. 

En  janvier  1866,  le  premier  ministre  envoyait  en  mission  à  Paris  Gabriel  Valensi  pour 
négocier  auprès  du  Crédit  Mobilier  ou  de  la  maison  Rothschild  un  emprunt  gagé  par  des 


43  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  6.  Moulin  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  10  juillet  1865. 

44  Ces  emprunts  usuraires,  à  27  et  28%  l'an,  donnaient  lieu  à  d'énormes  courtages.  Villet  relève  un  «courtage 
non  stipulé  par  le  contrat  et  destiné  aux  intermédiaires  (Dahdah)  de  82.500  francs»  (Note  sur  les  causes  du 
désordre  financier,  op.  cit). 

45  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  8.  Duchesne  de  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  28  décembre  1865. 

45bis  Comm.  n°  27.  Du  même  au  même.  Tunis,  10  août  1866. 

46  Vente  de  580  métaux  d'huile,  de  36.000  caffis  de  blé,  7.000  caffis  d'orge,  en  janvier  1866  pour  payer  le 
coupon  de  l'emprunt  de  1865  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12  :  Mémoire  des  commissaires  des  différentes 
conversions  de  la  dette  flottante,  2  mars  1868). 

47  Marcel  Emerit  :  La  crise  des  finances  tunisiennes  et  les  origines  du  protectorat.  Rev.  Afr.  1949,  pp.  257  et  258. 

193 


forêts  et  des  mines  de  Tunisie.  Il  cherchait  à  obtenir  115  millions  pour  rembourser  les 
emprunts  Erlanger  et  la  dette  flottante,  le  surplus,  soit  20  millions,  devant  former  une 
réserve  pour  les  dépenses  courantes'*®.  Mais  les  circonstances  n'étaient  pas  favorables. 
L'Europe  était  en  pleine  crise  financière.  Jules  de  Lesseps,  l'agent  du  bey  à  Paris^®, 
signalait  les  embarras  éprouvés  simultanément  par  Rothschild  et  les  Péreire®®.  Valensi 
n'avait  aucun  succès  ;  Lumbroso,  qui  venait  le  seconder,  n'était  pas  plus  heureux.  Tous 
les  banquiers  parisiens  se  récusaient,  à  l'exception  d'Erlanger  et  d'Oppenheim  dont 
les  conditions  étaient  jugées  trop  onéreuses.  Au  début  d'avril,  Valensi  et  Lumbroso 
regagnaient  Tunis  les  mains  vides. 

Entre  temps,  le  khaznadar  avait  reçu  les  propositions  d'un  représentant  de  la 
maison  Halphen  de  Paris,  celles  de  MM.  de  Vernoux  et  de  Bonnaire  qui  s'offraient  comme 
concessionnaires  d'un  emprunt  de  120  millions.  En  mai,  un  administrateur  du  Crédit 
Agricole,  Mosselmann,  de  concert  avec  un  certain  Lefèvre  qui  se  disait  représentant  de  la 
banque  anglaise  London  and  County,  venait  négocier  un  emprunt  de  60  millions  avec  le 
gouvernement  tunisien®^.  Le  24  mai.  Portier,  représentant  de  Mosselmann,  traitait  pour 
100  millions,  mais  il  n'offrait  en  réalité  que  75  millions  effectifs,  avec  15%  d'intérêts  et 
de  commission  sur  le  capital  nominal.  L'affaire  échouait  sous  la  pression  de  Schmidt 
et  d'Erlanger,  revenu  à  Tunis,  en  compagnie  de  Dahdah,  au  milieu  d'avriP^.  Rien  n'était 
conclu  en  définitive,  pas  même  avec  Erlanger,  soit  que  la  lourdeur  des  annuités  exigées 
eût  effrayé  le  khaznadar,  soit  plutôt  que  la  crise  financière  qui  sévissait  en  Europe, 
pendant  la  guerre  austro-prussienne,  eût  gêné  l'émission  d'un  grand  emprunt  sur  la 
place  de  Paris. 

Dès  le  mois  de  mai,  le  gouvernement  suspendait  pratiquement  le  paiement  des 
bons  du  Trésor.  Deux  millions  étaient  à  payer  lors  de  l'échéance  du  13  juin;  on  offrit  aux 
porteurs  10%  en  espèces,  30%  en  traites  sur  une  maison  marseillaise  peu  sérieuse  -  un 
cousin  de  Dahdah-,  traites  que  les  commerçants  avaient  la  sagesse  de  refuser.  Quant  au 
reste,  il  était  tout  simplement  ajourné®®.  L'émotion  fut  grande  sur  la  place  de  Tunis.  La 
carence  du  gouvernement  était  en  fait  un  aveu  de  banqueroute.  Devant  les  protestations 
des  consuls  qui  transmettaient  au  Bardo  les  plaintes  de  leurs  nationaux,  le  khaznadar 
ramassa  des  fonds  chez  les  grands  dignitaires  de  la  Cour,  les  fermiers  généraux  ;  il  fixa  sa 
cotisation  personnelle  à  1  million  de  piastres.  Il  rassembla  au  total  deux  à  trois  millions  et 
fit  payer,  jusqu'au  24  juin,  un  demi-million  de  piastres  aux  créanciers  du  gouvernement®^. 
Quelques  jours  plus  tard,  le  khaznadar  décrétait  une  contribution  forcée  sur  les  Juifs  et 


48  Arch.  Rés.  Fol,  Duchesne  de  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  23  janvier  et  25  février  1866. 

49  De  LESSEPS  (Guillaume-Jules. Prosper),  agent  du  bey  à  Paris,  né  en  1809  mort  à  Paris  le  20  octobre  1887. 

Il  était  le  troisième  fils  de  Mathieu  de  Lesseps  qui  fut  consul  de  France  à  Tunis  d'août  1827  à  décembre 
1832,  et  le  frère  cadet  de  Ferdinand.  Il  fut  successivement  vice-consul  à  Alep,  en  1822,  à  Lattaquié,  en  1825, 
et  Bogota,  en  1828.  Mis  en  disponibilité,  il  devint  alors  agent  du  bey  à  Paris,  et  fut  ainsi  mêlé  à  toutes  les 

négociations  d'emprunt  menées  en  Europe  par  les  émissaires  du  khaznadar.  Il  était  officier  de  la  Légion 

d'honneur  depuis  juillet  1847  (Fichier  A.  E.). 

50  Affaire  des  chemins  de  fer  lombards,  pour  Rothschild  ;  doublement  de  capital  du  Crédit  mobilier  et  échec 
complet  d'un  emprunt  turc,  pour  les  Péreire  (Arch.  Tun.  Doss.  314,  carton  113.  Lesseps  au  khaznadar.  Paris, 
14  février  1866). 

51  A.  E.  Tunis,  vol  27.  Télégramme.  Tunis,  10  mai  1866. 

Arch.  Rés.  Pol.  n°  39.  Tunis,  19  mai  1866. 

52  Arch.  Rés.  Pol.  n°  42.  Duchesne  de  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  6  juin  1866  et  Doss.  Div.  n°  3. 

53  Ibid.  Dép.  Pol.  n°  50.  Du  même  au  même.  Tunis,  20  juin  1866. 

54  Ibid.  Pol.  n°  51.  Du  même  au  même.  Tunis,  24  juin  1866. 

Ibid.  Comm.  n°  27.  Du  même  au  même.  Tunis,  10  août  1866. 


194 


les  riches  de  la  ville,  qui  étaient  taxés  de  50  à  100.000  piastres®^.  Plus  que  jamais,  il 
recourait  aux  extorsions  de  fonds®^.  Le  Comptoir  d'Escompte  avançait  900.000  francs 
pour  le  paiement  du  coupon  de  juillet  (emprunt  de  1865)^7  ;  le  gouvernement  n'en  était 
pas  moins  en  état  de  faillite  :  en  juillet,  en  août  1866  les  paiements  de  la  dette  locale 
étaient  à  nouveau  suspendus.  Le  camp  de  Sidi  Ali,  sur  lequel  on  comptait  pour  ramener 
4  millions,  revenait  du  Djérid  avec  300.000  piastres;  il  échouait  devant  les  Khroumirs 
et  ne  pouvait  tirer  que  180.000  piastres  des  populations  du  pied  de  la  montagne^s.  Les 
maisons  les  plus  sérieuses  de  Tunis,  celles  qui  vivaient  de  l'exportation  des  huiles  et 
qui  traitaient  habituellement  pour  leur  fourniture  avec  le  gouvernement,  étaient  les 
plus  touchées  ;  Van  Gaver,  les  frères  Carcassonne  suspendaient  leurs  paiements  au 
début  d'août^^.  La  panique  financière  était  encore  aggravée  par  l'émission  en  grandes 
quantités  de  la  monnaie  de  cuivre  livrée  par  les  Erlanger  et  gardée  jusque  là  en  réserve. 
Les  commerçants,  furieux,  refusaient  cette  monnaie  qu'on  lançait  à  250%  de  sa  valeur 
réelle,  ou  ne  l'acceptaient  qu'à  moitié  prix^o.  Les  prix  montaient,  et  la  dépréciation  de  la 
monnaie  entraînant  la  fuite  des  grains  vers  l'Algérie,  le  pain  commençait  à  manquer  à 
Tunis.  Le  khaznadar  devait  envoyer  à  Malte,  au  début  de  septembre,  Moses  Levy  sujet 
anglaisée  acheter  du  blé  pour  le  compte  du  gouvernement.  Mais  l'aviso  Béchir  était 
mis  sous  séquestre  par  les  autorités  anglaises  de  Malte,  à  la  requête  de  négociants  qui 
réclamaient  du  bey  le  paiement  d'une  créance  de  300.000  francs^^  \g^  de  l'année,  la 
misère  était  affreuse  à  Tunis  ;  un  pain  se  vendait  une  piastre  trois  quarts  à  deux  piastres 
et  demie,  début  décembre,  la  livre  d'huile  cinq  piastres,  alors  que  l'ouvrier  tunisien  ne 
gagnait  le  plus  souvent  que  trois  piastres  en  cuivre  pour  sa  journée.  Cubisol  signalait 
que  des  malheureux  mouraient  de  faim  tous  les  jours  dans  les  rues  de  Tunis®^.  Le  consul 
d'Italie  parlait  de  faire  rapatrier  gratuitement  les  familles  siciliennes  tombées  dans  le 
dénuement^'^. 


55  Ibid.  Pol.  n°  53.  Du  même  au  même.  Tunis,  30  juin  1866. 

Les  consuls  étaient  aussitôt  assaillis  de  demandes  de  patentes  de  protection,  dont  faisaient  argent  certains 
consuls  ;  d'après  de  Bellecourt,  le  consulat  d'Espagne  vendait  ces  patentes  5.000  francs. 

56  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit 

57  Traité  Dahdah  -  Pinard  du  10  juillet  1866  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc  vol.  12.  Note  de  M.  Villet  contre  le 
khaznadar,  op.  cit). 

58  Arch.  Rés  Pol.  n°  68.  D.  de  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  21  août  1866. 

59  Arch.  Rome.  Confid.  Sans  n°  de  Pinna  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  6  août  1866.  -  Léopold  Van  Gaver  et 
Joseph  Carcassonne  étaient  les  deux  députés  de  la  Nation  pour  1866.  Sur  l'insistance  du  consul  de  France, 
le  gouvernement  du  bey  finit  par  leur  rembourser  quelques  fonds,  ce  qui  leur  permit  de  désintéresser 
partiellement  leurs  créanciers  et  d'éviter  la  faillite  (Ch.  Comm.  Arch.  Mod.  série  O.  N.  Doss.  Tunisie,  Van 
Gaver  au  président  de  la  Chambre.  Hyères,  4  octobre  1866,  et  Tunis,  8  février  1867). 

60  Le  gouvernement  légalisait  cette  pratique  en  décidant  d'abaisser  de  50%,  en  décembre,  la  valeur  nominale 
de  cette  monnaie,  après  avoir  écoulé  tous  ses  stocks  de  cuivre,  il  est  vrai. 

61  LEVY  (Moses,  fils  de  Juda),  courtier  juif  de  Tunis,  né  à  Sousse  vers  1825,  mort  à  Tunis  en  1890.  Enrichi,  à  la 
faveur  de  la  crise  financière  tunisienne,  par  des  spéculations  sur  les  bons  du  Trésor,  il  joua  un  grand  rôle  dans 
les  affaires  financières  delà  Régence  pendant  plus  de  vingt  ans.  Administrateur  de  la  première  conversion,  de 
1867  à  1869,  il  fut  élu  membre  du  Comité  de  contrôle  de  la  Commission  financière  internationale,  en  1869, 
puis  administrateur  des  revenus  concédés  par  le  bey  à  ses  créanciers,  depuis  1870  jusqu'à  la  suppression 
de  la  Commission,  en  1884.  Il  était  le  frère  de  Youssef  Levy,  le  négociant  de  Sousse  qui  fut  mêlé  à  l'affaire  de 
l'Enfida. 

62  Arch.  Rés.  Comm.  n°  44.  Tunis,  1®'  décembre  1866. 

63  Ibid.  Pol.  n°  94,  annexes  :  notes  du  3  décembre  1866,  par  Cubisol,  Gasselin  et  Summaripa,  employés  du 
consulat. 

Ibid.  Consulats  n°  32,  Tunis,  2  septembre  1866  ;  annexe  :  Note  d'Alékan,  agent  consulaire  à  Nabeul,  22  août 
1866. 

Ben  Dhiaf,  chap.  VIII,  année  1283. 

64  Arch.  Rome,  n°  105.  Pinna  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  4  décembre  1866. 


195 


Cependant,  le  khaznadar  revenait  toujours  à  ses  projets  d'emprunt.  Il  ne  cherchait 
pas  d'autre  remède  au  chaos  financier  dans  lequel  il  avait  entraîné  la  Régence®^.  Fin  août 
1866,  il  envoyait  le  général  Mussalli  à  Paris  avec  mission  de  contracter  un  emprunt  de 
100  millions  auprès  de  Mosselmann  et  Lefèvre...  ou  de  toute  autre  maison.  Les  deux 
compères  n'étaient  en  réalité  que  des  intermédiaires  en  quête  d'un  courtage.  La  London 
and  County  Bank  dont  ils  se  réclamaient  consentait  bien  à  ouvrir  ses  guichets  pour 
un  emprunt  tunisien  mais  elle  se  refusait  à  prendre  le  moindre  engagement  quant  au 
succès  de  l'opération.  Pressés  par  Mussalli,  Mosselmann  et  Lefèvre  devaient  avouer 
qu'ils  ne  disposaient  d'aucun  crédit  et  qu'ils  ne  pouvaient  pas  même  avancer  deux 
millions  et  demi  comptant^^.  Après  trois  semaines  de  vains  pourparlers,  il  fallut  rompre 
la  négociation.  Rothschild,  sollicité  de  nouveau,  se  déroba®^  et,  à  la  fin  de  septembre, 
Mussalli  ne  trouvait  d'autres  interlocuteurs  qu'Oppenheim  qui  proposait  22  millions,  et 
Planat^®,  un  député  d'affaires,  qui  offrait  30  millions  en  se  réclamant  de  la  maison  Fould. 
Mussalli  optait  pour  Planat  et  traitait  avec  lui,  le  5  octobre,  à  des  conditions  que  de  Lesseps 
lui-même  jugeait  «excessivement  lourdes®®».  Le  concessionnaire  assurait  le  gouvernement 
de  30  millions  en  espèces,  plus  50.000  obligations  de  son  propre  emprunt  ;  il  exigeait 
11.642.000  francs  par  an  pendant  trente  ans,  soit  349.260.000  francs  pour  les  intérêts 
et  l'amortissement.  Mais  le  traité  ne  fut  pas  ratifié  par  le  khaznadar.  Au  Bardo,  on  trouva 
que  les  annuités  étaient  trop  lourdes  ;  on  protesta  contre  cet  emprunt  à  300%.  Planat 
essaya  bien  de  prouver  qu'il  ne  prêtait  qu'à  15,5%,  intérêt  inférieur  à  celui  qu'assurait 
le  gouvernement  aux  obligataires  de  1863^0.  Peine  perdue  !  Le  Bardo  ne  se  perdait  pas 
dans  de  telles  subtilités,  et  Dahdah  poussait  le  khaznadar  à  revenir  à  ses  partenaires 
habituels,  Erlanger,  Pinard,  dont  une  avance  nouvelle  avait  permis  de  payer  le  coupon  de 
novembre  1866  (emprunt  de  1863).  A  la  fin  d'octobre,  les  négociations  étant  rompues 
avec  Planat  comme  avec  Oppenheim,  Mussalli  perdait  tout  espoir  de  conclure  le  grand 
emprunt  qu'il  avait  été  chargé  de  négocier. 

C'est  alors  qu'on  vit  accourir  à  Paris  Valensi,  Lumbroso  et  Santillana,  bientôt 
suivis  de  Guttieres^i.  Le  caïd  Nessim  Samama  sortait  de  sa  retraite  parisienne  pour 
offrir,  lui  aussi,  ses  bons  offices.  Avec  Dahdah,  c'étaient  maintenant  cinq  courtiers 
juifs  que  le  khaznadar  entretenait  à  Paris  pour  seconder  Mussalli  dans  son  entreprise 


65  Le  khaznadar^  avec  prudence,  s'était  fait  dégager  de  la  responsabilité  des  Finances,  érigées  en  département 
autonome.  En  juin  1866,  un  ministre  était  nommé,  Aziz  bou  Attour,  précédemment  directeur  des  Finances 
sous  l'autorité  du  khaznadar.  Mustapha  obtenait  quitus  du  bey  pour  tous  ses  comptes  antérieurs. 

66  Arch.  Rés.  Fol.  n°  69.  D.  de  Bellecourtà  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  23  août  1866. 

Arch.  Tun.  Doss.  30,  carton  87.  Lettre  de  Lesseps  au  premier  ministre.  Paris,  19  septembre  1866. 

67  Ibid.  Doss.  294,  carton  III.  Tél.  de  Mussalli  au  premier  ministre.  Paris,  12  octobre  1866. 

68  PLANAT  (Oscar-Abel),  homme  politique  français,  né  à  Limoges,  le  14  mai  1825,  mort  à  Cognac,  le  8  novembre 
1889.  Avocat  à  Paris,  il  reprit  ensuite  la  maison  de  commerce  paternelle  à  Cognac.  En  1863,  il  fut  élu,  comme 
opposant,  député  de  la  Charente,  siégea  au  Tiers  parti  et  fut  réélu  en  1869  (Vapereau  :  Dictionnaire  universel 
des  contemporains.  Paris,  1880,  p.l459,  et  1893,  p.  1258). 

69  Arch.  Tun.  Doss.  294,  carton  111.  Lettre  de  Lesseps  au  premier  ministre.  Paris,  26  septembre  1866 

70  Ibid.  Doss.  294,  carton  Hl  Tél.  de  Mussalli  au  premier  ministre.  Paris,  28  septembre  1866. 

Réponse  adressée  au  général  Elias  Mussalli  négociateur  d'un  emprunt  à  Paris  sur  le  refus  d'adhésion  par  le 
gouvernement  tunisien  au  projet  d'emprunt  signé  par  le  général  et  M.  Planat  député  au  Corps  Législatif  du  4 
novembre  1866,  imprimé  qui  se  trouve  dans  les  archives  Italiennes,  dossier  Tunis. 

71  Arch.  Tun.  Dos.  333,  carton  113  :  tél.  collectifs  de  Mussalli,  Valensi,  Lumbroso,  Santillana,  Guttieres,  Samama 
au  khaznadar,  octobre  1866.  F.  0.102/17.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  13  octobre  1866.  Wood  informait  le  ministre 
qu'il  avait  accordé  à  Santillana  un  congé  de  quelques  semaines  pour  accomplir  sa  mission  ;  mais  Stanley 
n'approuvait  pas  cette  initiative.  «I  do  not  quite  like  that»,  écrivait  le  ministre.  «I  think  the  utmost  should  be 
said  is  that  although  his  compliance  with  the  Bey's  request,  is  not  disapproved  under  the  circumstances  ;  H.M's 
Government  hâve  no  desire  to  be  mixed  up  with  the  financial  difficulties  of  the  Bey»  (Note  du  23  octobre 
1866). 


196 


désespérée.  De  Lesseps  et  Mussalli  devaient  tenir  des  assemblées  plénières  en 
l'hôtel  de  la  mission  tunisienne,  pour  coordonner  les  efforts  de  ces  inquiétants 
collaborateurs. 

Mussalli  mendiait  en  vain  des  prêts  à  court  terme  de  quelques  millions,  voire  de 
quelques  centaines  de  milliers  de  francs.  Ses  acolytes  s'employaient  à  brocanter  en 
détail  des  bons  du  Trésor,  en  offrant  au  besoin  quelques  brevets  du  Nichan  Iftikhar.  Le 
papier  tunisien,  bien  vite  déprécié,  ne  trouvait  preneur  qu'à  des  conditions  dérisoires^^ 
De  son  côté,  le  khaznadar  abusait  des  traites  sur  ses  mandataires  de  Paris.  A  la  fin  de 
1866,  le  crédit  tunisien  paraissait  complètement  épuisé  ;  les  bons  du  Trésor  n'étaient 
pas  remboursés,  les  traites  restaient  impayées,  et  les  démarcheurs  tunisiens  n'arrivaient 
plus  à  placer  le  mauvais  papier  qu'on  les  avait  chargés  de  négocier. 

Le  l‘=>'  janvier  1867,  Mussalli  obtenait  cependant,  par  l'entremise  de  Dahdah, 
quelques  semaines  de  répit  pour  le  Trésor  tunisien,  grâce  à  une  nouvelle  avance 
consentie  par  Pinard,  en  attendant  le  grand  emprunt  qu'on  se  décidait  enfin  à  conclure 
avec  Erlanger.  Le  janvier,  les  trois  petits  emprunts  précédemment  consentis  par  le 
Comptoir  d'Escompte  étaient  reportés  «dans  un  quatrième,  sous  forme  d'escompte  de 
teskérés  représentant  une  somme  nominale  de  9  millions  (moins  de  5  millions  effectifs) 
et  garantis  par  les  revenus  du  Beylick  et  les  23.831  obligations  de  1863  restant»^^ 
Pinard,  d'ailleurs,  ne  tenait  pas  à  courir  seul  les  risques  d'une  opération  que  garantissait 
cependant  la  reprise  éventuelle  des  23.831  obligations  (d'une  valeur  nominale  de 
11.915.000  francs).  11  forma  un  syndicat,  avec  Dahdah  tout  le  premier  -  Dahdah  qui 
prêtait  au  bey  au  nom  duquel  il  empruntait  -  et  une  dizaine  de  gros  banquiers,  israélites 
pour  la  plupart,  Fould,  Bamberger,  Bischoffsheim,  Edmond  Adam,  G.  Martini,  Hermann 
Oppenheim,  Lévy-Crémieux,  Dutfoy,  Trivulzi-Hollander,  Bischoffsheim-et-Hirsch^"*  Cet 
emprunt  permettait  de  solder  le  coupon  de  janvier. 

Le  9  février  1867,  un  contrat  fut  signé  avec  Erlanger  pour  un  nouvel  emprunt  de  cent 
millions,  remboursable  en  trente  ans,  dont  la  moitié  servirait  à  racheter  les  obligations 
de  1863  et  1865.  La  banque  avançait  4  millions  avant  l'émission,  contre  livraison  de 
25.000  des  obligations  à  émettre  ;  le  gouvernement  affectait  en  garantie  les  revenus  des 
dîmes  sur  les  céréales  estimés  2,5  millions,  celui  des  octrois  et  des  impôts  affermés,  soit  5 
millions,  tous  les  droits  de  sortie  soit  2,5  millions,  enfin  toutes  les  sommes  restant  libres 
sur  les  impôts  affectés  à  l'emprunt  de  1863^®.  En  avril  et  mai  1867,  la  presse  financière 
française^®  annonçait  le  lancement  d'un  emprunt  de  200.000  obligations  tunisiennes 
émises  à  315  francs  et  portant  un  intérêt  annuel  de  35  francs,  soit  de  plus  de  10%.  Mais, 
en  dépit  de  ces  alléchantes  propositions,  le  public  bouda  l'émission.  11  fallut  la  clore,  le 
11  mai,  après  un  échec  total  :  11.033  obligations  seulement  avaient  été  souscrites,  sur  un 
total  de  200.000.  Les  Erlanger  n'avaient  pas  même  ramassé  les  4  millions  qu'ils  avaient 
avancés  au  khaznadar.  Ils  rendirent  le  gouvernement  du  bey  responsable  de  cet  échec. 


72  A  45%,  bientôt  30  et  même  25%  (Arch.  Tun.  Doss.  294,  carton  lH,  passim). 

73  «Le  contrat  ne  fixait  pas  le  taux  d'escompte  qui  a  été  établi  plus  tard  à  62%  tandis  que  Pinard  avait  réellement 
placé  les  teskérés  à  72%.  Cette  différence  a  constitué  en  faveur  de  ce  dernier  une  commission  de  13,35%  - 
soit  900.000  Fr.  -  à  laquelle  il  faut  encore  ajouter  90.000  Fr.  (1%)  destiné  (sic),  en  dehors  de  toute  convention, 
au  même  Dahdah  comme  intermédiaire»  (Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit). 

Les  23.831  obligations  de  1863  dont  il  s'agit  correspondaient  aux  25.000  titres  déposés  18  mois  plus  tôt 
chez  Erlanger  et  réduits  par  les  tirages  au  sort  semestriels. 

74  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes  :  Rapport  aux  obligataires,  30  mars  1868. 

75  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  de  1868  et  passim. 

76  Journal  des  Actionnaires,  Semaine  financière.  Epargne,  etc. 


197 


en  lui  reprochant  d'avoir  aliéné  les  droits  de  sortie  des  huiles  au  profit  de  créanciers 
tunisiens^^  et  d'avoir  ainsi  découragé  les  souscripteurs  éventuels. 

L'échec  du  grand  emprunt  allait  mettre  fin  à  l'inextricable  succession  des 
combinaisons  financières  dans  lesquelles  se  perdait  le  gouvernement  beylical  depuis 
cinq  ans.  Le  khaznadar  devait  renoncer  à  reculer  toujours  ses  échéances  par  de  nouveaux 
appels  au  crédit.  Le  paiement  du  coupon  de  juillet  1867  (emprunt  de  1865]  resta  en 
suspens  ;  celui  de  novembre  1867  (emprunt  de  1863]  ne  put  être  soldé,  non  plus  que 
celui  de  janvier  1868.  il  fallait  trouver  d'autres  solutions.  Déjà,  Pinard  traduisait  le 
gouvernement  du  bey  devant  le  tribunal  civil  de  la  Seine  pour  non-exécution  des  clauses 
de  l'emprunt  de  9  millions  de  janvier  1867  (audience  du  23  août  1867]^*.  Les  financiers 
qui  avaient  montré  tant  d'indulgence  pour  les  étranges  procédés  du  khaznadar,  lorsqu'il 
s'agissait  de  l'argent  du  public,  se  révélaient  beaucoup  moins  compréhensifs  dès  que 
leurs  intérêts  personnels  étaient  mis  en  cause. 

Tous  les  fléaux  s'abattaient  successivement  sur  la  malheureuse  Tunisie,  la 
banqueroute  financière,  les  mauvaises  récoltes,  les  épizooties,  la  disette,  avec  leur 
cortège  d'épidémies  et  de  désordre.  La  récolte  de  1867  s'avérait  catastrophique  :  les 
pays  céréaliers  du  nord  étaient  les  plus  touchés  ;  des  troubles  dûs  à  la  grande  misère, 
des  pillages  de  greniers  se  produisirent  autour  du  Kef,  de  Béja  et  dans  toute  la  vallée 
de  la  Medjerda.  Les  tribus  nomades  s'agitaient  :  en  mai  1867,  on  se  battait  entre  Sfax  et 
Kairouan.  Le  mécontentement  était  aussi  général  que  la  misère  et  l'on  pouvait  se  croire 
à  la  veille  d'une  grave  insurrection  comme  celle  de  1864.  Le  khaznadar  confiait  alors  le 
commandement  du  camp  au  général  Zarrouk^®.  Au  début  de  juin,  le  choléra  prenait  un 
caractère  d'épidémie  à  Sousse,  oû  il  enlevait  300  personnes  en  moins  de  quinze  jours®^. 
il  se  répandait  dans  tout  le  Sahel,  gagnait  Tunis  oû,  vers  la  mi-juillet,  tandis  que  la 
température  atteignait  des  records  de  chaleur,  il  tuait  quelque  150  indigènes  par  jour.  Le 
17,  on  dénombrait  plus  de  350  morts^i.  L'épidémie  s'apaisait  ensuite  pour  cesser  dans 
la  deuxième  moitié  d'août  ;  en  deux  mois  et  demi,  elle  avait  emporté  5.000  personnes 
environ  à  Tunis,  18  à  20.000  dans  le  reste  de  la  Régence®^. 

À  l'automne,  la  disette  devenait  famine*^^  et  les  désordres  rébellion.  Le  camp  se 
faisait  battre  par  les  montagnards  et  le  plus  jeune  frère  du  bey,  El  Adel,  quittait,  le  14 
septembre,  son  palais  de  La  Marsa  pour  aller  se  mettre  à  leur  tête.  Inquiet,  le  khaznadar 


77  Différend  entre  Schmidt  et  les  commissaires  de  la  1^^^®  conversion  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  Vol  12.  Mémoire 
des  commissaires,  2  mars  1868). 

78  Pinard  demandait  à  être  mis  en  possession-séquestre  des  revenus  des  douanes  tunisiennes,  de  ceux  des 
oliviers  et  du  beylick.  Mais  le  séquestre  fut  rejeté  du  fait  que  la  Régence  était  un  pays  étranger  et  non  soumis 
à  la  juridiction  du  tribunal  (Journal  des  Actionnaires,  14  septembre  1867). 

79  Arch.  Rés.  Rapports  des  agents  consulaires  au  Kef,  à  Sousse,  Monastir  et  Sfax,  des  10  et  11  mai  1867,  et  dép. 
pol.  n°  22.  de  D.  de  Bellecourt  à  Dr.  de  Lhuys.  Tunis,  12  mai  1867. 

80  Le  consul  d'Italie  signalait,  chez  les  Européens,  «una  grandissima  emigrazione»,  le  délégué  consulaire  italien 
étant  le  premier  à  s'enfuir.  Le  vice-consul  français  Espina  était  enlevé  par  l'épidémie  (Arch.  Rome.  Personale 
n°  143.  Pinna  à  Di  Campello.  Tunis,  18  juin  1867). 

81  300  Indigènes  environ,  36  Juifs  et  16  Européens  (Ibid.  n°  150.  Tunis,  30  juillet  1867). 

82  Arch.  Rés.  Consulats  n°  12.  Tunis,  29  août  1867 

83  «Des  bandes  d'Arabes...  parcourent  [le  pays],  cherchant  à  manger  pour  eux  et  pour  leurs  troupeaux.  Les 
brebis  pleines  à  cette  époque  et  qui,  d'ordinaire,  valent  de  25  à  30  piastres,  sont  en  vain  offertes  à  7  ou  8 
piastres.  La  récolte  d'huile  manque  en  entier,  celle  des  grains  a  à  peine  couvert  les  semailles,  la  sécheresse, 
l'épidémie  ont  broché  sur  le  tout»  (Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  23.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  6  septembre 
1867).  Le  13  septembre,  de  Botmiliau  signalait  qu'on  avait  trouvé  dans  Tunis  trois  Arabes  morts  de  faim,  la 
bouche  encore  pleine  d'herbe.  Le  khaznadar  se  serait  borné  à  dire  ;  «C'était  la  volonté  d'Allah».  (Ibid.  Dép. 
pol.  n°  27.  Du  même  au  même.  Tunis,  13  septembre  1867). 


198 


dénonçait  au  bey  un  complot  contre  sa  personne.  Le  5  octobre,  les  généraux  Réchid  et 
Ismaïl  es  Sunni®^  étaient  pris  chez  eux  à  l'improviste,  emmenés  au  Bardo  et  étranglés  sans 
autre  forme  de  procès.  Le  khaznadar  s'emparait  aussitôt  de  leurs  biens.  El  Adel  venait  se 
rendre  peu  après  ;  condamné  à  la  détention  perpétuelle  au  Bardo,  il  y  mourut,  un  mois 
plus  tard,  «d'une  fièvre  rhumatismale  contractée  en  s'exposant  imprudemment  dans 
les  montagnes  de  Béja®^».  Son  conseiller  Mahmoud  Djellouli,  son  secrétaire  avaient  été 
décapités  et  les  deux  têtes  envoyées  au  Bardo.  L'année  1868  s'ouvrait  par  une  épidémie 
de  typhus  qui  enlevait  les  habitants  par  centaines.  Si  les  récoltes  s'annonçaient  meilleures 
qu'en  1867,  des  épizooties  décimaient  les  troupeaux  ;  les  nomades  qui  n'avaient  plus 
d'autres  ressources  que  la  vente  des  peaux  de  leur  bétail  refluaient  vers  les  villes  où  ils 
mouraient  de  froid  et  de  misère®^. 

A  la  fin  de  1867,  le  consul  de  Botmiliau®^  ne  voyait  plus  d'autre  solution  qu'une 
occupation  de  la  Tunisie  par  la  France,  annexion  définitive  à  l'Algérie  ou  occupation 
temporaire  à  titre  de  gage*®.  Le  bey  était  tombé  complètement  sous  l'influence  du 
khaznadar  et  il  n'y  avait  rien  à  espérer  d'un  changement  de  souverain,  les  frères  de 
Mohammed  es  Sadok  étant  «absolument  étrangers  aux  affaires,  comme  incapables  de 
les  comprendre,  tous  livrés  à  des  vices  honteux®®».  Le  2  décembre,  le  consul  revenait 
sur  «l'incapacité  du  bey,  l'avidité  du  khaznadar,  le  défaut  absolu  de  patriotisme  chez 
tous  les  hommes  appelés  à  prendre  part  aux  affaires,  les  mœurs  de  la  race  arabe,  son 
inaptitude  au  travail,  ses  habitudes  de  fausseté,  de  mensonge,  de  corruption,  par  dessus 
tout  le  désordre  profond  qui,  en  toutes  choses  existe  ici  et  auquel  il  serait  si  difficile 
de  porter  remède®®».  Mais,  à,  la  fin  de  1867,  le  quai  d'Orsay  avait  d'autres  soucis  que 
celui  d'occuper  la  Régence.  Un  projet  d'intervention  discuté  en  Conseil  des  Ministres 
fut  tout  aussitôt  abandonné.  On  laissa  le  consul  se  débattre  avec  les  difficultés  locales, 
tandis  qu'à  Paris  comme  à  Tunis,  on  cherchait  des  solutions  nouvelles  aux  problèmes 
financiers  tunisiens. 

3  -  Les  conversions  locales 

C'est  dans  cette  situation  presque  désespérée  que  les  créanciers  locaux  du  bey 
cherchaient  le  moyen  de  recouvrer  une  partie  au  moins  de  leurs  avances. 

La  dette  locale  qui,  à  la  fin  de  1866,  pouvait  s'élever  à  une  cinquantaine  de  millions 
était  formée  d'une  multitude  de  papiers  impayés  dont  l'origine  était  très  diverse,  mais 


84  Les  généraux  Réchid,  ancien  ministre  de  la  Guerre  et  ancien  commandant  au  contingent  tunisien  pendant  la 
guerre  de  Crimée,  et  Ismaïl  es  Sunni,  beau-frère  du  bey  et  ancien  garde  des  Sceaux  étaient  deux  mamelouks 
en  disgrâce  depuis  la  révolution  de  1864.  Selon  Pinna,  de  Botmiliau  et  Ben  Dhiaf,  ils  auraient  soutenu 
l'entreprise  d'El  Adel. 

85  Broadley  :  Last  Punie  war,  vol.  I,  p.  143. 

86  Ben  Dhiaf,  chap.  VII,  année  1283. 

87  BOTMILIAU  (Adolphe-François,  vicomte  de),  né  à  Guingamp,  le  13  juillet  1817,  élève-consul,  17  février  1840  ; 
à  Lima,  14  septembre  1840  ;  consul  à  Valdivia  ;  mis  en  inactivité,  8  mai  1848  ;  chevalier  de  la  Légion  d’honneur, 
29  novembre  1849  ;  consul  à  lassy,  23  février  1850  ;  à  Jérusalem.  28  juin  1852  ;  consul  de  classe,  28  juillet 
1852,  à  Elseneur,  5  février  1853,  à  Veracruz,  30  janvier  1856,  consul  général  et  chargé  d'affaires  à  Guatemala, 
14  février  1857,  à  Belgrade,  10  octobre  1862,  officier  de  la  Légion  d’honneur,  14  août  1863;  consul  général  et 
chargé  d’affaires  à  Tunis,  9  mars  1867,  admis  à  la  retraite  14  juin  1873  (Fichier  A.  E.). 

88  Arch.  Rés.  Dép.  Pol.  no  57.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  12  novembre  1867. 

Depuis  le  milieu  d’août,  de  Botmiliau  suggérait  une  intervention  française,  en  termes  plus  voilés.  Son  collègue 
Pinna  proposait  une  intervention  collective  des  puissances  et  la  désignation  de  commissaires  chargés  de 
réorganiser  les  finances  beylicales  (Arch.  Rome.  Dép.  du  1®*^  octobre  1867). 

89  Ali,  bey  du  camp,  Taïeb  et  Tahar  (Ibid,  même  dépêche). 

90  Ibid.  Dép.  pol.  n°  63.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  2  décembre  1867. 


199 


que  l'on  pouvait  grouper  en  deux  catégories  principales,  bons  du  Trésor  et  assignations 
en  nature,  que  l'on  désignait  sous  le  même  vocable  de  teskérés.  Les  bons  du  Trésor 
étaient  les  plus  nombreux  ;  les  uns  correspondaient  au  paiement  de  dépenses  courantes, 
travaux  ou  salaires  ;  les  autres  étaient  la  reconnaissance  de  dettes  contractées  par  le 
gouvernement  auprès  du  commerce  local.  Repoussés  d'échéance  en  échéance  par  suite 
de  la  pénurie  du  Trésor,  ces  bons  avaient  été  renouvelés  plusieurs  fois,  grossis  d'intérêts 
à  10  ou  12%.  La  plupart  des  détenteurs  primitifs  avaient  dû  s'en  défaire  à  bas  prix 
auprès  de  courtiers  qui  vivaient  de  ce  trafic.  Certains  teskérés  ne  trouvaient  preneur  qu'à 
10  ou  15%  de  leur  valeur  nominale.  Aussi,  les  habiles,  spéculant  sur  cet  état  de  choses, 
acceptaient-ils  sans  hésiter  le  mauvais  papier  dont  les  payait  le  gouvernement,  quitte  à 
faire  majorer  la  somme  par  un  employé  complaisant  et  à  brocanter  cette  traite  au  rabais, 
pour  retrouver  l'essentiel  de  leur  créance. 

il  y  avait  donc,  sur  la  place  de  Tunis,  beaucoup  de  créances  de  mauvais  aloi.  Mais 
l'origine  en  était  malaisée  à  retrouver,  les  bons  au  porteur  ayant  circulé  de  portefeuille 
en  portefeuille  pour  revenir  aux  courtiers  les  plus  solides  dont  les  réserves  leur 
permettaient  d'attendre.  Une  douzaine  de  maisons  et  de  familles  juives  de  Tunis 
devaient  détenir  la  moitié  des  bons  ou  des  traites  impayées,  les  Guttieres,  les  Lumbroso, 
Isacco  Cesana,  Daniele  Moreno,  Pinhas  Errera,  Isacco  Paz,  les  Fiorentino,  les  Forti,  sujets 
italiens  ;  Abeasis,  Azuelos,  De  Montes,  Levy,  Santillana,  sujets  ou  protégés  britanniques. 
Ces  courtiers  qu'unissaient  étroitement  des  liens  familiaux  et  des  associations  d'argent, 
en  dépit  des  nationalités  diverses  qu'ils  avaient  adoptées,  appartenaient  tous  à  cette 
caste  des  Juifs  livournais  dont  l'enrichissement  avait  été  si  rapide  depuis  que,  à  la  faveur 
du  désordre  financier,  avec  Nessim,  Dahdah  et  autres  Erlanger,  Juifs  et  Levantins  géraient 
en  maîtres  les  affaires  de  la  Régence 

Les  véritables  commerçants.  Français  ou  Génois  pour  la  plupart,  détenaient 
des  teskérés  d'huile  ou  de  céréales.  Ces  bons  correspondaient  à  une  avance  faite  au 
gouvernement  avant  la  récolte,  à  un  achat  régulier  de  produits  livrables  quelques  mois 
plus  tard.  Quelques-uns,  par  exception,  avaient  suivi  le  sort  des  bons  du  Trésor,  échoué 
dans  les  mains  des  courtiers  :  les  exportateurs  tenaient  à  obtenir  de  l'huile  ou  du  blé 
qu'ils  dirigeaient  sur  Marseille  ou  sur  Gênes,  plutôt  qu'à  se  perdre  dans  les  opérations 
de  courtage  ou  d'agiotage.  Au  1®''  août  1867,  Van  Gaver  estimait  à  4  millions  de  francs 
l'ensemble  des  créances  françaises,  dont  près  de  3  millions  pour  les  six  plus  grosses 
maisons^i. 

Les  paiements  étaient  interrompus  sur  la  place  depuis  six  mois,  que  le  gouvernement 
assurait  encore  l'échéance  des  coupons  à  l'extérieur.  Furieux  d'être  si  mal  partagés, 
les  négociants  de  Tunis  se  concertèrent  pour  obtenir  un  arrangement  à  l'amiable  avec 
le  Bardo.  Le  courtier  Guttieres  qui  avait  l'oreille  du  khaznadar  négocia  avec  lui  une 
conversion  des  créances  locales,  contre  remise  effective  de  revenus  qu'administrerait  un 
syndicat  de  créanciers.  Le  khaznadar  accepta  aisément  une  transaction  qui  ne  lui  coûtait 
guère  et  qui  présentait  pour  lui  l'avantage  de  diviser  ses  créanciers.  Les  principaux 
négociants  français  n'acceptaient  pas,  en  effet,  de  voir  assimiler  leurs  créances  au  papier 
ramassé  à  bas  prix,  place  de  la  Marine.  Si  trois  d'entre  eux  s'y  résignaient,  Rousseau, 


91  Van  Gaver  (850.000  Fr),  Emilien  Rousseau  et  Fils  (650.000  Fr),  Coriat  et  Cie  (575.000  Fr),  Carcassonne  aîné 
(487.000  Fr),  Chapelié  (300.000  Fr),  Félix  Monge  (100.000  Fr). 

Arch.  Rés.  Deux  lettres  de  Van  Gaver,  député  de  la  Nation  française,  du  1er  août  1867  transmises  en  annexe 
à  dép.  pol.  n°  n.  Tunis,  6  août  1867. 


200 


Carcassonne  et  le  courtier  juif  Foâ,  les  quinze  autres  se  tenaient  à  l'écart®^.  Au  consulat 
de  France,  de  Bellecourt,  puis  de  Botmiliau®^  prenaient  position  contre  la  conversion 
et  conseillaient  à  Rousseau  et  à  Foâ  de  se  retirer  du  syndicat  de  négociants  que  l'on 
formait.  Wood,  au  contraire,  encourageait  une  opération  à  laquelle  participaient  son 
interprète  Santillana  et  la  famille  Levy  qui  lui  était  dévouée  ;  avec  plus  de  réserve,  Pinna 
faisait  de  même®^. 

Un  premier  contrat  était  signé,  le  2  mars  1867,  prévoyant  la  conversion  de  8  millions 
de  piastres  en  teskérés  contre  1.020  obligations  de  5.000  francs  payables  au  porteur 
et  portant  intérêt  à  12%.  Le  gouvernement  remettait  à  une  commission  de  créanciers 
les  teskérés  de  sortie  d'huile  dont  celle-ci  obtenait  le  privilège  de  vente  exclusiU^.  Deux 
autres  contrats  venaient  ensuite,  le  17  mars  et  le  8  avril,  qui  formèrent  avec  le  premier 
une  conversion  unique  de  12  millions  en  24.000  obligations  remboursables  par  tirage 
en  3,  5,  7  et  9  ans.  Les  négociants  français  s'étaient  retirés,  à  l'exception  de  quelques 
courtiers  Israélites  protégés  français,  et  la  commission  n'était  plus  composée  que  de  deux 
Anglais,  Santillana  et  Levy,  et  deux  Italiens,  Cesana  et  Peluffo,  auxquels  on  avait  adjoint 
le  négociateur  Guttieres.  Le  gouvernement  du  bey  remettait  des  permis  d'exportation 
d'huile,  de  laine,  dattes  et  savon  pour  43  millions  de  piastres  ou  27  millions  de  francs 
contre  12  millions  de  francs  en  obligations  échues  ;  il  s'interdisaitl'émission  de  nouveaux 
permis  d'exportation  pour  ces  articles  jusqu'à  la  liquidation  totale  des  12  millions  et 
de  leurs  intérêts  ;  il  promettait  de  parfaire  la  somme,  le  cas  échéant.  D'accord  avec  les 
négociants,  le  gouvernement  avait  pu  doubler  le  prix  des  permis  d'exportation  d'huile  et 
créer  des  droits  nouveaux  sur  les  laines,  les  peaux  et  les  dattes®®. 

La  conversion  devait  réussir  parfaitement  :  les  commissaires  qui  s'étaient  nantis 
de  garanties  solides,  perçurent  sans  difficultés  le  prix  des  teskérés  qu'ils  avaient  reçus, 
ils  pouvaient  compter,  au  bout  de  quelques  années,  sur  un  remboursement  plus  rapide 
qu'il  n'avait  été  prévu.  Les  exportateurs  étaient  seuls  à  être  lésés  par  l'élévation  des 
droits  de  sortie®^. 

Le  succès  de  la  première  conversion  devait  inciter  les  négociants  à  en  conclure  de 
nouvelles  ;  le  1“  août,  on  traitait  pour  10  millions  garantis  dans  les  mêmes  conditions, 
par  le  canoun  des  oliviers  (engagé  pourtant  aux  obligataires  de  1865)  et  tous  les 
droits  de  sortie  à  l'exception  de  ceux  qui  pesaient  sur  les  huiles,  le  savon  et  les  dattes. 
Quelques  Français  participaient  à  cette  opération,  dont  les  commissaires  étaient  les 
Italiens  Paz  et  Traverse,  les  Français  Chapelié  et  Garsin,  les  Anglais  Samama  et  Pisani, 
chancelier  du  consulat  britannique®*.  Une  troisième  conversion,  conclue  le  1'=''  septembre 
pour  10  millions,  échoua  faute  de  souscription  suffisante  (5  à  6  millions  seulement, 
selon  Botmiliau)®®.  il  fallut  attendre  le  1“  janvier  1868  pour  réaliser  la  quatrième  et 
dernière  opération,  de  8  millions  seulement,  que  garantissaient  notamment  les  droits 
d'exportation  sur  les  chéchias,  les  tissus  de  laine  et  d'écorce^®®. 


92  Arch.  Rés.  Dép.  Contentieux.  Tunis,  2  mars  1867. 

93  Duchesne  de  Bellecourt  était  nommé  à  Batavia  et  remplacé  à  Tunis,  le  29  juin  1867,  par  de  Botmiliau. 

94  F.  0.102/79.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  7  et  23  mars  1867. 

Arch.  Rome.  Dép.  de  Pinna.  Tunis,  5  et  19  mars  1867. 

95  Arch.  Rés.  Contentieux.  Tunis,  2  mars  1867 

96  A.  E.  Mém.  et  Doc.  Vol.  12  Mémoire  des  commissaires  des  différentes  conversions  de  la  Dette  flottante, 
2  mars  1868. 

97  Arch.  Rés.  Commerce  n°  15.  Tunis,  10  septembre  1867,  d’après  rapport  de  Van  Gaver. 

98  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  sur  les  affaires  financières  de  la  Régence  (janvier  ou  février  1868). 

99  Arch.  Rés.  Fol.  n°38  Tunis.  19  décembre  1867. 

100  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  sur  les  affaires  financières  de  la  Régence  (janvier  ou  février  1868). 


201 


Les  négociants  italiens  avaient  été  les  plus  empressés  à  participer  aux  conversions. 
L'état  des  créanciers  italiens  envers  le  gouvernement  tunisien  que  faisait  dresser  le  consul 
Pinna  à  l'intention  de  son  ministre,  en  juillet  1868^°^,  établissait  une  participation  totale  de 
19.473.174,76  francs^^^.  Avec  la  dette  flottante,  on  arrivait  à  une  créance  italienne  totale 
de  25.972.474,86  francs.  L'état  des  créanciers  anglais,  établi  par  le  consulat  britannique, 
relevait  un  total  de  12.150.175  francs^o^  investis,  à  l'exception  d'un  million  environ,  dans 
les  conversions.  La  participation  française,  en  revanche,  était  beaucoup  plus  modeste  :  sur 
un  total  de  36  millions  de  souscription,  elle  ne  devait  vraisemblablement  pas  atteindre  4 
millionsio'^.  L'opération  se  révélait  profitable  pour  un  petit  nombre  de  courtiers  juifs  qui 
avaientconverti  à  leurvaleur  nominale  des  bons  ramassés  pour  rien  sur  la  place  de  Tunis^^^. 
Tandis  que  ceux-ci  assuraient  leurs  millions  sans  autre  contrôle  que  le  leur  propre^o®,  les 
ouvriers  italiens  et  maltais,  les  seuls  Européens  véritables,  devaient  échanger  le  papier 
dont  le  gouvernement  avait  payé  leurs  services  aux  mêmes  conditions  que  les  créances 
véreuses  des  courtiersi^^.  Quinze  maisons  seulement  totalisaient  80%  de  la  participation 
italo-anglaise  dans  les  conversions  ;  les  onze  plus  grosses  en  représentaient,  à  elles  seules, 
70%  :  les  Guttieres  (3.036.086,15  Fr),  les  Lumbroso  (1.606.419,62  Fr),  Isacco  Cesana 
(1.521.538,33  Fr),  Daniele  Moreno  (929.967,64  Fr),  Pinhas  Errera  (815.172,34  Fr),  les 
frères  Traverse  (pour  leur  compte  et  celui  d'autres  négociants,  6.323.614,88  Fr)  ;  chez 
les  Anglais,  Moses  Levy,  Moses  Santillana,  Azuelos,  Abeasis  (ensemble  ou  séparément, 
5.825.000  Fr),  la  maison  De  Montes  et  Cie  (1.500.000  Fr)io8, 

Parmi  les  Italiens,  les  quatre  Guttieres  venaient  au  premier  plan  ;  le  chef  de  la 
famille,  Giacomo,  un  courtier  de  quarante-cinq  ans,  jouissait  d'une  autorité  reconnue 


Egalement  Arch.  Rome.  Dép.  Confid.  N°137  de  Pinna.  Tunis  26  avril  1869.  Les  administrateurs  de  cette 
conversion  étaient  lAutrichien  Achille  Bogo,  confident  du  bey,  Paolo  Cassanello  et  Giovanni  Vignale, 
négociants  italiens,  Félix  Monge  et  Léopold  Van  Gaver,  Français,  l'Espagnol  De  Montes. 

101  Arch.  Rome  :  Etat  des  créanciers  italiens  ...envoyé,  de  Tunis  le  21  juillet  1868.  Cet  état  avait  été  dressé 
d'après  des  chiffres  fournis  par  les  administrateurs  italiens  des  conversions. 

102  Dont  6.443.762,57  Fr.  pour  la  1^'^  conversion  et  8.830.466  pour  la  2^”*^. 

103  F.  0.102/114.  Wood  à  Lyons.  Tunis,  20  juin  1868. 

104  Nous  n'avons  retrouvé  ni  dans  les  archives  de  la  Résidence  ni  dans  celles  du  Quai  d'Orsay,  de  liste  comparable 
aux  états  nominatifs  dressés  par  Wood  et  par  Pinna.  A  côté  des  sujets  italiens  et  britanniques  qui  figuraient 
dans  les  conversions  pour  30.600.000  Fr.  et  en  dehors  des  Français,  il  faut  faire  place,  en  effet,  aux  Tunisiens 
et  aux  représentants  des  diverses  nationalités  européennes,  Autrichiens  comme  Bogo,  ou  Espagnols.  Les 
créances  austro-hongroises  de  toutes  catégories  s'élevaient  à  2.500.000  Fr.  environ  (F.  0.102/119.  Appony 
à  Clarendon.  Londres,  16  novembre  1869). 

Les  chiffres  mêmes  fournis  par  les  consulats  d'Angleterre  et  d'Italie  restent  sujets  à  caution  du  fait  qu'un 
certain  nombre  de  négociants  n'étaient  que  les  prête-noms  de  fonctionnaires  tunisiens,  en  échange  de 
commissions  de  10  à  15%  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  de  1869). 

105  «Les  titres  n'ont  pas  coûté  aux  porteurs  plus  de  20  Fr.  pour  100  Fr.  Cette  moyenne  est  même  loin  d'avoir  été 
atteinte,  car  la  majeure  partie  des  titres  émis  pour  les  deux  dernières  conversions  n'a  pas  été  payée  plus  de 
10  Fr.  pour  100  Fr.  On  est  même  descendu  à  5  Fr.  pour  100  Fr.  Il  est  de  notoriété  publique,  à  Tunis,  que  les 
conversions  ont  donné  lieu  à  des  trafics  scandaleux»  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  sur  les  affaires 
financières  de  la  Régence.  Janvier  ou  février  1868). 

106  Les  commissaires  des  conversions  étaient  généralement  les  plus  gros  conversionnistes. 

107  Sur  un  montant  total  d'environ  30.600.000  francs  de  créances  converties  par  les  Italiens  et  les  Anglo-maltais, 
la  participation  des  non  Israélites  ne  dépassait  guère  30%,  dont  les  2/3  au  nom  des  frères  Traverso  ;  elle 
tombait  à  4%  de  la  souscription  italienne  à  la  première  conversion. 

108  Venaient  ensuite  :  PAZ  (Isacco  Fù  Samuele),  négociant,  né  à  Pise  en  1808,  mari  de  Fortunata  Curiel  et 
père  de  quatre  enfants,  inscrit  pour  735.293,45  Fr.  dans  les  conversions,  plus  275.000  Fr.,  dans  la  dette 
flottante  ;  FARRUGIA  (Benigno),  commerçant  maltais,  qui  présentait  une  créance  totale  de  700.000  Fr., 
les  frères  FIORENTINO,  Isacco  et  Giacomo,  négociants  israélites  originaires  de  Florence,  inscrits  dans  les 
conversions  pour  607.443,64  Fr.,  les  FORTI,  inscrits  pour  463.680,58  Fr.,  Isacco  d'Abramo,  né  à  Livourne  en 
1834,  mort  à  Tunis  le  9  juillet  1879,  mari  d'Enrichetta  Sacuto,  son  frère  Daniele,  né  en  1833,  mari  d'Allegra 
Cesana. 


202 


par  tout  le  négoce  de  Tunis.  Il  avait  édifié  sa  fortune  au  service  du  khaznadar,  en  jouant 
les  intermédiaires  entre  le  gouvernement  et  le  commerce  local;  il  conseillait  le  premier 
ministre^û®  et  servait  d'informateur  financier  auprès  du  consulat  d'Italie.  Isacco  Cesana, 
son  lieutenant,  possédait  une  des  plus  grosses  fortunes  de  Tunis.  Il  avait  été,  pendant 
trente  ans,  l'agent  et  le  confident  du  comte  Raffoi^^.  Les  Lumbroso  avaient,  depuis 
longtemps,  leurs  entrées  au  Bardo.  Le  Dr  Lumbroso  avait  été  au  service  du  bey  Ahmed  et 
conservait  ses  fonctions  de  médecin  de  la  cour  auprès  de  Mohammed  es  Sadok.  Son  frère 
David  était,  grâce  à  lui,  devenu  courtier  du  khaznadar,  tandis  qu'un  autre  frère  faisait  les 
affaires  du  gouvernement,  à  Marseille  où  il  s'était  installé.  Plus  modestes  relativement 
étaient  Moreno  et  Errera^,  le  beau-frère  de  Cesana.  Les  deux  frères  Traverse,  Pietro 
et  Amedeo,  tiraient  avantage  de  leurs  relations  avec  le  Bardo^^  ;  ils  ne  possédaient 
cependant  pas  en  propre  la  totalité  des  millions  qu'ils  avaient  convertis. 

Les  «Anglais»  Levy  et  Santillana  étaient  très  liés  avec  le  consul  Wood.  Moses 
Levy,  le  plus  riche  courtier  anglais  de  Tunis,  était  le  fils  d'un  Juif  de  Sousse,  Juda  Levy 
originaire  lui-même  de  Gibraltar.  Moses  Santillana,  courtier  et  interprète  au  consulat 
d'Angleterre,  jouissait  de  l'estime  et  de  l'amitié  de  Wood  qui  l'avait  chargé  de  missions 
de  confiance  à  Londres.  Santillana  aurait  été  l'homme  d'affaires  du  consul  d'Angleterre 
dont  la  fortune,  aux  dires  de  Botmiliau,  était  fortement  engagée  dans  les  conversions^i^. 
Moses  Azuelos  et  Moses  Abeasis  étaient  des  Juifs  de  Gibraltar  qui  brocantaient  de  tout, 
de  céréales  aussi  bien  que  de  valeurs.  Abeasis  s'était  improvisé  armateur  ;  les  déboires 
de  la  compagnie  de  navigation  qu'il  avait  lancée,  devaient  l'amener  à  la  faillite  quelques 
années  plus  tardii^.  Les  frères  De  Montes,  Teodoro  et  Salomone,  d'une  origine  espagnole 
assez  proche,  s'étaient  partagés  la  protection  de  l'Angleterre  et  de  l'Espagne. 

Les  obligations  issues  des  conversions  circulèrent  dans  le  public  ;  elles  eurent  leur 
cours,  place  de  la  Marine  :  les  mieux  cotées  étaient  celles  de  la  première  conversion 
qui  jouissaient  des  garanties  les  plus  sérieuses.  En  mai  1869,  selon  Guttieres,  on  les 
prenait  à  79,80%  du  pair,  tandis  que  les  autres  s'écoulaient  à  49  et  44%,  voire  26% 
pour  les  obligations  de  la  troisièmeiis,  La  dette  flottante  ne  s'éteignait  pas  cependant  ; 
elle  s'accroissait  d'une  dizaine  de  millions  en  moins  de  deux  ans.  Restaient  les  teskérés 


109  GUTTIERES  (Giacomo),  né  à  Livourne  en  1823,  fils  aîné  d'Elia.  Angelo,  né  à  Livourne  en  1824,  Cesare,  né  à 
Tunis  en  1833,  Abramo,  né  à  Tunis  en  1843,  courtiers  également,  étaient  les  frères  de  Giacomo.  Venaient 
ensuite  Guglielmo  et  Giuseppe,  les  derniers  nés  ;  deux  sœurs,  au  moins  complétaient  la  famille. 

Guttieres,  «l'âme  damnée  du  Caïd  Nissim»  [Tunis  en  France,  Paris,  1882,  p.  67),  avait  été  l'auxiliaire  du 
khaznadar  dans  le  frauduleux  remboursement  de  la  dette  locale  qui  suivit  la  conclusion  de  l'emprunt  de 
1863  (Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  op.  cit). 

110  Cesana  n'avouait  encore  qu'un  capital  de  300.000  francs,  en  1863  (Arch.  Rome.  Aff.  in  genere,  n°  20. 
Gambarotta  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  24  octobre  1863).  Il  lui  avait  fallu  moins  de  cinq  ans  pour  sextupler, 
au  moins  nominalement,  ce  capital,  puisque,  inscrit  pour  plus  d'un  million  et  demi  dans  les  conversions, 
Cesana  figurait  encore  pour  200.000  Fr.  dans  la  dette  flottante.  Edifiant  exemple  des  fructueuses  opérations 
réalisées  par  les  courtiers  livournais  sur  le  papier  du  gouvernement  ! 

111  MORENO  (Daniele  di  Moisè),  négociant,  né  en  1820  à  Livourne,  époux  de  Fortunata  Deloja,  père  de  cinq 
enfants  ;  ERRERA  (Pinhas  di  Emmanuele),  courtier,  né  en  1806  à  Livourne,  mari  de  Ricca  Cesana,  père  de 
plusieurs  enfants.  (Arch.  Rome.  Recensement  des  Toscans.  Tunis,  1861). 

112  Grâce  à  leur  beau-frère,  Elias  Mussalli,  sous-directeur  aux  Affaires  étrangères.  Sur  les  frères  Traverso,  voir 
note  83,  chap.  XL 

113  A.  E.  Tunis  ;  vol.  32.  Lettre  pers.  de  Botmiliau,  24  juillet  1869.  Ibid.  vol.  35.  Dép.  confid.  De  Botmiliau.  Tunis, 
15  mai  1871. 

114  En  août  1868,  Abeasis  passait  avec  le  gouvernement  un  contrat  de  location  de  deux  navires  pour 
l'établissement  d'une  ligne  de  navigation.  La  ligne  ne  fut  pas  ouverte,  mais  Abeasis  tira  prétexte  du  contrat 
pour  se  retourner  contre  le  bey  et  exiger  une  indemnité  pour  les  pertes  qu'il  aurait  subies  (Arch.  Rés.  Comm. 
n©  Tunis,  17  août  1868). 

115  Arch.  Rome.  Note  de  Giacomo  Guttieres.  Annexe  à  dép.  de  Pinna.  Tunis,  11  mai  1869. 


203 


des  exportateurs  qui  n'avaient  pas  voulu  se  rallier  aux  conversions.  Le  khaznadar,  de 
son  côté,  continuait  d'émettre  des  papiers  dévalués  de  85  à  90%  dès  le  premier  jour.  En 
décembre  1869,  Villet  estimait  la  dette  flottante  à  24  millions  environ^!®. 


4  -  La  spoliation  des  obligataires  français 

En  France,  cependant,  les  obligataires  commençaient  à  s'émouvoir  ;  en  juin  1867, 
on  procédait  au  tirage  au  sort  des  obligations  de  1865,  mais  le  paiement  du  coupon  de 
juillet  tardait.  Le  Comptoir  d'Escompte  ne  donnait  pas  signe  de  vie.  Après  deux  mois 
d'attente,  on  pensait  à  réunir  les  obligataires  à  Paris,  afin  de  provoquer  les  explications 
des  banquiers  et  du  gouvernement  tunisien. 

Les  valeurs  tunisiennes  avaient  trouvé  preneur  dans  toutes  les  classes  de  la  société, 
chez  les  petits  épargnants  surtout  qui  en  avaient  souscrit  plus  des  quatre  cinquièmesH^. 
Cette  dispersion  même  et  le  peu  les  moyens  de  la  plupart  des  obligataires  faisaient  le  jeu 
des  banquiers.  Le  6  septembre  1867,  se  tenait  cependant  à  Paris,  salle  Herz,  une  réunion 
de  plus  de  six  cents  porteurs,  représentant  quelque  30.000  titres.  Un  comité  était  élu, 
dont  le  président  était  le  marquis  de  Carbonnières,  pour  agir  à  la  fois  auprès  du  ministre 
des  Affaires  étrangères  de  France,  du  bey  de  Tunis  et  du  Comptoir  d'Escomptei^®.  Mais 
Pinard  ne  voulut  rien  savoir  ;  il  ne  voulut  pas  même  recevoir  les  membres  du  comité. 
Celui-ci  fit  alors  mettre  une  saisie-arrêt  sur  les  fonds  du  bey  déposés  dans  les  caisses 
du  Comptoir  d'Escompte.  Pinard  alors  d'affirmer  que  les  coupons  allaient  être  payés, 
«que  [la]  saisie-arrêt  y  mettait  obstacle  car  on  allait  recevoir  le  montant  des  traites 
arrivées  à  échéance».  La  saisie  fut  levée,  «contre  l'engagement  formel  que  les  coupons 
échus  et  les  obligations  sorties  seraient  payés  dans  la  quinzaine»ii®.  Aussitôt,  Pinard, 
arguant  du  contrat  de  janvier  1867,  fit  procéder  au  partage  des  1.215.076,55  francs 
dont  il  disposaiti^o...  entre  les  membres  du  syndicat,  Dahdah,  Fould,  Bamberger,  Pinard 
et  consorts  !...  Le  coupon  de  novembre  1867  (obligations  de  1863)  n'était  pas  mieux 
payé  par  Erlanger.  Le  comité  des  porteurs,  dupé,  essaya  alors  d'une  autre  méthode,  la 
négociation  directe  avec  le  bey.  11  dépêcha  deux  de  ses  membres  à  Tunis. 

Le  khaznadar,  aux  abois,  était  prêt  à  conclure  n'importe  quel  accord  pour  gagner 
du  temps,  à  vendre  une  fois  de  plus  les  revenus  qu'il  avait  déjà  engagés  aux  obligataires 


116  Ibid.  Rapport  Villet  du  21  décembre  1869. 

117  D'après  une  note  pour  l'Empereur  de  1867  ou  1868,  les  152.360  obligations  de  1863  et  1865  s'étaient 
réparties  ainsi,  au  moment  des  émissions  sans  doute  :  1.129  dans  l'armée,  28.380  entre  147  fonctionnaires 
ou  hauts  fonctionnaires,  7.670  rentiers  et  propriétaires,  5.871  négociants  ;  1.230  seulement  entre  7 
banquiers.  10.640  employés  et  58.858  artisans  et  ouvriers  s'étaient  partagé  121.420  obligations,  soit  plus 
de  80%  du  total  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  8  Note  44) 

Cette  note  ne  précise  malheureusement  ni  la  nationalité  des  acquéreurs,  ni  le  lieu  de  souscription  Mais 
d'après  les  listes  de  pétitions  envoyées  au  gouvernement  en  1868  et  en  1871,  nous  voyons  que  la  plupart 
des  obligataires  de  1865  étaient  parisiens  ou  marseillais.  11  était  cependant  parmi  eux  plusieurs  habitants 
de  la  région  de  Méru,  dans  le  pays  de  Thelle,  des  Belges  et  des  Suisses.  (Arch.  Tun.  Carton  86). 

118  Les  autres  membres  du  comité  étaient  :  Tallois,  propriétaire,  le  docteur  Ruffié,  P.  Lantelme,  ancien  négociant, 
L.  Droux  et  Subtil,  ingénieurs  civils,  Maitre-Henry,  négociant  en  vins,  Saint-Ange-Laplanche,  architecte, 
Henri  Francingues,  premier  attaché  à  la  légation  du  Pérou,  Gabriel  Hugelmann  ,  homme  de  lettres, 
secrétaire  général.  Loyer,  propriétaire,  le  principal  porteur  de  titres  avec  312  obligations,  et  le  banquier 
Lauze,  directeur  de  la  Banque  Franco-Italienne. 

119  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes  :  Rapport  aux  obligataires,  Paris,  1868,  p.  6. 

120  719.147,50.  Fr.  produits  par  les  23.831  obligations  de  1863  déposées  au  Comptoir  d'Escompte  (coupons 
échus  le  1er  mai  1867  et  remboursement  de  625  obligations  sorties  au  tirage  d'avril)  plus  495.925,05  Fr. 
produit  de  la  vente  de  1.797  de  ces  obligations,  ainsi  qu'il  résulte  d'une  lettre  adressée  par  Pinard  au  premier 
ministre  du  bey,  le  9  octobre  1867,  lettre  publiée  par  le  comité  des  porteurs,  op.  cit.  Annexe  document  n°  3. 


204 


étrangers  et  cédés  de  nouveau  aux  conversions  locales.  Depuis  plusieurs  mois,  il  en  était 
réduit  à  tirer  sur  Mussalli  des  traites  sans  provision.  Assignations  et  protêts  pleuvaient 
sur  l'envoyé  du  bey  qu'assiégeaient  tous  les  huissiers  de  la  capitale^^i.  Pour  éviter  à 
tout  prix  l'intervention  européenne  qui  le  menaçait,  Mustapha  ratifia  les  accords  que 
Mussalli  venait  de  passer  avec  un  aventurier,  Charles  Bureau,  directeur  de  la  Banque 
de  Crédit  international  de  Parisi22,  établissement  sans  crédit,  de  création  toute  récente. 
Bureau  avait  déjà  fait  faillite  à  deux  reprises  :  il  aurait  été  condamné  également  deux 
fois  pour  vol  et  pour  escroqueriei^s.  C'étaient  là  des  recommandations  bien  singulières  ! 
Les  représentants  du  Comité  des  obligataires  qui  n'avaient  reçu  à  Tunis  que  de  bonnes 
paroles  du  premier  ministre,  s'entendirent  alors  avec  le  représentant  de  la  banque  pour 
préparer  un  grand  projet  d'unification  et  de  conversion  de  la  dette.  Le  6  janvier  1868,  le 
bey  signait  les  six  décrets  préparés  en  commun  et  qui  prévoyaient  : 

-  la  création  d'un  Grand  Livre  de  la  Dette  publique, 

-  la  conversion  des  obligations  de  1863-1865  en  rente  6%, 

-  la  création  d'une  Banque  Nationale  de  la  Tunisiei24. 

Jules  de  Lesseps,  l'agent  politique  du  bey  à  Paris,  était  chargé  de  faire  connaître 
et  de  seconder  l'opération.  Des  informations  furent  envoyées  à  la  presse.  Le  14 
mars  1868,  à  Paris,  Mussalli  procédait  à  l'installation  officielle  de  la  Commission 
des  Finances  tunisiennes  chargée  de  réaliser  la  conversion  ;  c'étaient  le  sénateur 
Lefebvre-Duruflé,  ancien  ministre  de  l'Agriculturei^s,  qui  avait  accepté  cette  mission 
à  la  requête  des  membres  du  comité,  président  ;  le  vicomte  de  Grandval  et  le  député 
Achille  JubinaP^C  administrateurs  de  la  Banque  de  Crédit  international,  le  vicomte  de 


121  Entre  le  2  et  le  15  janvier  1868,  le  domicile  parisien  de  Mussalli  recevait  la  visite  de  22  huissiers  porteurs 
de  29  assignations,  dont  15  dans  la  même  journée  du  14  janvier  (Arch.  Tun.  Doss.  296,  carton  111). 

122  La  Banque  de  Crédit  international,  49,  rue  Le  Peletier  à  Paris,  avait  été  constituée  le  20  juin  1867  avec  un 
capital  d'un  million.  Elle  était  administrée  par  un  conseil  de  six  membres  :  Achille  Jubinal,  député,  demeurant 
à  Paris  rue  Boudreau  ;  Louis-Corentin  comte  du  Couëdic  de  Kergoualer,  député,  71,  rue  de  Grenelle-Saint 
Germain  ;  Charles  Grégoire  vicomte  de  Grandval,  ancien  officier  d'Etat-major,  administrateur  du  chemin  de 
fer  de  Lille  à  Béthune,  à  Paris,  42  rue  de  Grenelle-Saint  Germain;  Louis-Urbain  de  la  Grange,  ingénieur  des 
mines,  79,  boulevard  de  Clichy  ;  Louis-Claude-Albert-Henry  baron  de  Novel  de  Rottembourg,  propriétaire, 
59,  rue  de  Bourgogne,  Charles  Jean-Baptiste  Bureau,  banquier,  administrateur-directeur,  49  rue  Le  Peletier 
[Moniteur^  4  juillet  1867). 

123  A.  N.  F.  30.240.  Renseignements  sur  Bureau  :  extraits  de  la  Gazette  des  Tribunaux  des  10  décembre  1858, 
5  janvier  et  21  juin  1859  ;  renseignements  fournis  par  le  syndic  de  la  faillite  prononcée  le  31  décembre 
1867. 

124  Cette  banque  aurait  un  capital  de  10  millions  de  francs  pouvant  être  porté  sans  autorisation  à  50  millions. 
Elle  obtenait  le  privilège  d'émission  de  billets  dans  la  Régence.  Bureau  et  le  vicomte  de  Crésolles  devaient 
en  être  les  directeurs  (Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  6  janvier  1868). 

125  LEFEBVRE-DURUFLÉ  (Noël.  Jacques)  industriel  et  homme  politique  français,  né  à  Pont-Audemer  (Eure),  le 
19  février  1792,  mort  à  Pont-Authon  (Eure),  le  3  novembre  1877. 

Vers  1824,  il  fonda  à  Elbeuf  une  manufacture  de  draps  qui  prit  une  rapide  extension.  Conseiller  général, 
puis  député  de  l'Eure  à  l'Assemblée  législative  (1849),  il  soutint  la  politique  du  prince  président,  et, 
après  le  coup  d'Etat,  fut  appelé  au  ministère  de  l'Agriculture,  du  Commerce  et  des  Travaux  Publics,  le  25 
janvier  1852,  qu'il  quitta  pour  un  siège  au  Sénat,  le  28  juillet  1852.  Il  fut  élevé  successivement  aux  grades 
d'officier,  de  commandeur,  puis  de  grand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  en  1862.  (Vapereau,  op.  cit.  1870, 
p.  1096).  Après  la  chute  de  l'Empire,  il  fut  poursuivi  pour  escroquerie,  comme  administrateur  de  la  Société 
industrielle,  condamné  à  une  amende  de  10.000  francs,  en  décembre  1873,  et  rayé  des  membres  de  la 
Légion  d'honneur  (Ibid.  1880,  p.  1122). 

126  JUBINAL  (Michel  Louis-. dc/7///e),  littérateur  et  député  français,  né  et  mort  à  Paris  (1810-1875).  Ancien 
élève  de  l'Ecole  des  chartes,  il  publia  divers  manuscrits  médiévaux,  des  articles  et  des  ouvrages  savants. 
En  1839,  il  fut  nommé  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Montpellier  et  obtint  la  Légion  d'honneur,  en 
1845.  En  1852,  il  fut  élu  député  de  Bagnères,  comme  candidat  officiel,  et  constamment  réélu  jusqu'en  1869 
(Vapereau,  op.  cit.  1880,  pp.  1011-1012). 


205 


Crésolles,  administrateur  délégué  du  même  établissement,  spécialement  désigné  par  le 
bey  et  trois  membres  du  Comité  des  obligataires,  de  Carbonnières,  Ruffié  et  Tallois^^^. 
La  Banque  de  Crédit  international,  au  bord  de  la  faillitei^®,  avait  rétrocédé  l'opération 
de  conversion  à  un  autre  établissement  sans  crédit,  la  Banque  Franco-Italienne  de 
Parisi29,  Les  commissaires  des  finances  tunisiennes  avisaient  le  public  que  la  conversion 
s'opérait  dans  les  bureaux  de  cette  société,  comme  dans  ceux  de  la  banque  de  CrédiC^o, 
On  devait  procéder  en  même  temps  à  une  émission  supplémentaire  d'obligations  pour 
40  millions  -  un  emprunt  inavoué  -  pour  racheter  les  teskérés  de  la  dette  flottantei^i. 
Après  quelques  hésitations,  les  porteurs  de  titres  tunisiens  commencèrent  à  répondre  à 
l'appel  du  Comité  des  obligataires. 

Le  projet  de  conversion  ne  fut  pas  réalisé.  A  la  fin  de  février  1868,  dans  divers 
journaux  financiers  français,  commença  une  campagne  de  protestations  contre  la 
conversion  tunisienne.  Le  Journal  financier  lançait  une  pétition  destinée  au  ministre  des 
Affaires  étrangères  ;  il  était  imité  par  le  Journal  des  Actionnaires  ;  la  Semaine  financière 
leur  emboîtait  le  pas.  C'était  la  contre  offensive  des  gros  banquiers  intéressés  dans 
les  affaires  tunisiennes^^î.  Inquiets  de  voir  les  obligataires  se  rallier  à  la  combinaison 
Bureau,  Erlanger  et  Pinard  firent  pression  sur  le  gouvernement  afin  de  faire  cesser 
une  expérience  dangereuse  pour  leurs  intérêtsi^s.  Le  16  mars  1868,  le  ministre  des 
Affaires  étrangères,  de  Moustier,  prenait  officiellement  position  contre  la  conversion  : 
«le  bey  a  lancé  des  décrets  chargeant  une  société  financière  d'opérer  une  prétendue 
conversion  des  titres  anciens  de  sa  dette.  Le  temps  ne  nous  a  pas  encore  permis  de 
démêler  complètement  les  fils  d'une  négociation  conduite  avec  un  mystère  qui  suffirait 
seul  à  inspirer  la  plus  légitime  défiance.  Le  peu  que  nous  en  connaissons  nous  permet, 
dès  à  présent,  de  penser  que  cette  opération  est  de  nature  à  compromettre  tous  les 
intérêts  qu'elle  semble  avoir  pour  but  de  sauvegarder».  Et  le  ministre  de  conclure  :  «Le 
gouvernement  français  a  fait  demander  officiellement  au  bey  de  Tunis  de  rapporter  ses 
décrets,  et  lui  a  déclaré  qu'il  les  considérait  comme  sans  valeur  et  qu'il  s'opposerait  par 
tous  les  moyens  dont  il  dispose  à  toute  opération  financière  qu'il  n'aurait  pas  été  en 


127  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes,  op.  cit  Annexe  doc.  n°  13. 

128  Ses  actionnaires  étaient  convoqués  le  16  avril  pour  délibérer  sur  la  dissolution  et  le  mode  de  liquidation 
de  la  société  {Moniteur,  1er  avril  1868).  Bureau  avait  été  déclaré  en  faillite  pour  la  troisième  fois,  le  31 
décembre  1867  (A.  N.  F.  30.  240).  Les  avis  d'unification  de  la  dette  étaient  signés  par  l'administrateur  De  la 
Grange,  au  nom  de  la  Banque  de  Crédit 

129  «Quant  à  la  Banque  Franco-Italienne,  je  la  crois  également  de  création  récente,  mais  elle  est  tout  à  fait 
inconnue  sur  le  marché»,  écrivait  le  ministre  des  Finances,  Magne,  au  ministre  des  Affaires  étrangères,  le  21 
février  1868  (A.  N.  F.  30.  240).  Installée  rue  Feydeau,  elle  avait  pour  directeur  le  banquier  Lauze  ;  elle  devait 
par  la  suite  déposer  son  bilan,  elle  aussi  (La  Finance  :  Emprunts  Tunisiens,  23  mai  1872). 

130  Avis  publié  dans  le  Journal  des  Actionnaires,  14  mars  1868,  commenté  le  même  jour  par  la  Semaine 
financière. 

131  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  79.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  15  janvier  1868. 

132  La  Semaine  financière  était  un  des  hebdomadaires  financiers  les  plus  anciens  et  les  plus  lus  de  Paris.  En 
1868,  ce  journal  était  encore  dirigé  par  Eugène  Forcade  qui  l'avait  fondé  en  1855.  Il  était  atteint  d'aliénation 
mentale  en  mars  1868  et  la  propriété  du  journal  passait  à  un  consortium  de  trois  directeurs  de  journaux 
(Constitutionnel,  France  et  Liberté),  MM.  Gibiat,  Jenty  et  Emile  de  Girardin  (Semaine  financière,  avis  du 
12  septembre  1868).  Selon  le  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes,  la  Semaine  financière  aurait 
été  mêlée  à  un  certain  nombre  d'opérations  désastreuses  et  de  scandales  auxquels  participaient  Pinard  et 
Erlanger. 

133  Les  banquiers  qui  avaient  refusé  de  s'associer  à  Bureau  ne  lui  avaient  tout  d'abord  témoigné  aucune  hostilité. 
Le  succès  relatif  de  la  conversion  (33.000  titres  déposés,  le  8  avril  1868)  les  inquiéta.  Même  sans  appui 
financier  sérieux,  la  Commission  tunisienne  de  Paris  pouvait  être  dangereuse  pour  les  projets  d'Erlanger  et 
de  Pinard  (Arch.  Tun.  Doss.  27,  carton  86  Corresp.  de  Bureau  et  de  Lesseps  avec  le  khaznadar,  mars-  avril 
1868). 


206 


mesure  de  contrôler,  afin  de  préserver  les  capitaux  français  de  nouvelles  déceptions»!^"^. 
Le  30  mars,  le  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes  exhalait  sa  rancœur,  parlait 
de  faire  ouvrir  une  enquête.  «Les  uns  veulent  qu'on  jette  la  France  dans  de  nouveaux 
embarras  pour  recouvrer  leur  créance  PLUS  INJUSTE  QUE  CELLE  DE  JECKER  ;  les  autres  se 
sont  donné  la  peine  d'aller  négocier  à  Tunis.  Les  uns  sont  des  Allemands,  des  Maronites, 
des  Egyptiens,  les  autres  sont  tous  Français»i35, 

L'intervention  du  ministre  avait  été  précédée  d'une  pression  dans  les  milieux  du 
quai  d'Orsay,  pression  dont  nous  retrouvons  les  traces  sous  forme  de  notes  manuscrites, 
de  projets  dûs  à  la  plume  d'Erlanger,  d'Oppenheim  et  de  Pinard  et  qui  ont  été  conservés, 
sous  la  rubrique  «Mémoires  et  documents»,  dans  les  archives  des  Affaires  étrangères. 
L'affaire  était  d'importance,  en  effet,  pour  les  financiers  qui  entendaient  se  réserver 
comme  une  chasse  gardée  le  domaine  tunisien  où  de  nouvelles  opérations  avantageuses 
restaient  à  prévoir. 

Le  triumvirat  Erlanger,  Oppenheim  et  Pinard  qui,  depuis  1865,  s'était  formé  pour 
mettre  en  coupe  réglée  les  finances  tunisiennes,  de  connivence  avec  le  khaznadar,  pouvait 
compter  sur  l'appui  d'un  certain  nombre  de  maisons  amies  auxquelles  on  s'associait,  à 
l'occasion  de  quelque  affaire,  dans  ce  que,  en  termes  de  bourse,  on  nommait  un  syndicat. 
En  janvier  1867,  Pinard  avait  fait  appel  aux  Fould,  Bamberger,  Bischoffsheim  et  Hirsch, 
Adam,  Martini,  Oppenheim,  Lévy-Crémieu,  Dutfoy  et  Trivulzi-Hollander,  pour  constituer 
un  syndicat  et  prêter  cinq  millions  au  bey  ;  tous  se  retrouvaient  d'accord,  en  octobre, 
pour  se  partager  les  douze  cent  mille  francs  escamotés  aux  obligataires.  Syndicat 
Pinard,  ou  syndicat  tunisien,  on  voyait  là  quelques  uns  de  ces  banquiers  Israélites 
venus  à  Paris  entre  1850  et  1860,  de  Francfort,  Mayence  ou  Amsterdam,  et  qui,  fortune 
faite,  se  paraient  d'un  titre  de  comte  ou  de  baron  acheté  à  quelque  prince  italien  ou 
allemand,  voire  même  au  Souverain  Pontifei^e.  Unis  entre  eux  par  diverses  alliances,  ils 
étaient  les  partenaires  des  mêmes  opérations.  Les  Bamberger  étaient  les  neveux  des 
Bischoffsheim  ;  un  fils  Bischoffsheim  épousait  une  fille  d'Erlanger  ;  Hirsch  était  le  beau- 
frère  de  Bamberger,  Madame  Hollander  était  une  Morpurgo  ;  une  quinzaine  d'années 
plus  tard.  Pinard  devait  marier  son  fils  à  une  demoiselle  Hollander.  Erlanger,  Oppenheim 
et  Pinard  se  retrouvaient  dans  les  affaires  mexicaines^^/  •  pinard,  Bischoffsheim  et  Dutfoy 
s'étaient  associés  en  mars  1865,  pour  former,  sous  la  direction  de  Bamberger,  la  banque 
des  Pays-Bas^^®,  consortium  financier  ou  syndicat  permanent  plutôt  que  véritable  banque. 
Quelques  années  plus  tard,  Erlanger  et  le  Comptoir  d'Escompte  devaient  participer  à  un 
syndicat  ottoman,  Oppenheim  à  un  syndicat  égyptien. 


134  Publié  par  la  Semaine  financière  et  le  Journal  des  Actionnaires  le  21  mars  1868. 

135  Comité  des  porteurs  op.  cit  p.  28.  La  comparaison  entre  les  affaires  de  Tunisie  et  celles  du  Mexique  ne  date 
donc  pas  de  1881.  Elle  pouvait  venir  tout  naturellement  à  Pesprit  des  contemporains,  en  raison  du  rôle  joué 
dans  ces  deux  affaires  par  les  mêmes  hommes,  Erlanger,  Pinard,  Oppenheim. 

136  Hirsch,  né  à  Mannheim,  était  baron  comme  Erlanger  et  Oppenheim.  Les  Oppenheim  venaient  de  Cologne, 
Louis  Bischoffsheim,  né  à  Mayence,  s'était  fixé  à  Amsterdam,  puis  à  Paris,  en  1850.  Henri  Bamberger,  sujet 
prussien  de  Mayence,  s'était  fait  naturaliser  Belge. 

137  Marcel  Marion  écrit  à  ce  sujet,  dans  son  Histoire  financière  de  la  France,  tome  V,  p.  467  :  «Mal  éclairé, 
fortement  influencé  par  Fould,  qui  déploya  en  cette  affaire  beaucoup  d'habileté,  trop  d'habileté,  par  un 
syndicat  de  banquiers.  Pinard,  Blount,  Hottinguer,  Seillière,  Erlanger,  etc.,  et  par  l'appui  déclaré  que  lui 
donnait  le  gouvernement  français  en  ouvrant  aux  souscriptions  les  guichets  de  ses  receveurs  et  de  ses 
percepteurs,  le  public  fit  à  ce  deuxième  emprunt  [mexicain  d'avril  1865]  un  moins  mauvais  accueil  qu'on 
eût  pu  le  pensers». 

138  Avec  le  concours  de  F.R.  Duval  et  du  Genevois  Edouard  Hentsch,  de  la  maison  Hentsch,  Lutscher  et  Cie.  La 
Banque  de  Crédit  et  de  Dépôt  des  Pays-Bas  était  installée  8  rue  Drouot.  Elle  devait  s'unir  à  la  Banque  de 
Paris  en  1872. 


207 


Les  Bischoffsheim  -  Bamherger  et  leurs  alliés 
(Adapté  de  Thejewish  Encyclopedia,  vol.  3,  p.  227). 


Le  syndicat  mexicain  avait  été  assez  puissant  pour  obtenir  du  Corps  législatif,  en 
juillet  1868,  le  vote  d'une  indemnité  aux  porteurs  d'obligations^^^.  Le  syndicat  tunisien 
pouvait  espérer  mieux,  grâce  aux  appuis  dont  il  disposait  en  haut  lieu,  et  aux  facilités 
d'action  de  la  France  en  Tunisie.  Morny  qui,  selon  Chirac,  avait  appuyé  Erlanger  dans 
le  lancement  de  l'emprunt  des  Confédérés,  était  également  intéressé  dans  les  affaires 
du  Mexique.  Mais  il  disparaissait  dès  1865.  Restaient,  il  est  vrai,  d'autres  appuis  dans 
les  milieux  gouvernementaux.  Cernuschi,  ancien  agent  d'Erlanger,  ami  de  Dahdah,  était 
devenu  l'un  des  directeurs  de  la  Banque  de  Paris  ;  grâce  à  lui,  on  avait  l'oreille  de  Madame 
Cornu,  confidente  de  l'Empereuri^o.  Au  quai  d'Orsay,  les  sympathies  tunisiennes  étaient 
nombreuses.  Oscar  Gay,  rédacteur  puis  sous-directeur  au  Contentieux,  Tunisois  de 
naissance^^i,  avait  conservé  des  attaches  dans  la  Régence.  11  était  très  lié  avec  Mussalli 
avec  lequel  il  échangeait  une  correspondance  régulière,  ainsi  qu'avec  Jules  de  Lesseps, 


139  Semaine  financière,  1^^  août  1868. 

140  Marcel  Emerit  :  Madame  Comu  et  Napoléon  III.  Paris,  1937  ;  La  révolution  de  1864  et  le  secret  de  l'Empereur. 
R.T.  1939;  p.  224. 

141  GAY  (Marius-Oscor)  né  à  Tunis  le  6  octobre  1831  de  Pierre  et  Zoé  Blancard  ;  autorisé  à  joindre  à  son 
patronyme  la  particule  de  Tunis,  en  1868.  Entré  aux  Affaires  étrangères  en  1851  ;  il  devint  rédacteur 
puis  sous-directeur  au  Contentieux.  Ardent  bonapartiste,  il  démissionna  de  ses  fonctions  après  la  chute 
de  l'Empire,  en  mai  1871,  pour  ouvrir  une  agence  de  contentieux  qui  fut  installée  quelque  temps  dans 
l'hôtel  même  de  la  mission  tunisienne  à  Paris.  Pendant  trente  ans,  il  fut  mêlé  à  un  grand  nombre  d'intrigues 
tunisiennes.  A  partir  de  1871,  il  milita  en  faveur  de  la  création  d'un  port  à  Carthage.  L'insuccès  de  sa 
demande  de  concession,  en  1879,  fut  à  l'origine  de  sa  rupture  avec  son  ami  Mussalli  et  avec  Roustan.  Il  prit 
alors  une  part  active  à  la  campagne  menée  contre  le  consul  et  son  entourage  en  1881  et  témoigna  contre  lui 
lors  du  procès  de  l'Intransigeant,  en  décembre  1881  (Reg.  Ste  Croix  A.  E.  Tunis,  passim). 


208 


l'agent  du  bey  à  Paris.  Peu  scrupuleux,  il  trafiquait  de  ses  fonctions  au  ministère  ;  par 
l'intermédiaire  de  son  ami  Elias,  il  mendiait  décorations  et  subsides  au  khaznadari^^ 
il  avait  été  mêlé  à  toutes  les  affaires  financières  tunisiennes  au  cours  des  années 
précédentesi'^^.  Mussalli  qui  avait  eu  sa  part  des  emprunts  Erlanger,  pouvait  obtenir  de 
Gay  un  soutien  actif  dans  les  bureaux  du  ministère,  des  conclusions  favorables  dans 
les  rapports  que  celui-ci  rédigeait  et  qui  n'ont  sans  doute  pas  tous  été  conservési^'^.  Le 
baron  Brenier  était  un  plus  haut  personnage,  il  avait  été  consul,  directeur  des  Fonds  aux 
Affaires  étrangères  en  1847,  ministre  des  Affaires  étrangères  en  1851,  puis  sénateuri^s 
il  s'intéressait  aux  affaires  de  Tunisie  où  son  neveu  Sancy  s'était  installé  ;  il  lui  avait 
fait  obtenir  du  bey,  par  une  discrète  pression  du  quai  d'Orsay  l'importante  concession 
de  terres  de  Sidi  Tabet^'^^.  Brenier  siégeait  avec  Oppenheim  au  Comité  des  porteurs 
d'obligations  mexicaines,  il  jouissait  d'une  grande  influence  sur  la  direction  politique  du 
ministère,  et  pouvait,  en  cette  affaire,  jouer  un  rôle  d'intermédiaire.  De  Lesseps  qui  avait 
été  nommé  à  toutes  les  négociations  d'emprunt  ne  cessait  lui  aussi  d'intervenir  dans  les 
bureaux  du  ministère  pour  donner  ses  conseils  dans  les  affaires  de  la  Régence^^^. 


142  Roustan,  un  adversaire  il  est  vrai,  écrivait  dans  une  lettre  particulière  à  Courcel,  en  1881  :  «Je  sais 
positivement  que  Gay  a  touché  de  tous  temps  des  subventions  du  gouvernement  tunisien,  notamment  lors¬ 
qu'il  était  au  Ministère,  et  le  plus  souvent  par  l'entremise  du  général  Mussalli.  «Celui-ci  n'a  conservé  que 
quelques  lettres  qui  prouvent  cependant  «que  Gay  touchait  de  fortes  sommes  en  dehors  des  réclamations 
pour  le  compte  de  son  père  qui  étaient  fort  exagérées,  et  qu'il  a  fait  régler  grâce  à  sa  position  officielle» 
(A.  E.  Tunis,  vol.  64.  Tunis,  22  novembre  1881). 

Trois  lettres  de  Gay  conservées  au  dossier  du  procès  de  l'Intransigeant  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  Procès,... 
vol  1),  la  première  adressée  à  Elias,  du  8  août  1860,  les  deux  autres  au  khaznadar,  des  30  décembre  1866 
et  16  janvier  1867,  confirment  cette  assertion.  11  y  était  question  de  difficultés  rencontrées  par  Gay  à 
faire  payer  par  le  gouvernement  tunisien  le  prix  de  vente  de  maisons  cédées  par  son  père.  Gay  rappelle 
«les  services  qu'[il  a]  rendus  à  la  Tunisie»  (16  janvier  1867),  «estime  qu'il  a  droit,  personnellement  à  un 
peu  plus  de  bienveillance  et  à  quelques  égards  de  la  part  du  gouvernement  tunisien».  Le  30  décembre 
1866,  lorsqu'il  annonce  au  khaznadar  qu'il  a  fait  tirer  sur  lui  deux  traites  de  40.000  francs,  il  ajoute  :  «il 
est  vrai  que  le  général  Elias  a  déjà  remis  un  très  modique  acompte  de  33.500  Fr.  mais  j'espère  que  Votre 
Excellence  voudra  bien  m'en  faire  l'abandon  personnel  en  laissant  à  ma  charge  les  frais  divers  à  acquitter...  à 
l'occasion  des  deux  traites  en  question.  Votre  Excellence  consentira  volontiers  à  cet  abandon  si  Elle  prend 
en  considération  le  temps  précieux  que  les  affaires  de  Tunis  me  font  perdre». 

La  correspondance  de  Pinna  avec  le  cabinet  de  Florence  nous  donne  la  clé  d'une  partie  de  cette  intrigue  : 
«Gay...  venu  passer  quelques  mois  de  congé  ici,  eut  de  fréquents  entretiens  avec  le  khaznadar  et  lui  vendit 
120.000  piastres  une  maison  qui  n'en  valait  pas  40»  (Arch.  Rome.  Dép.  n°  104.  Tunis,  27  novembre  1866). 
Villet  nous  apprend  qu'une  partie  du  prix  de  vente  avait  été  mis  au  compte  du  gouvernement,  soit  14.500 
Fr,  environ  24.000  piastres  (Note  contre  le  khaznadar,  op.  cit).  Gay  faisait  encore  décorer  toute  sa  famille  de 
grades  élevés  du  Nichan  Iftikhar. 

143  Arch.  Tun.  Cartons  110  à  113,  pass. 

144  Nous  n'avons  retrouvé  que  deux  notes  signées  par  Gay  dans  les  «Mémoires  et  Documents»  des  Affaires 
étrangères  :  une  «notice  historique  sur  la  Tunisie»  (mai  1861)  et  «La  révolution  tunisienne,  note 
confidentielle  pour  S.E.  Mr  Drouyn  de  Lhuys»  Gay  était  également  l'auteur  d'un  opuscule,  La  Tunisie  (Paris, 
mai  1861),  développement  de  la  notice  historique  pour  le  ministre,  où  il  vantait  également  le  khaznadar, 
son  entourage  et  la  politique  de  réformes  inaugurée  alors  dans  la  Régence 

145  BRENIER  de  Renaudière  (Alexandre-Anatole-François-Henri,  baron),  ministre  et  sénateur  du  second 
Empire,  né  à  Paris,  le  22  août  1807,  mort  à  La  Lucassière-Vouvray  (Indre-et-Loire),  le  21  mars  1885. 
Surnuméraire,  puis  attaché  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  secrétaire  à  Londres,  Lisbonne  et  Bruxelles 
(1834-1837)  ;  consul  à  Varsovie,  5  mai  1837,  consul  général  à  Livourne,  14  août  1840,  Directeur  des  fonds  et  de 
la  comptabilité,  18  octobre  1847.  membre  du  Comité  consultatif  du  contentieux,  18  juillet  1848  ;  ministre  des 
Affaires  étrangères,  24  janvier -10  avril  1851,  ministre  plénipotentiaire  de  classe,  13  avril  1851,  membre 
du  Conseil  d'Etat  en  mission  en  Italie,  fin  1853  ;  grand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  1®*^  août  1855  ;  ministre 
plénipotentiaire  à  Naples,  7  novembre  1855,  sénateur,  24  mai  1861  (Fichier  A.  E). 

146  Dans  une  lettre  à  Khérédine  du  2  mai  1874,  Villet  signale  l'influence  du  baron  Brenier  au  quai  d'Orsay,  dont 
il  jouait  pour  défendre  la  situation  de  son  neveu  en  Tunisie  (Corresp.  de  Khérédine,  publiée  par  MM.  Mzali 
et  Pignon.  R.  T.  1938,  p.  96). 

147  Arch.  Tun.  Cartons  110  à  113,  pass. 


209 


Sous  des  apparences  de  neutralité,  Drouyn  de  Lhuys  s'était  montré  constamment 
favorable  aux  opérations  d'Erlanger  et  du  Comptoir.  C'est  lui  qui  avait  recommandé 
Cernuschi  en  1863,  qui  avait  appuyé  auprès  de  son  collègue  des  Finances  la  demande 
de  cotation  en  bourse  des  deux  emprunts  tunisiens  ;  mais  le  ministre  semblait  bien  peu 
curieux  de  connaître  l'emploi  des  fonds  souscrits  par  les  épargnants  français  ;  il  n'avait 
pas  même  demandé  de  rapport  à  ce  sujet  au  consulat  de  Tunis,  avant  de  faire  autoriser 
le  troisième  emprunt^''*.  Les  dépêches  de  Duchesne  de  Bellecourt  signalant  les  dépenses 
insensées,  les  vols  du  khaznadar  et  d'Erlanger  restaient  sans  écho.  Le  consul  s'inquiétait- 
il  de  l'extension  considérable  prise  par  cette  maison  étrangère  qui  n'avait  de  français  que 
la  raison  socialei^^,  le  quai  d'Orsay  ne  répondait  pas.  S'il  demandait  conseil  pour  fixer 
son  attitude  à  l'égard  des  candidats  prêteurs  qui  assaillaient  le  Bardo,  au  printemps 
de  1866,  une  dépêche  de  Paris  lui  recommandait  les  maisons  françaises  en  général,  ou 
l'invitait,  sans  aménité,  à  ne  pas  se  mêler  de  ce  genre  d'affairesi^o.  C'était  par  les  journaux 
que  le  consul  de  France  apprenait  la  conclusion  de  l'emprunt  de  1867i5i.  Le  quai  d'Orsay 
gardait  le  silence  le  plus  complet  sur  les  opérations  de  Pinard  et  d'Erlanger  du  début  de 
1867.  Averti  par  vingt  dépêches  ou  télégrammes  de  Tunis,  Drouyn  de  Lhuys  n'avait  rien 
tenté  pour  sauvegarder  les  intérêts  des  obligataires  français,  arrêter  le  khaznadar  sur  la 
pente  fatale  de  la  banqueroute.  Cet  étrange  désintéressement  ne  pouvait  s'expliquer  par 
le  secret  désir  de  provoquer  une  intervention  française  dans  les  affaires  de  la  Régence,  de 
préparer  une  annexion  plus  ou  moins  déguisée;  le  ministre  avait  maintes  fois  exposé  son 
souci  de  maintenir  le  statu  quo  politique  à  Tunis,  et  l'Empire  ne  pouvait  à  cette  époque  se 
permettre  de  susciter  de  nouvelles  difficultés  internationales.  Ne  pouvait-on  chercher  la 
raison  de  cette  attitude  dans  des  relations  peu  avouables  avec  les  financiers  ? 

Un  journal  s'était  fait  l'écho  de  ces  relations  :  à  l'automne  de  1881,  alors  que  la 
presse  française  d'extrême  gauche  partait  en  guerre  contre  les  tripotages  tunisiens,  le 
Mot  d'ordré^^  rappelait  des  compromissions  vieilles  de  quinze  ans,  qui  remontaient  au 
Second  Empire  :  «L'histoire  des  emprunts  tunisiens  est  à  faire  encore  ;  mais  par  ceux 
qui  pourront  dire  comment,  après  avoir  enrichi  proportionnellement  MM.  Rochaïd- 
Dahdah,  Cernuschi  et  Gregory  Ganesco,  grâce  à  la  complicité  de  M.  Drouyn  de  Lhuis 
avec  le  banquier  dont  M.  Schmidt  fut  à  Tunis  le  représentant  [Erlanger]  ,  ils  aboutirent 
au  syndicat  Pinard,  en  récompense  des  complaisances  exigées  du  Comptoir  d'Escompte 
lors  de  l'emprunt  mexicain»  (30  septembre  1881). 

...  «C'est  vers  cette  époque  (1863)  que  devinrent  très  étroites  les  relations  du  baron 
Emile,  doué  de  la  qualité  de  mettre  en  avant  les  arguments  irrésistibles,  de  la  façon  la 
plus  délicate  du  monde,  avec  M.  Drouyn  de  Lhuys,  qu'on  vit  depuis  figurer  dans  tous  les 


148  Quand  de  Beauval  avertissait  le  ministère  par  télégramme  et  par  dépêche,  le  17  décembre  1864,  qu'il  avait 
refusé  de  légaliser  le  contrat  d'emprunt  Erlanger  de  15  millions  sans  ordre  de  Paris,  parce  que,  en  Orient 
«légaliser  c'est  approuver»,  «le  directeur  politique  écrivait  en  marge  sur  la  dépêche  :  «Cette  question  a  été 
résolue  différemment  par  le  Ministre»  (A.  E.  Tunis.  Comm.  vol.  58}. 

149  A.  E. Tunis,  vol.  25.  Duchesne  de  Bellecourt  à  Drouyn  de  Lhuys.  Tunis,  31  mai  1865  (à  propos  de  la  concession 
de  la  fabrique  de  Tebourba). 

150  Ibid.  vol.  27.  Tél.  de  Paris  du  11  mai  1866  :  «Je  vous  ai  déjà  recommandé  de  ne  pas  intervenir  dans  ce  genre 
d'affaires». 

151  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  n°  23.  Tunis,  15  mai  1867. 

152  Le  Mot  d'ordre  était  un  quotidien  fondé  en  novembre  1879  lorsque  \â  Marseillaise,  suspendue  pour  quinze 
jours  par  autorité  de  justice,  se  transforma  en  hebdomadaire.  Le  Mot  d'ordre  était  un  organe  d'extrême 
gauche,  radical  et  socialiste,  qui  se  consacrait  surtout  à  la  défense  de  la  Commune.  Ses  rédacteurs,  comme 
son  directeur  politique,  Valentin  Simond,  étaient  les  mêmes  que  ceux  de  la  Marseillaise  (E.  Mermet  : 
Annuaire  de  la  presse  française.  Paris,  1880,  pp.  23-24,  Mot  d'ordre,  1879-1881,  pass). 


210 


conseils  d'administration  des  affaires  organisées  rue  Taithout^^^  et  qu'enfin  on  aboutit 
à  la  conclusion  du  premier  emprunt  tunisien  traité  par  l'entremise  de  Gregory  Ganesco, 
avec  la  participation  de  MM.  Cernuschi  et  Rochaïd  Dahdah...  Néanmoins,  quelques  mois 
à  peine  après  ce  premier  emprunt  M.  Drouyn  de  Lhuys  étant  satisfait,  MM.  Cernuschi  et 
Rochaïd  Dahdah  étant  riches,  Ganesco  ayant  acquis  un  château  à  Montmorencyi^'*,  M. 
Emile  d'Erlanger  pouvant  entrer  dans  le  syndicat  mexicain,  il  se  trouva  que  l'emprunt 
tunisien  était  un  réel  désastre»...  octobre  1881). 

Des  diplomates  étrangers  avaient  admis  ces  assertions.  Wood  s  était  toujours  étonné 
de  la  protection  accordée  par  la  France  à  un  banquier  prussien  douteux.  En  août  1868, 
Maffei,  le  chargé  d'affaires  italien  à  Londres,  transmettait  confidentiellement  à  Florence 
les  commentaires  de  lord  Stanley,  le  secrétaire  d'Etat  britannique,  sur  l'attitude  du  quai 
d  Orsay  dans  les  affaires  de  la  Régence  :  «Entre  nous,  je  dois  vous  confesser  que  sous  tout 
cela  se  cache  une  spéculation  financière.  Je  ne  parle  pas  du  marquis  de  Moustier,  mais 
des  personnes  qui  sont  intéressées  dans  les  affaires  tunisiennes^^^».  Une  note  rédigée  à 
l'usage  du  Foreign  Office  affirmait  plus  crûment  que  Drouyn  de  Lhuys  aurait  été  acheté 
par  Erlanger  et  le  Comptoiri^s. 

Sans  doute,  les  relations  d'intimité  qui  existaient  entre  Drouyn  de  Lhuys  et  Erlanger 
permettent-elles  d'atténuer  un  peu  la  sévérité  de  ces  jugements.  Drouyn  de  Lhuys 
fréquentait  chez  Erlangeri57  et  le  banquier  n'avait  certainement  pas  besoin  d'acheter  le 
ministre,  comme  il  eût  soudoyé  un  employé  subalterne.  Un  échange  de  bons  services, 
des  conseils  pour  des  placements  d'argent  avantageux  d'un  côté,  un  appui  politique  de 
l'autre,  telles  devaient  être  probablement  les  relations  d'affaires  entre  les  deux  hommes. 
Eussent-elles  même  été  totalement  désintéressées,  la  protection  accordée  par  Drouyn 


153  Le  dépouillement  des  principaux  hebdomadaires  financiers  contemporains  [Semaine financière,  Epargne, 
Journal  des  actionnaires.  Moniteur  des  fonds  publics.  Moniteur  de  l'épargne,  Liberté,  Réforme  financière,  Notre 
petit  journal  financier.  Finance  et  industrie  illustrées)  ne  nous  a  fourni  qu'un  seul  exemple  à  1'  appui  de 
cette  assertion,  la  présence  de  Drouyn  de  Lhuys  au  sein  du  conseil  d  administration  de  la  société  du  Jardin 
zoologique,  dont  il  se  retira  en  1877  [Journal  des  actionnaires,  3  août  1878  :  Société  du  Jardin  Zoologique 
d'acclimatation  du  bois  de  Boulogne). 

Mais  Drouyn  de  Lhuys  aurait  été  fortement  engagé  dans  les  affaires  américaines  lancées  par  Erlanger. 
M.  J.  Dahdah  de  Londres  se  souvient  en  effet  d'avoir  lu  un  paquet  de  lettres  adressées  d'Amérique,  vers 
1875  ou  1880,  à  son  grand-père  par  Rochaïd  Dahdah,  lettres  dans  lesquelles  revenaient  sans  cesse  les 
noms  d'Erlanger  et  de  «Drouyn-Louis»,  à  propos  de  chemins  de  fer  et  de  mines.  M.  J.  Dahdah  en  retenait 
l'impression  que  ces  affaires  américaines  avaient  fait  la  fortune  de  Rochaïd  (Entretien  du  19  juin  1954). 
Les  affaires  dont  il  s'agit  pourraient  être  la  société  des  chemins  de  fer  de  l'Alabama  et  celle  des  mines  de 
Bingham,  lancées  ou  reprises  par  Erlanger,  en  1876  et  1879  (Presse  financière,  passimi  A.  Chirac  :  Les  Rois 
de  la  République  Paris...  1883,  pp.  279-280). 

Les  archives  anglaises  nous  ont  révélé  d'autres  relations  entre  Drouyn  de  Lhuys  et  les  milieux  financiers.  En 
1872,  l'ancien  ministre  des  Affaires  étrangères  français  prêtait  son  nom  à  une  société  anglaise  en  formation, 
The  Tunis  Railways  C°,  qui  se  proposait  d'exploiter  le  chemin  de  fer  de  La  Goulette  construit  par  Pickering. 
Drouyn  de  Lhuys  devait  exercer  les  fonctions  de  président  du  conseil  d'administration.  Sur  le  prospectus 
de  la  société,  son  nom  voisinait  avec  celui  du  consul  d'Angleterre  Wood  (F.  0.  102/94,  1^^  juillet  1872). 
Mais  la  société,  aussitôt  aux  prises  avec  des  difficultés  financières,  disparut  avant  d'avoir  été  officiellement 
constituée.  Drouyn  de  Lhuys  n'exerçait  plus  aucune  fonction  officielle  à  cette  époque,  il  est  vrai.  Il  n'en  est 
pas  moins  étrange  de  le  trouver  associé  à  une  des  entreprises  que  Wood  avait  encouragées  à  s'installer  dans 
la  Régence  afin  d'y  favoriser  le  développement  de  l'influence  anglaise. 

154  Naturalisé  en  1868,  il  devint  conseiller  général  du  canton  de  Montmorency  avec  l'appui  de  l'administration 
dès  la  fin  de  1868. 

155  Arch.  Rome.  Tunisi,  vol.  1  Confid.  n°  104  de  Maffei-Londres  17  août  1868. 

156  «System  of  bribery  and  corruption  among  officiais  ofail  ranks  are  notorious  facts.  Mr.  Drouyn  himselfwould 
hâve  been  bought  by  Erlanger  and  the  Comptoir»  (F.  0.102/116  note  anonyme,  avril  1869). 

157  Drouyn  de  Lhuys  fréquentait  chez  les  Erlanger  avec  lesquels  il  était  très  libre,  comme  en  témoigne  une 
anecdote  de  poisson  d'avril  rapportée  par  Comic  Finances,  le  8  avril  1869  [Echos  de  la  semaine). 


211 


de  Lhuys,  les  facilités  qu'Erlanger  trouvait  au  quai  d'Orsay  pendant  plusieurs  années  ne 
laissent  pas  de  produire  une  impression  assez  pénible. 

Drouyn  de  Lhuys  s'était  retiré  le  1“  septembre  1866.  L'Empereur  lui  avait  donné 
pour  successeur  le  marquis  de  Moustier,  ambassadeur  à  Constantinople.  Le  nouveau 
ministre  devait  demander  informations  ou  conseils  à  ses  bureaux,  il  pouvait  être  enclin 
à  suivre  une  ligne  de  conduite  identique  à  celle  de  son  prédécesseur,  dans  une  affaire 
relativement  secondaire  et  qu'il  connaissait  mal,  où  ses  collaborateurs  du  ministère,  sans 
dévoiler  des  dessous  compromettants,  compulsaient  ou  rédigeaient  des  notes  traitant 
d'intervention,  de  conversions,  de  commissions^®®.  Erlanger  et  Pinard,  comme  Cernuschi, 
avaient  leurs  entrées  au  ministère,  ils  y  laissaient,  début  janvier  1868,  des  rapports  qui 
servaient  de  base  aux  projets  du  ministre.  Que  Drouyn  de  Lhuys  eût  passé  la  consigne  au 
marquis  de  Moustier  ou  que  celui-ci  eût  suivi  les  suggestions  de  son  directeur  politique, 
du  baron  Brenier,  voire  même  d'Oscar  Gay  dont  on  avait  failli  faire  un  consul  intérimaire 
à  Tunis^®®,  le  nouveau  ministre  des  Affaires  étrangères  continuait  en  Tunisie  la  politique 
de  l'ancien.  Sa  lettre  du  16  mars  1868  coupait  court  aux  projets  de  conversion  de  la 
banque  de  Crédit  internationali®**.  Le  gouvernement  français  entamait  des  négociations 
avec  le  bey  de  Tunis  pour  réaliser  un  projet  de  conversion  dicté  par  Erlanger  et  Pinard, 
il  mettait  son  autorité  et  son  prestige  au  service  de  financiers  véreux. 


158  Dans  sa  correspondance  avec  le  khaznadar  en  1867,  Jules  de  Lesseps  insistait  sur  le  succès  de  ses  démarches 
au  quai  d'Orsay  ;  il  se  félicitait  de  la  bonne  volonté  du  marquis  de  Moustier  dans  les  affaires  tunisiennes 
(Arch.  Tun.  Doss.  334,  carton  113,  et,  passim,  pièces  mal  classées).  En  revanche,  à  partir  de  1869,  de  Lesseps 
se  plaignait  de  la  raideur  et  de  la  «prévention»  du  marquis  de  La  Valette  qui  abandonnait  complètement 
la  ligne  de  conduite  de  ses  prédécesseurs  (Ibid.  Doss.  27,  carton  86.  Lesseps  au  khaznadar.  Paris,  19  mars, 
6.13  et  17  avril,  limai,  2  juin  1869). 

159  Fait  signalé  par  le  consul  d'Italie.  Gay  aurait  assuré  l'intérim  pendant  un  congé  de  Duchesne  de  Bellecourt 
la  fin  de  1866.  (Arch.  Rome.  Pinna  à  Visconti-Venosta  n°  104.  Tunis,  27  novembre  1866). 

160  Le  Mot  d'ordre,  dans  son  article  du  30  septembre  1881,  donne  sa  version  de  l'événement  :  «Après  l'échec  de 
la  conversion  à  laquelle  le  marquis  de  Moustier  opposa  son  veto,  pour  être  aussi  particulièrement  agréable 
à  son  amie.  Madame  Durand,  qu'au  banquier  [Erlanger]  dont  un  premier  sujet  de  la  Comédie  française  est 
aujourd'hui  l'intermédiaire  auprès  de  M.  Gambetta». 


212 


CHAPITRE  VII 


LA  MISE  EN  TUTELLE  DE  LA  REGENCE 
LA  COMMISSION  FINANCIERE  INTERNATIONALE 

(1868  1870) 


La  question  d'une  intervention  française  en  Tunisie  fut  débattue  à  Paris  dans  le 
courant  d'octobre  1867.  Depuis  des  mois,  de  Botmiliau  ne  cessait  de  tenir  le  département 
en  alerte  sur  l'effondrement  financier  et  politique  de  la  Régence,  sur  l'exploitation 
cynique  du  pays  par  une  poignée  d'aventuriers  et  d'aigrefins.  Dès  le  milieu  d'août  1867, 
le  consul  se  ralliait  à  l'idée  d'une  annexion  de  Tunis  à  l'Algérie.  Après  l'avoir  suggérée  à 
maintes  reprises,  en  termes  plus  ou  moins  voilés,  il  n'hésitait  pas  à  recommander  sans 
ambages  cette  solution  dans  ses  deux  dépêches  des  12  novembre  et  2  décembre  1867. 

Au  quai  d'Orsay,  la  direction  politique  était  déjà  acquise  à  ce  programme.  Occupation 
temporaire,  annexion  totale  ou  partielle  du  pays,  les  avis  pouvaient  différer,  comme 
sur  les  modalités  d'exécution,  mais  les  rapports  au  ministre  comme  les  dépêches  de 
Botmiliau  s'accordaient  à  réclamer  une  intervention  armée  afin  de  contraindre  le  bey  à 
respecter  ses  engagements  financiers.  «Annexion  à  l'Algérie  ou  un  protectorat  semblable 
à  celui  qu'exercent  les  Anglais  sur  les  princes  voisins  de  leurs  possessions  Indiennes», 
concluait  un  rapport  au  marquis  de  Moustieri,  occupation  du  Djérid  et  du  Sahara 
tunisien  contre  prise  en  charge  d'une  partie  de  la  dette  tunisienne,  préconisait  un  autre^. 
L'affaire  fut  évoquée  devant  un  Conseil  des  ministres  tenu  à  Saint-Cloud,  le  17  octobre, 
sous  la  présidence  de  l'Empereur.  Le  conseil  se  serait  rallié  au  principe  d'un  ultimatum 
au  bey,  appuyé,  en  cas  de  nécessité,  par  l'envoi  d'un  corps  de  8.000  hommes  sous  le 
commandement  du  général  Fleury^.  Les  troupes  françaises  occuperaient  les  ports  de 
la  Régence,  se  saisiraient  des  douanes  où  l'on  installerait  une  administration  française 


1  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  13,  note  1  anonyme  et  sans  date  que  le  contexte  nous  permet  de  rapporter  à  la 
période  juillet-octobre  et,  vraisemblablement,  à  la  première  quinzaine  d'octobre  1867. 

2  Ibid.  Mém.  et  Doc.  vol.  9,  notes  19  et  20. 

Ces  deux  notes  presque  identiques  ont  été  datées  de  janvier  1868,  mais  nous  avons  toutes  les  raisons  de 
croire  qu'au  moins  la  première  d'entre  elles  fut  rédigée  quelques  mois  plus  tôt. 

3  Le  général  de  division  Emile  Fleury,  ancien  officier  de  l'armée  d'Afrique,  aide  de  camp  de  l'Empereur  et 
sénateur,  qui  fut  ambassadeur  de  France  à  Saint-Pétersbourg,  de  1869  à  1871. 


213 


chargée  de  payer  régulièrement  les  créanciers  européens  du  bey.  Mais  les  événements 
d'Italie,  l'invasion  du  territoire  pontifical  par  les  bandes  garibaldiennes,  provoquèrent 
aussitôt  l'ajournement  de  ce  programme'*.  Sous  la  pression  du  parti  catholique.  Napoléon 
se  voyait  obligé  de  dépêcher  en  Italie  un  corps  d'armée  pour  assurer  la  défense  de  Rome. 
Après  Mentana,  il  ne  fut  plus  question  d'expédition  française  en  Tunisie.  Le  marquis 
de  Moustier  se  rallia  à  la  solution  d'une  pression  diplomatique  sur  le  bey,  une  mise  en 
demeure  d'accepter  une  tutelle  financière  dont  le  programme  était  esquissé  par  les 
projets  d'Erlanger  et  de  Pinard^. 

1  -  L'intervention  de  la  France  et  l'opposition  anglo-italienne 

Le  15  janvier  1868,  après  avoir  fait  le  bilan  de  la  situation  financière  de  la  Régence, 
le  marquis  de  Moustier  traçait  au  vicomte  de  Botmiliau  les  grandes  lignes  de  son 
programme.  «Nous  sommes  amenés  par  la  force  des  choses  à  aller  au-devant  d'une 
solution»  écrivait  le  ministre,  «il  semble  donc  que  nos  efforts  doivent  avoir  avant  tout 
pour  objet  d'assurer  s'il  se  peut  la  bonne  gestion  des  revenus  donnés  en  gage  par  le 
gouvernement  du  bey,  et  qu'en  parvenant  à  établir  un  contrôle  sérieux  sur  les  produits 
du  fisc  aujourd'hui  abandonnés  à  des  mains  inhabiles  ou  infidèles,  nous  aurions  fait  un 
grand  pas  vers  le  but  que  nous  poursuivons.  Dans  le  cas  où  l'application  de  ce  principe 
serait  admise,  on  pourrait  en  confier  le  soin  à  une  commission  qui  aurait  son  siège  à  Tunis 
et  dont  la  tâche  consisterait  à  exercer  une  surveillance  générale  sur  la  perception  des 
revenus  affectés  au  paiement  des  dettes  du  pays,  à  en  recevoir  le  montant  intégral  pour 
être  ensuite  remis  en  temps  opportun  aux  ayant-droit,  à  faire  rendre  un  compte  exact 
des  recettes  des  douanes  et  à  signaler  les  actes  de  contrebande  à  l'action  énergique  des 
autorités  ;  à  tenir  une  comptabilité  régulière  et  à  prendre  enfin  toutes  les  précautions 
utiles  pour  éviter  le  détournement  des  fonds  de  leur  destination»^.  Et  le  ministre, 
reprenant  à  la  lettre  les  suggestions  de  Pinard,  proposait  la  création  d'une  commission  de 
sept  membres  dans  laquelle  était  faite  la  part  la  plus  large  à  l'élément  français,  ou,  pour 
mieux  dire,  à  la  finance  parisienne.  A  côté  de  deux  fonctionnaires  tunisiens  désignés  par 
le  bey  siégeraient  cinq  représentants  des  créanciers  européens,  deux  mandataires  du 
Comptoir  d'Escompte  et  de  la  maison  Erlanger,  le  premier  député  de  la  nation  française, 
deux  notables  italien  et  maltais  élus  par  le  corps  des  négociants  de  Tunis.  On  pouvait 
espérer  de  la  nonchalance  et  de  la  vénalité  des  fonctionnaires  beylicaux  que  la  majorité 
appartiendrait  nécessairement  à  l'élément  français  et  que  la  direction  de  la  Commission 
financière  reviendrait  aux  représentants  d'Erlanger  et  de  Pinard,  l'un  d'eux  devant  être, 
d'après  le  projet,  investi  des  fonctions  de  président. 


4  F.  0.  102/79.  Lettre  privée  de  Wood  à  Hammond.  Versailles,  29  octobre  1867.  Wood  à  Stanley,  Tunis, 
30  novembre  et  23  décembre  1867.  Patrie,  Journal  des  débats,  Moniteur,  octobre-décembre  1867. 

Dans  sa  lettre  du  29  octobre,  Wood  assurait  qu'il  avait  été  informé  de  façon  confidentielle  mais  sûre.  11 
ajoutait  que  de  Botmiliau  poussait  à  l'action  par  ambition  personnelle  et  qu'il  pouvait  compter  sur  l'appui 
d'un  parti  français  très  influent.  «There  is  a  very  strong  and  influential  Party  in  France  who  urges  the 
immédiate  employment  of  coercive  measures  against  the  Bey  and...  there  is  very  little  hope  of  their  being 
altogether  abandoned,  although  the  Emperor  would  be  disposed  to  pursue  a  more  friendly  policy  towards 
His  Highness.» 

En  1879,  un  notable  de  la  colonie  française  de  Tunisie,  Sancy,  rappelait  le  rôle  qu'il  aurait  joué  à  Paris 
dans  les  affaires  tunisiennes  en  1867.  Par  l'intermédiaire  du  général  Fleury,  il  aurait  dissuadé  l'Empereur 
d'abandonner  la  Régence  à  l'Italie  (A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  vol.  9,  note  de  M.  de  Sancy). 

5  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  Note  remise  à  Son  Excellence  M.  le  Ministre  des  Affaires  Etrangères  relativement 
au  règlement  à  intervenir  des  créances  françaises  sur  le  gouvernement  tunisien,  par  le  directeur  du  Comptoir 
d'Escompte,  (janvier)  1868  ;  note  de  MM.  Erlanger  et  Oppenheim,  avec  observations  de  M.  Pinard,  même 
date. 

6  A.  E.  Tunis,  vol.  30.  Moustier  à  Botmiliau,  Paris  15  janvier  1868. 


214 


De  Botmiliau  prévoyait  l'hostilité  du  khaznadar  et  ne  voyait  d'autre  moyen  que  la 
menace  pour  lui  imposer  ce  plan  de  réformes^.  Il  exécuta  avec  fidélité  les  instructions 
qu'il  avait  reçues.  Le  14  mars,  il  obtenait  du  premier  ministre  l'engagement  confirmé  par 
écrit,  de  créer  une  commission  européenne  chargée  de  contrôler  le  budget  de  la  Régence. 
Le  consul  avait  eu  l'habileté  d'obtenir  que  cet  engagement  apparût  comme  une  décision 
spontanée  du  gouvernement  tunisien,  attitude  qui  sauvegardait  la  dignité  du  bey  tout  en 
donnant  pleine  liberté  d'action  au  gouvernement  français.  De  Botmiliau  aurait  accordé  au 
khaznadar  que  la  présidence  de  la  commission  revînt  à  l'un  des  fonctionnaires  tunisiens  ; 
en  revanche  le  gouvernement  du  bey  demandait  à  la  France  l'envoi  d'un  expert  financier, 
qui  serait  adjoint  à  la  commission  avec  le  titre  de  vice-président. 

Le  4  avril,  le  gouvernement  tunisien  prépara  un  décret  instituant,  dans  un  délai 
d'un  mois,  une  commission  financière  composée  de  huit  membres  :  deux  fonctionnaires 
nommés  par  le  bey,  deux  notables  élus  par  le  corps  des  négociants  étrangers  de  Tunis 
deux  mandataires  français  des  porteurs  d'obligations  des  emprunts  souscrits  en  1863 
et  1865,  le  premier  député  de  la  nation  française,  un  inspecteur  français  délégué  par 
le  gouvernement  de  l'Empereur  (art.  2).  Cette  commission  était  chargée  «de  constater 
l'état  actuel  des  diverses  créances  constituant  la  dette  de  la  Régence  et  les  ressources 
à  l'aide  desquelles  le  gouvernement  du  bey  serait  en  mesure  d'y  satisfaire  (art.  3)  ;  de 
dresser  le  tableau  des  revenus  qui  pourraient  être  affectés  spécialement  en  garantie  aux 
créanciers  du  Bey»  (art.  6)  ;  de  percevoir  les  revenus  de  l'Etat  sans  exception  (art.  8). 
Le  gouvernement  s'engageait  en  outre  à  ne  plus  émettre  de  bons  du  Trésor  et  à  ne  pas 
contracter  de  nouveaux  emprunts,  sans  l'assentiment  de  la  commission  (art.  8)  Comme 
le  bey,  d'autre  part,  avait  révoqué  ses  arrêtés  de  janvier  1868  concernant  la  combinaison 
Bureau,  la  manœuvre  des  financiers  parisiens  paraissait  totalement  couronnée  de 
succès. 

Mais  l'initiative  française  déchaînait  à  Tunis  un  véritable  concert  de  protestations. 
Le  khaznadar  avait  informé  les  consuls  d'Angleterre  et  d'Italie  des  pourparlers  engagés 
avec  le  vicomte  de  Botmiliau  ;  il  leur  avait  communiqué  la  teneur  du  décret  en  préparation. 
Les  conversionnistes,  aussitôt,  d'assaillir  leurs  consulats,  réclamant  contre  la  spoliation 
qu'ils  prévoyaient  et  protestant  bien  haut  contre  l'abandon  des  garanties  qu'ils 
administraient.  Les  consuls,  de  leur  côté,  voyaient  avec  inquiétude  se  profiler  la  menace 
d'un  protectorat  français  sur  la  Régence.  Ils  s'empressaient  de  transmettre  et  d'appuyer 
les  pétitions  de  leurs  nationaux.  Mais  Wood  défendait  aussi  les  conversions  pour  des 
raisons  très  personnelles  ;  l'inspecteur  Villet  qui  devait  diriger  les  finances  tunisiennes, 
à  partir  de  1869,  l'affirme  de  façon  catégorique  :  «M.  Wood  se  trouvait  intéressé  dans 
les  conversions  pour  des  sommes  relativement  considérables  qui  avaient  une  double 
origine  -  les  unes  pour  l'appui  qu'il  aurait  donné  antérieurement  aux  commissaires 
des  conversions  ;  les  autres  étaient  le  produit  d'un  commerce  scandaleux  de  teskérés 
du  trésor  fait  en  participation  avec  Santillana,  interprète,  et  Pisani  chancelier  de  son 
consulat,  et  auquel  la  connivence  du  khaznadar  assurait  des  bénéfices  énormes  {des 
teskérés  achetés  sur  la  place  à  10,  15,  20,  25%  ont  été  jadis  remboursés  au  pair  par  le 
caissier  du  gouvernement  sur  ordre  du  Premier  Ministre  et  les  étranges  bénéfices  réalisés 
de  cette  façon,  transformés  en  nouveaux  teskérés  étaient  entrés  dans  les  conversions). 
Telle  a  été  la  cause  réelle  de  l'ardente  opposition  faite  à  l'origine  par  M.  Wood»^. 


1  Ibid.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis  31  janvier  1868. 

«J'ai  été  pris  à  la  gorge  !»  aurait  dit  le  Bey  à  Wood.  (F.  0.102/113.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  6  avril  1868). 
8  A.  E.  Tunis,  vol.  36.  Lettre  de  Villet.  Tunis,  24  octobre  1871. 


215 


Dès  qu'il  eut  connaissance  du  projet  français,  Wood  s'employa  à  rédiger  un  contre- 
projet  de  commission  qui  donnait  la  première  place  à  l'élément  local.  «Une  Commission 
financière  sera  formée  par  décrets  émanés  de  Nous,  laquelle  sera  composée  de 
personnages  de  notre  gouvernement  et  de  quelques  uns  des  principaux  négociants 
européens  établis  à  Tunis»  (art.  premier).  «Le  Président  de  la  Commission  sera  notre 
Ministre  des  Finances  et  le  Vice-Président  sera  nommé  d'entre  lesdits  négociants  à  tour 
de  rôle»  (art.  2)...  «La  Commission  sera  assistée  par  un  représentant  des  détenteurs  des 
obligations  de  1863-1865».  (art.  8)^.  Appuyé  par  Pinna  qui  s'était  rallié  à  son  projet, 
Wood  essaya  de  contrecarrer  les  démarches  de  Botmiliau,  mais  le  bey  ne  céda  point. 
Les  cabinets  de  Londres  et  Florence,  informés  par  télégraphei°,  approuvèrent  l'attitude 
de  leurs  représentants  et  commencèrent  de  se  concerter  en  vue  d'une  action  commune 
auprès  du  gouvernement  de  l'Empereur. 

La  France,  écrivait  Menabrea^i,  le  président  du  conseil  italien,  le  8  avril,  «aspire 
à  se  créer  une  position  supérieure  à  celle  qui  serait  réservée  à  l'Italie,  l'Angleterre 
ou  toute  autre  puissance»  ;  il  dénonçait  le  projet  français  comme  devant  aboutir  «à 
faire  de  la  Tunisie  presque  une  province  française»!^.  Le  10,  il  télégraphiait  à  Pinna  : 
«J'approuve  votre  attitude.  Marchez  d'accord  avec  votre  collègue  anglais.  Protestez 
contre  l'établissement  d'une  commission  composée  ainsi  que  vous  me  l'avez  écrit». 
Le  gouvernement  britannique  approuvait  également  la  conduite  de  son  représentant 
à  Tunis  et  l'autorisait  à  coopérer  avec  son  collègue  d'italiei^.  La  pression  des  agents 
anglais  et  italien  se  fit  plus  forte  au  Bardo  et,  lorsque  de  Botmiliau  vint  apporter  au  bey 
l'agrément  du  gouvernement  français  au  document  du  4  avril,  celui-ci  fit  savoir  qu'il 
renonçait  à  ratifier  le  décret.  Le  consul  de  France,  aussitôt,  décidait  de  suspendre  ses 
relations  avec  le  gouvernement  tunisien. 

Tandis  qu'à  Tunis  Pinna  alignait  spontanément  son  attitude  sur  celle  de  son 
collègue  anglais,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  italien  chargeait  son  représentant 
à  Londres  de  sonder  les  dispositions  de  lord  Stanley!^,  il  invitait  le  chevalier  Nigra, 
ministre  plénipotentiaire  à  Paris,  à  se  concerter  avec  lord  Lyons^®  avant  de  demander 


9  F.  0.102/113.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  28  mars  1868.  Annexe  à  dép.  n°  U. 

10  «Mon  action  personnelle  est  tout  à  fait  insuffisante  pour  parer  à  ces  événements».  (Arch.  Rome.  Tél.  de 
Pinna.  Tunis,  5  avril  (1868). 

11  MENABREA  (Louis-Frédéric,  comte),  homme  d'Etat  italien,  né  à  Bassens  et  mort  à  Saint-Cassin,  Savoie 
(1809-1896).  Ingénieur,  officier  du  génie,  commandant  supérieur  du  génie  pendant  la  campagne  de  1859  ; 
député  depuis  1848,  sénateur  depuis  1860  ;  ministre  de  la  Marine  dans  le  cabinet  Ricasoli,  juin  1861-mars 
1862  ;  comte  à  titre  héréditaire,  novembre  1861  ;  ministre  des  Travaux  Publics  dans  le  cabinet  Farini, 
décembre  1862  -  mars  1863  ;  commandant  général  du  génie  pendant  la  campagne  de  1866  ;  plénipotentiaire 
pour  le  traité  de  paix  avec  l'Autriche,  8  octobre  1866  ;  premier  aide  de  camp  de  SM.  Victor-Emmanuel, 
décembre  1866  ;  président  du  conseil  et  ministre  des  Affaires  étrangères,  27  octobre  1867-14  décembre 
1869  ;  marquis  de  Val  Dora  à  titre  héréditaire,  1875  ;  ambassadeur  à  Londres  14  avril  1876  ;  à  Paris,  Il 
novembre  1882-1892  (Fichier  Rome). 

12  Arch.  Rome.  Menabrea  à  Nigra.  Florence,  8  avril  1868. 

13  F.  0.102/113.  Stanley  à  Wood.  F.  0.  8  avril  1868. 

14  DERBY  (Lord  Edward-Henry-Smith  STANLEY,  comte  de)  né  et  mort  à  Knowsley  Park,  Lancashire 

(1826-1893),  fils  aîné  du  14^“®  comte  de  Derby  et  connu  sous  le  nom  de  lord  Stanley  jusqu'à  la  mort  de  son 
père  en  1869. 

II  fut  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères  à  deux  reprises,  dans  le  troisième  ministère  Derby-Disraeli 
(juillet  1866-décembre  1868)  et  dans  le  cabinet  Disraeli  (février  1874).  II  démissionna  le  28  mars  1878  et 
abandonna  le  parti  conservateur,  en  mars  1880. 

15  LYONS  (Richard-Bickerton-Pemell,  lord),  né  à  Lymington  (Hampshire),en  1817,  mort  à  Londres  en  1887,  fils 
aîné  de  Edmund,  1er  baron  Lyons.  Entré  dans  la  diplomatie  en  1839,  il  fut  successivement  attaché  à  Athènes, 
à  Dresde  et  à  Florence,  secrétaire  de  légation  à  Florence,  en  1856  ;  ministre  à  Washington,  décembre  1858  ; 
ambassadeur  à  Constantinople,  août  1865  ;  ambassadeur  à  Paris,  juillet  1867  ;  il  devait  exercer  ces  fonctions 
pendant  vingt  ans,  jusqu'à  sa  mort.  Lord  Lyons  était  très  en  faveur  auprès  de  Napoléon  III. 


216 


des  explications  au  cabinet  des  Tuileries.  Le  8  avril,  lord  Stanley  chargeait  lord  Lyons 
de  transmettre  les  protestations  du  gouvernement  anglais  auprès  du  marquis  de 
Moustier  et  de  développer  son  désir  d'une  action  commune  des  trois  puissances  pour 
le  rétablissement  des  finances  tunisiennes.  Les  explications  du  ministre  français  furent 
embarrassées,  il  plaida  la  bonne  foi  et  le  désintéressement  du  gouvernement  impérial, 
insista  tout  particulièrement  sur  la  spontanéité  de  la  proposition  du  bey.  il  s'agissait 
en  fait  d'un  acte  conservatoire  pour  la  défense  des  intérêts  de  tous  les  créanciers!^.  Le 
gouvernement  anglais  ne  s'en  satisfit  pas.  Peu  lui  importait  que  l'initiative  fût  venue 
de  Tunis  ou  de  Paris  ;  il  tenait  à  des  garanties  précises  et,  avant  tout,  à  l'égalité  de 
représentation  des  puissances. 

Lyons  dut  revenir  trois  fois  à  la  charge,  les  9,  16  et  23  avril,  appuyé  par  les 
représentations  analogues  du  chevalier  Nigra.  Devant  l'insistante  pression  du  cabinet 
britannique,  le  marquis  de  Moustier  dut  céder.  Après  avoir  promis  à  lord  Lyons  de  ne 
rien  décider  sans  avoir,  au  préalable,  consulté  le  gouvernement  britannique,  il  accorda 
aux  deux  ambassadeurs,  le  16  avril,  la  remise  en  question  de  la  composition  et  même  des 
attributions  de  la  Commission  financière!^.  Les  instructions  envoyées  à  l'ambassadeur  à 
Londres,  le  prince  de  La  Tour  d'Auvergne,  consacraient  cette  reculade  :  le  gouvernement 
impérial  ne  nourrissait  «aucune  arrière-pensée  dangereuse  pour  l'indépendance  de  la 
Régence»,  il  proposait  l'ouverture  à  Paris,  d'une  discussion  entre  les  trois  puissances.  Le 
gouvernement  tunisien  n'y  serait  pas  invité,  pournepas  «suggérer  au  Bey  la  triste  pensée 
d'exploiter  au  profit  de  l'inertie  trop  naturelle  aux  Orientaux,  les  divisions  déplorables 
dont  les  Européens  ne  doivent  jamais  donner  le  spectacle  dans  ces  contrées!®.» 

Le  gouvernement  français  avait  cédé  devant  l'opposition  combinée  de  l'Angleterre 
et  de  l'Italie.  Sans  abandonner  un  projet  qui  n'avait  jamais  été  contesté  en  son  principe,  il 
devait  renoncer  néanmoins  à  l'action  isolée  et  négocier  un  accord  international  sur  des 
bases  nouvelles.  L'opposition  anglo-italienne  ne  traduisait  pas,  cependant,  les  mêmes 
préoccupations  chez  les  deux  puissances. 

Pour  l'Angleterre,  l'essentiel  était  d'assurer  la  protection  des  intérêts  maltais 
engagés  dans  les  conversions  et  d'éviter  un  protectorat  français  sur  la  Régence.  A  Tunis, 
Wood  disposait  d'une  grande  liberté  d'action  sans  doute,  mais  le  cabinet  conservateur 
se  souciait  visiblement  assez  peu  des  affaires  tunisiennes.  Lord  Stanley  lui-même  voilait 
son  indifférence  en  se  déclarant  périodiquement  peu  informé,  il  ne  croyait  guère  aux 
ambitions  françaises  en  Tunisie  et  ne  souhaitait  nullement  engager  l'Angleterre  de  ce 
côté.  Le  principal  secrétaire  d'Etat  consentait  bien  volontiers  à  laisser  au  gouvernement 
français  la  responsabilité  -  voire  le  prestige  -  d'un  règlement  financier  pourvu  que  toutes 
les  créances  fussent  également  traitées  et  maintenue  l'apparence  du  statu  quo  dans 
un  pays  que  le  Foreign  Office,  par  tradition,  considérait  toujours  comme  une  province 
ottomane. 

Aussi  la  politique  suivie  par  lord  Stanley  fut-elle  constamment  claire  et  loyale,  il 
avait  protesté  avec  énergie  contre  le  projet  français,  mais  comprenait  la  nécessité  d'une 
profonde  réforme  financière  à  Tunis.  Dès  que  le  gouvernement  français  eut  cédé  et 
consenti  à  l'internationalisation  de  la  Commission,  le  ministre  anglais  entretint  avec  lui 
une  négociation  très  ouverte  avec  le  désir  évident  d'aboutir.  Lord  Stanley  ne  soulevait  pas 


16  F.  0.102/113.  Lyons  à  Stanley.  Paris,  10  et  17  avril  1868. 

Arch.  Rome.  Nigra  à  Menabrea,  confid.  Paris,  17  avril  1868. 

17  F.  O.  102/113.  Lyons  à  Stanley.  Paris,  17  avril  1868. 

18  A.  E.  Angleterre,  vol.  744.  Moustier  à  La  Tour  dAuvergne.  Paris,  24  avril  1868. 


217 


de  difficultés  sur  les  points  de  détails  ;  il  refusait  également  d'encourager  les  intrigues 
des  financiers  et  de  se  prêter  aux  tortueuses  suggestions  du  cabinet  italien. 

L'attitude  italienne  était  tout  autre  en  effet.  Soucieux  de  s'affirmer  à  Tunis,  le  cabinet 
de  Florence  cherchait  à  se  poser  en  rival  de  l'influence  française  autant  qu'à  protéger 
les  intérêts  de  ses  nationaux!^.  Depuis  Mentana,  les  relations  franco-italiennes  s'étaient 
sensiblement  refroidies.  Certains  diplomates  rêvaient  pour  l'Italie  d'une  prépondérance 
en  Méditerranée  ;  «ils  aspirent  à  devenir  les  héritiers  de  notre  situation  commerciale  et 
politique  dans  ces  parages»,  écrivait  le  baron  de  Malaret^o,  qui  dénonçait  leur  influence 
dans  les  bureaux  du  ministère  à  Florence.  On  évoquait  les  souvenirs  de  la  Carthage 
romaine  sur  une  terre  où  la  colonie  italienne  était  déjà  la  plus  nombreuse.  Les  Juifs 
livournais,  qui  tenaient  plus  de  la  moitié  des  conversions  harcelaient  le  consulat  et  le 
ministère  de  rapports  et  de  pétitions.  Les  ambitions  financières  d'un  Castelnuovo,  qui 
jouissait  de  la  faveur  du  roi  et  s'était  introduit  dans  les  milieux  politiques  de  la  capitale 
italienne  venaient  encore  encourager  le  gouvernement  à  montrer  plus  de  fermeté  dans 
les  affaires  tunisiennes. 

Il  était  difficile  sans  doute  pour  l'Italie  de  faire  admettre  ses  ambitions;  aussi 
défendait-elle  avec  âpreté  le  principe  de  Légalité  entre  puissances,  contestait-elle  jusqu'à 
l'apparence  d'une  prééminence  française  dans  la  Régence.  La  défense  des  conversions 
anglo-italiennes  était,  pour  le  général  Menabrea,  le  meilleur  des  prétextes  pour  essayer 
de  réaliser  avec  l'Angleterre  un  front  commun  contre  la  France.  Maffei^i  harcelait  le 
Foreign  Office  de  communications  ;  il  n'obtenait  des  diplomates  britanniques  que  des 
témoignages  de  courtoise  indifférence.  Du  côté  de  la  France,  le  gouvernement  italien 
proclamait  son  désir  d'entente,  mais  il  ne  cessait  de  soulever  des  difficultés;  il  se  faisait 
procédurier,  chicanant  sur  un  détail,  revenant  sur  un  accord.  Les  discussions  traînèrent 
à  l'infini.  Elles  furent  ralenties  encore  par  divers  changements  ministériels.  Quinze  mois 
s'écoulèrent  avant  qu'on  eût  pu  réaliser  une  entente  générale.  A  la  longue,  les  subtilités 
d'une  politique  italienne  trop  sinueuse  devaient  provoquer  l'irritation  des  milieux 
diplomatiques  anglais  et  français,  inquiets  de  voir  s'aggraver  toujours  la  situation 
financière  de  la  Régence. 

A  Tunis,  toutes  relations  officielles  étaient  suspendues  entre  le  consulat  de  France 
et  le  Bardo.  De  Botmiliau  avait  fait  descendre  son  pavillon.  Il  parlait  de  s'embarquer, 
menaçait  le  khaznadar  d'une  intervention  française  et  dénonçait  au  ministère  la 
mauvaise  foi  du  gouvernement  tunisien,  les  intrigues  de  Wood  et  de  Pinna.  Le  marquis 
de  Moustier  s'efforçait  de  tempérer  l'ardeur  du  consul.  Visiblement  embarrassé  par 
la  tournure  des  événements,  il  tenait  cependant  à  sauver  les  apparences  auprès  du 
gouvernement  tunisien.  Comme  celui-ci  ne  paraissait  pas  disposé  à  céder,  de  Moustier 


19  Arch.  Rome.  Corresp.  de  Pinna  et  Menabrea,  octobre  1867-juillet  1869,  pass. 

20  A.  E.  Italie,  vol.  22.  Malaret  à  La  Valette.  Florence,  7  juin  1869. 

MALARET  (Joseph-Alphonse-Paul  dAiguevives,  baron  de).  Entré  dans  la  carrière  diplomatique  en  1842,  il  fut 
successivement  attaché  à  Rome,  à  Mexico  et  à  Turin  ;  chargé  d’affaires  à  Turin,  7  mars  1848  ;  démissionnaire, 
13  mars  1848.  Secrétaire  à  La  Haye,  17  février  1852  ;  à  Berlin,  17  juin  1854  ;  à  Londres,  30  avril  1856  ; 
ministre  plénipotentiaire  à  Hanovre,  7  décembre  1859  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire 
à  Bruxelles,  20  octobre  1862  ;  à  Turin,  du  13  octobre  1863  au  18  septembre  1870. 

Grand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  depuis  le  19  juin  1867,  il  mourut  le  24  mai  1886  au  château  de  Malaret 
(Haute-Garonne).  (Fichier  A.  E). 

21  MAFFEI  DI  BOGLIO  (Carlo-Alberto,  marquis),  secrétaire  puis  conseiller  de  légation  à  Londres.  Il  fut  chargé 
de  gérer  la  légation  d'Italie  du  17  mars  1868  au  18  juin  1869. 

Maffei  devait  jouer  un  grand  rôle  dans  les  affaires  tunisiennes  entre  1879  et  1881.  Sur  sa  carrière,  voir  chap. 
XI,  note  72. 


218 


demanda  aux  cabinets  de  Londres  et  de  Florence  de  faire  cesser  l'opposition  de  leurs 
agents  à  la  ratification  du  décret  du  4  avril.  «11  y  a  dans  l'affaire  de  Tunis»,  écrivait-il  au 
chevalier  Nigra  «deux  discussions  distinctes,  une  entre  le  bey  et  nous  ;  une  entre  nous 
et  le  gouvernement  italien.  La  première  nous  regarde  seuls  et  se  réglera  très  aisément, 
à  la  condition  qu'aucune  immixtion  étrangère,  en  empêchant  le  bey  de  nous  donner  les 
satisfactions  que  nous  exigeons  de  lui,  et  qu'il  n'est  nullement  par  lui-même  disposé 
à  refuser,  ne  nous  oblige  à  maintenir  et  à  sauvegarder  notre  dignité  sur  laquelle  nous 
ne  saurions  transiger.  Le  bey  a  pris  vis-à-vis  de  nous  des  engagements  ;  il  est  hé  par 
sa  parole  et  nous  ne  lui  reconnaissons  pas  le  droit  de  déclarer  qu'il  la  retire,  même 
provisoirement^^»...  La  querelle  était  de  pure  forme  :  le  gouvernement  français  renonçait 
par  avance  aux  bénéfices  du  décret  qu'il  entendait  publier,  subtilité  qui  n'abusa 
personne,  pas  même  le  Bardo.  «Nous  ne  pouvons  admettre  qu'une  parole  donnée  fût 
retirée»,  écrivait  le  marquis  de  Moustier  aux  ambassadeurs  à  Londres  et  à  Florence, 
«...  Mais  nous  sommes  très  loin  de  penser  que  le  décret  du  4  avril  ne  soit  susceptible 
d'aucune  amélioration.  Si  des  modifications  sont  reconnues  utiles  d'un  commun  accord, 
nous  estimons  qu'il  sera  facile  de  les  faire  adopter  par  le  gouvernement  tunisien.» 

«Nous  n'avons  jusque  là  nulle  intention  de  nous  prévaloir  de  ce  décret,  ni  de 
procéder  à  la  formation  de  la  Commission  qu'il  a  en  vue  d'instituer.  Le  gouvernement 
britannique  [italien]  n'a  donc  de  son  côté  aucun  intérêt  à  ce  que  nous  ne  recevions  pas 
du  bey  la  satisfaction  que  nous  attendons  de  ce  prince^^...» 

Quand  le  gouvernement  français  eut  renouvelé  ses  assurances  de  la  façon  la  plus 
catégorique,  lord  Stanley  ne  fit  aucune  difficulté  dans  cette  «question  de  dignité  entre  la 
France  et  le  bey»^^  ;  dès  le  23  mai,  il  assurait  l'ambassadeur  de  France  que  Wood  serait 
invité  à  suspendre  son  opposition  ;  il  conseillait  au  gouvernement  italien  d'adopter  une 
attitude  analogue.  Mais  le  général  Menabrea  tergiversa  assez  longtemps  avant  de  suivre 
le  conseil  donné  par  le  secrétaire  d'Etat  anglais.  Dès  que  Pinna  eut  reçu  les  mêmes 
instructions  que  Wood,  le  gouvernement  tunisien  céda,  et  le  khaznadar  vint  en  grand 
uniforme  au  consulat  de  France,  le  30  mai,  apporter  la  ratification  du  bey.  L'incident  était 
réglé  sur  le  plan  tunisien  ;  mais,  comme  il  était  entendu  que  le  décret  d'avril  resterait 
lettre  morte,  il  fallait  trouver  les  bases  d'un  accord  plus  difficile  sur  le  fond  même  de  la 
question. 

Menabrea  se  déclarait  hostile  à  la  fusion  des  diverses  créances.  Les  garanties 
avantageuses  données  aux  conversionnistes  ne  devaient  pas,  selon  lui,  profiter  aussi 
à  d'autres  créanciers,  antérieurs  sans  doute,  mais  moins  avisés  ou  moins  heureux,  qui 
s'étaient  contentés  de  garanties  moins  sûres^s.  Il  recommandait  à  Maffei  d'insister  sur 
la  nécessité  d'un  accord  entre  Londres  et  Florence  et  proposait  de  prendre  pour  base  de 
discussion  le  contre-projet  de  Commission  financière  élaboré  par  Wood^^.  Il  dénonçait 
les  projets  financiers  qui  s'élaboraient  à  Paris  où  il  voyait  le  moyen  d'éliminer  l'influence 
anglo-italienne  de  la  Régence.  Mais  lord  Stanley  croyait  à  la  bonne  foi  de  la  France. 
Aux  démarches  de  Maffei,  il  ne  répondait  que  par  de  bonnes  paroles.  Persuadé  de  la 
duplicité  des  agents  du  bey,  lord  Stanley  recommandait  la  prudence  au  gouvernement 


22  Arch.  Rome.  Moustier  à  Nigra.  Paris,  9  avril  1868. 

23  A.  E.  Angleterre,  vol.  744.  Moustier  à  La  Tour  dAuvergne  [à  Malaret], 
Paris,  21  mai  1868. 

24  Arch.  Rome.  Tél.  de  Maffei.  Londres,  16  mai  1868. 

25  Ihid.  Menabrea  à  Maffei,  confid.  Turin,  25  avril  1868. 

26  Ibid.  Même  dépêche 

Ibid.  Maffei  à  Menabrea.  Londres,  29  avril  1868. 


219 


italien,  lui  conseillait  de  «s'abstenir  de  tout  acte  pouvant  être  interprété  par  la  France 
comme  une  coalition  contre  elle^^.» 

Cependant  le  gouvernement  français  ne  se  hâtait  pas  de  présenter  des  propositions 
précises.  Le  marquis  de  Moustier  semblait  se  préoccuper  uniquement  de  faire  aboutir 
une  combinaison  financière  patronnée  par  Pinard  sous  le  couvert  de  la  Société  Générale, 
manœuvre  qui  provoquait  l'indignation  du  cabinet  italien^s.  Quatre  mois  s'écoulèrent  en 
vain. 

Au  début  d'octobre,  enfin,  le  marquis  de  Moustier  présenta  à  l'ambassadeur  anglais 
et  au  ministre  italien  à  Paris  les  projets  concernant  la  Commission  financière  de  Tunis.  11 
suggérait  de  scinder  cette  commission  en  deux  comités  distincts,  un  comité  administratif 
et  un  comité  de  contrôle.  Le  premier  serait  formé  de  deux  fonctionnaires  tunisiens  dont 
l'un  serait  le  président  de  la  commission,  et  d'un  inspecteur  des  Finances  français,  vice- 
président,  mis  à  la  disposition  du  bey  par  le  gouvernement  de  l'Empereur.  Le  comité  de 
contrôle  serait  formé  des  représentants  des  divers  intérêts  des  puissances,  en  nombre 
égal.  11  aurait  mission  de  connaître  de  toutes  les  opérations  du  Comité  exécutif,  de  les 
vérifier  et  de  les  approuver^^. 

Lord  Stanley  donna  aussitôt  son  approbation  :  «la  séparation  du  contrôle  financier 
et  de  la  direction  administrative  lui  paraît  également  une  heureuse  innovation  et  la 
concentration  de  celle-ci  dans  un  comité  composé  d'un  petit  nombre  de  personnes  offre, 
il  en  convient,  de  nombreux  avantages  au  point  de  vue  de  l'unité  d'action,  gage  essentiel 
de  l'efficacité  dans  la  tâche  qui  lui  est  dévolue.  Quant  à  l'introduction  d'un  fonctionnaire 
français  dans  ce  comité,  elle  ne  soulève,  de  la  part  de  lord  Stanley,  aucune  objection,  et  il 
m'a  même  assuré  qu'il  avait  fait  connaître  à  cet  égard  sa  manière  de  voir  au  gouvernement 
italien»3o.  Il  se  déclarait  disposé  à  accepter  la  présence  d'un  inspecteur  français,  parce 
que,  déclarait-il  à  Maffei,  «je  n'ai  pas  confiance  dans  les  fonctionnaires  tunisiens,  et 
que  je  dois  en  outre  vous  confesser  qu'en  matière  d'administration,  les  Français  sont 
les  plus  intelligents  de  tous  les  employés»^!...  «Je  ne  m'opposerai  pas  à  l'introduction 
du  commissaire  français  dans  la  section  administrative,  mais  en  le  subordonnant  au 
pouvoir  de  la  section  de  contrôle,  j'empêcherai  que  Fautre  ne  devienne  un  dictateur»^^. 
L'adhésion  du  gouvernement  anglais  entraîna  celle  du  gouvernement  italien.  Le  31 
octobre,  le  cabinet  de  Florence  faisait  connaître  son  acceptation  de  principe  au  marquis 
de  Moustier^^.  Mais  il  n'entendait  pas  se  lier  par  un  accord  plus  précis  à  une  proposition 
qu'il  désapprouvait  visiblement.  Les  Italiens  s'inquiétaient  du  caractère  qui  serait  dévolu 
au  technicien  français,  au  sein  du  comité  exécutif  et,  comme  le  marquis  de  Moustier 
avait  suggéré  de  réunir  les  secrétaires  des  deux  ambassades  pour  discuter  au  ministère 
des  modalités  du  projet,  ils  affectaient  de  croire  à  l'ouverture  d'une  discussion  entre 
plénipotentiaires,  comme  si  leur  adhésion  de  principe  n'avait  été  qu'un  accord  sous 
condition^^.  Qn  les  vit  soutenir  un  moment  la  demande  de  la  Prusse  de  participer  aux 


27  Ibid.  Maffei  à  Menabrea.  Londres,  28  mai  1868. 

28  F.  0.102/113.  Lyons  à  Stanley.  Paris,  17  et  23  avril  1868. 

29  A.  E.  Angl.  vol.  746.  Moustier  à  St  Ferréol.  Paris,  22  octobre  1868. 

Egalement  Arch.  Rome.  Nigra  à  Menabrea.  Paris,  9  octobre  1868. 

30  A.  E.  Angl.  vol.  746.  St  Ferréol  à  Moustier.  Londres,  27  octobre  1868.  (De  Saint-Ferréol  assurait  l'intérim 
pendant  un  congé  de  La  Tour  d'Auvergne). 

31  Arch.  Rome.  Maffei  à  Menabrea,  confid.  Londres,  19  octobre  1868. 

32  Ibid.  Du  même  au  même.  Londres,  27  octobre  1868. 

33  Ibid.  Tél.  à  Puliga.  Florence,  31  octobre  (Le  comte  de  Puliga  assurait  l'intérim  pendant  un  séjour  de  Nigra  à 
Compiègne). 

34  Ibid.  Puliga  à  Menabrea.  Paris,  20  novembre  1868. 

A.  E.  Italie,  vol.  24.  A.  Malaret,  Paris,  26  novembre  1868. 

220 


débats,  sous  le  prétexte  de  défendre  ses  nationaux,  en  l'occurrence,  les  Erlanger  devenus 
sujets  prussiens.  En  réalité,  le  gouvernement  italien  cachait  son  mauvais  vouloir  sous 
des  prétextes.  11  semblait  faire  traîner  les  discussions,  comme  s'il  espérait  beaucoup  de 
l'arrivée  au  pouvoir  en  Grande-Bretagne,  d'une  administration  libérale^®. 

2  -  Intrigues  et  combinaisons  financières 

Le  directeur  du  Comptoir  d'Escompte  ne  se  résignait  pas  à  abandonner  les  affaires 
tunisiennes  dans  lesquelles  il  s'était  si  fortement  engagé.  Pour  rentrer  dans  les  fonds  qu'ils 
avaient  naguère  avancés  au  gouvernement  tunisien.  Pinard  et  ses  alliés  faisaient  vendre 
les  obligations  de  1863,  déposées  en  gage  au  Comptoir  d'Escompte  par  le  gouvernement. 
Profitant  de  l'effondrement  des  cours  depuis  l'été  186736,  ils  acquirent  à  bon  compte 
un  papier  déprécié  dont  ils  entendaient  bien  se  défaire  au  prix  fort.  La  manœuvre  ne 
présentait  pas  le  moindre  risque.  A  la  fois  acheteur  pour  son  compte  et  vendeur  pour 
celui  du  gouvernement  tunisien,  le  directeur  du  Comptoir  d'Escompte  pouvait  réduire 
ces  opérations  à  de  simples  virements  de  comptes,  les  titres  n'ayant  pas  même  à  quitter 
les  coffres  de  la  banque.  11  pouvait  choisir  les  dates  les  plus  favorables,  provoquer  à  son 
gré  la  chute  des  cours,  en  libérant  sur  un  marché  aussi  étroit  que  peu  actif  quelques-unes 
des  obligations  du  gouvernement.  Plus  les  cours  étaient  bas,  meilleure  était  l'opération  : 
pour  la  même  somme  à  recouvrer,  les  titres  passaient  en  plus  grand  nombre  du  compte 
du  gouvernement  à  celui  des  banquiers.  Le  khaznadar  pouvait  difficilement  protester  ; 
les  Erlanger  avaient  la  preuve  de  détournements  plus  cyniques  commis  par  le  premier 
ministre  au  détriment  du  bey.  Les  dates  des  opérations  du  Comptoir,  telles  que  les 
dénonçait  en  1868  le  comité  des  obligataires,  coïncident  avec  une  belle  régularité  avec  les 
périodes  de  dépression  des  cours  en  bourse  de  Paris,  telles  que  nous  avons  pu  les  établir 
d'après  la  presse  financière  de  l'époque.  23.831  obligations  de  1863  avaient  été  déposées 
en  effet  par  le  gouvernement  tunisien,  en  garantie  des  avances  faites  par  le  syndicat 
Pinard,  le  11  janvier  1867.  Plusieurs  milliers  de  ces  obligations  étaient  vendues,  le  1“ 
octobre  1867  et  vers  la  mi  décembre  1867,  6.365  autres,  en  mars  1868,  ce  qui  réduisait 
à  13.201  titres  le  dépôt  du  gouvernement^^,  2.707  encore,  dans  la  première  quinzaine 
d'avril  186833.  Ces  opérations  devaient  continuer  dans  les  mois  suivants  puisque,  en 
mai  1870,  le  Comptoir  d'Escompte  ne  présenta  que  8.444  obligations  à  l'échange  pour 
le  compte  du  gouvernement  tunisien39.  Qr,  il  était  avéré  que  cet  établissement  détenait 
toujours  pour  douze  millions  -  nominaux  évidemment-  de  titres  tunisiens^o.  La  majeure 


35  Le  premier  cabinet  Gladstone  formé  au  début  de  décembre  1868. 

36  Lorsque  le  gouvernement  tunisien  avait  cessé  ses  paiements  à  l'étranger. 

37  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes.  Rapport  aux  obligataires,  30  mars.  1.868.  625  des  obligations 
en  question  étaient  sorties  au  tirage  d'avril  1867.  Le  comité,  en  signalant  la  vente  des  obligations  par  le 
groupe  Pinard,  ne  dénonçait  pas  une  manœuvre  dont  il  ne  pouvait  encore  soupçonner  l'ampleur.  Il  protestait 
seulement  au  nom  des  obligataires  pour  obtenir  le  paiement  des  coupons  en  retard. 

38  Arch.  Tun.  Doss.  300,  carton  112.  Lettres  de  Pinard  au  premier  ministre.  Paris,  17  décembre  1867,  2  avril 
1868  (publiée  par  le  Comité  des  porteurs]  et  14  avril  1868. 

La  vente  des  6365  obligations  de  1863  pour  1.019.242.10  Fr.  correspond  bien  au  cours  moyen  de  160  francs 
atteint  par  cette  valeur  en  bourse  de  Paris  dans  la  deuxième  quinzaine  de  mars  1868  Nous  pouvons  établir 
la  même  référence  pour  la  réalisation  de  1837  titres  à  la  mi  décembre  1867  (156  Fr]  et  de  2707  titres,  entre 
le  2  et  le  14  avril  1868  (175,5  Fr).  En  revanche,  la  lettre  de  Pinard  publiée  par  le  Comité  des  porteurs  et 
dont  nous  n'avons  pas  retrouvé  l'original  dans  les  archives  tunisiennes,  contient  des  indications  difficiles 
à  concilier.  Pinard  signalait  au  bey,  le  9  octobrel867,  la  vente  de  1797  obligations  pour  495.147.50  Fr.  Ce 
serait  au  prix  de  275  Fr.  par  titre,  cours  qui  n'était  plus  atteint  depuis  le  début  de  juillet.  Il  est  vraisemblable 
qu'une  erreur  de  chiffre  a  été  commise. 

39  Documents  sur  Khérédine  publiés  par  MM  Mzali  et  Pignon.  R.T.  1938,  p  153. 

40  F.  O.  102/116.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  24  avril  1869. 


221 


Le  cours  des  obligations  tunisiennes  en  bourse  de  Paris 
et  les  opérations  du  Comptoir  d’Escompte  (1867-1868). 


partie  des  valeurs  déposées  en  janvier  1867  étaient  devenues  la  propriété  du  groupe 
Pinard'^^.  C'est  pour  leur  compte  et  non  pour  celui  du  gouvernement  que  les  financiers 
entendaient  évidemment  mener  l'opération. 

Pinard  et  ses  alliés  avaient  besoin  de  l'appui  de  la  diplomatie  française  pour 
diriger  une  opération  de  conversion  grâce  à  laquelle  ils  échangeraient  au  taux  de 
500  francs  les  obligations  qu'ils  s'étaient  attribuées  pour  150  à  175  francs.  Tant  que 
les  financiers  pourraient  compter  sur  la  bonne  volonté  du  quai  d'Orsay,  les  risques 
resteraient  assez  limités,  les  bénéfices  ne  devant  pas  être  inférieurs  à  200%.  On 
pouvait  bien  là-dessus  prévoir  quelques  largesses...  Le  mot  d'ordre  officiel  restait  bien 
entendu  la  défense  des  petits  épargnants  français,  de  ces  ouvriers,  de  ces  employés 
qui  avaient  souscrit  d'enthousiasme  aux  emprunts  de  1865  et  qui,  déçus  par  la  chute 
des  cours,  las  de  voir  s'amenuiser  leur  capital  et  d'attendre  en  vain  les  gros  intérêts 
qui  les  avaient  séduits,  étaient  contraints  de  vendre  alors,  dans  les  conditions  les  plus 
mauvaises. 

Comme  l'opposition  anglo-italienne  au  projet  français  laissait  peu  d'espoir  aux 
financiers  de  diriger  à  leur  guise  la  commission  qu'ils  avaient  suggérée,  ils  échafaudèrent 
un  nouveau  plan  d'action  pour  aboutir  au  même  résultat.  Au  début  d'avril  1868,  Pinard 
mettait  en  avant  la  Société  générale  dont  il  était  l'un  des  administrateurs^'^  pour  faire 
présenter  sous  la  garantie  de  la  commission  financière  à  créer,  un  projet  de  conversion 


Arch.  Tun.  Doss.  43,  carton  88. 

41  Nous  ne  connaissons  malheureusement  pas  les  arrangements  intervenus  entre  les  membres  du  syndicat 
Pinard  lors  de  la  liquidation  des  titres.  Certains  d'entre  eux  avaient  pu  se  retirer,  exiger  de  l'argent  et  non 
des  obligations.  Il  semble  que  Dahdah  eût  été  fortement  engagé  dans  la  manœuvre  de  Pinard. 

42  Avec  Bischoffsheim  et  Kœnigswarter,  un  des  associés  d'Erlanger.  Il  s'agissait  évidemment  de  rassurer  le 
public  alerté  par  la  polémique  dirigée  contre  le  Comptoir  d'Escompte  (Brochures  de  Sourigues,  Hugelmann  ; 
protestations  des  obligataires  de  1865,  bientôt  suivies  d'un  procès  contre  Pinard  :  1867-1868). 


222 


des  emprunts  de  1863  et  Le  projet  prévoyait  l'échange  au  pair  des  obligations 

anciennes  contre  des  obligations  de  rente  perpétuelle  de  500  francs  portant  intérêt  à 
10%  l'an.  Mais  il  n'était  plus  question  d'amortissement  obligatoire  pour  le  gouvernement 
tunisien  :  celui-ci  pourrait  racheter  sa  dette  à  son  gré.  On  prévoyait  seulement  la  création 
d'obligations  spéciales  de  250  francs  -  une  par  obligation  de  500  francs  -  ne  portant  pas 
intérêt  et  remboursables  à  partir  du  1“  mai  1870  par  tirage  semestriel  pendant  vingt 
cinq  ans.  En  échange  de  l'accroissement  de  l'intérêt  annuel,  était  prévu  le  versement, 
lors  de  l'échange,  d'une  soulte  de  125  francs  par  obligation,  dont  le  porteur  déduirait 
la  valeur  des  coupons  impayés  depuis  juillet  1867,  ce  qui  la  réduirait  à  moins  de  90 
francs''^.  La  négociation  était  assortie  d'une  avance  de  35  millions  au  gouvernement, 
dont  le  montant  servirait  éventuellement  à  désintéresser  les  créanciers  étrangers  de  la 
Régence  et  à  ôter  aux  gouvernements  anglais  et  italien  tout  prétexte  d'intervention  dans 
les  affaires  tunisiennes'^s. 

Le  projet  était  compliqué;  sous  le  nom  de  soulte,  il  prévoyait  en  réalité,  un  nouvel 
appel  au  crédit;  plus  de  onze  millions,  si  les  132.498  obligations  de  1863  et  1865  étaient 
converties.  Les  charges  du  gouvernement  tunisien  n'étaient  pas  sensiblement  réduites, 
et  surtout,  le  projet  ne  résolvait  rien,  car  il  ne  tenait  aucun  compte  de  la  dette  intérieure 
tunisienne  dont  il  fallait  encore  assurer  le  règlement^^.  Le  ministre  des  Finances,  consulté, 
se  montra  peu  favorable  :  il  jugeait  minces  les  chances  de  succès;  la  conversion  étant 
facultative,  il  était  à  craindre  que  les  obligataires  n'hésitent  à  aventurer  de  nouveaux 
fonds  dans  le  gouffre  tunisien.  Le  8  avril  1868,  la  direction  des  Fonds,  sous  la  signature 
du  ministre  Magne,  déconseillait  au  ministre  des  Affaires  étrangères  toute  approbation 
du  projet  de  la  Société  générale'*^.  Le  consul  de  Botmiliau  se  montrait  également  hostile 
à  un  plan  qu'il  Jugeait  aussi  peu  sérieux  que  la  combinaison  Bureau'^®.  Mais  le  marquis 
de  Moustier  n'en  tint  aucun  compte  :  sous  des  apparences  de  neutralité,  il  encourageait 
l'opération  et  facilitait  la  conclusion  d'un  accord  entre  la  Société  générale  et  le  ministre 
de  l'Intérieur  tunisien,  le  général  Roustam,  envoyé  spécial  du  bey  à  Paris^®.  Le  10  juin,  il 
invitait  de  Botmiliau  à  presser  le  khaznadar  de  ratifier  l'accord  conclu  à  Paris^o. 

La  manœuvre  échoua  devant  l'opposition  combinée  des  consuls  d'Angleterre  et 
d'Italie.  Wood  avait  mis  sur  pied,  avec  le  Dr  Castelnuovo,  venu  tout  exprès  dans  la  Régence, 
un  contre-projet  de  conversion  destiné  à  écarter  les  financiers  français.  A  défaut  de 
finance  italienne,  Castelnuovo,  qui  avait  l'oreille  du  cabinet  de  Florence,  alla  s'aboucher 
secrètement  avec  les  banquiers  anglais  Hope  et  Blackmore.  Le  18  juin,  lord  Lyons 
transmettait  confidentiellement  à  lord  Stanley  la  copie  du  projet  qui  venait  d'être  élaboré. 
Celui-ci  prévoyait  l'unification  de  toutes  les  dettes  de  la  Régence,  le  paiement  régulier 
d'un  intérêt  de  7%  et  le  rachat  de  la  dette  unifiée  en  dix-sept  ans  et  demi.  Une  commission 


43  F.  0.102/114.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  16  mai  1868. 

44  A.N.  F.  30.  240 

45  Arch.  Rome.  Dépêche  de  Pinna.  Tunis,  21  avril  1868. 

F.  0.102/113.  Wood  à  Stanley.  Tunis.  24  avril  1868. 

A.  E.  Tunis,  vol.  20.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  12  mai  1868. 

46  Les  clauses  de  rachat  pouvaient  permettre  bien  des  arrangements.  On  peut  penser  qu'en  cas  de  succès 
l'argent  ainsi  collecté  aurait  servi  surtout  à  rembourser  les  obligations  détenues  par  les  financiers  et  le 
khaznadar. 

47  A.  N.  F.  30.  240. 

48  A.  E.  Tunis,  vol.  30.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  12  et  15  mai  1868. 

49  F.  0.102/113.  Lyons  à  Stanley.  Paris,  23  avril  1868. 

50  «Nous  avons  appris...  avec  satisfaction  que  des  négociations  étaient  engagées  entre  le  général  Roustam  et  la 
Société  générale».  (A.  E.  Tunis,  vol.  30.  Moustier  à  Botmiliau.  Paris,  10  juin  1868). 


223 


financière  internationale  serait  chargée  de  gérer  les  revenus  du  gouvernement  dont  les 
dépenses,  notamment  en  matière  d'armée  et  de  marine,  devaient  être  sensiblement 
réduites.  La  neutralité  et  l'autonomie  de  la  Régence  seraient  placées  sous  la  garantie  de 
l'Angleterre,  de  la  France,  de  la  Prusse  et  de  l'Italie.  Un  emprunt  permettrait  d'assurer  les 
premières  échéances  et  de  relever  le  crédit  tunisien,  en  attendant  le  règlement  définitif 
de  la  dette  unifiée^i.  Les  banquiers  Hope  et  Blackmore  s'étaient  assurés  le  concours  de 
plusieurs  maisons  de  la  Cité,  notamment,  Robinson  et  Fleming,  Goshen,  Baring,  London 
andCounty  Bank.  William  Hope  exposa  lui-même  son  projeté  lord  Stanley52.  Il  développa 
la  nécessité  de  dégager  Tunis  de  la  tutelle  française  et  assura  que  son  plan  avait  été  très 
favorablement  accueilli  par  le  bey  qui  avait  dépêché  à  Paris  le  général  Khérédine  avec 
pleins  pouvoirs  pour  traiter.  Il  ajoutait  qu'il  était  en  communication  confidentielle  avec 
le  gouvernement  italien  «lequel  considère  avec  la  plus  grande  inquiétude  l'occupation 
française  de  Tunis»  et  se  montre  prêt  à  soutenir  toute  proposition  ayant  l'agrément  de 
la  Reine.  Mais  lord  Stanley  ne  manifesta  aucun  enthousiasme.  Il  laissa  faire  cependant 
le  financier  anglais  qui,  après  avoir  signé  l'accord  avec  Khérédine  le  22  juillet,  espérait 
beaucoup  d'une  entrevue  personnelle  avec  Napoléon  III  à  Plombières^^ 

Le  19  août,  le  projet  d'unification  était  ratifié  par  le  bey,  sous  condition  cependant 
de  l'agrément  des  trois  puissances.  Pour  prix  de  ses  bons  offices,  Castelnuovo  recevait 
300.000  piastres  et  la  concession  de  la  mine  de  plomb  du  Djebel-Ressas^^.  Mais  le  marquis 
de  Moustier  n'avait  nulle  intention  d'encourager  la  manœuvre  des  financiers  anglais. 
Ceux-ci  avaient  beau  s'assurer  le  concours  dans  leur  syndicat  d'une  maison  française 
de  Londres,  Charles  Devaux  et  Cie,  le  ministre  français  déclarait  s'en  tenir  toujours  au 
projet  de  la  Société  générale.  Hope  était  également  découragé  par  les  méthodes  trop 
orientales  du  gouvernement  tunisien  ;  il  pressait  en  vain  le  Foreign  Office  de  le  soutenir. 
Lord  Lyons  déconseillait  nettement  toute  intervention  :  «puisqu'un  accord  international 
était  établi,  le  mieux  était  de  laisser  cette  commission  libre  de  décider  des  mesures  à 
prendre,  et  de  ne  pas  l'entraver  sans  nécessité  par  une  convention  conclue  entre  le  bey 
et  des  capitalistes  étrangers...»  Le  gouvernement  britannique  «ne  devait  donner  aucun 
appui  à  Tunis  au  projet  Hope  et  Blackmore  sans  en  venir  d'abord  à  une  entente  à  ce 
sujet  avec  le  gouvernement  français»^^.  Lord  Stanley  s'en  tint  fidèlement  à  ce  point  de 
vue.  Il  refusa  nettement  de  s'engager,  et  les  démarches  des  agents  anglais,  qu'appuyait 
Castelnuovo,  restèrent  vaines  au  Bardo.  Devant  l'opposition  du  consul  de  France,  en 
décembre,  le  bey  refusa  de  mettre  en  application  la  convention  qu'il  avait  acceptée 
quelques  mois  plus  tôt^®.  Castelnuovo  continua  vainement  d'intriguer  à  Tunis  auprès  de 
Wood  et  du  khaznadar. 

Une  troisième  combinaison  avait  déjà  été  mise  sur  pied  par  les  spéculateurs 
français.  Avec  ténacité.  Pinard  revenait  à  la  charge.  Il  s'efforçait  d'emporter  le  succès 
coûte  que  coûte.  Il  ne  lui  suffisait  plus  de  l'appui  d'un  syndicat  de  financiers.  Il  lui  fallait, 
dans  toutes  les  sphères,  des  appuis  ou  des  complicités.  L'intervention  des  Italiens  et 


51  F.  0.102/114.  Lyons  à  Stanley.  Mémorandum  confid.  Paris,  16  juin.  1868. 

52  F.  0.102/115.  Hope  à  Stanley.  Londres,  13  juillet  1868. 

53  Ihid.  Hope  à  Lyons.  Paris,  23  juillet  1868. 

54  A.  E.  Tunis,  vol.  31.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  27  août  1868. 

Un  contrat  de  concession  était  passé,  le  9  septembre  1868,  entre  te  bey  d'une  part,  et  Castelnuovo  et  ses  deux 
associés,  le  Français  Frédéric  Toché,  de  Paris,  et  un  Juif  anglais.  Nathan  Lindo.  Castelnuovo  devait  d'ailleurs 
racheter  assez  rapidement  la  part  de  ses  associés  (Arch.  Tun.  Doss.  579,  carton  239  :  Lettre  de  Castelnuovo 
à  Khérédine.  Tunis,  4  juillet  1875). 

55  F.  0.102/115.  Lyons  à  Stanley,  n°  1006,  Paris,  28  novembre  1868. 

56  Ibid.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  19  décembre  1868. 


224 


des  Anglais  dans  les  négociations  d'emprunt  avec  Tunis,  permettait  de  camoufler  une 
vilaine  affaire  de  spéculation  en  une  question  d'intérêt  national.  A  la  fin  de  1868,  nous 
voyons  se  développer  une  vaste  coalition  formée  d'hommes  venus  des  milieux  les  plus 
divers,  financiers,  diplomates,  aventuriers,  sans  pouvoir  toujours  discerner  s'il  s'agit 
d'alliés  de  fraîche  date  ou  d'individus  intéressés  depuis  longtemps  dans  les  affaires 
tunisiennes®^. 

Dans  les  milieux  financiers.  Pinard  continuait  de  mener  le  jeu.  Rochaïd  Dahdah,  cet 
aventurier  syrien  qui,  depuis  1863,  était  partie  prenante  dans  tous  les  emprunts  tunisiens, 
s'agitait  entre  Paris  et  Tunis.  L'affaire  était  pour  lui  de  la  plus  haute  importance,  car  il 
avait  été  le  principal  bailleur  de  fonds  dans  le  syndicat  de  janvier  1867.  Etait  également 
du  complot  le  général  Benaïad  qui,  fixé  à  Paris  depuis  son  départ  de  la  Régence,  rêvait 
sans  doute  de  recommencer  une  carrière  tunisienne  aussi  lucrative  que  la  précédente. 
A  Tunis,  le  khaznadar  était  le  partenaire  de  toujours.  Rien  d'ailleurs  n'eût  été  possible 
sans  sa  collaboration.  Ses  relations  avec  Erlanger  et  Pinard,  un  peu  refroidies  après  la 
banqueroute  de  1867,  paraissaient  rétablies  comme  aux  plus  beaux  jours  des  emprunts 
de  1863  et  1865.  L'intérêt  du  premier  ministre  était  la  meilleure  garantie  de  sa  fidélité. 
Ne  songeait-il  pas  à  convertir  vingt  millions  de  titres  et  de  teskérés  qui,  certainement,  ne 
lui  avaient  pas  coûté  cher®®  ? 

A  Paris,  Pinard  avait  su  toucher  plus  haut.  Le  prince  Napoléon  aurait  été  intéressé  à 
l'affaire.  Wood  le  laisse  entendre  et  ne  trouve  d'autres  raisons  que  les  affaires  financières 
au  voyage  que  le  prince  vint  faire  à  Tunis,  en  mai  1869®^.  Un  aide  de  camp  du  prince, 
le  commandant  Bonfils®®,  était  d'ailleurs  devenu  le  mandataire  de  Pinard  et  négociait 
à  Tunis  avec  le  khaznadar  les  projets  des  financiers  parisiens.  L'agent  du  bey  à  Paris, 
Jules  de  Lesseps,  était  au  courant  de  tous  les  secrets,  de  toutes  les  négociations.  Sa 
correspondance  avec  le  khaznadar  le  laisse  apparaître  comme  l'intermédiaire  habituel 
entre  le  gouvernement  tunisien,  les  financiers  français  et  le  quai  d'Orsay.  De  Lesseps  fit, 
lui  aussi,  le  voyage  de  Tunis,  en  janvier  1869.  En  avril,  dans  une  lettre  au  ministre  des 
Affaires  étrangères,  il  défendit  à  mots  couverts  les  projets  des  banquiers.  Dès  le  courant 
de  l'automne,  le  Moniteur  desfonds  publics  dénonçait  avec  véhémence  la  protection  que 
ce  diplomate  accordait  ouvertement  aux  machinations  de  Pinard  et  d'Erlanger®!.  Jules 
de  Lesseps  n'avait  pas  très  bonne  réputation  ;  l'inspecteur  des  Finances  Villet,  dans  une 
lettre  privée  au  ministre  tunisien,  le  général  Khérédine,  devait  le  traiter  de  «misérable 

industriel®^.» 

L'appui  du  ministre  des  Affaires  étrangères  était,  de  tous,  le  plus  précieux.  Sans 
doute,  le  marquis  de  Moustier  n'avait-il  pas  de  contacts  directs  avec  les  financiers  - 
lord  Lyons  l'en  défend  à  ce  propos  -  mais  sa  mauvaise  santé,  ses  fréquentes  absences 
de  mémoire  l'obligeaient  à  s'en  remettre  à  ses  collaborateurs,  surtout  dans  des  affaires 
relativement  secondaires  sur  le  plan  international.  Au  ministère,  le  sous-directeur 


57  Arch.  Tun.  Doss.  27,  carton  86  et  Doss.  297  à  339,  cartons  112  et  113,  passim. 

58  F.  0.102/116.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  24  avril  1869. 

En  1870,  le  khaznadar  présenta  pour  huit  millions  de  teskérés  de  la  dette  flottante  (A.  E.  Tunis,  vol.  34.  Dép. 
de  Botmiliau.  Tunis,  il  mai  1870]. 

59  F.  0.102/117.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  2  mai  1869. 

60  BONFILS  (Augustin-Philibert],  capitaine  de  vaisseau  en  retraite,  ancien  gouverneur  de  la  Guadeloupe, 
commandeur  de  la  Légion  d'honneur.  Il  avait  vécu  douze  ans  en  Algérie  et  parlait  couramment  l'arabe.  Elu 
membre  du  Comité  de  contrôle  de  la  Commission  financière  tunisienne,  en  novembre  1869,  il  mourut  en 
juin  1871. 

61  Moniteur  desfonds  publics,  18  novembre  1869  :  La  dette  tunisienne. 

62  Doc.  sur  Khérédine,  op  cit  Villet  à  Khérédine,  Paris,  10  août  1875.  R.  T.  1940,  p.  277. 


225 


au  contentieux.  Oscar  Gay,  devait  être  un  des  membres  les  plus  ardents  d'une  coterie 
tunisienne  fort  active®^.  Ami  de  Jules  de  Lesseps  et  d'Elias  Mussalli,  il  avait  été  mêlé  à 
toutes  les  affaires  d'argent  de  la  Régence.  11  avait  été  chargé  d'une  mission  semi  officielle 
à  Tunis,  en  1866  ;  il  participait  encore  aux  négociations  engagées  avec  Bureau®^  et  rien 
ne  nous  laisse  à  penser  qu'il  se  fût  brusquement  désintéressé  de  la  question.  Un  maître 
chanteur,  Hugelmann^s^  membre  du  comité  des  obligataires  tunisiens,  cite  les  noms  de 
Saint-Vallier^fi,  alors  chef  de  cabinet  du  marquis  de  Moustier,  et  de  Desprez^^,  directeur 


63  En  1856,  déjà,  Wood  dénonçait  la  présence  au  quai  d'Orsay  d'une  coterie  de  fonctionnaires  peu  scrupuleux 
qui  monnayaient  leur  influence  en  servant  à  Paris  les  intérêts  des  dignitaires  du  Bardo  et  qui,  selon  lui, 
entretenaient  un  désordre  tunisien  dont  ils  tiraient  des  revenus  considérables.  Ainsi,  lors  du  procès  Benaïad, 
800.000  francs  auraient  été  envoyés  de  Tunis  pour  intéresser  les  bureaux  du  ministère  à  la  cause  du  bey.  (F. 
0.102/50.  Confid.  De  Wood  à  Clarendon.  Tunis.  18  octobre  1856).  Les  renseignements  sur  Gay  fournis  par 
Roustan  confirment  indirectement  ces  assertions  (A.  E.  Tunis,  vol.  64.  Tunis,  22  novembre  1881). 

64  La  Finance,  23  mai  1372  ;  Emprunts  tunisiens. 

65  Gabriel  HUGELMANN  avait  été  secrétaire  général  du  Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes,  formé 
en  septembre  1867.  Auteur  d'une  brochure  intitulée  Le  Conflit  tunisien  (1868),  il  devait  inspirer  la  campagne 
menée  contre  le  Comptoir  d'Escompte  par  le  Moniteur  des  Fonds  publics,  hebdomadaire  financier  fondé  en 
juin  1869.  Il  nous  apparaît  comme  un  journaliste  spécialisé  dans  le  chantage  financier.  A  partir  de  1878,  il 
devait  se  distinguer  par  la  violence  des  attaques  qu'il  dirigea  contre  la  Société  Générale  dans  le  Journal  de 
la  Bourse  à  propos  des  affaires  péruviennes  (A.  N.  Arch.  privées.  Doss.  non  classé  sur  la  Société  Générale  qui 
nous  a  été  obligeamment  communiqué  par  M.  Gilles).  En  1869,  l'hebdomadaire  Comic  Finances  dépeignait 
plaisamment  Hugelmann  comme  le  «défenseur  juré  des  actionnaires  de  tous  les  pays»  (jeudi  13  mai  1869  ; 
M.  Hugelmann  député).  Un  entrefilet  du  Soir  le  signalait  comme  «un  personnage  bien  connu  des  tribunaux» 
(29  décembre  1879  :  Gazette  judiciaire). 

Mais  Hugelmann  était  visiblement  bien  renseigné  dans  les  affaires  tunisiennes  comme  dans  celles  du  Pérou. 
Il  est  possible  qu'il  eût  tiré  une  partie  de  ses  informations  de  Ganesco  qui,  en  mars  ou  avril  1869,  lui  cédait 
la  direction  du  Nain  Jaune  :  le  Roumain  connaissait  toutes  les  intrigues  de  1863  et  1865;  depuis  1865,  il 
s'était  brouillé  avec  Erlanger  et  ses  amis  (Arch.  Tun.  Doss.  292,  carton  111.  Corresp.  De  Ganesco  avec  le 
khaznadar).  Comme  tant  d'autres,  Hugelmann  ne  songeait  qu'à  mendier  des  subsides  au  gouvernement 
tunisien.  En  1867,  lors  du  voyage  qu'il  avait  fait  à  Tunis  comme  représentant  du  Comité  des  obligataires,  il 
avait  obtenu  une  subvention  du  khaznadar  pour  prix  d'articles  consacrés  à  la  défense  de  la  Tunisie.  En  1869, 

11  offrait  de  nouveau  ses  services  au  bey  (Arch.  Tun.  Doss.  309,  carton  113.  Hugelmann  au  bey.  Paris,  25  avril 
1869).  En  même  temps,  il  cherchait  visiblement  à  faire  acheter  son  silence  par  Erlanger  et  Pinard. 

66  SAINT-V ALLIER  (Charles-Raymond  de  LA  CROIX  de  CHEVRIÈRES,  comte  de),  diplomate  français  né  et  mort  à 
Coucy-les-Eppes,  Aisne,  (12  septembre  1833  -  4  février  1886)  ;  attaché  à  Lisbonne,  Munich  et  Vienne  (1852- 
1859)  ;  attaché  payé  au  Cabinet,  28  juillet  1859  ;  secrétaire  de  classe  à  Constantinople,  10  avril  1860  ; 
secrétaire  de  2^“®  classe  à  Constantinople,  2  septembre  1862  ;  détaché  au  ministère  d'Etat,  5  novembre  1863  ; 
secrétaire  de  l^*^®  classe,  chef  du  cabinet  et  du  secrétariat,  4-5  octobre  1866  ;  ministre  plénipotentiaire  de  2^»"^^ 
classe.  Chef  du  cabinet  et  du  secrétariat,  31  octobre  1868  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire 
à  Stuttgart,  17  décembre  1868  ;  mis  en  inactivité,  25  janvier  1871  ;  chargé  de  missions  à  Compiègne  et  Nancy, 

12  juillet  1871.  Commissaire  extraordinaire  près  le  quartier  général  allemand,  10  janvier  1872  ;  ministre 
plénipotentiaire  de  classe,  23  septembre  1873  ;  mis  en  inactivité,  1®*^  octobre  1873  ;  ambassadeur  à 
Berlin,  20  décembre  1877  ;  second  plénipotentiaire  au  Congrès  de  Berlin,  juin  1878  ;  mis  en  disponibilité,  27 
décembre  1881  ;  détaché  aux  archives,  10  février  1882  ;  admis  à  la  retraite,  17  octobre  1885. 

Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  août  1861  ;  officier,  août  1866,  commandeur,  juin  1872  ;  grand  officier,  27 
juin  1875  ;  grand-croix,  12  juillet  1880  (Fichier  A.  E.) 

67  DESPREZ  (Félix-Hippolyte),  diplomate  français,  né  le  7  septembre  1819,  mort  le  24  septembre  1898  ;  attaché 
aux  archives,  6  mars  1852  ;  à  la  direction  politique,  16  février  1853  ;  rédacteur  à  la  direction  politique,  27  mars 
1854.  Sous-directeur  à  la  direction  politique,  2  février  1856  ;  ministre  plénipotentiaire  de  2^“®  classe,  21  janvier 

1866  ;  directeur  des  affaires  politiques,  28  octobre  1866  ;  ministre  plénipotentiaire  de  classe,  9  novembre 

1867  ;  conseiller  d'Etat  en  service  ordinaire,  hors  section,  18  décembre  1867  ;  secrétaire  de  la  conférence  pour 
les  affaires  de  Crète,  janvier  1869  ;  conseiller  d'Etat  en  service  extraordinaire,  17  août  1872  ;  membre  de  la 
commission  des  archives  diplomatiques,  21  février  1874.  Président  du  comité  des  services  extérieurs,  1^*^  février 
1877  ;  troisième  plénipotentiaire  au  Congrès  de  Berlin  avec  le  rang  d'ambassadeur,  juin  1878  ;  ambassadeur 
près  le  Saint-  Siège,  23  janvier  1880-30  octobre  1882  ;  inspecteur  général  des  archives,  l®*^  décembre  1882  ; 
président  du  comité  des  services  extérieurs,  26  décembre  1882. 

Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  août  1854  ;  officier,  janvier  1860  ;  commandeur,  août  1863  ;  grand  officier, 
6  août  1870  (Fichier  A.  E.). 

67  bis  Le  conflit  tunisien,  par  Gabriel  Hugelmann.  Paris,  10  juin  1868,  p.  43.  Le  Comptoir  d'Escompte  était  installé 


226 


des  affaires  politiques  et  l'un  des  principaux  responsables  de  la  politique  de  Quai  d'Orsay, 
dans  une  brochure  bien  informée  où  il  dénonce  les  scandales  tunisiens.  Hugelmann  leur 
reprochait  de  suivre  l'inspiration  «des  secrétariats  de  la  rue  Bergère  ou  des  consulats  de 
la  rue  Taitbout»®^’’'®.  11  affirmait  avoir  le  double  de  listes  de  gratifications  «sur  lesquelles 
figurent  le  nom  d'hommes  qui  n'ont  pas  toujours  été  de  roche  et  qui  ont  tondu  des  prés 
autres  que  ceux  qu'ils  devaient  tondre»®®.  Desprez  était  en  relations  avec  de  Lesseps  ; 
son  nom  figure  encore,  avec  ceux  de  Ganesco,  Erlanger,  Oppenheim,  Pinard,  Dahdah,  Gay 
et  autres,  dans  la  liste  des  personnes  auxquelles  un  comité  d'obligataires  formé  en  1872 
entendait  demander  des  explications  au  sujet  des  emprunts  tunisiens®®. 

Un  autre  personnage  reparaissait  dans  les  affaires  tunisiennes,  l'ancien  consul  de 
France  à  Tunis,  Léon  Roches.  De  Botmiliau  étant  à  la  veille  de  la  retraite.  Roches  s'offrait 
pour  reprendre  son  ancien  poste,  en  faisant  valoir  sa  longue  expérience  et  sa  connaissance 
intime  des  mœurs  du  Bardo.  A  Tunis,  en  effet,  de  Botmiliau  était  gênant  ;  il  avait  montré 
peu  de  souplesse  dans  les  affaires  financières,  et  dénoncé  avec  crudité  tous  les  scandales. 
Au  quai  d'Orsay,  Roches  s'était  fait  fort  d'obtenir,  à  la  faveur  d'une  mission  temporaire 
à  Tunis,  une  prompte  solution  des  questions  financières  par  la  seule  persuasion^®.  En 
décembre  1868,  Wood  déplorait  le  retour  possible  de  son  ancien  collègue  et  rappelait 
la  triste  réputation  qu'il  s'était  acquise  à  Tunis,  quelques  années  plus  tôt,  dans  des 
opérations  financières  qui,  selon  lui,  avaient  provoqué  la  ruine  de  la  Régence^i. 

Le  troisième  projet  du  directeur  du  Comptoir  d'Escompte  était  ambitieux.  11  prévoyait 
l'unification  et  la  conversion  des  dettes  du  gouvernement  tunisien,  par  la  création  de 
344.000  obligations  de  500  Fr.  portant  intérêt  à  5%  l'an.  Le  gouvernement  s'engageait 
à  payer,  pendant  51  ans,  jusqu'à  amortissement  total,  des  annuités  de  9.500.000  Fr. 
garanties  par  des  revenus  abandonnés  à  l'administration  des  créanciers.  De  commission 
financière,  il  n'était  plus  question,  et  le  directeur  du  Comptoir  pouvait  faire  valoir  qu'en 
désintéressant  les  créanciers  étrangers  de  la  Régence,  l'influence  française  pourrait 
s'exercer  librement  en  Tunisie. 

Mais  la  retraite  du  marquis  de  Moustier,  le  17  décembre  1868,  priva  les  financiers 
d'un  appui  essentiel.  Le  nouveau  ministre,  le  marquis  de  La  Valette^^^  n'entendait  pas 
suivre  la  ligne  de  conduite  de  ses  prédécesseurs^®.  11  n'avait  pas  confiance  dans  le  plan 
de  Léon  Roches  et,  ainsi  qu'il  le  déclarait,  dans  un  entretien  privé  avec  l'ambassadeur 


rue  Bergère  et  les  Erlanger,  rue  Taitbout. 

68  Ibid.  p.  21. 

69  La  Finance,  23  mai  1872  :  Emprunts  tunisiens. 

70  Le  4  avril  1869,  dans  une  lettre  au  marquis  de  La  Valette,  Roches  rappelait  ses  offres  antérieures  et  des 
entretiens  à  ce  sujet  avec  de  Moustier,  en  novembre  1868,  puis  avec  Desprez  (A.  E.  Tunis,  vol.  32). 

71  F.  0.102/115.  Wood  à  Stanley,  n°  60.  Tunis,  12  décembre  1868. 

72  LA  VALETTE  (Charles-Jean-Marie-Félix,  marquis  de),  diplomate  français  né  à  Senlis  en  1806,  mort  à  Paris,  le 
l®r  mai  1881  ;  attaché  à  Carlsruhe,  octobre  1835  ;  secrétaire  à  la  mission  extraordinaire  en  Perse,  septembre 
1839  ;  secrétaire  par  intérim  à  Turin,  septembre  1842  ;  chargé  des  fonctions  de  consul  général  à  Alexandrie, 
juillet  1843  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Cassel,  juillet  1846-décembre  1847  ;  élu 
député  à  Bergerac,  1846  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Constantinople,  10  février  1851  ; 
ambassadeur  à  Constantinople,  24  avril  1852  ;  remplacé  sur  sa  demande,  17  février  1853  ;  sénateur,  23  juin 
1853  ;  ambassadeur  à  Constantinople,  11  février  1860  ;  près  le  Saint-Siège,  28  août  1861  ;  démissionnaire, 
16  octobre  1862  ;  ministre  de  l'Intérieur,  1865-1867  ;  membre  du  conseil  privé,  1867  ;  ministre  des  Affaires 
étrangères,  17  décembre  1868-17  janvier  1869  ;  ambassadeur  à  Londres,  21  juillet  1869-18  février  1871. 
Grand  officier  de  la  Légion  d'honneur,  15  avril  1852  ;  grand-croix,  8  juillet  1861  (Fichier  A.  E.). 

73  Jules  de  Lesseps  le  constatait  avec  amertume.  (Arch.  Tun.  Doss.  27,  carton  86.  Lesseps  au  khaznadar.  Paris, 
19  mars,  6,13,17  avril,  11  mai,  2  juin  1859). 


227 


britannique,  lord  Lyons,  se  trouvait  très  embarrassé  par  les  affaires  tunisiennes^^.  Une 
note  très  confidentielle  datée  de  mars  1869,  destinée  au  ministre,  dépeignait  avec 
crudité  les  intentions  des  spéculateurs  ;  «Des  renseignements  que  l'on  a  lieu  de  croire 
très  exacts,  laissent  supposer,  qu'en  ce  moment  même,  il  s'organise,  entre  deux  maisons 
de  banque  de  Paris  de  1'="'  ordre  et  divers  hommes  d'affaires,  une  sorte  d'association 
ayant  pour  but  de  favoriser  une  combinaison  financière  qui  permettrait,  au  groupe  dont 
il  s'agit,  de  tirer  profit  de  la  situation  si  critique  dans  laquelle  se  trouve  la  Tunisie». 

«Toutes  sortes  de  moyens  seraient  mis  en  jeu  afin  de  décider  le  gouvernement 
impérial  à  exercer  une  pression  énergique  sur  le  bey  pour  l'amener  à  payer  aux 
porteurs  d'obligations  de  la  dette  externe  une  partie  des  arrérages  échus.  Le  général 
Benaïad,  qui  possède  une  grande  fortune,  se  présenterait  alors  et  offrirait  de  solder,  au 
comptant,  une  somme  de  huit  millions  de  francs  ;  mais  il  demanderait,  en  échange,  que 
tous  les  revenus  de  la  Régence  lui  fussent  affermés  moyennant  un  engagement  de  sa 
part  de  verser,  chaque  année,  dans  les  coffres  du  bey,  une  somme  de  vingt  millions  de 
francs  sur  laquelle  seraient  prélevés  les  fonds  nécessaires  pour  le  service  des  intérêts 
des  dettes  tunisiennes.  Le  général  Benaïad  aurait  avec  lui  le  colonel  Rocaïd  Dahdah  et 
deux  banquiers  qui  détiennent  la  plus  grande  partie  des  obligations  de  Tunis.  Qr,  par 
suite  de  leur  combinaison,  la  presque  totalité  des  huit  millions  offerts  leur  servirait 
à  se  payer,  à  eux-mêmes,  les  arrérages  échus  de  leurs  titres,  et  le  public  toucherait  à 
peine  douze  ou  quinze  cent  mille  francs.  Un  service  de  presse  serait  organisé  et  soldé  à 
grands  frais  pour  produire,  en  temps  opportun,  une  hausse  factice  sur  les  obligations 
tunisiennes  ;  le  général  Benaïad  et  les  siens  en  profiteraient  pour  se  débarrasser  très 
avantageusement  des  titres  dont  ils  sont  détenteurs  ;  ils  aviseraient  également  aux 
moyens  les  meilleurs  pour  exploiter  la  Tunisie,  et  s'ils  ne  pouvaient  aboutir  à  des 
résultats  satisfaisants  pour  eux,  ils  laisseraient  le  pays  dans  un  état  de  ruine  complète. 
Un  ingénieur  qui  a  eu  des  affaires  importantes  à  régler  à  Tunis  serait  intéressé  à 
la  réussite  de  la  combinaison  projetée  et,  avec  lui,  un  journal  influent  de  Paris.  Un 
ancien  consul  général  prêterait  son  concours  dévoué  à  cette  entreprise,  et  les  efforts 
des  associés  tendraient  à  faire  envoyer  cet  agent  à  Tunis  pour  y  faire  prévaloir  leur 

planés» 

Mais,  malgré  son  insistance,  malgré  l'appui  de  Lesseps,  Léon  Roches  ne  fut  pas 
envoyé  à  Tunis.  La  chute  du  cabinet  conservateur  anglais,  les  nouvelles  exigences  de 
l'Italie  venaient  encore  compliquer  une  situation  que  n'avait  pas  éclaircie  une  année  de 
négociations  et  d'intrigues  financières.  En  dépit  des  déceptions  qu'il  avait  pu  éprouver. 
Pinard  persévéra  néanmoins.  Le  19  avril  1869,  le  bey  signait  avec  le  commandant  Bon- 
fils  le  décret  d'unification  de  la  dette.  Mais  le  marquis  de  La  Valette,  engagé  dans  de 
difficiles  négociations  avec  l'Angleterre  et  l'Italie,  refusa  de  le  soutenir.  A  lord  Lyons 
qui  lui  transmettait  les  protestations  du  gouvernement  britannique  et  les  plaintes 
des  commissaires,  il  assura  qu'il  était  entièrement  étranger  à  l'affaire.  Pinard  intrigua 
vainement  auprès  de  Lyons,  Nigra  et  Rouher  pour  tenter  de  faire  approuver  son  contrat. 
La  Valette  se  plaignait  de  ces  initiatives,  se  déclarait  prêt  à  sacrifier  Pinard.  «Cela  fera 


74  F.  0.  102/116.  Lyons  à  Clarendon,  très  confid.  Paris,  8  avril  1869. 

75  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  12  Note  très  confid.  18  mars  1869. 

Il  est  regrettable  que  cette  note  soit  restée  anonyme.  Elle  aurait  pu  nous  éclairer  sur  Porigine  des 
renseignements  fournis,  et  nous  expliquer  peut-être  les  raisons  de  l'attitude  du  nouveau  ministre.  - 
L'ingénieur  dont  il  est  question  pourrait  être  Jean  Colin,  parent  de  Léon  Roches.  Celui-ci  lui  avait  fait  obtenir 
la  reconstruction  de  l'aqueduc  de  Zaghouan  en  1859,  puis  l'édification  du  consulat  de  France.  Le  paiement 
des  travaux  avait  provoqué  de  longues  difficultés  avec  le  gouvernement  du  bey. 


228 


peut-être  crier  à  Paris»  confiait-il  à  lord  Lyons,  mais  M.  Pinard  avait  tenté  de  «forcer  la 
main  au  gouvernement  [en français  dans  le  texte]  et  il  s'apercevra  bientôt  que  celui-ci  ne 
lui  céderait  pas»^®. 

3  -  L'entente  des  trois  puissances  et  la  mise  en  tutelle  de  la  Régence 

Le  marquis  de  La  Valette  avait  d'autres  préocupations.  La  chute  du  cabinet 
conservateur  et  l'arrivée  au  pouvoir  de  Gladstone  après  les  élections  de  1868,  avaient 
fourni  à  l'Italie  l'occasion  de  remettre  en  question  des  accords  auxquels  elle  n'avait 
souscrit  que  d'assez  mauvaise  grâce,  au  moment  même  où,  au  Quai  d'Orsay  le  marquis 
de  La  Valette  reprenait  du  marquis  de  Moustier  le  portefeuille  des  Affaires  étrangères. 
Le  chef  du  gouvernement  italien  avait  chargé  le  gérant  de  la  légation  de  Londres,  Maffei, 
de  sonder  les  dispositions  du  nouveau  secrétaire  d'Etat  britannique,  lord  Clarendon^^ 
espérant  qu'il  serait  disposé  à  marcher  d'accord  avec  lui  dans  les  affaires  tunisiennes. 
Maffei  avait  fait  savoir  à  Menabrea  que  l'attitude  de  lord  Clarendon  était  favorable  :  «11 
comprend  comme  nous  le  danger  des  vues  ambitieuses  de  la  France,  chose  que  lord 
Stanley  s'étais  toujours  refusé  à  admettre.  11  espère  qu'avec  le  nouveau  ministre  des 
Affaires  étrangères  français,  il  sera  plus  facile  de  traiter»^®.  Maffei  était  aussitôt  chargé 
de  remettre  au  Foreign  Office  un  mémorandum  sur  la  question  tunisienne.  Le  général 
Menabrea  y  faisait  l'historique  de  la  question,  insistant  sur  la  duplicité  des  Français, 
qui  encourageaient  le  projet  de  la  Société  générale,  au  moment  même  où  de  Moustier 
négociait  avec  les  cabinets  étrangers.  Le  gouvernement  italien,  sans  doute,  n'avait  pas 
repoussé  les  dernières  propositions  françaises,  mais  la  question  devait  être  considérée 
comme  restée  toujours  en  suspens.  Le  ministre  du  Roi  concluait  à  la  nécessité  d'un 
accord  parfait  avec  l'Angleterre  pour  s'opposer  «à  la  formation  d'une  commission 
administrative  à  Tunis  dans  laquelle  la  France  seule  aurait  un  fonctionnaire  qu'elle 
se  réserve  de  choisir  et  de  rappeler  à  son  gré^®».  «Le  gouvernement  italien»  écrivait 
Maffei  à  Clarendon,  «n'a  jamais  été  favorable  à  l'introduction  d'un  membre  français  dans 
la  plus  importante  des  deux  Commissions  que  l'on  voudrait  établir  à  Tunis.  Et  si  par 
conséquent  en  vue  de  l'attitude  menaçante  que  la  France  paraît  de  nouveau  prendre  à 
Tunis,  il  propose  maintenant  à  l'Angleterre  de  repousser  tout  à  fait  cette  clause...  c'est 
parce  qu'il  croit  que  c'est  dans  l'intérêt  des  deux  pays  de  prendre  cette  détermination^o». 
Mais  lord  Clarendon  ne  s'engagea  pas  ;  il  consulta  lord  Lyons.  Celui-ci  n'encouragea  pas 
du  tout  l'initiative  italienne  ;  il  rappela  que  l'Angleterre  et  l'Italie  avaient  accepté  le  projet 
Moustier,  que  La  Valette  n'était  pas  encore  au  courant  et  qu'il  valait  mieux  attendre. 
Lord  Lyons  ne  croyait  pas  au  désir  des  Français  d'annexer  Tunis  à  une  Algérie  qui  leur 
coûtait  déjà  assez  cher^i.  Lord  Clarendon  se  tint  sur  la  réserve  malgré  les  démarches  de 
Maffei  qui  le  pressait  d'agir  à  Tunis  de  concert  avec  l'Italie.  11  attendait,  pour  exprimer  sa 
pensée,  que  le  cabinet  des  Tuileries  présentât  des  propositions  précises. 

Le  marquis  de  La  Valette  était  toujours  embarrassé  par  la  question  tunisienne. 
11  désapprouvait  les  façons  de  faire  de  ses  prédécesseurs,  mais  ne  pouvait  rompre 


76  F.  0.  102/118.  Lyons  à  Clarendon.  Paris,  3  juin  1869. 

77  CLARENDON  George  William-Frédérick  Villiers,  baron  Hyde,  comte  de)  né  en  1800,  mort  à  Londres  en 
1870.  Il  avait  déjà  été  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères  de  1852  à  1858  et  de  1865  à  1866,  dans  des 
administrations  libérales. 

78  Arch.  Rome.  Tél.  de  Maffei.  Londres  30  décembre. 

79  F.  0.102/1116.  Mémorandum  en  français  remis  par  Maffei,  2  janvier  1869. 

80  Ibid.  Maffei  à  Clarendon.  Londres  3  janvier  1869  [en  français]. 

81  Ibid.  Lyons  à  Clarendon.  Paris.  12  février  1869. 


229 


ouvertement  avec  leur  politique.  11  aurait  volontiers  abandonné  à  leur  sort  les 
spéculateurs  habiles  ou  naïfs  qui  avaient  avancé-  des  fonds  au  gouvernement  tunisien, 
mais  une  telle  attitude  eût  encouragé  le  bey  dans  sa  politique  de  spoliation.  Du  moins, 
La  Valette  refusait-il  de  s'engager  dans  la  combinaison  Pinard,  il  ne  voulait  ni  d'une 
épreuve  de  force  ni  d'une  occupation  de  Tunis.  Après  avoir  longtemps  hésité,  il  se  décida 
finalement  à  reprendre  le  projet  de  Moustier  dont  le  principe  avait  été  accepté  par  les 
cabinets  de  Londres  et  de  Florence. 

Le  15  avril,  il  chargeait  le  prince  de  La  Tour  d'Auvergne  et  le  baron  de  Malaret  d'en 
informer  officiellement  les  gouvernements  auprès  desquels  ils  étaient  accrédités.  L'accord 
ayant  été  fait  sur  la  division  de  la  Commission  financière  en  deux  comités  et  l'égalité  de 
représentation  des  trois  puissances,  le  marquis  de  La  Valette  assurait  qu'il  ne  restait  que 
des  points  secondaires  à  régler.  Pour  la  composition  du  Comité  de  contrôle,  dont  il  fallait 
encore  définir  le  nombre  des  membres  et  le  mode  d'élection,  il  se  déclarait  prêt  à  examiner 
les  propositions  qui  lui  seraient  faites®^.  Le  21  avril,  l'ambassadeur  à  Londres,  La  Tour 
d'Auvergne,  informait  La  Valette  que  le  gouvernement  de  la  Reine  maintenait  l'adhésion 
donnée  aux  projets  de  Moustier.  Lord  Clarendon  était  d'avis  que  deux  contrôleurs  par 
nation  suffiraient  ;  il  suggérait  qu'ils  fussent  élus  au  sein  de  chaque  nation,  il  demandait 
que  l'action  du  Comité  administratif  ne  puisse  être  rétroactive  et  s'exercer  aux  dépens 
des  garanties  déjà  obtenues  par  certains  groupes  de  créanciers  ;  enfin,  il  rappelait  que  la 
Prusse  avait  plusieurs  fois  témoigné  le  désir  d'être  représentée  dans  la  Commission  ;  on 
pourrait  lui  faire  une  place  pour  faciliter  la  conclusion  d'un  accord. 

L'attitude  anglaise  était  nette.  Aussi  arriva-t-on  aisément  à  une  entente,  en  dépit 
des  difficultés  nouvelles  que  provoquait  alors  la  signature  par  le  bey  du  contrat 
Pinard.  L'Angleterre  voulait  en  finir  avec  l'essaim  d'aventuriers  qui  bourdonnait  autour 
des  affaires  tunisiennes,  tel  Castelnuovo  qui  harcelait  Wood  et  Pinna,  au  nom  d'une 
prétendue  mission  secrète  du  gouvernement  italien^^.  Le  ministre  à  Florence,  lord 
Paget,  exigea  même  du  cabinet  italien  le  désaveu  des  «intrigues  inqualifiables  du  baron 
Castelnuovo*'*».  La  Valette,  de  son  côté,  désavouait  les  initiatives  de  Pinard,  il  accepta 
toutes  les  propositions  anglaises,  sauf  la  suggestion  d'admettre  les  délégués  prussiens 
au  sein  de  la  Commission  ;  lord  Clarendon  n'insista  point. 

Le  20  mai,  un  projet  de  décret  à  faire  signer  par  le  bey  était  remis  pour  information 
par  Desprez,  directeur  des  Affaires  politiques,  à  lord  Lyons.  Au  Foreign  Office,  on  eût 
souhaité  obtenir  la  révocation  du  décret  du  4  avril  1868,  décret  auquel  les  Français 
tenaient  pour  des  raisons  de  prestige.  Consulté,  lord  Lyons  télégraphia  de  Paris  le  31 
mai  :  «Nous  pouvons  approuver  le  décret  comme  il  est».  Satisfait  des  assurances  que  lui 
donnait  l'ambassadeur  de  France  sur  le  sort  réservé  aux  conversionnistes,  le  8  juin,  lord 
Clarendon  lui  faisait  part  de  l'adhésion  pure  et  simple  du  «cabinet  de  Londres»**.  Malgré 
son  attitude  plus  réservée  à  l'égard  de  la  France,  le  cabinet  libéral  anglais  avait  fini  par 
reprendre  la  politique  du  cabinet  conservateur.  On  le  devait  pour  une  grande  part  aux 
efforts  de  conciliation  de  lord  Lyons. 

L'adhésion  du  gouvernement  anglais  au  projet  français  ne  résolvait  cependant  pas 
la  question.  La  mauvaise  humeur  du  cabinet  italien  allait  faire  traîner  l'affaire  assez 


82  A.  E.  Angleterre,  vol.  748.  La  Valette  à  La  Tour  dAuvergne.  Paris,  15  avril  1869. 

83  Arch.  Rome.  Tél.  de  Pinna  où  il  se  plaignait  que  Pingérence  de  Castelnuovo  le  mît  dans  une  très  fausse 
position.  Tunis,  24  mai  1869 

84  F.  O.  102/117.  Paget  à  Menabrea.  Florence,  30  mai  1869. 

85  A.  Angleterre,  vol.  748.  La  Tour  d’Auvergne  à  La  Valette.  Londres.  8  juin  1869. 


230 


longtemps  encore.  Maffei  avait  pourtant  averti  le  général  Menabrea,  dès  le  22  avril, 
que  lord  Clarendon  était  décidé  à  s'en  tenir  au  projet  présenté  par  la  France  et  qu'il 
engageait  Fltalie  à  l'accepter  pareillement.  Le  cabinet  italien  persévéra  néanmoins  dans 
une  attitude  de  temporisation  vis-à-vis  de  la  France,  tandis  que,  du  côté  de  l'Angleterre, 
il  affectait  de  s'inquiéter  vivement  du  contrat  Pinard,  désavoué  pourtant  par  le  marquis 
de  La  Valette  ;  il  proposait  de  revenir  à  la  solution  d'une  commission  unique,  d'où  serait 
éliminé  le  fonctionnaire  désigné  par  la  France.  Clarendon,  pressé  d'en  finir,  refusa  et 
Menabrea  témoigna  de  la  «pénible  surprise»  que  lui  causait  ce  refus®®. 

Le  20  mai,  Desprez  remit  à  Nigra  le  projet  de  réformes  qu'on  allait  soumettre 
à  l'agrément  du  bey.  Mais,  en  dépit  des  assurances  prodiguées  par  le  directeur 
des  Affaires  politiques,  en  dépit  des  explications  fournies  par  le  baron  de  Malaret, 
les  instructions  envoyées  de  Florence  au  chevalier  Nigra  étaient  loin  de  satisfaire 
le  gouvernement  français.  Le  général  Menabrea  maintenait  «les  réserves  les  plus 
amples»  sur  la  composition  du  Comité  exécutif,  sur  les  garanties  affectées  à  la  dette 
intérieure  et  sur  les  droits  de  créanciers  de  la  dette  flottante  à  participer  à  l'élection 
des  membres  du  Contrôle.  Le  baron  de  Malaret  déclarait  qu'il  ne  rencontrait  aucun 
mauvais  vouloir  chez  Menabrea  ;  «seulement  il  ne  peut  se  défaire  de  cette  habitude  de 
marchander  jusqu'au  dernier  moment  qui  est,  comme  chacun  sait,  dans  les  habitudes 
italiennes».  Le  diplomate  français  dénonçait  la  présence  au  ministère  des  Affaires 
étrangères  italien,  d'une  école  de  jaloux  et  de  présomptueux  «qui  rêvent  pour  l'Italie 
une  prépondérance  exclusive  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée  et  dans  les  échelles  du 
Levant  ;  ils  aspirent  à  devenir  les  héritiers  de  notre  situation  commerciale  et  politique 
dans  ces  parages,  mais  pour  le  moment  ils  se  résignent  à  n'être  que  nos  rivaux  et  ils 
agissent  en  conséquence»®^.  La  Valette  s'irritait  de  l'attitude  italienne,  et,  après  en  avoir 
témoigné  son  profond  regret  au  chevalier  Nigra,  il  faisait  savoir  au  baron  de  Malaret 
qu'il  était  décidé  à  passer  outre.  «Dans  le  cas  où  le  cabinet  de  Florence»,  écrivait  La 
Valette,  «ne  croirait  pas  pouvoir  nous  prêter  un  concours  dégagé  de  réserves  propres 
seulement  à  paralyser  nos  efforts,  nous  aimerions  mieux  abandonner  la  combinaison 
que  nous  avons  suggérée  et  renoncer  à  agir  de  concert  avec  l'Italie  pour  obtenir  le 
règlement  de  nos  créances»®®. 

L'Italie  avait  tenté  un  dernier  effort  auprès  de  l'Angleterre.  Le  14  juin,  Maffei  venait 
protester  auprès  de  Clarendon  contre  la  présence  d'un  Français  seul  au  sein  du  Comité 
exécutif.  «Je  n'ai  pas  caché  au  comte  Maffei  mon  mécontentement  de  la  communication 
qu'il  était  chargé  de  me  faire»,  écrivait  Clarendon  à  Lyons®®.  Le  18  juin  encore,  Maffei 
était  chargé  d'insister  auprès  du  Foreign  Office  sur  le  caractère  tunisien  que  devait 
avoir  la  Commission  financière  et  de  revenir  «sur  le  droit  accordé  à  la  France  de  faire 
administrer  les  finances  de  la  Régence  par  un  de  ses  fonctionnaires»^®,  il  n'était  pas  plus 
heureux,  «il  est  de  mon  devoir  de  ne  pas  vous  cacher»,  écrivait  Maffei,  «que  MyLord 
commence  à  s'irriter  des  difficultés  que  nos  réserves  soulèvent  dans  l'arrangement 
relatif  aux  finances  de  la  Régence,  et  il  en  a  exprimé  son  regret  à  Paris,  il  a  accueilli 
ainsi  très  froidement  les  questions  que  je  lui  ai  adressées  de  votre  part  et  se  borna  à 
me  répondre  que  l'attitude  de  l'Angleterre  dans  cette  affaire  était  clairement  indiquée 
dans  les  instructions  à  son  consul  à  Tunis  qui  sont  à  votre  connaissance,  qu'il  ne  savait 


86  Arch.  Rome.  Menabrea  à  Maffei.  Florence,  14  mai  1869. 

87  A.  E.  Italie,  vol.  26.  Malaret  à  La  Valette.  Florence,  7  juin  1869. 

88  Ibid.  A  Malaret.  Paris,  19  juin  1869. 

89  F.  0.102/118.  Clarendon  à  Lyons.  F.  0.  15  juin  1869. 

90  Arch.  Rome.  Tél  du  secrétaire  général  Blanc  (pour  le  ministre  absent)  à  Maffei.  Florence,  18  juin  1869. 


231 


guère  que  répliquer  aux  subtilités  de  mes  demandes,  et  il  me  dit  de  m'adresser  au  sous- 
secrétaire  d'Etat  pour  toute  question  de  détail...  Les  dispositions  qui  régnent  ici  me 
forcent  à  vous  exprimer  que  sans  sacrifier  nos  intérêts  nationaux,  une  conduite  plus 
réservée  est  peut-être  celle  qui  convient  le  mieux^i.» 

L'avertissement  allait  porter  car  le  gouvernement  italien  se  résigna  aussitôt. 
Nigra,  le  21  juin,  fit  savoir  au  marquis  de  La  Valette  que  le  général  Menabrea  venait 
de  lui  communiquer  son  entier  assentiment  à  la  combinaison  française.  Pinna  recevait 
mission  de  se  joindre  à  ses  collègues  afin  d'obtenir  du  bey  la  promulgation  du  décret; 
le  gouvernement  italien  en  informait  officiellement  le  gouvernement  français  le  1'="' 

juillet®^. 

L'entente  était  faite  entre  les  puissances,  mais  cette  entente  à  trois  avait  été  surtout 
un  accord  à  deux  auquel  l'Italie  avait  été,  avec  plus  ou  moins  de  formes,  sommée  de 
se  rallier.  La  position  de  l'Italie  avait  été  faible,  sa  politique  négative  et  irritante  ;  la 
conclusion  de  l'affaire  n'avait  rien  de  satisfaisant  pour  l'amour-propre  italien.  Le  cabinet 
de  Florence  en  avait  conscience;  aussi  le  général  Menabrea,  pour  se  couvrir  contre  une 
possible  interpellation  parlementaire,  n'eût-il  de  cesse  qu'il  eût  obtenu  du  baron  de 
Malaret  un  texte  dont  il  pût  faire  état  et  qui  lui  permît  de  sauver  les  apparences  devant 
l'Assemblée. 

L'ambassadeur  de  Prusse  était  venu  tardivement  se  plaindre,  au  milieu  de  juin, 
au  gouvernement  anglais  que  les  intérêts  prussiens  ne  fussent  pas  représentés  dans 
la  Commission  financière.  De  Prussiens,  il  n'en  était  point  dans  la  Régence,  mais  les 
Erlanger  de  Paris  et  Francfort  étaient,  depuis  l'annexion  de  Francfort  en  1866,  devenus 
sujets  prussiens.  En  1863,  1865  et  en  1867  encore,  c'est  en  tant  que  banquier  parisien 
qu'Emile  Erlanger  était  intervenu  dans  les  affaires  tunisiennes.  Les  seuls  intérêts 
prussiens  de  la  Régence  se  trouvaient  donc  uniquement  représentés  par  une  créance 
assez  douteuse,  les  cinq  millions  que  les  Erlanger  de  Paris,  ceux  de  Francfort  et  d'autres 
banquiers  de  cette  dernière  place  avaient  avancés  au  bey  en  1867.  Alertés  par  l'insuccès 
des  manœuvres  de  Pinard  et  sentant  venir  le  vent,  les  Erlanger  jugeaient  sans  doute 
plus  prudent  de  s'assurer  des  appuis  nouveaux,  pour  le  cas  oû  la  commission  tunisienne 
se  montrerait  peu  favorable  à  leur  réclamation.  Bismarck  n'insista  pas  d'ailleurs. 
Il  demanda  à  la  France  de  défendre  les  intérêts  prussiens  au  sein  de  la  Commission 
financière  ;  les  puissances  qui  comptaient  quelques  nationaux  parmi  les  créanciers  du 
bey  firent  de  même  ;  les  intérêts  austro-hongrois  et  espagnols  furent  ainsi  placés  sous 
la  protection  de  l'Angleterre. 

Le  bey  ne  fit  aucune  difficulté  pour  accepter  le  décret,  qui  avait  été  élaboré  en 
dehors  de  lui.  Il  n'avait  pas  les  moyens  de  résister,  et  les  instructions  transmises  au 
vicomte  de  Botmiliau  était  en  impératives  :  elles  lui  prescrivaient  de  n'accepter  qu'une 
seule  réponse,  la  promulgation  immédiate  et  la  mise  à  exécution  du  projet  de  décret. 
Le  bey  promulgua  donc  le  décret,  le  5  juillet  ;  une  circulaire  du  30  juin  avait  auparavant 
informé  les  consuls  de  la  révocation  du  contrat  Pinard.  La  publication  du  décret  ne  se 
fit  pas  sans  froissements  d'amour-propre  à  Tunis,  le  consul  de  France  ayant  tenu,  pour 
des  raisons  locales  de  prestige,  à  agir  sans  ses  collègues  auprès  du  Bardo. 

Le  texte  sur  lequel  France,  Angleterre  et  Italie  s'étaient  péniblement  mis  d'accord 
après  quinze  mois  de  négociations,  devenait  la  charte  des  finances  tunisiennes.  Il 


91  Ibid.  Tél.  de  Maffei.  Londres,  19  juin  1869. 

92  Ibid.  Menabrea  à  Pinna.  Florence,  25  juin  1869;  Tél.  de  Nigra.  Paris,  1^*^  juillet  1869. 


232 


établissait  un  régime  qui  devait  se  maintenir  pendant  quinze  ans,  jusqu'aux  premières 
années  du  protectorat. 

«ARTICLE  PREMIER.  La  Commission  instituée  par  notre  décret  du  4  avril  1868  se  réunira  dans 
notre  capitale,  dans  un  délai  d'un  mois,  à  partir  de  la  date  du  présent  décret. 

ART.  2  -  La  Commission  susdite  sera  divisée  en  deux  Comités  distincts,  un  Comité  Exécutif  et  un 
Comité  de  Contrôle, 

ART.  3  -  Le  Comité  Exécutif  est  composé  de  la  manière  suivante  :  deux  fonctionnaires  de  notre 
gouvernement  nommés  par  Nous-même  et  un  Inspecteur  des  Finances  français,  également  nommé  par 
Nous-même  et  préalablement  désigné  par  le  gouvernement  de  S.M.  l'Empereur. 

ART.  4  -  Le  Comité  exécutif  est  chargé  de  constater  l'état  actuel  des  diverses  créances  constituant 
la  dette  du  Royaume  et  les  ressources  à  l'aide  desquelles  notre  gouvernement  serait  en  mesure  d'y 
satisfaire. 

ART.  5  -  Le  Comité  exécutif  ouvrira  un  registre  sur  lequel  seront  inscrites  toutes  les  dettes 
contractées  tant  au  dehors  du  Royaume  qu'à  l'intérieur  et  qui  consistent  en  teskerès  du  trésor,  ainsi 
qu'en  obligations  de  l'emprunt  de  1863  et  de  celui  de  1865.  Les  porteurs  de  titres  devront  se  présenter 
dans  un  délai  de  deux  mois,  et  à  cet  effet  le  Comité  Exécutif  veillera  à  ce  qu'il  soit  publié  un  avis  dans 
les  journaux  de  Tunis  et  d'Europe. 

ART.  7  -  Le  budget  des  recettes  ainsi  placé  en  regard  de  celui  des  dépenses,  augmenté  du  chiffre 
de  la  dette,  le  Comité  Exécutif  recherchera  les  moyens  d'établir  une  répartition  équitable  des  revenus 
publics  en  tenant  compte,  dans  une  juste  proportion,  de  tous  les  intérêts  et  il  dressera  un  tableau  des 
revenus  qui  pourraient  être  ajoutés  à  l'ensemble  des  garanties  déjà  attribuées  aux  créanciers... 

ART.  9  -  Le  Comité  Exécutif  percevra  tous  les  revenus  du  Royaume  sans  exception  aucune  et 
notre  gouvernement  ne  pourra  émettre  aucun  teskéré  du  Trésor  sous  n'importe  quelle  forme  sans 
l'assentiment  dudit  Comité,  dûment  autorisé  par  le  Comité  de  Contrôle,  et  si  le  gouvernement  était 
obligé  de  contracter  un  emprunt,  il  ne  le  pourra  faire  sans  l'approbation  des  deux  Comités... 

ART.  10  -  Le  Comité  de  Contrôle  est  composé  de  la  manière  suivante  :  deux  membres  français, 
représentant  les  porteurs  d'obligations  des  emprunts  de  1863  et  1865  ;  deux  membres  anglais  et  deux 
membres  italiens  représentant  les  porteurs  de  titres  de  la  dette  intérieure.  Chacun  de  ces  délégués 
recevra  directement  son  mandat  des  porteurs  des  titres  des  deux  emprunts,  et  des  porteurs  de  titres 
des  conversions  de  notre  royaume... 

ART.  11  -  Le  Comité  de  Contrôle  a  le  droit  de  connaître  de  toutes  les  opérations  du  Comité 
Exécutif  ;  il  est  chargé  de  les  vérifier  et  de  les  approuver  s'il  y  a  lieu.  Son  approbation  est  nécessaire 
pour  donner  un  caractère  exécutoire  aux  mesures  d'intérêt  général  délibérées  par  le  comité 
Exécutif*^». 

Le  document  du  5  juillet  établissait  la  tutelle  collective  des  trois  puissances  sur 
le  budget  tunisien.  11  consacrait  en  fait  un  véritable  protectorat  à  trois  sur  la  Régence. 
Le  principe  d'égalité  était  respecté  par  l'égale  représentation  des  Puissances  dans  le 
Comité  de  Contrôle.  Mais  la  présence  d'un  fonctionnaire  français  dans  le  Comité  Exécutif 
assurait  la  prééminence  de  la  France  au  sein  de  ce  triumvirat.  Sans  doute,  l'inspecteur 
des  Finances  détaché  par  le  gouvernement  français  devenait-il,  à  Tunis,  fonctionnaire 
tunisien  ;  sans  doute  était-il  placé  sous  l'autorité  d'un  haut  dignitaire  beylical  dans  une 
commission  dont  il  n'était  que  le  vice-président.  Mais,  au  fond,  tout  cela  n'était  que 
concessions  de  pure  forme.  Le  cabinet  italien  s'en  était  parfaitement  rendu  compte,  et  c'est 
pourquoi  il  s'était  opposé  jusqu'au  bout  à  la  présence  d'un  Français  au  Comité  Exécutif. 
Que  le  gouvernement  impérial  détachât  à  Tunis  un  inspecteur  habile  et  énergique,  cet 

93  A.E.  Tunis,  Mém,  et  Doc.  Vol.  12.  Décret  de  S.A.  le  Bey  instituant  la  Commission  financière.  La  Goulette, 
5  juillet  1869. 


233 


inspecteur  ne  tarderait  pas  à  devenir,  en  raison  de  sa  compétence,  le  véritable  ministre 
des  Finances  tunisien.  Son  autorité  dans  les  conseils  du  bey  dépasserait  bientôt  la 
mission  précise  pour  laquelle  il  avait  été  désigné.  11  ne  resterait  à  ses  collègues  tunisiens 
d'autre  rôle  à  jouer  que  celui  de  brillants  figurants.  Illettrés,  presque  tous  les  Mamelouks 
l'étaient  au  Bardo,  et  l'on  ne  pouvait  attendre  de  l'incompétence  et  de  la  paresse  des 
fonctionnaires  beylicaux  qu'ils  puissent  prendre  la  moindre  part  à  des  discussions  aussi 
arides  et  aussi  techniques  que  celles  des  affaires  financières.  11  était  à  craindre  que  le  seul 
intérêt  qu'ils  prissent  à  ces  travaux  fût  d'ordre  strictement  personnel,  ou  qu'ils  fussent 
désignés  par  le  khaznadar  pour  seconder  ses  desseins  et  défendre  ses  intérêts  privés. 
Mais  l'expert  français  aurait  à  compter  avec  les  contrôleurs.  11  ne  pourrait  imposer  son 
point  de  vue  sans  discuter,  sans  transiger.  «Je  ne  m'opposerai  pas  à  l'introduction  du 
commissaire  français  dans  la  section  administrative»,  avait  dit  lord  Stanley,  «mais  en  le 
subordonnant  au  pouvoir  de  la  section  de  contrôle,  j'empêcherai  que  l'autre  ne  devienne 
un  dictateur®"*».  Les  délégués  des  conversions  ne  laisseraient  certainement  pas  passer 
des  mesures  contraires  à  leurs  intérêts.  Mais  il  était  un  danger  que  ne  pouvaient  certes 
pas  prévoir  les  diplomates  européens,  c'était  l'accaparement  des  postes  de  contrôleurs 
par  les  représentants  d'un  seul  clan,  celui  des  Juifs  livournais.  Au  lieu  de  représentants 
attachés  à  défendre  les  intérêts  des  diverses  nationalités,  on  n'allait  trouver  que  les 
mandataires  d'une  douzaine  de  familles  étroitement  unies  entre  elles  qui  traiteraient  de 
leurs  intérêts  propres  au  mépris  de  tous  les  autres. 

4  -  L'installation  de  la  commission 

a)  Composition  des  Comités 

L'inspecteur  des  Finances  désigné  par  le  gouvernement  impérial,  Victor  Villet®^, 
arriva  à  Tunis  dans  les  premiers  jours  de  septembre  1869.  Âgé  de  quarante  huit  ans,  il 
avait,  depuis  sa  sortie  de  l'Ecole  polytechnique,  fait  une  carrière  brillante  au  ministère 
des  Finances  qui  l'avait  amené  aux  fonctions  de  sous-directeur  de  la  Dette  inscrite,  en 
1865,  d'inspecteur  général,  en  1869,  lors  de  sa  mise  à  la  disposition  du  gouvernement 
beylical. 

C'était  un  grand  homme  sec,  dont  les  yeux  bleus,  le  visage  encadré  de  favoris 
respiraient  la  droiture  et  la  résolution®®.  Tous  les  contemporains  s'accordaient  à 
reconnaître  sa  haute  compétence  et  sa  profonde  intégrité.  Villet  était  travailleur, 
énergique,  mais  son  humeur  impérieuse,  ses  digestions  pénibles  le  rendaient  d'un 
abord  difficile®^.  Sa  parole  sèche,  son  mépris  trop  affiché  pour  la  corruption  tunisienne 


94  Arch.  Rome.  Maffei  à  Menabrea.  Londres,  27  octobre  1868. 

95  Villet  (François-Xavier-Victor-Edmond),  né  le  17  mai  1821  à  Poligny  (Jura)  de  Jean-François  et  dAntoinette 
Mainguel,  marié  à  Marie-Félicie  Verpillat,  de  23  ans  sa  cadette,  décédé  à  Paris,  le  29  juin  1889  (Arch.  Villet  ; 
Etat  Civil  Poligny). 

Elève  de  l'école  polytechnique,  1841  ;  commis  au  Mouvement  des  fonds;  adjoint  à  l'inspection  générale 
des  Finances,  1®*^  avril  1846.  Sous-inspecteur,  1®^  juin  1848.  Inspecteur  des  Finances  de  3^*"®  classe,  1®^ 
juillet  1852  ;  de  2^“'^  classe,  1er  janvier  1858  ;  de  l^*^®  classe,  1®^  mai  1861;  chargé  de  mission  en  Turquie, 
1862  ;  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  1864  ;  sous-directeur  de  la  Dette  inscrite,  8  mars  1865  ;  officier  de 
la  Légion  d'honneur,  16  août  1868  ;  inspecteur  général  des  Finances,  1869  ;  détaché  en  mission  en  Tunisie  ; 
20  août  1869-25  février  1874  ;  commandeur  de  la  Légion  d'honneur,  23  janvier  1873  ;  directeur  de  la  Dette 
inscrite,  17  mars  1874  ;  directeur  du  Mouvement  général  des  fonds,  16  mars  1876  ;  chargé  de  mission  en 
Egypte,  mars-septembre  1876  ;  conseiller-maître  à  la  Cour  des  Comptes,  19  novembre  1877  (livre  d'or  de 
l'Inspection  des  Finances). 

96  Arch.  Villet  :  photographies.  Villet  mesurait  lm90. 

97  «Ce  que  je  lui  refuse»,  écrivait  encore  le  consul  intérimaire  des  Essarts,  «c'est  [l'art]  de  connaître  les  hommes. 


234 


devaient  bientôt  susciter  contre  lui  des  haines  tenaces  qu'il  ne  cherchait  pas  à  apaiser. 
Les  intrigues,  les  menaces  ne  réussirent  pas  à  le  détourner  de  sa  tâche  difficile.  En 
quelques  années,  il  réussit  à  édifier  une  administration  régulière.  Par  son  prestige,  son 
autorité,  il  fut  bientôt  le  véritable  premier  ministre  de  la  Régence,  «  le  bey  Villet  »,  selon 
l'expression  de  l'un  de  ses  adversaires^®. 

Le  général  Khérédine  avait  été  désigné  par  le  khaznadar  comme  président  de 
la  commission  financière  ;  mais  il  n'allait  pas  être  l'exécuteur  docile  de  ses  volontés. 
Khérédine  avait  dû  son  élévation  à  la  faveur  du  premier  ministre  qui,  après  lui  avoir 
donné  en  mariage  sa  fille  Jeannette,  l'avait  chargé  d'importantes  missions  à  l'étranger, 
lui  avait  confié  le  ministère  de  la  Marine,  puis  la  présidence  du  Grand  Conseil.  Mais 
Khérédine  avait  rompu  avec  la  politique  de  son  beau-père  :  en  décembre  1862,  il  avait 
démissionné  de  ses  hautes  fonctions,  et,  depuis  lors,  il  se  tenait  à  l'écart  de  la  vie  politique. 
Le  khaznadar  ne  l'avait  pas  accablé  cependant  :  Khérédine  avait  été  chargé  de  diverses 
missions  à  l'étranger,  à  Constantinople,  en  1864,  à  Paris,  en  1865.  Depuis  cette  époque, 
il  avait  surtout  vécu  en  Europe,  en  France  principalement. 

Lors  de  sa  nomination  à  la  présidence  de  la  Commission,  Khérédine  avait  environ 
quarante  ans.  11  avait  la  haute  stature,  les  cheveux  blonds  et  les  yeux  clairs  des  Circassiens. 
Très  intelligent,  honnête  et  droit,  il  manquait  de  l'instruction  la  plus  élémentaire  :  comme 
la  plupart  des  mamelouks  du  Bardo,  il  était  complètement  illettré  ;  mais  il  comprenait 
le  turc,  et  de  ses  longs  séjours  en  France,  il  avait  acquis  une  connaissance  parfaite  de  la 
langue  française,  et  conservé  une  grande  sympathie  pour  notre  pays.  A  Paris,  Khérédine 
avait  étudié  l'organisation  politique  des  Etats  occidentaux  ;  à  Constantinople,  il  était 
entré  en  relations  avec  Ali  Pacha  et  Fouad  Pacha,  les  ministres  réformateurs  dont  il 
partageait  les  idées.  Ainsi  avait-il  peu  à  peu  élaboré  une  doctrine  cohérente  à  laquelle  il 
devait  toujours  demeurer  fidèle. 

Patriote  sincère,  Khérédine  ne  voyait  d'autre  moyen  d'assurer  l'indépendance  de  la 
Tunisie  que  de  resserrer  les  liens  de  vassalité  qui  Punissaient  à  la  Turquie,  à  condition 
que  fussent  respectées  par  la  Porte  les  libertés  traditionnelles  de  la  Régence.  En  1864, 
il  avait  été  plaider  cette  cause  à  Constantinople  ;  il  devait  y  retourner  avec  plus  de 
succès  en  1871.  Partisan  convaincu  d'une  politique  de  réformes,  il  avait  milité  de  1857 
à  1860  en  faveur  de  transformations  radicales,  en  faveur  de  la  Constitution.  Mais  il 
n'avait  pas  tardé  à  en  reconnaître  toute  la  vanité.  Aussi,  depuis  1865,  préconisait-il 
surtout  une  politique  moins  spectaculaire  mais  plus  prudente  de  réformes  progressives, 
dans  laquelle  il  faisait  place  surtout  à  une  bonne  administration  et  à  la  création  d'un 
enseignement  moderne  qui,  à  la  longue,  fournirait  à  la  Régence  les  cadres  qui  lui 
faisaient  défaut.  11  souhaitait  la  modernisation  du  pays,  reconnaissait  que  la  Tunisie 
avait  besoin  des  capitaux  et  des  techniciens  européens,  mais  il  redoutait  l'immixtion 
des  grandes  puissances  dans  les  affaires  tunisiennes.  Dès  1862,  au  Grand  Conseil,  il 
s'était  élevé  avec  force  contre  la  conclusion  d'un  emprunt  étranger,  il  avait  souligné  les 
dangers  que  la  politique  du  khaznadar  faisait  courir  à  l'indépendance  du  pays.  11  n'avait 
pas  été  écouté,  il  avait  dû  se  retirer,  mais  les  événements  lui  avaient  donné  raison^®. 


de  traiter  avec  eux,  «de  les  diriger,  de  les  mener»  (Arch.  Rés.  Dép.  Pol.  N°  403  Tunis,  17  juin  1870) 
Également  :  Le  Peuple  de  Marseille,  Lettre  de  Tunisie,  4  janvier  1877.  A.  E.  Tunis,  vol.  63.  Particulière  de 
Roustan  à  Courcel,  Note  annexe  sur  ses  relations  avec  les  inspecteurs  des  Finances.  Tunis,  22  octobre 
1881). 

98  Riforma,  31  décembre  1873. 

99  A.  E.  Tunis,  vol.  25.  Duchesne  de  Bellecourt  à  Drouyn  de  Lhuys  Tunis,  15  mai  1865  -  corresp.  consulaire 
française,  anglaise  et  italienne,  passim.  1857-1862,1864,1869-1877.  -  Baronne  de  Billing.  Le  Baron  Robert 


235 


Le  général  Khérédine 
(Court,  de  MM.  Martel  et  Mantran). 


Plus  que  jamais,  Khérédine  était  acquis  à  une  politique  d'économies  ;  il  pensait  qu'en 
réduisant  les  dépenses  inutiles,  en  adoucissant  les  charges  pesant  sur  la  population,  le 
gouvernement  favoriserait  un  redressement  économique,  et  que  le  retour  à  la  prospérité 
entraînerait  nécessairement  le  relèvement  financier  du  pays.  C'était  là  le  programme 
d'un  véritable  homme  d'Etat,  mais  un  programme  qui  pouvait  difficilement  séduire  la 
cour  du  Bardo. 


de  Billing,  Paris,  1895.  Note  sur  Khérédine,  pp.  228-232. 

Il  nous  serait  difficile  de  nous  faire  une  opinion  exacte  sur  Khérédine  si  nous  ne  disposions  que  des  jugements 
portés  sur  lui  par  les  différents  consuls.  En  dépit  des  efforts  qu'il  fit  pour  réorganiser  l'administration 
tunisienne  et  relever  le  pays,  Khérédine  était  plus  généralement  critiqué  que  loué  et  on  lui  reprochait  tantôt 
ses  tendances  turques,  tantôt  sa  francophilie.  Wood  était  trop  l'ami  du  khaznadar  pour  n'être  point  hostile 
à  Khérédine.  Les  consuls  d'Italie  lui  reprochaient  son  peu  de  sympathie  pour  leur  pays.  Les  jugements  des 
consuls  de  France  furent  remarquablement  contradictoires.  Après  les  opinions  successives  de  Léon  Roches 
sur  son  compte,  Khérédine  fut  en  butte  à  l'hostilité  personnelle  de  Billing;  soutenu  au  début  par  Roustan,  il 
fut  abandonné  par  lui  pour  des  raisons  de  politique  générale. 


236 


Khérédine  savait  qu'il  lui  fallait  compter  avec  l'hostilité  de  khaznadar  dont  il 
méprisait  la  détestable  politique.  En  lui  confiant  la  présidence  de  la  commission,  le 
premier  ministre  avait  voulu  seulement  faire  preuve  de  bonne  volonté  à  l'égard  des 
grandes  puissances  ;  il  tenait  en  outre  à  faire  aboutir  un  projet  de  réduction  des  dettes 
tunisiennes,  dont  l'idée  circulait  à  Tunis  depuis  quelques  mois,  et  surtout  à  faire  endosser 
à  d'autres  la  responsabilité  de  mesures  d'économie,  toujours  impopulaires.  Le  bey  lui- 
même  n'avait  que  peu  de  sympathie  pour  Khérédine  ;  les  mamelouks  le  détestaient  pour 
la  plupart;  on  lui  reprochait  sa  hauteur,  sa  suffisance,  son  manque  de  souplesse,  son 
mépris  trop  affiché  pour  les  mœurs  du  Bardo.  Le  parti  conservateur  le  tenait  en  médiocre 
estime,  en  raison  du  rôle  qu'il  avait  joué  dans  l'élaboration  des  réformes.  Khérédine 
devait  également  compter  avec  l'hostilité  du  consul  d'Italie  et  surtout  de  Wood  qui 
dénonçait  ses  sympathies  pour  la  France.  En  définitive,  ses  idées  n'étaient  partagées 
que  par  un  petit  groupe  de  Tunisiens,  des  anciens  élèves  de  l'école  militaire  du  Bardo 
pour  la  plupart,  dont  les  plus  notables  étaient  les  Circassiens  Heussein  et  Roustam,  ses 
beaux-frères,  revenus  d'exil  en  1870. 

Mais  Khérédine  allait  se  révéler  un  précieux  collaborateur  pour  Villet.  Les  deux 
hommes  ne  tardèrent  pas  à  sympathiser.  Le  travail  mené  en  commun  allait  resserrer 
entre  eux  les  liens  d'une  amitié  sincère,  qui  devait  se  maintenir  longtemps  après  le  départ 
de  Villet  de  la  Régence.  Khérédine  admirait  Villet  ;  Villet  appréciait  en  Khérédine  des 
talents  d'homme  d'Etat,  une  intégrité,  un  souci  de  la  chose  publique  si  peu  répandus  dans 
les  milieux  tunisiens.  Sans  l'appui  de  Khérédine,  Villet  n'aurait  sans  doute  pu  triompher 
de  la  mauvaise  volonté  du  gouvernement  tunisien,  des  intrigues  du  khaznadar  et  des 
courtiers  juifs  du  Comité  de  Contrôle.  De  Mohammed  Khaznadarioo^  second  membre 
tunisien  du  Comité  Exécutif,  il  y  avait  en  effet  peu  à  attendre.  Le  général  Mohammed 
n'entendait  rien  aux  finances  ;  il  s'efforçait  de  ne  pas  se  brouiller  avec  le  premier  ministre  ; 
du  moins  était-il  relativement  honnête.  11  devait  manifester  une  certaine  bonne  volonté, 
et  suivit  sans  difficulté  la  politique  élaborée  de  concert  par  Villet  et  Khérédine. 

Lorsque  Villet  arriva  à  Tunis,  la  commission  financière  n'était  pas  encore 
complètement  constituée.  Seuls,  les  contrôleurs  anglais  et  italiens  avaient  été  désignés. 
Le  scrutin  du  5  août  1869  qui  réunissait  tous  les  conversionnistes  avait  fait  sortir  les 
noms  de  Santillana  et  de  Levy  pour  l'Angleterre,  de  Fedriani  et  Guttieres  pour  l'Italie. 
Les  votants  étaient  israélites  en  grande  majoritéioi  et,  à  une  exception  près,  celle  du 
Génois  Fedriani,  ils  avaient  choisi  pour  représentants  les  plus  notables  de  ceux  qu'à 
Tunis  on  désignait  maintenant  comme  «la  compagnie  des  juifs  usuriers»!^^.  Tous  trois 
étaient  administrateurs  de  la  première  conversion  et  comptaient  parmi  les  spéculateurs 
les  plus  avisés  de  la  place.  Moses  Santillana,  premier  interprète  au  consulat  d'Angleterre, 
était  l'ami  intime  de  Wood  qui,  selon  la  rumeur  publique,  le  chargeait  de  faire  ses  affaires 
financièresio^.  Santillana  figurait  dans  les  conversions  pour  1.600.000  Ers.  somme  qui. 


100  II  était  ministre  de  la  Marine  et  caïd  de  La  Goulette,  depuis  septembre  1865,  et  redevenait  caïd  de  Sousse  le 
9  décembre  1869. 

101  Les  porteurs  de  titres  des  différentes  conversions  avaient  été  appelés  à  voter  sans  distinction  de  nationalité 
pour  élire  deux  délégués  anglais  et  deux  délégués  italiens.  Sur  1.011  votants,  Santillana  avait  obtenu  915 
suffrages,  Fedriani  799,  Guttieres  730  et  Levy  635.  Venaient  ensuite  Azulejos  avec  307,  l'avocat  Mario 
Simeoni  avec  238,  Pinhas  Errera  avec  98  et  Pisani,  le  chancelier  du  consulat  d'Angleterre,  avec  93  voix. 

102  Corriere  Mercantile  Maîtese,  9  avril  1870  -  Von  Maltzan  les  considérait  comme  un  «consortium  de  coquins» 
(Reise  in  den  Regenschaften  Tunis  and  Tripolis,  Leipzig,  1870,  vol.  1,  p.l39). 

103  De  Botmiliau  signalait  les  spéculations  boursières  de  Wood,  ses  intrigues.  «Il  paraît  trop  certain  que  la  majeure 
partie  de  sa  fortune  est  compromise.  Il  aurait  acheté  livrables  à  quelques  mois  et  au  prix  de  70  à  75,  des  titres 
absolument  dépréciés  aujourd'hui»  (A.  E.  Tunis,  Vol. 32.  Lettre  personnelle  de  Botmiliau,  24  juillet  1869). 


237 


peut  être,  ne  lui  appartenait  pas  personnellement  en  entier.  Moses  Levy,  le  plus  riche 
courtier  anglais  de  Tunis,  était  inscrit  pour  2.200.000  Frs.  dans  les  conversions  et  la  dette 
flottante  ;  avec  Santillana  et  deux  autres  Juifs  anglais,  il  participait  encore  à  un  syndicat 
qui  avait  acquis  pour  1.700.000  Frs  d'obligations.  Giacomo  Guttieres  apparaissait,  plus 
que  jamais,  comme  le  porte-parole  de  la  colonie  Israélite  de  Tunis.  Son  autorité  avait 
été  accrue  par  le  succès  des  conversions  qu'il  avait  patronnées  et  dans  lesquelles  il  était 
engagé  avec  ses  frères  pour  plus  de  trois  millions.  Guttieres  conservait  ses  relations 
avec  le  khaznadar  dont  il  avait  été  longtemps  le  courtier  ;  il  était  l'informateur  attitré  du 
consul  Pinna  en  matière  de  finances,  il  savait  en  même  temps  faire  accepter  ses  idées 
par  les  représentants  des  conversions;  au  début  de  juin,  il  venait  de  les  rallier  à  un  projet 
de  réduction  de  leurs  créances,  projet  qui  laissait  présager  une  unification  des  dettes 
tunisiennes  à  laquelle  ils  s'étaient  toujours  opposés  avec  vigueur.  Guttieres  allait  apporter 
la  même  autorité  dans  les  débats  de  la  Commission  financière.  L'inspecteur  Villet  devait 
se  louer  de  son  intelligence  et  de  son  esprit  de  décision;  mais  il  devait  reconnaître  aussi 
qu'il  était  difficile  de  se  fier  à  lui,  ainsi  qu'à  ses  collègues  du  Contrôle.  Leur  activité,  leur 
total  manque  de  scrupules,  en  faisaient  des  collaborateurs  dangereux,  qu'il  lui  fallait 
toujours  surveiller.  À  eux  trois,  Guttieres,  Levy  et  Santillana  devaient  représenter  déjà 
près  du  quart  de  l'ensemble  des  conversions!*’''.  Mais  les  uns  et  les  autres  ne  paraissaient 
plus  songer,  au  terme  d'une  existence  longtemps  besogneuse,  qu'à  accumuler  encore 
des  richesses  et  à  installer  dans  des  situations  lucratives  les  nombreuses  familles  dont 
ils  étaient  entourés. 

Gaetano  Fedrianiio^  était  d'une  origine  toute  différente.  Installé  depuis  trente-cinq 
ans  dans  la  Régence  où  il  était  arrivé  comme  réfugié  politique  en  1834,  il  était  devenu 
l'un  des  principaux  négociants  de  Tunis,  le  correspondant  de  la  société  Rubattino  de 
Gênes.  11  se  livrait  à  l'exportation  sur  une  grande  échelle  de  la  laine,  de  l'huile  et  des 
grains  de  Tunisie.  Très  scrupuleux  en  matière  de  transactions  commerciales,  il  n'avait 
pas  amassé  une  fortune  considérable,  et  s'était  tenu  à  l'écart  de  la  première  conversion. 
Sa  probité  lui  valait  cependant  un  réel  prestige  auprès  de  la  colonie  européenne  qui  le 
considérait  comme  le  chef  moral  du  négoce  italien. 

L'élection  des  délégués  des  obligataires  français  que  patronnait  le  baron  de 
Lesseps,  en  tant  qu'agent  du  bey  à  Paris,  devait  traîner  prés  de  trois  mois  encore.  11 
fallait,  en  effet,  procéder  au  ramassage  et  à  la  vérification  des  titres  à  Paris  et  dans  les 
principales  places  européennes.  Pendant  ce  temps,  se  préparait  une  nouvelle  manœuvre 
des  spéculateurs  français,  secondée  par  de  Lesseps.  Nullement  découragé  par  l'échec  de 
ses  combinaisons  financières.  Pinard,  appuyé  par  Erlanger,  méditait  de  faire  sortir  d'un 


104  Chiffres  établis  d'après  les  listes  des  créanciers  envoyées  par  les  consuls  d'Angleterre  et  d'Italie.  (F.  0.102/ 
114  Wood  à  Lyons.  Tunis,  20  juin  1868  ;  Arch.  Rome.  Etat  des  créanciers  italiens  envoyé  de  Tunis  le  21 
juillet  1868). 

105  Fedriani  (Gaetano  d' Antonio.),  né  à  Gênes  en  1811,  mort  à  Tunis  le  11  mai  1881  ;  depuis  1864,  il  était  veuf 
d'Emilia  Gandolfo  qui  lui  avait  laissé  sept  enfants.  11  avait  associé  à  ses  affaires  ses  deux  fils  aînés,  Teodoro, 
né  en  1843,  qui  mourut  dès  1867,  et  Aurelio,  né  en  1846  (Reg.  Ste  croix  ;  Avvenire  di  Sardegna.  Notice 
nécrologique,  mai  1881). 

Fedriani  était  arrivé  très  jeune  dans  la  Régence,  avec  Garibaldi,  en  1834,  fuyant  Gênes  où  il  s'était  compromis 
dans  un  complot  mazzinien.  Il  devint  alors  un  des  principaux  propagandistes  de  la  «Jeune  Italie»  et  dut  à  la 
protection  de  Giuseppe  Raffo,  alors  tout  puissant  au  Bardo,  de  trouver  dans  le  pays  des  moyens  de  subsister. 
Fedriani  fut  pendant  une  vingtaine  d'années  l'animateur  d'une  loge  maçonnique  sarde  et  d'une  section  de 
la  Jeune  Italie.  Il  fit  de  nombreux  voyages  en  Europe  au  cours  desquels  il  se  tenait  en  relation  avec  Mazzini. 
Puis  il  se  lassa  de  cette  activité  et  se  consacra  essentiellement  à  ses  affaires.  (Ersilio  Michel.  Esuli  italiani 
in  Tunisia.  Milan,  1941,  passim).  Fedriani  n'était  inscrit  dans  les  conversions  que  pour  une  somme  de 
38.250  frs. 


238 


scrutin  truqué  les  noms  qu'il  aurait  choisisi°®.  Les  financiers  ne  pouvaient  plus  espérer 
sans  doute  diriger  une  commission  où  dominerait  l'élément  étranger,  mais  ils  tenaient 
néanmoins  à  ce  que  les  délégués  français  fussent  leurs  représentants  pour  défendre  le 
classement  de  leurs  discutables  créances  et  obtenir  une  conversion  avantageuse  des 
titres  qu'ils  avaient  accaparés.  Mais  cette  manœuvre  provoquait  la  colère  du  Comité 
des  porteurs  d'obligations  tunisiennes.  Ceux-ci  auraient  souhaité  que  les  obligataires 
de  1863  et  de  1865  élisent  chacun  un  représentant.  Mais  les  financiers  ne  l'entendaient 
pas  de  cette  oreille.  Le  baron  de  Lesseps  fit  décider  que  les  porteurs  de  titres  des  deux 
emprunts  éliraient  indistinctement  deux  contrôleurs  choisis  dans  leur  sein,  chacun  des 
obligataires  ne  disposant  que  d'un  suffrage,  quel  que  fût  le  nombre  des  titres  dont  il  était 
porteur. 

«La  journée  du  22  novembre  sera,  nous  le  pressentons,  une  journée  fatale  pour  les 
obligataires  tunisiens»,  écrivait  le  gérant  du  Moniteur  des  Fonds  publics.  «L'élection  des 
deux  délégués  nous  paraît  se  faire  dans  des  conditions  déplorables  et  nous  engageons 
ceux  des  obligataires  porteurs  de  l'emprunt  de  1865,  à  protester  contre  une  élection  qui 
ne  leur  donne  aucune  satisfaction»...  «Il  est  de  notre  devoir  d'édifier,  une  dernière  fois, 
les  intéressés  sur  les  agissements  et  les  ténébreuses  machinations  ourdies  contre  eux 
par  le  Comptoir  d'Escompte  et  par  le  baron  Erlanger».  L'élection  n'est  qu'une  duperie  : 
«Point  de  candidats  indiqués,  point  de  réunions  préparatoires,  rien  qui  puisse  aider 
l'obligataire  dans  la  marche  à  suivre.» 

«Lorsque  nous  disons  :  point  de  candidats,  nous  nous  trompons,  il  y  en  a  deux... 
nommés  d'avance,  avant  et  malgré  l'élection,  ce  sont  les  créatures  des  banquiers  par 
l'entremise  de  qui  s'est  consommée  la  ruine  des  souscripteurs  confiants»io^. 

Grâce  à  l'imposant  paquet  d'obligations  de  1863  dont  ils  s'étaient  rendus  acquéreurs, 
les  amis  de  Pinard  pouvaient  s'assurer  une  large  majorité.  Il  leur  suffisait  de  procéder 
à  une  distribution  de  titres  fictive  à  des  hommes  de  paille  qui  apporteraient  leurs  voix 
aux  candidats  des  banquiers,  comme  cela  se  pratiquait  couramment  à  l'époque,  dans  les 
assemblées  générales  de  certaines  sociétés.  Comme  l'avait  prévu  le  Moniteur  des  Fonds 
Publics,  la  journée  du  23  novembre  1869  consacra  l'élection  -  à  la  presque  unanimité  - 
du  commandant  Bonfils  mandataire  officiel  de  Pinardio®,  qui  avait  déjà  ouvert  bureau 
à  Tunis,  et  du  représentant  d'Erlanger,  Albert  Duboisio®,  rédacteur  au  ministère  des 
Finances  qui  se  fit  mettre  en  congé  pour  exercer  ses  nouvelles  fonctions  et  se  rendre  à 
Tunis.. 


106  Selon  Pinna,  Pinard  aurait  manœuvré  pour  obtenir  la  désignation  à  Tunis  d'un  inspecteur  des  Finances 
favorable  à  ses  desseins.  Villet  aurait  été  l'employé  particulier  de  Pinard,  au  début  de  sa  carrière.  (Arch. 
Rome.  Dép.  n°  136.  Tunis,  26  octobre  1869).  Mais  ce  fait  ne  semble  pas  suffisamment  établi  et  l'événement 
devait  démontrer  que  l'inspecteur  Villet  ne  manifestait  pas  la  moindre  complaisance  pour  les  tripotages 
financiers. 

107  Moniteur  des  Fonds  publics  18  novembre  1869.  La  dette  tunisienne.  Le  Moniteur  des  Fonds  publics  était 
un  journal  financier  récemment  fondé  (le  premier  numéro  avait  paru  le  5  juin  1869)  qui  avait  pris  pour 
programme  la  défense  des  petits  capitalistes.  Il  soutenait  avec  vigueur  la  cause  des  obligataires  de  l'emprunt 
de  1865  engagés  dans  un  procès  contre  Erlanger  et  le  Comptoir  d'Escompte.  Il  semble  que  ce  fut  surtout  un 
organe  de  chantage,  comma  il  s'en  créait  beaucoup  à  cette  époque,  dans  la  presse  financière. 

108  II  devait  l'avouer  à  ses  collègues  du  Contrôle,  en  1870  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit.  R.T.  1938,  p.l52). 

Le  Comptoir  d'Escompte  et  la  maison  Erlanger,  «en  1869,  ont  fait  sortir  du  scrutin  ouvert  chez  M.  de  Lesseps 
les  noms  qu'ils  ont  voulu  et  envoyé  à  Tunis  sous  l'obligation  naturelle  de  les  rémunérer  eux-mêmes  MM 
Bonfils  et  Dubois»  (A.  E.  Tunis,  vol.  35.  Dép.  De  Botmiliau  Tunis.  24  juillet  1871). 

109  On  retrouve  Albert  Dubois  comme  mandataire  d'Erlanger  dans  l'affaire  de  la  succession  du  caïd  Nessim, 
entre  1878  et  1884  (Arch.  Tun.  Cartons  103  et  104,  pass.). 


239 


Le  16  décembre,  la  commission  financière  au  complet  était  officiellement  installée  au 
Dar-el-Bey,  palais  de  ville  du  prince. 

b)  L'arrangement  du  23  mars  1870 

Villet  n'avait  pas  attendu  cette  cérémonie  pour  se  mettre  au  travail;  depuis  trois  mois, 
il  s'efforçait  d'établir  le  bilan  financier  de  l'Etat.  Malgré  les  déclarations  solennelles  du  bey 
en  1860,  aucun  contrôle  budgétaire  n'avait  jamais  été  réellement  établi.  Les  employés  du 
ministère  restaient  incapables  de  fournir  des  séries  complètes  de  pièces  comptables.  La  liste 
des  caïdats,  elle-même,  n'était  pas  tenue  à  jour  et  les  fonctionnaires  du  Bardo  s'avouaient 
impuissants  à  fournir  le  moindre  renseignement  sur  certaines  tribus  de  la  montagne,  il 
était  impossible  de  calculer  les  rentrées  d'argent,  d'apprécier  les  revenus  moyens  dont 
pouvait  disposer  le  gouvernement.  Les  principaux  impôts  étant  fondés  sur  la  récolte,  son 
incertitude  rendait  toute  estimation  aléatoire.  A  cela  s'ajoutaient  les  exactions  des  caïds,  les 
prélèvements  des  employés  du  Bardo.  Le  système  des  camps  entraînait  d'autres  frais  dont  il 
était  impossible  d'apprécier  le  bien  fondé. 

Cette  situation  était  devenue  plus  complexe  et  plus  grave  au  cours  des  cinq  dernières 
années.  La  révolte  de  1864  avait  engendré  tout  un  système  de  contributions  exceptionnelles 
qui  avaient  enrichi  surtout  le  khaznadar  et  quelques  mamelouksi^°.  Les  emprunts  avaient 
entraîné  une  série  d'opérations  étranges,  d'achats  extravagants,  dont  Villet  trouvait 
parfois  la  clé  dans  la  correspondance  échangée  avec  les  Erlanger.  La  comptabilité  avait  été 
désorganisée  encore  par  la  fuite  du  trésorier  général,  le  caïd  Nessim,  qui  avait  emporté  avec 
lui  des  dossiers  pour  se  couvrir  contre  d'éventuelles  poursuites  et  menacer  les  fonctionnaires 
qui  l'accuseraient.  Plus  récemment,  le  khaznadar  avait  fait  disparaître  les  papiers  les  plus 
compromettants.  Sa  mauvaise  humeur  à  l'égard  de  la  Commission  n'encourageait  pas  les 
employés  des  Finances  à  se  montrer  complaisants.  Aussi  Villet  devait-il  se  contenter  le  plus 
souvent  d'explications  verbales,  d'appréciations  approximatives  sur  le  rendement  de  tel  ou 
tel  impôt.  11  ne  put  jamais  qu'entrevoir  l'épouvantable  gabegie  financière  dont  avait  souffert 
la  Régence.  Du  moins,  servi  par  les  indications  fournies  par  Khérédine  ou  les  contrôleurs, 
put-il  faire  la  lumière  accidentellement  sur  quelques  faits  et  rédiger  contre  le  khaznadar 
d'accablants  réquisitoires^.  De  l'aveu  général,  le  pays  était  complètement  ruiné  :  La 
population  avait  été  décimée  par  la  misère  et  les  épidémies  ;  les  surfaces  cultivées  étaient 
réduites  à  7  ou  8.000  méchias  -  80  à  90.000  hectares. 

Avant  même  d'avoir  achevé  son  enquête,  Villet  faisait  décider  par  le  bey  un  certain 
nombre  de  mesures  d'économie  :  suppression  de  l'école  militaire,  réduction  de  l'armée  à  8.000 
hommes,  diminution  du  budget  de  la  Marine.  Sur  les  conseils  du  Comité  exécutif  également, 
le  bey  prenait,  au  début  d'octobre,  des  arrêtés  consacrant  de  sensibles  allégements  fiscaux. 
Les  taxes  pesant  sur  les  cultures  étaient  réduites  pour  l'année  1287  à  sept  ouibas  (137,5  1.) 
de  blé  et  d'orge,  ou  35  piastres,  par  méchia,  selon  que  les  fellahs  s'acquittaient  en  nature  ou 
en  espèces.  Ces  taxes  seraient  progressivement  ramenées,  en  trois  ans,  au  taux  définitif  de 
10  ouibas  de  grains  ou  50  piastres.  L'impôt  personnel  était  pareillement  fixé  à  25  piastres, 
pour  l'année  1287,  et  à  40,  à  partir  de  129011^.  Théoriquement,  ces  allégements  devaient 
diminuer  les  ressources  du  Trésor  ;  mais,  pour  mettre  fin  à  l'affligeant  spectacle  de  champs 
en  friche  et  de  paysans  mettant  le  feu  à  leurs  oliviers  afin  d'échapper  à  l'impôt,  le  seul 
moyen  était  d'alléger  les  charges  pesant  sur  les  populations  rurales.  Khérédine  avait  tenu 


110  D'après  l'examen  des  dossiers,  il  aurait  été  établi  qu'en  quatre  ans  (1864-1867),  les  revenus  du  gouvernement 
auraient  été  de  102  millions  de  piastres,  mais  que  la  moitié  à  peine  serait  entrée  dans  les  comptes  du  Trésor 
(A.  E.  Tunis,  vol.  33.  Botmiliau  à  la  Tour  d'Auvergne.  Tunis,  13  septembre  1869). 

111  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  Vol. 12.  Note  sur  les  causes  du  désordre  financier.  Tunis  19  mai  1872  ;  note  de  M. 
Villet  contre  le  khaznadar.  16  décembre  1873. 

112  A.  E.  Tunis,  vol.  33.  Botmiliau  à  la  Tour  d'Auvergne.  Tunis,  30  novembre  1869. 

L'année  1287  de  l'Hégire  commençait  le  3  avril  1870. 


240 


également  au  principe  de  la  taxe  fixe,  comme  à  la  meilleure  garantie  contre  les  exactions 
des  caïds.  Une  circulaire  du  12  novembre,  d'ailleurs,  exigeait  des  caïds,  des  fermiers  et  de 
leurs  agents  la  reddition  de  leurs  comptes;  une  commission  tunisienne  de  trois  membres, 
présidée  par  Khérédine,  était  chargée  de  les  vérifier.  Le  bey  faisait  également  décider  que 
tous  les  revenus  de  l'Etat  seraient  versés  dans  la  caisse  du  Comité  exécutif  à  l'exception  de 
ceux  qui  étaient  gérés  déjà  par  les  administrateurs  des  conversions.  Quelques  caïds  furent 
destitués,  comme  celui  de  Béja  ;  Hamida  Benaïad,  caïd  de  Bizerte  et  Djerba,  fut  relevé  de  son 
gouvernement  de  Djerba  ;  on  enleva  au  général  Zarrouk  le  gouvernement  du  Sahel  pour  lui 
confier  celui  de  l'Arad^^^. 

Mais  toutes  ces  mesures  avaient  été  contrecarrées  à  l'avance  par  le  khaznadar.  Comme, 
depuis  le  début  de  l'été,  il  prévoyait  qu'il  lui  serait  désormais  impossible  de  disposer  à 
son  gré  des  revenus  de  l'Etat,  il  avait  lancé  à  travers  le  pays  de  véritables  expéditions  de 
pillage,  sous  le  prétexte  de  recouvrer  les  impôts.  En  juillet,  le  général  Zarrouk,  gouverneur 
du  Sahel,  avait  entrepris  de  percevoir  à  l'avance  les  impôts  des  années  suivantes;  il  écrasait 
le  pays  de  contributions  et  d'exactions  de  toutes  sortes.  Certaines  tribus  s'étaient  révoltées, 
d'autres  avaient  fui  en  masse  vers  la  Régence  de  Tripoli.  Zarrouk  revenait  à  Tunis  au  début 
d'août  après  «avoir  terminé  dans  l'Arad  et  le  Sahel  son  œuvre  de  pillage  et  de  désolation»ii''. 
L'agent  consulaire  de  France  à  Gabès  signalait  que  l'Arad  avait  été  imposé  de  plus  de  trois 
millions  de  piastresi^®  ;  mais  le  général  Osman,  moins  heureux  que  Zarrouk,  se  faisait 
battre  par  la  tribu  révoltée  des  Béni  Zid.  Dans  les  derniers  jours  de  juillet,  une  caravane 
apportant  les  contributions  du  Djérid  avait  été  arrêtée  et  pillée  aux  portes  du  palais  du 
bey  à  Hammam-Lif  par  le  fils  du  khaznadarii^.  Par  son  audace,  l'affaire  avait  fait  quelque 
bruit,  mais  le  khaznadar  sut  apaiser  le  bey  par  un  cadeau  de  50.000  piastres  et  de  bonnes 
paroles^i^. 

Le  khaznadar  affectait  maintenant  de  se  désintéresser  des  affaires,  de  s'effacer.  En 
janvier  1870,  il  faisait  donner  au  général  Khérédine,  déjà  président  de  la  Commission 
financière,  le  titre  de  ministre  dirigeant  avec  autorité  sur  un  grand  ministère  comprenant 
l'intérieur,  les  Affaires  étrangères  et  les  Finances,  et  le  droit  de  surveiller  les  deux  autres 
ministères  de  la  Guerre  et  la  Marine.  En  déléguant  à  son  gendre  l'essentiel  de  ses  pouvoirs, 
le  premier  ministre  ne  s'était  plus  réservé  qu'une  situation  honorifique  ;  son  âge,  ses 
maladies  ne  lui  permettaient  plus,  disait-il,  d'exercer  ces  lourdes  fonctions  ;  il  vantait  sans 
réserves  les  qualités  de  Khérédine.  En  réalité,  Mustapha  Khaznadar,  prévoyant  les  difficultés 
dans  lesquelles  la  Commission  aurait  à  se  débattre,  voulait  surtout  laisser  à  Khérédine  la 
responsabilité  des  mesures  impopulaires  que  le  gouvernement  serait  amené  à  prendre^^®.  il 
préférait  garder  sa  liberté  d'action  pour  manœuvrer  au  besoin  contre  la  Commission.  Pour 
le  moment,  il  songeait  surtout  au  sort  des  millions  d'obligations  et  de  teskérés  qu'il  détenait 
personnellement. 

Le  Comité  exécutif  avait  invité  les  porteurs  de  titres  à  se  présenter  à  ses  bureaux, 
il  était  en  effet  impossible  de  connaître,  même  approximativement,  les  engagements  du 
gouvernement  tunisien.  Depuis  plusieurs  années,  le  gouvernement  jetait  sur  la  place  les 
bons  du  Trésor  par  millions;  il  paraissait  avoir  négligé  d'en  tenir  le  compte  exact.  Les 
estimations  les  plus  fantaisistes  circulaient  à  ce  sujet,  et  les  plus  sérieuses  n'étaient  pas 
celles  du  khaznadar  :  selon  la  thèse  qu'il  voulait  soutenir,  il  exagérait  ou  minimisait  l'étendue 


113  En  décembre.  -  Hamida  Benaïad  était  le  neveu  du  général  Mahmoud  Benaïad  avec  lequel  il  était  brouillé.  Il 
était  lié  avec  Wood,  avec  le  khaznadar  et  surtout  son  fils.  Le  consul  d’Angleterre  reconnaissait  cependant  la 
justice  des  mesures  prises  par  Khérédine  (F.  0.102/88.  Wood  à  Clarendon.  Tunis,  2  février  1870). 

114  A.  E.  Tunis,  vol. 32.  Botmiliau  à  la  Tour  d'Auvergne.  Tunis,  9  août  1869. 

115  Arch.  Rés.  Annexe  à  Dép.  Fol.  N°  306  de  Botmiliau.  Tunis,  2  septembre  1869. 

116  A.  E.  Tunis,  vol.  32.  Botmiliau  à  la  Tour  d'Auvergne.  Tunis,  29  juillet  1869. 

117  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  Vol. 12.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872. 

118  A.  E.  Tunis,  vol.  34.  Botmiliau  à  Daru.  Tunis,  26  janvier  et  2  février  1870. 


241 


de  son  déficit.  Les  seules  indications  sérieuses  dont  on  disposât  étaient  les  contrats  des 
emprunts  de  1863  et  1865,  et,  pour  la  dette  intérieure,  ceux  des  conversions  de  1867. 
Les  estimations  fournies  par  les  consuls  à  leurs  gouvernements  témoignaient  aussi  de  la 
passion  qu'ils  apportaient  dans  les  affaires  tunisiennes.  De  Botmiliau,  dans  le  courant  de 
novembre  1868,  pensait  que  la  dette  atteignait  déjà  le  total  de  170  millions  ;  selon  Wood, 
quelques  mois  plus  tôt,  elle  ne  devait  pas  dépasser  100  millions  de  francs  ;  Pinna,  en  mai 
1869,  parlait  de  155  millions^i®. 

Lorsqu'il  eut  procédé  au  recensement  des  créances,  Villet  arriva  à  un  total  provisoire 
de  121.640.500  francs,  auquel  s'ajoutaient  quelque  quinze  millions  d'intérêts  en  souffrance. 
11  n'avait  pas  tenu  compte  des  créanciers  retardataires,  ni  des  sommes  réclamées  par  les 
Erlanger  au  nom  de  leurs  accords  particuliers  avec  le  khaznadar.  En  février  1870,  il  devait 
arrêter  une  dette  de  160  millionsi^o.  A  lui  seul,  le  service  d'intérêts  à  7  et  12%  eût  imposé 
au  gouvernement  une  charge  annuelle  de  19  millions  de  francs,  somme  qui  excédait 
de  beaucoup  la  totalité  de  ses  revenus.  11  ne  suffisait  pas  de  réduire  les  intérêts,  il  fallait 
retrancher  hardiment  dans  le  montant  de  créances  abusives.  En  proposant  d'unifier  et  de 
réduire  à  56  millions  la  dette  du  gouvernement,  Villet  présentait  une  liquidation  rigoureuse 
de  la  banqueroute  tunisienne. 

Comme  les  accords  internationaux  lui  interdisaient  de  discuter  de  l'origine  et  de 
la  validité  des  créances,  il  eut  l'idée  de  procéder  à  l'estimation  de  leur  valeur  d'après  les 
cotations  moyennes  en  bourse  de  Paris  et  Tunis,  depuis  leur  origine  jusqu'à  une  date 
récente.  Le  procédé  souffrait  bien  des  critiques  :  grâce  à  l'agiotage,  quantité  de  valeurs 
avaient  été  acquises  à  bas  prix,  les  cotations  tunisiennes  étaient  sujettes  à  cautioni^i.  Villet 
ne  se  le  dissimulait  pas,  mais  il  n'avait  pas  à  sa  disposition  d'autre  critère  pour  trancher  de 
la  question. 

Le  projet  qu'il  présenta  au  Comité  de  Contrôle,  le  16  décembre,  établissait  la  réduction 


du  capital  des  créances  sur  les  bases  suivantes  : 
Obligations  de  1863  et  1865, 


ensemble,  valeur  moyenne 

capital 

réduit  à 

290  frs.  soit  58%  du  capital 

d'émission  : 

61.940  500  fr.i22 

35.925490  fr. 

1ère  conversion,  soit  59%, 

après  déduction  des  remboursements 

11.700.000 

6.903.000 

2ème  conversion,  soit  39% 

10.000.000 

3.900.000 

4ème  conversion,  soit  35% 

8.000.000 

2.800.000 

3ème  conversioni23  et  dette  flottante. 

1“=  catégorie,  40% 

8.000.000 

3.200.000 

2®  catégorie,  15% 

22.000.000 

3.300.000 

121.640.500  fr. 

56.028.490  fr. 

119  Ibid.  vol.  31.  Botmiliau  à  Moustier.  Tunis,  23  novembre  1868.  -  F.  0.102/114.  Wood  à  Stanley.  Tunis,  20  juin 
1868.  -  Arch.  Rome  Dép.  Confid.  De  Pinna.  Tunis,  10  mai  1869. 

120  160.176.800  francs  exactement  (F.  O.  102/  114  Dép.  De  Wood.  Tunis,  2  août  1870). 

121  II  était  facile  de  relever  dans  la  presse  financière  les  cours  moyens  des  obligations  en  bourse  de  Paris,  mais 
la  cotation  des  titres  des  conversions  négociées  à  Tunis  ne  s'établissait  qu'oralement  dans  le  désordre  de 
la  place  de  la  Marine.  En  l'absence  d'une  presse  tunisienne,  Villet  devait  s'en  rapporter  aux  déclarations 
plus  ou  moins  sincères  des  courtiers  livournais,  Guttieres  et  Cesana.  Les  fluctuations  boursières  n'étaient 
évoquées  qu'accidentellement  dans  la  chronique  tunisienne  des  journaux  d'Europe. 

122  Sous  déduction  de  9.288  obligations  appartenant  au  gouvernement  et  détenues  en  gage  chez  Erlanger  et 
Pinard. 

123  La  troisième  conversion  n'avait  jamais  été  négociée  à  Tunis.  Elle  n'avait  été  couverte  qu'à  concurrence  de  6 
millions  sur  10  et  pouvait  se  confondre  avec  la  dette  flottante. 


242 


Il  offrait,  pour  le  service  global  des  intérêts  de  cette  dette  ainsi  réduite,  une  somme  de 
5  millions  de  francs,  pour  la  première  année  du  nouveau  régime,  somme  qui  devait  s'accroître 
d'un  demi-million  pendant  trois  ans,  pour  atteindre  le  maximum  de  six  millions  et  demi. 
Les  créanciers  jouiraient  ainsi  uniformément  d'un  intérêt  de  8,9%,  la  première  année,  et  de 
11,6%,  à  partir  de  la  quatrième.  Par  rapport  aux  capitaux  primitifs  d'émission,  cet  intérêt 
resterait  plus  élevé  que  ceux  qui  avaient  été  perçus  jusqu'alors. 


I®  année 

4®  année 

Dligations  de  1863-1865 

5,17% 

6,  70% 

P"'®  conversion 

5,  27% 

6,  83% 

2ème  conversion 

3,  48% 

4,  50% 

4ème  conversion 

3ème  conversion  et  dette  flottante 

3,12% 

4,  05% 

I®  catégorie 

3,  57% 

4,  62% 

2®  catégories 

1,  34% 

1,  73% 

En  échange  des  sacrifices  qu'il  demandait  aux  créanciers,  Villet  entendait  obtenir  du 
gouvernement  des  garanties  sérieuses  :  concession  de  revenus  pour  couvrir  l'intérêt  de  la 
dette  unifiée,  engagement  vis-  à  -vis  des  trois  puissances  de  réformer  son  administration, 
et  affectation  au  rachat  de  la  dette  de  toutes  les  sommes  qui  ne  seraient  pas  nécessaires  à 
l'acquittement  des  dépenses  inscrites  au  budget.  Il  présentait  une  liste  de  38  revenus  que  le  bey 
affectait  spécialement  à  la  dette  unifiée  à  titre  de  garanties,  et  dont  le  gouvernement  estimait 
le  rendement  annuel  à  :  10.404.810  piastres  -  soit  6.503.006  francs  -,  somme  qui  devait  plutôt 
s'accroître  dans  l'avenir.  C'étaient  notamment  les  droits  sur  l'exportation  des  huiles,  grains, 
laines,  savons  et  dattes,  estimés  3  millions  de  piastres  ;  le  canoun  des  oliviers  du  Sahel  et  du 
cap  Bon,  estimé  1.476.476  piastres  ;  les  mahsoulats  des  villes  de  la  côte,  ensemble,  un  million  ; 
la  douane  de  Tunis  à  l'importation,  800.000  piastres  ;  et  une  liste  imposante  de  fermages  d'où 
se  détachaient  ceux  des  tabacs  et  des  cuirs  et  le  Fondouk  el  Ghalla,  ou  marché  aux  légumes^^^. 

Le  projet  de  l'inspecteur  Villet  provoquait  sur  la  place  «une  douloureuse 
impression»i25.  Les  Juifs  du  Contrôle  protestèrent  bientôt,  refusant  tout  net  un  classement 
des  conversions  qu'ils  jugeaient  défavorable.  Ils  ne  voulaient  abandonner  les  revenus 
qu'ils  administraient  depuis  deux  ans  qu'en  échange  d'avantages  substantiels.  Quelques 
mois  plus  tôt  pourtant,  ils  s'étaient  plaints  auprès  de  leurs  gouvernements  de  n'avoir  tiré 
des  conversions  qu'un  maigre  revenu  de  4%.  Si  leurs  réclamations  avaient  été  fondées^^C 
ils  auraient  dû  accueillir  avec  faveur  un  projet  qui  leur  assurait  des  intérêts  plus  élevés. 
Mais  Guttieres,  Santillana  et  Levy  savaient  trop  bien  que  la  première  conversion  leur 
avait  assuré  un  revenu  effectif  de  6,62%.  Ils  ne  pouvaient  renoncer  aux  solides  garanties 
dont  ils  s'étaient  nantis  contre  la  promesse  de  6,83%  d'intérêt  dans  la  quatrième  année 
à  venir,  avec,  à  la  clé,  la  perte  des  deux  cinquièmes  de  leur  capital.  Ils  n'admettaient  pas 
l'amputation  d'un  capital  dont  ils  entendaient  bien  disposer  dans  de  lucratives  opérations 
sur  la  place  de  Tunis  ;  ils  n'auraient  pas  en  vain  spéculé,  place  de  la  Marine,  pour  accaparer 


124  A.  E.  Tunis,  vol.  33.  Botmiliau  à  la  Tour  dAuvergne.  Tunis,  16  décembre  1869.  Arch.  Rés.  Dép.  Comm.  n°  120 
du  même  au  même.  Tunis,  23  décembre  1869. 

125  Arch.  Rome.  Dép.  De  Pinna.  Tunis,  21  décembre  1869. 

126  Ibid.  Dép.  De  Pinna.  Tunis,  26  avril  1869. 

Ils  arrivaient  au  taux  de  4.08%  en  faisant  la  moyenne  des  revenus  fournis  par  les  quatre  conversions,  soit  6, 
62  pour  la  première,  6,85%  pour  la  deuxième,  0,6%  pour  la  troisième  et  2,25%  pour  la  quatrième.  Mais  ils 
ne  tenaient  pas  compte  de  l'importance  respective  de  chacune  des  conversions  et  calculaient  le  revenu  de  la 
troisième  comme  si  elle  avait  été  convertie  en  totalité  et  non  seulement  jusqu'à  concurrence  de  six  millions. 
En  réalité  le  taux  moyen  d'intérêt  des  quatre  conversions  s'établissait  au  voisinage  de  5%  ;  il  était  de  plus 
de  5,5%  si  l'on  négligeait  la  troisième  dont  le  contrat  n'avait  pas  été  rempli  et  pour  lequel  on  n'avait  même 
pas  procédé  à  l'échange  des  titres.  La  première  conversion  avait  en  outre  bénéficié  de  remboursements 
importants. 


243 


les  titres  les  plus  décriés  et  réaliser  les  conversions.  Les  courtiers  livournais  jugeaient 
inacceptable  une  telle  proposition. 

Les  représentants  des  banquiers  parisiens  prenaient  la  même  attitude.  Les  intentions 
de  Pinard  n'étaient  certes  pas  de  jouir  paisiblement  d'intérêts  désormais  assurés;  il  lui 
fallait  convertir  au  taux  de  500  fr.,  si  possible,  et  non  à  celui  de  290  fr.,  les  titres  qu'il  s'était 
appropriés  au  prix  de  150  ou  175  francs.  Le  projet  de  Villet  eût  réduit  de  moitié  les  bénéfices 
qu'espérait  le  directeur  du  Comptoir  d'Escompte  et  qu'il  poursuivait  avec  ténacité  depuis 
près  de  deux  ans. 

Les  contrôleurs  avaient  d'autres  griefs  également,  qui  témoignaient  d'une  légitime 
défiance  à  l'égard  du  gouvernement  beylical.  ils  les  exprimèrent  par  une  déclaration 
commune  du  11  janvier  1870,  où  ils  se  montraient  unanimes  à  réclamer  du  gouvernement 
tunisien  des  garanties  supplémentaires: 

-  administration  et  perception  directe  des  revenus  accordés  par  le  bey,  par  un  conseil 
de  six  membres  choisis  par  le  Contrôle  parmi  les  créanciers  du  gouvernement, 

-  service  d'un  intérêt  minimum  de  5%  pour  les  obligations  de  1863-1865  et  tous  les 
titres  de  conversions, 

-  garantie  d'un  rendement  minimum  de  6  millions  et  demi  pour  les  revenus  concédés 
par  le  beyi27 

il  avait  fallu  de  longues  et  difficiles  négociations  entre  les  représentants  des  banquiers 
et  les  Juifs  tunisiens  pour  arriver  à  s'entendre  sur  la  défense  commune  de  leurs  intérêts 
particuliers.  Les  contrôleurs  acceptaient  le  principe  d'unification,  tout  au  moins  des  emprunts 
et  des  conversions,  réservant  le  cas  de  la  dette  flottante,  ils  demandaient  la  création  d'un 
titre  unique  négociable  à  Tunis,  Paris,  Londres  et  Florence.  Le  consul  de  France  signalait 
que  les  contrôleurs  -  au  moins  ceux  de  Tunis-  ne  cachaient  pas  leur  intention  de  se  nommer 
eux-mêmes  membres  du  conseil  d'administration  qu'ils  préconisaient^^®.  Dès  que  serait 
assuré  le  sort  de  leurs  créances,  il  ne  leur  resterait  plus  qu'à  abandonner  les  fonctions  de 
contrôleurs,  gratuites  et  désormais  sans  intérêt,  pour  se  glisser  dans  celles  d'administrateurs 
où  les  mœurs  du  pays  leur  laissaient  espérer  d'autres  avantages  que  ceux  d'un  traitement 
régulier. 

L'unanimité  du  Contrôle  rendait  vains  les  efforts  de  Villet.  il  dut  céder,  il  renonça  à  la 
réduction  massive  de  la  dette  qu'il  avait  envisagée  et  accepta  le  projet  des  contrôleurs.  La 
négociation  se  poursuivit;  elle  portait  sur  la  situation  de  la  dette  flottante,  sur  le  mode  de 
gestion  des  revenus  concédés,  sur  les  avantages  spéciaux  qui  seraient  accordés  à  la  première 
conversion. 

Un  nouveau  projet  de  Villet,  qui  tenait  compte  dans  une  large  mesure  des  exigences  des 
contrôleurs,  fut  aisément  accepté  par  eux  dans  la  séance  du  9  février.  Promulgué  par  le  bey, 
le  23  mars  1870,  l'arrangement  établissait  le  concordat  de  la  faillite  tunisienne  ;  il  consacrait 
l'unification  et  la  conversion  des  différentes  dettes  de  la  Régence. 

La  fusion  des  dettes  des  diverses  catégories  était  assurée  par  l'échange  des  anciens 
titres  contre  des  obligations  nouvelles  d'un  type  unique,  au  porteur,  d'un  capital  nominal 
de  500  fr.,  donnant  25  fr.  d'intérêt  annuel.  Les  coupons  semestriels  seraient  payables  le  1®"' 
janvier  et  le  l®'' juillet  à  Paris,  Londres  et  Florence,  comme  à  Tunis.  Les  obligations  de  1863 
et  1865,  ainsi  que  certaines  créances  privilégiées  de  la  dette  flottante,  seraient  échangées  au 
pair  contre  des  obligations  nouvelles  ;  les  titres  des  trois  dernières  conversions,  ceux  de  la 
dette  flottante,  au  dessous  du  pair^^^.  Grâce  aux  efforts  intéressés  de  Guttieres,  Santillana  et 


127  Arch.  Rome.  Dép.  confid.  De  Pinna.  Tunis,  18  janvier  1870. 

128  Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Daru.  Tunis,  2  février  1870. 

129  Les  coupons  échus  et  impayés  seraient  échangés  contre  des  certificats  au  porteur  ;  ces  certificats  seraient 


244 


Levy,  les  obligations  de  la  première  conversion  obtenaient  la  faveur  unique  d'im  échange  au 
dessus  du  pair,  six  obligations  nouvelles  contre  cinq  obligations  anciennes^^®. 


1  obligation  de  1863  ou  1865  donnait  droit  à 
5  obligations  de  la  1®'"®  conversion 
10  obligations  de  la  2™®  conversion 
5  obligations  de  la  3™®  conversion 
60  obligations  de  la  4™®  conversion 


1  obligation  nouvelle 

6  obligations  nouvelles 
9  obligations  nouvelles 

2  obligations  nouvelles 
51  obligations  nouvelles 


500  fr.  de  capital  de  la  dette  flottante 
715  fr. 

1250  fr. 

2500  fr. 


1ère  catégorie  à  1  obligation 

2ème  ^ 

'^ème  2 

4éme  i 


Le  bey  concédait  «en  pleine  et  entière  jouissance  aux  créanciers  dans  le  présent  et  pour 
l'avenir  jusqu'à  extinction  de  la  dette  actuelle  et  quelles  que  soient  les  modifications  de  taxes 
ou  de  tarifs  qui  puissent  intervenir»  une  liste  de  26  revenus  dont  il  estimait  le  rendement 
total  à  6.505.000  fr.  C'étaient  : 


les  droits  d'exportation,  estimés 

2.640.000  fr. 

le  canoun  des  oliviers  du  Sahel  et  du  cap  Bon 

1.000.000  fr. 

les  mahsoulats  de  Sousse  et  Monastir,  de  Mahdia,  Sfax, 

La  Goulette,  Bizerte  et  du  cap  Bon,  ensemble 

697.000  fr. 

la  douane  de  Tunis  (importation) 

500.000  fr. 

les  droits  d'octroi 

350.000  fr. 

le  droit  du  timbre 

300.000  fr. 

le  fermage  des  tabacs 

220.000  fr. 

et  un  certain  nombre  de  fermages  et  revenus  secondaires^^i. 

Le  gouvernement  en  garantissait  la  réalisation,  mais  seulement  jusqu'à  concurrence  de 
5  millions  pour  la  première  année,  de  5  millions  et  demi  pour  la  seconde,  6  millions  pour  la 
troisième.  La  garantie  ne  devait  porter  sur  la  somme  intégrale  qu'à  partir  de  la  quatrième 
année.  Tout  déficit  sur  l'ensemble  des  revenus  devait  être  comblé  par  des  prélèvements  sur 
les  autres  revenus  de  l'Etat  ;  le  Comité  exécutif  était  chargé  d'en  assurer  le  recouvrement.  Si 
le  produit  des  revenus  concédés  s'élevait  à  plus  de  6.500.000  fr.  sans  toutefois  dépasser  8 
millions,  l'excédent  serait  employé  à  l'amortissement;  au  delà  de  8  millions,  l'excédent  serait 
partagé  également  entre  les  créanciers  et  l'Etat,  une  part  pour  l'amortissement,  l'autre  à 
l'Etat  pour  des  travaux  publics  exécutés  sur  adjudicationi32. 

Le  conseil  d'administration  percevrait  directement  le  droit  de  timbre;  pour  le  canoun 
des  oliviers,  le  gouvernement  lui  délivrerait  50  délégations  de  pouvoir  annuelles  sur  les 
caïds  qui  devraient  verser  le  produit  de  l'impôt  dans  les  caisses  du  conseil.  Le  gouvernement 


remboursés  sans  intérêt  par  voie  de  tirage  au  sort  sur  des  fonds  spéciaux  provenant  de  l'augmentation  des 
droits  de  douane  à  l'entrée. 

130  «Je  ne  sais  jusqu'à  quel  point  cet  avantage  attribué  à  la  première  conversion  peut  se  justifier  en  droit,  mais, 
du  moment  où  une  pareille  concession  était  considérée  comme  le  seul  moyen  d'obtenir  des  membres  du 
Comité  de  Contrôle  intéressés  dans  la  première  conversion  l'abandon  des  garanties  que  le  gouvernement 
lui  avait  données,  je  conçois  que  le  Comité  exécutif  n'ait  pas  hésité  à  le  faire»  (A.  E.  Tunis,  vol.  34.  Botmiliau 
à  Daru.  Tunis,  24  mars  1870). 

131  Fermages  du  poisson,  des  poulpes  et  éponges,  du  sel,  du  plâtre,  droit  de  la  caroube  à  Tunis,  droits  sur  les 
vins  et  la  pèche  du  corail,  les  douanes  de  Sfax,  Gabès,  Sousse,  Monastir  et  Mahdia,  Djerba,  le  marché  au  bois 
et  au  charbon,  le  marché  aux  grains. 

La  liste  des  revenus  concédés  avait  été  réduite  par  rapport  au  projet  précédent,  le  gouvernement  ayant 
relevé  l'estimation  des  principaux  produits.  Le  revenu  des  droits  d'exportation,  par  exemple,  avait  été 
estimé  2.640.000  fr.  au  lieu  de  3  millions  de  piastres  -  soit  1.875.000  fr.  -  en  décembre  1869. 

132  A.  E.  Tunis,  Vol.  34  Botmiliau  à  Daru  Tunis,  24  mars  1870. 


245 


devrait  également  fournir  des  teskérés  d'exportation,  pour  la  perception  des  droits  de  sortie. 
Les  revenus  des  douanes,  des  mahsoulats  et  des  tabacs  seraient  gérés  par  le  conseil  ou 
affermés,  selon  le  système  jugé  le  plus  avantageux.  La  mise  en  ferme  devrait  avoir  lieu  avec 
concurrence  et  publicité,  sous  la  surveillance  du  Comité  exécutif. 

Le  décret  prévoyait  en  outre  un  certain  nombre  de  dispositions  transitoires  comme  la 
remise  des  revenus  concédés  aux  mains  du  Comité  de  Contrôle,  en  attendant  la  formation 
du  Comité  d'administration  ;  celui-ci  fut  organisé  par  les  deux  Comités  qui,  au  début 
de  mai,  se  mettaient  d'accord  sur  la  création  d'un  conseil  de  cinq  membres  appointés, 
chargés  de  gérer  les  revenus  concédés  par  le  bey,  sous  le  contrôle  du  Comité  exécutif. 
Le  conseil  se  composerait  d'un  délégué  tunisien,  nommé  par  le  Comité  exécutif,  et  de 
quatre  représentants  des  créanciers,  un  Français,  un  Anglais,  un  Italien,  et  un  Européen 
d'une  quelconque  nationalité,  désignés  par  l'ensemble  de  la  commission.  Le  mandat  des 
conseillers  serait  de  cinq  années,  il  serait  renouvelable  ;  les  conseillers  recevraient  une 
indemnité  annuelle  de  12.000  francs.  Ils  percevraient  et  centraliseraient  le  produit  des 
revenus  concédés,  sous  le  contrôle  exclusif  du  Comité  exécutif,  auquel  ils  devraient,  chaque 
trimestre,  rendre  un  compte  détaillé  de  leur  gestion.  Mais  le  mandat  de  conseiller  n'était 
pas  incompatible  avec  les  fonctions  de  membre  du  Comité  de  contrôle,  les  contrôleurs 
avaient  tenu  à  le  préciser,  car  ils  entendaient  bien  se  réserver  les  fonctions  bien  rétribuées 
d'administrateurs.  Tous  les  consuls  protestèrent  hautement  contre  cette  situation  étrange 
qui  pouvait  laisser  aux  mêmes  hommes  le  soin  de  contrôler  leur  propre  gestioM^^  Mais 
Villet  n'y  était  point  hostile.  Il  craignait  que  la  commission  ne  se  dissolve  trop  vite  par  le 
départ  des  contrôleurs,  et,  sans  doute,  n'était-il  point  fâché  de  voir  son  autorité  se  renforcer, 
en  faisant  passer  sous  sa  dépendance  les  hommes  qui  étaient  chargés  de  le  contrôler. 
Malgré  la  mauvaise  humeur  des  consuls,  les  gouvernements  européens  n'eurent  pas  à 
intervenir  :  il  fut  tacitement  entendu  que  le  cumul  des  fonctions  cesserait  dès  la  fin  de 
la  période  d'organisation  consacrée  à  l'unification  de  la  dette.  Les  membres  du  conseil 
d'administration  furent  désignés  dès  le  mois  de  mai  1870.  C'étaient  Fedriani  et  Levy, 
membres  du  Comité  de  contrôle,  le  négociant  français  Félix  Monge,  premier  député  de  la 
nation,  l'Autrichien  Achille  Bogo^^^  et  le  colonel  Ali  Morali,  ancien  directeur  de  la  douane  de 
la  Goulette.  Le  6  juillet,  après  l'élection  de  Fedriani  à  la  présidence  et  de  Monge  à  la  vice- 
présidence,  la  commission  était  officiellement  constituée. 


5  -  Les  difficultés  du  nouveau  régime 

La  création  du  conseil  d'administration,  les  contestations  avec  les  consuls  européens 
n'étaient  pour  Villet  que  des  difficultés  mineures.  L'esprit  d'intrigue  des  contrôleurs,  la 
mauvaise  volonté  du  premier  ministre,  étaient,  avec  la  pénurie  du  Trésor,  des  obstacles 
infiniment  plus  redoutables  pour  le  développement  de  son  action. 

Au  sein  de  la  commission,  Villet  se  heurtait  à  l'avidité  et  à  l'esprit  d'intrigue  des  courtiers 
livournais.  Guttieres  et  Levy  avaient  partie  liée  avec  le  khaznadar,  Santillana  était  l'agent 
presque  officiel  du  consul  Wood,  adversaire  de  Villet.  Tous  les  courtiers  ne  songeaient  qu'à 
assurer  le  classement  le  plus  favorable  de  leurs  créances  de  la  dette  flottante.  Si  l'inspecteur 
gardait  la  haute  main  sur  toutes  ces  opérations,  les  contrôleurs  surveillaient  de  près  la 
discussion  des  titres.  Un  bakchich  pouvait  gagner  leur  bienveillance.  Tous  trafiquaient 
notoirement  de  leurs  fonctions  ;  ils  achetaient,  vendaient  sur  la  place  de  Tunis,  en  profitant 


133  Arch.  Rome.  Dép.  confid.  de  Pinna.  Tunis,  3  mai  1870  FO  02/  120.  Wood  à  Clarendon  Tunis,  avril  et  13 
mai  1870. 

134  Bogo  (Achille),  négociant  italien  protégé  autrichien,  né  à  Tunis  le  18  avril  1819,  marié  à  Tunis  le  24 
novembre  1844  à  Maria  Teresa  Capello  qui  lui  donna  quatre  enfants,  remarié  le  17  juillet  1859  avec  sa 
belle-sœur  Ortensa  Capello  (reg  Ste  croix).  Il  était  le  neveu  du  général  Antonio  Bogo,  ancien  directeur  de  la 
poudrerie  de  l'armement  des  troupes  beylicales. 


246 


des  décisions  qui  étaient  prises  en  commission.  Un  Santillana,  un  Levy,  allaient  spéculer 
en  bourse  au  sortir  des  réunions  en  annonçant  à  haute  voix  ce  qui  venait  d'être  arrêté^^®. 
Mais  le  principal  agioteur  était  le  premier  ministre  lui-même,  «spéculateur  sans  scrupule 
et  sans  dignité^^i^»,  selon  l'expression  de  Villet,  qui  raflait  à  bas  prix  les  titres  de  la  dette 
flottante  et  s'efforçait  de  les  faire  classer  avantageusement  avec  l'appui  des  contrôleurs,  ses 
complices.  En  mai  1870,  il  présentait  pour  huit  millions  de  francs  de  titres  à  échanger  mais  il 
ne  cessait  pas  ses  opérations  pour  autant.  «Une  seule  personne»,  écrivait  Villet  en  juin  1871, 
«était  déjà  à  l'époque  du  1“  janvier  dernier  propriétaire  de  douze  millions  de  francs  de  dette 
flottante  liquidée  ;  dans  les  derniers  mois,  elle  en  a  acheté  pour  huit  ou  neuf  millions  encore, 
et  se  trouve  ainsi  dès  aujourd'hui,  porteur  des  deux  tiers  de  cette  catégorie  de  la  dette.  Ses 
achats  continuent.  Cette  personne  est  le  Khaznadar^^^». 

Les  interventions  des  deux  représentants  de  la  dette  extérieure,  les  contrôleurs  français 
Bonfils  et  Dubois,  ne  contribuaient  pas  à  relever  le  niveau  des  discussions  de  la  Commission 
financière.  Comme  les  courtiers  livournais,  ils  n'intervenaient  que  pour  la  défense  de  leurs 
intérêts  particuliers,  ils  prolongeaient  les  débats  par  des  marchandages  sans  dignité  sur 
les  créances  véreuses  de  leurs  mandants.  Pinard  et  Erlanger.  «Les  intérêts  de  la  maison 
Pinard  furent  débattus  contradictoirement  par  un  des  contrôleurs  français,  le  commandant 
Bonfils,  lequel  avoua  devant  ses  collègues  un  peu  étonnés  qu'il  était  venu  à  Tunis  non  point 
dans  l'intérêt  général  des  créanciers,  mais  dans  celui  de  la  maison  Pinard  dont  il  s'était 
déclaré  l'associéi^*».  Pinard  demandait  le  remboursement  des  quelque  trois  millions  qui  lui 
restaient  à  recouvrer  sur  l'emprunt  consenti  par  son  syndicat  en  janvier  1867.  Mais  il  était 
détenteur  d'im  gage  de  8.444  obligations  de  1863  appartenant  au  gouvernement,  gage  dont 
la  valeur  nominale  restait  supérieure  au  montant  de  sa  créance.  Bonfils  aurait  souhaité  que 
la  commission  abandonnât  au  directeur  du  Comptoir  d'Escompte,  pour  solde  de  tout  compte, 
les  obligations  qu'il  détenait,  les  titres  de  l'emprunt  de  1863,  devant  être  échangés  au  pair, 
comme  le  prévoyait  l'arrangement  du  23  mars  1870.  Mais  Villet  ne  l'entendait  pas  ainsi.  Un 
compromis  intervint  dans  la  séance  du  9  mai  1870.  Bonfils  obtint  pour  la  créance  Pinard  un 
traitement  privilégié  :  elle  n'était  pas  seulement  classée  dans  la  première  catégorie  de  la  dette 
flottante,  ce  qui  lui  eût  valu  un  échange  au  pair  -  une  obligation  nouvelle  contre  500  fr.  de 
capital  ;  comme  les  titres  de  la  première  conversion  naguère  défendue  par  Guttieres,  Levy  et 
Santillana,  elle  obtenait  la  faveur  d'un  échange  au  dessus  du  pair,  onze  obligations  nouvelles 
contre  5.000  francs  de  capital.  Mais  Bonfils  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  présentait  bientôt  une 
note  supplémentaire  de  33.476  francs,  pour  frais  de  traites  protestées,  que  la  Commission 
rejetait  le  14  juillet  1870,  mais  qu'elle  finissait  par  admettre,  le  2  août.  11  revenait  à  la  charge 
une  troisième  fois  et  réclamait  un  supplément  de  90.000  francs  de  commission.  Malgré  la 
vive  opposition  d'une  partie  de  ses  collègues,  cette  demande  fut  acceptée,  le  20  septembre. 
Alors  seulement  Bonfils  se  déclara  définitivement  satisfait^^®. 

11  avait  tout  lieu  de  l'être  en  effet.  L'emprunt  de  janvier  1867  était  liquidé  sur  la  base  de 
la  restitution  par  Pinard  de  1.000  obligations  de  1863  qui  devaient  être  annulées,  les  7.444 
autres  devant  être  échangées  contre  un  nombre  égal  de  titres  de  la  dette  unifiée.  Sans  doute  le 
financier  parisien  obtenait-il  moins  qu'il  n'avait  pu  l'espérer  lorsqu'il  échafaudait  ses  projets 
de  liquidation  de  la  dette  tunisienne.  11  devait  surtout  renoncer  à  intervenir  désormais  dans 
les  finances  de  la  Régence.  Mais  les  fonds  que  le  syndicat  Pinard  avait  avancés  en  janvier  1867, 


135  A.  E.  Tunis,  vol.  R35  Villet  à  ).  Favre.  Goulette,  30  juin  1871. 

136  Ihid.  Villet  au  ministre.  Goulette,  2  juin  1871. 

137  Ihid.  vol. 34,  Villet  à  J.  Favre.  Goulette,  22  juin  1871.  (Villet  ayant  par  erreur  daté  sa  lettre  du  22  juin  1870, 
elle  se  trouve  classée  avec  des  documents  antérieurs  d'une  année). 

Au  printemps  1871,  toutefois,  les  manœuvres  du  khaznadar  n'étaient  plus  seulement  spéculatives.  Il  visait 
surtout  à  s'assurer  le  contrôle  de  la  Commission  financière  grâce  à  l'élection  de  nouveaux  délégués. 

138  Documents  sur  Khérédine,  op.  cit.  R.  T.  1938,  p.l52  :  appendice  IV  :  affaire  Pinard.  Lettre  du  premier  ministre 
du  bey  à  Monsieur  le  chargé  d'affaires  de  France  en  Tunisie. 

139  Ibid,  même  lettre,  pp.  152-153.. 


247 


moins  de  5  millions  de  francs  pour  un  emprunt  nominal  de  9  millions,  bénéficiaient  au  total 
du  plus  large  remboursement.  La  presque  totalité  des  23.831  obligations  de  1863  engagées  en 
1867  par  le  gouvernement,  qu'elles  eussent  été  remboursées  au  cours  des  tirages,  rachetées 
à  bas  prix  lors  des  opérations  de  1867-1868,  ou  concédées  par  la  Commission  financière 
en  1870,  étaient  finalement  devenues  la  propriété  du  syndicat.  A  un  titre  ou  un  autre,  elles 
obtenaient  l'échange  au  pair  contre  des  obligations  de  la  dette  unifiée.  Les  cinq  millions  de 
janvier  1867  s'étaient  transformés,  en  1870,  en  un  capital  nominal  de  prés  de  treize  millions 
de  francsi^'û.  En  définitive,  l'opération  n'avait  pas  été  mauvaise  pour  les  banquiers.  Ce 
succès  relatif  récompensait  les  efforts  que  Pinard  avait  opiniâtrement  menés  depuis  1868 
afin  de  s'assurer  le  contrôle  de  la  Commission  d'abord,  la  désignation  des  commissaires 
français  ensuite.  Ce  devait  être  un  des  derniers  succès  financiers  du  directeur  du  Comptoir 
d'Escompte  :  il  disparaissait  dès  l'année  suivante  en  octobre  1871,  à  l'âge  de  cinquante-six  ans. 

Mais  si  Pinard  était  satisfait,  Erlanger  l'était  beaucoup  moins.  En  mai  1870,  il  se 
plaignait  «hautement»  de  la  mauvaise  volonté  de  la  Commission  à  son  égard^^i.  Erlanger 
avait  demandé  le  remboursement  des  avances  qu'il  avait  faites  en  compte  courant  au 
gouvernement,  et  surtout  du  prêt  de  quatre  millions,  qu'avec  un  syndicat  de  banquiers 
de  Francfort,  il  avait  consenti  en  février  1867,  avant  le  lancement  du  grand  emprunt  de 
cent  millions^^^.  11  demandait  ainsi  plus  de  cinq  millions  de  francs,  intérêts  non  compris^'^^. 
Mais  Villet  avait  soigneusement  étudié  les  comptes  boiteux  que  la  banque  Erlanger  avait 
l'impudeur  de  présenter  à  la  Commission  financières^''.  L'inspecteur  des  Finances  relevait  en 
effet  qu'Erlanger  réclamait  au  gouvernement  les  intérêts  des  sommes  qu'il  lui  avait  avancées, 
mais  qu'il  négligeait  régulièrement  ceux  qui  auraient  pu  courir  en  sa  faveur.  11  était  surtout 
des  irrégularités  plus  graves,  qui  relevaient  du  domaine  de  l'escroquerie.  Les  banquiers 
avaient  inscrit  dans  leurs  créances  une  somme  de  551.650  fr.  à  titre  de  commission  pour 
le  placement  effectif  de  11.033  obligations  de  1867  (d'une  valeur  totale  de  5.516.500  fr.). 
Or  cette  exigence  était  expressément  contraire  aux  stipulations  du  contrat  qui  prévoyait 
une  commission  de  5%  en  faveur  de  la  banque,  seulement  dans  le  cas  où  le  prix  d'émission 
des  titres  n'aurait  pas  été  inférieur  à  325  Fr.  Les  obligations  avaient  été  placées  à  315  Fr.,  et 
les  Erlanger,  avec  sérénité,  avaient  inscrit  dans  leur  créance  un  courtage  de  10%.  Fait  plus 
grave,  Erlanger  cherchait  à  se  faire  rembourser  deux  fois  son  prêt  de  quatre  millions  :  d'un 
côté,  il  présentait  sa  créance  régulière,  de  l'autre,  il  demandait  le  remboursement  des  25.000 
obligations  de  1867  (1.250.000  Fr.)  qu'il  avait  retenues  comme  gage  de  son  avance^''^. 

L'impudence  du  procédé  avait  révolté  même  la  conscience  accommodante  des  courtiers 
livournais.  Dubois  avait  été  abandonné  par  ses  collègues.  La  Commission  refusait  d'accueillir 
les  25.000  obligations  de  1867,  d'ailleurs  annulées  par  le  gouvernement  après  l'échec  de 
l'emprunt,  ainsi  que  la  commission  de  551  650  Fr.  ;  en  outre,  elle  réduisait  de  663.000  Fr.  les 
créances  du  compte  courant  d'Erlanger. 


140  11.415.000  fr.  valeur  nominale  de  22.831  obligations,  plus  1.283.839  fr.  versés  en  acompte  par  le 
gouvernement  tunisien  dans  le  courant  de  1867.  Bilan  théorique  évidemment  :  nous  n'avons  pas  le  détail  ni 
la  date  exacte  de  toutes  les  opérations.  Plusieurs  centaines  des  obligations  de  1863  avaient  été  remboursées 
au  pair,  lors  des  tirages  de  1867.  Mais  les  banquiers  ne  pouvaient  encore  disposer  des  nouveaux  titres  de 
la  dette  unifiée  :  les  opérations  d'échange  étaient  loin  d'être  achevées,  les  nouvelles  obligations  ne  devaient 
être  admises  à  la  cote  de  Paris  que  le  24  juin  1872. 

141  Arch.  Rês.  Milczewski  (agent  d'Erlanger  à  Tunis)  à  Botmiliau.  Tunis,  31  mai  1870. 

142  L'emprunt  qui  avait  échoué  en  mai  1867  et  qui  fut  annulé  par  le  gouvernement. 

143  5.238.732,  75  Fr.  dont  il  fallait  déduire  le  solde  du  compte  courant  Erlanger  à  Tunis  (52.845,  10  Fr.),  soit 
5.185.887,  65  fr. 

144  Mémoire  sur  la  créance  de  MM.  Emile  Erlanger  et  de  envers  le  gouvernement  tunisien.  Paris,  1869,  in-4°,  36 
p.  (Arch.  Tun.  Doss.  288,  carton  110). 

145  A.  E.  Tunis,  vol.  36.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  27  septembre  1871. 

Annexe  :  Note  de  Villet  du  25  septembre.  Arch.  Tun.  Doss  286,  carton  110  :  Note  delà  Commission  financière. 
-  mémorandum  sur  la  réclamation  Erlanger  (sans  date) 


248 


Mais  l'affaire  ne  devait  pas  en  rester  là.  L'insuccès  de  ses  demandes,  la  défaite  de  la 
France  rappelaient  à  Erlanger  qu'il  était  toujours  sujet  prussien.  En  1862,  il  avait  entrepris 
les  premières  démarches  pour  l'acquisition  de  la  nationalité  française  ;  il  avait  été  admis 
à  domicile  par  décret  impérial  du  1“  mars  18621'^^.  Mais  il  avait  eu  le  bon  esprit  de  ne  les 
point  poursuivre.  A  partir  de  novembre  1870,  Erlanger  cessa  d'avoir  recours  au  consulat 
de  France  pour  présenter  ses  demandes  contre  le  gouvernement  tunisien  ;  il  s'adressa 
désormais  au  consulat  d'Allemagne.  Grâce  aux  relations  d'affaires  qui  existaient  entre  la 
banque  Erlanger  de  Francfort,  qui  était  partie  dans  l'avance  des  quatre  millions,  et  le  prince 
de  Bismarck,  il  fut  facile  de  faire  accueillir  au  chancelier  les  réclamations  des  banquiers 
parisiens.  De  Botmiliau,  Wood  et  Pinna  étaient  d'accord  avec  Villet  sur  le  caractère  immoral 
de  la  réclamation  Erlanger  que  le  consul  d'Allemagne  à  Tunis,  le  suédois  Tulin  de  la  Tunisie^'^^ 
était  chargé  de  présenter  au  Bardo^^®.  En  juillet  1872,  Tulin  exigeait  du  bey  le  paiement 
immédiat  de  six  millions  en  or,  capital  et  intérêts  échus^^®.  Le  cabinet  britannique  chargeait 
ses  ambassadeurs  de  sonder  les  dispositions  des  gouvernements  français  et  italien  en  vue 
d'une  action  commune,  tout  en  intercédant  auprès  du  cabinet  de  BerliM^o.  Wood  et  Pinna 
s'entremirent  pour  proposer  à  Tulin  un  compromis:  le  paiement  intégral  en  obligations  des 
créances  Erlanger,  soit  5.185.887,  65  Fr.  et  le  règlement  des  intérêts  échus  depuis  le  premier 
janvier  1870  au  taux  de  à  5%  en  or  ou  en  obligationsi^L  La  suggestion  était  adoptée  et 
l'affaire  réglée  en  août  1872  pour  la  plus  grande  satisfaction  du  banquier  allemand  qui  avait 
réussi  à  faire  accepter  ses  tristes  créances,  à  l'exception  des  25.000  obligations  auxquelles  il 
avait  finalement  renoncé^^^ 


146  Bull  lois.  Suppl. 1862.  B.  p.269:  décret  impérial  n  13.523.  Paris,  1^*^  mars  1862 

147  Tulin  de  la  Tunisie  (Charles),  né  à  Tunis  le  16  janvier  1837,  du  chevalier  Gustave  Adolphe  Tulin,  consul  général 
de  Suède-et-Norvège  et  de  son  épouse  Margaret  Heap,  d'origine  américaine.  La  famille  Tulin,  fixée  à  Tunis 
depuis  près  d'un  siècle,  était  apparentée  ou  alliée  aux  Gordon  d'Ecosse,  au  général  américain  Porter,  et  au 
maréchal  Randon.  Après  des  études  en  Suède,  Ch.  Tulin  fut  chargé  d'une  mission  comme  interprète  du  bey 
auprès  des  cours  de  Stockholm  et  de  Berlin.  Adjoint  à  son  père,  avec  le  titre  de  vice  consul,  il  épousa  à  Tunis,  le 
11  juin  1860,  Laure  Costa,  fille  du  médecin  génois  Domenico  Costa  et  de  Thérèse  Gay,  cousine  germaine  d'Oscar 
Gay,  employé  du  ministère  des  Affaires  étrangères  français.  En  1865,  il  succédait  à  son  père  comme  consul  de 
Suède-et-Norvège  et  de  Prusse  à  Tunis.  En  1868,  par  lettres  patentes  du  bey  ratifiées  par  le  roi  de  Suède,  il 
obtenait  le  droit  d'adjoindre  à  son  nom  patronymique  la  particule  «de  la  Tunisie»,  en  même  temps  que  les  Gay, 
ses  cousins,  transformaient  leur  nom  en  Gay  de  Tunis.  Ch.  Tulin  était  devenu  consul  général  d'Allemagne  à  Tunis, 
en  décembre  1870  (Arch.  Rés.  cabinet,  confid:  annexe  à  Dép.  consulaire  du  11  août  1870  -  reg  Ste  Croix). 

148  Arch.  Tun.  Doss.286,  carton  110.  Tulin  au  bey.  Tunis,  17  juillet  1871  et  23  décembre  1871.  Bismarck  au  bey 
[en  français]  Berlin,  4  avril  1872 

149  F.  0.102/121  Tél.  de  Wood.  La  Goulette,  14  juillet  1872. 

150  Ibid.  Granville  à  Lyons  et  Paget  F.  0.13  juillet  1872. 

151  Ibid.  Wood  à  Granville.  Tunis,  16  juillet  1872. 

152  Arch.  Tun.  Doss.286,  carton  110  :  «Règlement  général  et  définitif  des  créances  de  la  maison  Erlanger». 

1-  COMPTE  COURANT  ERLANGER 

-  5.185.887,  65  Fr.,  soit  10.372  obligations  de  500  Fr. 

A  déduire  788  obligations  déjà  entre  les  mains  d'Erlanger 

9.584  obligations 

-  Intérêts  payables  en  effectif  sur  5.185.887,65  fr.  Pendant  deux  ans  et  demi  à  5%,  soit  648  235,  80  fr. 

A  déduire  37.824  Fr.  produit  des  coupons  touchés  en  1871  et  1872  sur  les  788  obligations 

610.411,  80  fr. 

Somme  payable  partie  en  obligations  soit  2039  titres 
partie  en  numéraire  soit  228.859  fr. 

A  percevoir  9.584  obligations  +  2.089  =  11.673  obligations  5% 

228.859  fr.  en  effectif 

2-  COMPTES  de  LA  FABRIQUE  de  TEBOURBA 

Teskérés  impayés  et  intérêts,  soit  536.488,50  Fr.  payables  partie  en  obligations,  soit  1.024  titres,  partie  en 
effectif,  soit  38.352  Fr.  (ces  teskérés  avaient  été  précédemment  classés  à  3,5%  par  la  Commission  financière 
malgré  les  protestations  d'Erlanger). 

Au  total  la  maison  Erlanger  recevait  du  gouvernement: 

11.673  obligations  228.859  Fr.  pour  le  compte  courant 

1.024  38.352  pourTebourba 


249 


Comme  Pinard,  Erlanger  se  retirait  désormais  des  affaires  tunisiennes  où, 
pendant  près  de  dix  ans,  il  avait  joué  un  rôle  si  néfaste.  Mais  la  maison  Erlanger  était 
maintenant  une  puissante  banque  d'affaires:  son  chef,  le  baron  Emile,  allait  prendre 
bientôt  la  direction  du  Crédit  Mobilier  de  Paris,  il  étendait  ses  opérations  sur  quatre 
continents,  s'occupait  d'emprunts  turcs,  égyptiens,  américains,  de  mines,  de  chemins 
de  fer,  de  câbles  transatlantiques,  en  attendant  de  mettre  la  main  sur  l'agence  Havas. 
Ses  descendants  ne  devaient  cependant  pas  oublier  la  Tunisie  qui  avait  fait  la  fortune 
de  la  famille;  ils  possèdent  toujours  à  Sidi-bou-Saïd  une  des  plus  belles  villas  de  la 
Régence. 

L'arrangement  Erlanger  venait  ajouter  aux  difficultés  du  Trésor  tunisien.  En 
décembre  1870,  Villet  avait  arrêté  à  125  millions  de  francs  le  montant  de  la  dette  unifiée; 
il  en  payait  le  premier  coupon  en  janvier  1871,  mais  le  gouvernement  avait  dû  accorder 
une  subvention  pour  parer  à  l'insuffisance  des  revenus  concédés  pendant  l'année  1870. 
L'arrangement  du  23  mars  1870  n'avait  rien  résolu.  En  abandonnant  à  la  Commission  des 
branches  de  revenus  dont  le  produit  avait  été  par  lui  estimé  à  10  millions  de  piastres,  le 
gouvernement  s'était  réservé  la  perception  d'impôts  tels  que  la  mejha,  l'achour,  le  canoun 
des  dattiers  dont  le  khaznadar  avait  évalué  le  rendement  à  12  ou  14  millions  de  piastres 
au  minimum.  Sur  ce  budget  réduit,  il  fallait  assurer  l'existence  quotidienne  de  la  cour  et 
du  gouvernement,  payer  les  derniers  soldats  que  le  bey  entretenait  encore  à  son  service. 
Villet  convenait  qu'il  était  impossible  de  réduire  les  dépenses  courantes  au  dessous  de 
9  millions  de  piastres,  même  en  comprimant  au  maximum  tous  les  frais  inutiles.  Or  ces 
revenus  qu'avait  conservés  le  gouvernement  avaient  été  largement  surestimés  par  le 
premier  ministre,  Villet  en  trouvait  la  preuve  dans  les  archives  du  ministère  des  Finances. 
Dès  septembre  1870,  il  arrivait  à  cette  conclusion  que  pour  l'année  fiscale  1287  (1870- 
1871)  le  gouvernement  allait  au  devant  d'un  déficit  inévitable  de  2  millions  de  piastres 
et  probablement  de  3  à  4  millions,  en  tenant  compte  du  manque  à  recouvrer,  car  les 
branches  de  revenus  conservés  par  le  gouvernement  ne  pouvaient  fournir  que  7  millions 
de  piastres  à  peine^^^.  Là  dessus,  il  fallait  encore  prévoir  des  subventions  pour  payer  le 
montant  des  coupons,  toutes  les  fois  que  le  produit  des  revenus  concédés  se  révélerait 
insuffisant. 

La  perspective  d'un  déficit  laissait  le  khaznadar  indifférent.  11  donnait  lui-même 
l'exemple  de  l'évasion  fiscale  en  n'acquittant  pointles  impôts  qu'il  devait  pour  ses  nombreuses 
propriétés^^'*.  Il  avait  eu  soin  de  faire  percevoir  à  l'avance  les  impôts  directs  dans  le  pays,  et 
continuait  de  trafiquer  des  fermages  en  les  accordant  à  des  complices.  Ainsi,  en  mars  1870, 
il  avait  concédé  la  ferme  de  la  Monnaie  au  caïd  Hamida  Benaïad.  La  Monnaie  tunisienne 
frappait  des  pièces  de  mauvais  aloi.  La  Commission  financière  protestait  en  vain,  et  si  Villet 
obtenait  la  retraite  de  Benaïad,  en  avril  1871,  un  individu  plus  suspect  venait  le  remplacer. 


12.697  obligations  267.211  Fr. 

qui  étaient  remis  à  l'agent  d'Erlanger  à  Tunis,  le  25  août  1872. 

153  A.  E.  Tunis,  vol.  34  annexes  n°l  et  n°  2  à  lettre  de  Villet  du  20  septembre  1870  qui  manque,  op.  cit 

154  Ibid.  :  annexe  à  lettre  de  Villet  du  22  juin  1871:  état  des  propriétés  du  premier  ministre  situées  dans  la  ville 
de  Tunis  sur  lesquelles  est  dû  l'impôt  de  la  karroube  dont  le  paiement  n'a  pu  encore  être  obtenu  pour  1287 
(liste  de  200  maisons,  boutiques  ou  fondouks). 


250 


le  Juif  Haï  Sebagi®^  «l'un  des  plus  tristes  agents  particuliers  du  khaznadar»!^^. 

D'accord  avec  Khérédine,  Villet  avait  reconnu  la  nécessité  d'alléger  les  taxes  pesant 
sur  l'agriculture.  Mais  le  déficit  budgétaire  le  contraignait  à  rechercher  des  ressources 
nouvelles,  en  imposant  les  revenus  qui  étaient  négligés  jusque  là  par  l'administration 
tunisienne.  Si  les  sédentaires  étaient  durement  frappés,  les  nomades  ne  payaient  guère  que 
la  mejba.  Aussi  le  Comité  exécutif  proposa-t-il  au  gouvernement,  au  début  d'avril  1871,  la 
création  d'un  impôt  sur  les  troupeaux  analogue  à  celui  qui  existait  en  Algérie.  En  même 
temps  il  suggérait  l'extension  à  toutes  les  propriétés  bâties  de  la  taxe  de  la  caroube  qui  ne 
pesait  jusqu'alors  que  sur  les  immeubles  mis  en  location.  Mais  le  gouvernement  ne  le  suivit 
pas  ;  le  khaznadar  refusait  le  projet  de  généralisation  de  la  caroube,  il  répondait  qu'il  allait 
faire  étudier  la  taxe  sur  les  troupeaux,  ce  qui  était  en  fait  un  refus  déguisé.  La  Commission 
financière,  écrivait  Villet,  s'use  devant  l'inertie  et  le  désordre  du  gouvernement  tunisien.  «Le 
Khaznadar  considérant  la  liquidation  financière  du  passé  comme  terminée  aujourd'hui,  et 
le  bénéfice  que  le  gouvernement  pourrait  tirer  de  la  Commission  financière  comme  acquis, 
n'a  plus  qu'un  but,  celui  de  se  soustraire  aux  engagements  contractés...  et  de  revenir  par 
tous  les  moyens  aux  errements  du  passé  qui  ont  ruiné  le  pays...  il  ne  m'est  pas  permis  de 
douter  davantage  qu'il  soit  secrètement  encouragé  dans  cette  voie  par  MM.  Wood,  Pinna,  de 
Rameau,  Hertzfeld  qui  sont  ses  obligés  personnels^^^». 

Quelques  mois  après  l'unification  de  la  dette  qui  avait  été  considérée  comme  un  grand 
succès,  la  Commission  semblait  à  la  veille  de  se  dissoudre.  En  juin-juillet  1871,  la  crise  était  si 
grave  que  toute  l'œuvre  de  Villet  paraissait  compromise  ;  l'inspecteur  des  Finances,  le  général 
Khérédine,  isolés  au  milieu  de  l'hostilité  générale,  songeaient  à  donner  leur  démission. 

Le  Comité  de  contrôle  se  dissolvait  par  le  départ  des  contrôleurs  :  dés  que  l'unification 
de  la  dette  eut  été  acquise,  les  courtiers  livournais  se  lassèrent  d'un  mandat  gratuit  et 
désormais  sans  intérêt,  qui  les  contraignait  à  de  fastidieux  déplacements  à  La  Goulette^^®. 
ils  boudaient  les  séances,  parlaient  de  démission.  Levy  et  Fedriani  se  consacraient  surtout 
à  leur  tâche  d'administrateurs  ;  Guttieres  démissionnait  en  juillet  1871.  Les  représentants 
de  Pinard  et  d'Erlanger  avaient  déjà  disparu.  Dubois  ne  faisait  plus  que  de  rares  apparitions 
à  Tunis  :  il  devait  démissionner  dès  que  fut  acquis  le  règlement  de  la  créance  Erlanger.  Le 


155  «Originaire  de  Sfax,  Mayer  Haï,  fils  d'Elie  Sabbagh  ou  Sebag,  après  des  débuts  plus  que  modestes,  sans 
instruction,  mais  ayant  l'instinct  des  affaires,  n'avait  pas  tardé  à  s'enrichir.  Ruiné,  en  1860,  il  obtint  grâce 
à  la  protection  du  caïd  Nissim,  un  arrangement  avec  ses  créanciers  en  1863;  entièrement  ruiné  lors  de 
la  révolution  de  1864,  il  entra  en  1866  au  service  de  son  beau-frère  Isaac  Semmama  de  Sousse  dont  il  se 
sépara  peu  après.  Introduit  en  1869,  par  son  frère  Mardochée,  auprès  du  général  Baccouch,  il  entra  l'année 
suivante  au  service  particulier  de  Mustapha  Khaznadar  dont  il  ne  tarda  pas  à  devenir  le  principal  homme 
d'affaires.  D'une  imagination  fertile,  il  était  spécialiste  des  coups  de  bourse.  Après  la  chute  du  khaznadar 
[en  1873],  il  se  réfugie  en  Europe,  intrigue  à  Rome,  à  Vienne,  à  Berlin,  à  Paris,  à  Londres,  à  Constantinople, 
en  faveur  de  l'ex-ministre,  inspire  les  campagnes  de  l'Italie  et  de  la  République  française  contre  Khérédine» 
(Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  R.  T.  1938,  p.lOl,  note  31). 

Après  avoir  vainement  essayé  d'obtenir  des  passeports  anglais,  Sebag  s'était  installé  à  Livourne,  puis 
à  Vienne  où  le  financier  Morpurgo  ne  put  lui  faire  accorder  une  protection  autrichienne.  Il  eut  plus  de 
succès  à  Berlin  où,  grâce  à  Oppenheim,  il  obtenait,  en  1874,  une  lettre  de  protection  pour  lui  et  les  siens, 
23  personnes  en  tout  (F.  0.102/99  Wood  à  Derby.  Tunis,  9  novembre  1874).  Sebag  avait  réussi  à  transférer 
en  Europe  la  fortune  mobilière  du  khaznadar.  Pendant  plusieurs  années,  il  se  livra  à  diverses  opérations 
financières  pour  son  compte  ou  celui  de  l'ancien  ministre.  Ruiné  par  des  spéculations  malheureuses 
en  bourse  de  Tunis,  il  suspendit  ses  paiements  en  avril  1879  et  mourut  en  octobre  de  la  même  année 
(F.  0.102/128  Reade  à  Salisbury  Tunis,  7  mai  1880) 

156  A.  E.  Tunis,  vol.  35  Villet  au  ministre.  Goulette,  2  juin  1871. 

157  Ibid.  Vol.  34  Villet  à  J.  Favre.  Goulette,  22  juin  1871. 

De  Rameau  et  Hertz  Feld  étaient  les  consuls  d'Espagne  et  d'Autriche-Hongrie.  La  remarque  de  Villet 
concernant  Wood  n'était  pas  entièrement  justifiée.  Wood  était  l'ami  du  khaznadar  et  l'adversaire  de  Villet, 
mais  il  ne  souhaitait  pas  la  dissolution  de  la  Commission. 

158  Où  résidait  Villet. 


251 


commandant  Bonfils  avait  regagné  Paris  en  avril  1871  ;  il  devait  y  mourir  deux  mois  plus 
tard. 

Le  khaznadar  ne  dissimulait  plus  ses  intentions  d'obtenir  la  dissolution  de  la 
Commission.  Les  difficultés  financières  rendaient  chaque  jour  plus  difficile  la  situation 
du  Comité  exécutif.  L'argent  manquait,  les  contrôleurs  exigeaient  le  paiement  intégral  des 
coupons,  le  khaznadar  refusait  la  création  d'impôts  nouveaux.  Le  coupon  de  juillet  1871  ne 
pouvait  être  payé  en  entier  ;  la  caisse  du  gouvernement  n'était  pas  en  état  d'assurer  à  celle 
des  créanciers  les  subventions  prévues  par  l'accord  du  23  mars  1870.  Le  khaznadar  aussitôt 
suggérait  un  emprunt  que  venaient  offrir  à  la  Commission  deux  de  ses  hommes  de  paille,  le 
Juif  Paz  et  Brûlât,  un  avocat  véreux^®^.  Malgré  les  efforts  de  Villet,  la  proposition,  rejetée  une 
première  fois  en  juillet,  était  acceptée  au  début  d'août  par  la  majorité  de  la  Commissioni^o. 

En  même  temps  le  premier  ministre  qui  continuait  d'acquérir  des  titres  de  la  dette 
unifiée  cherchait  à  dominer  l'élection  désormais  inévitable  de  nouveaux  contrôleurs.  Deux 
sièges  étaient  vacants  déjà,  deux  autres  allaient  l'être  sous  peu.  L'absence  chronique  des 
contrôleurs  français  fournissait  un  prétexte  pour  faire  élire  à  Tunis  les  représentants  de 
la  dette  extérieure.  Le  khaznadar  avait  les  moyens  de  s'assurer  une  élection  facile  pour  les 
candidats  qu'il  avait  choisis.  Brûlât,  Paz,  Azuelos.  Un  journal  clandestin  alimenté  par  les 
fonds  du  premier  ministre  et  rédigé  par  ses  amis,  le  Révélateur,  menait  campagne  contre 
Villet  et  Khérédine  dont  le  khaznadar,  d'autre  part,  minait  la  situation  auprès  du  bey. 

Khérédine  offrait  sa  démission,  en  avril  1871  ;  le  bey  la  lui  refusait  alors,  mais,  en 
juillet,  il  paraissait  prêt  à  se  débarrasser  de  lui.  Villet  qui  était  en  difficulté  avec  tous  les 
consuls,  même  avec  de  Botmiliau,  avec  lequel  il  s'entendait  mal,  semblait  décidé  à  se  retirer. 
La  situation  était  si  grave  que  Wood  dut  utiliser  toute  son  influence  au  Bardo  pour  éviter 
l'irréparable. 

La  crise  n'était  pas  seulement  d'ordre  financier  ;  elle  avait  également  des  causes  d'ordre 
politique.  La  défaite  et  l'humiliation  de  la  France,  le  développement  d'une  vaste  insurrection 
dans  le  département  de  Constantine,  enhardissaient  le  premier  ministre.  Le  moment 
semblait  propice  pour  rejeter  la  tutelle  que  lui  avait  imposée  le  gouvernement  impérial, 
pour  renverser  la  politique  qu'il  avait  dû  suivre  depuis  l'ultimatum  du  baron  saillard.  A 
Tunis,  Pinna  se  posait  maintenant  en  rival  du  consul  de  France.  11  ne  pouvait  lui  déplaire 
de  voir  dissoute,  ou  du  moins,  affaiblie  une  commission  dont  l'énergie  de  Villet  avait  fait 
une  commission  française^®!.  Wood  pouvait  accueillir  avec  satisfaction  un  recul  notable 
de  l'influence  française  dans  la  Régence,  mais  l'offensive  italienne  qui  se  développait  en 
Tunisie  en  1871,  lui  paraissait  tout  aussi  dangereuse  que  les  menées  françaises  si  souvent 
dénoncées  par  lui,  depuis  1856.  Le  cabinet  de  Londres  n'avait  aucune  raison  de  modifier 
sa  politique  tunisienne.  11  s'était  félicité  des  premiers  résultats  obtenus  par  la  Commission 
financière  et  ne  songeait  pas  à  entraver  le  développement  de  son  action.  Wood  qui  n'aimait 


159  PAZ  (Isacco  fù  Samuele),  négociant  italien  dont  les  deux  fils  aînés,  Adolfo,  né  en  1841  à  Sfax,  et  Alessandro, 
né  à  Tunis  en  1843,  avaient  été  associés  à  ses  affaires. 

BRULAT  (Auguste-Casimir),  aventurier  français,  originaire  de  Carpentras,  arrivé  à  Tunis  où  il  s'était  improvisé 
avocat,  après  son  expulsion  d'Egypte  en  1867.  Agé  à  l'époque  d'une  quarantaine  d'années,  il  était  veuf 
depuis  deux  ans.  En  septembre  1870,  il  menait  grand  bruit  autour  d'une  compagnie  de  francs  -  tireurs  dont 
il  s'était  nommé  lui-même  le  capitaine.  En  1870,  en  1871,  il  intriguait  pour  se  faire  élire  député  de  la  nation, 
membre  du  Comité  de  Contrôle,  et  ne  faisait  pas  mystère  de  ses  opinions  républicaines  avancées  (Arch. 
Rés.  Dép.  de  Des  Essarts,  consul  intérimaire.  Tunis,  29  octobre  1870  -  A.  E.  Tunis,  vol.  35  Dép.  de  Botmiliau, 
Tunis,  24  juillet  1871.  -  Reg.  Ste  croix,  13  mars  1868,  décès  d'Alphonsine-Augustine  Serpelin,  épouse  Brûlât, 
née  à  Orange  le  21  juin  1838). 

160  A.  E.  Tunis,  vol.  35.  Dép.  de  Botmiliau,  Tunis,  28  juillet  1871. 

Ibid.,  lettre  de  Villet,  Goulette,  7  avril  1871. 

161  Dans  sa  correspondance,  Pinna  reste  très  discret  sur  toutes  ces  questions.  Les  difficultés  politiques  et 
financières  de  la  Commission  ne  sont  pas  évoquées  une  seule  fois  par  lui,  dans  le  courant  du  premier 
semestre  1871. 


252 


ni  Villet  ni  Khérédine,  plaida  au  Bardo  la  cause  du  président  de  la  Commission.  Si  Khérédine 
démissionnait,  si  Villet  s'en  allait,  ce  serait  aussitôt  la  fin  de  la  commission,  écrivait-iB“.  Au 
début  d'août,  il  intervenait  dans  la  question  du  remplacement  des  contrôleurs.  D'accord  avec 
la  majorité  de  ses  collègues,  il  souhaitait  le  maintien  du  système  d'élection  des  représentants 
anglo-italiens  utilisé  en  1869,  mais  reconnaissait  les  dangers  d'une  élection  contrôlée  par  le 
premier  ministre  et  ses  amis^®^.  Entre  son  hostilité  envers  les  dirigeants  du  Comité  exécutif 
et  l'intérêt  de  la  Commission,  Wood  optait  de  façon  déclarée.  Par  son  entremise,  Santillana  et 
Levy  consentaient  à  revenir  sur  leurs  projets  de  démission,  Guttieres  acceptait  de  reprendre 
sa  place  au  Contrôle.  Khérédine  restait  en  fonctions.  La  menace  d'une  dissolution  de  la 
Commission  était  écartée  et  Villet  pouvait  continuer  son  œuvre  difficile. 

Dans  l'affaire,  le  consul  d'Angleterre  avait  fait  preuve  de  sens  politique.  S'il  était  sans 
doute  le  spéculateur  qu'avaient  dénoncé  Villet  et  Botmiliau,  si  ses  intrigues  manquaient 
parfois  de  dignité,  sa  politique  générale  demeurait  remarquablement  claire.  Wood  restait 
fidèle  aux  accords  de  1869  sans  renoncer  pour  autant  à  patronner  un  rapprochement  avec 
la  Turquie,  à  développer  l'influence  anglaise  en  Tunisie,  desseins  qu'allait  grandement 
favoriser  l'effacement  de  la  France  à  partir  de  1871. 


162  F.  0.102/120.  Wood  à  Granville.  Tunis,  12  avril  1871. 

163  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  12  août  1871. 


253 


254 


CHAPITRE  VIII 


L'EFFACEMENT  DE  LA  FRANCE 
ET  LE  SUCCÈS  DE  LA  POLITIQUE  ANGLAISE 

(1871-1873) 


L'attaque  menée  contre  la  Commission  financière  avec  la  tolérance  de  Pinna,  n'était 
qu'un  des  aspects  du  recul  de  l'influence  française,  à  la  suite  des  désastres  de  1870. 
Les  Italiens  n'avaient  pas  attendu  le  complet  écrasement  de  la  France  pour  agir  :  en 
septembre  1870,  ils  entraient  à  Rome;  en  janvier  1871,  ils  prenaient  l'offensive  à  Tunis 
en  soulevant  une  mauvaise  querelle,  l'affaire  de  la  Djédeida. 

1  -  Une  offensive  italienne,  l'affaire  de  la  Djédeida 

La  Djédeida  était  un  domaine  de  plusieurs  milliers  d'hectares^  appartenant  au 
premier  ministre,  situé  sur  la  Medjerda,  en  aval  de  Tebourba,  à  24  kilomètres  de  Tunis. 
En  1856,  le  domaine  avait  été  loué  à  un  Anglais  qui  entendait  y  développer  la  culture 
du  coton,  mais  cette  tentative  n'avait  pas  été  heureuse  ;  elle  avait  été  abandonnée 
vers  1860.  En  septembre  1868,  l'Italie  avait  adhéré  à  la  convention  anglo-tunisienne 
d'octobre  1863  et  obtenu  pour  ses  nationaux  le  droit  de  posséder  et  d'exploiter  des 
bien-fonds  dans  la  Régence.  Cette  convention  ouvrait  aux  Italiens  des  perspectives 
nouvelles.  Le  docteur  Castelnuovo  qui  avait  négocié  le  traité  pour  le  gouvernement 
italien  connaissait  les  possibilités  agricoles  de  la  Djédeida  ;  il  savait  que  le  premier 
ministre  laissait  son  domaine  à  l'abandon  et  n'en  tirait  qu'un  médiocre  profit:  en  dehors 
d'une  olivette  de  dix  mille  pieds,  les  meilleures  terres  restaient  en  friche  et  servaient 
de  pâturage  à  quelques  troupeaux  de  moutons.  Pendant  son  séjour  à  Tunis,  en  août- 
septembre  1868,  Castelnuovo  proposa  au  khaznadar  la  location  de  son  domaine.  Un 
contrat  de  métayage  pour  trente  ans  fut  signé  le  11  janvier  1869.  En  juillet  1870,  avec 
l'accord  du  khaznadar,  Castelnuovo  substituait  au  contrat  de  métayage  un  contrat  de 
location  qui  lui  réservait  le  droit  de  sous-louer  tout  ou  partie  du  domaine^.  Castelnuovo 


1  3.000  hectares  selon  Castelnuovo.  En  1856,  elle  avait  été  évaluée  à  7.000  hectares. 

2  Le  contrat  stipulait  un  bail  annuel  de  15.000  piastres  pour  les  dix  premières  années,  de  25.000  pour  les  dix 
suivantes  et  de  35.000  pour  les  neuf  ans  restant  à  courir. 


255 


venait  en  effet  de  constituer  à  Florence,  le  23  juin,  une  société  pour  la  mise  en  valeur 
de  la  Djédeida,  la  Società  anonima  commerciale  industriale  ed  agricola  per  la  Tunisia, 
à  laquelle  il  rétrocédait  son  nouveau  bail.  Cette  société  devait  disposer  d'un  capital  de 
500.000  lires  divisées  en  5.000  actions  ;  les  statuts  en  étaient  approuvés  par  décret  royal 
du  4  août  1870.  Le  programme  de  la  société  italienne  était  ambitieux  ;  il  ne  s'agissait 
pas  seulement  de  développer  l'agriculture  en  Tunisie,  mais  de  créer  des  huileries,  des 
fabriques  d'alcools  et  spiritueux  ;  d'installer  une  agence  commerciale  à  Tunis  et  une 
caisse  de  prêts  sur  hypothèques  aux  agriculteurs  tunisiens.  Un  comité  promoteur  de 
22  membres  avait  souscrit  les  quatre  cinquièmes  du  capital  social,  soit  4.000  actions. 
La  banque  Castelnuovo  Costa  de  Florence  s'était  réservé  pour  sa  part  800  actions  ; 
parmi  les  autres  souscripteurs,  on  relevait  les  noms  du  commandeur  Giacomo  Rattazzi^, 
membre  du  Comité  de  direction  du  Crédita  italiano  et  censeur  du  Banco  di  Napoli,  de 
divers  banquiers  de  Naples  et  de  Gênes  et  de  cinq  députés  et  sénateur  italiens.  700 
actions  avaient  été  souscrites  en  outre  à  Tunis,  principalement,  par  le  khaznadar  et  les 
Errera.  Le  baron  Niscok  député,  fut  élu  président  de  la  société,  Rattazzi  vice-président  ; 
Castelnuovo  et  deux  autres  députés^  complétaient  le  conseil  d'administration,  composé 
ainsi  de  quatre  députés  sur  cinq  administrateurs,  car  Castelnuovo  allait  bientôt  entrer 
au  Parlement  comme  représentant  du  collège  vénitien  de  Vittorio^.  A  Tunis,  Guglielmo 
Castelnuovo  conservait  les  fonctions  de  directeur  de  l'exploitation  que  lui  avait  confiées 
son  père  en  1869. 

La  société  se  proposait  de  détourner  une  partie  des  eaux  de  la  Medjerda,  afin 
d'irriguer  et  de  mettre  en  valeur  les  terres  abandonnées  de  la  Djédeida.  Mais  ses  affaires 
ne  prospérèrent  point. 

L'année  1869  avait  été  déficitaire;  l'année  1870  fut  plus  mauvaise  encore.  L'ouverture 
du  canal  d'irrigation  resta  à  l'état  de  projet.  Médiocre  agriculteur,  le  jeune  Castelnuovo 
était  de  caractère  violent  ;  ses  brutalités  lui  aliénaient  les  paysans  du  domaine.  En 
novembre  1870,  il  entra  en  conflit  avec  l'oukil  de  la  Djédeida,  le  colonel  Taïeb  Bel  Hadj  el 
Mazmouri,  à  la  fois  agent  du  bey  pour  le  village  et  intendant  du  domaine,  logé  et  appointé 
par  la  société.  Taïeb  était  buveur  et  paillard  ;  Castelnuovo  voulut  s'en  débarrasser  en 
l'expulsant  de  la  maison  qu'il  occupait.  Pour  se  venger,  Taïeb  fit  arrêter  quelques  paysans 
du  domaine^.  Ces  médiocres  incidents  allaient  provoquer  une  crise  internationale. 


3  RATTAZZI  (Giacomo),  né  en  1813  à  Alexandrie,  mort  le  23  octobre  1880  à  Fellizzano  dAsti.  Il  était  le  frère  de 
l’ancien  président  du  conseil  Urbano  Rattazzi,  en  remplacement  duquel  il  avait  été  élu  député  de  Tortona 
dans  le  courant  de  la  lX®"i«  législature,  élection  qui  fut  annulée  en  février  1866  (T.  Sarti  :  îl  Parlamertto 
subalpino  e  nazionale...  Rome,  1896,  pp.  794-795) 

4  Nisco  (Nicolo,  baron),  député  italien,  né  en  1820  à  San-Giorgio-la-Montagna  (Campanie).  Adversaire  des 
Bourbons,  il  connut  la  prison,  les  galères  et  l'exil  (1850-1859),  devint  professeur  d'économie  politique  à 
l'institut  supérieur  de  Florence,  et  fut  chargé  par  Cavour  de  préparer  l'annexion  de  Naples  en  juillet  1859. 
Elu  député,  il  représenta  le  collège  de  San-Giorgio  de  la  VHP™®  à  la  législature  (1861-1874).  11  siégeait  à 
droite.  Nisco  était  l'auteur  de  plusieurs  ouvrages  d'économie  politique  et  financière  (T.  Sarti  :  op.  cit  pp.701- 
702). 

5  L'ingénieur  Giacomo  Fera  et  Eduardo  d’Amico. 

6  Vertenza  tra  la  Società  anonima  commerciale  ed  industriale  per  la  Tunisia  ed  ilgoverno  di  S.  A.  il  Bey  di  Tunisi... 
Rome,  1872,  pp.  10-13. 

Les  principaux  souscripteurs  étaient,  en  Italie,  le  baron  Castelnuovo  (600  actions),  son  associé  Costa  (200), 
Rattazzi,  la  banque  Tedeschi  de  Gênes,  Alessandro  Carpi,  Féraud,  banquiers  à  Naples,  chacun  200,  le  baron 
Nisco  (200),  le  député  Antonio  Fonseca  (200),  les  députés  Fera,  d’Amico  et  le  marquis  Saluzzo,  sénateur, 
chacun  100.  A  Tunis,  le  khaznadar  et  les  Errera  avaient  retenu  chacun  200  actions,  les  Guttieres  50,  Abeasis, 
25,  et  Isacco  Cesena,  10. 

7  Guglielmo  Castelnuovo  avait  profité  d'une  absence  du  colonel  Taïeb,  en  décembre,  1870,  pour  faire  vider 
la  maison  qu'il  occupait  et,  en  présence  de  deux  notaires,  pour  faire  rassembler  dans  une  pièce  et  mettre 


256 


Guglielmo  Castelnuovo  protestait  auprès  du  consulat  d'Italie  contre  la  violation  d'un 
domicile  italien  et  les  violences  faites  à  ses  gens.  Pinna  allait  au  Bardo  exiger  des  satisfactions 
immédiates  et  des  garanties  pour  l'avenir.  Ne  les  ayant  pas  obtenues  aussitôt,  il  prenait 
l'initiative  de  la  rupture.  Le  13  janvier,  il  télégraphiait  à  Florence  qu'il  avait  suspendu  ses 
relations  avec  le  gouvernement  tunisien  ;  le  14,  il  faisait  descendre  son  pavillon. 

«L'incident  peu  sérieux  de  la  Djédeida  dans  lequel  le  bey  n'avait  aucun  tort», 
écrivait  Wood,  «a  été  soulevé  dans  le  dessein  de  faire  aboutir  des  mesures  personnelles 
et  politiques  préméditées  depuis  longtemps»®.  Le  consul  de  France  était  du  même 
avis.  L'affaire  n'était  qu'un  prétexte.  Pour  les  Castelnuovo,  il  s'agissait  avant  tout  de 
ramasser  une  indemnité  qui  pût  renflouer  la  société  et  trouver  un  moyen  de  sortir  à  bon 
compte  d'une  exploitation  qui  s'avérait  décevante®.  Pour  le  gouvernement  italien,  c'était 
l'occasion  de  s'affirmer  à  Tunis  et  de  profiter  de  la  défaite  de  la  France  pour  prendre  sa 
place  dans  la  Régence  en  obtenant  par  la  menace  l'octroi  de  privilèges.  La  raideur  du 
consul  d'Italie  montrait  qu'il  connaissait  les  dispositions  du  cabinet  de  Florence.  Déjà, 
fin  novembre  1870,  Pinna  avait  affecté  de  s'alarmer  d'une  prétendue  menace  ottomane 
contre  la  Tunisie  pour  alerter  le  ministèrei®.  Depuis  plusieurs  mois,  il  allait  répétant  que 
la  première  place  à  Tunis  devait  appartenir  désormais  à  l'Italie.  Le  secrétaire  général 
du  ministère  des  Affaires  étrangères,  Artomii,  coreligionnaire  et  ami  de  Castelnuovo, 
ne  donnait  pas  des  conseils  de  modérationi^.  De  son  côté,  Pinna  ne  cherchait  pas  à 
apaiser  le  conflit  ;  il  s'employait,  au  contraire,  à  élargir  le  débat  en  rassemblant  contre  le 
gouvernement  tunisien  tout  un  faisceau  de  griefs  pour  démontrer  sa  mauvaise  volonté 
à  l'égard  des  Italiens.  Il  ramassait  des  incidents  ridicules,  un  Juif  italien  insulté  par  des 
gendarmes  beylicaux,  le  vol  d'un  panier  de  poissons  à  un  pêcheur  de  la  Goulette^®.  A 
son  instigation,  les  sociétés  italiennes  de  Tunisie  rédigeaient  des  pétitions  réclamant 
l'intervention  du  gouvernement  pour  défendre  leurs  intérêts  menacés^''. 


SOUS  scellés  ses  meubles  et  ses  effets.  Castelnuovo  installa  alors  dans  la  maison  deux  familles  de  Maltais  à 
son  service.  Revenu  à  la  Djédeida  avec  un  peloton  de  gendarmes,  Taïeb  brisa  les  scellés,  arrêta  les  notaires 
et  prétendit  qu'on  lui  avait  volé  des  bijoux  et  des  sacs  de  grain.  Là  -dessus  deux  malfaiteurs  indigènes  que 

la  police  du  bey  venait  de  mettre  aux  arrêts  dans  la  maison  de  l'oukil  s'évadaient  avec  la  complicité  de 

Castelnuovo  et  des  Maltais.  Le  10  janvier  1871,  une  troupe  de  gendarmes  venait  enquêter  à  la  Djédeida; 
ils  bousculaient  les  Maltais  et  arrêtaient  quelques  indigènes.  Castelnuovo  en  prenait  prétexte  aussitôt 
pour  abandonner  le  domaine  et  rendait  le  gouvernement  responsable  de  tous  les  dommages  qu'il  pouvait 
subir.  (Arch.  Rome.  Pinna  à  Visconti-Venosta.  Tunis,  3,10  et  14  janvier  1871  ;  G.  Rattazzi  à  Visconti-Venosta, 
Florence,  5  janvier  1871.  -  Arch.  Tun.  Cartons  241  à  245  :  traduction  du  procès  verbal  d'enquête  à  la  Djédeida, 
27  décembre  1870.  -  Govemo  di  S.  A.  S  Bey  di  Tunisi  e  Société  per  la  Tunisia  (Thèse  du  gouvernement  par 
l'avocat  Lucchini].  Florence,  1872,  pp.  6-10,  -  Arch.  Rés.  dép.  de  Botmiliau  Tunis,  15  et  22  février  1871.  -  F.  O. 
102/90  Wood  à  Granville,  Tunis,  10  mai  1871. 

8  F.  0.102/90  Wood  à  Paget.  Tunis,  28  mars  1871. 

9  «Le  premier  ministre  vous  a  donné  en  location  cette  propriété,  que  votre  imagination  a  transformée  en 

une  véritable  Californie,  à  tel  point  que  vous  avez  cru  pouvoir  y  récolter  même  avant  de  semer»  (Arch.  Tun. 
carton  245.  Traduction  d'une  lettre  (de  Khérédine)  à  Castelnuovo,  sans  date). 

10  Arch.  Rome.  Télégramme  de  Pinna.  Tunis,  23  novembre  1870. 

11  ARTOM  (Isacco),  diplomate  italien,  né  à  Asti  le  31  décembre  1829,  secrétaire,  puis  conseiller  de  légation  à 
Paris;  ministre  résident  à  Paris,  20  mai  1866;  en  mission  lors  des  négociations  pour  la  paix  de  Vienne,  juillet- 
août  1866  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  2ème  classe,  27  janvier  1867  ;  ministre 
plénipotentiaire  à  Copenhague,  10  août  1867  ;  à  Carlsruhe,  23  janvier  1868;  chargé  des  fonctions  de  secrétaire 
général  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  27  novembre  1870-20  mars  1876  ;  envoyé  extraordinaire  et 
ministre  plénipotentiaire  de  l^^e  classe,  26  mars  1871  ;  sénateur  du  royaume,  23  mars  1876  ;  libéré  des 
fonctions  de  secrétaire  général  ;  mis  en  disponibilité  sur  sa  demande,  23  mai  1880  (Fichier  Rome). 

12  Arch.  Rome.  Artom  à  Pinna.  Florence,  12  janvier  1871. 

13  Ibid.  Pinna  à  Visconti-Venosta.  Annexes  à  dépêche  du  31  janvier  1871. 

14  Ibid.  Pétitions  de  l'association  patriotique  italienne,  des  commerçants  de  Sousse,  de  l'association 
commerciale  italienne  de  Tunis,  de  la  colonie  italienne,  15,  18,  18  et  29  janvier  1871.  Les  pétitions  de 


257 


Inquiet  de  la  tournure  que  prenaient  les  événements,  le  khaznadar  sollicitait  appui 
et  conseil  auprès  des  consulats  d'Angleterre  et  de  France.  Wood  s'entremit  aussitôt  et 
vint  proposer  à  son  collègue  Pinna,  le  17  janvier,  un  projet  de  compromis  qu'il  avait 
fait  accepter  au  premier  ministre.  Le  gouvernement  tunisien  consentait  à  faire  trois 
concessions  :  1°  la  maison  occupée  par  l'oukil  de  la  Djédeida  serait  vidée  et  remise  à  la 
disposition  de  Castelnuovo,  2°  le  colonel  Taïeb  serait  destitué  de  son  emploi  et  remplacé 
par  un  nouvel  oukil,  3°  le  général  Selim,  gouverneur  de  Tunis,  viendrait  faire  une  visite 
au  consulat  d'Italie  pour  fournir  à  Pinna  des  explications  sur  l'arrestation  des  indigènes 
employés  à  la  Djédeidai^, 

Pinna  se  bornait  à  accuser  réception  de  ce  projet  et  à  le  transmettre  pour  avis 
au  gouvernement  de  Florence.  Mais  le  ministre  italien,  Visconti-Venosta,  qu'avaient 
alerté  les  rapports  pessimistes  de  la  société,  jugeait  insuffisantes  les  propositions 
du  gouvernement  tunisien.  Il  demandait  la  punition  de  l'auteur  des  arrestations, 
la  réparation  des  dommages  subis  par  les  fermiers.  En  même  temps,  il  exigeait  des 
garanties  pour  l'avenir,  des  avantages  commerciaux  particuliers  pour  les  Italiens,  dont 
les  dispositions  devraient  être  annexées  au  traité  commercial  signé  avec  la  Tunisie  le  8 
septembre  1868. 

«Les  cultivateurs,  gardiens  et  bergers  ou  autres  paysans  indigènes  au  service 
des  Italiens,  ne  pourront  être  poursuivis  en  justice  sans  que  l'autorité  consulaire 
compétente  n'en  soit  immédiatement  informée,  pour  protéger  et  garantir  les  intérêts 
de  ses  nationaux».  Le  ministre  proposait  deux  articles  nouveaux  :  «S.  A.  le  Bey  confirme 
les  concessions  antérieures  faites  au  gouvernement  et  aux  sujets  du  royaume  d'Italie  et 
permet  librement  ainsi  au  gouvernement  comme  aux  sujets  italiens,  la  culture  de  toute 
espèce  de  tabacs  dans  les  domaines  possédés  par  eux  à  titre  de  propriété  ou  d'usufruit 
ou  dans  ceux  loués  par  eux  pour  la  culture.  Le  droit  d'exportation  sur  les  tabacs  de  toute 
qualité  sera  déterminé  d'un  commun  accord  entre  le  gouvernement  italien  et  celui  de 
Tunis,  et  ne  pourra  ...être  en  aucun  cas  élevé  de  façon  à  constituer  un  droit  prohibitif». 
«Pour  toute  la  durée  du  traité  de  1868,  le  bey  s'oblige  à  ne  pas  augmenter  les  droits 
d'exportation  au-delà  des  normes  présentement  établies  sans  accord  préalable  avec  le 
gouvernement  italien  et  cela  aussi  bien  pour  les  droits  établis  actuellement  au  poids 
et  à  la  mesure  des  articles  d'exportation,  que  pour  les  droits  fixés  ad  valorem».  Une 
commission  italo-tunisienne  devait  établi  un  tarif  douanier,  dans  un  délai  de  trois  mois^®. 
C'était  seulement  lorsque  ces  conditions  auraient  été  acceptées  par  le  bey  que  le  consul 
d'Italie  pourrait  reprendre  ses  relations  avec  le  Bardo. 

Le  gouvernement  italien  dévoilait  ses  ambitions.  Wood  s'indignait  de  ces  exigences 
sans  rapport  avec  l'affaire  de  la  Djédeida  qui  démontraient  le  dessein  prémédité  de 
l'Italie  de  s'assurer  des  avantages  spéciaux  dans  la  Régence.  Le  droit  de  protection  sur 
les  ouvriers  agricoles  indigènes  tendait  à  priver  le  bey  de  sa  juridiction  sur  ses  propres 
sujets.  Dans  ce  pays  où  la  question  des  protections  provoquait  déjà  d'innombrables  abus, 
il  créerait  une  catégorie  nouvelle  de  protégés  et  constituerait,  en  faveur  de  l'Italie,  des 


l'association  patriotique  et  de  la  colonie  italienne,  versions  à  peine  modifiées  d'un  même  texte  dû  à  l'avocat 
Luigi  Martoglio,  sont  un  modèle  de  style  amphigourique  et  ampoulé.  Après  avoir  dénoncé  les  «intrigues 
loyolesques»  et  les  «menées  jésuitiques»  de  ce  gouvernement  musulman,  Martoglio  terminait  sa  pétition  du 
29  par  un  appel  au  gouvernement  italien  :  «Noi,  Italiani,  domandiamo  altamente  al  governo  italiano  il  suo 
intervento  in  questo  affare,  mediante  l'imponenza  délia  forza,  che  sola  puo  troncare  questo  nodo  gordiano... 
e  dimostrare  al  mondo  civilizzato  esser  l'Italia  una  delle  più  ragguardevoli  Potenze  d'Europa». 

15  Ihid.  Pinna  à  Visconti-Venosta.  Dép.  n°  197.  Tunis,  17  janvier  1871. 

16  Ihid.  Visconti-Venosta  à  Pinna,  dép.  n°  12  et  13.  Florence,  27  janvier  1871. 

258 


privilèges  extraterritoriaux,  un  véritable  Etat  dans  l'Etat,  si  les  entreprises  italiennes 
se  multipliaient  dans  la  Régence^^.  En  outre,  les  deux  derniers  articles  du  projet  italien 
portaient  atteinte  aux  droits  du  bey  comme  aux  privilèges  des  créanciers.  L'Italie  avait 
officiellement  reconnu  le  décret  du  5  juillet  1869  préparé  en  commun  par  les  trois 
puissances  ;  elle  n'avait  pas  désavoué  l'arrangement  du  23  mars  1870  qui  reconnaissait 
aux  créanciers  le  droit  d'administrer  les  revenus  concédés,  douanes  tunisiennes  et  ferme 
des  tabacs  entre  autres.  En  demandant  pour  ses  nationaux  le  droit  de  cultiver  librement 
le  tabac  dans  la  Régence,  le  gouvernement  italien  portait  préjudice  au  monopole  beylical 
des  tabacs  et  atteignait  directement  les  revenus  concédés.  En  proposant  de  soumettre  à 
une  négociation  bilatérale  toute  augmentation  des  droits  de  sortie,  il  entravait  la  liberté 
d'action  du  gouvernement  tunisien  et  de  la  Commission  financière  et  rompait  l'entente 
difficilement  établie  entre  les  trois  puissances  européennes  en  1869. 

Le  bey  refusa  d'accéder  aux  exigences  italiennes.  11  consentait  seulement  à  celles  qui 
concernaient  directement  l'affaire  de  la  Djédeida,  punition  des  coupables  et  réparation 
des  dommages  subis  par  la  société,  après  enquête  contradictoire.  Sur  les  conseils  de 
Wood,  le  7  février,  il  décidait  d'envoyer  à  Florence  le  général  Heussein  pour  négocier 
directement  un  compromis  avec  le  ministre  des  Affaires  étrangères  italien.  Heussein  avait 
pour  mission  de  s'appuyer  sur  la  légation  anglaise  et,  en  cas  de  difficultés,  de  demander 
formellement  l'intervention  du  ministre  turc  à  Florence^®.  Pinna,  cependant,  se  montrait 
toujours  intransigeant.  11  refusait  de  faire  la  moindre  concession  au  khaznadar;  il  parlait 
de  s'embarquer  et  annonçait  l'arrivée  prochaine  d'une  escadre  italienne  pour  faire  céder 
le  beyi^. 

Au  début  de  février  1871,  l'envoi  d'une  escadre  italienne  à  La  Goulette  paraissait 
imminent.  Artom,  le  secrétaire  général  du  ministère,  confiait  à  un  secrétaire  de  la 
légation  française  qu'une  démonstration  navale  était  devenue  «presque  inévitable»^^. 
Le  6  février,  les  ministres  de  France  et  d'Angleterre  à  Florence,  Rothan^i  et  sir  Augustus 
Paget,  pressèrent  Visconti-Venosta  de  différer  l'envoi  des  navires  et  de  reprendre  les 
négociations  avec  le  général  Heussein.  Le  ministre  de  Turquie,  Photiades  Bey,  intervenait 
également  au  nom  des  droits  souverains  du  sultan.  11  parlait  de  faire  envoyer  une  escadre 
turque  à  La  Goulette  si  la  division  italienne  sortait  de  La  Spezia.  Visconti-Venosta  accepta 
de  négocier.  Le  7  février,  il  s'en  ouvrait  à  Pinna.  «La  situation  diplomatique  actuelle  impose 
certains  ménagements.  11  faut  éviter  que  la  Turquie  [ne]  nous  accuse  à  la  conférence 
de  Londres  d'avoir  des  projets  de  conquête  sur  Tunis  et  que  la  question  des  relations 
juridiques  entre  le  Bey  et  le  Sultan  soit  portée  à  la  conférence  et  préjugée  d'une  manière 
défavorable.  Un  retard  de  huit  à  dix  jours  dans  l'envoi  des  bâtiments  serait  opportun  sur 
ce  point  de  vue,  et  presque  indispensable  pour  combiner  nos  moyens  d'action22». 

Les  dispositions  de  Visconti-Venosta  étaient  sincèrement  conciliantes.  Mais  il  était 
poussé  par  des  collaborateurs  comme  Artom,  par  l'agitation  de  la  colonie  italienne  de 


17  F.  0.102/90  Wood  à  Granville.  Tunis,  4  février  1871. 

18  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  7  et  11  février  1871. 

19  Le  1^^  (?)  février,  Pinna  télégraphiait  à  Visconti-Venosta  :  «Envoi  navires  de  guerre  de  toute  nécessité»  (Arch. 
Rome.  Tél.  arrivé  le  2  février  1871). 

20  A.  E.  Italie,  vol. 30.  Rothan  à  J.  Favre.  Fol.  n°  28.  Florence,  6  février  1871. 

21  Rothan  (Gustave)  diplomate  français  né  en  1822,  mort  en  1890.  Entré  dans  la  carrière  diplomatique  en 
1846,  il  fut  successivement  attaché  à  Cassel  puis  à  Francfort,  secrétaire  à  Madrid,  à  Berlin  et  à  Stuttgart; 
envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  près  les  villes  hanséatiques,  27  juillet  1868  ;  près  le  roi 
d'Italie,  du  4  janvier  au  30  mars  1871.  Il  était  commandeur  de  la  Légion  d'honneur  depuis  le  10  avril  1867 
(fichier  A.  E.). 

22  Arch.  Rome.  Tél  de  Visconti  Venosta  à  Pinna  [en  français].  Florence  7  février  1871. 


259 


Tunis.  Castelnuovo,  les  députés  actionnaires  de  la  société  de  la  Djédeida  harcelaient  les 
employés  du  ministère,  suscitaient  à  la  Chambre  l'interpellation  de  leur  collègue  Mauro- 
Macchi,  le  7  février.  Le  baron  Castelnuovo  avait  certainement  prévu  les  difficultés  qui 
attendaient  la  société,  lorsqu'il  l'avait  organisée  en  juin  1870,  après  une  année  et  demie 
d'exploitation  personnelle  à  la  Dj  édeida.  La  place  qu'il  avait  faite  à  l'élément  parlementaire 
au  sein  du  conseil  d'administration  suffirait  à  le  démontrer.  Le  concours  des  députés  qui 
avaient  prêté  leur  nom  dans  l'affaire  n'avait  certainement  pas  été  acquis  gratuitement; 
le  prix  en  devait  être  ces  paquets  de  cent  ou  deux  cents  actions  qu'ils  étaient  censés 
avoir  souscrites  à  l'origine.  En  échange,  la  société  attendait  d'eux  un  soutien  efficace 
auprès  du  gouvernement.  La  pratique  était  courante  à  l'époque,  en  France  comme  en 
Italie  ;  la  corruption  des  milieux  parlementaires  italiens  s'étalait  si  ouvertement  que  des 
faits  infiniment  plus  graves  avaient  été  publiquement  dénoncés  à  Turin  et  à  Florence^^. 

L'opposition  anglo-turque  et  sans  doute  aussi  le  peu  de  fondement  des  plaintes 
italiennes^"!  amenaient  Visconti-Venosta  à  réviser  l'attitude  qu'il  avait  prise  au  début 
du  conflit^s.  Les  négociations  reprirent  donc  à  Florence  avec  le  général  Heussein.  Elles 
devaient  aboutir  assez  rapidement.  Heussein  se  décidait  à  accepter  l'ensemble  des 
demandes  italiennes,  le  23  février.  De  son  côté,  le  gouvernement  italien  faisait  une 
concession  ;  il  acceptait  que  le  consulat  d'Italie  fournît  chaque  année  au  bey  la  liste 
des  indigènes  employés  dans  des  exploitations  italiennes,  afin  de  limiter  les  abus 
qui  pouvaient  découler  de  cette  protection.  Le  5  mars  1871,  Heussein  signa  les  deux 
protocoles  d'accord  qui  avaient  été  préparés  en  commun.  Le  premier  concernait  les 
additions  à  faire  au  traité  commercial  italo-tunisien  du  8  septembre  1868  ;  le  second 
traitait  de  l'affaire  de  la  Djédeida  ;  il  énumérait  les  satisfactions  que  le  bey  devait  accorder 
à  la  société  italienne  et  prévoyait  un  règlement  des  dommages  que  celle-ci  prétendait 
avoir  subis,  après  arbitrage,  si  aucune  entente  ne  pouvait  être  conclue  directement  entre 
les  deux  parties. 

La  conclusion  de  cet  accord  souleva  les  protestations  de  la  Turquie  d'une  part,  de  la 
France  et  de  l'Angleterre  de  l'autre.  Le  ministre  turc  protestait  contre  un  acte  international 
signé  par  un  prince  vassal  de  la  Porte  et  contre  la  qualification  de  royaume  qui  était 


23  L'affaire  de  la  concession  des  chemins  de  fer  méridionaux  en  est  un  bon  exemple.  La  compagnie  qui 
l'avait  emporté  au  Parlement  avait  distribué  trois  millions  pour  acheter  les  votes  ;  au  sein  de  son  conseil 
d'administration  siégeaient  quatorze  députés  membres  de  la  commission  parlementaire  chargée 
précisément  d'examiner  les  demandes  de  concession.  Ces  faits  avaient  été  dévoilés  en  1864  par  une  enquête 
parlementaire,  et  il  avait  fallu  voter  une  loi  établissant  l'incompatibilité  d'un  mandat  parlementaire  et  d'un 
poste  d'administrateur  des  compagnies  concessionnaires  de  l'Etat  (A.  E.  Italie,  vol.  10.  Malaret  à  Drouyn  de 
Lhuys.  Turin,  17  juillet  1864  et  annexes). 

24  Wood  assurait  que  Visconti-Venosta  en  avait  été  surpris  (F.  0  ;  102/90.  Wood  à  Granville.  Tunis,  11  février 
1871). 

25  Dans  ses  souvenirs  diplomatiques,  comme  dans  sa  correspondance  officielle,  le  ministre  français  à  Florence, 
Rothan,  s'est  attribué  le  mérite  de  ce  revirement.  Il  s'est  vanté  d'avoir,  par  son  attitude,  arrêté  le  départ  de 
l'escadre  italienne  et  d'avoir  suscité  la  démarche  de  Photiadès  Bey  auprès  de  Visconti-Venosta.  (G.  Rothan  : 
Souvenirs  diplomatiques.  Paris,  1884-1885,111.  P. 367.  -  A.  E.  Italie,  Vol.  30.  Tél  de  Rothan.  Florence,  6  février 
1871.  -Ibid.  Vol. 31.  Rothan  à  J.  Favre.  Florence,  3  mars  1871  ;  Tél  de  Rothan.  Florence,  22  mars  ;  dép.  de 
Rothan,  Florence,  1®^  avril  1871  :  «L'escadre  italienne  prête  à  partir  depuis  le  mois  de  janvier  et  arrêtée  par 
mon  attitude,  et  les  deux  protocoles  arrachés  à  Mr  Visconti-Venosta  au  grand  étonnement  de  mon  collègue 
d'Angleterre,  et  cela,  au  plus  fort  de  l'insurrection  parisienne». 

En  réalité,  les  représentations  de  Rothan  furent  de  peu  de  poids  auprès  du  cabinet  de  Florence.  La  France 
vaincue  ne  pouvait  songer  à  intervenir  utilement  en  Méditerranée.  Jules  Favre  lui-même  avouait  qu'il  aurait 
rencontré  bien  des  difficultés  s'il  lui  avait  fallu  envoyer  une  escadre  à  Tunis  (Arch.  Rés.  J.  Favre  à  Botmiliau 
Bordeaux,  8  février  1871).  Quant  à  la  démarche  auprès  de  Photiadès  Bey,  le  mérite  devait  en  revenir  au 
général  Heussein  on  plutôt  à  Wood  qui  avait  soufflé  ce  conseil  au  khaznadar,  et  fait  inscrire  un  recours  au 
ministre  turc  dans  les  instructions  données  à  l'envoyé  tunisien. 


260 


donnée  à  la  Tunisie,  «partie  intégrante  des  Etats  du  Sultan^®»,  Les  ministres  français 
et  anglais  soulevaient  des  objections  au  nom  des  droits  de  la  Commission  financière 
et  de  l'accord  conclu  par  les  trois  puissances  en  juillet  1869.  Le  gouvernement  italien 
rejeta  formellement  le  droit  de  la  Turquie  de  s'immiscer  dans  les  affaires  tunisiennes. 
Reprenant  les  arguments  développés  en  1865  par  Drouyn  de  Lhuys  sur  la  lettre  vizirielle 
de  Fouad  Pacha,  Artom  affirmait  que  le  grand  vizir  avait  reconnu  en  1864  la  situation 
existant  en  Tunisie  depuis  plus  d'un  siècle  et  demi  et  que  les  relations  de  la  Porte  avec 
Tunis  se  réduisaient  à  une  simple  suprématie  religieuses^.  En  revanche,  Visconti-Venosta 
dut  s'engager  vis-à-vis  de  la  France  et  de  l'Angleterre  à  adjoindre  aux  protocoles  une 
clause  réservant  les  droits  de  la  commission  financières^.  L'entente  fut  retardée  par  des 
intrigues  italiennes  de  dernière  heure.  De  Florence,  on  se  hâta  d'envoyer  à  Pinna  l'ordre 
de  procéder  à  l'échange  des  ratifications  avec  le  gouvernement  tunisien,  sans  faire 
mention  des  garanties  exigées  par  la  France  et  l'AngleterreS^.  Les  protocoles  d'accord 
furent  ratifiés  à  Tunis  le  20  mars  1871.  Sur  l'insistance  des  cabinets  français  et  anglaisée, 
Visconti-Venosta  dut  signer  le  10  avril,  avec  Paget  et  Rothan,  un  protocole  établissant 
«que  les  attributions  de  la  Commission  Financière  [resteraient]  intactes  et  que  les 
dispositions  du  premier  protocole  signé  à  Florence  le  5  mars  ne  [porteraient]  aucune 
atteinte  aux  droits  ni  aux  intérêts  des  créanciers  représentés  par  cette  commission^!». 
Le  20  mars,  Pinna  avait  repris  ses  relations  avec  le  gouvernement  tunisien.  Pour  donner 
plus  de  solennité  à  cet  événement,  le  gouvernement  italien  avait  dépêché  une  frégate 
cuirassée  en  rade  de  La  Goulette. 

L'affaire  était  close  sur  le  plan  international.  Le  bey  accorda  rapidement  les 
satisfactions  exigées  par  l'Italie,  destitution  de  Youkil  de  la  Djédeida  et  visite  d'excuses 
au  consulat  d'Italie,  il  fallut  plus  de  deux  ans  pour  régler  la  question  de  l'indemnité  à  la 
société  agricole.  Pendant  un  an,  on  négocia  sur  la  nomination  des  arbitres  et  le  choix 
de  la  jurisprudence.  En  mars  1872,  le  bey  ayant  fini  par  céder  sur  les  points  en  litige, 
la  commission  pouvait  commencer  ses  travaux.  Dirigée  par  le  président  de  la  Cour  de 
cassation  de  Florence,  Paolo  Vigliani,  vice-président  du  sénat  italien^^  la  commission 
devait  adopter  la  procédure  italienne  et  siéger  à  Florence  après  avoir  poursuivi  son 
enquête  en  Tunisie. 

Les  Castelnuovo  présentaient  à  la  commission  une  demande  d'indemnité  de  834.000 
francs.  «On  avait  parlé  d'abord  de  la  somme  exorbitante  de  300.000  francs  qui  aurait  été 
le  double  peut  être  de  la  valeur  de  la  terre  elle-même...  Aujourd'hui,  ce  n'est  plus  300.000 


26  Arch.  Rome.  Photiadès  Bey  à  Visconti-Venosta.  Florence,  8  mars  1871. 

27  Ibid.  Artom  au  ministre  du  roi  à  Constantinople.  Florence,  11  mars  1871. 

28  Ibid.  tél.  de  Visconti-Venosta  à  Nigra  à  Paris  et  à  Cadorna  à  Londres.  Florence,  18  et  19  mars  1871. 

Ibid.  Visconti-Venosta  aux  ministres  de  France  et  de  Grande  Bretagne  à  Florence.  Florence,  21  mars  1871. 

29  «Les  négociations  ont  été  menées  à  Florence  avec  la  plus  grande  hâte  sans  laisser  le  temps  de  réfléchir  ; 
tous  les  efforts  étaient  faits  pour  obtenir  la  ratification  du  bey  par  surprise  et  intimidation,  dans  le  dessein 
manifeste  de  conclure  l'arrangement  avant  que  la  Grande-Bretagne  et  la  France  ne  puissent  intervenir  pour 
protéger  les  intérêts  de  leurs  sujets»  (F.  O.  102/90.  Wood  à  Paget.  Tunis,  28  mars  1871).  Egalement  A.  E. 
Italie,  Vol. 31.  Rothan  à  Favre.  Florence,  23  mars  1871. 

30  A.  E.  Italie,  Vol. 31.  J.  Favre  à  Nigra,  28  mars  1871. 

Arch.  Rome.  Tél  de  Cadorna  à  Visconti-Venosta.  Londres,  18  et  20  mars  1871.  Ibid.  Paget  à  Visconti-Venosta 
Florence,  6  avril  1871. 

31  Arch.  Rome.  Protocole  Florence,  10  avril  1871. 

32  Les  arbitres  désignés  par  Castelnuovo  étaient  l'avocat  italien  Nobili,  député,  et  un  négociant  de  Tunis, 
Traverso.  Ceux  du  bey  étaient  le  Français  de  Sancy,  concessionnaire  d’un  domaine  proche  de  la  Djédeida, 
Sidi  Tabet,  et  un  avocat  italien  de  Tunis,  Mario  Simeoni,  qui  mourut  en  mai  1872,  et  fut  remplacé  par  un 
autre  avocat  italien  de  Tunis,  Spezzafumo. 


261 


mais  800.000  francs  qu'ils  réclament.  M.  Pinna  reconnaît  lui-même  que  c'est  scandaleux  ! 
C'est  cependant  pour  cette  affaire  de  la  Djédeida  qu'il  a  amené  son  pavillon^s».  En  effet, 
la  société  n'avait  pas  seulement  établi  le  bilan  généreux  des  vols  et  dommages  dont  la 
Djédeida  avait  souffert  depuis  le  jour  de  février  1871  où  Guglielmo  Castelnuovo  et  ses 
gens  avaient  abandonné  le  domaine,  en  prétextant  les  violences  qu'on  leur  avait  fait 
subir  (408.000  francs),  elle  exigeait  le  remboursement  d'avances  qu'elle  aurait  faites  à 
75  colons  napolitains  qui  n'étaient  pas  venus,  le  prix  des  récoltes  qu'elle  aurait  pu  faire 
sur  les  terres  qu'elle  aurait  pu  irriguer...  Elle  rendait  le  gouvernement  responsable  de 
la  ruine  de  son  crédit  et  de  l'échec  d'une  souscription  qu'elle  avait  lancée  en  1871  pour 
augmenter  son  capital,  et  demandait  au  bey  de  parfaire  les  bénéfices  qu'elle  escomptait 
sur  les  opérations  bancaires  qu'elle  aurait  pu  effectuer  dans  la  Régence  (1.825.000 
francs)^^.  Mais  l'enquête  menée  à  la  Djédeida  fut  peu  favorable  aux  Castelnuovo.  11  était 
difficile  de  rendre  le  bey  responsable  des  dommages  subis  par  un  domaine  abandonné 
sans  raisons  sérieuses  par  ses  exploitants  ;  la  commission  rejetait  les  demandes  abusives 
présentées  par  la  société.  A  la  requête  de  Vigliani  sur  qui  le  gouvernement  italien  faisait 
pression^s,  elle  formulait,  en  mai  1873,  une  transaction  honorable  pour  les  deux  parties  : 
le  rachat  de  la  concession  par  le  khaznadar  pour  125.000  francs^®,  ce  qui  représentait  à 
peu  près  les  dépenses  engagées  réellement  par  la  société  et  l'intérêt  à  5%  de  son  capital 
de  500.000  lires.  Cette  décision  pouvait  sembler  inespérée  pour  le  gouvernement  du 
bey.  Elle  n'en  était  pas  moins  un  succès  relatif  pour  le  baron  Castelnuovo  qui  avait  réussi 
à  se  faire  payer  largement  les  frais  de  ses  spéculations  malheureuses.  La  concession 
qu'il  avait  obtenue  du  premier  ministre  n'avait  été  pour  lui  que  l'occasion  de  se  faire 
verser  une  belle  indemnité,  grâce  à  l'appui  de  son  gouvernement.  La  leçon  ne  devait 
pas  être  oubliée  par  les  aventuriers  européens,  chercheurs  d'affaires  et  candidats  aux 
concessions,  qui  accouraient  dans  la  Régence. 


2  -  La  prépondérance  anglaise 

a)  Lefirman  de  1871 

L'affaire  de  la  Djédeida  avait  des  conséquences  plus  graves.  Elle  précipitait  le 
rapprochement  du  bey  avec  la  Porte  et  allait  assurer  le  succès  de  la  politique  que  Wood 
poursuivait  à  Tunis  depuis  quinze  ans.  La  pression  de  l'Italie  fournissait  au  consul 
l'occasion  de  rappeler  au  gouvernement  tunisien  les  dangers  que  son  isolement  lui 
faisait  courir.  Fidèle  à  sa  politique,  Wood  conseillait  au  khaznadar  de  reprendre  les 
négociations  avec  la  Porte  et  de  demander  au  sultan  Abdulaziz  le  firman  qu'il  avait 
promis  en  1864  et  auquel  il  avait  renoncé  devant  l'opposition  résolue  de  la  France.  Le 
25  avril  1871,  le  bey  écrivit  au  grand  vizir.  Ali  Pacha,  pour  solliciter  l'octroi  d'un  firman 
reconnaissant  la  situation  de  la  Tunisie  telle  qu'elle  avait  été  définie  par  son  prédécesseur. 


33  A.  E.  Tunis,  vol.  35.  Dép.  de  Botmiliau.  Tunis,  3  avril  1871.  Wood  était  du  même  avis  (F.  O.  102/90.  Wood  à 
Granville.  Tunis,  30  mai  1871). 

34  Arch.  Tun.  Carton  241.  Dommages  subis  à  la  Djédeida.  Djédeida,  21  février  1871. 

Arch.  Rome.  Rapport  de  Nisco.  Florence,  9  mars  1871. 

Arch.  Rés  dép.  de  Botmiliau.  Tunis,  19  mai  1871. 

35  «Le  ministère  italien  ne  se  soutient  plus  depuis  trois  mois  que  par  huit  ou  dix  voix  de  majorité  à  la  Chambre 
des  députés.  C'est  donc  Castelnuovo,  Nisco  et  Cie  qui  ont  aujourd’hui  le  sort  du  ministère  dans  leurs  mains 
suivant  qu'ils  voteront  pour  ou  contre  le  ministère.  Vous  pouvez  donc  vous  figurer  les  obsessions  de  toutes 
sortes  auxquelles  notre  président  est  en  butte»  (Arch.  Tun.  Carton  245.  Sancy  au  général  (Khérédine  ?) 
Florence,  11  avril  (1873  ?). 

36  F.  0.102/95  Wood  à  Granville.  Tunis,  12  mai  1873. 


262 


Fouad  Pacha,  dans  sa  lettre  du  2  décembre  1864^^.  A  Tunis,  cette  démarche  resta  ignorée 
de  tous  les  consuls,  à  l'exception  de  Wood^®.  L'affaire  aurait  traîné  sans  aboutir,  si,  au 
début  de  septembre  1871,  le  bey  ne  s'était  décidé  à  envoyer  le  général  Khérédine  qui 
reprenait  ainsi  sa  mission  de  1864.  Lorsque  Khérédine  arrivait  à  Constantinople,  Ali 
Pacha  venait  de  mourir  (6  septembre).  Le  nouveau  grand  vizir.  Mahmoud  Pacha  «plus 
jeune  et  d'allures  plus  décidées,  comprit  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  la  situation,  il 
accepta  les  négociations  et  les  conduisit  rapidement»^^  .D'accord  avec  le  ministre  des 
Affaires  étrangères.  Server  Pacha,  il  décida  de  s'en  tenir  aux  termes  de  la  lettre  vizirielle 
de  décembre  1864  et  résista  à  la  pression  des  membres  du  cabinet  ottoman  qui 
souhaitaient  imposer  au  bey  des  conditions  plus  rigoureuses^^.  Dès  la  mi-octobre  1871, 
le  firman  était  rédigé. 

Le  gouvernement  français  essaya  de  s'opposer  à  sa  promulgation.  11  pouvait  compter 
sur  l'appui  du  gouvernement  italien  qui,  dès  le  9  octobre,  se  déclarait  prêt  à  associer  ses 
démarches  à  celles  de  la  France  à  Constantinople^^i.  Les  gouvernements  austro-hongrois 
et  russe,  consultés,  se  déclaraient  favorables  à  l'initiative  française  et  recommandaient 
à  leurs  ambassadeurs  à  Constantinople,  le  comte  de  Beust  et  le  général  Ignatieff,  de 
soutenir  les  protestations  de  leur  collègue  français  de  Vogué"*^.  A  trois  reprises,  le 
ministre  des  Affaires  étrangères,  de  Rémusat^^^  réitéra  au  comte  de  Vogué  l'ordre  de 
protester  contre  la  promulgation  du  firman.  «Continuez  d'en  demander  l'abandon», 
télégraphiait-il  le  20  octobre,  «en  vous  appuyant  sur  les  assurances  données  en  1864  et 
1865.  Au  cas  on  l'on  passerait  outre,  nous  aurions  à  examiner  s'il  ne  conviendrait  pas  de 
le  considérer  comme  nul  et  non  avenu  dans  nos  rapports  avec  la  Tunisie.  Djemil  Pacha'^'^ 
m'ayant  demandé  la  cote  à  la  bourse  pour  les  obligations  des  chemins  turcs,  je  compte 
bien  lui  répondre  que,  loin  d'aider  à  écarter  les  difficultés,  nous  y  ferions  obstacle  si 
la  Porte  manque  à  ses  engagements  envers  nous  pour  la  Régence.  Nous  serions  même 
disposés  à  refuser  à  l'avenir  la  cote  de  toute  nouvelle  valeur  ottomane  sur  le  marché 
françaises». 

Cette  menace  même  ne  suffisait  pas  à  faire  céder  le  gouvernement  turc  qu'appuyait 
l'ambassadeur  d'Angleterre  Elliott.  La  France  restait  presque  seule  dans  la  querelle.  En 
dépit  de  leurs  dispositions  favorables,  ni  la  Russie,  ni  l'Autriche-FIongrie  ne  songeaient 
à  s'engager  ;  l'Italie  même  s'était  bornée  à  une  demande  d'explications  au  ministère 
des  Affaires  étrangères  ottoman.  Le  gérant  de  la  légation  à  Constantinople,  Cora^^C 


37  F.  0 .1 02/1 20 .  Wood  à  Granville.  Secret  et  confid.  Tunis,  10  mai  1871.  A.  E.  Turquie,  vol.  390.  Vogué  à  Rémusat. 
Thérapia,  23  octobre  1871. 

38  Ali  Pacha  temporisa  selon  son  habitude  et  se  borna  à  demander  au  bey  l'envoi  d'un  négociateur  spécial  pour 
discuter  de  l'affaire  à  Constantinople  (Ibid.  Vogué  à  Rémusat.  Thérapia,  31  octobre  1871). 

39  Ibid.  Du  même  au  même.  Thérapia,  23  octobre  1871,  Dép.  Cit. 

40  Ibid.  Du  même  au  même.  Thérapia,  31  octobre  1871,  Dép.  Cit. 

Arch.  Rés.  Tél  de  Botmiliau.  Tunis,  3  octobre  1871. 

41  Arch.  Rome.  Tél  de  Visconti-Venosta  aux  légations  d'Italie  à  Paris  et  à  Constantinople,  9  octobre  1871. 

42  Voguë  (Charles  Jean  Melchior,  comte,  puis  marquis  de),  archéologue  et  diplomate  français,  né  et  mort  à  Paris 
(1829-1916).  Ses  études  archéologiques  sur  la  Syrie  et  la  Palestine  lui  valurent  d'être  élu  membre  libre  de 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles  lettres,  en  1868.  Thiers  le  nomma  ambassadeur  à  Constantinople,  le  8 
mars  1871.  Ambassadeur  à  Vienne,  le  8  mai  1875,  il  démissionna  après  la  chute  de  Mac-Mahon,  en  février 
1879  (fichier  A.  E.  ;  Vapereau  :  Dictionnaire  universel  des  contemporains.  Paris,  1893,  p.l573). 

43  Rémusat  (François  Marie  Charles,  comte  de),  écrivain  et  homme  politique,  né  à  Paris  en  1797,  mort  à  Paris 
le  6  juin  1875,  ancien  ministre,  membre  de  l'Académie  française,  ministre  des  Affaires  étrangères  du  2  avril 
1871  au  26  mai  1873  (fichier  A.  E.). 

44  Ambassadeur  de  Turquie  à  Paris. 

45  A.  E.  Turquie,  vol.  390.  Tél  à  Vogué.  Versailles,  20  octobre  1871. 

46  En  l'absence  du  ministre  Barbolani,  en  congé. 


263 


s'effaçait  derrière  le  comte  de  Vogué  dont  il  se  contentait  d'encourager  les  démarches. 
11  aurait  fallu  à  la  France  d'autres  arguments  pour  convaincre  le  gouvernement  turc.  La 
situation  n'était  plus  la  même  qu'en  1864  et  1865,  le  comte  de  Vogué  le  constatait  avec 
amertume"^^.  L'ambassadeur  essayait  cependant  de  faire  revenir  les  ministres  du  sultan 
sur  la  décision  qu'ils  avaient  arrêtée.  Toutes  les  démarches  qu'il  tentait  auprès  du  grand 
vizir,  du  ministre  des  Affaires  étrangères,  comme  de  Khérédine,  restaient  inutiles.  Le  23 
octobre,  de  Vogué  rendait  compte  de  l'échec  de  ses  efforts  auprès  de  Server  Pacha  :  «J'ai 
pris  sur  moi  de  ne  pas  lui  en  demander  formellement  le  retrait;  j'aurais  rencontré  un  refus 
catégorique  :  j'ai  cru  servir  les  intérêts  de  notre  dignité  en  m'évitant  cette  humiliation... 
nous  n'aurons  pas  fait  acte  d'impuissance  en  essuyant  un  refus  catégorique  opposé  à 
une  demande  formelle»^®. 

L'ambassadeur  de  France  ne  se  trompait  pas.  Le  firman,  scellé  le  jour  même,  était 
remis  solennellement  au  général  Khérédine,  le  lendemain  24  octobre.  Trois  semaines 
plus  tard,  le  18  novembre  1871,  il  était  proclamé  au  Bardo,  devant  une  assemblée 
de  grands  dignitaires.  Adressé  au  vali  (gouverneur)  de  la  province  de  Tunis,  le  vizir 
Mohammed  Sadok  Pacha,  le  firman  reproduisait  presque  textuellement  la  lettre  vizirielle 
de  1864  :  «conformément  à  la  demande  contenue  dans  le  rapport  que  tu  viens  de  nous 
soumettre,  nous  te  confirmons  dans  le  gouvernement  général  de  la  dite  province  de 
Tunis,  qui  conservera  ses  limites  telles  qu'elles  existent  ab  antiquo  en  t'accordant  de 
plus  le  privilège  d'hérédité  et  aux  conditions  suivantes  : 

...  «Nous  faisons  grâce  à  nos  fidèles  sujets  tunisiens,  dans  nos  sentiments  de 
générosité  et  de  sollicitude  à  leur  égard,  de  ce  que  leur  province  payait,  dès  l'origine 
sous  une  dénomination  convenue,  des  contributions  à  Notre  Gouvernement  à  titre  de 
sujétion.  Comme  une  marque  des  liens  anciens  et  légitimes  qui  rattachent  à  notre  Kalifat 
et  Souveraineté  la  province  de  Tunis,  partie  intégrante  de  notre  Empire,  il  faut  que  les 
khoutbés'^'^  et  les  monnaies  soient,  comme  par  le  passé,  à  Notre  Nom  Impérial,  que  le 
pavillon  conserve  sa  forme  et  ses  couleurs  ;  qu'en  cas  de  guerre  entre  la  Turquie  et 
un  pays  étranger,  ladite  province  Impériale  fournisse  son  contingent  militaire  dans  la 
limite  de  ses  forces,  et  que  les  autres  liens  et  relations  qu'elle  a  eus  jusqu'ici  avec  Notre 
gouvernement  soient  maintenus.  Dans  ces  conditions,  nous  ordonnons  ce  qui  suit  : 

«L'hérédité  du  gouvernement  général  de  Notre  province  de  Tunis  est  accordée  à 
ta  famille  ;  le  gouvernement  général  de  la  Tunisie  aura  pleins  pouvoirs  pour  nommer 
et  destituer,  selon  les  règles  de  la  justice  et  de  l'équité,  les  fonctionnaires  du  Chéri,  des 
administrations  militaires,  civiles  et  financières  de  la  Province,  à  condition  toutefois,  que 
l'administration  intérieure  sera  conforme  à  la  loi  sacrée  et  aux  autres  lois  de  l'Empire 
garantissant  la  vie,  l'honneur,  les  biens  des  personnes,  et  répondant  aux  exigences  de 
l'époque. 

«Le  gouvernement  général  de  Tunis  est  autorisé  à  entretenir  comme  par  le  passé, 
certaines  relations  avec  les  gouvernements  étrangers,  à  l'exception  des  cas  où  il  s'agirait 


47  «Le  bey  et  la  Porte  n'ont  abandonné  leurs  prétentions  que  devant  une  déclaration  formelle  du  gouvernement 
français  qui  s'est  décidé  à  ne  tenir  aucun  compte  dans  ses  rapports  avec  Tunis  des  arrangements  qui 
pourraient  intervenir  entre  la  Régence  et  la  Porte.  Cette  attitude  menaçante  a  fait  rentrer  dans  les  cartons 
le  firman  déjà  tout  préparé  :  aujourd'hui  on  tente  de  l'en  faire  sortir  ;  et  on  ne  s'arrêtera  que  devant  des 
arguments  de  même  nature.  Sommes-nous  aujourd'hui  dans  les  mêmes  conditions  qu'alors  et  pouvons- 
nous  tenir  le  même  langage  ?»  (A.  E.  Turquie,  vol.  390.  Vogué  à  Rémusat,  confid.  Thérapia,  27  septembre 
1871). 

48  Ihid.  Du  même  au  même.  Thérapia,  23  octobre  1871,  Dép.  Cit. 

49  Prières  publiques. 


264 


de  conclure  avec  les  puissances  des  conventions  ou  autres  actes  internationaux  ayant 
trait  aux  affaires  politiques,  aux  faits  de  guerre,  aux  remaniements  de  frontières,  etc., 
toutes  choses  qui  relèvent  uniquement  de  Nos  droits  sacrés  de  souveraineté.  En  cas  de 
vacance  dans  le  gouvernement-général  et  sur  la  requête  sollicitant  la  nomination  d'un 
successeur  dans  la  personne  d'un  membre  de  la  famille,  le  plus  âgé,  notre  Menchour 
impérial  conférant  le  titre  de  Vézir  et  de  Mouchir,  ainsi  que  le  firman  d'investiture  seront 
accordés^o». 

Devant  le  fait  accompli,  il  ne  restait  plus  au  gouvernement  français  qu'à  ignorer  le 
firman.  La  France  refusait  d'en  recevoir  officiellement  copie  ;  elle  déclarait  s'en  tenir  aux 
termes  de  la  lettre  vizirielle  dont  Drouyn  de  Lhuys  avait  donné  l'interprétation  française 
en  1865.  De  Rémusat  chargeait  le  comte  de  Vogué  d'en  informer  la  Porte  et  d'exprimer 
au  grand  vizir  le  mécontentement  du  gouvernement  français^i.  Mais  de  Vogué  donnait 
des  conseils  de  modération  ;  l'Italie  avait  adopté  une  attitude  réservée  ;  elle  se  bornait  à 
ne  point  reconnaître  le  firman  et  ne  joignait  pas  ses  protestations  à  celles  de  la  France; 
l'approbation  du  cabinet  russe52  ne  satisfaisait  guère  l'ambassadeur  à  Constantinople. 
Mieux  valait  «ne  pas  chercher  l'appui  ou  l'approbation  de  gouvernements  indifférents», 
et  ne  pas  «grossir  à  leurs  yeux  l'échec  de  notre  politique^^».  Le  comte  de  Rémusat  n'insista 
pas.  Mais  le  consul  de  France  à  Tunis,  de  Botmiliau,  découragé  par  le  déclin  de  l'influence 
française  dans  la  Régence,  par  les  difficultés  que  le  khaznadar  ne  cessait  de  susciter  à  la 
commission  financière,  ne  voyait  plus  d'autre  solution  que  l'annexion.  «J'ai  toujours  été 
opposé  à  l'annexion  de  ce  pays  à  notre  colonie  algérienne»,  écrivait-il  le  27  novembre 
1871»,  j'y  voyais  des  dépenses,  des  embarras  politiques  sans  compensation  suffisante 
avec  les  avantages  à  en  retirer.  Je  commence  à  craindre  que  cette  annexion  ne  puisse  que 
difficilement  être  évitée.  L'autonomie  de  la  Régence,  indispensable  pour  nous  est  devenue 
trop  précaire.  Quelques  millions  donnés  à  propos  à  Constantinople  feront  déposer  le 
bey  quand  on  voudra.  Les  raisons  fondées  sur  la  mauvaise  administration  de  la  Régence 
ne  feront  pas  défaut.  Les  princes,  même  de  sa  famille,  peuvent  un  jour  entreprendre 
de  le  renverser.  C'est  la  révolution,  bientôt  l'anarchie  menaçant  toujours  le  bey^^».  De 
Botmiliau  revenait  encore  sur  ce  sujet,  le  21  décembre,  en  insistant  sur  les  facilités  que 
présenterait  la  conquête  du  pays.  «Pendant  que  l'autonomie  de  la  Régence  n'était  pas 
menacée,  nous  n'avions  aucun  intérêt  à  nous  emparer  de  ce  pays.  Cette  autonomie,  à  la 
suite  de  la  mission  du  général  Khérédine  à  Constantinople  peut  disparaître  d'un  jour 
à  l'autre  ;  nous  devons  nous  tenir  prêts  à  faire  face  à  une  pareille  éventualité,  et,  si  elle 
arrive,  entrer  immédiatement  en  Tunisie.  Quelques  bâtiments  de  guerre  stationneront  à 
La  Goulette,  nos  troupes  entreront  dans  la  Régence  par  le  Kef  et  marcheront  directement 
sur  Tunis.  Elles  ne  rencontreront  aucune  résistance.  Notre  occupation  devra  s'étendre 
jusqu'à  Sfax  et  l'ile  de  Djerba  ;  au  delà,  la  steppe,  abandonnée  aux  nomades  formerait 
une  sorte  de  pays  neutre  nous  séparant  de  Tripoli  et  des  Turcs^s.» 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  de  Botmiliau  formulait  explicitement  un  projet 
de  conquête  de  la  Tunisie.  A  la  fin  de  1867,  déjà,  il  n'avait  pas  préconisé  d'autre  remède 

50  A.  E.  Turquie,  vol.  390  Traduction  officielle  du  firman  octroyé  au  bey  de  Tunis,  le  23  octobre  1871.  Annexe  à 
Dép.  de  Vogué.  Péra.  29  novembre  1871. 

51  Ihid.  Tél  à  Vogué.  Versailles,  28  octobre  1871. 

52  Le  gouvernement  russe  ne  cherchait  qu'à  isoler  la  France  de  la  Turquie  et  de  l'Angleterre  pour  servir  ses 
desseins  ambitieux  en  Orient  (A.  E.  Russie,  vol.  245.  dép.  du  général  Le  Flô  St.  Petersbourg,  2  novembre 
1871) 

53  A.  E.  Turquie,  vol.  390.  Vogué  à  Rémusat.  Constantinople,  8  novembre  1871. 

54  Arch.  Rés  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  27  novembre  1871. 

55  Ihid.  du  même  au  même.  Tunis,  21  décembre  1871. 


265 


aux  difficultés  financières  dont  souffrait  la  Régence.  Sans  doute  ne  demandait-il  pas  de 
mesures  immédiates  ;  il  voulait  seulement  définir  la  nouvelle  politique  que  la  France 
devait  suivre  dans  la  Régence.  Mais  le  précédent  mérite  d'être  souligné.  Les  difficultés 
financières  tunisiennes,  la  rupture  du  khaznadar  avec  le  consulat  de  France,  enfin,  les 
défaites  françaises  de  1870  avaient  mis  fin  à  ce  protectorat  moral  que  la  France  exerçait 
en  Tunisie  depuis  près  de  quarante  ans.  Pour  assurer  la  sécurité  de  l'Algérie,  la  France 
ne  devait  plus  compter  sur  l'amitié  des  beys  de  Tunis  ;  cette  idée  était  lancée  que  la 
solution  du  problème  tunisien  était  une  question  de  force  et  que  la  Régence  devrait  être 
conquise  tôt  ou  tard,  si  la  France  ne  voulait  laisser,  selon  l'expression  de  Jules  Ferry,  «la 
clé  de  notre  maison»  en  des  mains  étrangères. 

Mais  les  circonstances  étaient  particulièrement  peu  favorables.  A  Paris,  les  esprits 
ne  pouvaient  être  préparés  à  une  idée  de  conquête  et  de  Rémusat  refusa  aussitôt 
d'accueillir  les  suggestions  de  Botmiliau.  «L'éventualité  que  vous  examinez»,  écrivait- 
il  le  10  janvier  1872,  «a  toujours  été  envisagée  par  le  gouvernement  français  comme 
présentant  plus  d'inconvénients  que  d'avantages  :  elle  est  aujourd'hui  complètement 
inadmissible  pour  des  motifs  qui  s'offrent  d'eux-mêmes  à  l'esprit,  et  je  vous  recommande 
de  l'écarter  résolument  de  vos  réflexions»®^.  Les  choses  restèrent  donc  en  l'état  à  Tunis, 
tandis  que  Wood,  tirant  les  conséquences  de  son  succès  diplomatique,  étendait  dans  la 
Régence  l'influence  économique  de  son  pays. 

b)  Le  développement  des  entreprises  anglaises. 

La  proclamation  du  firman  était,  pour  Wood,  un  grand  succès.  Elle  couronnait  les 
efforts  que,  depuis  1856,  il  avait  patiemment  menés  pour  ruiner  l'influence  française 
prépondérante  au  Bardo  ;  elle  consacrait  l'abandon  par  le  bey  de  cette  politique 
française  poursuivie  depuis  trente  ans  et  qu'on  n'avait  osé  renier  officiellement  ni  en 
1859,  ni  en  1864.  Pour  Mohammed  es  Sadok,  la  reconnaissance  de  sa  vassalité  restait 
sans  doute  un  aveu  un  peu  humiliant,  mais  la  Régence  se  trouvait  désormais  garantie 
et  par  la  Porte,  et  par  l'Angleterre,  toujours  attachée  à  maintenir  l'intégrité  de  l'empire 
ottoman.  La  politique  anglo-turque,  enfin  avouée  par  le  Bardo,  était  une  politique  de 
bon  sens.  Comme  Wood  n'avait  cessé  de  le  démontrer,  s'était  la  seule  qui  pût  sauver 
l'indépendance  tunisienne  des  ambitions  rivales  de  la  France  et  de  l'Italie. 

Wood  pouvait  triompher.  Ses  rivaux  malheureux,  Pinna  et  surtout  de  Botmiliau, 
le  reconnaissaient  avec  amertume.  Le  consul  d'Angleterre  n'entendait  pas,  en  effet,  en 
rester  là.  Reprenant  avec  hardiesse  le  plan  qu'il  avait  élaboré  dès  1856,  il  s'employait 
é  obtenir  du  khaznadar  les  contrats  de  concession  qui  lui  permettraient  de  couvrir  la 
Régence  de  tout  un  réseau  d'entreprises  anglaises.  En  1856,  il  avait  été  question  de 
concessions  agricoles,  de  culture  du  coton,  de  chemins  de  fer  et  de  banque.  En  1871, 
Wood  donnait  résolument  la  priorité  aux  entreprises  industrielles.  Secondé  toujours 
par  son  fidèle  Santillana,  Wood  revenait  sur  la  création  de  chemins  de  fer,  la  ligne  Tunis- 
Goulette,  étudiée  déjà  par  sir  Morton  Peto  en  1859,  une  ligne  Tunis-Béja  qui  drainerait 
vers  la  capitale  les  grains  de  la  vallée  de  la  Medjerda,  qui  permettrait  de  mettre  en  valeur 
les  mines  inexploitées  de  l'ouest  tunisien.  Wood  songeait  également  à  faire  doter  Tunis 
du  gaz  et  de  l'électricité.  Pour  coordonner,  pour  encourager  toutes  ces  entreprises,  une 
banque  anglaise  restait  plus  que  jamais  nécessaire.  Mais,  de  ce  côté,  il  fallait  craindre 
l'opposition  des  consuls  de  Françe  et  d'Italie,  les  protestations  de  la  Commission 
financière  et  le  peu  d'enthousiasme  des  capitalistes  anglais  à  risquer  leurs  fonds  dans 


56  A.  E.  Tunis,  vol.  37.  Rémusat  à  Botmiliau.  Versailles,  10  janvier  1872. 


266 


un  pays  financièrement  obéré.  La  bonne  volonté  du  khaznadar  permettait,  il  est  vrai,  de 
surmonter  bien  des  obstacles. 

En  août  1871,  Wood  obtenait  pour  une  compagnie  anglaise  la  concession  d'un 
chemin  de  fer  de  Tunis  au  Bardo  et  à  La  Goulette.  Ce  contrat  était  signé  le  23  août  1871 
avec  Edward  Pickering,  un  industriel  anglais  qui  avait  entrepris  de  grands  travaux  sur  le 
continent  européen  Pickering  obtenait  un  privilège  d'exploitation  de  99  ans,  la  concession 
gratuite  des  terrains  que  devaient  traverser  les  voies  ferrées,  mais  le  gouvernement 
ne  lui  accordait  aucune  subventions^.  Commencés  en  octobre  1871,  les  travaux  furent 
rapidement  menés  :  la  ligne  Tunis-Goulette,  achevée  fin  juillet  1872,  était  inaugurée  par 
le  bey  le  2  août  ;  la  ligne  du  Bardo  était  ouverte  en  octobre  suivant.  Déjà,  Wood  avait 
obtenu  l'extension  de  la  ligne  de  La  Goulette  jusqu'à  La  Marsa;  en  novembre  1872,  il 
faisait  accorder  à  la  compagnie  anglaise  le  droit  d'établir  un  nouvel  embranchement 
Tunis-Hammam-Lif,  sur  la  rive  sud  du  lac.  En  même  temps,  le  khaznadar  accordait  à 
Pickering  une  option  d'un  an  sur  la  concession  des  voies  ferrées  joignant  Tunis  à  Béja  et 
au  Kef,  avec  embranchement  vers  Bizerte  et  Mateur,  à  Sousse  et  Kairouanss,  un  véritable 
monopole  des  chemins  de  fer  dans  la  Régence. 

En  avril  1872,  un  ingénieur  de  Londres,  William  Lefeuvre,  signait  un  contrat  de 
concession  qui  lui  accordait  pour  cinquante  ans  le  privilège  de  construire  et  d'exploiter 
une  usine  à  gaz  à  Tunis.  Lefeuvre  organisait  une  Foreign  and  Colonial  Cas  Company  qui 
cherchait  aussitôt  à  se  faire  attribuer  la  distribution  des  eaux  dans  la  ville  de  Tunis. 
L'usine  à  gaz  ne  fut  achevée  qu'au  début  de  1874  et  ce  fut  le  soir  du  31  mai  1874  seulement 
que  la  compagnie  put  célébrer  la  fin  de  ses  premiers  travaux  par  une  illumination  du 
consulat  d'Angleterre®^. 

D'autres  entreprises  s'intéressaient  à  la  Régence.  En  1871,  Wood  avait  signalé 
l'importance  des  peuplements  d'alfa  qui  existaient  dans  les  steppes  tunisiennes.  Aussitôt 
des  industriels  et  des  commerçants  anglais  avaient  fait  leurs  propositions  à  Tunis  et  à 
Sfax,  et,  bien  que  la  Commission  financière  eût  imposé  un  droit  de  sortie  de  20%  sur 
cette  exportation  nouvelle,  la  Régence  vendait  à  l'Angleterre,  en  1871-1872  11.500 
tonnes  d'alfa^o. 

De  Botmiliau  qui  ne  croyait  pas  au  succès  des  entreprises  anglaises  n'avait  pas 
tenté  de  s'y  opposer'’^.  De  fait,  la  compagnie  du  gaz  avait  rencontré  des  difficultés 
financières.  Pickering,  de  son  côté,  avait  dû  céder  ses  voies  ferrées  à  peine  construites 
à  une  société  anonyme  constituée  à  Londres  en  juin  1872,  sous  la  raison  sociale 
The  Tunis  Railways  Company  Ltd.  Mais,  à  la  fin  de  1872,  ces  difficultés  paraissaient 
surmontées  et,  en  janvier  1873,  Wood  sollicitait  du  khaznadar  de  nouvelles 
concessions  :  le  droit  d'exploiter  la  mine  de  plomb  de  Djebba  pour  la  compagnie 
qui  construirait  le  chemin  de  fer  de  Béja  ;  l'attribution  à  la  compagnie  du  gaz  de 
la  distribution  dans  Tunis  des  eaux  de  l'aqueduc  de  Zaghouan.  En  même  temps,  il 


57  Sur  les  observations  de  la  Commission  financière,  le  bey  devait  même  revenir  sur  l'autorisation  qu'il  avait 
accordée  au  concessionnaire  de  faire  entrer  en  franchise  les  matériaux  nécessaires  à  la  construction  des 
lignes  (F.  0.102/90.  Wood  à  Granville.  Tunis,  26  août  1871.  Également  :  F.  0.102/108  (année  1877).  Contrat 
Pickering,  23  août  1871). 

58  F.  0.102/94.  Wood  à  Granville.  Tunis,  11  novembre  1872 

59  Ibid.  Du  même  au  même.  Tunis,  27  avril  1872 
F.  0.102/99.  Wood  à  Derby.  Tunis,  3  juin  1874. 

60  F.  0.102/94.  Wood  à  Granville.  Commerce.  Tunis,  18  septembre  1872. 

61  A.  E.  Tunis.  Commerce,  vol.  59.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  16  décembre  1871  ;  Ibid.  vol.  60.  Du  même  au 
même.  Tunis,  2  et  27  novembre  1872. 


267 


présentait  un  projet  de  banque  privilégiée  analogue  à  celui  qui  avait  été  élaboré  en 
1858,  par  Arthur  Anderson. 

Le  bey  n'accordait  pas  les  privilèges  demandés  par  le  concessionnaire  éventuel, 
Harvey  Ranking,  qui  eussent  fait  de  la  banque  anglaise  une  véritable  banque  d'Etat. 
Par  une  lettre  du  19  mai  1873,  le  premier  ministre  donnait  à  Ranking  l'autorisation 
de  créer  une  banque  privée  ayant  le  droit  d'émettre  du  papier  monnaie,  mais  sous  sa 
seule  responsabilité  (art.  5).  11  lui  accordait  «assistance  et  préférence  de  la  part  du 
gouvernement»  (art.  3)  et  protection  militaire,  en  cas  de  nécessité  (art. 4)^2. 

La  banque  était  organisée  à  Londres  en  août  1873,  sous  le  nom  de  The  London  Bank 
of  Tunis,  société  à  responsabilité  limitée  au  capital  de  100.200  livres  sterling.  Les  bases 
financières  paraissaient  solides  ;  Ranking  s'était  assuré  le  concours  de  quelques-unes 
des  maisons  les  plus  importantes  de  la  Cité,  la  banque  Baring,  la  maison  Glynn,  Mills  et 
Cie  qui  contrôlait  l'Ottoman  Bank  et  l'Egyptian  Bank,  toutes  sociétés  qui,  en  1857,  avaient 
refusé  de  s'engager  à  Tunis.  Ranking  devenait  président  du  conseil  d'administration  de 
la  nouvelle  banque.  Un  administrateur  était  délégué  dans  les  fonctions  de  directeur  à 
Tunis,  Périclès  Green®^  pg  9  octobre,  la  banque  ouvrait  ses  guichets  à  Tunis. 

La  création  de  cette  banque  provoquait  à  Tunis,  tout  un  concert  de  protestations®"*. 
Mais  les  directeurs  anglais  affectèrent  de  les  négliger.  Tenant  leur  établissement  pour  une 
banque  privée,  ils  affirmaient  n'avoir  besoin  d'aucun  privilège  et  d'aucune  concession 
et,  puisque  le  gouvernement  tunisien  leur  avait  donné  l'autorisation  de  s'établir  à  Tunis, 
ils  refusaient  de  suspendre  leurs  opérations®^. 

Wood  semblait  toucher  au  but  qu'il  s'était  proposé  en  1856.  Économiquement  et 
politiquement,  la  première  place  appartenait  désormais  à  l'influence  anglaise  dans  cette 


62  F.  0.102/122.  Wood  à  Granville.  Tunis,  31  mai  et  10  novembre  1873.  Nous  ne  connaissons  malheureusement 
pas  le  détail  des  négociations  engagées  en  1871  et  1872  avec  les  financiers  anglais.  Hamida  Benaïad,  agent 
du  khaznadar  et  ami  de  Wood,  avait  été  envoyé  en  mission  à  Londres  (A.  E.  Tunis,  vol.  39.  Villet  à  Broglie.  La 
Marsa,  2  juin  1873).  Le  dossier  constitué  par  les  archives  anglaises  au  sujet  de  la  banque  (F.  0.102/122)  ne 
fournit  pas  de  renseignements  aussi  intéressants  que  la  correspondance  privée  échangée  entre  Santillana 
etWood  de  1856  à  1859. 

63  F.  0.102/122.  Wood  à  Granville.  Tunis,  26  août  1873. 

Ranking  était  assisté  d'un  conseil  de  direction  de  quatre  membres  :  deux  avocats,  sir  Charles  Mills,  député, 
et  J.  C.  Bruce,  et  deux  banquiers,  John  Stewart  et  John  Larkin,  agent  financier  du  Khédive  à  Londres.  Parmi 
les  fondateurs  de  la  banque,  on  retrouvait  les  noms  de  Richard  Baring,  de  Richard  Glynn  et  du  directeur  de 
l'Ottoman  Bank. 

64  Tous  les  consuls,  à  l'exception  de  Wood  et  de  l'Américain  Heap,  se  réunirent  chez  Pinna,  le  28  mai,  pour 
rédiger  une  protestation  collective  auprès  du  khaznadar.  Ils  dénonçaient  les  dangers  de  l'émission  de 
papier  monnaie  ;  ils  insistaient  sur  les  privilèges  reconnus  à  cette  banque  privée  qui  obtenait  l'assistance 
et  la  préférence  du  gouvernement.  La  Commission  financière  prenait  la  même  attitude  ;  le  Comité  exécutif 
obtenait  l'appui  de  trois  contrôleurs  sur  quatre,  l'Italien  Moreno,  les  Anglais  Levy  et  Azulejos,  courtiers  qui 
redoutaient  une  concurrence  dangereuse  pour  leurs  opérations  d'usure.  Le  seul  qui  s'abstînt  était  Cesena 
qui,  avec  Sebag,  présentait  de  son  côté  un  projet  de  banque  destinée  peut-être  à  unir  ses  opérations  à  celles 
de  la  banque  anglaise  (Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Broglie.  Tunis,  29  mai,  5  et  18  juillet,  16  août  1873).  Les 
gouvernements  français  et  italien  firent  des  observations  au  cabinet  de  Londres.  Le  secrétaire  d'Etat  aux 
Affaires  étrangères,  lord  Granville,  suggéra  à  la  banque  de  renoncer  aux  dispositions  de  l'article  3  de  la 
lettre  de  concession  (F.  0.  102/122.  Note  de  Granville.  'F.  0.  21  novembre  1873).  Il  fit  cependant  étudier  la 
question  par  des  juristes  de  la  Couronne  qui,  en  février  1874,  émirent  l'avis  que  les  statuts  de  la  banque  ne 
contrevenaient  point  aux  dispositions  du  décret  de  juillet  1869  instituant  la  Commission  financière  [Ibid. 
Laiv  officers  à  Granville.  Londres,  21  février  1874). 

65  Ibid.  Wood  à  Derby.  Tunis,  24  mars  1874.  En  fait,  depuis  la  chute  du  khaznadar  en  octobre  1873,  la  question 
de  la  banque  avait  perdu  une  grande  partie  de  son  intérêt  politique.  Khérédine,  devenu  premier  ministre 
en  remplacement  de  son  beau-père,  avait  soutenu  quelque  temps  que  la  lettre  de  mai  1873  n'était  pas  une 
autorisation  suffisante.  La  banque  s'était  maintenue  sur  ses  positions  et  l'affaire  n'eut  pas  d'autres  suites. 


268 


Tunisie  officiellement  redevenue  vassale  de  la  Sublime  Porte.  Mais  ce  succès  devait  être 
de  courte  durée  ;  très  tôt,  des  événements  imprévus  allaient  tout  remettre  en  question  ; 
les  entreprises  anglaises  que  Wood  avait  eu  tant  de  peine  à  attirer  dans  la  Régence,  loin 
de  prendre  l'extension  que  le  consul  leur  avait  souhaitée,  périclitèrent,  et,  en  quelques 
années,  disparurent  les  unes  après  les  autres,  ou  tombèrent  en  des  mains  étrangères. 
Fait  plus  grave,  en  octobre  1873,  Wood  perdait  le  plus  fidèle  soutien  de  sa  politique  : 
Sidi  Mustapha  Khaznadar  était  chassé  du  pouvoir.  Les  difficultés  financières,  les  menées 
incessantes  du  ministre  pour  ressaisir  la  totalité  du  pouvoir,  ses  luttes  quotidiennes 
avec  la  Commission  financière,  avaient  suscité  contre  lui  une  coalition  qu'une  intrigue 
de  harem  suffit  à  faire  triompher. 

3  -  Les  difficultés  financières  et  la  chute  du  khaznadar 

La  situation  financière  du  gouvernement  demeurait  franchement  mauvaise. 
Pendant  les  quatorze  mois  du  premier  exercice  financier  1870-1871,  les  revenus 
concédés  n'avaient  produit  -tous  frais  déduits-  que  7.373.384,  50  piastres,  au  lieu  des 
dix  millions  prévus  en  1870  dans  l'estimation  du  gouvernement.  Après  les  mauvaises 
récoltes  de  l'année  suivante,  les  recettes  de  1871-1872  tombèrent  à  5.373.507 
piastres^^.  Les  revenus  conservés  par  le  gouvernement  étaient  atteints  dans  les  mêmes 
proportions.  Le  gouvernement  s'avérait  incapable  de  subvenir  à  ses  propres  besoins;  il 
pouvait  moins  encore  solder  le  déficit  des  revenus  concédés.  Le  coupon  de  juillet  1871 
n'avait  pu  être  payé  que  grâce  à  une  subvention  de  500.000  piastres.  Mais  le  bey  avait 
du,  pour  cela,  emprunter  à  Pad  et  Brûlât,  les  agents  du  khaznadar,  et  s'endetter  pour 
satisfaire  à  ses  engagements.  En  décembre,  la  situation  devenait  plus  grave  :  le  conseil 
d'administration  n'avait  en  caisse  que  la  moitié  des  sommes  nécessaires  au  paiement  du 
coupon  de  janvier  1872.  Villet  et  Khérédine  soutenaient  que  les  obligataires  devaient 
supporter  les  conséquences  de  ce  déficit  et  abandonner  une  partie  de  leurs  intérêts. 
Les  charges  imposées  au  gouvernement  tunisien  par  l'arrangement  du  23  mars  1870 
étaient  trop  lourdes.  Villet  ne  voyait  pas  sans  inquiétude  se  former  une  dette  nouvelle 
dont  l'accroissement  conduirait  inévitablement  le  pays  à  une  nouvelle  catastrophe 
financière.  11  aurait  voulu,  sans  engager  l'avenir,  attendre  le  retour  des  bonnes  récoltes 
qui  permettraient  de  constituer  les  réserves  de  sécurité  indispensables.  Mais  le  vice- 
président  de  la  Commission  financière  se  heurtait  à  une  double  opposition:  d'un  côté, 
les  contrôleurs  exigeaient  le  paiement  intégral  et  immédiat  du  coupon,  de  l'autre, 
le  khaznadar  se  refusait  toujours  à  accepter  l'établissement  de  taxes  nouvelles.  Le 
premier  ministre  encourageait  sous  main  l'opposition  des  contrôleurs,  il  suggérait  un 
recours  à  l'emprunt  et  proposait  toujours  ses  bons  offices  par  l'intermédiaire  de  ses 
courtiers. 

En  janvier  1872,  la  Commission  ne  pouvait  payer  que  la  moitié  du  coupon,  6,  25  francs 
par  obligation.  Villet  refusait  tout  nouvel  emprunt  pour  solder  la  différence.  Les  contrôleurs 
protestèrent  hautement  ;  Villet  leur  répondit  en  demandant  la  démission  des  contrôleurs 
qui  cumulaient  leurs  fonctions  avec  celles  d'administrateurs.  La  guerre  était  ouverte 
entre  les  deux  Comités.  Sur  l'intervention  des  consuls  qui  s'efforcèrent  de  ménager  un 
rapprochement  entre  les  deux  parties,  le  9  janvier,  une  transaction  intervint  :  il  fut  entendu 


66  Arch.,  Rés.  État  des  recettes  effectuées  par  l'administration  des  revenus  concédés  du  1®*^  avril  1870  au  30  juin 
1871.  Annexe  à  Dép.  Pol.  N°  540.  Tunis,  2  septembre  1871. 

F.  0.102/123.  Rapport  sur  l'exercice  quinquennal  1870-1875  de  la  gestion  des  revenus  concédés.  Bône,  Dagand, 
1875. 


269 


que  le  coupon  de  janvier  1872  resterait  partiellement  impayé,  mais  que  les  obligataires 
ne  perdraient  pas  leurs  droits,  les  premiers  excédents  budgétaires  devant  être  affectés 
par  priorité  au  paiement  des  intérêts  en  souffrance.  En  revanche,  les  contrôleurs 
obtenaient  que  la  garantie  gouvernementale  jouerait  désormais  pour  chaque  échéance 
semestrielle,  le  gouvernement  s'obligeant  à  parfaire  le  montant  du  coupon,  quel  que  fût 
le  déficit  des  revenus  concédés®^. 

Trois  mois  plus  tard,  le  18  avril  1872,  on  procédait  à  l'élection  de  nouveaux 
contrôleurs  :  il  fallait  remplacer  Fedriani  qui  avait  opté  pour  le  conseil  d'administration, 
et  Santillana  qui  émigrait,  lui  aussi,  vers  ce  conseil,  en  prenant  la  place  de  Levy  qui 
avait  opté  pour  le  Contrôle^®.  Les  élus,  le  Juif  anglais  Azuelo  et  l'avocat  italien  Mario 
Simeoni^®,  bientôt  remplacé  par  Daniele  Moreno,  un  courtier  livournais,  vinrent  siéger 
aux  côtés  de  Guttieres  et  de  Lévy.  Depuis  un  an,  les  créanciers  français  n'étaient  plus 
représentés  en  fait  dans  la  Commission  :  Bonfils,  décédé  en  juin  1871,  n'avait  pas 
été  remplacé  et  Dubois,  sans  démissionner,  avait  quitté  Tunis  depuis  l'insuccès  des 
prétentions  Erlanger. 

En  mai  1872,  dès  qu'il  apparut  que  la  situation  financière  ne  s'améliorait  pas, 
les  contrôleurs  prirent  l'initiative  de  demander  au  gouvernement  de  satisfaire  à  ses 
engagements.  Aux  demandes  des  contrôleurs  s'ajoutaient  les  exigences  des  Erlanger, 
appuyées  par  le  gouvernement  allemand.  Les  caisses  du  gouvernement  étaient  vides, 
les  fonctionnaires  n'avaient  pu  être  payés  intégralement.  Le  premier  ministre  devait  se 
charger  d'avancer  les  sommes  réclamées  par  Erlanger^o^  mais,  pour  solder  les  dettes 
courantes  du  gouvernement  et  pour  parfaire  le  coupon  de  juillet  1872,  il  proposa  un 
emprunt,  il  fallait  près  de  4  millions  de  francs.  Pour  éviter  d'emprunter  une  telle  somme, 
le  Comité  de  contrôle  suggéra  au  gouvernement  de  se  défaire  des  canons  de  bronze 
qui  dormaient,  inutiles,  sur  les  remparts  de  Tunis.  En  juin,  un  contrat  fut  signé  avec 
Haï  Sebag,  l'agent  du  khaznadar,  qui  offrit  1.300.000  francs  au  gouvernement^^.  Pour  le 
reste,  on  ne  trouva  d'autre  prêteur  que  le  même  Sebag  qui  avança,  au  taux  usuraire  de 
18%,  2.600.000  francs  gagés  sur  le  produit  de  la  dîme  des  oliviers^^  a  ce  prix,  on  put 
payer  intégralement  le  coupon,  rembourser  4  francs  sur  les  6,  25  francs  qui  restaient 
dus  sur  le  coupon  de  janvier  1872. 


67  Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  6,  7,  9,12  janvier  1872. 

Arch.  Rome.  Pro  Memoria  sur  le  conflit  des  comités.  Janvier  (?)  1872. 

68  Le  conseil  d’administration  se  trouvait  ainsi  composé  :  Fedriani,  président,  Santillana,  Beuf  et  Ali  Morali. 

69  Mario  Simeoni  était  arrivé  comme  réfugié  politique  dans  la  Régence,  en  1849.  Ancien  député  de  Rieti  à 
la  Constituante  romaine,  il  avait  dû  fuir  la  répression  pontificale,  après  la  chute  de  Rome.  Il  exerçait  les 
fonctions  d'avocat  près  les  cours  consulaires  de  Tunis.  Élu  contrôleur,  en  avril  1872,  il  mourut  en  Italie  le 
mois  suivant  (Ersilio  Michel  :  Esuli  italiani  in  Tunisia,  op.  cit  pp.l60  sq.  -Arch.  Rome,  passim). 

70  II  fit  au  gouvernement  un  prêt  à  18%  gagé  par  l'exploitation  des  forêts  de  Tabarka  (A.  E.  Tunis,  vol.  38.  dép. 
de  Botmiliau.  Tunis,  19  mars  1872). 

71  Au  prix  du  métal  (1.400.000  francs  pour  quelque  mille  tonnes  de  cuivre  et  de  fer),  le  courtier  devait  rentrer 
dans  ses  débours  et  recevoir  la  commission  prévue  par  le  contrat.  Bien  entendu,  l'affaire  n'alla  pas  sans 
difficultés.  Quelques  canons  furent  rachetés,  comme  pièces  de  musée,  par  les  gouvernements  français  et 
italien.  Les  autres  furent  abandonnés  par  Sebag  à  Marseille.  Lorsque  le  gouvernement  tunisien,  vingt  mois 
plus  tard,  en  mars  1874,  réclama  l'apuration  de  ses  comptes  à  Sebag  qui  s'était  enfui  de  la  Régence,  ce 
dernier  prétendit  n’avoir  pas  trouvé  d'acquéreurs  ;  il  réclama  l’intérêt  des  sommes  qu’il  avait  avancées  au 
gouvernement.  Mais,  entre  temps,  le  khaznadar  était  tombé  du  pouvoir  ;  Sebag  ne  fut  pas  écouté.  Il  faut 
croire  qu'il  se  décida  à  vendre  les  canons,  car  il  ne  fut  plus  question  de  cette  affaire  par  la  suite  (Arch.  Rés. 
Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  5  juin  1872  ;  Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit.  R.  T  1938,  pp.  125-143  :  appendices 
1  et  2). 

72  La  dîme  des  oliviers  était  un  revenu  conservé  par  le  gouvernement,  à  la  différence  du  canoun  des  oliviers 
du  Sahel  et  du  cap  Bon,  concédé  aux  créanciers. 


270 


Six  mois  plus  tard,  on  retrouvait  la  même  situation.  La  récolte  d'olives  de  la  fin  de 
1872  s'annonçait  favorablement,  mais  l'administration  des  Revenus  concédés  devait 
demander  une  nouvelle  subvention,  pour  le  coupon  de  janvier  1873.  Une  fois  de  plus,  le 
gouvernement  devait  emprunter.  Les  courtiers  Cesana  et  Alessandro  Paz^^^  que  soutenait 
vraisemblablement  le  premier  ministre,  avançaient  un  million,  contre  hypothèque  sur 
l'hôtel  des  monnaies.  On  pouvait  prévoir  que  les  recettes  du  premier  semestre  1873 
permettraient  de  payer  le  coupon  de  juillet  1873.  Mais  le  budget  du  gouvernement  restait 
toujours  déficitaire,  avec  6.300.000  piastres  de  recettes,  contre  7.400.000  piastres  de 
dépenses,  pour  l'exercice  1289  (1872-1873)^4. 

11  fallait,  de  toute  urgence,  trouver  des  ressources  nouvelles.  11  était  impossible  au 
gouvernement  d'engager  un  à  un  les  derniers  revenus  qui  lui  restaient  pour  couvrir 
les  emprunts  onéreux  auxquels  il  était  obligé  de  souscrire.  C'eût  été  la  banqueroute  à 
bref  délai,  une  banqueroute  que  souhaitait  peut-être  le  premier  ministre,  mais  dont  les 
créanciers  seraient  les  premiers  à  souffrir  par  la  faute  sans  doute  de  représentants  trop 
exigeants.  Du  khaznadar,  il  n'y  avait  rien  à  attendre  ;  il  avait  depuis  longtemps  rompu 
avec  Villet  et  ne  lui  ménageait  pas  les  embûches.  A  toutes  les  demandes  formulées  par 
l'inspecteur  des  Finances,  le  premier  ministre  répondait  par  des  refus  plus  ou  moins 
déguisés.  Depuis  avril  1871,  Villet  demandait  la  création  d'un  impôt  sur  les  troupeaux, 
l'extension  de  la  taxe  de  la  caroube  à  tous  les  immeubles  urbains  ;  depuis  le  début  de 
1872,  la  réforme  des  biens  du  beylik  et  des  biens  habous  accaparés  par  les  mamelouks  du 
Bardo.  En  mai  1872,  Villet  réunissait  les  trois  consuls  de  France,  d'Angleterre  et  d'Italie 
pour  leur  exposer  la  situation  financière  et  leur  demander  d'appuyer  ses  requêtes.  Mais 
le  khaznadar  se  bornait  à  former  une  commission  d'étude  dont  il  prenait  la  présidence 
et  qui,  sept  mois  plus  tard,  en  janvier  1873,  concluait,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  à 
l'impossibilité  d'augmenter  les  charges  fiscales^s  Tout  autre  que  Villet  se  fût  découragé. 
Le  vice-président  de  la  Commission  financière  ne  s'y  résigna  point.  11  constitua  un  dossier 
contre  le  premier  ministre,  relevant  toutes  les  accusations  qu'on  pouvait  formuler  contre 
lui^®,  en  attendant  le  moment  favorable  pour  l'attaque  décisive. 

Les  difficultés  financières  n'étaient  pour  le  premier  ministre  que  prétexte  à 
spéculation.  Le  khaznadar  jouait  tantôt  à  la  hausse,  tantôt  à  la  baisse  sur  le  cours  des 
obligations  tunisiennes,  sur  lequel  il  pesait  à  son  gré  par  la  masse  des  titres  dont  il  était 
porteur.  A  lui  seul,  il  détenait  en  effet  le  cinquième  des  obligations  de  la  dette  unifiée, 
plus  du  tiers  certainement  de  celles  qui  circulaient  à  Tunis.  En  juillet  1873,  le  Comité 
exécutif,  sur  la  foi  des  coupons  qui  lui  étaient  présentés  en  paiement,  pouvait  estimer  le 
capital  investi  par  le  khaznadar  dans  la  dette  à  plus  de  24  millions  de  francs,  sur  un  total 
de  125  millions^^.  En  mars  1872,  le  khaznadar  jouait  à  la  hausse  ;  en  juillet  suivant,  il 
jouait  à  la  baisse  :  en  quelques  jours,  le  cours  des  billets  s'effondrait  à  Tunis  de  245  francs 
à  175^®.  En  janvier  1873,  pour  réaliser,  le  khaznadar  suscitait  un  nouveau  mouvement  de 


73  PAZ  (Alessandro),  courtier  italien,  né  à  Tunis  en  1843,  fils  et  successeur  dTsacco  PAZ,  associé  aux  affaires 
avec  son  frère  aîné,  Adolfo. 

74  A.  E.  Tunis,  vol.  39.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  29  mars  1873. 

75  Arch.,  Rés.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  1^>^  juin  1872, 1^^^  octobre  1872,  25  janvier  1873, 

76  A.  E.  Tunis  Mém.et  Doc.  vol.  12.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre  financier,  19  mai  1872,  op.  cit;  Note 
de  Villet  contre  le  khaznadar,  16  décembre  1873,  op.  cit 

77  Le  khaznadar  touchait  à  la  caisse  de  la  Commission  financière  602.000  francs  en  coupons  semestriels,  ce 
qui  représentait  un  capital  de  24.080.000  francs  en  obligations  tunisiennes  (mémoire  du  général  Heussein 
sur  l'administration  du  khaznadar  présenté  au  gouvernement  anglais  en  1875  par  un  envoyé  du  bey. 
F.  0.102/101.  Privée  de  Stanley  à  Derby,  Londres,  26  avril  1875) 

78  Arch.,  Rés  commerce,  dép.  de  Botmiliau.  Tunis,  23  juillet  1872. 


271 


hausse.  Après  avoir  vendu  30  ou  40.000  obligations,  il  redevenait  baissier  pour  racheter 
de  nouveaux  titres^®. 


Il  ne  renonçait  pas  à  dominer  la  Commission  financière  en  introduisant  au  Contrôle 
quelques  unes  de  ses  créatures.  À  Paris,  il  pouvait  compter  sur  l'agent  du  bey,  de  Lesseps, 
auprès  duquel  intriguaient  Gabriel  Valensi,  confident  du  premier  ministre,  et  Oscar  Gay 
qui,  en  septembre  1870  avait  donné  sa  démission  de  sous-directeur  au  ministère  des 
Affaires  étrangères  pour  fonder  un  cabinet  d'affaires  dans  l'hôtel  même  de  la  mission 
tunisienne***.  En  février  1872,  s'était  formé  à  Paris,  un  Comité  des  obligataires  tunisiens 
qui  prétendait  grouper  1.683  personnes  représentant  60.000  titres  des  emprunts  de 
1863  et  1865.  Ce  Comité  était  animé  par  les  frères  Brodin*i,  avec  l'appui  de  Denfert- 
Rochereau,  gendre  de  Pinard  et  directeur  du  Comptoir  d'Escompte*^  ;  l'un  d'eux, 
Auguste,  était  administrateur  délégué  d'un  établissement  de  peu  de  crédit,  la  Banque 
des  Provinces,  l'autre,  Achille,  ancien  résident  à  Tunis,  s'était  placé  à  la  tête  du  comité 
des  obligataires.  Les  Brodin  menaient  campagne  contre  Villet  :  ils  Paccusaient  de 
négliger  les  intérêts  français  et  réclamaient  l'élection  d'un  nouveau  contrôleur  français 
en  remplacement  de  Bonfils.  En  fait,  les  frères  Brodin  reprochaient  surtout  à  Villet 
d'avoir  repoussé  leur  proposition  de  se  charger  de  l'échange  des  obligations  de  1863  et 
1865  contre  des  titres  nouveaux  de  la  dette  unifiée**.  Ces  adversaires  de  Villet  pouvaient 
être  des  alliés  pour  le  khaznadar.  Le  comité  des  obligataires  trouva  appui  auprès  de  de 
Lesseps,  et,  le  1“  août  1872,  Achille  Brodin,  faute  d'autre  candidat,  fut  élu  à  l'unanimité. 
Arrivé  à  Tunis,  à  la  fin  de  décembre  1872,  le  nouveau  contrôleur  prit  aussitôt  contact 
avec  le  khaznadar.  Mais,  déçu  par  la  situation  de  la  Régence,  il  repartit  à  peine  arrivé, 
en  janvier  1873*^.  En  revanche,  en  février  1873,  la  démission  définitive  cette  fois,  de 
Giacomo  Guttieres  permettait  au  khaznadar  de  faire  entrer  au  contrôle  Isacco  Cesena 
dont  il  faisait,  depuis  quelque  temps,  le  partenaire  de  toutes  ses  opérations.  Il  gardait 
d'autres  candidats  en  réserve,  comme  l'avocat  Brûlât,  pour  le  remplacement  des  absents 
perpétuels  du  contrôle.  Dubois  ou  Brodin. 

Au  printemps  de  1873,  les  menaces  du  khaznadar  parurent  se  préciser.  La  démission 
de  Brodin  et  de  Dubois  rendait  inévitable  l'élection  de  nouveaux  contrôleurs.  Un  mandat 
gratuit  ne  pouvait  séduire  personne,  à  Paris,  et  le  khaznadar  ferait  élire  qui  il  voudrait.  En 
même  temps,  la  création  de  la  banque  anglaise,  les  projets  de  banque  qu'échafaudaient 
Cesena,  Sebag  et  un  Morpurgo  qui,  depuis  huit  ans,  n'avait  donné  signe  de  vie  à  Tunis, 
pouvaient  être  le  prélude  de  quelque  opération  de  rachat  de  la  dette  qui  sonnerait  le  glas 
de  la  Commission  financière. 

Villet  résolut  de  passer  à  l'attaque,  en  profitant  des  difficultés  que  rencontrait  alors 
le  khaznadar  dans  l'entourage  même  du  bey.  L'inspecteur  des  Finances  avait  des  griefs 
précis  contre  le  premier  ministre.  Depuis  deux  ans,  il  n'avait  cessé  de  dénoncer  ses 
malversations,  l'hostilité  qu'il  témoignait  à  la  Commission  financière  ;  en  février  1872, 
Villet  avait  fait  révoquer  pour  indélicatesse  le  sous-  directeur  des  Affaires  étrangères, 
Elias  Mussalli,  un  des  agents  du  khaznadar,  qui  en  la  circonstance,  avait  payé  peut-être 


79  A.  E.  Tunis,  vol.  39.  Villet  à  Broglie.  La  Marsa,  2  juin  1873. 

80  Gay  ne  donnait  pas  d'autre  adresse  que  le  26,  avenue  Montaigne  {Bottin  1872/1873). 

81  Ils  étaient  porteurs  de  plus  de  800  obligations  tunisiennes. 

82  Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  Villet  à  Le  Blant.  Paris,  25  mars  1875  R.  T.  1940,  p.  260. 

83  Les  renseignements  demandés  à  la  Banque  de  France  sur  l'établissement  des  frères  Brodin  n'avaient  pas 
été  favorables  (A.  E.  Tunis,  vol.  37  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  18  mars  1872).  En  septembre  1873,  Achille 
Brodin  était  condamné  à  une  peine  afflictive  (Ibid.  vol.  40,  dép.  de  Broglie,  2  octobre  1873). 

84  Quand  il  vit  «qu'il  n'y  avait  pas  d'affaires  à  faire  à  Tunis»  (Arch.  Rés  dép.  de  Botmiliau  Tunis,  9  janvier  1873) 


272 


pour  son  maître®^.  Depuis  le  mois  d'avril  1872,  Villet  avait  acquis  la  preuve  indiscutable 
d'un  détournement  opéré  par  le  premier  ministre.  2.000  obligations  de  l'emprunt  de 
1863  remises  au  gouvernement  du  bey  par  la  maison  Erlanger,  le  1“  février  1864,  avaient 
été  volées  par  le  khaznadar  qui  en  avait  fait  toucher  les  coupons  pour  son  compte  par 
Dahdah.  Les  obligations  qùi  auraient  dû  être  annulées  avaient  été  échangées  depuis 
contre  de  nouveaux  titres.  Mais  Villet  disposait  d'une  preuve  irréfutable,  les  numéros  des 
obligations  qui  figuraient  sur  les  registres  du  gouvernement  et  dans  la  correspondance 
Erlanger®^. 

Là-dessus  se  greffait  une  nouvelle  affaire,  en  février  1873.  On  apprenait  la  mort 
survenue  à  Livourne,  le  24  janvier,  du  caïd  Nessim  Samama,  ancien  receveur  général  des 
finances  tunisiennes,  qui  laissait  une  succession  de  27  millions  de  francs,  dont  17.143 
obligations  de  la  dette  tunisienne.  A  la  requête  de  Khérédine,  séquestre  avait  été  mis 
sur  la  succession,  en  raison  des  créances  dont  le  gouvernement  pouvait  faire  état  contre 
Nessim,  son  employé  infidèle®^.  Aussitôt,  le  khaznadar  convoqua  les  héritiers  Samama 
et,  sous  prétexte  de  transiger  à  l'amiable,  essaya  de  mettre  la  main  sur  une  partie  de  la 

successions®. 

Mais  ce  n'étaient  pas  de  tels  arguments  qui  pouvaient  faire  impression  sur  le  bey. 
Heureusement  pour  Villet,  la  situation  du  khaznadar  était  compromise  au  Bardo.  Un 
mignon  du  bey,  Mustapha  ben  Ismaïl®^,  avait  su  prendre  sur  l'esprit  affaibli  de  son  maître 


85  Mussalli  avait  été  destitué  «pour  avoir  soustrait  le  tiers  d'une  somme  «qu'il  avait  été  chargé  de  remettre  au 
ministre  de  France  pour  un  hôpital  français  de  Tunis.  Mais  ce  n'était  pas,  du  reste,  le  seul  péché  qu'il  eût  sur 
la  conscience  ;  on  le  connaissait  de  vieille  date  !». 

(A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  Procès  de  l'Intransigeant,  vol.  1,  p.  67  :  déposition  de  Villet.  Paris,  13  décembre 
1881). 

86  Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  7  et  18  septembre  1872.  Note  de  Villet  sur  les  causes  du  désordre 
financier,  op.  cit.  Les  2.000  obligations  faisaient  partie  d'un  lot  de  27.788  titres  «rachetés»  par  Erlanger 
pour  le  compte  du  gouvernement  et  dont  la  plupart  avaient  été  engagés  au  Comptoir  d'Escompte  en  janvier 
1867. 

87  En  1873,  le  gouvernement  avait  établi  un  compte  provisoire  de  ses  réclamations  contre  la  succession 
d'environ  10  millions  de  francs  (Arch.  Tun.  Doss.  239,  carton  102.  Note  du  17  juin  1873).  Le  compte  définitif, 
établi  à  l'aide  des  papiers  trouvés  dans  la  succession  fut  arrêté  à  16.768.027,  92  francs  [Ibid.  Doss.  228, 
carton  100  bis  :  Rapport  général  du  général  Heussein,  sans  date). 

88  Quoique  polygame,  le  caïd  Nessim  ne  laissait  pas  d'enfants.  Par  un  testament  du  22  septembre  1868,  il  avait 
légué  la  moitié  de  sa  fortune  à  sa  petite-nièce  Aziza  et  au  fils  de  celle-ci,  Nessim  Samama,  un  quart  à  son  neveu 
Joseph,  un  quart  à  son  petit  neveu  Nathan.  Les  neveux  déshérités  soutenaient  que  le  testament  n'était  pas 
valable  et  qu'en  application  de  la  loi  hébraïque,  la  succession  devait  être  partagée  également  entre  tous  les 
neveux  du  défunt  (Arch.  Tun.  Doss.  275,  carton  108).  Le  khaznadar  avait  proposé  aux  neveux  Samama  de  Tunis 
d'abandonner  chacun  25%  de  leur  part  éventuelle,  le  gouvernement  renonçant  en  échange  à  ses  créances  contre 
la  succession.  Mais  en  même  temps  qu'il  leur  faisait  accepter  cette  transaction,  il  essayait  de  leur  extorquer  en 
plus,  l'abandon,  pour  son  compte  personnel,  de  15  à  20%  de  leur  part,  sous  le  couvert  de  créances  fictives.  Les 
quatre  Samama  purent  s'esquiver  et  vinrent  se  mettre  sous  la  protection  des  consuls  de  France  et  d'Italie  qui  les 
firent  embarquer  pour  Livourne  (Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Rémusat.  Tunis,  3  mars  1873). 

89  Mustapha  ben  Ismaïl  était  âgé  d'une  vingtaine  d'années,  à  cette  époque.  Lorsqu'il  avait  sept  ou  huit  ans,  il  errait 
en  haillons,  dans  les  rues  de  Tunis,  ramassant  les  mégots  dans  les  cafés  européens.  Selon  Broadley  [Lastpuanic 
war...  op.  cit.  vol.l,  p.l64),  il  aurait  été  employé  quelques  mois  comme  serveur  dans  une  taverne  maltaise,  puis 
chez  un  barbier.  Il  serait  passé  ensuite  au  service  d’un  officier  de  la  garde.  C’est  alors  qu'il  aurait  été  remarqué 
par  Mohammed  es  Sadok.  Le  bey  qui  se  prit  pour  lui  d'un  attachement  sénile,  en  fit  l'intendant  de  sa  liste 
civile,  un  général  de  sa  garde,  le  caïd  du  district  du  cap  Bon.  L'influence  du  favori,  signalée  pour  la  première 
fois  par  le  consul  de  France  en  novembre  1872,  ne  cessa  de  croître  à  partir  de  1873.  Après  avoir  contribué  à  la 
chute  du  khaznadar,  il  devint  ministre  de  la  Marine  le  22  octobre  1873,  ministre  de  l'Intérieur  et  membre  de  la 
Commission  financière  en  juillet  1877,  premier  ministre  le  24  août  1878.  Il  conserva  ses  fonctions  jusqu'au  12 
septembre  1881.  Après  avoir  vivement  favorisé  le  développement  des  entreprises  françaises  dans  la  Régence, 
Mustapha  passa  au  parti  italien,  à  la  fin  de  1880.  L'établissement  du  protectorat,  la  mort  de  Mohammed  es 
Sadok,  en  1882,  ruinèrent  la  carrière  du  favori  qui  mourut  à  Constantinople,  en  1887,  dans  le  plus  complet 


273 


un  empire  absolu.  Avec  l'âge,  était  venue  l'ambition,  et  le  mignon  souhaitait  désormais 
d'autres  fonctions  que  celles  du  «jardinet»  du  bey.  Le  rôle  d'intendant  de  la  liste  civile 
ne  lui  suffisait  plus  ;  il  lui  avait  fallu  devenir  caïd  du  cap  Bon  ;  déjà,  il  ambitionnait  les 
fonctions  de  ministre.  Le  khaznadar  n'avait  pas  su  se  défaire  à  temps  du  favori,  devenu 
gênant.  11  lui  fallait  désormais  compter  avec  un  rival.  Mustapha,  qui  jalousait  le  premier 
ministre,  fut  aisément  circonvenu  ;  grâce  à  lui,  on  put  avoir  l'oreille  du  bey. 


Mustapha  ben  Ismaïl  et  le  bey. 
(Arch.  Rés.  Lou  Carhounaïré) 


Au  printemps  de  1873,  Khérédine  et  Villet  prirent  l'offensive.  Villet,  une  fois  de 
plus,  revint  sur  la  question  des  impôts  nouveaux  et  des  réformes  financières.  Fin  avril, 
il  se  faisait  appuyer  par  un  mémorandum  des  trois  consuls.  En  mai,  il  portait  devant 
la  Commission  financière  l'affaire  du  détournement  des  2.000  obligations,  et,  le  4  juin, 
faisait  voter  à  l'unanimité  une  motion  exigeant  le  remboursement  des  titres  volés^o. 
Le  bey  en  fut  informé.  Sur  les  deux  points,  le  khaznadar  céda  :  il  paya  les  deux  mille 
obligations  et,  le  10  juin,  faisait  signer  par  le  bey  un  décret  établissant  l'extension  de  la 
caroube  et  la  réforme  des  biens  du  beylik^L  Mais  ce  n'était  pas  là  tout  ce  que  souhaitaient 
Villet  et  Khérédine.  Le  bey,  preuves  en  mains,  n'avait  pas  osé  congédier  son  ministre 
infidèle.  Mustapha  avait  beau  démontrer  au  prince  les  vols  du  khaznadar,  répéter  les 
leçons  qu'on  lui  soufflait.  Mohammed  es  Sadok  qui  tenait  au  khaznadar  par  la  force  de 
l'habitude,  ne  se  décidait  pas. 

Pour  seconder  Villet,  le  gouvernement  français,  profitait  de  la  mise  à  la  retraite  de 
Botmiliau,  pour  envoyer  en  mission  temporaire  à  Tunis,  un  agent  connu  pour  son  énergie, 
le  vicomte  de  Vallat^^  mission  Vallat,  écrivait  Wood,  n'avait  qu'un  but,  celui  d'obtenir 


dénuement.  Commandeur  de  la  Légion  d'honneur,  Mustapha  avait  été  également  décoré  du  grand  cordon  de  la 
Couronne  d'Italie  et  de  divers  ordres  étrangers  (A.  E.  Arch.  Tun.  ;  F.  0.102,  passim). 

90  Les  six  membres  présents  étaient  Khérédine,  Villet,  Levy,  Azuelos,  Cesena  et  Moreno. 

91  Arch.  Rés.  Botmiliau  à  Broglie,  Tunis,  10  juin  1873. 

92  Vallat  (Charles-Antoine-Marie,  vicomte  de),  né  le  30  janvier  1816.  Licencié  en  droit  ;  élève  consul,  10 
septembre  1839  ;  élève  consul  à  Bahia,  20  mai  1840  ;  gérant  à  Pernambouc,  10  février  1841  ;  à  Santander, 
8  septembre  1846  ;  à  Mogador,  5  novembre  1848  ;  consul  de  première  classe  à  la  Corogne,  28  novembre 
1849  ;  à  Saint-Petersbourg,  11  mars  1852  ;  membre  de  la  Commission  des  Neutres,  30  juin  1854  ;  consul 
général  à  Belgrade,  20  juillet  1859  ;  à  Barcelone  ;  à  Londres,  23  octobre  1870  ;  chargé  d'affaires,  chargé  du 
consulat  général  de  Tunis,  14  juin  1873  ;  mis  en  disponibilité,  décembre  1874  ;  admis  à  la  retraite  en  1877  ; 
commandeur  de  la  Légion  l'honneur  depuis  le  14  août  1863  (fichier  A.  E.). 


274 


la  destitution  du  khaznadar®^.  De  fait,  de  Vallat,  Villet  et  surtout  Khérédine,  appuyés  par  la 
plupart  des  contrôleurs,  redoublèrent  d'efforts  pour  obtenir  la  chute  du  ministre.  La  lutte 
fut  difficile  :  elle  dura  près  de  cinq  mois.  Enfin,  en  octobre,  Mustapha  l'emportait  ;  il  avait 
donné  à  choisir  au  bey  entre  le  khaznadar  et  lui-même.  Le  21  octobre  1873,  la  démission 
du  khaznadar  était  officiellement  annoncée.  Khérédine  devenait  premier  ministre  et 
Mustapha  ben  Ismaïl,  ministre  de  la  Marine. 


93  F.  0 . 1 0  2/9  9  Wood  à  Granville.  Tunis,  27  janvier  1874. 

Wood  avait  accueilli  la  nomination  de  Vallat  comme  une  rupture  du  statu  quo  :  Vallat  ayant  le  rang  de  ministre 
plénipotentiaire,  Wood  paraissait  craindre  une  tentative  de  la  France  de  transformer  le  consulat  général  de 
Tunis  en  une  mission  de  rang  supérieur  qui  eût  souligné  l'indépendance  de  la  Régence.  Interrogé  à  ce  sujet, 
le  duc  de  Broglie  confirma  que  Vallat  était  ministre  plénipotentiaire  mais  qu'il  ne  porterait  à  Tunis  que  le 
titre  de  chargé  d'affaires  (F.  0 . 1 02/95 .  Wood  à  Granville.  Tunis,  24  juin  1873  ;  Ibid.  AWood  F.  0.  de  15  juillet 
1873). 


275 


276 


CHAPITRE  IX 

LE  GOUVERNEMENT  DE  KHÉRÉDINE 
(Octobre  1873  -  Juillet  1877) 


1  -  Le  nouveau  ministère 

La  chute  d'un  ministre  qui,  depuis  trente-six  ans,  gouvernait  en  maître  le  pays 
prenait  les  allures  d'une  véritable  révolution.  Avec  Khérédine  et  ses  amis  circassiens, 
c'était  une  nouvelle  équipe  qui  accédait  au  pouvoir,  le  parti  réformateur  des  Jeunes 
Tunisiens  qui  souhaitaient  réorganiser  l'administration,  en  s'inspirant  du  programme 
naguère  développé  en  Turquie  par  Fouad  Pacha  et  Ali  Pacha.  Khérédine,  devenu  premier 
ministre,  conservait  ses  fonctions  de  président  de  la  Commission  financière.  Roustam 
était  ministre  de  la  guerre,  Heussein  allait  bientôt  devenir  ministre  de  l'Instruction 
publique  et  des  Travaux  Publics,  département  qui  fut  créé  pour  lui,  en  novembre  1874i. 
Mohammed  Khaznadar  qui  avait  su  ne  point  se  compromettre  dans  la  lutte  entre 
Khérédine  et  son  beau-père,  avait  échangé  ses  fonctions  de  ministre  de  la  Marine  contre 
le  portefeuille  de  l'Intérieur,  créé  de  nouveau  à  son  intention  pour  alléger  les  fonctions  du 
premier  ministre.  Mais  l'inquiétant  favori  du  bey,  Mustapha  ben  Ismaïl,  devenu  ministre 
de  la  Marine  et  garde  du  sceau,  était  un  élément  dangereux  dans  la  nouvelle  équipe 
ministérielle.  Léger,  inconsistant,  vaniteux,  Mustapha  n'avait  aucun  talent,  aucune  idée 
politique^  ;  il  avait  donné  les  preuves  de  son  avidité  dans  son  gouvernement  du  district 
du  cap  Bon  dont  il  fallait  le  relever  en  avril  1874,  pour  mettre  fin  à  ses  exactions.  Réduit  à 
des  fonctions  honorifiques,  Mustapha  n'avait  pas  de  rôle  politique  à  jouer.  Mais  il  menait 
le  bey  à  son  gré  et  le  sort  de  l'administration  Khérédine  dépendait,  en  définitive,  de  son 


1  Khérédine  pouvait  compter  également  sur  le  concours  du  directeur  de  la  Grande  Mosquée,  Mohammed  ben 
Mustapha  Beyram  (Beyram  V),  neveu  du  Cheikh  el  Islam  Beyram  (Beyram  IV),  et  d'un  groupe  d'anciens 
élèves  de  l'école  du  Bardo  dont  les  plus  notables  étaient  Mohammed  Karroui,  qui  fut  son  aide  de  camp, 
Hassouna  ben  Mustapha,  adjoint  à  la  municipalité  de  Tunis,  après  avoir  été  professeur  à  l'école  militaire. 

2  Une  note  anonyme,  datée  sans  doute  de  1880,  dépeint  ainsi  Mustapha  :  «C'est  un  homme  sans  valeur  et 
sans  caractère  absolument  dépourvu  de  sens  moral  et  ne  reculant  devant  aucun  moyen  pour  se  procurer 
de  l'argent.  Il  est  très  dangereux  en  ce  sens  que  son  manque  absolu  de  portée  peut  l'entraîner,  parfaitement 
inconscient,  aux  actes  les  plus  graves.  Son  influence  sur  le  bey  est  sans  limites,  mais  sa  nullité  le  livre  lui- 
même  sans  défense  à  ses  subordonnés»  (A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  9,  note  10). 

277 


bon  vouloir.  Pour  gagner  le  bey,  Khérédine  essaya  de  l'intéresser  au  gouvernement,  en 
lui  soumettant  les  affaires  avant  d'en  décider.  Ce  fut  peine  perdue:  Mohammed  es  Sadok 
ne  voulait  s'occuper  de  rien;  il  laissa  à  son  ministre  tout  le  soin  et  la  responsabilité  du 
pouvoir  pour  retourner  aux  plaisirs  du  «jardinet»,  dont  Mustapha  était  désormais  le 
seul  ordonnateur^.  Du  moins  Khérédine  pouvait-il  espérer  que  le  favori,  rejeté  par  les 
circonstances  dans  le  parti  français,  ne  le  desservirait  pas  auprès  du  prince,  dans  la 
lutte  difficile  qu'il  lui  restait  à  mener  contre  les  partisans  du  khaznadar  soutenus  par  les 
consulats  d'Angleterre  et  d'Italie. 

Dès  sa  chute  du  pouvoir,  le  khaznadar  avait  été  consigné  dans  son  palais^.  Séquestre 
était  mis  sur  tous  ses  biens,  en  attendant  qu'une  commission  eût  statué  sur  les 
répétitions  que  le  gouvernement  devait  exercer  contre  lui.  Villet  dressait  le  bilan  de  la 
gestion  financière  de  l'ancien  premier  ministre  depuis  1863,  et  le  rendait  responsable 
du  détournement  de  plus  de  21  millions  de  francs.  Avec  les  intérêts,  c'étaient  53  millions 
dont  il  demandait  le  remboursement,  au  nom  du  gouvernement^.  Le  khaznadar  criait 
misère,  assurant  que  son  avoir  atteignait  à  peine  dix  millions,  il  refusa  de  comparaître 
devant  la  commission  d'enquête  et  finit  par  accepter  une  transaction  que  permettait 
la  loi  tunisienne,  il  se  reconnut  débiteur  de  25  millions  envers  l'Etat.  Le  bey  ratifia 
l'arrangement  en  accordant  au  khaznadar,  malgré  Khérédine  et  Villet,  une  remise  de  5 
millions.  Celui-ci  abandonnait  ses  propriétés  au  bey,  versait  200.000  francs  comptant  et 
s'engageait,  solidairement  avec  son  fils  aîné,  à  payer  7  millions  en  quatorze  ans^. 

L'ex-premier  ministre  avait  eu  le  temps  de  transférer  en  Europe  la  majeure  partie 
de  sa  fortune  immobilière.  Sebag  avait  gagné  Livourne,  puis  Marseille  où  il  se  livrait  à 
d'importantes  opérations  financières  pour  le  compte  du  khaznadar^.  Le  vieux  ministre 


3  Sur  l'enlèvement  d'un  petit  Espagnol  à  la  Goulette  :  Arch.  Rés.  Dép.  Fol.  N°  20.  Billing  à  Decazes.  Tunis,  28 
juillet  1874. 

4  Arch.  Tun.  Doss.73,  carton  6. 

5  A.  E.  Tunis.  Mém.et  Doc.  vol.  12  :  Note  de  M.  Villet  contre  le  khaznadar,  16  décembre  1873. 

En  tenant  compte  des  rectifications  apportées  par  Villet  dans  une  note  du  22  décembre,  le  total  des 
réclamations  du  gouvernement  s'élevait  a  20.930.786,69  francs  et  1.234.161,  8  piastres,  soit  ensemble 
21.670.000  francs.  Avec  les  intérêts  qui  couraient  depuis  huit  ou  dix  ans,  Villet  arrivait  à  une  somme  de 
53.250.000  francs.  Ces  chiffres  méritent  toutefois  d'être  rectifiés.  Les  documents  trouvés  dans  la  succession 
du  caïd  Nessim  devaient  permettre,  en  effet,  de  déterminer  que  Nessim  avait  volé  pour  sa  part,  1  million 
de  piastres  et  3.158.885  francs,  soit  ensemble  3.787.009  francs,  sur  le  produit  de  l'emprunt  de  1863, 
détournement  dont  Villet,  en  1873,  tenait  le  khaznadar  pour  responsable. 

6  A.  E.  Tunis,  vol.  41.  Vallat  à  Decazes.  Tunis,  24  janvier  1874  :  en  annexe  traduction  de  l'acte  de  transaction 
intervenu  le  21  janvier,  entre  le  bey  et  Mustapha  Khaznadar.  La  liquidation  s'établissait  comme  suit  : 


Avances  consenties  par  le  khaznadar  à  l'Etat,  en  1866  et  en  1872  (affaire  Erlanger)  1.835.922  fr. 

Somme  payable  comptant  200.000  fr. 

Montant  des  propriétés  et  des  bijoux  cédés  à  l'Etat  10.964.078  fr. 

Payable  par  annuités  7.000.000  fr. 


20.000.000  fr. 

Le  khaznadar  abandonnait  ses  palais  de  Carthage  et  de  la  Manouba,  ses  terres,  ses  bijoux,  sa  bibliothèque 
(Arch.  Tun.  carton  8,  passim  ;  carton  6,  Doss.  72-77). 

7  La  commission  d'enquête  n'avait  trouvé  que  des  coffres  forts  vides  dans  le  palais  du  khaznadar  (Arch. 
Tun.  carton  8).  Parlant  des  recherches  qu'il  faisait  faire  au  sujet  des  placements  de  l'ex-ministre  et  de  «son 
Juif»,  Villet  écrivait  à  Khérédine  :  «J'ai  la  certitude,  morale,  hélas  !  que  des  valeurs  assez  considérables  se 
trouvent  entre  les  mains  de  la  Société  Gale  du  Crédit  Commercial  et  Industriel  et  probablement  aussi  chez 
les  correspondants  de  cet  établissement  à  Marseille,  la  Société  Marseillaise  par  exemple»  {Documents  sur 
Khérédine  publiés  par  MM.  Mzali  et  Pignon,  Correspondance.  Villet  à  Khérédine  Paris  (11  ou  18  octobre 
1874)  R.  T.  1938,  p.  102).  «Personne  ne  doute  que  la  fortune  de  Sidi  M^  ne  soit  très  considérable.  Le  secret 
de  cette  fortune  et  sa  gestion  ne  sont  connus  que  de  son  homme  de  confiance  et  de  paille  Haï  Sebag  qui  a 
fait  et  fait  encore  pour  le  compte  de  Sidi  M“  sur  la  place  de  Marseille  d'importantes  affaires  financières  et 
commerciales»  (Ibid.  p.  108  Villet  à  Khérédine,  19  9^“^^  [1874]).  En  décembre  1874  Villet  signalait  encore 

278 


allait  survivre  cinq  ans  encore.  Gardé  à  vue  dans  son  palais  d'Halfaouine,  il  demeurait 
un  adversaire  redoutable.  Grâce  à  ses  amis  de  Tunis,  ses  agents  installés  en  Europe,  et, 
surtout,  son  immense  fortune,  il  put  soutenir  contre  son  successeur  une  campagne  de 
dénigrement  et  d'attaques  systématiques.  À  Tunis  couraient  des  rumeurs  insistantes 
qui  annonçaient  périodiquement  la  chute  de  Khérédine  et  le  retour  aux  affaires  de 
Sidi  Mustapha.  Dans  la  presse  de  Paris,  paraissaient  des  entrefilets  calomnieux  ou 
des  correspondances  pleines  de  fiel  dénonçant  l'administration  de  Khérédine,  ses 
desseins  ambitieux.  À  Paris,  Sebag,  devenu  protégé  allemand,  payait  articles  et  libelles. 
Un  avocat  rayé  du  barreau,  Desfossés^,  était  l'agent  le  plus  actif  de  cette  propagande.  11 
rédigeait  les  articles  de  la  République  française^,  publiait  des  articles  pour  réhabiliter  la 
gestion  de  l'ancien  premier  ministrei°.  «Toutes  ces  démarches  sont  suggérées  et  payées 
par  Khaznadar,  ainsi  que  les  brochures  et  les  articles  calomnieux  et  diffamatoires  de 
certains  journaux  notamment  les  correspondances  tunisiennes  de  et  celles  de 

la  République  française,  les  premières  cherchant  à  inciter  la  défiance  des  gouvernements 
contre  le  premier  ministre  actuel,  le  général  Khérédine,  en  le  présentant  comme  un 
homme  tout  dévoué  à  la  France  et  prêt  à  lui  livrer  la  Tunisie  ;  les  secondes  s'efforçât  de 


la  présence  de  «20  à  25  millions  de  francs  existant  en  valeurs  tunisiennes  à  Marseille  entre  les  mains  de 
divers»  Ibid.  p.  113,  Paris,  6  (1874).  Il  s'agissait  là,  très  probablement  des  24  millions  en  titres  tunisiens 

que  le  khaznadar  détenait  à  la  veille  de  sa  chute  du  pouvoir 

8  Desfossés  (Edmond),  avocat  parisien,  ancien  secrétaire  de  Gambetta  (Baronne  de  Billing  :  Le  baron  Robert 
de  Billing.  Paris,  1895,  p.  380),  demeurant  à  Neuilly  sur  Seine. 

Après  avoir  dû  donner  sa  démission  du  barreau  de  Paris,  pour  éviter  la  radiation  qui  le  menaçait  (A.  E.  Mém. 
et  Doc.  Procès  de  l'Intransigeant,  vol.  2),  Desfossés  devint  conseiller  juridique.  On  le  voit  apparaitre  à  partir 
de  1872  dans  les  affaires  tunisiennes,  comme  mandataire  de  Philippe  Caillat,  un  conducteur  de  travaux  en 
contestation  avec  le  bey  sur  le  montant  de  sommes  qui  lui  étaient  dues  pour  l'entretien  de  l'aqueduc  de 
Zaghouan.  Desfossés  mena  une  active  campagne  dans  les  milieux  politiques  parisiens  et  finit  par  obtenir 
pour  son  client  une  transaction  favorable  en  juin  1880  [Ibid.  vol.  3  :  Note  de  Ph.  Caillat  sur  l'affaire  Caillat. 
Tunis,  29  décembre  1881). 

Desfossés  fit  à  Tunis  un  premier  séjour  de  deux  mois,  de  novembre  1873  à  janvier  1874.  C'est  alors  qu'il 
serait  entré  en  relations  avec  le  khaznadar  pour  le  compte  duquel  il  rédigea  articles  de  presse  et  libelles 
politiques.  En  attaquant  Khérédine.  Desfossés  servait  aussi  les  intérêts  de  Caillat  dont  les  prétentions  peu 
justifiées  avaient  été  repoussées  par  la  Commission  financière.  A  partir  de  1878,  Desfossés  milita  en  faveur 
de  l'annexion  de  Tunis  par  la  France  et,  à  plusieurs  reprises,  proposa  ses  services  au  ministère  des  Affaires 
étrangères  comme  attaché  ou  chargé  de  mission. 

9  Entre  décembre  1874  et  octobre  1875,  le  journal  de  Gambetta  publiait  15  articles  sans  nom  d'auteur, 
consacrés  à  la  Tunisie  et  à  l'administration  de  Khérédine,  dont  les  plus  violents  étaient  ceux  des  8  mars,  6 
avril,  4  mai,  27  mai  23  juin  et  24  juillet  1875.  Dans  une  lettre  à  Rochefort,  publiée  dans  l'Evénement,  le  15 
octobre  1881,  Desfossés  reconnut  en  avoir  été  l'auteur. 

10  E.  Desfossés  :  Affaires  d'Orient.  La  disgrâce  de  Sidi  Moustapha  Khaznadar,  ancien  premier  ministre  de  L.  L.  A. 
A.  Ahmet,  Mohamed,  Essadok  beys  de  Tunis,  considérée  au  point  de  vue  des  intérêts  européens.  Paris,  1875,  in 
4°,  52  p. 

Dans  cette  brochure,  la  première  de  celles  qu'il  devait  consacrer  à  la  Tunisie,  Desfossés  faisait  une  apologie 
sans  réserves  du  khaznadar,  renversé  du  pouvoir  par  une  odieuse  conspiration,  un  «acte  de  piraterie» 
(p.  30).  «Le  khaznadar  représentait  la  force,  le  progrès,  une  sage  tolérance,  l'indépendance  de  sa  nation» 
(p.  34)  Tunis  lui  devait  l'eau,  le  gaz,  le  télégraphe,  le  chemin  de  fer.  La  gestion  financière  du  premier  ministre 
avait  été  scrupuleuse,  «Sidi  Moustapha,  ayant  perçu  plus  de  cinq  cents  millions  pendant  le  règne  d'Ahmet, 
pas  une  aspre  ne  manquait  au  trésor  immense  qu' Ahmet  légua  à  son  successeur»  (p.  9).  Selon  Desfossés,  les 
difficultés  financières  de  la  Tunisie  provenaient  uniquement  d'une  succession  de  mauvaises  récoltes  et  des 
détournements  du  caïd  Nessim. 

11  L'Italie  était  un  quotidien  de  langue  française  publié  à  Rome.  L'auteur  des  correspondances  tunisiennes  qui 
parurent  dans  ce  journal,  à  partir  de  la  fin  de  1874,  aurait  été  un  soi-disant  avocat.  Natale  Lenghi,  installé  à 
Tunis  après  avoir  été  expulsé  de  Tripoli.  Alexandrie  et  Malte,  qui  écrivait  également  dans  le  journal  maltais 
Oggi  [Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit.  Lettre  de  Khérédine  à  Farrugia,  agent  du  bey  à  Malte,  21  avril  1875.  R.  T. 
1940,  p.98  ;  Gazette  du  Midi,  24  août  1878  :  Avvenire  di  Sardegna,  22  décembre  1876).  Lenghi  était  un  Juif 
italien,  né  à  Livourne  en  1826  ou  1827  ;  il  devait  mourir  à  Tunis,  le  3  février  1879.  (Arch.  Rome  :  Etat  civil. 
Tunis  ;  Avv.  di  Sardegna,  6  février  1879). 


279 


provoquer  le  mécontentement  de  la  France  et  du  bey,  «en  l'accusant  de  livrer  la  Régence 
à  la  Turquie  pour  être  mis  à  la  place  de  Son  Altesse»!^.  Pour  y  répondre,  Khérédine  se  mit 
à  entretenir  de  son  côté  agence  de  presse^^  et  publicistes,  des  individus  compromettants 
comme  Oscar  Gayi'*  qui,  sous  couleur  de  défendre  la  Tunisie,  cherchait  surtout  à  vivre 
aux  dépens  du  premier  ministre. 

A  Tunis,  Wood  et  Pinna  ne  désarmaient  pas.  ils  avaient  multiplié  les  interventions 
en  faveur  du  khaznadar,  sollicité  la  clémence  du  bey  pour  obtenir  la  libération  de  l'ancien 
ministrei^.  Wood  avait  essayé  de  faire  accorder  au  khaznadar  la  protection  anglaise^®,  il 
intervenait  en  faveur  de  ses  partisans,  comme  le  caïd  Hamida  Benaïad  dont  le  premier 
ministre  avait  fait  son  associé,  dans  un  grand  nombre  de  fermages!^. 

Le  départ  du  vicomte  de  Vallat  et  de  l'inspecteur  Villet,  au  printemps  de  1874,  privait 
Khérédine  de  ses  meilleurs  alliés.  Pour  remplacer  de  Vallat  dont  la  mission  temporaire 
s'achevait  en  mai  1874,  le  duc  Decazes  désigna  un  agent  intérimaire  de  ses  protégés, 
le  baron  de  Billingi^.  Le  nouveau  consul  était  mal  préparé  pour  la  gestion  d'un  poste 
difficile^^.  il  manquait  de  souplesse  et  de  pondération  et  n'avait  aucune  expérience  de 
l'Orient.  Au  lieu  de  soutenir  Khérédine,  comme  le  lui  recommandaient  ses  instructions, 
il  se  brouilla  avec  lui.  Les  incartades  de  la  baronne  de  Billing  transformèrent  la  rupture 


12  Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  Lettre  anonyme  et  sans  date  (fin  1874]  R.  T.  1938.  pp.  119-120. 

13  Ballero,  directeur  d’une  sorte  d'agence  de  presse,  concurrente  de  l’agence  Havas,  qui  publiait  une  feuille 
intitulée  «Correspondance  universelle»  et  disposait  de  journaux  abonnés.  Ballero  était  étroitement  lié 
avec  G.  Robert  de  la  mission  tunisienne  à  Paris,  qui  se  chargeait  de  répondre  dans  la  presse  française  aux 
attaques  dirigées  contre  Khérédine.  Ils  réussirent  à  arrêter  certaines  campagnes  de  presse  hostiles  au 
premier  ministre  et  firent  insérer  des  articles  favorables  dans  divers  journaux  de  Paris  et  de  province  (Doc. 
sur  Khérédine,  op.  cit  Correspondance  R.  T.  1940,  notes  79  et  80,  p.  81). 

14  Gay  était  à  la  solde  de  Khérédine.  Depuis  le  début  de  1875,  il  faisait  insérer  à  grands  frais  des  articles 
favorables  au  premier  ministre  dans  Paris  Journal  et  dans  le  Soir  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  Correspondance 
de  Khérédine  avec  Villet  et  Gay,  1875,  R.  T  1940,  pp.  95-102,  et  251-252,  passim)  («Je  dois  vous  rappeler, 
écrivait  Villet,  qu’ici  cet  individu  est  détesté,  méprisé».  Il  conseillait  à  Khérédine  de  se  méfier  de  sa 
propagande  :  «il  y  a  des  éloges  qui  font  plus  de  mal  que  bien  des  attaques»  (Ibid.  Villet  à  Khérédine,  25 
janvier  1875.  R.T.  1940,  pp.  75-76).  En  avril-mai  1875,  Khérédine  se  décidait  à  mettre  fin  à  la  polémique 
soutenue  par  Gay,  en  cessant  de  l'appointer. 

15  A.  E.  Tunis,  vol.  40.  Dép.  de  Vallat.  Tunis,  24  novembre  1873.  Khérédine  se  plaignait  au  gouvernement  anglais 
des  intrigues  de  Wood  en  envoyant  à  Londres  un  secrétaire  turc,  depuis  peu  à  son  service.  Mohammed 
Arif  Effendi,  porteur  d'un  mémorandum  en  français  du  général  Heussein.  «Sidi  Moustapha,  tombé  sous  la 
réprobation  unanime  devient  à  l'instant  même  le  protégé  de  M.  Wood  qui  compromet,  en  soutenant  une 
pareille  cause,  l'honneur,  du  gouvernement...  Forcé  par  les  ordres  du  ministre...  de  s'abstenir,  M.  Wood 
mettant  à  profit  l'âge  avancé  et  la  faiblesse  d'esprit  notoire  de  M.  Pinna,  met  ce  dernier  en  avant  pour  toutes 
les  intrigues  qu'il  fomente  mais  dont  il  n'ose  pas  prendre  la  responsabilité»  (F.  0.102/101.  Privée  de  Stanley 
à  Derby.  Londres,  26  avril  1875). 

16  F.  0.102/95  Tél  de  Wood.  Tunis,  21  octobre  1873  ;  Tél  à  Wood  F.  0.  29  novembre  1873. 

«Le  bey  commence  à  comprendre  que  si  son  vieux  serviteur  a  commis  peut-être  de  graves  erreurs 
financières»  écrivait  Wood,  «il  n’a  cependant  pas  dépouillé  le  pays  pour  s'enrichir  lui-même»  (F.  O.  102/99 
Wood  à  Granville.  Tunis,  15  janvier  1874). 

17  F.  0.102/95  Wood  à  Granville.  Tunis,  14  octobre  1873.  Mémorandum  sur  la  protection  des  Ben  Ayat.  F.  0.27 
octobre  1873 

18  BILLING  (Sigismond-Antoine-Edouard-Roiert,  baron  de),  fils  du  baron  Sigismond  de  Billing,  ministre  de 
France  à  Francfort,  né  à  Paris  le  12  août  1839,  mort  le  15  avril  1892  ;  attaché  aux  archives  7  mai  1857, 
attaché  au  cabinet,  1^*^  juin  1857;  attaché  d’ambassade  à  Londres,  1861  ;  attaché  à  la  direction  politique 
du  ministère,  1863  ;  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  1867  ;  attaché  de  légation  à  Munich,  1871  ;  consul 
général  et  chargé  d’affaires  par  intérim  à  Tunis,  18  avril  1874  ;  rappelé,  24  décembre  1874  ;  secrétaire  de 
légation  à  Stockholm,  mai  1875  ;  premier  secrétaire  à  la  direction  politique,  1879  ;  mis  en  disponibilité,  3 
octobre  1881  :  démissionnaire,  4  octobre  1881  (fichier  A.  E.  ;  A.  E.  Tunis  Mém.et  Doc.  vol.  10  :  Note  sur  les 
incidents  qui  ont  amené  la  mise  en  disponibilité  et  la  démission  de  M.  de  Billing  en  1881  ;  baronne  de  Billing, 
op.  cit  passim) 

19  Tunis  était  «l'écueil  de  toute  la  carrière»  (A.  E.  Tunis  Mém.et  Doc.  vol.  9,  Note  8). 


280 


en  lutte  ouverte.  Après  un  affront  public  au  favori  du  bey,  en  juin  1874,  elle  s'affichait 
en  faveur  du  khaznadar,  adressait  à  Khérédine  une  lettre  insolente^o.  Pour  assouvir 
ses  rancunes  personnelles,  elle  poussait  son  mari  à  jeter  en  prison  un  notable  de  la 
colonie  française.  À  la  fin  de  l'année,  de  Billing  s'engageait  à  fond  contre  Khérédine 
dont  il  essayait  d'obtenir  la  destitution.  Fin  décembre  1874,  Decazes  était  contraint  de 
mettre  une  fin  rapide  à  la  déplorable  gestion  de  son  protégé^i.  De  Billing  était  rappelé 
et  remplacé  par  un  des  meilleurs  agents  français^^,  Théodore  Roustan,  qui  avait  fait 


20  La  baronne  de  Billing,  fille  du  banquier  anglo-hollandais  Adrian  Hope,  était  la  première  femme  du  consul 
qu'elle  avait  épousé,  après  avoir  divorcé  de  l'amiral  Carnegie,  en  1872  (F.  0.  102/99  Wood  à  Derby.  Tunis, 
27  octobre  1874.)  -  Le  Gaulois,  5  février  1872  «Un  joli  petit  scandale  anglo-français  à  la  cour  des  divorces 
de  Londres,  il  y  a  deux  jours.  L'amiral  Carnegie  poursuivait  sa  femme  pour  adultère  et  réclamait  250.000 
francs  de  dommages-intérêts.  Plus  tard,  il  renonça  à  cette  prétention,  certain  qu'il  était  que  l'amant  de  sa 
femme  ne  pouvait  payer  l'amende.  Mistress  Carnegie  était  la  fille  de  M.  Adrien  Hope,  de  la  maison  de  banque 
d'Amsterdam.  Elle  habitait  Paris  depuis  plusieurs  années  avec  sa  mère  devenue  comtesse  Rapp.  » 

Wood  la  dépeignait  ainsi  :  «Vain  and  active,  but  with  a  judgment  déficient  in  soundness,  she  appears  to 
exercise  unlimited  influence  over  her  husband  whom  she  persuaded  to  follow  a  course  little  in  harmony 
with  his  public  duties  and  with  the  conventional  usages  of  society»  (F.  0.  102/99.  Wood  à  Derby.  Tunis, 
29  décembre  1874). 

Dans  la  même  dépêche.  Wood  rapportait  que  la  baronne  de  Billing  avait  ostensiblement  refusé  de  saluer 
Mustapha  ben  Ismaïl  au  cours  d'un  bal  donné  au  consulat  de  France  (Egalement  Broadley  :  Last  Punie  War, 
Tome  I,  p.l55).  Peu  après,  elle  rendait  visite  à  la  femme  de  l'ancien  premier  ministre  et  poussait  son  mari  à 
intervenir  auprès  du  bey  en  faveur  du  khaznadar.  Furieuse  de  l'absence  de  Khérédine  à  une  soirée  qu'elle 
avait  organisée  au  consulat,  elle  lui  adressa  une  lettre  offensante.  Les  éclats  de  la  baronne  de  Billing  étaient 
célèbres  à  Tunis.  Le  directeur  de  YAvvenire  di  Sardegna  rapportait  qu'à  table,  dans  ses  accès  de  colère,  elle 
lançait  des  œufs  au  visage  de  son  mari  (J.  de  Francesco  :  Considérations  sur  le  conflit  franco-tunisien,  Cagliari, 
1879,  p.lO). 

21  En  août  1874,  de  Billing  avait  été  rappelé  à  l'ordre  par  Decazes  pour  avoir  transmis  des  informations 

financières  peu  sérieuses.  En  novembre,  il  fit  hâtivement  jeter  en  prison  un  officier  de  marine  installé 
depuis  peu  en  Tunisie,  Lucien  Bonaparte  Wyse  ;  petit  neveu  de  Napoléon  l®^.  Wyse  était  en  très  violent 
conflit  d'intérêt  avec  son  associé  de  Sidi  Tabet,  Sancy.  En  réalité  le  consul  cherchait  surtout  à  se  venger  de 
Wyse  qu'il  soupçonnait  d'être  l'auteur  de  pamphlets  injurieux  pour  la  baronne  de  Billing  et  pour  lui-même 
(F.  O.  102/99  Wood  à  Derby.  Tunis,  29  décembre  1874.  Informé  par  Khérédine  qui  lui  transmettait  la  lettre 
impertinente  de  la  baronne  de  Billing,  Villet  alertait  aussitôt  le  ministère  :  «J'ai  fait  lire  votre  dernière  lettre 
à  M.  Desprez  -  il  qualifie  comme  elle  mérite  la  conduite  de  Mad.  De  Billing  et  il  m'a  chargé  de  vous  dire  que, 
quoi  qu'elle  fasse  ou  dise,  quelque  bizarrerie  que  vous  puissiez  trouver  parfois  dans  la  manière  d'être  du 
mari  lui-même,  vous  devez  ne  pas  douter  de  l'appui  tout  entier  du  gouvernement  français...  Le  changement 
est  décidé;  quand  sera  t-il  effectué  ?...»  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  Correspondance.  Villet  à  Khérédine,  Paris 
(11  ou  18  octobre  1874).  R.  T.  1938,  p.l04).  «Je  ne  parlerai  pas  des  impressions  que  j'ai  ressenties  à  la 
lecture  du  billet  inqualifiable  de  Mad.  de  B.  ;  vous  comprenez  certainement  que  j'ai  été  plus  indigné  encore 
que  vous  n'avez  dû  l'être  vous-même  de  la  sotte  impertinence  de  cette  dame...  je  suis  allé  dès  le  lendemain 
lire  moi  même  à  M.  Desprez  vos  trois  lettres  et  celle  de  Mad.  de  B.  lui  remettant  en  même  temps  des  copies 
de  chacune  de  ces  pièces  afin  qu'il  en  puisse  faire  l'usage  que  les  circonstances  rendraient  opportun...  Je  ne 
désespère  pas  du  tout  de  faire  parler  au  Maréchal  directement  de  la  situation  de  M.  de  B.  et  de  la  tolérance 
excessive  dont  il  est  l'objet»  (Ibid.,  pp.  113-115  Villet  à  Khérédine.  Paris,  6  [1874]). 

C'est  alors  que  de  Billing  qui,  depuis  plusieurs  mois,  ne  cessait  d'attaquer  le  premier  ministre  dans  sa 
correspondance  officielle,  transmit  au  ministère  des  informations  extravagantes  sur  le  dessein  de  Khérédine 
de  se  faire  nommer  pacha  de  Tunis  par  le  sultan.  Il  télégraphiait  à  Decazes  :  «Je  prends  secrètement  avec  le 
bey  les  mesures  les  plus  énergiques.  Si  le  général  Khérédine  produit  un  firman  d'investiture  comme  pacha,  il 
sera  étranglé  immédiatement.  J'en  ai  l'assurance.  Votre  Excellence  peut  donc  se  rassurer»  -  «Comment  vous 
trouvez  vous  associé  à  des  mesures  redoutables  et  si  étrangères  à  votre  mission  ?»  répondait  Decazes  «J'ai 
besoin  de  le  savoir  et  je  vous  invite  itérativement  et  formellement  à  quitter  Tunis  dés  demain»  (A.  E.  Tunis 
vol.  41.  Tél.  de  Billing  à  Decazes  et  de  Decazes  à  Billing,  20  décembre  1874). 

22  «Vous  savez  que  c'est  M.  Roustan  que  l'on  vous  envoie;  il  est  le  candidat  chaudement  patronné  par  M.  Desprez 

et  la  Direction  Politique  qui  est  pour  vous.  C'est  celui-là  dont  il  à  déjà  été  question  il  y  a  deux  ans  on  à  très 
grande  confiance  en  lui  ;  quoique  jeune,  il  est  depuis  longtemps  en  Orient  (Beyrout)  :  il  a  donné  beaucoup 
de  preuves  de  sagacité,  de  prudence  ;  c'est  le  meilleur  agent  possible  pour  Tunis,  m'a  dit  M.  Desprez»  (Doc. 
sur  Khérédine,  op.  cit.  Villet  à  Khérédine.  22  1874.  R.  T.  1938,  p.ll9). 


281 


toute  sa  carrière  dans  les  postes  du  Levant^^.  Fils  d'un  professeur  d'université,  il  avait 
donné  les  preuves  de  son  habileté  dans  les  différents  postes  qu'il  avait  gérés,  au  Caire, 
à  Alexandrie,  à  Damas,  à  Beyrouth.  Roustan  avait  quarante-et-un  ans  ;  sa  carrière  avait 
été  rapide  et  l'ambassadeur  de  France  à  Constantinople  ne  l'avait  laissé  partir  qu'à 
regret.  Tenace,  énergique,  mais  avec  beaucoup  de  souplesse,  Roustan  était  à  son  aise  au 
milieu  des  intrigues  d'une  cour  orientale.  11  connaissait  le  pouvoir  de  l'argent,  l'influence 
des  favoris  ;  il  sut  bien  vite  organiser  tout  un  service  de  renseignements,  un  réseau  de 
complicités  parmi  les  familiers  du  Bardo.  Mais,  s'il  ne  dédaignait  pas  les  petits  moyens, 
comme  Wood,  il  était  capable  de  concevoir  et  d'exécuter  un  vaste  programme.  Le  ministre 
l'avait  appelé  à  Tunis  pour  rétablir  une  situation  compromise,  pour  soutenir  Khérédine 
et  relever  le  prestige  de  la  France.  Avec  Roustan,  Khérédine  retrouvait  au  consulat  de 
France  tout  l'appui  dont  sa  politique  avait  besoin^^. 

Le  successeur  de  Villet  était  arrivé  à  Tunis,  en  mars  1874.  Bon  financier,  l'inspecteur 
Le  Blant^s  n'entendait  rien  aux  affaires  politiques.  Faible  et  hésitant  de  caractère,  il  était 
incapable  de  prendre  une  décision  et  ne  savait  qu'en  référer  à  son  prédécesseur.  De  Paris, 
Villet  qui  entretenait  une  correspondance  suivie  avec  Khérédine  et  Le  Blant,  continua  de 
surveiller  les  affaires  financières  de  la  Régence.  La  docilité,  voire  même  la  nullité  de  Le 
Blant  furent  bientôt  évidentes  :  «De  Paris,  M.  Villet  n'a  cessé  de  diriger  Khérédine  et  Le 
Blant»,  écrivait,  en  1876,  le  correspondant  d'un  journal  de  Marseille.  «M.  Le  Blant  n'est 
pas  le  vice-président  de  la  Commission  financière;  il  n'en  est  que  le  vice-Villet»^^.  Du 


23  Roustan  {Théodore Justin  Dominique),  né  le  8  août  1833  à  Aix-en-Provence,  décédé  le  8  août  1906  ;  licencié  en 
droit  ;  attaché  à  la  direction  des  consulats,  19  décembre  1866;  élève  consul,  31  août  1860  ;  successivement 
à  Beyrouth  et  à  Smyrne  ;  chargé  de  la  gestion  du  consulat  au  Caire,  27  mars  1865  ;  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur,  1^^  août  1865  ;  consul  de  seconde  classe  au  Caire,  29  août  1865  ;  chargé  de  la  gestion  du  consulat 
général  à  Alexandrie,  8  juin  1867  au  8  juin  1868  ;  consul  à  Damas,  18  mars  1868  ;  commissaire  en  Palestine, 
août  1870  ;  consul  de  première  classe,  2  août  1871  ;  chargé  de  la  gestion  du  consulat  général  à  Alexandrie,  juin 
1872  ;  du  consulat  général  à  Beyrouth,  20  décembre  1872  ;  commissaire  français  en  Palestine,  mai-août  1873  ; 
consul  général  à  Beyrouth,  29  novembre  1874  ;  consul  général  et  chargé  d'affaires  à  Tunis,  17  décembre  1874  ; 
officier  de  la  Légion  d'honneur,  11  novembre  1875  ;  commandeur,  31  juillet  1879  ;  ministre  plénipotentiaire 
de  deuxième  classe,  23  janvier  1880  ;  ministre  plénipotentiaire  de  première  classe,  chargé  des  fonctions  de 
ministre  résident  à  Tunis,  13  mai  1881  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Washington, 
18  février  1882  ;  ambassadeur  à  Madrid,  5  août  1891  ;  admis  à  la  retraite,  19  avril  1894  ;  grand  officier  de  la 
Légion  d'honneur,  19  avril  1894  {Annuaire  diplomatique  et  consulaire  pour  1894,  p.238  ;  fichier  A.  E.). 

24  Dans  une  lettre  à  Villet  du  26  octobre  1875,  Khérédine  se  déclarait  «on  ne  peut  plus  satisfait  de  [ses] 
relations  avec  l'honorable  et  intelligent  représentant  du  gouvernement  français»  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit. 
Correspondance  R.  T.  1940,  p.289). 

25  LE  BLANT  (Edouard),  né  le  2  mai  1831  à  Paris,  décédé  le  9  décembre  1912;  surnuméraire  au  secrétariat 
général,  29  mars  1851  ;  commis  ordinaire  de  3ême  classe  au  Mouvement  général  des  fonds,  5  août  1851  ; 
inspecteur  adjoint,  5  avril  1853  ;  sous-inspecteur,  12  décembre  1857  ;  en  mission  à  la  Trésorerie  de  l'armée 
d'Italie,  1859-1860  ;  inspecteur  des  Finances  de  4®^^^  classe,  1860  ;  de  3^^^^  classe,  10  avril  1861  ;  de  2™^ 
classe,  21  mars  1865  ;  en  mission  auprès  de  l'Assemblée  nationale,  1871-1873  ;  inspecteur  de  lere  classe 
chargé  de  mission  à  Tunis,  26  février  1874  ;  chargé  du  bureau  de  l'inspection,  20  février  1879  ;  inspecteur 
général  des  Finances,  20  novembre  1880  ;  en  mission  en  Angleterre,  1881  ;  en  Belgique,  1883  ;  officier  de  la 
Légion  d'honneur,  juillet  1883  ;  commandeur,  juillet  1892  ;  inspecteur  général  honoraire,  31  janvier  1896  ; 
censeur  du  Crédit  Foncier  de  France  (Livre  d'Or  de  l'inspection  des  Finances). 

26  Gazette  du  Midi,  4  janvier  1877  :  Lettre  de  Tunisie.  (Tunis,  27  décembre  1876),  article  dû,  selon  Le  Blant,  à  un 
avocat  affairiste  de  Tunis,  Pelletier. 

Un  membre  du  Comité  de  contrôle,  Sancy,  exprimait  la  même  opinion.  «On  eut  le  tort  de  le  laisser  [Villet] 
désigner  son  successeur.  Il  le  fit  venir  auprès  de  lui  à  Tunis  et  passa  tout  un  mois  à  lui  tracer  le  sillon  dans 
lequel  il  voulait  le  voir  marcher  sans  lui  permettre  d'en  dévier  d'une  ligne...  Il  partit  alors  bien  assuré  qu'il 
laisserait  derrière  lui  un  homme  sans  aucune  valeur,  sans  aucune  dignité,  mais  d'une  parfaite  docilité  à  son 
égard. 

«Non  content  de  cela,  de  retour  à  Paris,  Mr  Villet  se  fit,  au  titre  officieux,  le  représentant  des  intérêts 
politiques  du  général  Khérédine  et  continua  ainsi,  à  tort  et  à  travers,  à  diriger  à  la  fois  Khérédine  et  Le 
Blant,  et  la  plupart  des  réponses  faites  par  le  gouvernement  tunisien  aux  dépêches  du  Ministre  des  Affaires 


282 


moins,  la  collaboration  étroite  qui  s'était  établie  entre  les  membres  du  Comité  exécutif 
ne  se  démentit  pas.  Elle  fut  renforcée  par  l'élection  au  contrôle  d'amis  ou  de  protégés 
de  Khérédine,  l'Italien  Guttieres^^,  les  Français  Rocca^®  et  Sancy^^.  Faisant  bloc  derrière 
son  président,  la  Commission  était  un  des  meilleurs  soutiens  de  la  politique  du  premier 
ministre.  Villet,  tel  un  agent  officieux  du  gouvernement  tunisien,  menait  campagne  en 
sa  faveur  dans  les  ministères,  s'efforçant  de  guider  même  la  politique  officielle  française. 
Cette  activité,  cette  insistance  même  ne  devaient  pas  tarder  à  porter  ombrage  au  consul 
de  France  Roustan. 

Khérédine  prenait  le  pouvoir  dans  des  circonstances  difficiles.  Mais,  pour  l'emporter, 
il  comptait  sur  la  vertu  d'un  gouvernement  réparateur  dont  il  avait  maintes  fois  exposé 
le  programme^*).  Khérédine  était  profondément  affecté  de  la  décadence  dont  souffrait 
la  Tunisie  comme  tous  les  Etats  musulmans,  décadence  qu'il  attribuait  autant  à  l'oubli 
des  prescriptions  religieuses,  qu'au  conservatisme  étroit  dans  lequel  s'enfermaient 
les  grands  corps  de  l'Etat^i.  Pour  relever  le  pays,  le  ministre  ne  prévoyait  d'autres 
remèdes  qu'une  administration  régulière,  des  réformes  de  détail,  une  participation 
plus  étendue  des  notables  aux  affaires  publiques.  Khérédine  ne  croyait  plus  à  l'efficacité 
de  ces  réformes  constitutionnelles  qu'il  avait  préconisées  quinze  ans  plus  tôt.  11  lui 
semblait  vain  de  rétablir  de  pompeuses  institutions.  Grand  Conseil  ou  tribunaux,  si  les 
errements  traditionnels  devaient  se  perpétuer  sous  des  appellations  occidentales.  Son 
programme  était  plus  modeste  et  plus  réaliste  :  il  voulait  restaurer  l'autorité  de  l'Etat 


étrangères  pour  le  contrecarrer  ont  été  libellées  soit  par  M.  Villet  à  Paris,  soit  par  M.  Le  Blant  à  Tunis»  (A. 
E.  Tunis  Mém.et  Doc.  vol.  12.  Note  confidentielle  par  le  comte  de  Sancy  Paris,  30  juillet  1876).  C'est  ce  qui 
ressort  en  effet  de  la  correspondance  de  Villet  à  Khérédine,  notamment  dans  les  affaires  de  Sancy  avec  le 
gouvernement  tunisien. 

27  II  fut  difficilement  élu  contre  Alessandro  Paz,  candidat  du  khaznadar,  le  3  décembrel874,  en  remplacement 
de  Cesena,  démissionnaire 

28  ROCCA  (Nonce-Jacques-Antoine)  fils  d'Etienne,  un  orfèvre  corse,  et  de  Teresa  Bogo,  une  Italienne  protégée 
autrichienne,  né  à  Tunis  le  11  septembre  1837,  marié  à  Elisabeth  Méreaux,  mort  à  Tunis,  le  24  juin  1881 
(Reg.  ste  croix). 

Rocca,  qui  se  disait  homme  de  lettres,  était  maître  d'école  à  Tunis.  Khérédine  se  l'était  attaché  en  faisant  de 
lui  le  précepteur  de  ses  enfants.  Grâce  à  la  protection  du  ministre,  Rocca  fut  nommé  inspecteur  du  collège 
Sadiki  et  décoré  de  plusieurs  ordres  français  et  tunisiens. 

29  VEILLET-DEVEAUX  soi-disant  comte  de  VEAUX  de  SANCY  (Ferdinand-Charles-Frumence),  né  à  Meaux  le 
16  décembre  1830  d'Augustin  Veillet-Deveaux,  conseiller  d'arrondissement,  ancien  maire  de  Meaux,  et  de 
Claire  Belle,  son  épouse  (Etat-civil  Meaux). 

Après  avoir  été  quelques  années  employé  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  Sancy  mena  en  France  une  vie 
passablement  aventureuse.  Joueur,  grand  amateur  de  chevaux,  il  avait  dissipé  sa  fortune  lorsqu'il  arriva  en 
Tunisie,  au  début  de  1863,  ayant  laissé  à  Paris  ses  enfants  et  sa  femme  dont  il  s'était  séparé.  Grâce  à  l'appui 
de  ses  parents,  son  oncle,  le  baron  Brenier,  ancien  ministre  des  Affaires  étrangères,  son  beau-frère,  le  général 
du  Barail,  ministre  de  la  Guerre  en  1873-1874,  qui  souhaitaient  lui  trouver  une  situation  en  l'éloignant, 
Sancy  obtint  en  1866,  par  l'entremise  du  général  Khérédine,  la  concession  du  domaine  de  Sidi  Tabet.  Il  vécut 
surtout  aux  dépens  des  associés  qu'il  s'était  trouvés.  A  partir  de  1874,  il  entretint  avec  le  gouvernement 
tunisien  des  contestations  interminables  sur  les  termes  de  sa  concession,  avec  l'appui  du  gouvernement 
français  qu'influençaient  ses  relations  familiales.  La  mauvaise  cause  de  Sancy  fournit  le  prétexte  d'une  crise 
franco-tunisienne  en  1879  et  l'affaire  ne  fut  réglée  qu'en  1880,  lorsqu'il  céda  sa  concession  à  la  Société 
Marseillaise  de  Crédit.  Sancy  négligea  complètement  son  mandat  de  contrôleur  et  se  retourna  contre 
Khérédine  lorsqu'il  fut  en  difficulté  avec  le  gouvernement.  Ses  adversaires  de  Tunis  se  moquaient  de  lui  en 
l'appelant»  «Sancy,  sans  sous,  sans  souci»  (Doc.  sur  Khérédine  correspondance,  op.  cit  passim  ;  M.  Emerit  :  Aux 
origines  de  la  colonisation  française  (l'affaire  de  Sidi  Tabet)  R.  T.  1946,  pp.  135  ;  Avvenire  di  Sardegna,  4  janvier 
1879  :  Vertenza-Franco-tunisina  :  J.  De  Francesco  :  Considérations  sur  le  conflit  franco-tunisien.  Cagliari,  1879, 
pp.  34-37  ;  La  Comédie  politique,  de  Lyon  :  Les  auteurs  de  la  guerre  :  De  Sancy,  30  octobre  1881). 

30  En  1868,  il  avait  fait  publier,  en  français,  un  ouvrage  intitulé  :  Réformes  nécessaires  aux  Etats  musulmans. 
Essai-Formant  la  première  partie  de  l'ouvrage  politique  et  statistique  intitulé  :  La  plus  sûre  direction  pour 
connaitre  l'état  des  nations  (Paris,  1868,  in-4°  79  p.) 

31  A.  E.  Tunis,  vol.  41.  Billing  à  Decazes.  Tunis,  21  juillet  1874. 


283 


en  contrôlant  la  gestion  des  caïds,  en  établissant  une  surveillance  sévère  des  dépenses 
publiques,  relever  l'économie  du  pays  en  adoucissant  les  charges  qui  pesaient  sur  les 
paysans,  réveiller  le  patriotisme  local  en  appelant  les  notables  dans  une  administration 
régénérée.  Khérédine  ne  prévoyait  aucune  réforme  de  structure,  il  souhaitait  relever 
les  institutions  traditionnelles,  donner  une  vie  nouvelle  aux  grands  corps  religieux. 
Pour  assurer  l'avenir,  il  mettait  l'accent  sur  le  développement  de  l'instruction.  La  brève 
expérience  de  l'école  du  Bardo  lui  suggérait  de  créer  un  enseignement  à  la  fois  moderne 
et  traditionnel  où  les  sciences  exactes  auraient  leur  place  aux  côtés  de  la  théologie 
musulmane,  et  qui  servirait  à  former  les  nouveaux  cadres  dont  la  Tunisie  avait  besoin. 

A  l'extérieur,  Khérédine  ne  préconisait  d'autre  politique  que  le  maintien  de 
l'autonomie  tunisienne  telle  qu'elle  avait  été  définie  par  le  firman  de  1871.  «Le  vasselage 
de  la  Tunisie  est  une  garantie  d'indépendance»,  faisait-il  écrire,  «tant  que  l'empire  Turc 
sera  debout,  les  Etats  tributaires  ou  vassaux  n'auront  rien  à  craindre  parce  que  leur 
existence  touche  à  la  solution  de  la  question  d'Orient  et  que,  si  l'Empire  Turc  était  un 
jour  remanié,  rien  ne  fait  encore  pressentir  qu'il  soit  bien  intéressant  ou  bien  nécessaire 
pour  l'Europe  que  les  modifications  portent  sur  la  Tunisie.» 

«Si  on  admet,  au  contraire,  que  la  Régence  soit  complètement  indépendante  et  qu'elle 
ne  se  rattache  à  aucun  grand  Etat,  ce  n'est  plus  qu'une  faible  agglomération  de  deux 
millions  d'hommes,  placée  topographiquement  dans  des  conditions  telles  qu'il  puisse 
prendre  un  jour  fantaisie  à  quelque  puissance  européenne  de  s'en  emparer»...  «il  faut 
que  la  politique  extérieure  du  bey  envers  la  France,  l'Angleterre  et  l'Italie  soit  impartiale 
et  compensatrice  et  il  devra  éviter  à  tous  prix  ce  qui  pourrait  passer  pour  de  la  faveur.» 

«Les  Anglais  ont  déjà  des  privilèges  et  des  concessions  :  qu'on  en  donne  aux  Français 

et  aux  Italiens»32 

Les  sympathies  de  Khérédine  pour  la  France  étaient  réelles  ;  sa  situation  politique 
l'avait  rejeté  dans  le  parti  français  ;  mais,  pour  servir  les  intérêts  de  son  pays,  Khérédine 
entendait  suivre  à  l'extérieur  la  politique  turque  dès  longtemps  préconisée  par  son 
adversaire  Wood,  tout  en  maintenant  sur  le  plan  local,  un  équilibre  difficile  entre  les 
trois  puissances  rivales  à  Tunis. 

2  -  L'administration  de  Khérédine 

a)  Réformes  intérieures 

La  réforme  de  l'administration  avait  été  préparée  dès  avant  la  chute  du  khaznadar, 
mais  elle  ne  prit  tout  son  sens  qu'à  partir  de  1873.  L'organisation  financière  mise  sur 
pied  par  Villet,  en  1869  et  1870,  fonctionnait  depuis  trois  ans  déjà.  Quelques  destitutions 
avaient  atteint  des  caïds  prévaricateurs.  En  juin  1873,  le  khaznadar  avait  fait  sceller  au 
bey  le  décret  sur  la  réforme  des  biens  du  beylik.  Khérédine  n'eut  qu'à  étendre  la  mesure 
aux  biens  habous^^  et  à  surveiller  l'application  loyale  de  ces  réformes,  il  n'y  eut  pas 
de  destitutions  spectaculaires.  Khérédine  s'en  prit  surtout  au  complice  du  khaznadar. 


32  Doc.  sur  Khérédine,  Op.  Cit.  Le  problème  tunisien  vu  à  travers  la  question  d'Orient  R.  T.  1936,  pp.  228-229. 

33  Création  et  organisation  d'une  Commission  des  Habous  chargée  de  surveiller  la  gestion  des  oukils  des 
habous  (décrets  du  19  mars  et  du  2  juin  1874)  (Arch.  Tun.  carton  60  ;  M.  Bompard  :  Législation  de  la  Tunisie 
p.  192-195). 

Khérédine  plaça  à  la  tête  de  l’administration  des  Habous  Mohammed  ben  Mustapha  Beyram  (Beyram  v),  le 
directeur  de  la  Grande  Mosquée,  dont  il  fit  également  le  directeur  de  l'imprimerie  du  gouvernement  et  du 
Journal  officiel,  en  mai  1875. 


284 


Khérédine  vers  1878 
(L'Illustration). 


Hamida  Benaïad,  qu'il  relevait  de  ses  fonctions  de  fermier,  en  l'invitant  à  fournir  des 
comptes  de  gestion.  Le  caïd  Chloumou  Samama,  receveur  général  des  Finances,  avait 
dérobé  dix  millions  de  piastres  entre  1864  et  1866.  La  chute  de  son  protecteur,  l'ouverture 
de  la  succession  de  son  oncle,  le  caïd  Nessim,  lui  firent  craindre  d'avoir  à  rendre  gorge. 
11  s'enfuit  prudemment  à  Corfou,  à  la  fin  de  1873. 

Grâce  à  Khérédine,  on  vit  disparaitre  les  abus  qui  avaient  déshonoré  la  gestion  du 
khaznadar,  la  vente  des  charges  au  plus  offrant,  une  exploitation  cynique  du  pays.  Les 
impôts  avaient  été  allégés  ;  caïds  et  khalifas,  nommés  sans  avoir  à  bourse  délier,  recevaient, 
pour  traitement,  le  dixième  des  sommes  qu'ils  percevaient^^.  Mais  ils  devaient,  chaque 
année,  rendre  un  compte  détaillé  de  leur  gestion.  Khérédine  leur  avait  imposé  la  tenue 
de  registres  de  comptabilité,  la  délivrance  de  quittances  d'impôts^^.  11  édicta  toute  une 
série  de  règlements  précisant  le  mode  de  perception  des  taxes,  la  rétribution  des  agents 
locaux.  Pour  la  rentrée  des  impôts,  Khérédine  abandonna  le  système  onéreux  des  camps 
et  le  remplaça  par  des  expéditions  plus  légères,  dont  il  confiait  le  commandement  au 
ministre  de  la  Guerre,  le  général  Roustam. 

Les  dépenses  publiques,  sévèrement  comprimées,  étaient  réduites  à  sept  millions 
de  piastres.  Mais  le  budget  tunisien  supportait  la  charge  écrasante  de  la  dette  unifiée 
qui  absorbait  la  moitié  de  ses  revenus.  Heureusement,  les  bonnes  récoltes  de  1873 
permirent  à  l'Etat  de  faire  face  à  toutes  les  échéances.  L'année  suivante  était  aussi 
favorable  :  pour  la  première  fois  depuis  1870,  les  revenus  concédés  atteignaient  et 
dépassaient  les  estimations  du  gouvernement,  12  millions  de  piastres  en  1873-1874, 


34  Décret  du  24  octobre  1872  (Bompard,  op.  cit  p.33). 

35  Décrets  du  mai  et  du  18  mars  1877  (Bompard  :  op.  cit  pp.  34-35  et  156).  Décret  du  27  avril  1876  établissant 
l'incompatibilité  des  fonctions  de  caïd  et  de  fermier  des  impôts  dans  un  même  caïdat  (Ibid.,  p  34). 


285 


11  millions  de  piastres  en  1874-1875^®.  Le  gouvernement  pouvait  rembourser  ses 
créanciers;  l'excédent  des  revenus  concédés  permettait  de  solder  l'arriéré  des  coupons, 
de  constituer  même  un  fonds  de  réserve  et  de  racheter  une  partie  de  la  dette^^.  Les 
circonstances  avaient  servi  Khérédine.  En  1875,  la  Commission  financière  publiait  un 
compte  rendu  optimiste  de  sa  gestion.  Les  espoirs  que  Villet  et  Khérédine  avaient  placés 
dans  l'avenir  se  trouvaient  justifiés.  Fait  qui  eût  semblé  inconcevable  deux  ans  plus 
tôt,  la  trésorerie  tunisienne  était  à  l'aise  et  le  crédit  de  l'Etat  restauré.  Sans  doute,  le 
retour  de  mauvaises  années  agricoles  pouvait  compromettre  un  équilibre  budgétaire 
encore  précaire,  mais  on  pouvait  espérer  qu'un  renouveau  de  prospérité,  l'extension  des 
surfaces  cultivées  permettraient  au  gouvernement  de  surmonter  toutes  les  difficultés  et 
de  sortir  enfin  de  la  triste  situation  où  l'avait  plongé  une  folle  gestion  financière. 

Khérédine  n'avait  pas  négligé  ses  autres  tâches.  11  réorganisait  la  justice,  fixait  les 
appointements  des  magistrats  et  réduisait  le  nombre  des  muftis  qui  siégeaient  dans  les 
tribunaux  de  l'intérieur^®.  En  même  temps,  il  décidait  de  doter  d'un  statut  le  corps  des 
notaires  tunisiens®®.  Dès  1873,  il  s'était  attaqué,  de  concert  avec  les  consuls  européens, 
à  un  problème  auquel  il  songeait  depuis  de  longs  mois,  l'assainissement  de  la  ville  de 
Tunis.  La  capitale  n'avait  ni  voirie,  ni  police  digne  de  ce  nom  :  après  chaque  averse,  les 
bas  quartiers  étaient  transformés  en  cloaque  par  les  eaux  pluviales  qui  dévalaient  par  les 
ruelles  en  pente  ;  des  égouts  à  ciel  ouvert,  que  personne  ne  songeait  à  curer,  répandaient 
une  boue  gluante  et  pestilentielle  qui  rendait  toute  circulation  impossible'^®.  En  janvier 
1873,  Khérédine  avait  essayé  de  créer  un  service  de  nettoiement  qu'aurait  alimenté  une 
taxe  sur  les  immeubles  de  la  ville.  Mais,  systématiquement,  bon  nombre  d'Européens  se 
refusaient  à  payer  la  moindre  prestation.  Les  consuls  se  heurtaient  à  l'indiscipline  de  leurs 
nationaux.  11  fallut  toute  l'insistance  de  Khérédine,  efficacement  soutenu  par  de  Vallat,  pour 
aboutir  à  un  accord  général,  en  novembre  1873.  Un  règlement  de  police  était  institué  avec 
l'agrément  des  consuls.  Son  application  était  confiée  à  un  petit  corps  de  gendarmes  qui 
devaient  veiller  sur  la  circulation  dans  les  principales  artères  de  la  ville,  contrôler  le  travail 
des  équipes  de  nettoiement,  de  concert  avec  les  chefs  de  quartier.  Tout  un  jeu  d'amendes, 
le  prélèvement  d'une  taxe  sur  les  immeubles  devaient  alimenter  une  caisse  spéciale  dont 
la  gestion  était  confiée  au  président  de  la  municipalité.  Mieux  gérés,  les  revenus  qui  avaient 
été  affectés  à  la  ville  de  Tunis  en  1857  allaient  permettre  d'entreprendre  le  pavage  de 
quelques  rues,  la  restauration  de  bâtiments  publics,  et  de  préparer  la  création  du  premier 
hôpital  musulman  de  la  ville,  l'hôpital  Sadiki,  qui  fut  fondé  en  1879. 


36  Recettes  de  1874-1875  :  12.499.140,  27  P.  -  Dépenses  :  289.172,  93  P.  Somme  applicable  au  coupon  : 
12.209.967,  34  piastres.  Recettes  de  1875-1876  :  11.478.321,  62  P.  -  Dépenses  :  254.226,  27  P.  Somme 
applicable  au  coupon  :  11.224.095,  25  piastres. 

(A.  E.  Tunis,  vol.  41  et  42.  Etat  des  recettes  effectuées  par  l'administration  des  Revenus  concédés  du  1^^  juillet 
1873  au  30  juin  1874  et  du  1^^  juillet  1874  au  30  juin  1875.  Rapports  de  Le  Blant  au  ministre,  12  août  1874 
et  3  août  1875). 

37  L'excédent  des  recettes  de  1873-1874  permettait  de  payer  le  solde  du  coupon  de  janvier  1872  (850.000 
piastres),  de  consacrer  500.000  piastres  à  un  fonds  de  roulement  pour  les  monopoles  des  tabacs  et  du  sel. 
Le  surplus,  soit  200.000  piastres,  permettait  de  racheter  460  obligations  de  la  dette  unifiée.  Les  excédents 
de  1874-1875,  soit  900.000  p,  étaient  également  convertis  en  titres  tunisiens.  En  deux  ans,  le  gouvernement 
avait  pu  racheter  2.350  obligations,  d'une  valeur  nominale  de  1.200.000  fr.  donnant  un  intérêt  annuel  de 
60.000  fr.  (F.  0.  102/123  Rapport  sur  l'exercice  quinquennal  1870-1875  de  la  gestion  des  Revenus  Concédés 
tableau  29). 

38  Décrets  des  6  avril,  22  et  27  décembre  1874  fixant  les  appointements  des  magistrats  et  limitant  à  trois 
le  nombre  des  juges  dans  les  principaux  tribunaux  de  province  ;  décret  du  25  mai  1876  réglementant  les 
fonctions  des  charâa  de  Tunis  et  de  la  Régence  (Bompard.  op.  cit  pp. 277-283). 

39  Décret  du  8  janvierl875  [Ibid.,  pp.  383-388). 

40  F.  0.102/96.  Wood  à  Granville.  Tunis.  6  janvier  1873. 

286 


L'agriculture  devait  bénéficier  des  réformes  administratives  et  de  la  mise  en 
tutelle  des  caïds.  Le  retour  de  la  tranquillité  aidant,  les  surfaces  cultivées  s'étendirent 
à  nouveau  dans  tout  le  pays^i.  Khérédine  encouragea  les  plantations  d'oliviers, 
notamment  dans  le  district  de  Sfax  où  il  mit  à  la  disposition  des  paysans  des  terres 
vacantes  tombées  dans  le  domaine  public42.  Il  fit  également  codifier  un  statut  du 
métayage  par  deux  décrets  d'avril  1874  et  de  novembre  1875'^^.  En  même  temps, 
Khérédine  essayait  de  relever  les  corporations  en  décadence.  Il  fit  rédiger  des 
règlements  précis  qui  fixaient  aussi  bien  les  rapports  entre  maîtres  et  compagnons, 
le  mode  d'élection  des  syndics  que  le  régime  du  travail  et  la  vente  des  produits 
ouvrés^^.  La  corporation  des  bonnetiers,  traditionnellement  la  première  de  Tunis,  fut 
la  première  à  recevoir  son  statut,  en  février  1870^®,  les  autres  successivement,  entre 
1871  et  1875.  Mais,  pour  faire  revivre  les  corporations  agonisantes,  il  ne  suffisait 
pas  de  les  doter  d'une  charte.  La  crise  économique  et  financière  des  années  1866  à 
1870  avait  porté  le  coup  de  grâce  à  un  artisanat  qu'atteignait  depuis  longtemps  la 
concurrence  européenne.  Pour  aider  les  corporations  à  retrouver  leurs  débouchés 
commerciaux,  les  droits  qui  grevaient  lourdement  les  produits  tunisiens  à  leur  sortie 
de  la  Régence  furent  allégés.  Khérédine  aurait  voulu  élever  les  droits  d'entrée  sur  les 
articles  étrangers  pour  protéger  ce  qui  restait  de  l'artisanat  local.  L'opposition  des 
consuls  à  toute  modification  du  régime  des  Capitulations  l'empêcha  de  faire  aboutir 
ce  projet.  L'eût-il  obtenu,  qu'il  n'aurait  certainement  pu  renverser  une  évolution 
inexorable.  Du  moins,  l'amélioration  de  la  situation  du  pays,  la  reprise  des  affaires, 
une  meilleure  surveillance  douanière  contribuèrent-elles  à  ralentir  une  décadence 
brutale.  Pour  résoudre  le  problème  social  causé  par  un  chômage  devenu  endémique, 
c'est  tout  un  programme  industriel  qu'il  aurait  fallu  élaborer.  Mais  Khérédine  n'y 
était  guère  préparé  ;  l'argent  était  rare  et  les  tentatives  du  bey  Ahmed  n'étaient  pas 
un  précédent  encourageant. 

L'enseignement  fut  l'objet  de  toute  la  sollicitude  du  premier  ministre.  Un  peu  partout, 
à  Tunis  et  dans  les  villes  de  la  côte,  Khérédine  encouragea  la  réfection  et  l'extension  des 
écoles^s.  L'enseignement  de  la  Grande  Mosquée  fut  réglementé  par  ses  soins^^. 


41  «En  quittant  le  pouvoir  après  10  années  de  gestion,  je  laissai  dans  la  Régence  plus  d'un  million  d'hectares  de 
terres  ensemencées  contre  60  mille  que  j'y  avais  trouvés  à  mon  entrée  aux  affaires»  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit 
A  mes  enfants  R.  T.  1934,  p.  196).  Mais  ces  chiffres  nous  semblent  manifestement  exagérés  dans  les  deux  sens. 

42  Décret  du  18  décembre  1875  (M.  Bompard,  op.  cit  pp.  95-96). 

43  Ce  code  définissait  la  situation  et  les  obligations  du  khammès,  colon  partiaire,  qui  ne  recevait,  pour  prix  de 
son  travail,  que  le  cinquième  de  la  récolte,  impôts  déduits.  Les  dispositions  de  ce  code  pouvaient  sembler 
particulièrement  rigoureuses  ;  elles  ne  faisaient  que  consacrer  un  état  de  fait  que  le  premier  ministre  avait 
seulement  essayé  d'adoucir. 

44  Arch.  Tun.  Cartons  59  et  72.  -  A  Atger  :  Les  corporations  tunisiennes  Paris,  1909,  pp.  30-60  et  97-102. 

45  Décret  du  9  kaada  1286  =  20  février  1870.  L'aminé  des  bonnetiers  était  nommé  par  le  bey  sur  présentation 
d'un  conseil  de  dix  maîtres  recrutés  par  cooptation  l'aminé  représentait  la  corporation,  gérait  ses  biens 
et  surveillait  toute  la  vie  du  métier.  De  droit,  aminé  du  commerce,  il  avait  le  pas  sur  les  syndics  des  autres 
corporations  et,  dans  la  hiérarchie  locale,  prenait  rang  immédiatement  après  le  cheikh  el  médina. 

46  En  1874,  on  ne  recensait  à  tunis  que  59  écoles  coraniques  avec  1.239  élèves  ;  27  autres  écoles  groupaient 
231  élèves  qui  se  préparaient  à  entrer  à  la  Grande  Mosquée  (A.  E.  Tunis  Mém.et  Doc.  vol.  9,  Note  52  :  extrait 
du  rapport  anglais  de  1875). 

47  Un  décret  du  l®*^  novembre  1842,  dû  à  Ahmed  Bey,  avait  organisé  l'enseignement  de  la  Grande  Mosquée 
en  imposant  un  programme  d'études  et  un  système  d'examens.  Trente  professeurs  des  deux  rites  avaient 
été  nommés  et  des  habous  créés  pour  leur  entretien.  Les  mesures  prises  par  Khérédine  visaient  surtout  à 
remettre  en  vigueur  et  à  préciser  les  dispositions  édictées  trente  ans  plus  tôt  :  deux  décrets  de  septembre 
et  d'octobre  1870  traitaient  de  questions  financières,  les  décrets  du  26  décembre  1875  et  du  22  janvier 
1876  précisaient  le  régime  des  études.  Mais  aucune  de  ces  mesures  n'apportait  de  réforme  véritable  à 
l'enseignement  de  la  mosquée  qui  restait  fondé,  comme  par  le  passé,  sur  de  vains  exercices  de  mémoire. 


287 


En  1875,  il  fonda  une  bibliothèque  publique  de  plusieurs  milliers  de  volumes, 
dont  il  fournit  lui-même  les  premiers  fonds,  par  un  don  de  1.100  manuscrits'^®.  Mais  la 
création  la  plus  originale  fut  la  fondation  du  collège  Sadiki,  institué  par  décret  du  13 
janvier  1875.  Le  collège  qu'on  avait  installé  dans  un  palais  voisin  de  la  kasbah  ouvrit 
ses  portes  en  février  1875.  Pour  l'entretenir,  Khérédine  avait  constitué  en  habous  les 
anciennes  propriétés  du  khaznadar.  Cent  cinquante  boursiers  musulmans,  internes  ou 
demi-pensionnaires,  devaient  y  recevoir  un  enseignement  fondé  à  la  fois  sur  le  Coran  et 
sur  l'étude  du  français  ou  de  l'italien,  des  mathématiques  et  des  sciences.  Le  programme 
des  études  était  modeste,  toute  discussion  était  bannie  des  classes  ;  l'enseignement 
traditionnel,  que  dispensaient  les  professeurs  de  la  Grande  Mosquée,  tenait  la  meilleure 
place  dans  les  horaires,  l'étude  des  matières  scientifiques  était  réduite  aux  premiers 
rudiments'^®.  Mais  si  étriqué,  si  primaire  qu'il  fût,  cet  enseignement  n'en  constituait  pas 
moins  une  tentative  originale  pour  concilier  les  traditions  musulmanes  et  les  méthodes 
de  l'Occident,  dans  un  pays  qui  ne  connaissait  d'autre  formation  intellectuelle  que  la 
récitation  des  textes  sacrés. 

Khérédine  entendait  réserver  les  postes  de  l'administration  aux  élèves  diplômés  du 
collège.  Les  meilleurs  éléments  iraient  poursuivre  en  Europe  des  études  supérieures. 
Le  collège  Sadiki  devait  être  ainsi  une  pépinière  de  fonctionnaires  ;  il  devait  préparer 
l'accession  des  Tunisiens  aux  professions  libérales.  Ouvert  à  tous  les  Musulmans,  il 
ménageait  la  fusion  entre  des  classes  sociales  jusqu'alors  séparées,  les  mamelouks  du 
palais  et  la  bourgoisie  des  grandes  villes. 

h)  Relations  avec  les  puissances 

La  plupart  de  ces  réformes  étaient  à  longue  échéance.  Dans  l'immédiat,  Khérédine 
voulait  résoudre  des  questions  irritantes  qui  étaient,  pour  le  gouvernement,  le  sujet  de 
contestations  perpétuelles  avec  les  consulats,  celles  de  la  justice  locale  et  de  la  protection 
des  sujets  tunisiens.  Chaque  année,  les  consuls  européens  venaient  soutenir  au  Bardo 
les  réclamations  de  leurs  nationaux  ou  de  leurs  protégés  contre  des  sujets  tunisiens, 
affaires  médiocres  mais  innombrables  qui  pouvaient  toujours  servir  de  prétexte  à  des 
revendications  de  caractère  politique.  La  réforme  de  la  justice  était  en  suspens  depuis 
1857.  Le  bey  avait  vainement  essayé  de  soumettre  les  étrangers  à  sa  juridiction  en  leur 
offrant,  en  contrepartie,  le  droit  de  propriété  dans  la  Régence.  La  commission  tunisienne 
qui  avait  été  instituée  en  1861  pour  trancher  des  conflits  entre  Européens  et  tunisiens 
n'avait  eu  qu'une  brève  existence.  Entre  1863  et  1870,  le  droit  de  propriété  avait  été 
accordé  à  tous  les  étrangers,  mais  si  les  consuls  avaient  admis  que  leurs  nationaux  fussent 
soumis  à  la  juridiction  tunisienne  en  matière  de  propriété  foncière,  ils  s'étaient  refusés 
à  toute  concession,  en  matière  civile,  criminelle  et  commerciale  ;  tous  les  autres  litiges 
étaient,  comme  par  le  passé,  évoqués  devant  le  consulat  dont  relevait  le  défendeur. 

En  mai  1871,  Khérédine  ,  d'accord  sur  ce  point  avec  le  khaznadar,  avait  soumis  aux 
consuls  un  projet  de  réforme  de  la  justice  qui  prévoyait  la  création  de  tribunaux  civils 
mixtes  chargés  de  juger  toutes  les  affaires  pendantes  entre  Européens  et  Tunisiens®^. 


48  Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit  A  mes  enfants  R.  T.  1934,  p.l93.  D'autres  ouvrages  provenaient  de  la  bibliothèque 
du  khaznadar  que  celui-ci  avait  dû  céder  à  l'Etat,  en  vertu  de  l'arrangement  de  janvier  1874  (Arch.  Tun.  Doss. 
77,  carton  6). 

49  Dans  son  article  sur  La  pénétration  intellectuelle  en  Tunisie  [R.  Afr.  1954  pp.  160-167)  leDr.Arnouletdonnele 
détail  des  programmes,  la  vie  intérieure  du  collège.  La  plupart  des  professeurs  européens  avaient  enseigné 
déjà  à  l'école  militaire  du  Bardo. 

50  Arch.  Rés.  Dép.  pol.  N°  498  et  500  de  Botmiliau.  Tunis,  30  mai  et  9  juin  1871  ;  A.  E.  Tunis  vol.  35  :  Règlement 
du  Tribunal  mixte  à  Tunis.  Tunis,  s.  d.  (pp.  308-323  du  vol.  35). 


288 


L'Angleterre  avait  donné  son  accord  ;  la  France  ne  se  montrait  point  hostile; 
seule,  l'Italie  soulevait  des  objections  sur  le  maintien  des  droits  acquis  par  l'usage. 
Les  négociations  furent  menées  avec  lenteur  ;  la  question  des  juridictions  consulaires 
était  liée  au  statut  même  des  Européens  dans  la  Régence.  Le  problème  était  le  même 
dans  tout  l'Orient  musulman,  et  le  gouvernement  français  hésitait  à  créer  un  précédent 
dont  on  pourrait  se  prévaloir  dans  d'autres  pays  soumis  également  au  régime  des 
Capitulations®!.  La  France  et  l'Italie  ayant  donné  finalement  leur  accord  de  principe,  un 
projet  de  règlement  fut  élaboré  à  Tunis  par  le  juge  consulaire  italien  Puliga,  en  1873. 
Les  tribunaux  mixtes  seraient  composés  en  majorité  d'Européens,  sous  la  présidence 
d'un  Tunisien  ;  ils  jugeraient  d'après  un  code  rédigé  à  leur  usage,  qui  s'inspirait  surtout 
des  codes  mis  en  vigueur  dans  l'Empire  ottoman®^.  En  avril  1874,  tous  les  consuls, 
le  gouvernement  tunisien  avaient  donné  leur  adhésion.  En  attendant  la  ratification 
officielle  du  projet  par  les  gouvernements  européens,  Khérédine  décida  d'instituer  une 
commission  mixte  provisoire  de  trois  membres®®  pour  régler  les  affaires  dont  l'enjeu  ne 
dépassait  pas  1.000  piastres  (6  juillet  1874).  La  commission  fonctionna  à  la  satisfaction 
générale.  Khérédine  espérait  la  conclusion  rapide  d'un  accord  définitif  pour  installer  les 
tribunaux.  Mais,  très  vite,  il  apparut  que  l'Italie  ne  cherchait  qu'à  se  dérober®"*. 

Dix  mois  s'écoulèrent  sans  que  les  négociations  aient  fait  le  moindre  progrès.  En 
août  1875,  Khérédine  essayait  d'enlever  une  décision,  mais  il  devait  bientôt  perdre 
tout  espoir  d'aboutir,  car  le  gouvernement  français,  à  son  tour,  refusait  de  s'engager. 
En  juin  1875,  le  duc  Decazes,  ministre  des  Affaires  étrangères  français,  confiait  à 
l'ambassadeur  d'Angleterre,  lord  Lyons,  qu'il  lui  était  impossible  de  soutenir  le  projet 
tunisien  en  raison  de  l'accueil  qu'avait  fait  l'Assemblée  Nationale  à  un  projet  analogue 
sur  la  réforme  judiciaire  en  Egypte®®.  Khérédine  n'insista  plus  ;  les  choses  en  restèrent 
donc  là.  La  commission  provisoire  continua  de  fonctionner  pour  les  délits  mineurs.  Le 
projet  de  réforme  resta  dans  les  cartons  du  gouvernement  tunisien,  en  attendant  des 
circonstances  plus  favorables  qui  ne  se  présentèrent  point. 

Khérédine  n'eut  pas  plus  de  succès  avec  son  projet  de  limitation  des  protections 
étrangères.  La  plupart  des  Juifs  tunisiens  essayaient  en  effet  d'échapper  à  la  juridiction 
beylicale  en  sollicitant  la  protection  d'un  consulat.  Presque  tous  les  Livournais  étaient 
devenus  ou  redevenus  sujets  italiens.  Depuis  le  décret  Crémieux,  les  Juifs  indigènes 
arguaient  d'une  prétendue  origine  algérienne  pour  obtenir  la  citoyenneté  française  ; 
d'autres  achetaient  des  patentes  de  protection  au  chancelier  du  consulat  d'Espagne,  dès 


51  A.  E.  Tunis,  vol.  39.  Notes  marginales  sur  dép.  de  Botmiliau  du  8  janvier  1873. 

52  Les  affaires  de  moins  de  1.000  piastres  seraient  examinées  par  une  commission  composée  d*un  Tunisien  et 
de  deux  Européens.  Les  autres  contestations  seraient  déférées  devant  un  tribunal  de  première  instance  de 
cinq  membres,  deux  tunisiens  et  trois  Européens  choisis  sur  une  liste  de  notables  et  d'officiers  consulaires 
dressée  par  les  consuls.  Appel  pouvait  être  porté  devant  une  cour  d'appel  mixte  formée  de  trois  ministres  ou 
hauts  fonctionnaires  tunisiens  et  des  trois  consuls  de  France,  d'Angleterre  et  d'Italie  (F.  0.102/106).  Wood  à 
Granville.  Tunis,  5  mai  1873  :  Règlement  du  Tribunal  mixte  de  Tunis,  113  art  [en  français]  ;  Ibid.  Wood  à  Derby 
Tunis,  27  avril  1874). 

53  Le  premier  drogman  du  consulat  de  France,  de  Sainte  Marie,  et  le  chancelier  du  consulat  d'Angleterre,  Pisani, 
sous  la  présidence  de  l'aminé  du  commerce  de  Tunis.  (A.  E.  Tunis,  vol  41.  Dép.  de  Billing.  Tunis,  18  Janvier 
1874). 

54  F.  0.  102/106.  A.  Wood  F.  0.  22  août  1874  ;  dép.  n°  44  et  45  de  Wood.  Tunis,  22  septembre  1874  ;  Paget  à 
Derby.  Lucques,  6  juillet  1875. 

Pinna  exprimait  son  opinion  de  façon  plus  triviale  :  en  juin  1875,  il  déclarait  publiquement,  à  Sfax,  que  les 
tribunaux  mixtes  «étaient  encore  une  cochonnerie  des  consuls  de  France  et  d'Angleterre»  (Arch.  Rés.  dép.  de 
Roustan.  Tunis,  6  juillet  1875  ;  F.  0.102/101.  Wood  à  Derby  Tunis,  2  août  1875). 

55  Ibid.  Lyons  à  Derby,  confid.  Paris,  14  juin  1875. 


289 


qu'ils  étaient  en  difficulté  avec  les  agents  du  bey.  Les  Algériens  musulmans  faisaient 
de  même  :  ils  négligeaient  de  s'inscrire  au  consulat  de  France  pour  éviter  de  payer  une 
petite  redevance  et  ne  songeaient  à  faire  état  de  leur  origine  qu'en  cas  de  nécessité. 
Pour  mettre  fin  à  une  situation  anarchique,  Khérédine  proposa  au  consulat  de  France 
un  règlement  très  simple  :  les  Algériens  seraient  considérés  comme  protégés  français 
pendant  un  stage  de  quelques  années  dans  la  Régence.  Passé  ce  délai,  ils  deviendraient 
Tunisiens  sauf  s'ils  continuaient  de  revendiquer  la  protection  française,  en  s'inscrivant  au 
consulat.  Aucune  réclamation  ne  serait  admise  de  la  part  des  contrevenants  qui  seraient 
expulsés  à  la  première  occasion.  Le  gouvernement  français,  consulté  par  Roustan,  donna 
son  accord,  en  juin  1876^®.  Mais  les  difficultés  rencontrées  par  Khérédine,  sa  chute  du 
pouvoir  empêchèrent  la  conclusion  d'une  convention  définitive  et  le  projet  abandonné 
ne  fut  pas  repris  par  les  successeurs  du  ministre. 

En  revanche,  Khérédine  réussissait  à  s'entendre  avec  les  autorités  françaises  pour  le 
règlement  des  incidents  de  la  frontière.  Vols  de  bétail,  razzias,  fuite  de  nomades  devant 
l'impôt,  ces  incidents  ne  présentaient  généralement  aucune  gravité  quand  les  tribus 
frontalières  ne  se  sentaient  point  soutenues  par  les  autorités  locales.  Depuis  1870, 
les  officiers  français  d'Algérie  manifestaient  moins  d'énergie  dans  leurs  opérations 
de  représailles  et  Khérédine,  de  son  côté,  cherchant  à  limiter  les  conflits,  donnait  des 
conseils  de  modération  aux  caïds  de  la  frontière. 

Pour  rassurer  les  Français,  il  fit  disperser  dans  l'intérieur  des  groupes  de  fuyards 
algériens  qui  se  groupaient  sur  les  confins,  sous  la  protection  des  Ouled  hou  Ghanem  ; 
il  fit  interner  à  Soliman  un  des  chefs  de  la  révolte  de  1871,  Kablouti^^.  En  novembre 
1874,  600  tentes  des  Flammama  passaient  en  territoire  algérien,  mais  le  commandant 
de  la  division  de  Constantine  les  faisait  aussitôt  reconduire  en  Tunisie.  En  juin  1875, 
Khérédine  dépêchait  des  troupes  dans  l'ouest  pour  ramener  le  calme  parmi  des  tribus 
en  querelle  au  voisinage  de  l'Algérie.  Pour  régler  la  vieille  question  des  délimitations  de 
la  frontière,  il  aurait  voulu  ouvrir  des  négociations  avec  le  gouvernement  français,  mais 
Decazes  préféra  s'en  tenir  au  statu  quo^^.  Néanmoins,  Français  et  Tunisiens  trouvèrent  un 
moyen  empirique  mais  pratique  de  régler  leurs  différends.  En  juin  1875,  le  commandant 
d'une  expédition  tunisienne,  le  général  Réchid^^  rencontrait  sur  la  frontière,  à  Sakiet  Sidi 
Youssef,  un  général  français  avec  lequel  il  examinait  les  incidents  qui  s'étaient  produits 
les  mois  précédents.  Une  enquête  sommaire,  des  sanctions  expéditives,  amendes 
collectives  et  restitution  de  bétail,  et  en  moins  d'un  mois,  les  deux  officiers  réussissaient 
à  régler  tous  les  conflits  qui  envenimaient  les  rapports  entre  tribus  voisines®**.  Les 
autorités  françaises  qui,  au  début,  s'étaient  montrées  un  peu  inquiètes  de  cette  initiative 
tunisienne  trouvèrent  le  procédé  commode  :  elles  encouragèrent  le  renouvellement  de 
ces  conférences  qui,  désormais,  se  tinrent  tous  les  ans  au  lieu  consacré  de  Sidi  Youssef. 


56  A.  E.  Tunis.  Comm,  vol.  60.  A  Roustan.  Versailles,  10  juin  1876. 

5  7  Kablouti  était  un  chef  de  spahis  qui  s'était  réfugié  avec  ses  hommes  en  Tunisie,  en  septembre  1871.  Embarqué 
pour  la  Mecque,  sur  la  pression  du  consul  de  France,  il  était  rentré  en  Tunisie  par  Tripoli,  en  juillet  1872 
{Arch.  Rés  Dép.  de  Botmiliau.  Tunis,  30  septembre,  14  octobre  1871  et  12  juillet  1872  ;  Arch.  Guerre.  H  191. 
Rapport  du  général  de  Lacroix  au  ministre  sur  l'insurrection  de  1871.  Alger,  20  janvier  1872. 

58  Ibid.  Decazes  à  Billing.  Paris,  1®^  octobre  1874. 

Le  ministre  rappelait  que  la  France  souhaitait  toujours  un  accord  de  délimitation.  Mais  il  craignait  de  se 
heurter  à  des  prétentions  tunisiennes  exorbitantes  et  de  susciter  l'inquiétude  des  cabinets  étrangers  en  les 
repoussant. 

59  Le  général  Réchid,  agha  du  Kef,  un  des  cinq  homonymes  de  la  cour  du  Bardo. 

60  Arch.  Tun.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  26  juillet  1875. 

Arch.  guerre,  H  193.  Rapports  du  gouverneur  général  au  ministre.  Alger,  14  juillet  1875. 


290 


Cette  bonne  volonté  de  part  et  d'autre,  l'énergie  des  officiers  du  bey  à  réprimer  les 
désordres  en  Tunisie,  firent  régner  sur  la  frontière  une  tranquillité  inhabituelle.  Algériens 
et  Tunisiens  perdirent  l'habitude  de  se  razzier  réciproquement  et  les  incidents  de 
frontière  se  réduisirent  à  des  délits  médiocres,  maraudages  ou  vengeances  individuelles 
qui  ne  mettaient  plus  en  question  la  sécurité  des  confins^i. 

Quelques  années  de  bon  gouvernement  avaient  suffi  à  restaurer  l'ordre  et  la  confiance 
dans  le  pays.  Les  surfaces  cultivées  étaient  partout  en  extension  ;  dans  le  Sahel,  autour 
de  Sfax  surtout,  la  plantation  des  oliviers  connaissait  un  nouvel  essor.  Les  échanges 
commerciaux  retrouvaient  leur  ampleur  et,  les  unes  après  les  autres,  les  compagnies  de 
navigation  européennes  devaient  accroître  leurs  services  tunisiens.  En  quelques  années, 
la  valeur  des  importations  de  la  Régence  doublait®^.  Les  caravanes  recommençaient  à 
sillonner  le  pays  et  reprenaient  leurs  relations  traditionnelles  avec  l'Algérie,  avec  Tripoli 
et  les  oasis  sahariennes.  Le  crédit  de  l'Etat  était  restauré  par  le  paiement  exact  des 
coupons  ;  sur  toutes  les  places  étrangères,  les  obligations  tunisiennes,  régulièrement 
cotées,  connaissaient  des  cours  inégalés.  L'année  1875  était  une  des  plus  heureuses  qu'eût 
connues  la  Régence  depuis  longtemps.  Malgré  les  attaques  de  ses  adversaires,  malgré 
la  jalousie  d'un  Mustapha  ben  Ismaïl,  la  situation  de  Khérédine  paraissait  désormais 
affermie.  Son  prestige  était  rehaussé  par  une  manifestation  spontanée  de  la  colonie 
européenne  qui,  en  avril  1875,  venait  lui  apporter  le  témoignage  de  sa  reconnaissance 
pour  les  efforts  qu'il  avait  tentés  en  faveur  du  relèvement  du  pays. 

Le  succès  de  Khérédine  était  aussi  le  succès  de  la  politique  française  qui,  après  des 
années  d'effacement,  retrouvait  toute  son  influence  au  Bardo.  Villet  à  Paris,  Roustan 
et  Le  Blant  à  Tunis  étaient  les  meilleurs  soutiens  du  premier  ministre.  La  Commission 
financière,  elle-même,  semblait  devenir  une  institution  française,  avec  son  tout  puissant 
vice-président,  véritable  ministre  tunisien  sans  le  titre,  qui  s'arrogeait  un  droit  de 
contrôle  étendu  sur  la  plupart  des  actes  du  gouvernement.  Grâce  à  l'énergie  de  Villet,  la 
commission  avait  maintenu  à  Tunis  l'influence  d'une  France  diminuée  par  ses  défaites  ; 
elle  lui  permettait  de  recouvrer  une  prééminence  à  laquelle  elle  avait  paru  renoncer  en 
1869,  lorsque  le  gouvernement  impérial  acceptait  un  contrôle  financier  triparti  sur  les 
affaires  financières  de  la  Régence. 

Les  cabinets  étrangers  affectaient  de  s'en  alarmer®^.  Rejetés  dans  l'opposition, 
Wood  et  Pinna  dénonçaient  la  politique  du  premier  ministre,  sa  dépendance  étroite 
à  l'égard  du  consulat  de  France.  Selon  Wood,  Khérédine  ne  se  maintenait  que  grâce  à 
l'appui  français  ;  le  bey  supportait  difficilement  son  humeur  impérieuse  et  regrettait 
l'éloignement  de  son  ancien  ministre,  Mustapha  Khaznadar.  De  fait,  le  bey  savait  à  son 
ministre  peu  de  gré  de  ses  efforts.  Khérédine  manquait  de  souplesse  ;  il  ne  savait  pas 
flatter,  amuser  le  prince,  le  gagner  par  de  menus  présents.  Mustapha  ben  Ismaïl,  freiné 


61  Arch.  Guerre,  H.  193.  A  partir  de  1876,  les  rapports  du  général  Vuillemot  sur  la  situation  de  la  frontière  ne 
cessent  de  signaler  de  bons  rapports  avec  la  Tunisie. 

62  11  millions  de  francs,  en  1870,  25  millions,  en  1874  et  20  en  1875. 

63  En  décembre  1873,  l'ambassadeur  d'Allemagne  et  le  ministre  d'Italie  à  Londres  interrogeaient  lord  Granville 
sur  les  ambitions  françaises  en  Tunisie  (F.  0.102/97.  Notes  du  F.  0.  des  29  et  31  décembre  1873).  Le  ministre 
des  Affaires  étrangères  turc  affectait  de  craindre  un  protectorat  français  sur  la  Tunisie  (F.  0.  102/95  Elliot 
à  Granville.  Constantinople,  25  décembre  1873).  Lord  Lyons  interrogeait  le  duc  Decazes  à  ce  propos  et, 
pour  dissiper  toute  inquiétude,  le  ministre  des  Affaires  étrangères  français  chargeait  les  ambassadeurs  à 
Londres  et  à  Vienne,  les  28  et  31  décembre  1873,  de  démentir  formellement  les  projets  qu'on  prêtait  à  la 
France  d'établir  son  protectorat  sur  la  Régence  (Arch.  Rés  dép.  pol  n°  1.  Decazes  à  Vallat.  Paris,  5  janvier 
1874).  Néanmoins  le  ministre  italien  revenait  encore  à  la  charge  auprès  du  cabinet  de  Londres  en  juin  1874 
(F.  0.102/106.  Granville  à  Herries,  chargé  d'affaires  à  Rome.  F.  0.1^^^  juillet  1874). 


291 


dans  ses  dilapidations,  murmurait  contre  la  politique  d'économies  du  premier  ministre. 
Mais  il  n'osait  pas  s'engager  contre  lui.  Brouillé  avec  les  Anglais  et  les  Italiens,  le  favori 
était  retenu  dans  le  parti  français  par  des  encouragements,  des  flatteries,  des  décorations 
qui  lui  procuraient  un  plaisir  enfantin.  Roustan,  indirectement,  protégeait  Khérédine  en 
retenant  Mustapha.  Quelques  maladresses  du  premier  ministre,  le  développement  d'une 
rivalité  franco-italienne  dans  laquelle  il  ne  voulut  point  s'engager  suffirent  à  renverser 
le  fragile  édifice  politique  sur  lequel  il  reposait. 

3  -  Les  rivalités  économiques  et  la  chute  de  Khérédine 

Les  rivalités  économiques  européennes  qui  s'étaient  assoupies  lors  de 
l'effondrement  économique  et  financier  de  la  Tunisie  se  réveillèrent  avec  le  relèvement 
du  pays.  Depuis  1871,  Wood  avait  réussi  à  installer  dans  la  Régence  tout  un  réseau 
de  sociétés  et  d'intérêts  britanniques.  La  compagnie  du  gaz  était  anglaise,  comme  la 
banque  Ranking.  La  seule  voie  ferrée  du  pays,  la  ligne  Tunis-Goulette,  appartenait  à  la 
société  anglaise  Tunis  Railivays.  Les  phares  des  côtes  tunisiennes  avaient  été  installés 
par  des  Anglais.  Wood  avait  obtenu  du  bey  la  promesse  que  la  construction  des  voies 
ferrées  de  Tunis  à  Béja  et  à  Bizerte,  l'exploitation  de  la  mine  de  plomb  de  Djebba  seraient 
réservées  à  des  sociétés  anglaises.  Seule,  l'exploitation  du  télégraphe  demeurait  en  des 
mains  françaises.  Mais  aucune  des  entreprises  que  Wood  avait  attirées  dans  la  Régence 
ne  prospérait.  En  1875,  la  compagnie  du  gaz  était  en  faillite,  avant  d'avoir  pu  achever 
ses  travaux.  Une  autre  compagnie  anglaise,  la  New  Gas  C°,  à  peine  plus  heureuse,  ne 
cherchait  qu'à  se  défaire  d'une  entreprise  lourdement  déficitaire.  La  banque  Ranking 
fermait  ses  guichets  dès  juillet  1876®^.  L'exploitation  du  chemin  de  fer  de  La  Goulette 
continuait  péniblement.  La  compagnie  en  difficulté,  réduisait  en  vain  ses  services,  son 
personnel  et  l'entretien  d'un  misérable  matériel.  A  Londres,  le  président  du  conseil 
d'administration,  sir  George  Balfour,  se  plaignait  amèrement  d'avoir  été  entraîné  par 
Wood  dans  une  désastreuse  opération  financière,  et  refusait  avec  énergie  de  s'engager 
dans  la  construction  d'un  chemin  de  fer  de  Béja  ;  il  déclarait  hautement  qu'il  souhaitait 
seulement  se  débarrasser  d'une  ligne  sans  trafic,  sans  voyageurs  ni  marchandises  et 
décourageait  les  capitalistes  anglais  de  s'engager  dans  un  pays  où  ils  ne  trouveraient 
que  des  déceptions^^.  La  déconfiture  des  entreprises  britanniques  laissait  le  champ  libre 
à  de  nouvelles  initiatives.  Mais  les  Français  n'étaient  pas  seuls  désormais  à  pouvoir  en 
profiter.  En  matière  commerciale  comme  dans  le  domaine  de  l'industrie,  les  Italiens 
étaient  maintenant  des  rivaux  déclarés. 

a)  Les  efforts  de  Roustan 

La  crise  financière  avait  désorganisé  les  relations  d'affaires  traditionnelles  entre  la 
France  et  la  Tunisie.  La  plupart  des  négociants  marseillais  et  génois,  durement  atteints 
par  la  banqueroute  de  l'Etat,  avaient  dû  se  retirer  des  affaires  ou  réduire  leurs  opérations. 


64  F.  0.102/123.  Wood  à  Derby.  Tunis,  31  juillet  1876. 

65  F.  O.  102/  100.  Wilkinson,  directeur  de  l'exploitation  du  chemin  de  fer  à  Wood,  22  octobre  1874  (annexe  à 
dép.  de  Wood  à  Derby  du  31  octobre)  et  27  octobre  1874  (annexe  à  dép.  de  Wood  à  Derby  du  24  novembre) 
-  F.  0.102/102.  Lettre  privée  de  Balfour  au  sous-secrétaire  d'Etat  Bourke.  Londres,  15  juin  1875. 

D'après  Wood  (F.  O.  102/100.  A  Derby.  Tunis,  31  octobre  1874),  la  société  était  victime  de  spéculations 
malhonnêtes.  Pickering  qui  avait  lancé  l'affaire,  était  entré  dans  la  nouvelle  société  en  lui  cédant  pour 
225.000  livres  en  obligations  une  ligne  qui  n'en  valait  pas  80.000.  La  société  avait  émis,  en  outre,  des  actions 
pour  250.000  livres.  Il  avait  bientôt  fallu  la  liquider.  Pickering  était  déclaré  en  faillite.  La  société  avait  été 
finalement  reconstituée  et  le  chemin  de  fer  racheté  pour  40.000  livres.  Mais  ce  modeste  capital  ne  pouvait 
pas  même  être  rémunéré. 


292 


À  Tunis,  comme  dans  les  ports  du  Sahel,  le  grand  négoce  était  accaparé  par  des  courtiers 
livournais  enrichis.  Les  membres  de  la  Commission  financière  avaient  placé  leurs  parents, 
leurs  amis  dans  l'administration  des  douanes.  La  protection  dont  ils  jouissaient  auprès 
des  autorités  locales,  les  renseignements  que  leur  fournissait  le  Contrôle,  les  fonds  de 
roulement  dont  ils  disposaient  leur  permettaient  de  faire  une  dure  concurrence  aux 
négociants  indépendants^^.  Qr,  les  Livournais,  sujets  italiens,  étaient  surtout  en  relations 
d'affaires  avec  l'Italie.  Le  commerce  italien  en  profitait  d'autant,  et  les  compagnies  de 
navigation.  Florin  et  surtout  Rubattino,  ne  cessaient  d'étendre  leurs  services.  Tunis 
était  desservie  par  la  compagnie  Rubattino  qui  assurait  une  liaison  hebdomadaire  avec 
Gênes.  En  décembre  1874,  elle  inaugurait,  avec  des  navires  de  médiocre  tonnage,  un 
service  hebdomadaire  de  Tunis  à  Sfax,  par  les  ports  du  Sahel  ;  en  mars  1877,  ce  dernier 
service  était  doublé  ;  en  même  temps,  Rubattino  lançait  une  nouvelle  ligne  Tunis-Malte- 
Tripoli,  Florin  rétablissait  la  liaison  Palerme-Tunis,  abandonnée  depuis  1867.  Le  volume 
des  échanges  commerciaux  italo-tunisiens  s'accroissait.  À  partir  de  1875,  les  navires 
italiens  enlevaient  près  de  la  moitié  des  exportations  de  la  Régence,  ils  assuraient  tout 
le  trafic  de  cabotage  sur  les  côtes  orientales  du  pays  ;  les  exportations  italiennes  se 
développaient  également'’^. 

En  même  temps,  les  Italiens  cherchaient  à  développer  plus  directement  leur 
influence  en  Tunisie.  La  colonie  italienne  était  maintenant  la  plus  nombreuse  des  colonies 
étrangères  ;  si  les  capitaux  étaient  rares  dans  la  péninsule,  des  entreprises  industrielles 
italiennes  pouvaient,  à  Tunis,  compter  sur  le  concours  financier  de  courtiers  livournais 
enrichis  et  sur  la  facilité  de  recruter  une  main  d'œuvre  sicilienne  nombreuse  et  peu 
exigeante. 

En  1874,  Pinna  sollicitait  du  bey  le  droit,  pour  une  compagnie  italienne  qu'il  ne 
nommait  pas,  de  construire  le  chemin  de  fer  de  Tunis  à  Béja.  Plus  heureux,  Wood 


66  Arch.  Rés.  Dép.  Fol  ;  n°  113  de  Roustan.  Tunis,  10  octobre  1876. 

67  II  est  malheureusement  impossible  d'établir  avec  précision  les  positions  commerciales  des  grandes 
puissances,  à  cette  époque.  Les  renseignements  fournis  par  les  sources  françaises,  anglaises  et  italiennes 
sont  incomplets,  peu  détaillés,  contradictoires  parfois.  Le  trafic  est  indiqué,  le  plus  souvent,  par  pavillons  et 
non  par  pays  d'origine  ou  de  destination,  sans  qu'il  soit  fait  mention  du  cabotage  qui  devait  représenter  une 
part  importante  des  échanges  de  Sfax  et  des  ports  du  Sahel.  Le  détail  des  échanges  manque  souvent,  ce  qui 
ne  nous  permet  pas  de  corriger  les  chiffres  des  exportations,  comme  nous  avions  pu  le  faire,  pour  la  période 
1861-1865,  en  retranchant  les  envois  de  numéraire  qui  servaient  à  solder  des  achats  en  Europe,  les  années 
où  récoltes  et  exportations  tunisiennes  étaient  déficitaires. 

Pour  la  période  1875-1878,  la  balance  moyenne  des  échanges  tunisiens,  par  voie  de  mer,  s'établissait  ainsi: 
importations  :  11.947.000  francs  ;  exportations  :  14.973.000  francs.  Nous  avons  essayé  de  déterminer  la 
part  des  trois  grandes  puissances  maritimes  dans  ce  trafic  :  importations  de  France  et  d'Algérie,  29%  (49% 
en  1861-1865)  ;  d'Angleterre  et  de  Malte,  34%  (28%),  d'Italie,  26%  (19%)  ;  exportations  vers  la  France 
18  à  19%  (33%),  vers  l'Angleterre,  au  moins  25%  (18,5%)  l'Italie,  45%  (36,8%).  Les  plaintes  des  agents 
consulaires  français,  les  rapports  optimistes  de  leurs  collègues  italiens  ne  nous  permettent  pas  de  douter  du 
sens  de  l'évolution  commerciale.  Les  achats  tunisiens  en  France  avaient  été  fortement  réduits  par  la  politique 
d'économies  du  gouvernement.  Les  négociants  italiens  étaient  presque  seuls  à  assurer  le  trafic  des  huiles  et 
surtout  des  grains.  L'Angleterre  maintenait  ses  positions,  grâce  à  ses  ventes  régulières  de  cotonnades  ;  par 
ses  achats  de  balles  d'alfa  dans  les  ports  de  Sfax  et  de  Sousse,  elle  avait  sensiblement  accru  la  valeur  de  ses 
importations. 

(Statistiques  commerciales  du  port  de  La  Goulette  en  1875,  1876,  1877  et  1878  établies  par  le  vice-consul 
de  France,  Joseph  Cubisol.  (Arch.  Rés.  ;  A.  E.  Tunis  Comm  vol.  60-61,  passim  ;  Moniteur  des  consulats, 
1876-1879  ;  Recueil  consulaire  belge,  1876,  vol.  22,  pp.  356-362  ;  1879,  vol.  25,  pp.  807-823)  Diplomatie  and 
Consular  Reports,  Documents  imprimés  pour  l'usage  du  Parlement.  Rapports  de  Wood  et  du  vice-consul  à 
Sousse,  Dupuis,  sur  le  commerce  de  la  Régence  et  celui  des  ports  du  Sahel  F.  0.1877-1880,  passim-Rapports 
du  vice-consul  d'Italie  à  Sousse  :  Bolletino  consolare,  vol.  10,  2^»"^  partie,  pp.  474-483  ;  Ibid.  vol.  12,  2®»"®  partie, 
juillet  1876,  pp.  137-180  :  Relazione  storica  e  commerciale  sulla  città  di  Susa). 


293 


l'emportait,  et,  comme  Balfour  refusait  de  s'engager,  il  faisait  accorder  la  concession  au 
banquier  Ranking.  Mais,  financièrement,  celui-ci  n'était  pas  en  état  de  construire  la  voie 
ferrée  ;  Pinna  revenait  à  la  charge  auprès  du  bey,  afin  d'obtenir  le  transfert  delà  concession 
à  une  société  italienne.  En  1875,  on  voyait  reparaître  à  Tunis  le  baron  Castelnuovo. 
Voulant  exploiter  les  concessions  qu'il  avait  naguère  obtenues  du  khaznadar,  la  mine  de 
plomb  du  Djébel  Ressas,  le  droit  d'installer  des  thonaires  sur  toutes  les  côtes  de  Tunisie, 
il  venait  solliciter  du  gouvernement  l'autorisation  d'entreprendre  des  travaux.  Au 
même  moment,  l'arrivée  d'une  expédition  scientifique  italienne^®  qui  se  répandait  avec 
ostentation  dans  le  pays,  soulignait  tout  l'intérêt  que  le  gouvernement  italien  témoignait 
subitement  à  la  Tunisie. 

Inquiet  de  ces  initiatives,  Roustan  ne  voulut  pas  se  laisser  distancer  par  son  collègue 
Pinna.  11  encouraga  le  gouvernement  français  à  achever  au  plus  vite  le  réseau  télégraphique 
qui  lui  avait  été  expressément  concédé  jusqu'à  Djerba'"®  et  plaida  pour  l'extension  des 
services  de  navigation  français,  afin  de  résister  efficacement  à  la  concurrence  italienne. 
En  même  temps,  il  soumettait  à  Khérédine  les  demandes  de  concessions  industrielles 
qui  lui  parvenaient  de  France  :  la  création  d'un  port  à  Carthage,  que  proposait  Oscar 
Gay  en  1874  et  1876,  la  mise  à  l'étude  d'un  vaste  projet  imaginé  par  un  officier  français, 
le  capitaine  Roudaire,  qui  prévoyait  le  percement  de  l'isthme  de  Gabès  et  la  formation 
d'une  mer  intérieure  dans  la  dépression  des  chotts  algéro-tunisiens^^.  Mais  Roustan 
s'attacha  surtout  à  enlever  la  concession  de  ce  magnifique  instrument  de  pénétration 
économique  et  stratégique,  la  ligne  de  la  Medjerda  que  se  disputaient  depuis  deux  ans 
Anglais  et  Italiens.  11  l'emporta.  Khérédine  avait  refusé  la  création  d'un  port  à  Carthage; 
il  accepta  de  concéder  le  chemin  de  fer  de  Béja  à  une  compagnie  française.  Ranking 
ayant  laissé  périmer  ses  droits,  en  mai  1876^1,  la  concession  fut  transférée  sans  difficulté 


68  Un  député,  un  officier  d'Etat-major,  deux  ingénieurs,  un  peintre,  un  photographe,  sous  la  direction  du 
marquis  Antinori,  qui  visitaient  Bizerte  et  la  région  des  chotts  (Arch.  Rés.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  4  mai  et 
15  juin  1875) 

69  11  fut  achevé  au  printemps  de  1877. 

70  Le  capitaine  Roudaire  avait  conçu  ce  projet  en  1873,  à  l'occasion  d'une  mission  topographique  dans  la  région 
de  Biskra,  en  relevant  que  le  niveau  du  chott  Melrhir  se  trouvait  à  25  mètres  au-dessous  de  celui  de  la  mer. 
Il  proposait  l'ouverture  d'un  canal  analogue  à  celui  de  Suez  qui  amènerait  les  eaux  de  la  Méditerranée  dans 
cette  vaste  dépression  où  il  croyait  reconnaître  le  lac  Triton  des  Anciens.  La  formation  d'une  mer  intérieure 
devait,  selon  Roudaire,  provoquer  des  transformations  climatiques  et  permettre  la  mise  en  valeur  de  toute 
une  région  désertique.  Elle  devait  fournir  à  la  France  une  base  de  pénétration  politique  et  commerciale  vers 
l'intérieur  du  continent  africain.  À  trois  reprises  en  1874,  1876  et  1878,  Roudaire  obtint  des  ministères 
de  la  Guerre  et  de  l'Instruction  Publique  d'être  envoyé  en  mission  dans  le  sud  tunisien.  Il  fut  soutenu  par 
Ferdinand  de  Lesseps.  Mais  il  découvrit  que  la  dépression  des  chotts  ne  se  prolongeait  pas  en  Tunisie.  La 
présence  d'un  seuil  rocheux  dans  la  région  de  Gabès,  la  masse  boueuse  du  Djérid  étaient  d'autres  obstacles. 
En  1881,  Roudaire  suggéra  l'ouverture  d'un  canal  de  145  kilomètres  entre  la  Méditerranée  et  le  chott  El 
Rharsa,  mais  ce  coûteux  projet  fut  repoussé  par  une  commission  ministérielle  en  1882. 

L'initiative  du  capitaine  Roudaire  avait  suscité  un  vif  intérêt  en  Europe  et  en  Tunisie.  Une  mission  scientifique 
italienne  venait  étudier  la  région  des  chotts,  en  1875.  Wood  qui  redoutait  de  voir  les  Français  s'installer 
en  maîtres  dans  le  Sud  tunisien,  rédigea,  en  1874,  une  brochure  hostile  au  projet  qu'il  fit  publier  en  1876 
(.Report  on  the  Sea  ofTriton  and  the  Chotts  ofAlgeria  :  F.  0.102/  104.  Wood  à  Derby,  Tunis,  22  février  1876). 
Roustan,  par  principe,  soutenait  le  projet,  mais  il  semblait  plutôt  douter  de  l'intérêt  de  l'entreprise  (A.  E. 
Tunis.  Mém.  et  Doc.  vol.  4  à  7  :  Projet  de  mer  intérieure) 

71  Concession  pour  99  ans,  à  dater  du  7  mai  1877. 


294 


au  directeur  de  la  société  des  Batignolles^^^  Ernest  Goiiin^^  aussitôt,  la  rétrocéda 
à  une  filiale,  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma^^.  Mais  la  société  ne 
voulait  pas  s'engager  sans  une  subvention  gouvernementale  ou  une  garantie  d'intérêt 
que  la  Tunisie  était  incapable  de  fournir.  Roustan  et  Villet  s'employèrent  à  démontrer  au 
gouvernement  français  tout  l'intérêt  économique  et  stratégique  d'une  ligne  qui  devait, 
un  jour  ou  l'autre,  relier  Tunis  à  l'Algérie.  Le  projet  de  loi  fut  voté  «à  la  vapeur»  par 
le  Parlement,  les  19  et  24  mars  1877,  avec  l'accord  des  principaux  chefs  de  groupes^®. 


72  «Vous  avez  affaire  avec  une  maison  sérieuse,  honnête,  la  maison  Goiiin,  «écrivait  Villet»,  «la  Banque  de  Paris 
est  prête  à  garantir  tous  les  capitaux  nécessaires»  (Doc.  sur  Khérédine,  correspondance  inédite,  op.  cit  Villet 
à  Khérédine  Paris,  27  février  1877). 

La  société  des  Batignolles  était  une  entreprise  familiale  fondée,  en  1846,  pour  la  construction  de  locomotives, 
sous  la  raison  sociale  Ernest  Goùin  et  Cie,  société  en  commandite  par  actions,  soutenue,  à  l'origine,  par 
Rothschild,  Hottinguer,  d'Eichtal,  Thurneyssen,  Fould,  Talabot,  le  duc  de  Galliera. 

L'usine  fut  installée  dans  le  village  des  Batignolles,  près  de  Paris.  Elle  ne  tarda  pas  à  se  développer.  Ernest 
Goiiin  adjoignit  à  la  fabrication  des  locomotives  la  construction  de  ponts  et  d'ouvrages  d'art  métalliques.  11 
construisit  des  ponts  en  France  et  en  Russie  et,  à  partir  del862,  se  lança  dans  la  construction  de  voies  ferrées, 
en  Espagne,  puis  en  Italie.  Réorganisée  en  1872,  l'entreprise  en  commandite  devint  une  société  anonyme 
qui  prit  le  nom  de  Société  de  construction  des  Batignolles,  mais  qui  demeura  essentiellement  l'affaire  de  la 
famille  Goiiin,  Ernest,  le  fondateur,  et  son  fils  Jules  qu'il  s'était  associé.  L'activité  de  la  société  demeurait  la 
même,  fabrication  de  locomotives,  construction  de  ponts  et  de  voies  ferrées,  en  France  et  dans  les  Balkans. 
En  décembre  1874,  la  société  obtint  du  conseil  général  de  Constantine  la  concession  de  90  kilomètres  de 
voies  ferrées.  En  avril  1875,  avec  le  soutien  du  Comptoir  d'Escompte  et  de  la  Banque  de  Paris,  fut  fondée 
la  société  anonyme  du  chemin  de  fer  de  Bône  à  Guelma,  une  filiale,  à  qui  fut  confiée  la  construction  et 
l'exploitation  d'un  réseau  algéro-tunisien  de  plus  de  2.000  kilomètres.  Désormais  la  Société  des  Batignolles 
allait  se  consacrer  surtout  aux  entreprises  coloniales,  construction  du  chemin  de  fer  Dakar-Saint  Louis,  du 
port  de  Tunis,  de  la  ligne  du  Yunnan,  tout  en  continuant  de  travailler  en  Russie  (pont  Troïtsky  sur  la  Néva, 
ouvrages  d'art  du  Transsibérien)  et  dans  les  Balkans  (port  de  Bourgas,  ligne  du  Pirée  à  Salonique). 

Après  la  guerre  de  1914-1918,  la  Société  des  Batignolles  s'unit  à  la  Compagnie  des  Forges  de  Châtillon- 
Commentry  et  transféra  à  Nantes  son  usine  de  locomotives.  Mais  la  construction  métallique  demeura 
l'activité  principale  de  la  société,  une  des  premières  entreprises  d'Europe  en  ce  domaine.  Entre  les  deux 
guerres,  elle  construisait  le  port  de  Gdynia,  le  Congo-Océan,  le  barrage  de  Sansanding  et  divers  autres 
ouvrages  coloniaux.  De  nos  jours,  elle  participe  aux  grands  travaux  entrepris  en  France,  depuis  1945,  comme 
ceux  de  l'aménagement  du  Rhône.  Depuis  sa  fondation,  la  Société  des  Batignolles  a  toujours  été  dirigée  par 
des  membres  de  la  famille  Goùin,  fils,  petits-fils  ou  gendres  du  fondateur,  Jules  Goùin,  de  1885  à  1909,  puis 
ses  fils,  Gaston,  Edouard,  Ernest,  l'actuel  président-directeur  général  {Société  des  Batignolles  :  L'œuvre  d'un 
siècle.  Paris,  1952). 

73  GOUIN  (Ernest  Alexandre),  né  à  Tours,  le  22  juillet  1815,  de  Edouard  et  Stéphanie  Goùin,  marié  à  une 
demoiselle  Rodriguès  Henriquès,  mort  à  Paris  le  25  mars  1885.  Il  était,  par  sa  mère,  le  neveu  du  ministre  de 
Louis-Philippe,  Alexandre  Goùin.  Ancien  élève  de  l'école  polytechnique,  il  fonda  la  Société  des  Batignolles, 
puis  la  Compagnie  Bône-Guelma,  avec  le  concours  de  la  Banque  de  Paris  et  des  Pays-Bas  dont  son  cousin, 
Eugène,  était  administrateur.  Président  de  la  chambre  de  commerce  de  Paris,  commandeur  de  la  Légion 
d'honneur,  il  fut  conseiller  municipal  de  Paris,  pendant  quinze  ans  (Etat  civil  Tours  ;  Figaro,  25  mars  1885  : 
notice  nécrologique;  presse  financière,  passim). 

74  La  compagnie,  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma  et  prolongements,  société  anonyme  au  capital  de  12 
millions  de  francs,  porté  à  30  millions  en  1877,  fondée  à  Paris,  en  mars  1875.  Son  conseil  d'administration, 
composé  à  l'origine  de  7  membres,  fut  porté  à  16  membres  en  1877.  On  y  relevait  les  noms  des  banquiers 
Jacques  SIEGFRIED,  administrateur  du  Comptoir  d'Escompte,  Charles  SAUTTER,  directeur  de  la  Banque  de 
Paris  et  des  Pays-Bas,  de  Stéphane  GOUIN  et  Wilbrod  Chabrol,  frère  et  gendre  du  directeur  de  la  Société  des 
Batignolles  ;  et  de  plusieurs  ingénieurs  civils,  sous  la  présidence  de  Charles  Géry,  ancien  préfet  et  ancien 
conseiller  d'Etat  (Compagnie  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma...  Actes  organiques,  Paris,  1912  Semaine 

financière,  4  août  1877  :  Assemblée  générale  extraordinaire  de  la  Compagnie  Bône-Guelma,  le  31  juillet 
1877). 

75  Doc.  sur  Khérédine.  Correspondance  inédite,  op.  cit.  Villet  à  Khérédine.  Paris,  13  mars  1877  :  «Le  projet  de 
loi  Chemins  Algériens  est  déposé-  il  va  être  voté  à  la  vapeur-  je  crois  être  sûr  que  tout  le  monde  blanc,  rose 
ou  rouge  est  d'accord  pour  aller  le  plus  vite  et  le  plus  silencieusement  possible».  Ibid.  Villet  à  Khérédine 
Paris,  27  mars  1877  :  «Au  Sénat  seulement,  un  M.  Labiche  a  été  indiscret...  J'ai  voulu  savoir  le  motif  de  son 
attitude  désapprouvée  par  tous-il  est  simple.  Ce  M.  Labiche  n'a  été  que  le  porte-parole  de  M.  Lucet  sénateur 
de  Constantine,  intéressé  dans  les  chemins  de  l'Est  algérien  et  qui  n'est  pas  content  des  facilités  concédées 
à  la  nouvelle  compagnie  rivale.  Péreire,  dans  son  journal  (La  Liberté)  a  aussi  exhalé  des  envies». 


295 


Il  accordait  à  la  compagnie  Bône-Guelma  une  garantie  d'intérêt  de  6%  sur  le  capital 
qu'elle  engagerait  dans  la  construction  de  son  réseau  algérien,  ligne  de  Tunis  comprise. 
Dès  lors,  les  choses  allèrent  rapidement.  En  mai  1877,  la  compagnie  Bône-Guelma 
décidait  de  doubler  son  capital  et  de  lancer  un  emprunt  de  60  millions  avec  l'appui  de 
la  Banque  de  Paris  et  des  Pays-Bas^^.  Les  premiers  travaux  commençaient  aussitôt  et, 
dès  le  mois  d'avril  1879,  la  première  moitié  de  la  voie  ferrée  était  ouverte  au  trafic. 
Mais  le  décret  de  concession  de  1876  n'accordait  à  la  société  que  le  droit  de  construire 
une  ligne  de  Tunis  à  Béja  et  au  district  de  Dakhla  Jendouba,  à  quarante  kilomètres  de 
la  frontière  algérienne.  La  société  française  espérait  que  le  gouvernement  tunisien  lui 
accorderait  aisément  le  droit  de  raccorder  la  ligne  de  Tunis  à  son  réseau  d'Algérie.  Mais 
Khérédine  ne  voulait  entendre  parler  ni  de  raccordement,  ni  d'extension  de  la  ligne 
tunisienne  en  direction  de  Sousse  ou  de  Bizerte.  Il  ne  voulait  pas  prêter  le  flanc  aux 
critiques  de  ses  adversaires  qui  l'accusaient  de  vendre  la  Tunisie  aux  Français.  S'il  tenait 
à  servir  les  intérêts  de  son  pays,  en  favorisant  l'acheminement  vers  Tunis  des  grains  de 
la  Medjerda,  il  ne  voulait  pas  s'exposer  à  ce  qu'ils  fussent  détournés  à  l'ouest  vers  le  port 
de  Bône.  Plus  encore,  il  craignait  qu'un  réseau  algéro-tunisien  n'offrît  trop  de  facilités 
à  une  invasion  venue  d'Algérie.  Malgré  les  suggestions  de  Roustan,  il  refusa  tout  net  de 
discuter  la  question.  Économiquement  et  politiquement,  il  voulait  maintenir  l'équilibre 
entre  les  grandes  puissances  et  ne  se  livrer  à  aucune  d'entre  elles.  Selon  lui,  les  Français 
avaient  eu  suffisamment  d'avantages.  Il  refusa  d'accorder  à  la  société  Bône-Guelma  le 
droit  d'exploiter  les  forêts  de  Tabarka^^  et,  s'il  laissa  le  capitaine  Roudaire  étudier  la 
région  des  chotts,  il  ne  cachait  pas  qu'il  ne  ferait  rien  pour  persuader  le  bey,  sceptique  et 
hostile^®,  d'autoriser  l'ouverture  éventuelle  des  travaux.  En  revanche,  il  tolérait  quelques 
entreprises  italiennes  :  s'il  prenait  ses  précautions  vis-à-vis  d'un  Castelnuovo  dont  il 
connaissait  les  méthodes,  il  ne  lui  suscitait  point  d'obstacles  pour  l'empêcher  d'exploiter 
sa  mine  du  Djébel  Ressas^^.  Il  ne  faisait  rien  pour  annuler  la  concession  de  la  ligne  Tunis- 
Hammam-Lif,  accordée  en  1872  par  le  khaznadar  à  l'Italien  Mancardi. 

b)  La  chute  de  Khérédine 

Avec  Khérédine,  Roustan  perdait  tout  espoir  de  réaliser  ce  plan  d'une  vaste 
pénétration  économique  qu'il  méditait  déjà.  Trop  indépendant,  trop  patriote,  le  ministre 
tunisien  était  gênant.  Roustan  provoqua  sa  chute  en  l'abandonnant.  Quelques  difficultés, 
des  incidents  démesurément  grossis  lui  fournirent  le  prétexte  d'un  revirement  et  lui 
permirent  de  préparer  le  quai  d'Orsay  à  une  éventualité  qu'il  avait  toujours  repoussée. 
Le  retour  des  difficultés  financières,  en  1876  et  1877,  fut,  pour  le  consul,  l'occasion  de 
brosser  un  tableau  assez  noir  de  la  situation  de  la  Tunisie,  de  souligner  l'accaparement 
du  Contrôle  et  de  l'administration  des  revenus  concédés  par  les  Juifs  italiens.  Le  Blant 
parti  en  congé,  Khérédine  tombant  malade,  Mustapha  s'employait  aussitôt  à  dilapider  les 
fonds  tenus  en  réserve.  Les  récoltes  de  1875  et  1876  étant  déficitaires,  le  gouvernement 


La  loi  relative  à  la  déclaration  d'utilité  publique  et  à  la  concession  du  réseau  de  chemin  de  fer  de  la  compagnie 
Bône-Guelma,  votée  sans  débat  à  la  Chambre,  fut  adoptée  au  Sénat  par  238  voix  contre  2  et  52  abstentions  et 
promulguée  le  26  mars  0.  O.  20  mars  1877,  p.  2714  :  25  mars  1877,  pp.  2356-2365  ;  séance  du  Sénat  du  24 
mars).  Elle  prévoyait  un  revenu  forfaitaire  de  10,122  Fr.  par  kilomètre  exploité  sur  la  ligne  de  la  Medjerda, 
jusqu'à  concurrence  de  220  km  (/.  O.,  26  mars  1877,  pp.  2435-2445). 

76  Semaine  financière,  2  juin  1877  :  Bône-Guelma,  assemblée  générale  du  23  mai  ;  Journal  des  Actionnaires, 
5  janvier  1878  (Revue  de  l'année  1877). 

77  Arch.  Tun.  Doss.  609,  carton  240. 

78  Le  bey  craignait  que  l'invasion  des  eaux  marines  dans  la  dépression  des  chotts  ne  fasse  périr  tous  les  dattiers 
du  Djérid. 

79  Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  Villet,  8  février  1876. 


296 


devait  emprunter  ;  on  ne  pouvait  payer  qu'à  grand  peine  la  totalité  des  coupons®°. 
Les  campagnes  de  presse  qui  s'étaient  assoupies  depuis  l'été  de  1875  reprirent  avec 
plus  de  violence,  dans  le  courant  de  1876  :  articles  de  Desfossés,  dans  la  République 
française^^,  correspondance  d'un  aventurier  français  installé  à  Tunis,  Pelletier,  dans  une 
feuille  radicale  de  Marseille  que  Khérédine  avait  refusé  de  commanditer,  le  Peuple^^, 
et  surtout  dans  un  hebdomadaire  financier  de  chantage,  la  Réforme  financières^.  Le 
courrier  de  Bône,  l'Economista  de  Malte,  reprenaient  ces  accusations^^^  ;  l'Estafette  de 
Paris,  organe  bonapartiste  que  Khérédine  avait  également  refusé  de  commanditer, 
attaquait  à  son  tour  l'administration  du  premier  ministre,  en  décembre  1876®^.  Les 
fonds  tunisiens  baissaient  et  les  adversaires  de  Khérédine  se  trouvaient  renforcés  par 
un  parti  de  spéculateurs  tunisiens  qui  misaient  sur  la  dépréciation  des  obligations  de  la 
dette  unifiée®*’.  La  Gazette  du  Midi,  journal  légitimiste  de  Marseille,  soutenait  Khérédine, 


80  Les  recettes  nettes  des  revenus  concédés  tombaient  à  8.232.035,  78  piastres,  en  1875-1876,  à  7.142.244,60 
piastres,  en  1876-1877.  Le  gouvernement  dont  les  revenus  étaient  atteints  dans  les  mêmes  proportions, 
devait  fournir  à  la  caisse  des  créanciers  des  subventions  de  2.392.964,22  et  3.482.755,40  piastres  (A.  E. 
Tunis,  vol.  43  et  45  :  états  des  recettes  effectuées  par  l'administration  des  revenus  concédés,  du  1er  juillet 
1875  au  30  juin  1876  et  du  1^^^  juillet  1876  au  30  juin  1877,  dép.  de  Le  Blant,  août  1876  et  1877). 

81  République  française,  1®^  février  1876,  article  où  Khérédine  est  traité  de  fourbe  et  de  menteur  ;  19  avril 
1876.  Les  correspondances  tunisiennes  cessent  ensuite  brusquement.  Roustan  serait,  en  effet,  intervenu 
auprès  d’Antonin  Proust,  par  l'intermédiaire  de  son  camarade  Herbette,  rédacteur  au  Contentieux,  pour  que 
la  direction  du  journal  mît  un  terme  à  ces  attaques  (A.  E.  Tunis,  vol.  64.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  1^*^ 
novembre  1881).  C'était  l'époque  où  Roustan  négociait  le  transfert  de  la  concession  du  chemin  de  fer  à  la 
société  des  Batignolles. 

82  Au  printemps  de  1876,  Khérédine  avait  accepté  de  souscrire  quatre  actions  du  journal  qui  était  alors  en 
voie  de  création.  11  refusa  d'en  prendre  plus,  en  raison  de  la  politique  d'économies  du  gouvernement,  et  finit 
par  renoncer  à  toute  participation  [Doc.  sur  Khérédine.  corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  J.  Lumbroso,  à 
Marseille,  5  avril,  25  avril  et  17  mai  1876).  En  janvier  1877,  Le  Blant,  violemment  pris  à  partie  par  un  article 
du  Peuple  du  4  janvier  (Lettre  de  Tunisie,  Tunis,  27  décembre  1876),  demandait  à  Roustan  l'expulsion  de  son 
auteur.  Pelletier. 

Pelletier  avait  été  déporté  politique  en  1848  ;  il  était  resté  en  Algérie  où  il  devint  greffier  de  justice  de  paix 
à  Guelma,  meunier,  journaliste  à  Bône  et  Constantine,  après  le  4  septembre  1870.  Plusieurs  fois  condamné 
pour  diffamation,  il  passa  en  Tunisie  pour  fuir  la  justice  française  et  s'improvisa  à  Tunis  avocat  devant  les 
cours  consulaires  (Gazette  du  Midi,  1^^  janvier  1877  ;  A.  E.  Tunis  Mém,  et  Doc.  Procès  de  l'Intransigeant,  vol. 
3,  annexe  17  :  Note  sur  Pelletier  par  Roustan). 

83  Réforme  financière  :  série  d'articles  intitulés  Les  Finances  tunisiennes  ou  Les  fonds  tunisiens,  24  septembre, 
15,  22,  29  octobre,  5,12,19,  26  novembre,  31  décembre  1876. 

La  Réforme  financière  était  un  hebdomadaire  fondé  à  Paris  par  Eugène  Mayer  qui,  en  1876,  s'attaquait 
violemment  au  Crédit  Foncier.  Pour  faire  pression  sur  la  direction  de  cet  établissement  au  moment  où  elle 
sollicitait  du  Parlement  le  renouvellement  de  son  privilège,  Mayer  fit  réunir  les  articles  de  son  journal  en 
une  brochure  intitulée  Le  Crédit  Foncier  de  France  devant  les  Chambres  (novembre  1876).  L'édition  en  aurait 
été  achetée  30.000  francs  par  les  dirigeants  du  Crédit  Foncier  qui  la  firent  détruire.  Les  bénéfices  de  cette 
opération  de  chantage  auraient  permis  à  Mayer  d'acheter  la  Lanterne,  en  août  1877.  En  1879,  Mayer  protesta 
devant  un  jury  d'honneur  que  son  opuscule  n'avait  point  été  acheté,  mais  qu'il  avait  reçu  seulement  25.000 
francs  du  baron  de  Soubayran  «pour  concours  de  la  publicité  de  la  Réforme  financière  dans  les  affaires 
égyptiennes»,  en  février  1877  {Lanterne  :  réponse  à  M.  Albert  Christophe  par  Eug.  Mayer,  3  juillet  1879  ; 
Réforme  financière,  6  et  27  juillet  1879). 

84  Pour  réfuter  les  critiques  portées  contre  leur  gestion,  les  contrôleurs  anglais  Levy  et  Azuelos  adressèrent, 
le  22  octobre  1876,  à  Ciantar,  directeur  de  l'Economista,  une  mise  au  point  qui  fut  envoyée  à  toute  la  presse 
(Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  Robert,  novembre  1876  ;  Réforme  financière  : 
Fonds  tunisiens,  19  novembre  1876). 

85  Estafette,  11  décembre  1876. 

En  juillet,  Khérédine  n'avait  pas  accepté  d'entrer  dans  YEstafette  pour  30  ou  50.000  francs,  comme  le  lui 
proposait  Levert,  le  propriétaire  du  journal  (Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  Robert, 
19  juillet  1876).  Il  se  récusait  à  nouveau,  en  janvierl877  (Ibid.  Khérédine  à  Gay,  17  janvier  1877). 

86  Les  cours  de  l'obligation  tunisienne  qui,  pendant  tout  le  premier  semestre  1876,  se  maintenaient  aux 
alentours  de  280  francs,  en  bourse  de  Paris,  tombaient  à  225  Fr.  à  partir  du  mois  de  juillet.  A  Tunis,  ils 
passaient  de  295  Fr.  à  la  mi-juin,  à  235  Fr.  courant  novembre.  Cette  chute  était  provoquée  à  la  fois  par  les 


297 


en  attaquant  les  correspondants  du  Peuple  et  de  la  Réforme  financières^.  Mais  Khérédine 
refusait  de  s'engager  dans  la  polémique,  il  repoussait  les  propositions  d'Oscar  Gay  qui 
lui  offrait  son  concours  intéressé  pour  défendre  son  administration  dans  la  presse 
parisienne®®. 

Roustan  avait  pris  parti  dans  la  querelle.  Dans  sa  correspondance  politique,  il 
dénonçait  la  nullité  et  la  servilité  de  Le  Blant.  il  rendait  le  premier  ministre  responsable 
des  difficultés  qui  assaillaient  le  gouvernement®®.  Les  répercussions  de  la  guerre  de 
Serbie,  à  la  fin  de  1876,  lui  fournirent  le  prétexte  de  dresser  contre  Khérédine  un  véritable 
réquisitoire.  Sollicité  par  le  sultan  d'envoyer  à  Constantinople  un  contingent  pour  la 
défense  de  l'Empire,  Khérédine  s'était  récusé,  en  alléguant  le  mauvais  état  des  finances 
tunisiennes.  Mais  il  prenait  l'initiative  de  manifestations  de  sympathie  en  faveur  de  la 
cause  ottomane,  il  ouvrait  dans  le  pays  une  souscription  qui  rassemblait  trois  millions  de 
piastres  et  autorisait  l'envoi  à  Constantinople  de  mulets,  de  chevaux  et  d'équipements. 
Khérédine  restait  fidèle  à  une  politique  de  rapprochement  avec  l'Empire  ottoman  qu'il 
défendait  depuis  vingt  ans.  Roustan  essayait  en  vain  d'obtenir  que  le  bey  proclamât  sa 
neutralité  dans  la  guerre  russo-turque  ;  il  dénonçait  le  fanatisme  musulman  du  premier 
ministre,  sa  mauvaise  volonté  à  l'égard  des  intérêts  français  :  «Khérédine  ne  se  lasse  pas 
de  ses  manifestations  de  vassalité,  il  a  dépassé  tous  les  valys  de  l'Empire  -  C'est  là  une 
question  de  fanatisme  contre  laquelle  toutes  les  considérations  politiques  ne  sauraient 
prévaloir  auprès  du  premier  ministre®**».  De  leur  côté,  les  agents  du  khaznadar  profitaient 
des  circonstances  pour  s'acharner  contre  Khérédine.  Desfossés  préparait  contre  lui  un 
de  ses  plus  violents  pamphlets®L  Wood  et  Pinna  ne  cessaient  d'intriguer  et  de  répandre 
de  faux  bruits,  afin  de  perdre  le  ministre  dans  l'esprit  du  prince®^.  Mustapha  ben  Ismaïl 


difficultés  des  finances  tunisiennes,  la  dépréciation  générale  des  «valeurs  à  turban»  et  la  campagne  menée 
par  les  agents  du  khaznadar.  Un  parti  baissier,  dirigé  à  Tunis  par  un  ami  du  khaznadar,  le  Juif  tunisien  Ben 
Attar,  l'emportait  sur  les  spéculateurs  à  la  hausse,  qui  subissaient  des  pertes  considérables.  Pour  soutenir 
ceux-ci  et  pour  enrayer  la  baisse,  Khérédine  intervenait  par  des  avances  et  le  rachat  de  plusieurs  milliers 
d'obligations,  intervention  qui  provoquait  la  fureur  du  parti  adverse  (Semaine financière  :  Les  Fonds  tunisiens, 
28  octobre  1876  ;  Avv.  di  Sardegna,  10  février,  15  juin,  6,  14  et  27  juillet,  10  août,  4  et  9  novembre  1876  ; 
Réforme  financière  :  Les  Finances  tunisiennes,  24  septembre  1876,  Les  Fonds  tunisiens,  15  octobre  1876,  Les 
Finances  tunisiennes  29  octobre  1876,  Lesfonds  tunisiens,  5  et  12  novembre,  30  décembre  1876,4  février,  22 
avril  1877). 

87  «Les  reptiles  vomis  sur  nos  bords  sont  pour  la  plupart  des  avocats  expulsés  de  leur  ordre  [Desfossés]  ou 
de  méchants  journalistes  enfuis  devant  la  prison  et  l'amende  [Pelletier].  Il  faut  que  ces  gens  la  mangent  et 
s'abreuvent  surtout.  C'est  par  la  plume  qu'ils  s'efforcent  à  pourvoir  à  ce  double  besoin  (Gazette  du  Midi,  28 
novembre  1877).  L'officine  qui,  à  Tunis,  s'occupe  «à  saper  le  crédit  tunisien  et  alarmer  les  possesseurs  de 
titres  a  une  associée  à  Paris  qu'elle  fournit  de  ses  préparations  vénéneuses.  C'est  une  feuille  financière  sans 
estime  comme  sans  lecteurs»  (Ibid.  8,  février  1877). 

Nous  ne  connaissons  pas  le  correspondant  de  la  Gazette  du  Midi,  Français  établi  à  Tunis,  selon  Khérédine 
(Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  H.  Beuf,  9  juillet  1878).  Ce  ne  serait  pas  Nonce  Rocca 
qui  s'en  défendait  (Gazette  du  Midi,  25  novembre  1875). 

88  Gay  proposait  «de  mettre  à  la  disposition  du  gouvernement  de  S.  A  un  grand  journal  de  Paris  qui,  pendant 
deux  ans,  traiterait  de  toutes  les  questions  touchant  la  Tunisie  moyennant  une  somme  de  30.000  francs 
déboursée  une  fois  pour  toutes».  11  est  possible  qu'il  se  fût  agi  de  l'Estafette  dont  Gay  proposait  les  services, 
en  janvier  1877.  Mais  Khérédine  prétexta  la  politique  d'économies  de  gouvernement  pour  refuser  (Doc.  sur 
Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  Oscar  Gay,  2  août  1876). 

89  Arch.  Rés  dép.  pol  n°  111  et  113  de  Roustan.  Tunis,  7  et  10  octobre  1876. 

90  A.  E.  Tunis,  vol.  43.  Personnelle  de  Roustan  au  marquis  [de  Tamisier  ?]  Tunis,  3  octobre  1876. 

Il  adoptait  le  même  ton  dans  sa  correspondance  officielle,  en  avril  1877  (Ibid.  Vol. 44). 

91  Affaires  d'Orient.  La  Tunisie.  Histoire,  finances,  politique.  Paris  1877,  in  4°,  75  p.  Il  y  attaquait  Le  Blant  et 
surtout  Khérédine,  «l'homme  néfaste»  (p.  47),  «d'abjecte  origine»  (p.  53)  et  louait  sans  réserve  le  khaznadar, 
«la  plus  glorieuse  personnification  de  cette  classe  de  mamelucks»  (p.  53) 

92  Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite,  op.  cit.  Lettre  de  Khérédine  à  Villet  sur  sa  démission,  24  juillet  1877. 


298 


n'avait  aucune  peine  à  faire  admettre  au  bey  la  nécessité  de  se  séparer  d'un  ministre  qu'il 
aimait  peu.  En  juillet-août  1876,  déjà,  la  disgrâce  de  Khérédine  semblait  imminente  :  le  bey 
avait  mal  accepté  la  réduction  de  sa  liste  civile.  Decazes  conseillait  à  Roustan  de  soutenir 
le  ministre  et  proposait  de  faire  pression  sur  le  bey  en  envoyant  une  escadre  dans  les 
eaux  de  La  Goulette.  Roustan  temporisa  et  conseilla  à  Mustapha  la  modération.  La  guerre 
d'Orient,  le  refus  renouvelé  de  Khérédine  d'accepter  le  raccordement  de  la  voie  ferrée 
lui  fournirent  de  nouveaux  arguments  pour  expliquer  son  attitude.  Au  printemps  de 
1877,  la  rupture  était  évidente  entre  le  premier  ministre  et  le  favori  du  bey.  Khérédine 
mit  contre  lui  l'entourage  du  prince  en  proposant  de  nouvelles  économies  sur  la  maison 
du  bey  et  les  pensions  des  princes.  Sa  destitution  était  déjà  décidée  ;  il  la  précipita  par 
son  attitude  tranchante^^  :  le  22  juillet  1877,  le  bey  lui  demandait  sa  démission. 

Ainsi  s'achevait  une  expérience  de  quatre  années  à  peine.  Amené  au  pouvoir  par 
une  intrigue  de  harem,  Khérédine  en  était  chassé  par  une  autre  intrigue,  sans  avoir  eu 
le  temps  d'achever  son  œuvre.  Pour  mener  à  bien  la  tâche  qu'il  avait  si  heureusement 
entreprise,  il  lui  aurait  fallu  de  longues  années  de  pouvoir  et  de  tranquillité.  Faute 
d'être  poursuivies,  les  réformes  qu'il  avait  proposées  ne  furent  bientôt  plus  que  de 
vains  souvenirs.  Du  moins,  le  passage  de  Khérédine  aux  affaires  avait-il  valu  à  la  Tunisie 
quelques  années  de  répit,  une  brève  convalescence  entre  des  périodes  d'anarchie. 

L'homme  ne  manquait  pas  de  défauts,  sans  doute  :  il  était  orgueilleux,  tranchant, 
hautain  ;  ses  idées  étaient  courtes,  bien  souvent,  et  son  programme  manquait  d'ampleur. 
Mais  il  avait  du  bon  sens,  de  l'énergie,  un  rare  souci  de  l'intérêt  général  et,  surtout,  le 
sentiment  le  plus  élevé  de  sa  mission.  En  Khérédine,  la  Tunisie  perdait  un  véritable 
homme  de  gouvernement  et  un  patriote  sincère,  le  dernier  des  grands  ministres  qu'elle 
eût  connu  depuis  longtemps. 

Khérédine,  en  effet,  n'allait  pas  demeurer  dans  la  Régence.  Dès  le  mois  d'août  1877, 
il  partait  pour  une  cure  à  Vichy.  Après  avoir  voyagé  en  France  et  en  Italie,  il  rentra  à 
Tunis,  sur  les  instances  de  sa  famille,  à  la  fin  de  décembre  1877,  pour  se  trouver  en 
quarantaine  absolue  dans  son  palais  de  la  Manouba^^.  Abandonné  par  tous  ses  amis,  il 
n'avait  pas  d'autre  solution  que  l'exil.  Il  songeait  à  partir  pour  Constantinople  lorsque, 
au  retour  d'une  cure  à  Saint-Nectaire,  il  fut  invité  par  le  sultan  à  s'y  rendre,  en  août  1878. 
Ministre  de  la  Justice  en  octobre,  grand  vizir,  en  décembre  1878,  Khérédine  commençait 
une  nouvelle  mais  brève  carrière  en  Turquie®^.  Il  ne  devait  plus  revoir  la  Régence  et 
mourut  à  Constantinople,  en  1889. 

4  -  La  succession  de  Khérédine 

Mustapha  ben  Ismaïl  n'avait  pas  osé  prendre  immédiatement  la  succession  de 
Khérédine.  Mohammed  Khaznadar,  le  conciliant  ministre  de  l'Intérieur,  devint  donc 
premier  ministre  et  président  de  la  Commission  financière,  tandis  que  le  favori  le 
remplaçait  dans  ses  fonctions  de  ministre  de  l'Intérieur  et  de  membre  de  la  Commission. 
Mais  cette  situation  ne  dura  guère.  Mustapha  convoitait  les  fonctions  de  premier  ministre. 
Par  prudence.  Mohammed  Khaznadar  s'effaça  :  le  23  août  1878,  il  prenait  prétexte  de 
son  âge  et  de  sa  santé  pour  offrir  une  démission  que  le  bey  s'empressait  d'accepter 
Mustapha  ben  Ismaïl  devenait  officiellement  premier  ministre. 


93  Ibid,  même  lettre. 

94  Ibid.  Khérédine  à  Villet,  1^' janvier  1878. 

«Impossible  de  vivre  ici  retranché  de  la  société  comme  un  pestiféré»,  écrivait-il  encore  le  9  janvier. 

95  II  démissionna  dès  juillet  1879. 


299 


Grâce  à  Mustapha,  Roustan  devenait  tout  puissant  au  Bardo.  Le  favori  n'aimait 
guère  les  Anglais  ;  il  détestait  tout  particulièrement  les  Italiens  auxquels  il  ne  ménageait 
point  les  avanies®®.  Il  s'empressa  de  faire  accorder  à  la  compagnie  Bône-Guelma  le 
raccordement  de  la  ligne  de  Tunis  que  Khérédine  lui  avait  naguère  refusé.  La  convention 
était  conclue  avec  le  gouvernement  tunisien,  le  28  janvier  1878,  avant  même  que  la 
compagnie  eût  terminé  ses  premiers  travaux  dans  la  région  de  Tunis.  En  récompense, 
Mustapha  obtenait,  sur  la  proposition  de  Roustan,  le  grade  de  commandeur  de  la  Légion 
d'honneur®^.  Invité  à  Paris  pour  l'exposition,  en  mai  1878,  il  y  était  reçu  avec  les  plus 
grands  égards  par  les  autorités  françaises.  Flatté  dans  sa  vanité,  Mustapha  sacrifiait  la 
politique  d'équilibre  entre  les  puissances  qu'avait  préconisée  Khérédine,  pour  consentir 
à  un  rapprochement  inconditionnel  avec  la  France.  Il  semblait  prêt  à  rompre  les  liens 
de  vassalité  qui  unissaient  Tunis  à  l'Empire  ottoman,  à  la  faveur  d'une  déclaration 
d'indépendance  qui  lui  vaudrait  d'être  reconnu  comme  le  premier  ministre  d'un  Etat 
souverain.  Wood  déplorait  l'influence  sans  limites  que  le  favori  exerçait  sur  le  bey.  «Il 
s'est  déjà  mis  entre  les  mains  de  M.  Roustan  et  il  est  fort  probable  qu'afin  de  s'assurer 
sa  protection,  il  servira  ses  projets  et  ses  desseins  en  sacrifiant  les  véritables  intérêts  de 
la  Régence®®». 

En  revanche,  Wood  recevait  un  soutien  imprévu  en  la  personne  de  l'inspecteur 
Le  Blant  dont  les  rapports  avec  Roustan  s'étaient  progressivement  aigris.  Le  départ  de 
Khérédine,  la  mort  du  khaznadar®®  consacraient  un  reclassement  des  partis.  Pendant 
huit  ans  (1869-1877),  Français  et  Anglo-Italiens  s'étaient  affrontés  dans  la  rivalité  qui 
opposait  Khérédine  à  son  beau-père.  A  partir  de  1876-1877,  Roustan  et  ses  amis  se 
heurtaient  à  l'hostilité  d'une  coalition  où  se  réconciliaient  les  anciens  alliés  du  khaznadar, 
Wood,  Pinna,  Hamida  Benaïad,  et  des  amis  de  Khérédine,  comme  Le  Blant,  le  général 
Heussein,  les  contrôleurs  anglo-italiens  et  le  Français  Rocca.  Sans  se  compromettre 
ouvertement,  Mohammed  Khaznadar,  le  général  Baccouche^oo,  directeur  des  Affaires 
étrangères  et  gendre  de  Benaïad,  penchaient  pour  le  parti  anglais.  Les  courtiers  juifs 
du  Contrôle  se  souciaient  peu  de  questions  politiques  ;  ils  ne  songeaient  qu'à  conserver 
les  avantages  d'une  situation  acquise,  en  conformant  leur  attitude  à  leurs  intérêts  du 
moment.  Guttieres  était  passé  du  service  du  khaznadar  au  parti  de  Khérédine  ;  il  quittait 
avec  la  même  indifférence  le  parti  français  pour  retourner  sous  le  patronage  de  Wood. 
De  son  côté,  Heussein  avait  abandonné  Khérédine  pour  conserver  son  portefeuille 
ministériePoi. 


96  Mustapha  aurait  gardé  un  mauvais  souvenir  de  ses  stages  comme  serveur  et  comme  apprenti  perruquier 
dans  des  boutiques  italo-maltaises.  Comme  par  système  il  refusait  de  donner  satisfaction  aux  demandes 
présentées  par  Pinna,  et  certains  Italiens  devaient  s'adresser  à  Roustan  pour  faire  admettre  leurs  requêtes 
par  le  gouvernement  tunisien. 

97  A.  E.  Tunis,  vol.  46  dép.  de  Roustan.  Tunis,  29  janvier  1878  ;  A  Roustan.  Versailles,  12  février  1878, 

98  F.  0.  102/111  Wood  à  Salisbury  Tunis,  21  mai  1878.  Egalement  :  10  mai  et  13  juin  1878.  Khérédine  était 
du  même  avis  :  «Moustapha  Ben  Ismaïl,  poussé  par  une  ambition  coupable,  vaniteuse  et  irréfléchie,  se  jeta 
dans  les  bras  de  l'agent  français  qui  vit  ainsi  ses  vœux  se  réaliser  au  delà  de  ses  espérances.  Dès  lors  le 
consul  de  France  devint  tout  puissant  en  Tunisie  ;  Moustapha  Ben  Ismaïl  et  le  gouvernement  tunisien  ne 
faisaient  plus  rien  sans  le  consulter  et  lui  accordaient  avec  empressement  tout  ce  qu'il  demandait»  (Doc.  sur 
Khérédine,  op.  cit  A  mes  enfants.  R.  T.  1934,  p.  210). 

99  II  mourut  à  Tunis,  le  26  juillet  1878,  à  l'âge  de  61  ans. 

100  Le  colonel,  puis  général  Mohammed  Baccouche,  né  en  1833  d'une  famille  tunisienne  originaire  de  la  région 
de  Nabeul,  dut  son  élévation  à  la  faveur  du  bey  Ahmed.  Il  épousa  Mamia,  fille  de  Hamida  Benaïad.  En  1860, 
il  était  premier  secrétaire  de  Mustapha  Khaznadar  et  devint,  quelques  années  plus  tard,  directeur  du 
ministère  des  Affaires  étrangères,  puis  membre  du  Conseil  d'État.  Il  mourut  en  1896. 

101  Le  général  Roustan  demeura  une  année  en  fonctions  et  donna  sa  démission,  en  septembre  1878. 


300 


L'opposition  entre  Roustan  et  Le  Blant  traduisait  une  rivalité  d'influence  entre 
consuls  et  inspecteurs  des  Finances,  toujours  latente  depuis  l'institution  de  la 
Commission  financière.  Énergique,  autoritaire,  Villet  avait  créé  une  tradition;  il  s'était 
considéré  comme  le  seul  représentant  autorisé  de  la  France  en  Tunisie  ;  on  lui  prêtait 
cette  formule  «qu'il  fallait  dans  la  Régence  un  inspecteur  des  Finances  et  un  élève-consul, 
rien  de  plus^o^».  Les  rapports  entre  Villet  et  les  consuls  n'avaient  pas  toujours  été  faciles. 
Mais  la  lutte  commune  contre  le  khaznadar  avait  contribué  à  maintenir  leur  entente. 
Avec  moins  de  talent  et  surtout  moins  d'énergie.  Le  Blant  avait  essayé  de  suivre  la  même 
politique.  11  soutint  Khérédine  jusqu'au  bout  et  n'admit  pas  le  changement  d'attitude  de 
Roustan  à  son  égard.  Mais  il  ne  sut  pas  résister  aux  invites  du  consul  d'Angleterre  qui 
l'attira  dans  son  camp,  en  entretenant  sa  rivalité  avec  Roustanio^.  Les  questions  d'amour- 
propre,  les  inimitiés  personnelles,  les  conflits  d'intérêts  cristallisaient  l'opposition  entre 
deux  clans,  des  coteries  rivales  plutôt  que  des  partis  politiques,  qui  se  harcelaient  dans 
les  journaux  de  France  et  d'Italie.  Dans  le  Sémaphore  de  Marseilleio^  Van  Gaver  exhalait 
la  rancœur  des  négociants  ruinés  par  les  juifs  livournais  qui  accaparaient  la  Commission 
financière.  Pelletier  qui  avait  mené  campagne  contre  Khérédine  dans  le  Peuple  et  dans 
la  Réforme  financière,  poursuivait  ses  attaques  contre  la  Commission.  Un  journal  de 
Cagliari,  l'Avvenire  di  Sardegna^^^,  qui  était  resté  neutre  dans  la  lutte  entre  Khérédine 
et  le  khaznadar,  prenait  parti  dans  la  querelle  entre  Roustan  et  ses  adversaires,  en 
dénonçant  les  protégés  du  consul  de  France,  la  scandaleuse  administration  de  Mustapha 
ben  Ismaïl. 

a)  L'administration  de  Mustapha 

La  retraite  de  Khérédine  délivrait  le  favori  d'une  surveillance  qu'il  supportait  mal. 
11  put  dès  lors  s'abandonner  sans  retenue  à  ses  mauvais  instincts,  piller  le  bey  et  le  pays 
comme  l'avait  fait  avant  lui  le  khaznadar.  11  installa  dans  toutes  les  charges  de  cour  les 
pourvoyeurs  et  les  mignons  dont  il  s'entourait,  un  Mustapha,  son  homonyme,  dont  il 
faisait  un  colonel,  un  revendeur  de  citrons,  son  neveu  par  alliance,  et  surtout  un  confident 
qui  prenait  sur  lui  un  empire  absolu,  son  aide  de  camp,  Alléla  Bezepo^.  Non  content  de 
dilapider  en  leur  compagnie  la  liste  civile  du  bey,  Mustapha  se  mit  à  accaparer  les  biens  du 
beylik,  sous  le  couvert  de  donations  plus  ou  moins  fallacieuses.  11  collectionna  domaines 


102  A.  E.  Tunis  Mém.  et  Doc.  Procès  de  Y  Intransigeant,  vol.  3  :  Rapport  sur  certains  incidents  du  procès  par 
Jusserand,  p.  83. 

103  «L'inimitié  des  Inspecteurs  des  Finances  à  mon  égard»,  écrivait  Roustan,  «a  pour  cause  le  caractère  violent 
et  haineux  de  M.  Villet  et  l'incroyable  obstination  avec  laquelle  il  se  rattache  aux  questions  tunisiennes 
depuis  son  départ  d'ici...  ;  elle  a  été  habilement  entretenue  par  M.  Wood  et  nourrie  par  des  questions  de 
personnes  dans  lesquelles  se  complaisait  et  s'excitait  l'esprit  étroit  de  M.  Le  Blant»  (A.  E.  Tunis,  Vol.  63 
Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  22  octobre  1881.  Note  annexe  :  Mes  relations  avec  les  Inspecteurs  des 
Finances). 

104  Le  Sémaphore,  fondé  en  1827,  était  l'organe  du  grand  commerce  marseillais.  Les  correspondances 
tunisiennes  du  Sémaphore  n'étaient  pas  signées.  Nous  savons  par  l'Avvenire  diSardegna  (art.  du  3  juin  1880, 
par  exemple)  que  Van  Gaver  en  était  l'auteur 

105  L'Avvenire  di  Sardegna,  giornale  poîitico-intemazionale,  organo  délia  colonia  italiana  nella  Tunisia, 
quotidien  de  Cagliari  fondé  en  1871,  dont  le  propriétaire  directeur  était  Giovanni  de  Francesco.  Les  articles 
hebdomadaires,  puis  bi-hebdomadaires,  que  le  journal  consacrait  à  la  Tunisie  étaient  dûs  le  plus  souvent  à 
de  Francesco  lui-même  (D.  F.),  à  un  Juif  livournais  de  Tunis,  Giuseppe  Morpurgo  (G.  M.),  et  à  un  Y.  que  nous 
n'avons  pu  identifier. 

106  Avv.  di  Sardegna,  17  octobre  1878.  Parmi  les  familiers  de  Mustapha,  le  journal  citait  encore  Sadok  Bezeï, 
frère  d'Alléla,  Ali  ben  Ismaïl,  fournisseur  de  lévriers  et  de  mignons.  A  partir  de  1878,  l'Avvenire  di  Sardegna 
ne  cesse  de  dénoncer  les  exploits  malfaisants  d'Alléla,  «vice  premier  ministre  de  la  Régence»  (5  décembre 
1878). 


301 


Mustapha  ben  Ismaïl 
(L'Illustration,  1881^  p.244). 


et  villas^°^,  se  fit  bâtir  un  vaste  palais  à  Tunis,  rue  du  Pacha.  Il  volait  les  bijoux  du  prince 
et,  pour  meubler  son  palais,  faisait  vider  les  salles  du  Bardo^**®.  La  mort  du  khaznadar 
lui  fournit  l'occasion  d'accaparer  ce  qui  restait  de  sa  succession.  Mustapha  s'empara 
des  clés  du  palais  de  l'ancien  ministre,  brisa  les  scellés  et  fit  transporter  dans  son  palais 
meubles  et  effets^^®.  Mais  la  plus  grande  partie  de  la  fortune  du  khaznadar  se  trouvait 
en  Europe,  valeurs  mobilières  confiées  à  la  garde  de  Sebag,  Lumbroso  et  autres  Dahdah 
qui  avaient  profité  des  circonstances  pour  se  les  approprier^o.  Les  biens  fonciers  qu'il 
avait  dû  abandonner  au  gouvernement,  en  1874,  avaient  été  constitués  en  habous,  au 
profit  du  collège  Sadiki.  Mustapha  fit  nommer  oukil  de  ces  habous  le  président  de  la 
municipalité  et  directeur  du  collège,  Larbi  Zarrouk^k  qui  avait  épousé  une  parente  de 
sa  femme.  Aussitôt,  Mustapha  et  Zarrouk  purent  s'attribuer  en  presque  totalité  les  biens 
du  collège,  en  échange  de  rentes  perpétuelles  insignifiantesii^. 

L'administration  tunisienne  retombait  dans  l'anarchie.  Mustapha  ne  pouvait 
disposer  à  son  gré  de  tous  les  revenus  de  l'Etat,  mais  il  vendait  les  charges  de  caïds 
au  plus  offranL^k  abusait  des  vexations  de  tous  genres  pour  tirer  argent  de  ses 


107  Broadley  donne  une  liste  de  24  domaines  appartenant  ou  ayant  appartenu  à  Mustapha.  Ils  étaient  situés 
dans  le  nord-ouest  de  la  Régence,  près  de  Bizerte,  de  Mateur  ou  Béja.  L’un  d'eux,  le  domaine  Gafour,  proche 
de  Teboursouk,  qui  avait  appartenu  au  khaznadar,  comptait  environ  48.000  hectares.  Il  s'y  ajoutait  encore 
100.000  pieds  d’oliviers,  20  boutiques  et  2  fondouks  dans  la  ville  de  Tunis  (Last Punie  War,  vol.  2,  appendice, 
pp.  370-371|. 

108  Arch.  Tunis.  Doss.  116,  carton  10  :  enquête  sur  l’administration  de  Mustapha  ben  Ismaïl  (1882-1886). 

109  Ibid.  Egalement  Broadley,  op.  cit  vol.  2,  p.  370-371. 

110  Selon  M.  Karroui,  les  quatre  fils  du  khaznadar  n'auraient  rien  revu  de  la  fortune  de  leur  père. 

Sebag  mourait  en  octobre  1879,  ruiné  par  un  coup  de  bourse  malheureux  sur  les  obligations  tunisiennes, 
en  avril  précédent  (F.  0.  102/128.  Reade  à  Salisbury.  Tunis,  7  mai  1880).  Un  administrateur  de  la  Banque 
Ottomane,  le  comte  Pillet-Will,  avait  rapporté  à  Villet  que,  en  1867  ou  1868,  Dahdah  et  Lumbroso  étaient 
venus  le  prier  d'accepter  en  dépôt  15  ou  18  millions  de  valeurs  appartenant  au  khaznadar.  Sur  son  refus,  les 
deux  compères  étaient  allés  porter  les  titres  chez  Erlanger,  et  Pillet-Will  «sut  plus  tard  que  Sidi  Mustapha  n'en 
avait  pas  revu  un  centime»...  11  considérait  Dahdah  et  Lumbroso  «comme  deux  fripons  qui  s'entendaient  avec 
Erlanger  pour  s'approprier  les  valeurs  qui  leur  étaient  confiées».  (Doc.  sur  Khérédine,  op.  cit.  Correspondance  : 
Villet  à  Khérédine  Paris,  6  1875,  R.  T.  1940,  p.296). 

111  Larbi  Zarrouk  n'avait  aucune  parenté  avec  son  homonyme,  le  général  Ahmed  Zarrouk.  Il  descendait  d’une 
vieille  famille  tunisienne  issue  d'une  tribu  du  centre  de  la  Régence  qui  fournissait,  depuis  longtemps,  des 
conseillers  à  la  cour  beylicale.  Le  grand-père  de  Larbi  Zarrouk  avait  été  l'un  des  auteurs  de  la  chute  de 
Youssef  Sahib  et-Tabâa,  le  ministre  de  Hamouda  Bey,  en  1815. 

112  A.  E.  Tunis,  vol.  67.  dép.  de  Lequeux.  Tunis,  16  mars  1882. 

113  Avv.  di  Sardegna,  années  1877-1879,  passim,  notamment  3  octobre  et  7  novembre  1878  (articles  signalant 
la  vente  de  caïdats  du  Sahel  aux  prix  de  150  à  200.000  piastres  comptant). 


302 


subordonnés.  Extorsions  de  fonds  et  arrestations  arbitraires  redevinrent  pratique 
courante.  De  leur  côté,  les  caïds  que  l'on  ne  surveillait  plus  revenaient  à  leurs  méthodes 
traditionnelles.  Dans  l'intérieur  comme  sur  la  frontière,  les  tribus  nomades  retrouvaient 
leurs  vieilles  habitudes  de  brigandage  et  de  razzias  dont  le  détail  monotone  alimentait, 
comme  par  le  passé,  la  chronique  des  incidents  algéro-tunisiens^i^.  Les  créations  de 
Khérédine  étaient  abandonnées.  Le  favori  donnant  l'exemple,  tous  les  administrateurs 
des  biens  habous  s'employèrent  à  détourner  à  leur  profit  les  fondations  dont  ils  avaient 
la  charge.  Dépouillé  de  ses  revenus,  le  collège  Sadiki  ne  pouvait  bientôt  plus  entretenir 
ses  élèves.  Le  matériel  n'était  plus  renouvelé,  les  professeurs  cessaient  d'être  payés. 
L'enseignement  et  la  discipline  en  souffraient  :  en  deux  ou  trois  ans,  le  collège  glissait 
vers  le  sort  misérable  de  l'école  militaire  du  Bardo.  On  cessait  d'entretenir  la  ville  de 
Tunis,  de  nettoyer  les  rues,  de  curer  les  égouts,  de  draguer  la  passe  de  La  Goulette.  La 
monnaie  de  Tunis  recommençait  de  frapper  des  pièces  de  mauvais  aloi  qui  troublaient 
le  commerce  et  désorganisaient  les  transactions^i®.  11  avait  suffi  de  quelques  mois  pour 
annuler  les  persévérants  efforts  de  Khérédine. 

Le  retour  des  mauvaises  récoltes,  à  partir  de  1876,  ramenait  le  déficit  dans  la  caisse 
des  revenus  concédés  comme  dans  le  budget  de  l'Etatu^.  Le  gouvernement  devait  fournir 
des  subventions  pour  payer  les  coupons  de  1876.  Pour  y  parvenir,  il  devait  emprunter  à 
la  Commission  plusieurs  milliers  d'obligations  rachetées  sur  les  excédents  des  années 
précédentes^!^.  11  fallait  recourir  à  l'emprunt  encore,  en  mai  1877,  sans  pouvoir  combler 
le  déficit  des  revenus  concédés.  En  janvier  1878,  on  ne  pouvait  payer  que  les  trois 
cinquièmes  du  coupon.  Le  cours  des  obligations  continuait  de  baisser  en  bourse  de  Paris, 
les  titres  tunisiens  tombaient  de  230  francs,  en  avril  1877,  à  164  francs,  fin  décembre^*. 

b)  Les  embarras  financiers 

Les  mauvaises  campagnes  agricoles  n'étaient  pas  la  seule  raison  des  difficultés 
financières  de  la  Tunisie.  À  partir  de  1877,  les  dilapidations  de  Mustapha  ben  Ismaïl 
venaient  annuler  la  sévère  politique  d'économies  poursuivie  depuis  plusieurs  années  par 
le  Comité  exécutif.  La  Commission  elle-même  n'était  pas  à  l'abri  de  semblables  critiques. 
Les  Juifs  du  Contrôle  et  du  Conseil  d'administration  étaient  avides  et  sans  scrupules.  Pour 
les  tenir  en  bride,  il  avait  fallu  toute  l'énergie  d'un  Villet.  Le  Blantfut  incapable  de  s'imposer. 
Le  départ  de  Khérédine,  l'éloignement  de  Villet  rendirent  plus  évidente  l'insuffisance 
du  vice-président  de  la  Commission  financière.  Au  Comité  exécutif.  Le  Blant  ne  pouvait 
s'appuyer  ni  sur  Mohammad  Khaznadar  qui  n'entendait  rien  en  matière  de  finances,  ni  sur 
le  favori  du  bey.  11  fut  bien  vite  débordé  par  ses  collaborateurs.  Depuis  le  départ  de  Villet, 


114  Arch.  Guerre,  H  193.  :  rapports  du  général  Vuillemot,  1877-1878. 

Roustan  reprochait  aux  officiers  français  de  minimiser  la  gravité  des  incidents  afin  de  faire  valoir  leur 
autorité  sur  la  frontière. 

115  A.  E.  Tunis,  vol.  61.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  4  juin  1878. 

116  Les  recettes  nettes  des  revenus  concédés  tombaient  à  8.232.035,  78  piastres  en  1875-76,  à  7.142.244, 
60  p.  en  1876-77,  à  6.050.138,  72  p.  en  1876-78.  Le  gouvernement  dont  les  revenus  étaient  atteints  dans  les 
mêmes  proportions,  devait  fournir  à  la  caisse  des  créanciers  des  subventions  de  2.392.964,  22  et  3.4  82.755, 
4  0  piastres,  en  1876  et  1877  (A.  E.  Tunis,  vol.  43,  45  et  46.  Etats  des  recettes  effectuées  par  l'administration 
des  revenus  concédés,  du  1^'  juillet  1875  au  30  juin  1876,  du  l^^^  juillet  1876  au  30  juin  1877  et  du  1^'  juillet 
1877  au  30  juin  1878.  Dép.  de  Le  Blant,  Tunis,  août  1876  et  1877,  19  février  1878  ;  dép.  de  Queillé.  Tunis, 
17  septembre  1878). 

117  Emprunt  de  2.510  obligations  à  la  caisse  des  créanciers,  en  mai  1876,  de  3.000  obligations  aux 
commanditaires  du  marché  aux  cuirs,  le  28  juillet  1876  (F.  0.10  2/  108.  Wood  à  Derby.  Tunis,  29  décembre 
1877). 

118  Semaine  financière,  Journal  des  actionnaires,  1877 


303 


la  Commission  tendait  à  devenir  «une  affaire»!^^,  l'affaire  d'une  poignée  de  Livournais  qui 
avaient  placé  les  leurs  à  tous  les  postes  de  commande.  Quatre  Juifs  tenaient  le  contrôle  : 
Levy,  Azuelos,  Moreno,  depuis  1872,  Guttieres,  de  nouveau,  à  partir  de  1874.  Les  Français 
n'étaient  représentés  que  par  Rocca,  maître  d'école  vaniteux,  dont  le  rôle  se  bornait  «à 
rédiger  en  style  fleuri  les  rapports  de  la  Commission  et  ses  réponses  aux  attaques  de  la 
presse  étrangèrei^o»,  Moses  Santillana,  président  du  conseil  d'administration,  avait  placé 
son  fils  David  comme  secrétaire  de  la  Commission;  Giacomo  Guttieres,  ses  frères  dans 
l'administration  des  douanes  ;  Levy,  son  neveu  au  Conseil  d'administration  ;  Azuelos  gérait 
pour  son  compte  la  ferme  des  cuirs.  «Tout  se  passe  en  famille  dans  cette  administration  si 
paternelle»  !,  écrivait  le  correspondant  tunisien  du  Sémaphore^^^. 

A  la  faveur  des  difficultés  financières,  on  vit  se  répéter  les  propositions  des 
courtiers,  offrant,  qui  à  la  commission,  qui  au  gouvernement,  des  avances  à  12%  pour 
parfaire  le  coupon  ou  solder  les  dépenses  courantes.  Le  Blant  ne  savait  pas  les  repousser 
et  les  Juifs  du  Contrôle  offraient  d'enthousiasme  à  leurs  compères  ou  leurs  hommes 
de  paille  quelques  concessions,  quelques  revenus  de  plus  à  administrer.  Les  frais  de 
gestion  se  mirent  à  croître  dangereusement,  alors  que  s'amenuisaient  les  recettesi^z. 
Les  contrôleurs  qui  s'étaient  attribué  de  grasses  indemnités  de  fonctions  laissaient  faire 
leurs  parents  ou  alliés  du  conseil  d'administration.  Tous  s'entendaient  «comme  larrons 
en  foire»  pour  spéculer  en  bourse,  au  besoin  avec  les  fonds  de  roulement  qui  leur  étaient 
confiési23.  Tenant  la  douane,  ils  disposaient  à  leur  gré  du  commerce  de  la  Régence  et  ne 
se  faisaient  pas  faute  de  spéculer  sur  les  cours  des  grains  ou  des  huiles.  L'administration 
directe  des  revenus  concédés  était  la  source  d'autres  ristournes,  de  soultes,  de  pots-de- 
vini24.  «Il  faudrait,  écrivait  Roustan,  «apurer  les  comptes  de  Guttieres  cadet  qui  dirige 
[la]  douane  sous  la  surveillance  de  son  parent  Santillana  père,  président  du  conseil 
d'administration,  et  placé  lui-même  sous  le  contrôle  de  Guttieres  aîné»i25,  flanqué  de 
Santillana  fils,  secrétaire  de  la  commission. 

11  fut  bientôt  évident  que  certaines  branches  de  revenus  concédés  étaient 
exploitées  pour  le  seul  profit  des  agents  de  l'administration,  avec  la  complicité 
des  contrôleurs.  A  Tunis,  la  rumeur  publique  se  mit  à  dénoncer  des  scandalesi^s  ; 
on  réclama  l'affermage  des  revenus,  en  soulignant  qu'une  adjudication  publique 
fournirait  davantage  et  mettrait  fin  à  leur  accaparement  par  une  poignée  d'usuriers. 


119  A.  E.  Tunis,  Vol.  41.  Billing  à  Decazes.  Tunis,  4  août  1874. 

120  Arch.  Rés  dép.  pol  n°  113  de  Roustan.  Tunis,  10  octobre  1876. 

Sancy  ne  s'occupait  de  rien.  Il  était  aussi  souvent  à  Paris  qu'à  Tunis  et  ses  réclamations  contre  le 
gouvernement  tunisien  prenaient  tout  son  temps. 

121  Sémaphore,  29  octobre  1879. 

122  14  à  15%  du  produit  brut  des  revenus  concédés  en  1876-1878,  au  lieu  de  9,5%,  pour  le  premier  exercice 
quinquennal. 

123  Arch.  Rés  Dép.  pol  n  113  de  Roustan.  Tunis,  10  octobre  1876.  C'est  ainsi  que  Sebag  aurait  été  «exécuté»  en 
bourse  de  Tunis,  en  avril  1879  (F.  0.  102/128.  Reade  à  Salisbury.  Tunis,  7  mai  1880  ;  Réforme  financière  : 
Fonds  tunisiens,  11  mai  1879). 

124  Castelnuovo  dut  verser  50.000  piastres  à  Guttieres  et  Azulejos  pour  obtenir  du  gouvernement  le  rachat 
d'une  concession  de  pêche  au  thon  (A.  E.  Tunis,  vol.  47.  Roustan  à  Waddington.  Tunis,  19  février  1879). 

125  Ihid.  Roustan  à  Waddington.  Tunis,  15  janvier  1879. 

L'agent  de  la  commission  à  Sfax,  Solal,  représentait  la  maison  Sberro  et  Guttieres  de  Marseille,  succursale  de 
Levy  et  Guttieres  de  Tunis  (Arch.  Rés.  Mattéi  à  Roustan.  Sfax,  5  novembre  1873).  Il  en  était  de  même  dans 
tous  les  ports  du  Sahel. 

126  «Ces  murmures  étaient  justifiés  jusqu'à  un  certain  point,  au  moins  en  ce  qui  concerne  la  régie  des  Tabacs, 
et  vous  avez  pu  vous  assurer  vous-même  que  la  situation  financière  affichée  par  un  certain  employé  de 
cette  régie  devenait  un  scandale  public»  (Doc.  sur  Khérédine.  Corresp.  inédite,  op.  cit  Khérédine  à  Villet,  23 
novembre  1876). 


304 


Pour  donner  satisfaction  à  l'opinion  publique,  Khérédine  avait  proposé,  en  octobre 
1876,  la  mise  en  fermage  de  six  revenus.  Chez  les  contrôleurs,  ce  fut  un  tollé  général 
de  protestations.  Mais  Khérédine  tint  bon  et  réussit  à  faire  accepter  une  transaction 
qui  portait  sur  l'adjudication  de  quatre  des  revenus  concédési27.  Le  propos  était 
bon,  car  les  revenus  affermés  fournirent  aussitôt  vingt  pour  cent  de  plus  que  sous 
le  régime  de  l'administration  directei^s.  H  aurait  fallu  étendre  la  mesure  à  d'autres 
revenus,  en  particulier  aux  douanes,  dont  les  recettes  restaient  manifestement 
insuffisantes.  Mais  les  contrôleurs  et  leurs  alliés  ne  voulaient  absolument  pas 
abandonner  une  administration  dont  ils  vivaient  et  qui  les  favorisait  dans  leurs 
opérations  spéculatives.  Le  Blant  n'osa  pas  s'engager  contre  eux.  Le  Sémaphore, 
appuyé  par  la  Réforme  financière,  entreprit  alors  une  campagne  contre  le  népotisme 
des  administrateurs,  leur  gestion  égoïste  des  revenus  concédési^s.  Rocca  y  répondait 
en  citant  Mirabeau  et  en  plaidant  le  désintéressement  des  contrôleurs,  mais  sans 
arriver  à  réfuter  les  arguments  de  ses  adversaires^^o. 

Le  Blant  n'avait  pas  su  diriger  l'administration  qui  lui  avait  été  confiée;  il  ne  savait 
pas  mieux  défendre  les  intérêts  des  créanciers  dans  les  opérations  d'emprunt  auxquelles 
il  était  contraint  de  souscrire.  11  ne  cherchait  pas  d'autres  interlocuteurs  que  les  courtiers 
juifs  du  Contrôle  qui,  en  1876,  pouvaient,  sans  concurrence,  offrir  leurs  coûteux  services 
au  Trésor  tunisieni^i.  En  1877,  après  l'échec  d'un  emprunt  destiné  à  assurer  le  paiement 
du  coupon  de  juillet,  il  traitait  avec  Raffo,  le  gendre  de  Woodi32,  à  des  conditions  que  Villet 
lui-même  jugeait  beaucoup  trop  onéreusesi^s.  Sous  prétexte  d'assurer  l'aisance  de  la 


127  Régies  des  Tabacs  et  du  Sel,  marché  aux  légumes,  marché  au  charbon. 

128  Cette  progression  devait  se  confirmer  au  cours  des  années  suivantes.  Ainsi,  la  Régie  des  Tabacs  qui  produisait 
617.116  piastres  en  1876-1877  fournissait  801.730  piastres  en  1877-1878,  925.000  en  1879-1880,  sous  le 
régime  de  l'adjudication. 

129  Sémaphore  :  Lettre  de  Tunisie,  4  et  11  décembre  1877,  30  janvier,  25  avril  1878.  -  Réforme  financière  :  Fonds 
tunisiens,  10,17  et  24  juin,  8  juillet,  2  et  23  septembre,  30  décembre  1877,  6  janvier,  14  avril,  2  juin,  25  août 
1878. 

«C'est  à  elle  [la  Commission]  qu'il  faut  imputer  l'épuisement  et  le  désastre  financier  de  la  Régence.  Mais 
l'incapacité,  nous  dira-t-on,  n'est  pas  une  faute  reprochable  ?  C'est  vrai,  mais  à  l'incapacité  s'ajoute  la 
culpabilité. 

«Ce  n'est  pas  un  mystère  pour  personne  que  plusieurs  des  membres  de  la  Commission  jouent  à  la  Bourse  ; 
qu'ils  spéculent  sur  la  hausse  et  la  baisse,  et  comme,  seuls,  ils  ont  le  secret  de  la  Caisse,  ils  jouent  à  coup  sûr». 
[Réf  financière,  6  janvier  1878). 

130  Sémaphore,  29  décembre  1877,  28  janvier  1878. 

131  Roustan  se  plaignait  qu'en  août  1876.  Le  Blant  eût  concédé  la  gestion  de  la  ferme  des  cuirs  à  Azuelos, 
afin  d'obtenir  l'avance  d'un  million  et  demi  à  12%.  Cette  somme  était  représentée  par  3.000  obligations 
tunisiennes,  «qui  ont  été  calculées  à  54%,  au  lieu  de  51%,  cours  du  jour  de  la  signature  du  contrat,  ce  qui 
constitue  déjà  une  perte  de  45.000  francs  pour  le  Trésor  tunisien».  En  tenant  compte  des  prélèvements 
annexes,  l'emprunt  d'août  1876  coûtait  en  fait  17%  d'intérêts  au  Trésor  (Arch.  Rés.  Dép.  pol  n°  111.  Tunis, 
7  octobre  1876). 

132  RAFFO  (G/useppe-Maria-Gian-Battista),  fils  aîné  du  comte  Felice  et  d'Elizabeth  Mylius,  né  à  Londres,  le  9  juin 
1847.  Il  avait  épousé  à  Tunis,  le  15  avril  1874,  Ferida  Wood,  fille  aînée  du  consul  d'Angleterre  (Reg.  Ste  croix  ; 
Reg.  Somerset  House,  Londres). 

133  Raffo  avançait  deux  millions  de  piastres  au  taux  de  6%.  Le  remboursement  de  cette  somme  était  garanti  par 
l'administration  du  Darel  Djeld,  ou  marché  aux  cuirs,  qui  devait  lui  revenir  trois  ans  plus  tard,  à  l'expiration 
du  privilège  concédé  à  Azuelos.  En  outre,  la  concession  de  la  thonaire  de  Sidi  Daoud  dont  Raffo  devait 
disposer  pendant  quinze  années  encore  était  prolongée  pour  une  nouvelle  période  de  cinquante  ans.  «La 
garantie  de  Dar  el  Djeld»,  écrivait  Roustan,  «est  suffisante  pour  assurer  le  remboursement  en  moins  de 
quatre  ans...  la  concession  de  la  pêcherie  qui  forme  les  épingles  de  ce  marché  représente  un  revenu  annuel 
de  200.000  francs».  Il  y  voyait  le  succès  d'une  intrigue  anglaise  menée  avec  la  complicité  de  Le  Blant  (Arch. 
Rés  Dép.  pol.  n°  31.  Roustan  à  Decazes.  Tunis,  26  mai  1877).  De  son  côté  Villet  écrivait  à  Khérédine  :  «Selon 
moi,  il  vous  égorge,  car  son  privilège  renouvelé  pour  une  période  aussi  longue  valait  bien  quelque  chose  de 
plus».  [Doc.  sur  Khérédine.  Corresp.  inédite,  op.  cit.  Villet  à  Khérédine.  Paris,  29  mai  1877). 


305 


trésorerie  tunisienne,  il  tolérait  les  opérations  usuraires  des  contrôleurs  qui  avançaient 
à  12%  les  fonds  à  recouvrer  sur  le  produit  des  impôts  en  nature.  Mais,  lorsque  des  rivaux 
venaient  faire  leurs  offres  de  service  aux  mêmes  conditions  que  les  leurs,  aussitôt,  tout 
le  contrôle,  avec  une  belle  indignation,  repoussait  des  emprunts  dont  il  dénonçait  les 

néfastes  conséquences^^r. 

En  janvier  1878,  le  coupon  n'était  payé  qu'en  partie  ;  le  gouvernement  n'avait  pu 
rembourser  aucune  des  avances  qu'il  avait  sollicitées.  Une  partie  des  traitements  des 
fonctionnaires  restait  impayée.  Le  bey  devait  à  ses  divers  créanciers  un  million  de  piastres 
environi35,  la  caisse  de  la  Commission,  deux  millions  de  piastres  aux  obligataires.  Une 
nouvelle  dette  flottante  était  en  train  de  se  former.  L'année  1878  ne  s'ouvrait  pas  sous 
des  auspices  plus  favorables.  La  récolte  de  1877  avait  fait  défaut  et,  très  vite,  il  apparut 
que  le  coupon  de  juillet  ne  serait  pas  mieux  payé  que  celui  du  1er  janvier.  En  juillet  1878, 
le  Comité  exécutif  établissait  à  sept  millions  de  piastres  le  passif  du  gouvernement  et 
de  la  caisse  des  revenus  concédési^fi.  Découragé,  Le  Blant  avait  sollicité  son  rappel  en 
France,  en  février  1878.  11  quittait  la  Régence  en  mai  suivant. 

En  fait,  au  terme  d'une  expérience  de  huit  années,  il  apparaissait  surtout  que  les 
charges  imposées  au  gouvernement  tunisien  par  l'arrangement  du  23  mars  1870  étaient 
trop  lourdes  pour  les  ressources  limitées  dont  il  disposait.  Villet  et  Khérédine  étaient 
les  premiers  à  le  reconnaître.  «Depuis  l'institution  de  la  Commission  financière»,  notait 
Khérédine  en  1877,  «le  coupon  n'a  pu  être  payé  intégralement  par  les  revenus  concédés 
que  deux  ans  seulement.  Pour  ces  six  autres  années,  le  Gouvernement  a  dû  s'imposer 
la  lourde  charge  de  subventions  annuelles  de  deux  à  quatre  millions  de  francs  environ, 
de  sorte  que  son  budget,  réduit  par  les  mêmes  causes  qui  ont  diminué  les  recettes  des 
revenus  concédés,  ne  peut  suffire  à  ses  plus  stricts  besoins.  Continuer  ce  système  de 
subvention  est  impossible  dans  un  pays  où  l'agriculture  est  presque  la  seule  ressource 
et  où  l'on  ne  peut  pas  toujours  compter  sur  une  bonne  récolte.  D'autre  part,  recourir  au 
crédit,  même  en  admettant  la  possibilité  de  trouver  un  emprunt,  ne  serait  qu'aggraver 
la  dette  et  empirer  le  mal»i37.  «Les  préoccupations  dont  vous  me  parlez»,  écrivait  Villet, 
«au  sujet  des  charges  qu'imposent  trop  souvent  à  votre  budget  les  insuffisances  de  la 
caisse  des  revenus  concédés  ne  sont  malheureusement  que  trop  fondées  et  vous  n'avez 
pas  oublié  que  si  les  états  de  Recettes  qui  nous  ont  été  remis  en  1869  par  Sidi  Mustapha 
n'avaient  pas  été  aussi  mensongers,  nous  aurions  naturellement  fait  une  part  moins 
considérable  aux  créanciers-nous  avons  cru  faire  deux  parts  à  peu  près  égales.  Vous  vous 
souvenez  des  mécomptes  qui  nous  ont  affligés  lorsqu'on  prenant  en  mains  la  perception 
des  revenus,  nous  avons  constaté  l'exagération  des  états  officiels^^s» 


134  A  la  fin  de  1877,  un  syndicat  mené  par  Cesena,  toujours  brouillé  avec  ses  anciens  collègues  du  Contrôle, 
et  appuyé  vraisemblablement  par  Sebag,  offrait  de  solder  le  coupon  de  janvier  1878  contre  mise  en  gage 
de  plusieurs  revenus  concédés  (A.  E.  Tunis,  vol.  45.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  17  décembre  1877).  Une 
offre  analogue  présentée  par  Sebag  et  Cesana,  en  juin  1878,  était  également  repoussée.  Il  semble  que  le 
mécontentement  de  Cesana  et  de  ses  amis  n'était  pas  étranger  à  la  polémique  engagée,  à  partir  de  1877, 
dans  le  Sémaphore. 

135  A.  E.  Tunis,  vol.  45.  Lettre  de  Le  Blant.  Tunis,  10  décembre  1877. 

136  La  situation  financière  était  la  suivante,  au  30  juin  1878  :  5  fr.  restaient  dûs  sur  le  coupon  de  janvier  1878, 
soit  2.000.000  p.  ;  la  moitié  du  coupon  de  juin  seulement  pouvant  être  payée,  le  déficit  de  la  caisse  des 
créanciers  était  donc  au  total  de  4.500.000  P.  Le  gouvernement  était  incapable  de  fournir  les  subventions 
requises  ;  il  était  endetté  lui-même  de  2.483.915,11  piastres  (F.  0.102/123.  Rapport  du  Comité  de  contrôle 
aux  trois  consuls  ;  Note  du  Comité  exécutif  du  17  juin  1878  ;  annexes  à  Dép.  de  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  24 
juin  1878). 

137  Doc.  sur  Khérédine.  corresp.  inédite,  op.  cit.  Khérédine  à  Villet,  14  mai  1878  (sic). 

138  Ibid.  Villet  à  Khérédine.  Paris,  29  mai  1877. 


306 


Les  excédents  des  années  favorables  étant  absorbés  par  le  déficit  des  mauvaises 
années,  il  était  impossible  d'espérer  un  rachat  progressif  de  la  dette  unifiée. 
L'administration  la  plus  sévère,  la  plus  économe  pouvait  tout  au  plus  assurer  à  longue 
échéance  un  équilibre  financier  précaire.  Un  Villet,  un  Khérédine,  étroitement  unis,  se 
faisant  les  agents  d'une  politique  de  compression  presque  inhumaine,  pouvaient  seuls 
y  parvenir,  en  imposant,  des  années  durant,  à  la  Cour  comme  à  l'Etat,  un  train  de  vie 
des  plus  réduits.  Mais  les  temps  de  cet  accord  exceptionnel  entre  un  ministre  intègre 
et  un  inspecteur  des  Finances  autoritaire  étaient  désormais  révolus.  Depuis  la  chute 
de  Khérédine,  les  dilapidations  de  Mustapha,  la  gestion  intéressée  d'une  poignée  de 
courtiers  qui  avaient  fait  de  la  Commission  une  affaire  livournaise,  rendaient  vains  à 
l'avance  les  efforts  de  fonctionnaires  plus  énergiques  que  ne  l'avait  été  Le  Blant.  Pour 
Villet  comme  pour  Khérédine,  la  seule  solution  valable  eût  été  la  réduction  du  taux  d'intérêt 
de  la  dette  à  quatre  ou  même  trois  pour  contins.  Mais  les  obligataires  ne  s'y  seraient  pas 
résignési'^o  ;  il  fallait  s'attendre  à  la  plus  vive  opposition  de  la  part  des  contrôleurs.  Gros 
porteurs  de  titres  eux-mêmes,  ils  ne  pouvaient  accueillir  favorablement  une  réduction 
de  leurs  revenus  ;  ils  avaient  trop  d'avantages  à  voir  se  perpétuer  un  système  de  prêts 
usuraires  au  gouvernement  pour  souscrire  de  gaieté  de  cœur  à  un  assainissement 
financier  durable.  L'accord  des  trois  puissances  aurait  été  aussi  difficile  à  obtenir.  Plus 
ou  moins  bien  informés  par  leurs  consuls,  par  les  contrôleurs  de  la  Commission,  les 
cabinets  de  Londres,  de  Versailles  et  de  Rome  ne  se  seraient  pas  aisément  ralliés  à  une 
mesure  que  l'on  n'eût  pas  manqué  de  leur  présenter  comme  une  solution  de  facilité, 
une  spoliation  des  intérêts  de  leurs  nationaux.  Les  suggestions  de  Villet  et  Khérédine 
ne  furent  retenues  par  personne.  La  Tunisie  continua  de  s'enfoncer  lentement  dans  un 
déficit  chronique,  écrasée  chaque  année  davantage  par  le  fardeau  de  la  dette  unifiée  et 
d'une  dette  flottante  qui  ne  cessait  de  s'accroître.  Mais,  de  cela  ni  le  bey  ni  Mustapha  ne 
se  souciaient.  La  cour  du  Bardo  continuait  de  vivre  au  jour  le  jour  ;  le  favori  s'enrichissait 
de  rapines.  L'endettement  de  la  Régence  n'inquiétait  que  ses  créanciers.  Déjà,  l'on 
suggérait  des  solutions  nouvelles  ;  en  septembre  1878,  Guttieres  et  Levy  avaient 
l'impudeur  de  présenter  au  gouvernement  un  projet  de  rachat  de  la  dette  tunisienne 
pour  le  compte  de  leur  syndicat.  Les  courtiers  du  Contrôle  ne  dissimulaient  même  plus 
leur  fortune.  Par  l'ampleur  de  l'opération  qu'ils  proposaient^''!,  ils  semblaient  proclamer 
que  cette  Tunisie  oû,  vingt  ans  plus  tôt,  leurs  coreligionnaires  n'étaient  que  des  parias 
appartenait  désormais  aux  Juifs  livournais.  Courtiers  du  khaznadar,  commissaires  des 
conversions,  contrôleurs  ou  administrateurs  de  la  Commission,  en  vingt  ans  d'usure  et 
de  brigandage  financier,  le  petit  clan  des  changeurs  et  des  brocanteurs  de  la  place  de  la 
Marine  était  devenu  une  puissance  financière,  il  le  devait  pour  beaucoup  au  plus  hardi 
de  ses  animateurs,  Giacomo  Guttieres,  qui,  depuis  vingt  ans,  dirigeait  toutes  les  grandes 
opérations  de  la  place. 

Mais  l'affaire  du  rachat  de  la  dette  tunisienne  par  les  courtiers  livournais  eût  sonné 
le  glas  de  la  Commission  financière.  Elle  soulevait  trop  de  problèmes  politiques  pour 
être  acceptée  sans  discussions.  Roustan  y  voyait  une  manœuvre  anglo-italienne  et,  pour 
s'y  opposer,  il  suggérait  au  ministre  une  opération  de  rachat  par  un  groupe  financier 


139  Khérédine  suggérait  un  abaissement  de  l'intérêt  à  3%,  mais  Villet  pensait  que  la  proposition  aurait  de  trop 
graves  conséquences  pour  le  crédit  tunisien.  Selon  lui,  il  suffisait  de  réduire  l'intérêt  à  4%  et  d'offrir  des 
garanties  nouvelles  pour  rassurer  les  créanciers  (Ibid.  Khérédine  à  Villet,  14  mai  1878  ;  Villet  à  Khérédine 
Paris,  29  mai  1877,  lettres  citées). 

140  Les  protestations  des  obligataires  contre  le  paiement  partiel  des  coupons  en  1878  en  apportaient  la  preuve 
(F.  0.  102/123.  Pétition  du  5  juin  1878,  annexe  à  Dép.  de  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  24  juin  1878). 

141  Rachat  de  100  millions  de  la  dette  pour  57.700.000  francs. 


307 


français^'^^.  La  question  financière  ranimait  les  controverses  sur  l'avenir  politique  de  la 
Tunisie.  Neuf  ans  après  le  difficile  accord  de  juillet  1869,  le  protectorat  triparti  sur  les 
finances  tunisiennes  semblait  remis  en  question.  Du  côté  français  comme  du  côté  italien, 
on  se  hâtait  de  proclamer  la  faillite  du  système  collectif  pour  suggérer  des  solutions  qui 
ouvriraient  la  voie  à  un  protectorat  politique,  sous  le  couvert  hypocrite  d'un  relèvement 
financier  de  la  Régence.  Mais  cette  offensive  n'eut  pas  le  temps  de  se  développer  car,  en 
juillet  1878,  l'avenir  de  la  Tunisie  était  engagé  par  des  entretiens  diplomatiques  décisifs, 
en  marge  du  congrès  de  Berlin.  Les  efforts  de  la  France  pour  prendre  possession  de 
la  Régence,  l'opposition  italienne,  allaient  faire  passer  au  second  plan  les  difficultés 
financières  dans  lesquelles  la  Tunisie  ne  cessait  de  se  débattre. 


142  Arch.  Rés  Dép.  pol.  n°  52.  Roustan  à  Waddington.  Tunis,  17  septembre  1878. 


308 


CHAPITRE  X 

LE  CONGRÈS  DE  BERLIN 
ET  L'OFFRE  DE  TUNIS  À  LA  FRANCE 


C'est  à  Berlin  que,  par  un  curieux  concours  de  circonstances,  furent  fixées  les 
destinées  de  la  Tunisie,  dans  les  couloirs  d'un  congrès  qui  s'était  réuni  pour  mettre 
fin  à  la  crise  balkanique  ouverte  depuis  1875.  Les  encouragements  reçus  par  la  France 
l'amenaient  à  abandonner  une  attitude  de  recueillement  dans  laquelle  elle  se  confinait 
depuis  ses  défaites,  pour  se  lancer  dans  une  politique  d'expansion  coloniale  dont  le 
premier  acte  devait  être  l'établissement  de  son  protectorat  sur  la  Régence. 

L'Angleterre  offrait  Tunis  à  la  France,  comme  une  compensation  à  l'occupation  de 
Chypre,  avec  le  consentement  de  Bismarck  qui  souhaitait  faire  oublier  aux  Français 
la  perte  de  l'Alsace-Lorraine.  Les  conversations  de  Berlin  étaient  l'aboutissement 
de  négociations  qui,  depuis  trois  ans,  se  poursuivaient  entre  les  grandes  puissances. 
La  France  bénéficiait  des  maladresses  de  l'Italie  qui  avait  mécontenté  l'Angleterre, 
en  refusant  de  s'engager  contre  la  Russie,  et  irrité  les  puissances  centrales  par  des 
revendications  intempestives  à  l'égard  de  l'Autriche-Hongrie 

1.  La  crise  orientale  et  le  dépècement  de  la  Turquie 

L'offre  de  Tunis  à  la  France  était  liée  à  l'abandon  de  la  politique  suivie 
traditionnellement  par  l'Angleterre  dans  le  Proche-Orient.  Depuis  Pitt,  avec  Canning, 
avec  Palmerston  surtout,  elle  n'avait  cessé  de  défendre  avec  persévérance  l'intégrité 
de  l'Empire  ottoman  qui  couvrait  les  routes  d'accès  vers  l'Inde  et  qui,  grâce  aux 
Capitulations,  constituait  un  excellent  marché  commercial.  Pour  défendre  la  Turquie, 
l'Angleterre  n'avait  pas  hésité  à  intervenir  aux  côtés  du  sultan,  contre  Mohammed  Ali 
en  1840,  contre  la  Russie,  dans  la  guerre  de  Crimée.  Ses  agents,  ses  ministres,  à  Tunis 
comme  au  Caire,  n'avaient  cessé  de  combattre  les  velléités  d'indépendance  des  dynastes 
locaux.  Mais  l'ouverture  du  canal  de  Suez  déplaçait  brutalement  vers  l'Egypte  les  routes 
commerciales  et  stratégiques.  L'échec  de  la  politique  de  réformes  menée  à  Constantinople 
depuis  la  guerre  de  Crimée,  le  désordre  de  l'administration  turque,  la  banqueroute  de 
1875,  découragèrent  les  Anglais  de  soutenir  un  Etat  qui  semblait  prêt  à  s'effondrer  de 
lui-même.  En  1875  déjà,  l'ambassadeur  à  Berlin,  lord  Odo  Russel,  confiait  à  Bismarck 


309 


que  «l'Angleterre  avait  complètement  abandonné  sa  politique  traditionnelle»  dans  la 
question  d'Orient^.  «Personne»,  écrivait  Gavard,  le  chargé  d'affaires  français  à  Londres, 
«ne  songe  plus...  à  sauver  la  Turquie  de  sa  ruine.  On  ne  tentera  pas  sans  la  France  la  tâche 
où  l'on  n'a  pas  réussi  en  1856.  La  question  se  réduit  donc  à  préserver  dans  le  cataclysme 
inévitable,  la  route  de  l'Inde,  ce  canal  qu'un  Français  a  ouvert  à  travers  l'Egypte  malgré 
l'Angleterre.  Pas  une  discordance  sur  ce  point»^. 

Les  atrocités  de  Bulgarie,  dénoncées  violemment  par  Gladstone,  provoquaient  dans 
toute  l'Angleterre  une  impression  d'horreur.  Le  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères, 
lord  Derby,  déclarait  que  «toute  la  sympathie  éprouvée  en  Angleterre  pour  la  Turquie 
avait  été  complètement  détruite  par  ce  qui  s'était  passé  en  Bulgarie»  et  que  «l'indignation 
de  toutes  les  classes  de  la  société  anglaise  était  montée  à  un  tel  degré...  que  si  la  Russie 
déclarait  la  guerre  à  la  Turquie,  le  gouvernement  de  S.  M.  estimait  pratiquement 
impossible  de  participer  à  la  défense  de  l'Empire  ottoman^».  Disraeli  jugeait  inévitable 
un  partage  de  la  Turquie.  Salisbury  qui  allait  succéder  à  Derby  à  la  tête  du  Foreign  Office, 
à  la  fin  de  mars  1878,  était  particulièrement  hostile  aux  Turcs.  Il  jugeait  cette  alliance 
un  malheur  pour  l'Angleterre.  Le  gouvernement  turc  ne  pourrait  plus  se  remettre  sur 
ses  jambes^.  Le  moment  était  venu  de  défendre  les  intérêts  britanniques  par  un  «nouvel 
arrangement  territorial^».  Bismarck  poussait  vivement  au  partage  de  l'Empire  ottoman. 
Il  encourageait  les  Anglais  à  mettre  la  main  sur  l'Egypte®.  Mais  le  cabinet  conservateur 
songeait  plutôt  à  l'occupation  d'une  île  de  la  Méditerranée  orientale  dont  l'Angleterre 
ferait  «une  place  d'armes»,  un  autre  Gibraltar  couvrant  les  accès  du  canal  de  Suez  et  de  la 
nouvelle  route  des  Indes^. 

a)  Les  hésitations  de  l'Italie 

Si  l'Angleterre  se  résignait  au  dépècement  de  la  Turquie,  elle  ne  pouvait  cependant 
consentir  à  une  rupture  de  l'équilibre  entre  les  grandes  puissances  dans  la  Méditerranée  et 
le  proche  Orient.  Beaconsfield  admettait  sans  difficulté  une  large  extension  de  l'influence 
autrichienne  dans  les  Balkans.  Mais  il  redoutait  particulièrement  une  expansion  de  la 
Russie  qui,  en  Méditerranée,  en  Arménie,  comme  au  cœur  du  Turkestan,  pouvait  devenir 
une  rivale  dangereuse  pour  les  intérêts  britanniques.  Il  ne  pouvait  tolérer  une  hégémonie 
russe  sur  la  moitié  des  Balkans,  ni  surtout  cette  prise  de  possession  à  peine  déguisée  de 
Constantinople  que  laissaient  présager  les  stipulations  du  traité  de  San-Stefano 

Pour  faire  pression  sur  le  tsar,  Beaconsfield  aurait  souhaité  entraîner  l'Autriche- 
Hongrie  aux  côtés  de  l'Angleterre.  Mais  Andrassy  demeurait  fidèle  à  l'entente  des  Trois 
Empereurs;  sa  politique  était  celle  d'un  partage  de  la  Turquie  d'Europe  en  deux  zones 
d'influence  russe  et  autrichienne,  sous  le  patronage  bienveillant  de  Bismarck.  On  savait 
depuis  longtemps  que  l'Autriche  se  réservait  d'occuper  ou  d'annexer  la  Bosnie,  de  faire 
admettre  l'extension  de  son  influence  sur  la  moitié  occidentale  des  Balkans.  Toutefois 
Andrassy  refusait  de  se  lier  par  des  déclarations  précises.  Plutôt  que  de  s'engager 


1  Grosse  Politik  1871-1914,  Berlin,  1922,  vol.  2,  30. 

2  A.  E.  Angleterre,  vol.  770.  A  Decazes.  Londres,  19  novembre  1875  (D.  D.  F.  1^'®  série.  Tome  2,  p.l8). 

3  Cité  par  Seton-Watson  :  Disraeli  and  Gladstone,  pp.  62-63. 

4  Buckle  :  Life  of  Disraeli,  vol.  6,  pp.  24-25,  52-53  sq. 

Lady  Cecil  :  Life  of  Salisbury,  vol.  2,  pp.  84-86,  213  {lettre  à  Beaconsfield,  21  mars  1878). 

5  Ibid.,  vol. 2,  p.  130. 

6  Lee  :  Great  Britain  and  the  Cyprus  Convention  Policy  ofl878.  Harvard  Historical  Studies,  vol.  XXXVIII,  pp.  31- 
32.  -  Cecil,  op.  cit.  p.  96  :  Salisbury  à  Derby.  Berlin,  23  novembre  1876.  -  P.  E.  A.,  II,  n°  405,  p.253  ;  Munster  à 
Bismarck.  Londres,  20  avril  1878. 

7  Lee,  op.  cit  p.  32. 


310 


contre  la  Russie  pour  la  défense  d'intérêts  essentiellement  anglais,  il  préféra  négocier 
en  secret  avec  Gortchakoff,  marchander  quelques  concessions  nouvelles  afin  d'élargir 
les  avantages  qui  devaient  revenir  à  l'Autriche*. 

L'Angleterre  demeurait  isolée.  Elle  ne  pouvait  plus  compter  sur  une  France  diminuée 
par  ses  défaites,  repliée,  depuis  1871,  dans  une  politique  de  recueillement  et  d'abstention. 
Beaconsfield  ne  croyait  pas  à  son  redressement  militaire.  La  France  en  décadence  lui 
semblait  destinée  à  être  démembrée  bien  plutôt  qu'à  partir  de  nouveau  à  la  conquête  de 
l'Europe^.  En  outre,  la  politique  étrangère  française  demeurait  incertaine.  Jusqu'à  la  fin 
de  1877,  avec  Decazes,  le  quai  d'Orsay  s'était  montré  favorable  à  la  Russie.  Au  début  de 
1878,  le  cabinet  britannique  s'inquiétait  d'un  rapprochement  franco-allemand  et  d'une 
prétendue  offre  de  la  Belgique  à  la  France,  pour  prix  d'une  annexion  de  la  Hollande 
par  l'Allemagne.  En  février  1878,  l'ambassadeur  à  Paris,  lord  Lyons,  dépeignait  les 
hésitations  de  la  France  entre  un  rapprochement  avec  l'Allemagne  et  une  entente  avec 
la  Russieio.  Aussi,  l'Angleterre  se  tourna-t-elle  tout  naturellement  vers  l'Italie  qui,  depuis 
l'achèvement  de  son  unité,  s'était  dégagée  de  la  tutelle  française  et  semblait  impatiente 
de  jouer  un  grand  rôle  en  Méditerranée.  Promue  désormais  au  rang  de  grande  puissance, 
l'Italie  regardait  vers  Tunis,  vers  les  Balkans,  et  semblait  prête  à  recueillir  la  succession 
de  la  France  dans  le  Levant,  pour  la  protection  des  intérêts  catholiques.  Elle  pouvait  être 
l'alliée  dont  l'Angleterre  avait  besoin. 

Au  début  de  mars  1878,  Derby  offrait  au  président  du  conseil  et  ministre  des 
Affaires  étrangères  italien,  DepretisH,  un  échange  de  vues  sur  les  intérêts  anglo-italiens 
en  Méditerranée,  sur  les  affaires  d'Egypte,  de  Tripoli  et  de  Tunis.  Depretis  s'y  prêta 
volontiers  et  laissa  entendre  que  l'Italie  pourrait  s'allier  à  l'Angleterre  et  à  l'Autriche 
pour  la  défense  de  leurs  intérêts  communs  en  Méditerranéei^.  Derby  songeait  surtout 
à  une  entente  anglo-italienne  sur  les  détroits,  entente  à  laquelle  l'Autriche  et  la  France 


8  A.  E.  Angl.  vol.  770.  Decazes  à  d'Harcourt.  Versailles,  26  novembre  1875.  -  A.  E.  Autriche,  vol.  522  Vogué  à 
Waddington,  passim,  janvier  avril  1878. 

9  «Nor  do  I  see»...,  écrivait-il  à  Lady  Bradford,  le  6  septembre  1875,  «any  prospect  of  the  revival  of  France  as 
a  military  puissance.  She  is  more  likely  to  be  partitioned  than  to  conquer  Europe  again»  (Buckle,  op.  cit  VI, 
p.l3) 

10  F.  0.  27/2304.  Lyons  à  Derby.  Paris,  25  janvier  1878. 

F.  0.  27/2305.  Dép.  n  145  et  146  de  Lyons  à  Derby.  Paris,  12  février  1878. 

11  Depretis  (Agostino),  homme  d'Etat  italien,  né  à  Mezzana-Corti  (Lombardie)  en  1813,  mort  à  Stradella  en 
1887. 

Il  était  l'un  des  principaux  chefs  de  la  Gauche  et  fut  presque  continuellement  au  pouvoir  après  la  défaite  de 
la  Droite,  en  1876.  Président  du  conseil  à  deux  reprises,  de  mars  1876  à  mars  1878,  il  dirigea  les  Affaires 
étrangères  dans  son  second  ministère,  du  26  décembre  1877  au  24  mars  1878.  Après  la  chute  de  Cairoli,  il 
redevint  président  du  conseil  et  ministre  de  l'Intérieur,  tout  en  assurant  l'intérim  des  Affaires  étrangères  (19 
décembre  1878-14  juillet  1879).  Il  accepta  le  portefeuille  de  l'Intérieur  lorsque  Cairoli  réorganisa  son  second 
cabinet  (25  novembre  1879-mai  1881)  et  redevint  premier  ministre  jusqu'à  sa  mort,  en  juillet  1887. 
Depretis  appartenait  à  une  fraction  modérée  de  la  Gauche  et  se  préoccupait  surtout  de  questions  intérieures. 
Son  passage  aux  Affaires  étrangères  en  1878-1879  fut  marqué  par  un  apaisement  de  la  rivalité  franco- 
italienne  dans  la  question  tunisienne  (fichier  Rome  ;  T.  Sarti,  op.  cit  pp.  379-383). 

12  L'idée  d'une  entente  avec  l'Italie  avait  été  suggérée  par  lord  Lyons  qui  séjournait  alors  à  Rome,  à  la  suite 
d'un  entretien  avec  Depretis  (F.  0.  45/337.  Tél  de  Lyons  à  Derby.  Rome,  1®*^  mars  1878).  Les  conversations 
qui  se  poursuivirent,  à  Londres,  entre  Derby  et  l'ambassadeur  d'Italie  Menabrea,  à  Rome,  entre  Depretis  et 
lord  Paget,  témoignèrent  du  désir  d'entente  des  deux  gouvernements  (Menabrea  à  Depretis.  Londres,  9,13, 
16  mars  1878,  cité  par  Crispi  :  Politic  estera,  p.  74.  -  Gorrini  :  Tunisi  e  Biserta,  Milan,  1940,  pp.  4  et  9.  -  F.  O. 
15/337  Paget  à  Derby.  Rome  ;  15  mars  1878). 

Paget  aurait-il  parlé  de  Tunis  à  Depretis,  comme  l'écrit  Giolitti  {Memorie  délia  mia  vita,  vol.  1,  p.l31)  ?  Les 
documents  anglais  n'en  font  pas  mention,  non  plus  que  les  archives  italiennes,  selon  Gorrini  (op.  cit  p.l9).  Il 
est  toutefois  possible  que  Paget  ait  laissé  entrevoir  la  possibilité  de  compensations  à  l'Italie,  en  échange  de 
son  adhésion  au  projet  de  ligue  méditerranéenne. 


311 


pourraient  être  invitées  à  se  joindre  ultérieurement.  Le  13  mars  1878,  il  chargea  lord 
Paget  de  demander  officiellement  au  cabinet  de  Rome  son  adhésion  à  un  programme 
de  défense  des  intérêts  anglo-italiens  dans  la  Méditerranée  et  la  Mer  noire,  en  fait,  un 
programme  de  lutte  contre  les  envahissements  russes  dans  les  Balkans.  Mais,  comme  le 
cabinet  Depretis  avait  donné  sa  démission,  Paget  devait  différer  cette  démarche  jusqu'à 
la  constitution  d'un  nouveau  ministère^^ 

La  réouverture  de  la  question  d'Orient  offrait  à  l'Italie  des  circonstances 
particulièrement  favorables  pour  son  entrée  dans  le  concert  des  grandes  puissances.  Il 
lui  était  facile  de  faire  reconnaître  des  ambitions  méditerranéennes,  à  un  moment  où 
sonnait  la  curée  de  l'Empire  ottoman,  d'obtenir  des  satisfactions,  des  compensations 
qu'aucune  des  grandes  puissances  ne  pensait  à  lui  refuser.  Dès  1876,  Andrassy  qui 
songeait  à  l'expansion  autrichienne  dans  les  Balkans,  avait  essayé  de  détourner  vers 
Tunis  l'attention  du  gouvernement  italien.  Il  s'en  était  ouvert  à  l'ambassadeur  Robilant, 
lors  de  la  visite  du  roi  d'Italie  à  Vienne.  L'agitation  irrédentiste  qui  se  manifestait  dans 
la  péninsule,  l'hostilité  du  cabinet  italien  à  une  annexion  de  la  Bosnie  par  l'Autricheik 
l'incitèrent  à  renouveler  ses  suggestions  en  février-mars  1878.  A  défaut  d'avantages 
dans  l'Adriatique  ou  d'une  rectification  des  frontières  austro-italiennes  qu'il  se  refusait  à 
envisager,  Andrassy  évoqua  de  nouveau  l'idée  de  compensations  aux  dépens  de  l'Empire 
ottoman,  Tunis,  Tripoli  ou  une  île  méditerranéenne.  Il  fit  sonder  Depretis,  puis  son 
successeur,  Corti,  mais  il  ne  voulut  cependant  pas  s'engager  et  promettre  à  l'Italie  le 
soutien  de  l'Autriche,  en  cas  de  difficultés  avec  la  France^®. 

De  son  côté,  Bismarck,  en  juillet  1877,  conseillait  à  l'Italie  de  s'entendre  avec 
l'Autriche  sur  la  question  d'éventuelles  compensations  à  la  cession  de  la  Bosnie.  Il  donnait 
à  l'avance  «sa  bénédiction»  à  l'annexion  de  Tunis,  de  Tripoli  ou  de  l'Albanie,  assurant 
que,  de  ce  côté,  l'Italie  «ne  trouverait  certainement  pas  l'Allemagne  sur  son  chemini^». 
Il  revenait  encore  sur  ce  sujet  en  mars  1878.  «C'est  surprenant»,  disait  Corti,  «tout  le 
monde  nous  offre  quelque  chose,  même  le  prince  Bismarck^^.» 

Les  Russes  n'étaient  pas  moins  généreux.  Le  7  mars  1878,  Gortchakoff  affirmait 
à  de  Launay,  ambassadeur  d'Italie  en  mission  à  Pétersbourg,  que  l'Autriche  occuperait 
la  Bosnie  avec  le  consentement  de  la  Russie  et  que  l'Italie  devait  en  prendre  son  parti  ; 
mais,  quelques  jours  plus  tard,  le  général  Ignatieff,  en  mission  extraordinaire  à  Vienne, 
déclarait  à  Robilant  qu'il  avait  toujours  soutenu  l'opportunité  de  donner  à  l'Italie  le  nord 
de  l'Albanie^®. 


13  F.  0.  45/428.  Tél  de  Derby  à  Paget.  F.  0.13  et  15  mars  1878. 

14  Depretis  avait  fait  savoir  à  Vienne  que  l'occupation  de  la  Bosnie-Herzégovine  «serait  profondément  regrettée 
par  le  gouvernement  italien»  (F.  0.  45/337  Paget  à  Derby.  Rome,  11  mars  1878). 

15  «Wir  sind  gerne  bereiteinen  Wunsch  Italiens  nach  einer  Kompensation,  sei  es  einer  Insel,  eines  Hafens,  Tunis 
oder  Tripoli  in  Freundenschaft  zu  priifen  und  sogar  gegebenen  Falles  beiden  Kabinetten  zu  unterstiitzen» 
(Arch.  Vienne.  Andrassy  à  Haymerle,  26  février  1878). 

Haymerle  faisait  remarquer  que  sur  la  question  de  Tunis,  les  Italiens  craignaient  un  antagonisme  durable  avec 
la  France.  Tripoli  ne  présentait  pas  le  même  danger,  mais  offrait  également  moins  d'attrait.  (Ibid.  Haymerle 
à  Andrassy,  2  mars  1878,  cité  par  Langer  :  American  Historical  Review,  XXX,  1925,  p.  62,  n°  23)  sur  les  offres 
autrichiennes  en  1876  et  1877,  également  Chiala,  vol.  2,  pp.  107  sq.  Crispi  1  :  Poîitica  estera,  pp.  65-66. 

16  Gorrini,  op.  cit.  p.  17,  26  juillet  1877.  «Il  est  inutile  que  vous  vous  opposiez  à  l'annexion,  de  la  Bosnie 
Herzégovine  par  l'Autriche»,  disait-il  encore  à  Crispi,  le  président  de  la  Chambre  italienne,  le  17  septembre 
1877,  «pourquoi  ne  pensez  vous  pas  plutôt  à  l'Albanie  ?»  Ce  à  quoi  l'autre  aurait  répondu  :  «Qu'en  ferions- 
nous  ?»  (Ibid.,  p.  19). 

17  Arch.  Vienne.  Tél.  de  Haymerle,  1^^  avril  1878,  cité  par  Safwat  (Tunis  and  the  Great  Powers.  Alexandrie, 
1943). 

18  Gorrini,  op.  cit.  p.  17. 


312 


Albanie,  Tunisie,  Tripoli,  l'Italie  avait  le  choix.  Encore  lui  fallait-il  définir 
une  politique  étrangère  et  prendre  ses  responsabilités  de  grande  puissance. 
Malheureusement,  à  ce  moment  décisif,  l'Italie  était  en  pleine  crise  ministérielle. 
Depretis  avait  démissionné  le  10  mars  1878,  avant  que  l'Angleterre  ait  pu  solliciter 
officiellement  le  concours  de  son  gouvernement.  Son  successeur,  Cairolii®,  formait 
difficilement,  le  24  mars,  un  cabinet  qui  ne  disposait  que  d'une  majorité  incertaine  au 
Parlement.  La  Gauche  qui  l'avait  emporté  aux  élections  de  1876,  se  décomposait  en 
groupes  rivaux,  tiraillés  par  des  inimitiés  personnelles^o.  Faute  d'hommes  compétents 
dans  sa  majorité,  Cairoli  avait  dû  confier  à  un  adversaire  politique,  le  comte  Corti^i, 
ministre  à  Constantinople,  le  portefeuille  des  Affaires  étrangères.  Corti  était  de 
caractère  timoré,  hésitant.  Sa  position  était  particulièrement  faible  au  sein  d'un 
ministère  de  gauche  qui  se  préoccupait  surtout  d'affaires  intérieures  et  de  questions 
parlementaires.  La  situation  de  l'Eglise,  les  rivalités  régionales,  la  lutte  contre  le 
banditisme  dans  le  sud  posaient  de  graves  problèmes  dans  un  pays  dont  l'unité  n'était 
pas  moralement  achevée.  La  faiblesse  de  l'armée  et  surtout  la  déplorable  situation 
financière  de  l'Etat  imposaient  au  gouvernement  italien  une  politique  de  prudence. 
Les  propositions  anglaises  pouvaient  présenter  quelque  risque.  Corti  n'osa  point  les 
courir  ;  il  se  réfugia  dans  une  politique  d'abstention. 

Le  28  mars,  lord  Paget  venait  lui  présenter  le  projet  d'entente  méditerranéenne 
préparé  par  lord  Derby.  Corti  refusa  de  se  lier  «par  un  engagement  qui  pouvait  peut- 
être  mener  à  une  guerre».  Paget  eut  beau  faire  remarquer  que  l'Italie  étant  devenue 
une  grande  puissance,  elle  devait  en  assumer  les  responsabilités^^  ;  «en  adhérant  à 
l'accord,  [elle]  pourrait  jouer  son  rôle  de  puissance  avec  quelque  chance  de  succès, 
mais  si  elle  ne  le  faisait  pas,  elle  se  trouverait  isolée  et  sa  voix  ne  servirait  à  rien^^». 
Corti,  après  avoir  consulté  ses  collègues,  maintint  sa  position  et  se  borna  à  répondre 
par  de  vagues  déclarations  d'amitié^^. 


19  CAIROLI  (Benedetto),  homme  d'Etat  italien,  né  à  Pavie  en  1825,  mort  à  Capodimonte  en  1889. 

Après  avoir  conspiré  contre  l'Autriche,  participé  à  l'expédition  des  Mille,  il  fut  élu  député  de  Pavie  en  1860  et 
constamment  réélu.  Il  ne  tarda  pas  à  diriger  un  groupe  de  la  gauche  avancée,  fut  élu  président  de  la  Chambre 
en  1878.  A  deux  reprises,  du  24  mars  au  19  décembre  1878  et  du  14  juillet  1879  au  29  mai  1881,  il  fut 
président  du  conseil.  Il  dirigea  en  même  temps  les  Affaires  étrangères,  après  la  retraite  de  Corti,  d'octobre  à 
décembre  1878,  et  de  juillet  1879  à  mai  1881. 

A  ce  titre,  il  fut  amené  à  jouer  un  rôle  actif  dans  les  affaires  tunisiennes.  Il  laissa  ses  collaborateurs  engager 
l'Italie  dans  une  rivalité  assez  vive  avec  la  France.  L'établissement  du  protectorat  français  sur  la  Régence 
provoqua  la  chute  de  son  ministère  en  mai  1881. 

20  Groupes  Nicotera,  Depretis,  Crispi,  Cairoli,  groupe  toscan. 

21  CORTI  (comte  Luigi),  diplomate  et  homme  d'Etat  italien,  né  à  Gambarana  (Lombardie,  province  de  Pavie),  le 
24  octobre  1825,  mort  à  Rome  le  19  février  1888. 

Licencié  de  mathématiques  de  l'Université  de  Pavie  ;  volontaire  au  ministère  des  Affaires  étrangères, 
décembre  1846  ;  secrétaire  -  puis  conseiller  de  légation,  1850-1864  ;  ministre  résident,  janvier  1864  ; 
destiné  à  Stockholm,  mars  1864  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  2^»"^  classe,  janvier 
1867  ;  transféré  à  Madrid,  août  1867  ;  à  la  Haye,  avril  1869  ;  à  Washington,  février  1870  ;  à  Constantinople, 
mai  1875  ;  plénipotentiaire  à  la  conférence  de  Constantinople,  1876-1877  ;  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  de  l^^e  classe,  janvier  1877  ;  ministre  des  Affaires  étrangères,  26  mars-19  octobre  1878  ; 
sénateur,  31  mars  1878  ;  plénipotentiaire  au  congrès  de  Berlin  ;  ministre  à  Constantinople,  8  décembre 
1878  ;  promu  sur  place  au  rang  d'ambassadeur,  20  juin  1880  ;  ambassadeur  à  Londres,  décembre  1885  - 
novembre  1887.  Grand  officier  de  la  couronne  d'Italie,  juin  1871  ;  grand-croix,  janvier  1882. 

Grand  officier  des  S.  S  Maurice  et  Lazare,  juillet  1874  ;  grand  croix,  juin  1883  (fichier  Rome  ;  Ann.  hiografico 
universale,  vol.  3,  p.  567). 

22  F.  0.  45/337.  Tél  de  Paget  à  Derby.  Rome,  28  mars  1878. 

23  Ibid.  Du  même  au  même,  très  confid,  Rome,  28  mars  1878. 

24  «Merci»,  notait  Disraeli,  le  30  mars,  «c'est  plus  certainement  un  refus  qu'autre  chose,  mais  pas  en  termes 
très  positifs»  (Ibid,  sur  le  télégramme  de  Paget  du  29  mars  1878). 


313 


Corti  s'était  déclaré  partisan  d'une  politique  de  paix  avec  l'Autriche  Hongrie^^  mais 
il  fut  incapable  de  définir  et  d'imposer  un  programme  à  ses  collègues  du  ministère.  11 
négligea  les  offres  de  compensations  formulées  par  Andrassy  sans  pour  autant  rassurer 
l'Autriche  par  des  dispositions  conciliantes  dans  les  affaires  balkaniques.  Corti  repoussait 
les  suggestions  d'expansion  africaine  au  nom  d'une  politique  de  désintéressement 
et  de  bonne  entente  avec  toutes  les  puissances.  11  déclarait  s'en  tenir  au  statu  quo  en 
Méditerranée.  Une  compensation  tunisienne  serait  peu  populaire,  pensait-il;  elle 
mènerait  à  des  aventures  pour  lesquelles  le  pays  n'était  que  médiocrement  préparé  et 
conduirait  à  une  brouille  certaine  avec  la  France^®. 

En  réalité,  les  seules  compensations  qui  eussent  satisfait  l'opinion  publique  italienne, 
celles  auxquelles  les  milieux  politiques  de  gauche  ne  cessaient  de  penser,  c'était  la  cession 
à  l'Italie  des  terres  irrédente.  Mais  l'Autriche  ne  céderait  pas  Trieste  sans  guerre,  Corti  le 
savait.  Le  fit-il  entendre  assez  clairement  à  ses  collègues,  à  Cairoli  ?  En  tout  cas,  il  n'eut 
pas  l'habileté  de  saisir  une  option,  de  réserver  à  l'Italie  un  domaine  d'expansion  pour 
l'avenir.  Il  n'eut  pas  la  clairvoyance  de  faire  entrer  son  pays  dans  le  concert  des  nations 
satisfaites.  Dans  le  grand  partage  de  1878,  la  politique  des  «mains  nettes»  était  surtout 
une  politique  des  mains  vides.  Le  désintéressement  de  Corti  n'était  pas  même  une  attitude 
qui  pût  rassurer  l'Autriche  et  l'Allemagne  sur  les  intentions  italiennes,  car  l'agitation 
irrédentiste  qui  se  développait  dans  la  péninsule  faisait  craindre  que  le  gouvernement  de 
Rome  n'eût  mis  Trieste  au  rang  de  ses  revendications.  Les  manifestations  irrédentistes 
n'avaient  pas  cessé  en  effet,  depuis  la  formation  du  ministère  Cairoli  et  le  cabinet  de 
Vienne  pouvait,  à  juste  titre,  s'inquiéter  des  dispositions  d'un  gouvernement  qui  tolérait 
des  déclamations  anti-autrichiennes,  qui,  en  avril  1878,  laissait  un  député  de  sa  majorité 
proposer  en  pleine  Chambre  la  constitution  d'un  royaume  slave  avec  Trieste,  la  Bosnie, 
la  Croatie,  la  Dalmatie^^.  A  Berlin  comme  à  Vienne,  on  se  hâta  de  qualifier  de  duplicité  ce 
qui  n'était  que  faiblesse  et  incertitude  et  l'Italie  fut  désormais  rangée  par  Bismarck  au 
nombre  des  nations  perturbatrices  de  l'ordre  européen. 

L'Italie  avait  accepté  de  participer  au  congrès  de  Berlin.  Un  conseil  des  ministres 
se  réunit  le  7  juin  pour  définir  la  ligne  de  conduite  des  plénipotentiaires  italiens. 
Corti  qui  devait  conduire  la  délégation,  se  fit  au  conseil  l'avocat  d'une  politique  de 
désintéressement  et  d'amitié  avec  toutes  les  puissances.  Mais,  comme  ses  collègues 
ne  se  résignaient  pas  à  une  annexion  de  la  Bosnie  par  l'Autriche,  il  accepta  mission  de 
défendre  la  thèse  d'une  simple  occupation  temporaire.  Si,  au  congrès,  il  était  question 
d'une  annexion  définitive,  Corti  qui,  depuis  son  arrivée  aux  affaires  n'avait  cessé  de 
décliner  les  offres  autrichiennes,  serait  chargé  de  mettre  en  avant,  éventuellement,  une 
demande  de  compensations^^. 

L'Italie  n'avait  pas  su  profiter  des  occasions  qui  lui  étaient  offertes.  L'Autriche  et 
l'Angleterre  s'écartaient  d'elle.  Elle  ne  pouvait  pas  même  compter  sur  la  bonne  volonté 


25  Comte  E.  Corti  :  îl  conte  Corti  al  Congresso  di  Berlino.  Antologia  di  Scienze,  lettere  ed  Arti,  1925,  fasc.  1274, 
p.  353. 

26  Arch.  Vienne.  Haymerle  à  Andrassy,  2  mars,  avril,  11  mai  1878  (Cité  par  Langer,  op,  cit.  pp.  62-63,  n°  23  et 
29). 

27  Discours  de  Cavalloti,  le  19  avril  1878  (Giaccardi  :  La  Prima  offensiva  francese  in  Tunisia  in  Storia  e  Poîitica 
intemazionale,  1939,  pp.  778-779). 

28  «Che  se  si  traitasse  (locchè  non  sembra  affatto  probabile),  di  una  vera  e  propria  annessione  territoriale, 
Plenipotenziarii  di  Sua  Maestà  avranno  a  scandagliare  il  terreno  per  giudicare  se  sia  conforme  agli  interessi 
e  alla  dignité  del  governo  del  Re  di  mettere  innanzi  una  domanda  di  compensa»  (Comte  e  Corti,  op.  cit. 
p.  534). 


314 


de  Bismarck  qu'avaient  irrité  les  manifestations  d'un  irrédentisme  menaçant  pour 
l'Autriche,  autant  que  les  maladroites  suggestions  de  Crispi,  en  187729.  Diplomatiquement 
isolée,  sans  alliés,  sans  programme,  l'Italie  allait  faire  assez  piètre  figure  au  congrès  de 
Berlin. 

b)  L'idée  d'une  compensation  pour  la  France 

En  revanche,  au  printemps  de  1878,  la  France  apparaissait  comme  un  élément 
modérateur,  une  puissance  qui,  en  dépit  de  son  attitude  réservée,  pouvait  reprendre 
dans  la  politique  méditerranéenne  et  orientale  ce  rôle  traditionnel  que  l'Italie  n'avait  pas 
su  lui  ravir.  L'affermissement  d'une  République  libérale  et  modérée  rassurait  Bismarck 
qui  accueillait  avec  faveur,  fin  décembre  1877,  le  nouvel  ambassadeur  de  France  à 
Berlin,  le  comte  de  Saint-Vallier^o.  L'échec  du  16  mai,  le  succès  des  républicains  modérés 
ramenaient  aux  affaires  une  bourgeoisie  conservatrice  plus  soucieuse  d'ordre  public  et 
de  bonne  gestion  financière  que  d'aventures  extérieures.  «On  a  beaucoup  dit  que  j'étais 
favorable  à  la  République  en  France  parce  que  j'y  voyais  une  cause  de  faiblesse  pour 
votre  pays...»,  confiait  Bismarck  à  Saint- Vallier.  «La  vérité  c'est  que  la  République  sage  et 
modérée  comme  vous  l'avez  en  ce  moment,  est,  à  mes  yeux,  une  garantie  de  paix  parce 
qu'elle  n'a  pas  besoin  de  redorer  dans  le  creuset  de  la  victoire  le  prestige  indispensable 
aux  dynasties  sans  racines  comme  la  dernière  que  vous  avez  eue»2i. 

Depuis  quelques  années,  Bismarck  songeait  à  un  rapprochement  avec  la  France. 
Pour  faire  oublier  Sedan,  il  était  prêt  à  encourager  la  reprise  de  l'expansion  française 
en  Méditerranée  et  dans  tous  les  domaines  où  les  intérêts  allemands  ne  risqueraient 
pas  d'être  lésés.  11  s'en  était  ouvert  à  l'ambassadeur  à  Paris,  le  prince  de  Hohenlohe, 
dès  le  début  de  1875  :  «Ce  n'est  pas  pour  nous,  en  première  ligne,  un  désavantage,  ni 
une  tendance  à  combattre,  que  la  politique  française  cherche  dans  l'Afrique  du  Nord  et 
dans  l'Orient  turc  un  champ  pour  son  activité.  L'absorption  des  forces  que  la  France  y 
emploie  et  qu'elle  y  fixe  et  les  difficultés  qu'elle  s'y  crée,  constituent  un  dérivatif  à  ses 
tendances  agressives  à  l'égard  de  l'Allemagne.  Toutes  les  autres  grandes  puissances,  y 
compris  l'Italie  et  même  l'Espagne,  ont  plus  sujet  que  nous  de  prendre  ombrage  de  la 
France  dans  la  mer  Méditerranée»^^. 

L'unité  allemande  achevée,  Bismarck  ne  souhaitait  plus  que  la  paix  en  Europe.  Un 
égoïsme  bien  compris  le  poussait  à  faire  oublier  une  question  d'Alsace-Lorraine  sur 
laquelle  il  ne  voulait  pas  revenir  en  encourageant  la  France  dans  une  expansion  maritime 
et  coloniale  où  il  ne  voyait  aucun  avenir  pour  son  pays. 

Mais  les  circonstances  ne  lui  avaient  pas  encore  permis  de  témoigner  de  son  bon 
vouloir  à  la  France.  Bismarck  n'aimait  ni  Decazes  ni  l'ambassadeur  Gontaut-Biron  dont 


29  Crispi,  disait  Bismarck  en  1880,  «est  venu  m'offrir,  avec  un  cynisme  de  malfaiteur  les  plus  honteux  marchés, 
successivement  il  m'a  proposé  la  mutilation  de  la  France  et  celle  de  l'Autriche.  Il  nous  donnait  dans  sa 
générosité  peu  coûteuse  la  Champagne,  le  Bourgogne  et  la  Franche-Comté  ;  il  se  réservait  il  est  vrai,  outre 
la  Savoie  et  Nice,  le  Dauphiné  et  la  Provence  avec  Marseille  et  Toulon  :  je  me  suis  borné  à  lui  demander  s'il 
comptait  sur  mes  grenadiers  pour  les  aller  prendre.  Mêmes  offres  contre  l'Autriche  :  à  nous  la  Bohème,  la 
Silésie,  le  Tyrol  du  Nord,  à  eux  le  Trentin,  l'Istrie,  Trieste,  la  Dalmatie.  Je  lui  ai  répondu  que  le  jour  où  les 
Italiens  voudraient  prendre  Trieste,  j'y  mettrais  cent  mille  hommes  pour  appuyer  les  Autrichiens»  (A.  E.  Ail. 
Mém.  et  Doc.  vol.  167  Part,  de  St-Vallier  à  Barthélémy  Saint-Hilaire.  Berlin,  29  novembre  1880). 

30  «Le  meilleur  ambassadeur  que  la  France  ait  jamais  eu  à  Berlin»,  devait-il  dire  en  octobre  1880. 

31  A.  E.  Ail,  vol.  27  St-Vallier  à  Waddington,  très  confid.  Berlin,  5  janvier  1879. 

32  P.  E.  A.  I.  n°  166,  p.l67.  Bismarck  à  Hohenlohe.  Berlin,  10  janvier  1875.  -  Quatre  mois  plus  tard,  le  secrétaire 
d'Etat  aux  Affaires  étrangères,  de  Bulow,  le  répétait  à  Hohenlohe.  (Ibid.  n°  182,  p.  249  Berlin,  30  avril  1875). 
C'était  un  des  arguments  favoris  de  Bismarck  qu'il  devait  à  maintes  reprises  développer  devant  Saint-Vallier, 
entre  1878  et  1881. 


315 


il  avait  plusieurs  fois  demandé  le  rappel.  L'agitation  catholique  et  ultramontaine  qui  se 
prolongeait  en  France  irritait  profondément  le  chancelier  à  une  époque  où  il  se  trouvait 
encore  engagé  dans  le  Kultur  Kampf.  L'apaisement  des  passions  religieuses,  l'arrivée  aux 
affaires  de  Waddington  et  Saint-Vallier  rendaient  aussitôt  plus  faciles  les  relations  franco- 
allemandes.  Bismarck  s'en  félicitait.  11  n'allait  pas  tarder  à  prodiguer  ses  attentions  aux 
diplomates  français.  Les  entretiens  de  Berlin,  les  affaires  de  Tunisie  et  d'Egypte  furent 
pour  lui  l'occasion  d'inaugurer  une  politique  à  laquelle  il  devait  demeurer  fidèle  pendant 
plusieurs  années. 

Cet  empressement  auprès  du  vaincu  de  la  veille,  la  chaleur  avec  laquelle  Bismarck  le 
soutenait  en  toutes  circonstances  pouvaient  sembler  suspects  à  des  hommes  politiques 
qui  vivaient  dans  la  crainte  de  l'Allemagne,  qui  redoutaient  quelque  piège  tendu  par  le 
machiavélisme  du  chancelier  d'Empire.  Pour  désarmer  les  soupçons,  Bismarck  exposa 
avec  force  les  mobiles  d'une  politique  assez  simple  mais  qui  ne  manquait  ni  de  grandeur 
ni  de  réalisme.  A  maintes  reprises,  il  s'employa  à  développer  à  l'ambassadeur  de  France 
les  raisons  et  les  avantages  d'un  bon  voisinage  franco-allemand^^  Convaincu  très  tôt. 


33  «Mon  désir  est  de  vous  donner  des  gages  de  bon  vouloir  dans  les  questions  qui  vous  touchent  et  où  il  n*y  a 
pas  d'intérêts  allemands  opposés  aux  vôtres»,  disait  Bismarck  au  début  de  1879  ;  «ce  n'est  d'ailleurs  que 
juste,  car  j'apprécie  les  efforts  que  [M  Waddington]  et  vous  avez  faits  pour  apaiser  les  passions  et  ramener  la 
sécurité  et  la  confiance  entre  nos  deux  pays.  Je  tiens  trop  à  la  paix  pour  ne  pas  apprécier  la  valeur  du  service 
rendu  et  je  désire  le  reconnaître.  Je  me  félicite  donc  que  l'affaire  de  Tunis  me  donne  l'occasion  de  vous 
déclarer  que  M.  Waddington  au  ministère  et  vous  ici,  êtes,  à  mes  yeux,  des  gages  de  paix  et  d'entente,  mais 
que  je  connais  vos  difficultés  intérieures  et  que  je  veux  m'efforcer  de  vous  aider  à  donner  à  votre  opinion 
publique  des  satisfactions  nécessaires  pour  un  grand  peuple  qui  a  souffert  et  qui  a  besoin  de  sentir  qu'on 
le  respecte  à  l'étranger.  L'intérêt  de  ma  politique  me  commande,  d'ailleurs,  cette  conduite,  car,  pas  plus  que 
l'Empereur  qui  veut  mourir  glorieux  et  tranquille,  je  ne  me  soucie  d'avoir  encore  en  ma  vie  une  autre  guerre 
sur  les  bras;  je  ne  veux  plus  d'annexions,  je  vous  l'ai  déjà  dit  ;  nous  n'en  avons  fait  que  trop,  à  mon  sens;  je 
repousse  donc  les  aventures  et  je  tiens  au  calme  et  à  la  sécurité  garantis  par  des  rapports  amicaux  avec  nos 
voisins,  spécialement  avec  vous... 

«Voilà  pourquoi  je  suis  prêt  à  vous  seconder  dans  vos  entreprises  non  contraires  à  nos  propres  intérêts.  Mais, 
je  le  répète,  je  crois  qu'il  faut  au  peuple  français  (bien  qu'il  fasse  preuve  maintenant  d'une  grande  sagesse) 
des  satisfactions  d'amour-propre,  et  je  désire  sincèrement  lui  voir  obtenir  celles  qu'il  peut  rechercher  dans 
le  bassin  de  la  Méditerranée,  sa  sphère  d'expansion  naturelle  ;  plus  il  aura  de  succès  de  ce  côté,  moins  il  sera 
porté  à  faire  valoir  contre  nous  des  griefs  et  des  douleurs  dont  je  ne  discute  pas  la  légitimité,  mais  qu'il 
n'est  pas  en  notre  pouvoir  d'apaiser».  (A.  E.  Allemagne,  vol.  27.  St-Vallier  à  Waddington,  dép.  Cit.  très  confid. 
Berlin,  5  janvier  1879) 

Bismarck  revenait  encore  sur  ce  sujet  en  juin  et  novembre  1880  :  «Dans  ma  pensée,  il  ne  s'agit  nullement 
d'inciter  la  France  à  se  lancer  dans  des  aventures  qui  lui  créeraient  des  embarras  et  paralyseraient  son 
action  en  Europe  ;  je  n'ai  aucune  intention  machiavélique  de  lui  conseiller  une  politique  agressive  en  Afrique 
ou  ailleurs,  mais,  tant  que  nos  relations  seront  amicales  comme  depuis  deux  ans,  je  l'appuierai  de  mon 
concours  moral  dans  les  questions  où  son  honneur,  sa  sécurité,  ses  intérêts  véritables  et  légitimes  sont 
engagés»  (Ibid.  vol.  36  Dép.  de  St-Vallier.  Berlin,  9  juin  1880). 

«En  vous  appuyant  à  Tunis  et  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée,  je  n'ai  nullement  comme  le  prétendent 
M.  le  duc  Decazes  et  les  politiques  de  son  école  l'arrière-pensée  de  vous  encourager  à  des  aventures  dont 
je  profiterais  ensuite  pour  vous  attaquer  et  vous  arracher  quelque  lambeau  de  territoire  ;  ...  je  n'ai  donc 
aucune  des  idées  machiavéliques  que  l'on  me  prête  ;  mon  objectif  est  plus  simple  et  mon  intérêt  moins 
compliqué. 

J'ai  la  conviction  qu'un  grand  pays  comme  la  France  a  besoin  de  rencontrer  des  satisfactions  dans  sa  politique 
extérieure,  et  comme  je  ne  puis  malheureusement  pas  vous  en  donner  sur  le  terrain  de  l'Alsace-Lorraine,  je 
désire  le  faire  partout  où  il  n'y  a  pas  un  intérêt  allemand  en  opposition  avec  l'intérêt  français. 

Je  crois  que  si  vous  trouvez  dans  la  Méditerranée  de  quoi  répondre  à  votre  besoin  naturel  et  légitime 
d'expansion,  les  idées  chez  vous  se  tourneront  avec  moins  d'amertume  vers  vos  provinces  perdues,  et  la 
paix,  les  bons  rapports  entre  vous  et  nous  deviendront  plus  sûrs  et  plus  faciles  ;  voilà  le  secret  du  bon  vouloir 
que  je  vous  ai  toujours  montré,  soit  à  Tunis,  soit  au  Maroc,  soit  en  Egypte,  en  Syrie  ou  en  Grèce.  Ne  cherchez 
donc  pas  mes  motifs  cachés  ;  j'aime  mieux  vous  les  dire  franchement  ;  je  désire  et  j'espère  arriver  ainsi  à 
détourner  vos  regards  de  Metz  et  de  Strasbourg  en  vous  aidant  à  trouver  ailleurs  des  satisfactions»  (Ibid. 
Mém.  et  Doc.  vol.  167.  Part  de  St-Vallier  à  Barthélemy-Saint-Hilaire.  Berlin,  29  novembre  1880). 


316 


Saint-Vallier  plaida  avec  chaleur  auprès  de  ses  collègues,  auprès  des  ministres,  la  cause 
d'une  expansion  africaine  désormais  permise  ;  il  s'efforça  de  démontrer  la  loyauté  du 
chancelier,  de  faire  ressortir  tous  les  avantages  que  pouvait  apporter  à  la  France  une 
politique  de  rapprochement  avec  l'Allemagne,  il  réaffirmait  ses  convictions  en  juin  et 
juillet  1881  :  «Suivant  moi,  cette  attitude  n'a  pas  été  inspirée  par  un  plan  préconçu 
de  nous  isoler  en  nous  brouillant  avec  l'Angleterre  et  l'Italie...  Le  Prince  de  Bismarck 
a  toujours  marqué  au  contraire,  depuis  quatre  ans  que  j'observe  attentivement  sa 
politique,  son  désir  de  nous  voir  en  bonne  harmonie  avec  l'Angleterre^^  ;  il  m'a  expliqué 
souvent  qu'il  trouvait  un  gage  de  sécurité  pour  la  paix  européenne  dans  l'entente  amicale 
des  deux  Puissances  occidentales  ;  l'une  l'Angleterre  étant  l'adversaire  résolue  des  idées 
de  revanche  qui  pouvaient  renaître  en  France,  et  notre  action  à  nous  ayant  pour  effet  de 
contenir  la  politique  coloniale  trop  envahissante  de  notre  voisine  et  alliée...» 

«Les  raisons  pour  lesquelles  le  Prince  Chancelier  nous  a  appuyés  dans  notre 
campagne  tunisienne  sont  simples  et  faciles  à  comprendre  ;  il  n'a  jamais  hésité  à  me  les 
avouer  et  il  les  a  même  fait  connaître  dans  de  nombreuses  réunions  parlementaires, 
elles  lui  sont  dictées  par  sa  conviction  qu'un  grand  peuple  comme  le  nôtre  a  besoin 
d'expansion  extérieure,  qu'il  lui  faut  des  satisfactions  de  politique  étrangère  et  que  s'il 
en  trouve  dans  l'orbite  de  son  domaine  africain  et  méditerranéen,  il  sera  moins  disposé 
à  tourner  ses  revendications  et  ses  tentatives  vers  les  provinces  que  lui  a  coûtées  la 
guerre  de  1870  ;  à  ses  yeux,  la  France  satisfaite  en  Algérie  ou  dans  le  Levant,  c'est  une 
garantie  de  tranquillité  pour  l'Allemagne  sur  les  bords  du  Rhin.  Voilà  l'explication  que 
le  Prince  de  Bismarck  donne  lui-même  de  sa  politique  à  notre  égard,  et,  à  mon  sens, 
elle  est  assez  logique  pour  qu'on  n'ait  pas  besoin  d'en  chercher  une  autre»^^.  «Je  crois 
l'avoir  étudié  d'assez  près  pour  pouvoir  soutenir  qu'il  n'est  pas  guidé  dans  sa  politique 
par  des  idées  mesquines  de  haine  on  de  rancune,  mais  par  des  considérations  plus 
élevées,  plus  sérieuses,  basées  sur  ce  qu'il  croit  être  l'intérêt  de  l'Allemagne;  il  est  trop 
sceptique,  trop  dédaigneux  des  moyens,  trop  indifférent  au  jugement  de  l'opinion  pour 
subordonner  ses  plans  et  ses  vues,  soit  à  des  passions  haineuses,  soit  à  des  sympathies 
nationales  ou  particulières  ;  pour  atteindre  le  but  de  ses  efforts,  la  consolidation  et 
l'unification  de  son  œuvre,  il  s'unira  aussi  volontiers  à  l'ennemi  d'hier,  qu'il  brisera 
facilement  l'ami,  l'instrument  de  la  veille.  C'est  là...  ce  qu'ignorent  ou  ne  comprennent 
pas  ceux  qui  cherchent  un  piège  redoutable  dans  ses  bons  procédés  récents  envers 
nous»3®. 

Mais  les  hommes  d'Etat  français  ne  partagèrent  jamais  entièrement  les  convictions 
de  Saint-Vallier.  Même  ceux  qui  finirent  par  se  rallier  à  la  politique  d'expansion 
demeurèrent  toujours  sceptiques  sur  les  bonnes  intentions  de  Bismarck.  Les  plus 


Bismarck  ne  s'exprimait  pas  autrement  avec  ses  collaborateurs.  Une  dépêche  du  sous-secrétaire  d'Etat  aux 
Affaires  étrangères,  Busch,  à  l'ambassadeur  à  Paris,  le  prince  de  Hohenlohe,  en  témoigne  :  «11  existe  dans 
la  Méditerranée  un  vaste  champ  dans  lequel  nous  pouvons  laisser  toute  liberté  à  la  France,  et  l'espoir  ne 
semble  pas  absurde  au  chancelier  que  la  politique  française  en  vienne  finalement  à  l'idée  qu'un  empire 
allemand  amicalement  disposé,  avec  ses  45  millions  d'habitants  est  plus  utile  et  constitue  un  poste  plus 
important  à  l'actif  de  la  France  qu'un  million  d'Alsaciens-Lorrains»  (P.  E.  A.  vol.  3.  n°  570,  p.  202.  Minute  de 
la  main  du  conseiller  référendaire  Holstein.  Berlin,  16  juillet  1881). 

34  De  fait,  en  janvier  1879,  Herbert  de  Bismarck  avait  écrit  au  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères,  de 
Biilow,  à  propos  des  affaires  tunisiennes  que,  pour  le  chancelier,  «toute  satisfaction  accordée  à  la  France  lui 
semble  agir  favorablement  dans  l'intérêt  de  la  paix,  ainsi  que  des  rapports  amicaux  entre  elle  et  l'Angleterre» 
[P.  E.  A.  vol.  3  ;  n°  448  p.  2.  Friedrichsruhe,  3  janvier  1879). 

35  A.  E.  Ail,  vol.  44.  Confid.  de  St-Vallier.  Berlin,  21  juin  1881. 

36  Ibid.  Berlin,  17  juillet  1881. 


317 


hardis  d'entre  eux  n'étaient  pas  loin  d'admettre  en  secret  les  arguments  avancés  par 
les  anticolonialistes  de  l'opposition.  Cette  inquiétude,  le  peu  de  soutien  de  l'opinion,  un 
souci  trop  poussé  des  questions  intérieures  et  parlementaires  expliquent  les  hésitations 
de  la  diplomatie  française,  la  lenteur  avec  laquelle  le  gouvernement  allait  s'engager  dans 
la  réalisation  du  protectorat  tunisien. 

De  son  côté,  le  cabinet  conservateur  anglais  considérait  avec  bienveillance  la 
direction  nouvelle  que  Waddington  donnait  à  la  politique  étrangère  française  au 
printemps  de  1878.  Waddington  se  rapprochait  de  l'Angleterre,  se  ralliait  à  son  point  de 
vue  dans  les  affaires  balkaniques  en  demandant  avec  elle  que  le  traité  de  San-Stefano 
fût  soumis  à  un  congrès  européen.  11  ne  paraissait  manifester  aucune  hostilité  au  projet 
d'acquisition  de  Mytilène  qu'on  prêtait  au  cabinet  britannique  pourvu  que  fût  maintenu 
le  statu  quo  en  Egypte  aussi  bien  qu'en  Syrie. 

Après  le  refus  de  l'Italie,  il  était  naturel  que  les  Anglais  aient  eu  l'idée  de  s'entendre 
avec  la  France  sur  les  bases  d'un  nouvel  équilibre  méditerranéen.  En  échange  de  leur 
liberté  d'action  en  Méditerranée  orientale,  ils  étaient  prêts  à  accorder  à  la  France  des 
compensations  en  Syrie  ou  en  Tunisie.  Le  mot  de  Tunis  fut  prononcé  pour  la  première 
fois  en  1876  par  lord  Odo  Russell  dans  un  entretien  avec  son  collègue  de  France  à  Berlin, 
Gontaut-Biron37.  L'ambassadeur  à  Constantinople,  Layard,  déconseillait  de  tourner  vers 
la  Syrie  l'attention  des  Français^^.Les  intentions  britanniques  concernant  la  Tunisie  se 
précisèrent  au  printemps  de  1878.  En  avril,  dans  un  entretien  avec  lord  Salisbury  sur  la 
question  d'Egypte,  l'ambassadeur  d'Allemagne,  le  comte  Mùnster,  évoqua  les  ambitions 
françaises  dans  la  Régence  :  «Ce  que  désire  la  France  en  Afrique  et  ce  qui  est  considéré 
comme  nécessaire  pour  consolider  sa  puissance  à  Alger,  c'est  Tunis,  la  vieille  Carthage 
et  le  merveilleux  port  du  Cap  Bon.  Cette  acquisition  de  la  France  serait  bien  moins 
inquiétante  pour  l'Angleterre  que  pour  ritalie»^®. 

Salisbury  accueillait  ces  ouvertures  avec  faveur.  Il  faisait  aussitôt  savoir  à  lord 
Lyons  que  l'Angleterre  n'entendait  plus  s'opposer  la  pénétration  française  en  Tunisie  et 
lui  demandait  de  le  tenir  au  courant  des  intentions  réelles  de  la  France  en  ce  domaine  : 
«C'est  là  bien  entendu  une  extension  de  territoire  et  d'influence  française  dont  nous 
ne  saurions  avoir  la  moindre  jalousie  ni  la  moindre  crainte»'*'’.  Tunis  pouvait  être  le 
prix  dont  l'Angleterre  paierait  le  consentement  français  à  l'acquisition  déjà  décidée  de 
Chypre.  D'autre  part,  le  gouvernement  anglais  souhaitait  éliminer  la  France  des  affaires 
égyptiennes,  mettre  fin  au  régime  du  condominium  financier  qui  durait  depuis  1876. 
Peut-être  songeait-il  aussi  qu'une  compensation  tunisienne  faciliterait  la  résignation 
des  Français  de  ce  côté. 

De  toutes  façons,  la  Tunisie  était  destinée  à  tomber  un  jour  ou  l'autre  sous  la  tutelle 
de  la  France  ou  de  l'Italie.  L'Angleterre  avait  peu  d'intérêts  dans  la  Régence,  il  valait  mieux 
pour  elle  que  la  France  s'établît  à  Tunis  au  lieu  de  l'Italie,  car  celle-ci,  en  tenant  les  deux 
rives  du  détroit  de  Sicile,  pourrait  à  son  gré  barrer  la  Méditerranée  et  la  route  de  Suez, 
une  route  devenue  essentielle  pour  l'Empire  britannique. 


37  L'entretien  portait  sur  le  démembrement  de  l'Empire  ottoman.  «Pour  nous,  dit  lord  Odo  en  riant,  nous 
sommes  prêts  pour  le  cas  d'effondrement  !...  Nous  avons  mis  la  main  sur  l'Egypte  !  ...  Quant  à  vous.  Français, 
j'imagine  que  la  Tunisie  pourrait  bien  vous  aller  !...  Je  ne  dis  pas  non,  repris  -  je  sur  le  même  ton...»  (Ibid.  vol. 
18.  Gontaut-Biron  à  Decazes...  Berlin,  15  avril  1876). 

38  Lady  Cecil  :  Life  of  Salisbury,  vol.  2,  p.  270. 

39  P.  E.  A.  vol.  3,  n°  405,  p.253.  Mùnster  à  Bismarck.  Londres,  20  avril  1878. 

40  Lord  Newton  :  Lord  Lyons...  Londres,  1913,  vol.  2,  p.  139  (lettre  du  11  mai  1878). 


318 


Ainsi,  avant  que  le  congrès  de  Berlin  se  fût  réuni,  avant  même  que  l'Angleterre 
eût  conclu  avec  la  Turquie  l'acquisition  de  Chypre,  les  hommes  d'Etat  britanniques 
songeaient-ils  sérieusement  à  offrir  Tunis  à  la  France,  pour  prix  de  son  adhésion  à  la 
politique  anglaise  dans  la  Méditerranée  orientale,  comme  une  part  de  dépouilles  dans 
le  dépècement  de  l'Empire  ottoman. 

2  -  Le  Congrès  de  Berlin 

Le  congrès  s'ouvrit  à  Berlin  le  13  juin  1878.  Waddington  avait  mis  pour  condition  à 
la  participation  française  l'exclusion  des  débats  de  toutes  les  questions  autres  que  celles 
qui  découlaient  directement  de  la  guerre.  On  ne  devait  parler  ni  Occident,  ni  Egypte,  ni 
Syrie,  ni  Lieux  Saints. 

A  Berlin,  les  plénipotentiaires  français,  Waddington,  Saint-Vallier  et  Desprez^i 
acceptèrent  de  bon  gré  l'occupation  de  la  Bosnie  par  l'Autriche-Hongrie;  ils  offrirent  leurs 
bons  offices  pour  concilier  les  points  de  vue  anglais  et  russe  dans  les  affaires  de  Bulgarie. 
Mais  les  diplomates  anglais  attendirent  plus  de  trois  semaines  avant  de  rendre  publique 
la  convention  de  Chypre  qu'ils  avaient  passée  le  4  juin  avec  la  Turquie.  Waddington  n'en 
fut  informé  que  le  6  juillet,  une  semaine  avant  la  clôture  du  congrès,  la  veille  même  du 
jour  oû  le  texte  de  l'accord  fut  officiellement  dévoilé  par  le  Daily  Telegraph. 

a)  L'offre  anglo-allemande 

La  nouvelle  provoqua  en  France  un  accès  de  mauvaise  humeur,  des  articles  violents 
dans  la  presse  parisienne''^  ;  mais,  comme  l'avait  prévu  Salisbury,  les  milieux  politiques 
français  s'en  tinrent  «à  l'épigramme^^»  Waddington  ne  cacha  à  Salisbury  ni  sa  surprise 
ni  son  mécontentement.  Sans  doute  aurait-il  pu,  comme  le  note  Francis  Waddington^^, 


41  William-Henri  WADDINGTON,  sénateur,  membre  de  l'Institut,  ministre  secrétaire  d'Etat  au  département  des 
Affaires  étrangères  (13  décembre  1877-27  décembre  1879)  ;  Charles-Raymond  de  la  Croix  de  Chevrières, 
comte  de  SAINT-VALLIER,  sénateur,  ambassadeur  et  plénipotentiaire  de  France  près  S.  M.  l'Empereur 
d'Allemagne,  roi  de  Prusse  ;  Félix  Hippolyte  DESPREZ,  conseiller  d'Etat,  ministre  plénipotentiaire  de 
classe,  chargé  de  la  direction  des  Affaires  politiques  au  ministère  des  Affaires  étrangères. 

Les  autres  plénipotentiaires  étaient,  pour  l'Allemagne,  Bismarck,  le  secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères, 
de  Bùlow,  le  prince  de  HOHENLOH^  ambassadeur  à  Paris  ;  pour  lAngleterre,  DISRAELI,  comte  de  Beaconsfield, 
Salisbury  et  l'ambassadeur  à  Berlin,  lord  Oddo  Russell  ;  pour  l'Autriche-Hongrie,  Andrassy,  le  comte  KAROLYI  et 
le  baron  Haymerle,  ambassadeurs  à  Berlin  et  Rome  ;  pour  la  Russie,  GORTCHAKOEF,  CHOLfVALOFF  et  d'OuBRiL, 
ambassadeurs  à  Londres  et  Berlin  ;  pour  l'Italie,  Corti  et  le  comte  de  Launay,  ambassadeur  à  Berlin  ;  pour 
la  Turquie,  CARATHEODORY  PACHA,  ministre  des  Travaux  Publics,  le  maréchal  MOHAMMED  ALI  PACHA  et 
SADOULLAH  BEY,  ambassadeur  à  Berlin. 

42  Ainsi,  dans  la  République  française,  organe  de  Gambetta,  le  11  juillet  1878  :  «Il  est  beau  d'être  d'origine  à  la 
fois  orientale  et  vénitienne  ;  Il  est  beau  de  rêver  pour  son  pays  la  prépondérance  en  Asie,  qui  sait  ?  même 
l'empire  de  l'Asie  ;  il  est  habile  de  parler  bien  haut,  de  prononcer  les  mots  les  plus  respectables,  de  faire  état 
des  principes  les  plus  élevés  ;  il  est  adroit  surtout  de  ne  tenir  aucun  compte  de  tout  cela  et  de  fouler  aux 
pieds  son  passé  d'il  y  a  quelques  semaines  pour  faire  main  basse  sur  une  île  qui  est  à  la  fois  la  sentinelle  du 
canal  de  Suez  et  celle  de  la  tête  de  ligne  du  futur  chemin  de  fer  de  l'Euphrate.» 

Même  ton  dans  le  Constitutionnel  qui  qualifiait  sévèrement  la  conduite  anglaise  et  poursuivait  ainsi  «Depuis 
vingt-quatre  heures,  on  nous  conte  que  l'Angleterre,  pour  adoucir  notre  surprise  et  notre  dépit,  nous  réserve 
quelque  cadeau  précieux.  Les  imaginations  se  donnent  déjà  carrière  dans  le  champ  des  conjectures  flatteuses 
et  savoureuses.  Dans  ces  rêves  téméraires  et  quasi  enfantins,  l'attention  se  porte  principalement  sur  Tunis. 
L'Angleterre  ne  peut  pas  nous  donner  Tunis  qui  ne  lui  appartient  pas.  Tout  ce  qu'elle  pourrait  faire  ce  serait 
de  s'engager  à  nous  laisser,  sans  opposition,  nous  mettre  en  possession  de  Tunis. 

Evidemment  l'entreprise  serait  aisée,  mais  nous  participerions  au  crime  de  démembrer  l'empire  ottoman... 
nous  deviendrions...  par  cet  acte  de  conquête  ou  plutôt  de  spoliation,  absolument  et  irrémédiablement 
complices  de  tout  ce  qui  s'est  fait  à  Berlin  et  à  Constantinople»  (Un  peu  de  philosophie,  13  juillet  1878). 

43  Newton,  op.  cit.  t.  2,  p.l44  :  Salisbury  à  Lyons,  5  juin  1878. 

44  Le  rôle  de  la  diplomatie  française  dans  la  question  tunisienne.  Rev.  pol.  et  pari.  1934,1159,  pp.  98-99. 


319 


élever  une  protestation  solennelle  en  portant  l'affaire  devant  le  congrès,  souligner 
l'opposition  française  en  quittant  Berlin  sur-le-champ.  Plutôt  que  de  s'engager  dans  une 
politique  stérile  qui  eût  accru  l'isolement  de  la  France  en  la  menant  à  une  brouille  avec 
l'Angleterre,  Waddington  préféra  accepter  le  fait  accompli  et  négocier  avec  Salisbury  sur 
les  bases  d'un  nouvel  équilibre  méditerranéen. 

«Les  plénipotentiaires  anglais»,  rappelait  Saint-Vallier  en  1881,  «ont  éprouvé  un 
grand  embarras  à  devoir  confesser  au  cours  même  des  séances  du  congrès,  le  traité  secret 
relatif  à  Chypre  ;  s'il  ne  consfituait  pas,  en  effet,  une  infraction  directe  aux  engagements 
consentis  par  les  Puissances,  il  marquait  assurément  une  dérogation  à  l'esprit  de  ces 
engagements.  C'est  d'ailleurs  ainsi  que  le  traité  de  Chypre  a  été  apprécié  par  tous  les 
Plénipotentiaires  étrangers  qui  n'ont  pas  dissimulé  la  mauvaise  impression  qu'ils  en 
ressentaient.» 

«Je  me  souviens  que  le  prince  de  Bismarck  en  a  exprimé  sans  détours  son  déplaisir 
et  que  le  comte  Schouvalow,  avec  l'habile  souplesse  qui  le  rendait  si  redoutable,  a 
immédiatement  cherché  s'il  n'y  verrait  pas  un  moyen  d'amener  une  rupture  ou  du  moins 
un  refroidissement  entre  nous  et  les  Plénipotentiaires  britanniques.» 

«Lord  Beaconsfield  était  trop  avisé  pour  ne  pas  voir  le  danger;  aussi  a-t-il  tout  mis 
en  œuvre  pour  nous  désarmer».  Les  hommes  d'Etat  anglais  se  sont  vus  dans  «l'obligation 
pénible»  de  proposer  eux-mêmes  au  congrès  l'occupation  autrichienne  de  la  Bosnie  et 
de  l'Herzégovine;  ils  ont  payé  ainsi  une  des  rançons  de  Chypre...  A  notre  égard  [ils]  ont 
dû  chercher  des  compensations  à  nous  offriras». 

«M.  Waddington  a  cru  préférable...  de  concéder  aux  Anglais  les  résultafs  immédiafs 
du  traifé  qu'ils  venaient  de  conclure  avec  la  Porte  ottomane  et  de  faire  appel  à  leur  esprit 
d'équité  et  à  leur  bon  sens  politique  pour  convenir  avec  eux  de  certaines  conditions  grâce 
auxquelles  les  résultats  futurs  de  ce  traité  ne  risqueraient  pas  de  compromettre  nos 
propres  intérêts.  De  là  les  conversations  qu'il  a  eues  non  seulement  avec  le  marquis  de 
Salisbury...  mais  avec  le  Premier  ministre,  lord  Beaconsfield^®».  De  ces  entrefiens  devaient 
sortir  un  accord  méditerranéen  cohérent,  une  entente  franco-anglaise  qui  préparait  un 
équilibre  nouveau  entre  les  grandes  puissances.  La  France  acceptait  l'occupation  de 
Chypre  ;  en  revanche,  elle  obtenait  le  maintien  du  statu  quo  en  Syrie  et  dans  les  Lieux 
Saints,  la  reconnaissance  du  protectorat  catholique  qu'elle  exerçait  traditionnellement 
dans  ces  régions.  Les  deux  puissances  se  reconnaissaient  réciproquement  leurs  intérêts 
en  Egypte  ;  elles  acceptaient  de  collaborer  au  redressement  financier  du  pays.  Enfin  et 
surtout,  lord  Salisbury,  bientôt  soutenu  par  Bismarck,  invitait  sans  ambages  Waddington 
à  chercher  en  Tunisie  une  compensation  à  l'occupation  de  Chypre. 

«Prenez  Tunis,  si  vous  voulez»,  m'a  dit  lord  Salisbury,  «l'Angleterre  ne  s'y  opposera 
pas  et  respectera  vos  décisions».  «D'ailleurs»  a-t-il  ajouté  dans  un  autre  entretien,  «vous 
ne  pouvez  pas  laisser  Carthage  aux  mains  des  barbares*'^...»  «Les  paroles  du  principal 
secrétaire  d'Etat  m'ont  été  confirmées  à  Berlin  par  la  bouche  du  comte  de  Beaconsfield 
ef  il  nous  esf  impossible  par  conséquent  de  douter  du  parfait  accord  de  vues  qui  règne 
dans  cette  question  entre  tous  les  membres  du  gouvernement  de  la  Reine».  C'est  ainsi 


45  A.  E.  Egypte  vol.  69.  Saint-Vallier  à  Barthélémy  Saint  Hilaire.  Berlin.  8  juillet  1881. 

46  A.  E.  Ail,  vol.  44.  A  Saint-Vallier  Paris,  29  juin  1881. 

47  Les  mots  dont  lord  Salisbury  s'est  servi  sont  «Do  what  you  like  there»  et,  dans  une  autre  conversation, 
répondant  aux  répugnances  et  aux  doutes  que  provoquait  chez  moi  l'idée  d'une  annexion  directe,  «You 
will  be  obliged  to  take  it,  you  cannot  leave  Carthage  in  the  hands  of  the  barbarians»  (A.  E.  angl.,  vol.  777. 
Waddington  à  d'Harcourt.  Cabinet.  Paris,  21  juillet  1878). 


320 


que  Waddington  rapportait  à  l'ambassadeur  à  Londres  ses  entretiens  avec  les  hommes 
d'Etat  britanniques^*.  Bismarck  visiblement  d'accord  avec  les  Anglais^^,  joignait  bientôt 
ses  instances  à  celles  de  Salisbury,  en  assurant  qu'il  donnait  son  complet  assentiment  à 
la  proposition  anglaise^o  pe  21  juillet,  le  prince  de  Galles  Edouard  qui  était  venu  visiter 
l'Exposition  internationale  de  Paris,  apportait  à  son  tour  son  approbation^i. 

Waddington  comprit  aussitôt  tout  le  parti  que  lui  offraient  les  suggestions  anglo- 
allemandes.  Tout  en  repoussant  l'idée  d'une  annexion  directe  et  immédiate  de  Tunis  à 
l'Algérie  et  en  réservant  la  décision  du  gouvernement  français,  il  évoqua  la  possibilité 
d'une  action  ultérieure  de  la  France  :  «Ce  à  quoi  nous  tenons»,  dit-il  à  Salisbury,  «c'est 
que  le  protectorat  de  fait  que  nous  exerçons  dans  ce  pays  soit  formellement  reconnu 
et  que  nous  ayons  toute  liberté  d'y  étendre  notre  influence  et  d'y  développer  nos 
intérêts  de  la  façon  qui  nous  conviendra  le  mieux,  sans  nous  heurter  à  des  prétentions 

rivales®^» 

Le  danger  pouvait  venir  de  l'Italie.  Aux  objections  que  soulevait  Waddington, 
Salisbury  répondit  que  les  Italiens  pourraient  prendre  Tripoli®*.  Les  Français  à  Tunis, 
les  Italiens  à  Tripoli,  le  marché  pouvait  convenir  à  la  France  ;  encore  fallait-il  connaître  le 
point  de  vue  italien  sur  la  question.  Mais  les  plénipotentiaires  français  étaient  soucieux 
de  garder  le  secret  sur  une  proposition  qui  n'avait  pas  encore  été  soumise  à  leur 
gouvernement.  Ils  se  tinrent  sur  la  réserve  vis-à-vis  de  leurs  collègues  transalpins. 

Salisbury,  de  son  côté,  ne  se  souciait  nullement  d'arbitrer  un  conflit  franco-italien 
au  sujet  de  la  Tunisie.  Sans  doute  ses  préférences  allaient-elles  à  la  France,  mais  il 
n'avait  à  ce  moment  pas  d'autres  préoccupations  que  de  faire  accepter  l'occupation  de 
Chypre  par  toutes  les  puissances.  Il  parla  donc  compensations  aux  Italiens,  évoqua  des 
perspectives  d'expansion  africaine,  sans  les  informer  des  suggestions  qu'il  venait  de 
faire  à  Waddington®"*,  H  s'exprima  en  termes  assez  peu  précis  pour  que  les  diplomates 


48  Ibid.  Waddington  à  d'Harcourt,  confid.  n°  102.  Paris,  21  juillet  1878. 

49  Qui,  des  Allemands  ou  des  Anglais,  eut  le  premier  l'idée  d'offrir  Tunis  à  la  France  ?  La  logique  voudrait 
qu'elle  fût  venue  des  Anglais  qui  firent  les  premières  propositions  précises  à  la  France,  qui,  plus  que  les 
Allemands,  avaient  besoin  d'une  collaboration  française  en  Méditerranée.  En  fait,  on  ne  saurait  conclure. 
L'idée  qui  était  dans  l'air  depuis  quelques  années  ne  fut  précisée  qu'en  1878  au  cours  d'entretiens  dont  les 
termes  exacts  n'ont  pas  été  rapportés.  Si  Odo  Russel  parlait  de  Tunis  à  Gontaut-Biron  sur  un  ton  mi  sérieux 
mi  badin  en  avril  1876,  un  an  plus  tôt,  Bismarck  dans  une  dépêche  officielle  au  prince  de  Hohenlohe,  s'était 
déclaré  favorable  à  une  expansion  française  en  Afrique  du  nord. 

L'entente  anglo-allemande  se  serait  réalisée  avant  le  congrès,  les  entretiens  Munster-Salisbury  d'avril  1878 
en  sont  un  bon  indice.  Sans  doute  fut-elle  confirmée  dès  les  premières  conversations  de  Berlin.  Le  journaliste 
Blowitz  qui  n'avait  pas  cru  au  sérieux  des  paroles  de  Bismarck  (des  saillies  auxquelles  il  n'attache  lui-même 
aucune  importance),  rapporte  en  ces  termes  un  entretien  avec  le  chancelier  :  «He  himself  told  me  :  «On  first 
seeing  Lord  Beaconsfield,  I  said  to  him,  you  ought  to  hâve  an  understanding  with  Russia  instead  of  thwar- 
ting  her.  You  might  leave  her  free  at  Constantinople  and  yourselves  take  Egypt,  which  would  compensate 
you  for  your  complaisance.  France  would  not  be  so  vexed  as  may  be  imagined,  and,  in  any  case,  Tunis  or 
Syria  might  be  given  her  as  an  équivalent».  I  took  this  at  the  time  and  still  take  it  for  a  jest,  but  the  Prince 
had  previously  spoken  in  the  same  strain  to  Lord  Salisbury  and  M.  Waddington».  (Times,  5  avril  1881,  p.  5  : 
France  and  Tunis  ;  Egalement  :  Memoirs...  pp.  140  sqq) 

Il  est  possible  qu'Andrassy  eût  été  dans  le  secret.  W.  Langer  note  en  effet  que  dès  le  début  d'avril  1878, 
Andrassy  instruisait  Haymerle  de  ne  plus  faire  de  suggestions  aux  Italiens  en  matière  de  compensations 
CAmer.  hist.  Review,  XXXI,  1925,  p.  66). 

50  L'entretien  avec  Bismarck  eut  lieu  probablement  le  13  juillet. 

51  A.  E.  Angl.  vol.  777.  Waddington  à  d'Harcourt.  Cabinet.  Paris,  21  juillet  1878. 

52  Ibid.  Du  même  au  même,  confid  n°  102.  Paris,  21  juillet  1878. 

53  Ibid.  Du  même  au  même.  Cabinet.  Paris,  21  juillet  1878. 

54  Salisbury  confessa  seulement  le  13  août  1873  à  Menabrea  qu'il  avait  parlé  de  Tunis  à  Waddington  mais  qu'il 
avait  rencontré  peu  d'enthousiasme  chez  son  interlocuteur  (Gorrini,  op.  cit  p.24). 


321 


italiens  aient  pu  penser  qu'il  désignait  indifféremment  Tripoli  ou  Tunis  à  leurs 

ambitions®^ 

Jusqu'alors,  les  plénipotentiaires  italiens  avaient  assisté  comme  en  spectateurs  aux 
délibérations  du  congrès.  De  Launay,  le  doyen  du  corps  diplomatique  à  Berlin,  s'effaçait 
devant  le  chef  de  la  délégation  italienne,  le  comte  Corti.  Or  celui-ci  n'osait  prendre 
aucune  initiative.  Partisan  d'une  bonne  entente  avec  toutes  les  puissances,  il  s'en  tenait 
à  la  ligne  de  conduite  qu'il  avait  défendue  à  Rome  devant  ses  collègues,  une  politique  de 
désintéressement  et  de  neutralité.  11  accepta  à  regret,  mais  sans  soulever  de  protestations, 
l'occupation  de  la  Bosnie,  en  feignant  de  croire  qu'elle  serait  tout  aussi  provisoire  que 
celle  de  la  Bulgarie  par  les  troupes  du  tsar.  Son  attitude  demeurait  purement  passive.  11 
se  ralliait  à  la  majorité  du  congrès  en  s'efforçant  surtout  de  ne  pas  déplaire  à  Bismarck 
qui  semblait  lui  inspirer  une  véritable  crainte.  Les  dépêches  qu'il  adressait  à  Rome 
se  bornaient  à  paraphraser  les  délibérations  et  les  décisions  de  l'assemblée.  Après 
le  refus  opposé  par  l'Italie  de  se  joindre  à  l'Angleterre  pour  une  action  commune  en 
Méditerranée,  une  telle  attitude  ne  pouvait  encourager  les  diplomates  anglais  à  tenir 
compte  des  aspirations  italiennes. 

L'Italie  fut  traitée  en  quantité  négligeable  et  sa  délégation  fut  la  seule  à  n'avoir 
pas  été  prévenue  par  les  Anglais  de  la  cession  de  Chypre.  Corti  n'en  eut  connaissance 
que  par  la  presse,  le  7  juillet.  Cairoli,  il  est  vrai,  lui  avait  télégraphié  de  se  tenir  sur 
ses  gardes  de  ce  côté,  mais  les  plénipotentiaires  italiens  ne  parurent  pas  s'en  soucier. 
Tardivement  informé  par  Salisbury,  le  jour  même  où  la  convention  de  Chypre  fut  rendue 
publique,  Corti  ne  cacha  pas  son  mécontentement.  C'est  alors  que  pour  calmer  la 
mauvaise  humeur  des  Italiens,  les  Anglais,  bientôt  suivis  par  les  Allemands,  évoquèrent 
en  termes  assez  vagues  l'idée  de  compensations  africaines  pour  l'Italie.  Salisbury  fit 
entendre  «à  mots  couverts»  à  de  Launay  que  l'Italie  à  son  tour  pourrait  songer  à  un 
agrandissement  vers  Tripoli  ou  Tunis^^.  Corti  aurait  reçu  de  Bulow  des  encouragements 
plus  directs  à  s'emparer  de  la  Tunisie^^.  Bonnes  paroles  sans  doute,  mais  qui  se  perdirent 
dans  le  brouhaha  d'une  fin  de  congrès  où  chacun  s'évertuait  à  offrir  aux  autres  des 
territoires  qui  ne  lui  appartenaient  pointas  ;  bonnes  paroles  auxquelles  les  diplomates 
italiens  n'apportèrent  qu'une  attention  médiocre  et  qu'ils  ne  songèrent  pas  même  à 
faire  préciser.  Mais,  lorsque  au  lendemain  du  congrès,  se  précisa  une  offre  de  Tunis 
à  la  France  qu'ils  n'avaient  pas  soupçonnée,  les  diplomates  italiens  se  souvinrent  des 
encouragements  qu'ils  avaient  reçus  de  divers  côtés.  Ainsi  naquit  vraisemblablement 
cette  histoire  d'une  offre  simultanée  de  Tunis  à  la  France  et  à  l'Italie  par  Bismarck^^, 


55  Gorrini  insiste  sur  ce  point.  Pour  lui,  Salisbury  et  Beaconsfield  auraient  agi  avec  plus  de  légèreté  que  de 
duplicité  pour  se  tirer  d'un  embarras  momentané,  sans  calculer  toutes  les  conséquences  de  leurs  paroles 
(op.  cit  pp.  20  sqq.). 

56  «Donc  il  pensait  presque  certainement  à  céder  Tunis  à  la  France  et  Tripoli  à  l'Italie»,  note  Gorrini. 

57  «Vous  voulez  donc  nous  brouiller  avec  la  France»,  aurait  répondu  Corti  à  Biilow  (rapporté  par  Chiala,  op.  cit 
vol.  2,  p.  91,  qui  ne  précise  pas  l'origine  de  son  information). 

58  Ch.  Dilke  :  The  présent  position  ofEuropean  politics,  or  Europe  in  1887,  pp.  27-28. 

59  La  thèse  d'une  offre  simultanée  de  Tunis  à  la  France  et  à  l'Italie  repose  sur  les  assertions  de  Corti.  «Votre 
Majesté  se  souvient»,  écrivit-il  au  roi  Humbert  le  15  août  1878,  «comment  M.  Bûlow  me  dit  à  Berlin, 
évidemment  de  la  part  du  prince  de  Bismarck  :  «Pourquoi  ne  prendriez-vous  pas  Tunis  ?»  [en  français  dans 
le  texte]...  En  même  temps  -  prophètes  faciles  -  lord  Salisbury  et  lord  Odo  Russell  dans  des  entretiens  avec 
le  comte  de  Launay  conseillaient  de  se  tenir  sur  ses  gardes  de  ce  côté»  (Comte  E.  Corti  :  II  conte  Corti  al 
Congresso  di  Berlino,  op.  cit.  p.  354). 

Corti  fit  des  confidences  analogues  à  Madame  Adam  de  passage  à  Rome  dans  l'été  1878,  à  Valbert  à 
Constantinople  en  1881  (Figaro,  24  janvier  1891),  à  Capponi.  Juliette  Adam  écrivit  en  mars  1889  dans  la 
Nouvelle  Revue  :  «A  mon  retour  (de  Grande  Grèce),  je  traversai  Rome  et  je  vis  le  comte  Corti.  A  ma  rentrée 


322 


légende  que  s'employèrent  à  répandre  en  France  des  esprits  inquiets  dénonçant  une 
manœuvre  machiavélique  pour  opposer  la  France  à  l'Italie  et  attirer  celle-ci  dans  une 
alliance  allemande®^. 

b)  Les  engagements  britanniques 

Au  lendemain  du  congrès,  tandis  que  Corti  devait  affronter  l'irritation  d'une 
opinion  italienne  profondément  déçue^i,  Waddington  se  hâtait  de  prendre  acte  des 
propositions  anglaises.  Aussitôt  qu'il  eût  entretenu  ses  collègues  du  ministère  et  le 
maréchal  président  des  conversations  de  Berlin,  il  avertit  l'ambassadeur  à  Londres,  le 
marquis  d'Harcourt,  par  deux  longues  dépêches  dans  lesquelles  il  soulignait  la  netteté 
des  déclarations  de  lord  Salisbury  concernant  la  Tunisie.  Sans  préjuger  encore  des 
intentions  du  gouvernement  français,  il  chargeait  d'Harcourt  de  demander  confirmation 
officielle  de  ses  paroles  au  chef  du  Foreign  Office. 


à  Paris,  je  vis  Gambetta,  et  chacun  d'eux,  mot  pour  mot,  me  répéta  la  même  phrase  qu'avait  dite  M.  de 
Bismarck  personnellement  à  M.  Waddington  et  M.  de  Bùlow,  au  plénipotentiaire  italien  :  «'^Angleterre  à 
Chypre,  pourquoi  ne  prendriez-vous  pas  Tunis  en  vous  arrangeant  avec  lAngleterre  ?». 

«Le  jeu  de  M.  de  Bismarck  était  cynique.  Cependant  il  nous  força  à  le  jouer»  (Tome  57,  p.233) 

Broadley  [Last  punie  war,  vol.  1,  p.l69).  Billot  (La  France  et  ITtalie,  vol.  2,  p.  53)  et  bien  d'autres  après  eux  ont 
repris  ces  assertions.  Plus  tard  Cappelli  {Neue  Frei  Presse,  3  août  1906)  et  même,  selon  Théodore  Wolff  {Das 
Vorspiel,  1925,  p.  292),  le  prince  de  Bùlow,  fils  du  plénipotentiaire  à  Berlin,  assurent  que  Bismarck  lui-même 
avait  offert  Tunis  aux  Italiens  au  cours  du  congrès.  Mais  nous  n'avons  trouvé  aucune  indication  de  ce  genre, 
ni  dans  les  archives  anglaises  ou  françaises,  ni  dans  les  documents  imprimés  allemands.  Bismarck  affirma 
au  contraire  à  deux  reprises,  au  cours  de  l'année  1880,  qu'il  avait  encouragé  Corti  à  tourner  son  attention  du 
côté  de  Tripoli,  thèse  qui  serait  plus  conforme  à  l'attitude  adoptée  par  Bismarck  dans  l'affaire  tunisienne,  de 
1878  à  1881. 

Les  entretiens  de  Berlin  sur  la  question  tunisienne  ont  été  minutieusement  étudiés  par  William  Langer 
dans  un  article  très  documenté  paru  en  1925,  The  european  Powers  and  the  French  occupation  of  Tunis 
(Amer  hist.  Review,  XXXI,  pp.  55-78,  251-265).  Langer  qui  demeure  très  sceptique  sur  la  réalité  de  l'offre 
allemande,  souligne  les  difficultés  d'arriver  à  conclure.  Sans  vouloir  nier  les  paroles  du  secrétaire  d'Etat 
allemand,  il  suggère  une  explication  :  lors  de  cet  entretien,  Bùlow  aurait  pu  n'être  pas  «au  courant»  des 
derniers  développements  d'un  congrès  qui  s'achevait  en  conversations  particulières  ;  de  toutes  façons,  ses 
paroles  n'auraient  engagé  que  lui-même  et,  après  le  refus  de  Corti,  Bismarck  aurait  pu  s'adresser  à  la  France 
pour  lui  offrir  la  Régence. 

Le  mot  de  Tunis  n'aurait  peut-être  pas  même  été  prononcé  par  Bùlow.  C'est  ce  que  faisait  remarquer  Gorrini 
dans  une  étude  sur  la  question  tunisienne  rédigée  en  1890  à  l'intention  de  Crispi,  à  l'aide  de  documents 
diplomatiques  italiens,  étude  qui  fut  publiée  en  1940  sous  le  titre  Tunisi  e  Biserta  (P*^®  partie  :  Tunisi  : 
Leggenda  e  Storia  (1878-1881).  Gorrini  constatait  qu'aucun  document  ne  prouvait  que  Tunis  eût  été  offert 
à  l'Italie  pendant  le  congrès  (p  16)  ;  il  qualifiait  de  légende  la  thèse  d'une  offre  simultanée  à  la  France  et  à 
l'Italie.  «Que  Bismarck  nous  eût  offert  la  Tunisie  en  1878,  ce  fut  le  comte  Corti  qui  le  laissa  croire.  Il  en  fit 
la  confidence  à  quelque  publiciste  ;  mais  quand  il  fut  serré  de  près,  il  confessa  qu'il  ne  se  souvenait  pas  bien 
si  Bismarck  lui  avait  offert  Tunis  ou  Tripoli  ou  encore  l'Albanie.  Peut-être  la  mémoire  le  trahissait-elle  ;  de 
toutes  façons,  dans  sa  correspondance  officielle,  je  n'en  ai  trouvé  aucune  trace  :  pourquoi  ne  l'aurait-il  pas 
dit  dans  le  compte  rendu  de  sa  mission  ?»  (p  19). 

La  thèse  de  Safwat,  Tunis  and  the  Great  Powers,  publiée  en  1943,  n'apporte  aucun  élément  nouveau.  L'Egyptien 
n'a  pas  eu  connaissance  de  l'ouvrage  de  Gorrini.  Il  se  borne,  sur  cette  question,  à  paraphraser  l'article  de  Langer. 
L'ouverture  complète  des  archives  italiennes  permettra-t-elle  d'élucider  complètement  cette  question  ?  Les 
remarques  de  Gorrini  que  nous  a  confirmées  M.  Federico  Chabot,  laissent  assez  peu  d'espoir  en  ce  domaine. 

60  Bismarck  n'avait  nul  besoin  de  soulever  une  question  tunisienne  pour  attirer  l'Italie  dans  son  alliance. 
En  1877,  il  avait  négligé  les  suggestions  de  rapprochement  formulées  par  Crispi.  II  ne  semble  pas  qu'il  ait 
provoqué  ou  encouragé  une  rivalité  franco-italienne  au  sujet  de  Tunis.  Toutefois,  une  telle  situation  pouvait 
ne  pas  lui  déplaire  dans  la  mesure  où  elle  empêchait  la  constitution  entre  Petersbourg,  Paris  et  Rome,  d'une 
triple  entente  dirigée  contre  l'Autriche. 

61  «Les  Italiens  sont  mécontents,  non  parce  que  nous  avons  eu  Chypre,  mais  parce  qu'ils  n'ont  rien  obtenu. 
Je  crains  que  le  pauvre  Corti  ne  perde  sa  place  à  cause  de  sa  modération»,  notait  Salisbury  en  juillet  (Cecil, 
op.  cit  p.  295  à  M.  Cross,  12  juillet  1878).  «L'Italie  n'a  pas  été  plus  humiliée  que  la  Russie  et  que  la  France», 
écrivait  Corti  pour  se  défendre,  le  17  août  1878  (Comte  E.  Corti,  op.  cit.  p.359).  Comme  l'avait  prévu  Salisbury, 
il  ne  tarda  pas  à  donner  sa  démission  (octobre  1878). 


«Je  suis  d'avis»,  écrivait-il,  «qu'il  faut  profiter  de  l'occasion  qui  s'offre  à  nous  pour 
obtenir  des  Anglais  leur  consentement  formel  à  tout  ce  qu'il  nous  conviendrait  de  faire  à 
Tunis,/  compris  l'annexion,  et  l'engagement  de  ne  faire  aucune  opposition  aux  mesures 
que  nous  pouvons  être  amenés  à  prendre...  En  effet,  il  serait  fort  possible  que  dans  trois 
mois  d'ici  les  Anglais  aient  changé  d'avis.  Vous  insisterez  donc,  le  cas  échéant,  pour 
une  réponse  catégorique  :  le  gouvernement  anglais  doit  s'engager  à  nous  donner  carte 
blanche  à  Tunis.» 

«Ce  que  nous  ferons  à  Tunis,  nous  ne  le  savons  pas  encore  :  la  question  est  à 

l'étude»^2 

Le  marquis  d'Harcourt  fit  sa  démarche  le  23  juillet  1878.  11  trouva  en  lord  Salisbury  un 
interlocuteur  réservé,  embarrassé®^,  soucieux  avant  tout  de  ne  pas  laisser  divulguer  des 
entretiens  où  il  s'était  fort  avancé.  Salisbury  ne  cacha  pas  son  humeur  de  voir  reproduites 
dans  une  dépêche  officielle  les  paroles  mêmes  qu'il  avait  prononcées  à  Berlin.  «Nous 
ne  pouvons  pas  donner  ce  qui  ne  nous  appartient  pas»,  fit-il  remarquer  au  marquis 
d'Harcourt.  Sans  nier  l'exactitude  des  termes  rapportés  par  Waddington,  il  insista  pour 
que  la  communication  française  fût  habillée  d'une  façon  plus  diplomatique®'^. 

Waddington  y  consentit  volontiers.  11  rédigea  le  26  juillet  une  nouvelle  dépêche  où, 
selon  les  vœux  du  secrétaire  d'Etat  anglais,  il  relatait  avec  moins  de  crudité  les  paroles 
échangées  à  Berlin®^. 

Salisbury  y  répondit  le  7  août  par  une  longue  dépêche  où,  après  avoir  salué 
l'œuvre  civilisatrice  de  la  France  en  Algérie,  il  évoquait  en  termes  mesurés  la  possibilité 
d'une  expansion  française  en  Tunisie  à  laquelle  l'Angleterre  n'entendait  point  susciter 
d'obstacles  :  «La  présence  de  la  France  sur  ces  côtes,  appuyée  comme  elle  l'est  par 
d'imposantes  forces  militaires,  doit  lui  donner  le  pouvoir  d'exercer,  quand  elle  le  jugera 
opportun,  une  pression  décisive  sur  le  gouvernement  delà  province  voisine  de  Tunis.  C'est 
là  une  conséquence  que  [le  gouvernement  britannique]  a  depuis  longtemps  reconnue 
comme  inévitable  et  qu'il  a  acceptée  sans  répugnance.  L'Angleterre  n'a  pas  dans  cette 
région  d'intérêts  spéciaux  qui  puissent  l'amener  à  considérer  avec  appréhension  et  avec 
défiance  la  légitime  extension  de  l'influence  française®®». 


62  A.  E.  angl.  vol.  777.  Waddington  à  d'Harcourt,  cabinet.  Paris,  21  juillet  1878. 

63  L'embarras  de  Salisbury  transparaît  dans  la  lettre  qu'il  adressa  à  lord  Lyons  le  20  juillet  en  réponse  à  la 
dépêche  de  l'ambassadeur  qui  lui  faisait  part  de  récents  entretiens  avec  Waddington  sur  la  question 
tunisienne.  «If  France  occupied  Tunis  tomorrow  we  should  not  even  remonstrate.  But  to  promise  that 
publicly  would  be  a  little  difficult,  because  we  must  avoid  giving  away  other  people's  property  without  their 
consent,  and  also  because  it  is  no  business  of  ours  to  pronounce  beforehand  on  the  considérations  which 
Italy  would  probably  advance  upon  that  subject»  (Newton,  op.cit.  vol.  2,  p.l55). 

64  A.  E.  angl.  vol.  777  dép.  d'Harcourt.  Londres,  24  juillet  1878  ;  F.  0.  27/2300  à  Lyons,  secret  F.  0.  24  juillet 
1878.  Egalement  :  Newton,  op.  cit  vol.  2,  p.  158.  Salisbury  à  Lyons,  24  juillet  1878  :  «The  général  ténor  is 
quite  accurate,  but  his  vivacious  French  by  no  means  renders  the  tone  of  my  English  communication,  and 
what  is  of  more  importance  to  the  rights  and  daims  of  other  Powers,  Turkey  and  Italy  especially.  What  I  told 
him  was  that  if  a  State  of  things  should  arise  in  which  there  was  no  other  obstacle  to  his  occupying  Tunis  but 
our  objection,  that  objection  would  not  be  made...  But  he  makes  me  talkof  Tunis  and  Carthage  as  if  they  had 
been  my  own  personal  property  and  I  was  making  him  a  libéral  wedding  présent». 

65  «Faites  à  Tunis  ce  que  vous  jugerez  convenable»,  m'a  dit  sa  Seigneurie  :  «L'Angleterre  ne  s'y  opposera  pas  et 
respectera  vos  décisions».  «Revenant  dans  une  autre  occasion  sur  ce  sujet.  Lord  Salisbury  n'hésitait  pas  à 
me  confier  qu'il  regardait  comme  moralement  impossible  que  le  régime  actuel  pût  durer  à  Tunis,  et  qu'aux 
yeux  du  Cabinet  anglais,  il  appartenait  à  la  France  de  présider  à  la  régénération  de  ce  pays  consacré  par  de 
grands  souvenirs...»  et  «placé  par  la  force  des  circonstances  dans  l'orbite  de  notre  action»  (A.  E.  angl.  vol. 
777). 

66  F.  O.  27/2300  et  A.  E.  angl.  vol.  778  à  Lyons  F.  0.  7  août  1878. 

324 


Tout  cela  n'allait  pas  sans  réserves  ni  réticences.  Salisbury  insistait  longuement 
sur  le  caractère  privé  des  entretiens  qu'il  avait  eus  avec  Waddington^^  ;  il  terminait  en 
mettant  en  garde  les  Français  contre  de  possibles  ambitions  italiennes.  Mais  l'essentiel 
était  dit  :  l'Angleterre  acceptait  sans  lui  fixer  de  limites  le  développement  de  l'influence 
française  dans  la  Régence  ;  Salisbury  faisait  part  du  désintéressement  britannique  et, 
sans  donner  à  sa  déclaration  le  caractère  d'une  offre,  il  assurait  à  Waddington  que, 
politiquement  l'Angleterre  se  retirait  des  affaires  tunisiennes. 

La  France  avait  donc  carte  blanche  en  Tunisie.  Déjà  Waddington  s'apprêtait  à  en  tirer 
les  premières  conséquences.  Avant  même  d'avoir  reçu  communication  de  la  dépêche 
anglaise,  par  ses  entretiens  avec  les  hommes  politiques  français,  ses  communications  à 
Roustan,  il  esquissait  les  grandes  lignes  de  son  programme,  il  fixait  le  but  et  les  limites 
de  l'intervention  française  en  prononçant  le  mot  de  protectorat.  Selon  le  mot  attribué 
à  Albert  Vandal  :  «si  on  avait  bien  fouillé  les  poches  de  M.  Waddington  à  son  retour  de 
Berlin,  on  y  aurait  peut-être  trouvé  la  clef  de  la  Tunisie»®®. 


67  The  conversations  which  I  had  with  M.  Waddington  «were  of  a  private  character  and  did  not  differ  in 
their  circumstances  from  those  which  daily  took  place  between  the  varions  Plenipotentiaries.  1  did  not, 
therefore,  at  the  time  make  any  note  of  them  or  transmit  any  summary  of  them  to  Y.  E.  as  it  is  usual  to  do 
after  conversations  of  importance  taking  place  at  the  Foreign  Office.  I  am  consequently  unable  to  affirm  that 
M.  Waddington  has  reproduced  the  précisé  words  made  use  of  then,  either  by  himself  or  me...  So  far,  and 
without  being  able  to  confirm  the  exact  phrases  attributed  to  me,  1  hâve  great  pleasure  in  bearing  witness  to 
the  général  justice  of  his  recollections»  (Ibid). 

68  F.  Waddington,  op.  cit  p.  322. 

Jean  Darcy  rapporte  que  Waddington  lui-même,  à  son  départ  de  Berlin,  aurait,  en  frappant  sur  sa  poche, 
confié  à  un  ami  :  «Mon  cher,  je  rapporte  là  dedans  la  Tunisie»  (France  et  Angleterre,  1904,  p.  204). 


325 


326 


CHAPITRE  XI 

LA  RIVALITÉ  FRANCO-ITALIENNE  (1878  1880) 


Il  fallut  à  la  France  près  de  trois  ans  pour  se  décider  à  l'action,  trois  ans  d'hésitations 
et  de  demi  mesures,  avant  de  lancer  comme  à  regret  l'expédition  qui  imposait  au  bey  le 
traité  de  protectorat.  En  1878  pourtant,  la  situation  internationale  était  favorable  ;  mais 
le  personnel  politique  redoutait  l'hostilité  d'une  opinion  publique  qui  ne  se  souciait  que 
de  questions  intérieures  et  qui,  depuis  1871,  se  partageait  entre  le  désir  de  la  revanche 
et  la  crainte  de  l'Allemagne.  Le  baron  de  Courcel,  un  des  hauts  fonctionnaires  du  quai 
d'Orsay,  dépeignait  «le  néant  volontaire  et  obstiné»  de  l'opinion  française^.  «L'Empire  a 
dégoûté  notre  pays  des  aventures»,  écrivait  Ferry.  «Les  désastres  d'une  guerre  insensée, 
entreprise  sans  alliances  et  sans  préparation,  ont  développé  dans  les  masses  profondes 
de  la  nation  ce  culte  obstiné  de  la  paix^...» 

L'opinion  était  plutôt  hostile  aux  expéditions  coloniales.  C'était  un  fait  bien 
établi  que  les  colonies  coûtaient  cher,  à  administrer  comme  à  conquérir.  L'expédition 
du  Mexique  avait  laissé  de  fâcheux  souvenirs.  L'exemple  algérien  montrait  que  la 
pacification  demeurait  incertaine,  que  périodiquement  il  fallait  y  mener  campagne, 
organiser  ces  expéditions  auxquelles  poussaient  des  militaires  en  mal  d'avancement. 
On  ne  voyait  alors  aucune  raison  économique  pour  reprendre  outre  mer  l'expansion 
menée  sous  le  second  Empire.  La  France  n'y  était  poussée  ni  par  des  nécessités 
commerciales  ni  par  des  impératifs  démographiques.  Sa  population  avait  cessé  de 
s'accroître  ;  malgré  l'exode  des  Alsaciens-Lorrains,  Espagnols  et  Italiens  étaient  aussi 
nombreux  que  les  Français  à  coloniser  les  côtes  d'Algérie.  Pour  la  plupart  des  hommes 
politiques,  l'expansion  coloniale  n'était  qu'un  luxe  ;  elle  risquait  de  disperser  les  forces 
de  la  France  à  un  moment  où  elle  devait  songer  avant  tout  à  sa  sécurité  continentale. 
Des  économistes  de  grande  autorité,  tels  Léon  Say,  les  Belges  Molinari  ou  Laveleye  ne 
pensaient  pas  autrement. 

Seules,  quelques  voix  isolées  s'élevaient  en  faveur  des  entreprises  coloniales. 
Prévost-Paradol  avait  déjà  attiré  l'attention  de  la  France  vers  l'Afrique.  L'économiste  Paul 
Leroy-Beaulieu  formulait  la  doctrine  expansionniste  en  publiant,  en  1874,  la  première 


1  Baron  de  Courcel  :  Souvenirs  inédits. 

2  Robiquet  :  Discours  et  opinions  de  Jules  Ferry,  vol.  5,  p.  522. 


327 


Tunis  en  1878 

(Reconstitution  d'après  des  documents  de  l'époque  et  un  fragment 
de  plan  conservé  à  la  municipalité  de  Tunis], 


édition  de  son  livre  De  la  colonisation  chez  les  peuples  modernes,  où  il  concluait  que  «la 
fondation  des  colonies  est  la  meilleure  affaire  dans  laquelle  on  puisse  engager  les  capitaux 
d'un  vieil  et  riche  pays^».  Mais  cet  appel  qui  pouvait  rallier  des  financiers  en  quête  de 
placements  avantageux  n'avait  suscité  aucun  écho  dans  l'opinion  ni  au  Parlement.  La 
divulgation  des  entretiens  de  Berlin,  les  ouvertures  faites  à  la  France  n'avaient  guère 
provoqué  plus  de  réactions  favorables.  Les  encouragements  de  Bismarck  pouvaient 
cacher  un  piège,  une  manœuvre  destinée  à  nous  affaiblir  en  cas  de  conflit  européen.  La 
douloureuse  mais  insoluble  question  d'Alsace-Lorraine  continuait  de  peser  lourdement 
sur  la  politique  française.  Pouvait-on  solliciter  les  services  de  l'ennemi  de  la  veille  ?  Et, 
dans  l'affaire  tunisienne,  pouvait-  on  ignorer  l'Italie,  négliger  ses  réactions  ? 

11  était  difficile  de  rompre  avec  la  politique  de  recueillement.  L'abstention  posait 
moins  de  problèmes.  Soucieux  de  leurs  responsabilités,  les  ministres  hésitèrent  à 
s'engager  dans  une  politique  qui  comportait  des  risques.  Leur  circonspection,  leur  manque 
d'enthousiasme  firent  traîner  en  longueur  une  affaire  dont  ils  fussent  rapidement  venus 
à  bout  avec  un  peu  de  décision.  A  Paris,  on  ne  voulait  pas  d'une  expédition  militaire  ; 
on  espérait  toujours  que  le  protectorat  tunisien  se  réglerait  à  l'amiable,  que  le  bey  se 
laisserait  convaincre  de  signer  une  convention  avec  la  France.  Quelques  mouvements  de 

3  Page  525. 

328 


troupes  sur  la  frontière,  une  démonstration  navale  dans  les  eaux  tunisiennes  suffiraient, 
pensait-on,  à  emporter  ses  dernières  résistances. 

Les  mois,  puis  les  années  passèrent  en  atermoiements.  Waddington  cédait  la  place 
à  de  Freycinet  que  remplaçait  à  son  tour  Barthélemy-Saint-Hilaire.  Nul  n'osait  agir 
avec  vigueur.  A  Tunis,  au  début  de  1881,  la  situation  se  détériorait.  Le  bey,  réconcilié 
avec  les  Italiens,  menait  l'offensive  contre  les  sociétés  françaises  implantées  dans  le 
pays.  Les  dispositions  des  puissances  devenaient  moins  favorables.  L'avenir  semblait 
compromis. 

Pour  emporter  la  décision  du  gouvernement  dans  une  année  d'élections,  il  fallut 
l'ardente  pression  de  Roustan  et  de  tout  le  haut  personnel  diplomatique,  l'intervention 
de  Courcel,  l'adhésion  d'un  Gambetta  longtemps  hostile.  On  dut  se  résoudre  à  lancer  en 
Tunisie  cette  expédition  qu'on  avait  si  longtemps  espéré  éviter.  Mais  on  n'osait  avouer 
l'objet  réel  de  la  campagne,  la  prise  de  possession  définitive  de  la  Régence.  Sous  prétexte 
de  châtier  les  Khroumirs,  le  gouvernement  français  annonçait  une  opération  de  police 
un  peu  rude,  une  campagne  en  territoire  tunisien  pour  ramener  le  calme  chez  des  tribus 
insoumises. 

Le  soutien  de  Bismarck  que  l'on  taisait  au  grand  public  allait  assurer  le  succès  d'une 
entreprise  que  le  mécontentement  de  l'Italie  et  la  mauvaise  humeur  de  l'Angleterre 
rendaient  hasardeuse.  Après  trois  ans  d'hésitations,  la  France  se  décidait  enfin  à  cueillir 
la  «poire  tunisienne»  qu'on  lui  avait  offerte  à  Berlin  ;  ce  faisant,  elle  inaugurait  une 
nouvelle  politique  d'expansion  coloniale  qui  allait  la  lancer  de  tous  côtés  à  la  conquête 
d'un  empire  africain.  Mais  les  dessous  financiers  de  l'expédition  tunisienne  bientôt 
dévoilés  au  grand  jour,  n'allaient  pas  réconcilier  l'opinion  avec  des  entreprises  coloniales, 
où  certains  continuaient  de  voir  des  aventures  mexicaines,  des  guerres  menées  pour  le 
profit  d'une  poignée  d'affairistes  et  d'aventuriers. 

I  -  Projets  de  protectorat 

a)  Le  premier  projet  de  Waddington 

A  son  retour  de  Berlin,  Waddington  ne  trouva  chez  ses  collègues  que  peu 
d'enthousiasme  en  faveur  de  l'affaire  tunisienne.  Hormis  de  Marcère,  le  ministre  de 
l'Intérieur,  et  peut-être  Dufaure,  le  président  du  conseil,  les  ministres^  se  tinrent  sur  la 
réserve. 

«M.  de  Bismarck,...»  écrit  de  Marcère,  «nous  fit  entendre  que  nous  pourrions  nous 
emparer  de  la  Tunisie  sans  qu'il  eût  rien  à  y  redire.  La  question  se  posa  au  conseil  de 
savoir  si  nous  ne  devions  pas  profiter  de  cette  sorte  d'ouverture.  Quelques-uns  d'entre 
nous  rappelaient  l'adage  :  Timeo  Danaos  et  dona  ferentes.  Quant  à  moi,  je  n'éprouvais 
pas  ce  scrupule.  Je  pensais  depuis  longtemps,  et  le  général  Chanzy  m'avait  confirmé 
dans  l'opinion  que  la  possession  de  la  Tunisie  était  indispensable  à  la  sécurité  de  notre 
colonie  d'Afrique.  Le  maréchal  de  Mac  Mahon  partageait  cet  avis.  Il  était  très  résolu  et 
aurait  volontiers  engagé  l'affaire,  dont  le  succès  assuré  souriait  à  son  patriotisme  et 
aurait  jeté  un  reflet  de  gloire  sur  sa  présidence.  Le  conseil  des  ministres  ne  jugea  pas 


4  Le  cabinet  était  alors  composé  de  la  façon  suivante  :  DUFAUR^  présidence  du  Conseil  et  Justice  ;  De  MARCERE, 
Intérieur  ;  WADDINGTON,  Affaires  étrangères  ;  Léon  SAY,  Finances  ;  BARDOUX  Instruction  publique;  général 
BOREL,  Guerre  ;  vice-amiral  POTHUAU,  Marine  ;  TEISSERENC  DE  BORT,  Agriculture  et  Commerce  ;  De  FREYCINET, 
TRAVAUX  publics. 


329 


qu'il  y  eût  lieu,  pour  le  moment,  de  donner  suite  à  cette  affaire®...»  Aucune  décision  ne  fut 
prise  ;  du  moins  Waddington  put-il  reprendre  avec  Salisbury  ses  entretiens  de  Berlin  et 
obtenir  confirmation  de  ses  paroles  par  un  échange  de  lettres  officielles. 

Chanzy,  le  gouverneur  général  de  l'Algérie,  se  trouvait  à  Paris.  Roustan  avait  été 
averti  le  19  juillet.  Waddington  lui  demandait  des  informations  sur  l'état  d'esprit  du  bey, 
sur  ses  possibilités  de  résistance,  et  le  chargeait  de  préparer  un  projet  de  protectorat. 
Le  1“  août,  il  invitait  le  consul  à  se  rendre  à  Paris.  Parti  le  6,  Roustan  arriva  à  Paris  le  9 
pour  un  séjour  de  deux  semaines. 

Des  entretiens  entre  Waddington,  Chanzy  et  Roustan  devait  sortir  un  projet  de 
protectorat  prévoyant  l'occupation  d'un  certain  nombre  de  points  stratégiques,  comme 
Bizerte,  le  Kef,  La  Goulette  et  Gabès,  l'installation  d'un  résident  français  auprès  du  bey. 
la  France  n'entendait  point  se  charger  de  l'administration  du  pays  ;  elle  se  bornerait  à 
réorganiser  gendarmerie  et  police,  garantirait  au  bey  une  liste  civile,  sa  vie  durant,  ainsi 
que  des  pensions  aux  princes  de  sa  famille®. 

Roustan  était  chargé  de  présenter  ce  traité  sous  forme  d'une  convention  amicale. 
En  cas  de  refus,  une  démonstration  navale  dans  les  eaux  tunisiennes  appuyée  par 
l'intervention  d'une  force  militaire  sur  la  frontière  amènerait  le  bey  à  composition.  Les 
prétextes  d'une  intervention  ne  manquaient  pas  :  le  gouvernement  français  pouvait 
ouvrir  le  dossier  des  incidents  de  frontière,  exiger  surtout  le  châtiment  des  Khroumirs 
dont  le  dernier  méfait,  le  pillage  d'un  navire  français  jeté  sur  la  côte  près  de  Tabarka,  fin 
janvier  1878,  demeurait  toujours  impuni^.  Pour  désarmer  l'Italie,  Waddington  songeait 
à  lui  offrir  Tripoli®. 

Comme  l'avait  souligné  Salisbury,  l'Italie  était  le  principal  obstacle  à  la  réalisation 
des  projets  français.  Mais  les  circonstances  étaient  peu  favorables  à  l'ouverture  de 
pourparlers  franco-italiens  sur  les  questions  d'Afrique  du  nord.  L'opinion  publique 
italienne  était  profondément  déçue  et  irritée  par  les  résultats  du  congrès  de  Berlin.  En 


5  Hanotaux  :  Histoire  de  la  France  contemporaine  (1871-1900)  ;  IV,  pp.  388-89,  n.  1. 

L'attitude  de  Mac  Mahon  a  été  un  objet  de  controverses.  Hanotaux  rapporte  lui-même  deux  anecdotes 
contradictoires  :  les  plénipotentiaires  français  ayant  rédigé  un  projet  de  motion  à  soumettre  au  congrès, 
l'envoyèrent  à  Paris  pour  approbation.  «On  raconte  que  le  maréchal,  à  peine  les  yeux  jetés  sur  les  documents, 
se  mit  dans  une  violente  colère  :  «Ils  veulent  nous  f...  l'Italie  sur  le  dos,  maintenant»,  se  serait-il  écrié.  «Jamais 
je  ne  consentirai  ;  je  ne  veux  pas  qu'on  nous  jette  dans  une  nouvelle  querelle,  je  ne  veux  pas,  entendez-vous 
bien  !...»  (IV,  p.  388). 

Hanotaux  assure  que  ces  renseignements  sur  le  langage  et  l'attitude  de  Mac  Mahon  «proviennent  d'un 
témoin  oculaire  et  digne  de  foi»  (Note  1,  p.388).  Il  n'en  cite  pas  moins  l'opinion  de  de  Marcère  qui  est  toute 
différente. 

Quelles  qu'aient  pu  être  les  opinions  successives  du  maréchal,  en  juillet  1878,  il  était  très  favorable  au  projet 
tunisien  ;  Waddington  l'écrit  expressément  à  Saint-Vallier,  le  21  juillet  1878  et  Noailles  à  Freycinet  le  19  avril 
1880  (A.  E.  Italie,  vol.  57,  lettre  particulière). 

Ces  témoignages  sont  confirmés  en  outre  par  lord  Lyons  dans  sa  correspondance  avec  Salisbury,  par  Courcel, 
dans  ses  souvenirs  inédits  et  par  d'Estournelles  de  Constant  qui  cite  Mac-Mahon,  Dufaure  et  Chanzy  parmi 
les  «partisans  d'une  action  immédiate»  [La  politique  française  en  Tunisie,  p.  81). 

6  Nous  n'avons  pas  retrouvé  le  texte  même  de  ce  projet,  mais  divers  recoupements  permettent  d'en  préciser 
les  dispositions. 

7  L'épave  de  l'Auvergne,  un  quatre  mâts  de  la  S.  G.  T.  M,  avait  été  pillée  par  une  fraction  des  Khroumirs  et 
les  survivants  du  naufrage  avaient  échappé  de  peu  au  massacre.  Comme  à  l'ordinaire,  le  bey  n'avait  pu 
avoir  raison  des  montagnards.  La  question  d'une  indemnité  à  la  compagnie  de  navigation  était  toujours  en 
discussion  au  milieu  de  l'été  et  Wood  craignait  que  les  Français  n'en  tirassent  argument  pour  franchir  la 
frontière  en  force  sous  prétexte  de  châtier  les  Khroumirs  (F.  0.10  2/  111.  Wood  à  Salisbury,  confid.  Tunis,  31 
août  1878). 

8  A.  E.  Tunis,  vol.  46.  Tél  à  Roustan,  19  juillet  1878. 

330 


Lombardie,  en  Vénétie  surtout,  se  développait  une  vive  agitation  anti-autrichienne.  Corti, 
à  son  retour  de  Berlin,  était  menacé,  insulté.  La  presse  déplorait  les  humiliations  subies 
par  le  pays.  L'Italie,  VOpinione,  la  Perseveranza,  le  Diritto  s'en  prenaient  à  la  faiblesse  du 
gouvernement.  La  Riforma  de  Crispi  se  distinguait  par  la  violence  de  ses  attaques  contre 
Corti  qu'elle  accusait  d'incapacité  et  d'indignité. 

Le  cabinet  Cairoli  en  plein  désarroi  semblait  à  la  veille  de  se  dissoudre.  En  vain 
essayait-il  d'intéresser  le  gouvernement  britannique  à  la  cause  des  revendications 
italiennes.  Le  gérant  de  l'ambassade  anglaise  faisait  la  sourde  oreille  lorsque  le  secrétaire 
général  du  ministère  venait  l'entretenir  des  frontières  italo-autrichiennes®.  L'Italie  n'était 
pas  plus  heureuse  dans  les  affaires  d'Egypte  où  elle  ne  réussissait  pas  à  se  faire  admettre 
en  tiers  entre  la  France  et  l'Angleterre. 

Sans  doute  était-il  prudent  d'attendre,  pour  parler  Tunisie,  que  le  calme  fût  revenu 
dans  la  péninsule.  Même  assortie  de  suggestions  concernant  la  Tripolitaine,  une 
déclaration  française  eût  provoqué  de  nouveaux  froissements  d'amour-propre.  À  Paris, 
on  ne  pouvait  ignorer  que  c'était  vers  Tunis  et  non  vers  Tripoli  que  se  portaient  les 
velléités  d'expansion  italiennes.  Toutefois  il  n'était  pas  possible  de  différer  indéfiniment 
une  explication.  Les  entretiens  de  Berlin  n'avaient  pu,  en  effet,  demeurer  longtemps 
secrets.  Dès  le  16  juillet,  de  Launay  avait  alerté  Cairoli^o.  La  presse  française  et  italienne 
avait  repris  les  assertions  de  la  Liberté  et  du  Montagsblatt  de  Berlin  qui,  le  16  juillet, 
divulguaient  les  conversations  franco-anglaises^. 

Salisbury  lui-même  devait  confesser  à  l'ambassadeur  d'Italie,  Menabrea,  le  13 
août,  qu'il  avait  parlé  de  Tunis  à  Waddington  mais  qu'il  l'avait  trouvé  très  réticenti^. 
L'ambassadeur  à  Paris,  le  général  Cialdinii^  entreprit  une  campagne  de  sondages  dans 
les  milieux  politiques  de  la  capitale.  Waddington  se  tint  sur  la  réserve;  Gambetta,  à  deux 
reprises,  affirma  que  la  France  ne  songeait  pas  à  la  Tunisie,  que  ni  lui  ni  le  parti  républicain 
ne  voulaient  d'une  annexion  qui  conduirait  à  une  rupture  avec  l'Italie  «Fidarsi  é  bene», 
concluait  Cialdini,  «non  fidarsi  é  meglio»'*. 


9  F.  0.  45/338.  Mac  Donel  à  Salisbury.  Rome,  5  et  6  août  1878.  -  L'attitude  de  Mac  Donel  était  approuvée  par  le 
ministre  (Note  de  Salisbury  sur  le  télégramme  du  5  août). 

10  Gorrini,  op.  cit  p.l06. 

L'ambassadeur  à  Paris,  Cialdini,  demeurait  sceptique.  Informé  du  télégramme  de  de  Launay  conseillant 
de  surveiller  la  France  en  Tunisie,  il  répondait  le  18  en  reprenant  les  termes  mêmes  de  son  collègue  à 
Berlin  «qu'il  serait  prudent  d'avoir  l'œil  ouvert  sur  le  prince  de  Bismarck  relativement  à  des  combinaisons 
éventuelles  concernant  la  Hollande»  (Crispi  :  Politica  estera,  p.78). 

11  «D'après  [une]  version  dont  nous  ignorons  la  valeur...  un  peu  avant  la  publication  du  traité  dans  lequel  la 
Turquie  cédait  Chypre  à  l'Angleterre,  lord  Beaconsfield  offrait  à  M.  Waddington,  pour  la  France,  la  Régence 
de  Tunis. 

Notre  ministre  des  affaires  étrangères  aurait  décliné  l'offre,  voulant  revenir  du  Congrès  les  mains  nettes, 
et  aurait  déclaré  que  la  France  républicaine  ne  pouvait  rien  accepter  du  partage  de  la  Turquie»  {Liberté,  16 
juillet  1878  :  La  France  et  le  partage  de  la  Turquie). 

12  Gorrini,  op.  cit.  pp.  24,106. 

13  CIALDINE,  duc  de  Gaète  (Enrico),  général  et  diplomate  italien,  né  à  Castelvetro,  près  Modène,  en  1813,  mort 
à  Livourne  en  1892. 

Après  avoir  lutté  contre  le  duc  de  Modène,  il  combattit  en  Espagne  et  au  Portugal,  commanda  la  brigade 
sarde  à  Sébastopol,  se  distingua  à  Palestro,  Castelfidardo  et  Gaète,  ce  qui  lui  valut  le  titre  de  duc  de  Gaète. 
Élu  député  de  Reggio  d'Emilie,  en  1860,  il  fut  nommé  sénateur  en  1864  et,  en  juillet  1876,  fut  désigné  comme 
ambassadeur  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Paris  en  remplacement  de  Nigra.  Démissionnaire 
en  novembre  1879,  il  fut  de  nouveau  accrédité  à  Paris,  de  juin  1880  à  mai  1881  (T.  Sarti,  op.  cit.  pp.  280- 
281). 

14  Chiala,  op.  cit.  vol.  2,  p.l04. 

Gorrini,  op.  cit.  pp.  57-58,106. 


331 


Cairoli,  inquiet,  décidait  d'envoyer  en  mission  d'information  à  Tunis  un  de  ses  amis 
politiques,  le  député  Giovanni  Mussi,  qui  était  chargé  de  gérer  le  consulat  en  l'absence 
de  Pinna.  Au  milieu  d'août,  il  détachait  à  Alger  un  officier  de  marine  pour  surveiller  les 
évolutions  de  l'escadre  française  qui  manœuvrait  en  Méditerranée.  L'Italie  désormais, 
se  tenait  sur  ses  gardes. 

Roustan  n'eut  pas  le  temps  d'agir.  Le  1“  septembre,  Waddington  lui  télégraphiait 
de  suspendre  ses  démarches.  «Nous  avons  besoin  de  temps»,  écrivait-il  le  5  septembre, 
«et  dans  l'état  surexcité  des  Musulmans  en  Turquie,  il  serait  imprudent  de  presser 
des  solutions  qui  fourniraient  un  nouvel  aliment  au  fanatisme^^».  Plus  qu'à  la  crainte 
de  complications  orientales,  l'ajournement  du  projet  français  était  dû  à  l'attitude  de 
l'Italie^®.  A  cela  s'ajoutait  la  résistance  des  milieux  politiques  français  et  surtout  l'ardente 
opposition  de  Gambetta.  L'incertitude  de  la  politique  française  toujours  écartelée  entre 
une  Chambre  républicaine  et  un  Sénat  en  majorité  monarchiste,  n'était  guère  propice  à 
des  initiatives  hardies.  Les  républicains  ne  pouvaient  accueillir  avec  faveur  l'exécution 
d'un  projet  soutenu  par  Mac-Mahon  et  par  les  généraux  monarchistes  de  son  entourage. 
Le  succès  d'une  entreprise  tunisienne  pouvait  donner  un  prestige  nouveau  au  maréchal 
président  avec  lequel,  depuis  l'échec  du  16  mai,  ils  demeuraient  en  état  d'hostilité  latente. 
«On  ne  voulait  pas  que  la  république  obtînt  ce  qu'on  regardait  comme  son  premier  succès 
sous  M.  le  maréchal  de  Mac  MahoM^  !».  En  outre  Gambetta  s'était  prononcé  nettement 
contre  le  projet.  Aurait-il,  comme  le  suggère  Courcel  dans  ses  mémoires,  pris  des 
engagements  de  ce  côté  avec  Crispi  en  1877  ?  En  tout  cas,  il  fit  échouer  l'entreprise  en 
1878  pour  des  raisons  d'opportunité,  en  demandant  que  la  diplomatie  française  réglât 
auparavant  l'affaire  de  la  rectification  des  frontières  grecques  qu'elle  avait  soulevée  au 
congrès  de  Berlini^. 

L'affaire  de  Tunis  subissait  donc  un  temps  d'arrêt.  Waddington  entendait  le  mettre 
à  profit  pour  engager  des  conversations  avec  l'Italie  et  pour  obtenir  de  l'Angleterre 
l'apaisement  des  rivalités  qui  opposaient  traditionnellement  son  consul  au  représentant 
delà  France.  Le  marquis  de  Noailles  regagnait  son  ambassade  de  Rome  au  début  d'octobre. 
11  recevait  pour  instructions  d'exposer  le  point  de  vue  français  sur  la  question  tunisienne, 
en  cas  d'ouvertures  italiennes.  Les  termes  de  la  dépêche  de  Waddington  étaient  nets  : 
«rien  de  ce  qui  se  passe  à  Tunis»,  écrivait-il,  «ne  peut  être  indifférent  au  gouvernement 
français  ;  aussi  depuis  longtemps  a-t-il  considéré  la  Régence  comme  un  pays  destiné  à 
graviter  dans  l'orbite  des  intérêts  français,  et  devant  être  soumis  à  notre  influence...  La 
France  n'a  aucun  désir  aujourd'hui  de  s'annexer  les  Etats  du  bey  ;  mais  elle  a  le  devoir  strict 
de  veiller  à  ce  que  ce  prince  y  maintienne  la  tranquillité,  administre  bien  ses  finances,  et 
ne  fasse  rien  qui  puisse  compromettre  la  sécurité  de  nos  possessions  algériennes.  Dans 


15  A.  E.  Tunis,  vol.  46.  Tél  de  Waddington  à  Roustan.  Paris,  5  septembre  1878. 

16  Salisbury  en  témoigne  brièvement  en  rendant  compte  d'un  entretien  qu'il  avait  eu  à  Paris  avec  Waddington, 
le  4  septembre  1878.  Waddington  avait  même  suggéré  que  l'Angleterre  obtînt  de  la  Turquie  la  cession  de 
Tripoli  à  l'Italie,  combinaison  à  laquelle  Salisbury  n'avait  évidemment  pas  voulu  se  prêter  (F.  0.  27/2356 
Salisbury  à  Adams  F.  0.10  septembre  1878). 

«Il  y  a  trop  d'obstacles  accessoires  à  écarter»  écrivait  de  son  côté  Waddington,  «pour  que  nous  puissions  entamer 
aujourd'hui  la  négociation  dans  les  conditions  de  succès  désirables»  (Tél  à  Roustan,  5  septembre  1878). 

17  Rev.  Deux  Mondes,  l®*^  mai  1881,  t.  XIL,  p.226  :  Chronique  de  la  quinzaine  par  Ch.  de  Mazade. 

18  «...  Exécutez  notre  plan  de  1878,  élaboré  avec  soin  par  Chanzy  et  Roustan,  prêt  à  être  exécuté  et  ajourné  par 
la  faiblesse  de  notre  ami  Waddington,  inquiet  de  l'opposition  ardente  de  Gambetta.  -  Savez-vous  que  c'est 
ce  dernier  qui  a  fait  échouer  l'entreprise  en  1878,  à  cause  de  la  question  de  Grèce  qu'il  voulait  résoudre 
auparavant.  Si  vous  ne  le  savez  pas,  je  vous  le  conterai  quand  nous  nous  verrons»  (A.  E.  ail.  Mém.et  Doc. 
vol.  167.  Part  de  St-Vallier  à  Barthélémy  St-Hilaire  Berlin,  26  avril  1881,  P.  S.  -  d'Estournelles  ;  La  politique 

française  en  Tunisie,  p.  81  ;  également  :  Mémoires  de  Courcel). 

332 


le  même  ordre  d'idées,  nous  ne  pouvons  permettre  à  aucune  autre  puissance  de  former 
un  établissement  sur  le  territoire  de  la  Régence,  ni  d'en  occuper  un  point  quelconque  : 
nous  serions  obligés  de  nous  y  opposer  immédiatement  et  par  les  armes...» 

«il  est  absolument  nécessaire  que  le  gouvernement  italien  se  pénètre  bien  de  cette 
idée  que  l'Italie  ne  peut  caresser  des  rêves  de  conquête  en  Tunisie  sans  se  heurter  à  la 
volonté  de  la  France  et  sans  risquer  un  conflit  avec  elle^®». 

Les  prétentions  de  la  France  étaient  nettement  affirmées.  Toutefois,  Waddington 
n'entendait  pas  fermer  à  l'Italie  la  voie  d'une  expansion  africaine,  il  lui  conseillait  de 
tourner  ses  aspirations  vers  «le  district  de  Barka  et  le  port  de  Tobrouk»,  sans  parler  de 
Tripoli,  comme  s'il  redoutait  déjà  de  trouver  les  Italiens  comme  voisins  sur  les  frontières 
de  Tunisie.  Noailles  ne  devait  prendre  aucune  initiative.  Waddington  pensait  d'ailleurs 
que  le  règlement  des  affaires  grecques  fournirait  à  la  France  une  occasion  favorable  pour 
développer  ses  prétentions  et  parler  compensations  à  l'italie^o. 

Du  côté  anglais,  Waddington  essayait  d'obtenir  une  harmonisation  des  rapports 
entre  les  agents  des  deux  puissances  sur  le  plan  tunisien.  Roustan  ne  cessait  de  se 
plaindre  de  Wood.  Le  ministre  se  faisait  l'écho  de  ces  doléances,  tantôt  à  Lyons,  tantôt  à 
Salisbury  qu'il  rencontrait  en  France  à  la  fin  de  l'été  1878^1.  Salisbury  avait  réaffirmé  sa 
bonne  volonté,  il  avait  promis  d'apaiser  les  susceptibilités  françaises  dans  ce  domaine. 
Mais  la  solution  qu'il  envisageait,  une  retraite  honorable  de  Wood,  devait  tarder  plusieurs 
mois  encore  et  Roustan  continua  de  se  plaindre  des  difficultés  que  lui  suscitaient  ses 
collègues  d'Angleterre  et  d'Italie. 

A  Tunis,  l'opinion  était  tenue  en  alerte  depuis  le  début  de  l'été.  Le  voyage  de 
Roustan,  venant  après  les  indiscrétions  de  la  presse  et  la  mission  insolite  du  député 
Mussi,  avait  souligné  la  menace  d'une  intervention  française  dans  la  Régence.  Certains 
correspondants  des  journaux  de  Marseille  évoquaient  ouvertement  la  nécessité  d'un 
protectorat^^.  Toutes  les  conversations  roulaient  sur  ce  sujet;  les  cours  des  obligations 
tunisiennes  traduisaient  ces  inquiétudes  par  de  brutales  variations. 

Mustapha,  dans  l'euphorie  de  ses  nouvelles  fonctions^^,  ne  songeait  qu'à  servir 
les  intérêts  français  et  à  continuer  sa  politique  de  rapines.  Mais  le  bey  passait  par  des 
alternatives  de  terreur  et  de  détente.  Wood  et  Mussi  multipliaient  auprès  de  lui  leurs 
démarches.  Celui-ci  agitait  comme  un  épouvantail  la  menace  française  pour  suggérer 
au  bey  de  s'appuyer  sur  l'Italie  ;  celui-là,  avec  plus  d'habileté,  s'employait  à  rassurer  le 
prince  pour  lui  donner  le  courage  de  résister  aux  injonctions  de  Roustan. 

Mussi  n'avait  pas  voulu  perdre  de  temps.  Journaliste  de  formation,  il  ne  siégeait  à 
la  Chambre  que  depuis  deux  ans.  il  n'avait  aucune  expérience  diplomatique,  connaissait 
mal  l'Orient  et  se  trouvait  médiocrement  préparé  pour  des  négociations  avec  la  cour 
beylicale^^.  Hâtivement  il  fit  des  sondages  en  vue  d'un  rapprochement  italo-tunisien.  il 


19  A.  E.  Italie,  vol.  53.  Instructions  secrètes  de  Waddington.  Paris,  13  octobre  1878. 

20  A.  E.  Tunis,  vol.  46  à  Roustan,  secret.  Paris,  7  septembre  1878. 

21  Ihid.  passim,  août-septembre  1878.  F.  0.  fl'Ml,  passim,  août  septembre  1878. 

22  Gazette  du  Midi  :  Lettre  Tunisienne,  7  août,  4  septembre,  9,16,  23  octobre  1878. 

23  Ce  fut  seulement  le  24  août  1878  qu'il  fut  officiellement  nommé  premier  ministre. 

24  Mussi  (Giovanni),  journaliste  et  homme  politique  italien,  né  en  1825  à  Chiari  (Lombardie),  mort  le  15 
novembre  1887  à  Rovato  (Lombardie). 

Il  fonda  ou  dirigea  plusieurs  journaux,  dont  le  Diritto  et  VUnione  de  Milan,  la  Libertà  de  Rome,  fut  élu  député 
de  Chiari  pour  la  XIP*"®  législature  (novembre  1876-mai  1880),  envoyé  en  mission  à  Tunis  (juillet-octobre 
1878),  nommé  préfet  à  Udine  (mars  1879),  puis  à  Bologne  et  Venise  (A  Brunialti  :  Annuario  Biografico 
universale,  vol.  3,  p.606). 


333 


demanda  à  Mustapha  ben  Ismaïl  de  concéder  à  une  société  italienne  le  port  de  Bizerte. 
Sur  son  refus,  il  lui  suggéra  d'en  faire  un  port  libre  sous  la  garantie  des  puissances, 
proposition  qui  n'eut  pas  plus  de  succès  que  la  précédente.  Les  consuls  de  France  et 
d'Angleterre  furent  bientôt  au  courant  de  ses  démarches,  ce  qui  leur  donna  l'occasion  de 
s'amuser  de  ses  échecs^s, 

Mussi  avait  agi  maladroitement.  Son  autorité  était  desservie  pour  d'autres  raisons. 
Le  député  italien  s'était  chargé  en  effet  de  défendre  au  Bardo  les  discutables  créances 
d'un  aventurier  romain,  Federico  Bortolozzi,  pseudo-comte  de  Vandoni,  qui  réclamait 
au  bey  le  paiement  des  frais  de  missions  plus  ou  moins  imaginaires  accomplies  à  son 
service,  une  quinzaine  d'années  plus  tôt^^.  Mussi  avait  vainement  fait  le  voyage  de 
Tunis  en  1877  pour  régler  la  question  avec  le  gouvernement  beylical.  D'après  Wood 
et  Roustan,  il  n'aurait  demandé  cette  mission  officielle  à  Cairoli  que  pour  faire  aboutir 
la  réclamation  Vandoni  dont  il  devait  recevoir  la  moitié,  à  titre  de  courtage^^.  Quoi 
qu'il  en  fût,  Mussi  militait  avec  ardeur  pour  la  cause  de  son  mandataire.  11  réclamait 
un  arbitrage,  agitait  la  menace  d'une  intervention  italienne  pour  obtenir  du  bey 
une  indemnité  de  transaction.  La  mission  Mussi  ne  tarda  pas  à  être  évoquée  dans  la 
presse  italienne  et  même  au  Parlement.  La  Riforma  de  Crispi  mena  campagne  contre 
le  protégé  de  Cairoli  ;  VAvvenire  di  Sardegna  dénonça  des  compromissions  sordides, 
regrettant  que  le  ministère  se  laissât  «entraîner  à  imiter  la  politique  du  second  Empire 
au  Mexique»28. 

Au  début  d'octobre,  le  gouvernement  italien  se  décidait  à  mettre  fin  à  la  mission 
Mussi  dont  Roustan  soulignait  l'échec^^.  De  fait,  Mussi  rapportait  à  Rome  l'impression 
qu'il  était  vain  de  heurter  de  front  la  prépondérance  acquise  par  la  France  en  Tunisie. 
Si  l'on  ne  pouvait  obtenir  que  la  Régence  devînt  un  Etat  neutre  entre  France,  Italie  et 
Turquie,  le  mieux  était,  en  définitive,  d'y  préserver  le  statu  quo  politique. 

Les  démarches  de  Mussi  avaient  été  plus  voyantes  que  dangereuses  ;  les  intrigues 
de  Wood  causaient  à  Roustan  plus  de  soucis.  Le  consul  d'Angleterre  s'efforçait  en  effet  de 
rassurer  le  bey  en  lui  laissant  entendre  qu'il  pouvait  toujours  compter  sur  le  soutien  de 
son  pays.  Salisbury  n'avait  pas  daigné  informer  le  consul  des  entretiens  de  Berlin.  Le  7 
août,  le  jour  même  oû  il  rédigeait  à  l'intention  de  Waddington  sa  dépêche  «tunisienne», 
il  envoyait  à  Wood  cet  hypocrite  démenti  :  «Je  dois  vous  faire  savoir  qu'aucune  offre 
d'annexion  de  Tunis  à  la  France  n'a  jamais  été  faite  au  gouvernement  français  par  le 
gouvernement  de  Sa  Majesté»3o. 

Wood  put  se  croire  autorisé  à  réfuter  avec  énergie  au  Bardo  toutes  les  rumeurs 
qui  circulaient  à  ce  sujet.  Attribuant  au  discours  prononcé  par  lord  Beaconsfield,  le 
18  juillet,  un  sens  que  le  Premier  britannique  n'avait  jamais  pensé  lui  donner,  il  en  fit 


25  A.  E.  Tunis,  vol.  46.  Corresp  de  Roustan,  août-septembre  1878. 

F.  0.10 2/11 1 .  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  26  août  et  8  octobre  1878.  «Quels  que  soient  les  talents  de  M.  Mussi 
comme  écrivain  et  comme  député»,  écrivait  Wood,  «il  est  clair  qu'il  n'a  aucune  expérience  de  la  conduite  des 
affaires  politiques»  (Ibid.  Tunis,  24  septembre  1878). 

26  Sur  Vandoni,  voir  note  86,  chapitre  IV. 

Agent  du  bey  à  Gênes,  puis  en  Suisse,  Vandoni  s'était  mêlé  de  négociations  d'emprunt  à  plusieurs  reprises, 
entre  1861  et  1866. 

27  F.  0.102/111  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  24  septembre  1878.  -  A.  E.  Tunis,  vol.  46.  Lettre  pers.  de  Roustan  au 
ministre.  Tunis,  13  septembre  1878. 

28  Avv.  DiSard.  5  septembre  1878  ;  Riforma,  26,  31  août,  2,  9-10  septembre,  16  octobre  et  14  novembre  1878 
(lettre  de  Mussi).  L'action  de  Mussi  fut  défendue  à  la  Chambre  par  Cairoli,  le  3  février  1879. 

29  Gorrini  :  Tunisi  e  Biserta,  op.  cit  pp.48  et  106. 

30  F.  0.102/111.  Télégramme  n°  42. 


334 


traduire  en  arabe  les  passages  qui  traitaient  de  la  défense  de  l'Empire  ottoman,  en  remit 
un  exemplaire  au  bey  et  le  fit  publier  dans  la  gazette  officielle  tunisienne.  En  rassurant  le 
bey,  il  l'encourageait  dans  ses  velléités  de  résistance  à  la  France  aussi  bien  qu'à  l'Italie  ;  il 
le  préparait  à  rejeter  tous  les  projets  de  protectorat  ou  d'alliance  qui  lui  seraient  soumis. 
Par  son  action  dans  les  milieux  les  plus  divers,  sa  souplesse,  sa  persévérance,  il  arrivait  à 
battre  en  brèche  l'influence  qu'exerçaient  Mustapha  et  Roustan  sur  l'esprit  d'un  prince 
faible  et  peu  intelligent.  Aussi  Roustan  ne  cessait-il  de  demander  le  rappel  de  son  rival, 
comme  le  moyen  de  faire  cesser  l'opposition  la  plus  dangereuse  pour  la  réalisation  des 
projets  français. 

b)  L'affaire  de  Sidi  Tabet 

Comme  Waddington  l'avait  écrit  à  Roustan  en  septembre  1878,  la  question  du 
protectorat  tunisien  n'était  qu'ajournée.  De  fait,  trois  mois  plus  tard,  le  gouvernement 
français  trouvait  l'occasion  de  la  reprendre  avec  plus  de  vigueur,  à  la  faveur  d'un  conflit 
d'ordre  privé  qui  opposait  au  bey  le  Français  Sancy,  l'affaire  de  Sidi  Tabet.  Ferdinand 
Veillet-Devaux,  soi-disant  comte  de  Sancy^i,  était  arrivé  en  Tunisie  en  1863.  Fils  d'un 
ancien  maire  de  Meaux,  il  avait,  au  cours  d'une  vie  aventureuse,  dissipé  la  majeure  partie 
de  l'héritage  paternel.  Son  oncle,  le  baron  Brenier,  son  beau-frère,  le  général  du  Barail, 
pour  l'éloigner  de  Paris32,  lui  avaient  fait  obtenir  du  bey  en  1866,  sur  la  recommandation 
de  Drouyn  de  Lhuys  et  du  gouverneur  de  l'Algérie,  le  maréchal  Pélissier,  une  concession 


SANCY 

(L'Illustration,  janvier  1879], 


de  1.200  hectares  de  terres  sur  la  rive  droite  de  la  Medjerda,  à  14  kilomètres  de  Tunis,  le 
domaine  de  Sidi  Tabet.  Sancy  entendait  s'adonner  à  l'élevage  des  bovins  et  des  moutons 
et  surtout  fonder  un  vaste  haras  dont  les  meilleurs  produits  pourraient  servir  à  la 
remonte  de  l'armée  française  d'Afrique. 

Le  bey  accordait  à  Sancy  l'exemption  d'impôts  directs  sur  sa  concession,  promettait 
de  doubler  puis  quadrupler  l'étendue  du  domaine,  en  cas  de  succès.  Toutefois,  il 


31  Sur  Sancy,  note  29,  page  448. 

32  Documents  sur  Khérédine,  correspondance.  Villet  à  Khérédine,  2  mai  1874.  R.  T.  1938,  p.96. 


335 


se  réservait  le  droit  de  révoquer  le  concessionnaire  de  ses  droits  s'il  manquait  à  ses 
obligations,  en  particulier  s'il  n'entretenait  pas  sur  ses  terres  un  minimum  de  têtes  de 
bétail  stipulé  dans  le  contrat^^. 

Sancy  n'avait  pas  d'argent.  11  réussit  à  en  trouver  en  France  en  s'associant  à  de  riches 
Américains,  d'abord^^,  puis  à  un  officier  de  marine  en  congé,  le  lieutenant  de  vaisseau 
Lucien  Bonaparte-Wyse^s,  petit-neveu  de  Napoléon  1®'"  par  sa  mère.  Un  haras  fut  fondé 
à  Sidi  Tabet.  L'entreprise  prospéra  tout  d'abord,  grâce  aux  capitaux  des  associés;  mais, 
en  1873,  Sancy  entra  dans  un  violent  conflit  avec  Wyse.  L'affaire  fut  portée  devant 
les  tribunaux  et,  à  cette  occasion,  le  gouvernement  tunisien  essaya  de  reprendre  la 
concession.  Sancy  avait  soulevé  en  effet  une  mauvaise  querelle.  11  prétendait  jouir  d'une 
exemption  de  taxes  indirectes  qui  ne  lui  avait  pas  été  accordée  par  le  bey.  11  ne  tardait  pas 
à  rendre  le  gouvernement  responsable  de  sa  rupture  avec  Wyse,  exigeait  une  indemnité 
et  soutenait  avec  aplomb  ses  extraordinaires  prétentions. 

La  cause  de  Sancy  n'était  pas  bonne.  Le  consul  de  France,  le  vicomte  de  Vallat, 
n'hésitait  pas  à  l'écrire  à  Paris  :  «M.  de  Sancy  n'a  jamais  fait  autre  chose  dans  la  Régence 
qu'y  vivre  avec  les  fonds  qu'il  a  reçus  de  M.  Tiffany  et  de  M.  Wyse  ;  il  n'a  jamais  voulu  y 
faire  de  l'agriculture  et  encore  moins  y  fonder  un  de  ces  établissements  utiles  qui  sont 
à  l'étranger  l'honneur  de  nos  nationaux...  M.  de  Sancy  est  venu  dans  la  Régence  tenter 
une  aventure.  Grâce  aux  influences  personnelles  qui  le  patronnaient,  il  a  obtenu  de  la 
libéralité  du  bey  des  concessions  de  terres  à  des  conditions  excessivement  avantageuses 
pour  lui.  C'était  une  fortune  qui  lui  était  donnée.  Quand  il  a  mieux  connu  le  pays  et  les 
vices  de  son  administration,  il  a  voulu  faire  ce  qu'il  voyait  faire  autour  de  lui  dans  les 
sphères  les  plus  élevées,  vivre  aux  dépens  du  pays  et,  ayant  déjà  beaucoup  reçu,  il  a 
cru  qu'il  suffirait  de  prétendre  beaucoup  plus  et  de  demander  toujours  pour  recevoir 
encore...  Nous  devons  cesser  de  patronner  M.  de  Sancy  dans  la  Régence.  11  n'a  aucun 
droit  de  se  plaindre  du  gouvernement  du  bey^^...» 

Mais  Sancy  avait  l'appui  du  ministère.  En  1874,  son  beau-frère,  le  général  du  Barail, 
était  ministre  de  la  Guerre  et  le  duc  Decazes,  soutenant  avec  persévérance  la  cause  de 
Sancy,  exigeait  un  arbitrage.  Malgré  les  efforts  de  la  Commission  financière  et  surtout  de 
Villet  qui,  de  Paris,  ne  cessait  de  prêcher  la  résistances^,  Khérédine  finit  par  céder.  Après 
quatre  ans  de  négociations  au  cours  desquelles  Sancy  redoubla  d'exigences  et  de  mauvaise 
foi,  un  accord  finit  par  intervenir  en  juillet  1877.  Un  nouveau  décret  de  concession,  daté 
du  9  juillet  accordait  à  Sancy  300  méchias  de  terre  (environ  3.000  hectares)  dont  il 
deviendrait  propriétaire  au  bout  de  vingt  ans,  à  charge  pour  lui  d'installer  le  haras.  Le 


33  L'affaire  Sancy  a  été  minutieusement  étudiée  par  M.  Emerit  à  l'aide  des  archives  de  la  Résidence  :  Aux  origines 
de  la  colonisation  française  en  Tunisie  (L'affaire  de  Sidi  Tahet)  R.  Afr.  1946,  pp.  135. 

34  Carter  et  Tiffany  de  Paris,  qui  reportèrent  bientôt  leur  part  d'association  sur  la  tête  de  la  fille  de  Carter,  Mrs 
Mary-Frances  Ronalds,  récemment  séparée  de  corps. 

35  Bonaparte-Wyse  (Louis-Li/cien-Napoléon-Théodore),  marin  et  explorateur  français,  né  et  mort  à  Paris 
(1847-1909),  fils  de  sir  Thomas  Wyse,  diplomate  anglais,  et  de  la  princesse  Laetitia  Bonaparte,  issue  du 
second  mariage  de  Lucien. 

Wyse  ne  fit  en  Tunisie  qu'un  séjour  de  trois  ans  (1872-1875).  11  fut,  avec  son  beau-frère,  le  général  hongrois 
Etienne  Turr,  un  des  animateurs  de  la  Société  civile  internationale  du  canal  interocéanique  de  Darien  qui 
obtint  de  la  Colombie,  en  1876,  une  concession  qui  fut  rachetée  en  1879  par  Ferdinand  de  Lesseps 
L'association  Sancy-Wyse  pour  l'exploitation  de  Sidi  Tabet,  en  1872,  engendra  toutes  une  série  de  procès, 
devant  le  tribunal  consulaire  de  Tunis  (novembre  1873  -  février  1874),  la  cour  d'appel  d'Aix  en  Provence 
(août  1874),  et,  après  cassation  du  jugement  en  1876,  devant  celle  de  Grenoble. 

36  Arch.  Rés  Comm  n°  26,  25  avril  1874  (dép.  cit.  par  M.  Emerit  op.  cit  R.  A/r.  1946,  p.l8). 

37  Documents  sur  Khérédine,  correspondance.  Lettres  de  Villet  de  1874  et  1875  R.  T.  1938,  1940,  passim  ; 
corresp.  inédite  1876-1877. 


336 


concessionnaire  renonçait  formellement  à  l'exemption  des  impôts  indirects,  moyennant 
une  indemnité  de  30.000  francs  versés  par  le  bey.  Le  gouvernement  français  se  déclarait 
satisfait  de  l'arrangement.  Mais,  un  an  plus  tard,  le  conflit  rebondissait  par  la  faute  de 
Sancy. 

Le  domaine  de  Sidi  Tabet,  laissé  à  l'abandon  par  ses  exploitants,  et  placé  sous 
séquestre  pendant  deux  ans,  était  dans  un  état  lamentable.  Sancy  avait  perdu  ses 
associés  ;  il  demeurait  sans  argent  et  ne  pouvait  espérer  trouver  des  commanditaires 
après  la  publicité  donnée  à  ses  démêlés  avec  Wyse  comme  avec  le  bey.  Vainement,  il 
essaya  d'obtenir  du  gouvernement  français  une  subvention  pour  le  haras.  Aussi  fut-il 
incapable  de  remplir  les  engagements  de  son  contrat.  Un  an  plus  tard,  en  juillet  1878, 
il  devait  l'avouer  aux  commissaires  tunisiens  venus  enquêter  sur  le  domaine.  On  ne 
trouvait  à  Sidi  Tabet  que  29  chevaux  au  lieu  des  64  prévus  et  pas  un  seul  bovin.  En 
conséquence,  le  bey,  conformément  à  la  convention  du  9  juillet  1877,  prononça  la 
déchéance  du  concessionnaire. 

Sancy  essaya  en  vain  d'obtenir  un  délai  supplémentaire  d'une  année  pour  se 
mettre  en  règle  en  invoquant,  pour  excuser  sa  défaillance,  de  mauvaises  raisons 
telles  que  la  guerre  des  Balkans,  l'interruption  du  commerce  en  Méditerranée.  Le 
gouvernement  tunisien,  à  deux  reprises,  lui  signifia  sa  déchéance,  en  lui  enjoignant 
de  déguerpir.  De  délai  en  délai,  on  arriva  à  l'automne.  Fin  novembre,  Sancy  n'avait 
pas  encore  vidé  les  lieux.  Mustapha  ben  Ismaïl  fit  alors  avertir  le  consulat  de 
France  qu'une  commission  serait  envoyée  à  Sidi  Tabet  pour  prendre  possession  du 
domaine. 


Sidi  Tabet  :  les  bords  de  la  Medjerda 
(L'Illustration,  janvier  1879). 


Le  gouvernement  français  pouvait  en  concevoir  quelques  regrets  ;  l'action  du 
bey  n'en  était  pas  moins  légitime  à  tous  égards.  L'inspecteur  des  Finances  Queillé  en 
témoignait  avec  force,  estimant  «regrettable  de  voir  le  ministère  soulever  un  conflit 
pour  une  affaire  et  un  personnage  aussi  peu  recommandables»^^.  La  cause  de  Sancy 
n'était  pas  défendable,  mais  l'incident  venait  à  point.  À  ce  moment  même,  Roustan 
recevait  de  Desprez  des  informations  favorables  :  les  difficultés  qui,  en  Orient  et 
en  Grèce,  avaient  retenu  le  gouvernement  français  s'aplanissaient.  Desprez  laissait 


38  Arch.  Rés.  Commerce,  n°  39.  Dép.  de  Roustan  Tunis,  9  décembre  1878. 


337 


entrevoir  au  consul  la  possibilité  de  reprendre  l'affaire  du  protectorat  dans  un  avenir 
assez  proche^^. 

Roustan  vit  aussitôt  tout  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  l'affaire  Sancy.  11  poussa  de 
toutes  ses  forces  à  la  rupture.  Comme  Pinna  en  1871  dans  l'incident  de  la  Djédeida,  à 
force  d'audace,  il  travestit  une  vilaine  affaire  d'intérêt  privé  en  une  question  d'honneur 
national,  le  souci  légitime  du  bey  de  se  débarrasser  d'un  concessionnaire  abusif  en  une 
intolérable  atteinte  à  la  dignité  de  la  France. 

Le  10  décembre,  le  bey  envoyait,  pour  reprendre  possession  du  domaine,  une 
commission  emmenée  par  le  général  Baccouche,  directeur  des  Affaires  étrangères,  dans 
laquelle  se  trouvaient  le  président  de  la  municipalité  de  Tunis,  le  général  Larbi  Zarrouk, 
l'inspecteur  des  Finances  Queillé'^o,  vice-président  de  la  commission  financière,  et  le 
secrétaire  de  la  commission,  David  Santillana^i.  Lorsque  les  commissaires  arrivèrent 
à  Sidi  Tabet,  ils  trouvèrent  un  janissaire  du  consulat  de  France,  qui  leur  interdit  de 
pénétrer  sur  cette  terre  française.  Le  général  Baccouche  n'insista  pas,  mais  le  soir  même, 
le  bey  envoyait  une  protestation  solennelle  au  consulat  de  France. 

Le  gouvernement  n'était  pas  tombé  dans  le  piège  que  lui  avait  tendu  Roustan  ;  il 
avait  évité  de  recourir  à  la  force.  Roustan  n'en  cria  pas  moins  à  la  violation  de  domicile. 
Dictant  sa  conduite  à  Waddington,  il  dressait  la  liste  des  réparations  à  exiger  du  bey, 
esquissait  un  projet  d'ultimatum.  Le  bey  ne  pourrait  céder  et  la  rupture  fournirait 
aussitôt  l'occasion  d'une  démonstration  militaire  qui  permettrait  à  la  France  d'imposer 
le  traité  de  protectorat  préparé  depuis  le  milieu  de  l'été. 

Roustan  s'était  plaint  de  Queillé.  L'inspecteur  des  Finances  fut  immédiatement 
rappelé  à  Paris,  avec  un  blâme  sévère  pour  sa  conduite.  L'occasion  était  bonne  pour 
exiger  du  bey  la  destitution  des  fonctionnaires  tunisiens  connus  pour  leur  hostilité 
à  la  France,  le  général  Zarrouk,  le  jeune  Santillana  surtout,  que  Wood  avait  formé  et 
dont  l'intelligence  et  l'activité  faisaient  un  adversaire  redoutable.  Si  le  bey,  comme  on 
l'espérait,  refusait  d'obtempérer,  Roustan  cesserait  aussitôt  ses  relations  diplomatiques, 
tandis  qu'une  escadre  française  appareillerait  pour  les  eaux  tunisiennes. 

«Le  moment  me  parait  venu»,  écrivait  Waddington,  fin  décembre,  «d'arrêter  nos 
résolutions  quant  aux  réparations  que  nous  devons  poursuivre.  11  y  a  lieu  de  décider 
notamment  sur  quelles  personnes  elles  doivent  porter,  c'est-à-dire  quels  sont  les 


39  «La  situation  se  dégage.  Nous  commençons  à  entrevoir  le  moment  où  nous  nous  sentirons  un  peu  plus  libres 
et  où  nous  pourrons  reprendre  avec  vous  nos  conversations  de  Paris»  (A.  E.  Tunis,  vol.  46,  pers  de  Desprez 
à  Roustan.  Paris,  19  novembre  1878). 

40  QUEILLÉ  (Eumène),  inspecteur  des  Finances  français,  né  le  2  novembre  1833  à  Caen  ;  surnuméraire,  puis 
commis  d'ordre  au  ministère,  1856-1860  ;  adjoint,  1^  janvier  1861  ;  inspecteur  des  Finances  de  4Ê^^Eclasse, 
21  mars  1865  ;  de  3®^^^  classe,  le  1^  septembre  1869  ;  de  2^^^  classe,  26  août  1874;  chargé  de  mission  à  Tunis 
avec  le  rang  d'inspecteur  de  1®*^®  classe,  24  juillet  1878  ;  rappelé,  27  décembre  1878  ;  chargé  de  mission  au 
ministère  des  Postes,  puis  en  Bulgarie  ;  inspecteur  général,  17  janvier  1888  ;  inspecteur  général  honoraire, 
6  janvier  1899. 

Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  25  juillet  1879  ;  officier,  13  juillet  1888  (Livre  d'or  de  l'inspection  des 
Finances) 

41  SANTILLANA  (David  di  Moses),  né  à  Tunis  le  9  mai  1855,  mort  à  Rome  le  12  mars  1931.  Issu  d'une  famille 
Israélite  originaire  d'Espagne,  il  était  le  fils  d'un  interprète  au  consulat  d'Angleterre,  naturalisé  en  1857  et 
fut  élevé  avec  les  enfants  de  Wood.  Après  des  études  à  Londres,  il  devint,  à  dix-huit  ans,  secrétaire  de  la 
Commission  financière,  en  octobre  1873,  second  interprète  du  bey  en  1875.  Hostile  à  la  France,  Santillana 
dut  démissionner  de  ces  fonctions  en  janvier  1879  sur  la  demande  du  gouvernement  français,  à  l'occasion 
de  l'affaire  de  Sidi  Tabet.  Santillana  alla  poursuivre  des  études  de  droit  à  Rome,  devint  avocat  et  se  fit 
naturaliser  Italien.  Il  se  consacra  dès  lors  à  des  études  sur  le  droit  musulman. 


338 


fonctionnaires  tunisiens  dont  nous  pourrions  réclamer  le  blâme  ou  la  destitution^^.» 
«Le  rejet  de  nos  demandes  aurait  pour  conséquence  naturelle  la  rupture  des  relations 
diplomatiques...  Mais  il  serait  imprudent,  dans  des  circonstances  aussi  graves, 
d'abandonner  le  terrain  aux  influences  qui  nous  sont  contraires  à  Tunis  et  nous  ne 
pourrions  laisser  cette  situation  se  prolonger  longtemps.  11  ne  nous  resterait  plus  dès 
lors  qu'à  imposer  la  satisfaction  qui  nous  aurait  été  refusée  et  le  moyen  qui  me  paraîtrait 
le  meilleur  serait  de  prendre  position  à  Bizerte  ou  sur  tel  autre  point  que  nous  jugerions 
convenable^^». 

Début  janvier  1879,  la  rupture  semblait  inévitable.  Le  3,  Waddington  précisait  que 
les  réparations  seraient  exigées  sous  forme  d'ultimatum.  Le  4,  Roustan  signalait  que  le 
bey  se  refusait  à  toute  concession.  Le  5,  Waddington  énonçait  les  termes  de  l'ultimatum  : 
«pour  l'atteinte  portée  à  notre  dignité»,  des  excuses  faites  officiellement  en  l'hôtel  du 
consulat  général  par  le  premier  ministre,  des  sanctions  sévères  contre  les  fonctionnaires 
responsables  de  l'incident.  Réponse  favorable  devait  être  obtenue  dans  les  48  heures, 
sinon  le  consul  amènerait  son  pavillon  et  se  retirerait  à  bord  du  stationnaire  français  en 
rade  de  La  Goulette'*'^. 

La  France  pouvait  agir  librement  à  Tunis.  ''^Angleterre  se  désintéressait  de  la 
querelle  ;  l'Italie  ne  manifestait  aucune  velléité  d'intervention'*®.  D'Allemagne  parvenaient 
au  quai  d'Orsay  les  encouragements  les  plus  explicites.  Waddington  avait  en  effet  chargé 
le  comte  de  Saint-Vallier  de  sonder  les  dispositions  de  la  chancellerie  allemande  dans 
l'affaire  tunisienne.  Biilow  s'était  montré  très  favorable,  Bismarck  fut  plus  chaleureux 
encore^®.  «Eh  bien  !»,  dit-il  spontanément  à  Saint-Vallier,  le  4  janvier,  «je  crois  que  la  poire 
tunisienne  est  mûre  et  qu'il  est  temps  pour  vous  de  la  cueillir  ;  l'insolence  du  bey  a  été  le 
soleil  d'août  de  ce  fruit  africain  qui  pourrait  maintenant  se  gâter  ou  être  volé  par  un  autre 
si  vous  le  laissez  trop  longtemps  sur  l'arbre  ;  j'ignore  si  cela  vous  tente  et  ce  que  vous 
voulez  faire,  mais  je  tiens  à  vous  répéter  ce  que  j'ai  dit  en  juillet  à  M.  Waddington  ;  mon 
désir  est  de  vous  donner  des  gages  de  bon  vouloir  dans  les  questions  qui  vous  touchent 
et  oû  il  n'y  a  pas  d'intérêts  allemands  opposés  aux  vôtres...» 


42  Arch.  Rés.  Waddington  à  Roustan.  Paris,  28  décembre  1878.  (Dép.  cit.  par  Emerit,  op.  cit  R.  Afr.  1946,  p.  29). 
Roustan  y  répondait  le  30  décembre  en  réclamant  l'éloignement  de  Santillana. 

43  Ibid,  du  même  au  même,  31  décembre  1878. 

44  Allegro,  l’agent  du  bey  à  Bône,  mettait  à  la  disposition  de  la  France  son  influence  sur  les  tribus  frontalières 
du  nord-ouest  :  «Le  jour  où  le  gouvernement  français  voudra  m'en  donner  l'ordre»,  écrivait-il  à  Roustan,  «je 
me  charge  d'opérer  l'annexion  de  cette  partie  de  la  Régence  sans  résistance»  (Arch.  Rés.  Dép.  de  Roustan, 
Tunis,  31  décembre  1878). 

45  Waddington  avait  fait  part  à  Lyons  de  ses  intentions.  Il  s'était  plaint  du  rôle  joué  par  Wood  dans  l’affaire 
Sancy,  mais  Salisbury  ne  releva  pas  les  informations  transmises  par  l'ambassadeur  à  Paris  (F.  0.  27/2361, 
janvier  1879). 

A  Rome,  Depretis  venait  de  succéder  à  Cairoli.  La  seule  manifestation  fut  une  démarche  du  comte  Tornielli, 
secrétaire  général  du  ministère  des  Affaires  étrangères  auprès  de  l'ambassadeur  de  France,  le  marquis  de 
Noailles.  «Je  n'ai  surpris,  je  dois  le  dire»,  écrivait  Noailles,  «aucune  trace  de  véritable  inquiétude  dans  l'esprit 
du  gouvernement  italien  qui,  en  apparence  du  moins,  se  montre  calme.  Les  journaux  eux-mêmes,  distraits  par 
la  politique  intérieure,  ont  jusqu'ici  peu  ou  point  parlé  de  Tunis»  (A.  E.  Italie,  vol.  54.  Rome,  9  janvier  1879). 

46  L'entretien  eut  lieu  à  Friedrichsruhe  où  l’ambassadeur  était  invité  par  le  chancelier.  Dès  que  Waddington  eut 
été  informé  des  bonnes  dispositions  de  Biilow,  il  télégraphia  à  Saint-Vallier  d'élargir  le  débat  avec  Bismarck 
et  de  poser,  si  possible,  la  question  d'éventuelles  compensations  à  l’Italie  :  «Dans  votre  visite  au  chancelier, 
tâchez  de  savoir  s'il  est  toujours  disposé  à  décourager  les  vues  de  l'Italie  sur  Tunis  et  à  lui  indiquer  un 
autre  objectif,  Albanie,  Tripoli  ou  autre.  L'établissement  de  notre  protectorat  officiel  à  Tunis  serait-il  bien 
vu  à  Berlin  ?  Il  me  semble  que  le  chancelier  doit  désirer  nous  voir  occupés  à  Tunis,  non  pas  pour  nous 
chercher  querelle,  mais  pour  détourner  nos  préoccupations  et  notre  amour  propre  de  l'Alsace-Lorraine. 
Irait-il  jusqu'à  s'engager  avec  nous  à  reconnaître  tout  ce  que  nous  pourrions  faire  en  Tunisie,  et  serait-ce 
désirable  pour  nous  d'accepter  ou  de  solliciter  ce  service  de  l'ennemi  d'hier  ?»  (A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol. 
166.  Part,  de  Waddington  à  St-Vallier.  Paris,  2  janvier  1879). 


339 


«Je  me  suis  préoccupé  de  ce  qui  pourrait  calmer  la  blessure  d'amour-propre  qu'on 
a  éprouvée  chez  vous  après  l'affaire  de  Chypre,  et  j'ai  parlé  de  Tunis  à  M.  Waddington. 
J'y  reviens  aujourd'hui  et  je  trouve  la  question  plus  pressante  parce  qu'elle  se  complique 
de  l'insolence  d'un  petit  potentat  sauvage  envers  une  grande  nation  civilisée.  Aussi  n'ai- 
je  pas  attendu  que  vous  m'en  parliez  pour  adresser  des  observations  confidentielles  aux 
gouvernements  amis  dont  les  agents  avaient  plus  ou  moins  soutenu  le  bey,  contrairement 
à  leurs  devoirs  et  à  leurs  instructions  ;  à  Vienne,  Andrassy  m'a  fait  savoir  immédiatement 
qu'il  avait  désavoué  son  consul  ;  à  Londres  j'y  ai  mis  plus  de  ménagements,  le  terrain  étant 
plus  délicat»  ;  c'est  à  lord  Beaconsfield  «que  j'ai  fait  officieusement  ma  communication  en 
lui  rappelant  nos  conversations  de  Berlin,  et  le  prix  que  nous  attachions  aux  bons  rapports 
entre  la  France  et  l'Angleterre...  Sachant  combien  il  désiraitlui-mêmel'affermissementdeces 
bons  rapports,  j'étais  surpris  qu'il  risquât  de  les  laisser  compromettre  par  les  agissements 
hostiles  à  la  France  d'un  de  ses  agents  secondaires,  M.  Wood,  consul  à  Tunis,  sur  un  terrain 
indifférent  à  l'Angleterre  et  essentiel  pour  la  France  à  cause  de  sa  colonie  algérienne.  J'ai,  de 
plus,  chargé  M.  de  Bùlow  de  parler  dans  le  même  sens  à  lord  Odo  RusseL^». 

Mais  c'était  des  Italiens  que  pouvaient  venir  les  difficultés  :  Saint-Vallier  l'avait 
fait  remarquer  à  Bismarck  qui  se  répandait  en  sarcasmes  et  en  propos  méprisants  sur 
leur  compte:  «Je  me  suis  fait  quelques  années  de  grandes  illusions  sur  les  Italiens;  ils 
les  ont  dissipées  depuis  deux  ans,  et  il  est  certain  que  ce  qu'ils  avaient  de  bon  sens,  ils 
le  devaient  au  Roi  Victor-Emmanuel...  En  ce  moment,  je  les  crois  affolés  et  je  ne  dois 
plus  les  classer  dans  les  nations  à  qui  je  puis  donner  de  bons  conseils  avec  chance  de 
les  faire  écouter. ..Quand je  leur  montre  les  dents,  ils  font  le  plongeon,  mais,  comme  les 
enfants,  quand  Cerbère  a  le  dos  tourné,  ils  se  hâtent  de  recommencer  ;  je  leur  ai  déjà  fait 
des  observations  au  sujet  de  Tunis,  mais  je  n'ai  pas  confiance  dans  le  résultat  de  mes 
conseils  ;  j'ai  chargé  Keudell  de  dire  à  M.  Depretis,  et  Bùlow  à  de  Launay  qu'à  mes  yeux 
Tunis  est  compris  dans  l'orbite  [Gebiete]  français,  et  que  je  trouve  la  France  pleinement 
fondée  à  ne  pas  admettre  que  d'autres  Puissances  viennent  exciter  contre  elle  ou 
chercher  à  soustraire  à  son  influence,  ce  petit  bey,  son  voisin  et  son  protégé...  ;  nous 
désapprouverions  donc  ceux  qui  voudraient  s'opposer  à  ce  que  la  France  se  fît  donner 
les  satisfactions  nécessaires  à  sa  dignité,  et  nous  ne  saurions  admettre  qu'on  prétendît 
faire  de  Tunis  un  prolongement  de  Yltalia  irredenta».  Si  les  Italiens  venaient  encore  se 
plaindre,  «je  suis  résolu  à  les  envoyer  promener  ;  car  s'il  y  a  noce  quelque  part  dans  le 
monde,  ce  n'est  pas  un  motif  pour  qu'on  leur  doive  le  gâteau».  Quant  à  détourner  dans 
une  autre  direction  l'attention  des  Italiens,  Bismarck  n'y  était  point  hostile,  sinon  vers 
l'Albanie,  du  moins  vers  la  Cyrénaïque  et  la  côte  de  Tripoli  où  une  expansion  italienne  ne 
risquerait  point  de  heurter  les  ambitions  autrichiennes^®. 

L'accord  était  fait  avec  les  ministres  de  la  Guerre  et  de  la  Marine,  le  général  Borel 
et  l'amiral  Pothuau.  Les  7  et  8  janvier,  Waddington  informait  Roustan  que  toutes  les 
mesures  étaient  prises  à  Toulon  pour  le  départ  immédiat  de  l'escadre  de  la  Méditerranée 
et  pour  une  action  énergique  si  l'ultimatum  était  repoussées. 


47  Fait  confirmé  par  une  lettre  d'Herbert  de  Bismarck  à  Bùlow,  3  janvier  1879  (P.  E.  A.  vol.  3,  p.2,  n°  448). 

48  A.  E.  Ail.  Dép.  très  confid  de  St-Vallier  à  Waddington.  Berlin,  5  janvier  1879. 

49  A.  E.  Tunis,  vol.  47  ;  Arch.  Rés  Waddington  à  Roustan.  Dép.  du  7  janvier  et  tél.  du  8  janvier  1879. 

Un  des  objectifs  de  la  démonstration  navale  devait  être  l’occupation  de  Bizerte.  Depuis  l'été  1878,  sous 
prétexte  d'études  géographiques,  un  officier  de  marine,  le  commandant  Périer,  avait  relevé  les  fonds,  étudié 
les  approches  et  les  défenses  de  Bizerte  et  du  golfe  de  Tunis.  Une  dépêche  de  Roustan  du  2  janvier  montre 
que  le  débarquement  à  Bizerte  était  prévu  depuis  quelque  temps  :  «Je  crois  que  l'occupation  de  Bizerte,  si  elle 
devient  nécessaire,  devrait  coïncider  autant  que  possible  avec  la  rupture  des  relations  diplomatiques  et  surtout 
qu'elle  devrait  devenir  définitive.  Le  commandant  Périer  vient  de  terminer  l'étude  des  approches  de  Tunis  et  de 


340 


La  situation  ne  pouvait  être  plus  favorable  pour  la  France;  Saint-Vallier  le  confiait 
à  Waddington  :  «Je  désire»,  écrivait-il  le  7  janvier,  «que  le  bey  nous  refuse  satisfaction 
parce  que  jamais  nous  ne  retrouverons  une  pareille  occasion  d'établir  notre  situation 
prépondérante  dans  la  Régence  de  façon  à  ne  plus  permettre  qu'elle  puisse  être  dans 
l'avenir  mise  en  question...  Il  me  paraît  donc  qu'il  faut  battre  le  fer  tandis  qu'il  est  chaud 
et  profiter  de  cette  situation  en  prenant  immédiatement  nos  gages  si  le  bey  nous  refuse 
satisfaction,  en  nous  les  faisant  donner  sous  une  autre  forme  et  par  une  douce  pression 
s'il  se  décide  à  céder...  Au  point  où  en  sont  les  choses,  il  y  aurait  faute  de  notre  part  à 
retomber  purement  dans  le  statu  quo^°». 

Mais  les  espoirs  français  furent  déçus.  Le  bey,  effrayé  de  la  tournure  prise  par 
les  événements,  céda  sur  toute  la  ligne.  Roustan  avait  remis  son  ultimatum  le  7^1. 
Après  avoir  tergiversé  pendant  deux  jours,  essayé  en  vain  d'envoyer  une  mission  de 
conciliation  à  Paris,  marchandé  jusqu'au  dernier  moment,  le  9  janvier,  à  l'expiration  du 
délai  qui  lui  avait  été  imparti,  le  bey  fit  connaître  son  acceptation^^.  Le  10,  Mustapha 
venait  en  grand  uniforme  au  consulat  de  France  présenter  les  excuses  officielles  du 
gouvernement  tunisien  ;  une  commission  franco-tunisienne  était  instituée  pour 
examiner  avec  bienveillance  les  revendications  de  Sancy.  Le  bey  n'eut  pas  même  à 
prononcer  la  révocation  de  David  Santillana,  dernier  point  de  l'ultimatum  présenté 
par  Roustan.  Santillana  avait  pris  les  devants  en  donnant  sa  démission  dès  qu'il  eut  eu 
connaissance  des  exigences  françaises 

Pris  au  dépourvu,  peut  être,  par  la  capitulation  du  bey,  ou  mal  informé  des  conditions 
de  la  politique  tunisienne,  Waddington  n'avait  pas  songé  à  assortir  son  ultimatum  de 
clauses  de  garanties  pour  l'avenir.  Il  n'avait  pas  fait  reprendre  les  négociations  en  vue 
d'un  protectorat  qu'il  eût  certainement  imposé  au  bey  s'il  lui  avait  fallu  recourir  à  la 
force  pour  le  faire  céder^^.  Le  succès  de  janvier  1879  fut  sans  lendemain.  L'affaire  du 
protectorat,  reprise  trop  tard  et  trop  timidement,  traîna  des  mois  durant  sans  aboutir. 
En  définitive,  le  seul  bénéficiaire  de  la  crise  fut  le  concessionnaire  de  Sidi  Tabet. 

L'éternelle  affaire  Sancy  fut  évoquée  de  nouveau  devant  la  commission  d'arbitrage. 
Après  deux  mois  d'enquête,  la  commission  déposa  son  rapport  en  mai  1879.  Les  seuls 
torts  du  bey  étaient  de  n'avoir  point  fait  bonne  mesure  à  Sancy  sur  le  domaine  qu'il  lui 
concédait  ;  il  manquait  une  trentaine  de  méchias  sur  un  total  de  trois  cents.  Lorsqu'il 
eut  obtenu  du  bey,  avec  la  révocation  de  son  arrêté  de  déchéance,  en  octobre  1879,  les 
hectares  qui  manquaient  à  sa  concession,  Sancy  s'empressa  de  rechercher  un  acquéreur 
pour  Sidi  Tabet.  En  mai  1880,  il  cédait  l'exploitation  du  domaine  à  une  société  française 
qui  commençait  à  s'implanter  en  Tunisie,  la  Société  Marseillaise  de  Crédit,  filiale  du 
Crédit  Industriel  et  Commercial  de  Paris,  qui  avait  fondé  une  succursale  à  Tunis  en  1879, 
et  qui,  en  avril  1880,  venait  d'acquérir  les  vastes  propriétés  de  Khérédine. 


la  route  de  Tunis  à  Bizerte.  Voici  comment  il  résume  ses  appréciations  sur  cette  dernière  place  :  débarquement 
facile,  résistance  nulle,  enfin  bonne  position  pour  organiser  une  défense  contre  la  terre»  (Arch.  Rés.  Roustan 
à  Waddington.  Tunis,  2  janvier  1879). 

50  A.  E.  ail.  Mém.et  Doc.  vol.  166  Berlin,  7  janvier  1879. 

51  Nous  n'avons  pas  retrouvé  le  texte  même  de  cet  ultimatum. 

52  «Je  regrette  un  peu,  je  vous  l’avoue»,  écrivait  Saint-Vallier,  «que  le  bey  se  soit  montré  de  bonne  composition; 
l’occasion  était  belle,  si  belle  qu’il  est  à  craindre  qu’on  ne  la  retrouve  plus  telle,  car  nous  avions  le  liceat  de 
toutes  les  grandes  puissances  (l’Italie  sans  alliance  ne  compte  pas),  et  le  manque  d’égards  du  bey  était  le 
coup  de  fouet  nécessaire  pour  sortir  notre  opinion  publique  de  son  indifférence»  (Ibid.  Part  de  St-Vallier  à 
Waddington,  12  janvier  1879). 

53  Roustan  ne  reçut  aucune  instruction  dans  ce  sens,  entre  le  1®*^  septembre  1878,  date  où  Waddington  lui 
demanda  d'ajourner  ses  démarches  et  le  14  janvier  1879,  où  le  ministre  s'informa  auprès  de  lui  de  la 
possibilité  de  négocier  en  vue  d'un  objectif  plus  modeste. 


341 


La  Société  Marseillaise  exploiterait  désormais  Sidi  Tabet,  à  charge  pour  elle  de  verser 
à  Sancy  la  moitié  du  revenu  net  du  domaine.  En  juin,  le  bey  accepta  cet  arrangement. 
Le  seul  résultat  de  l'intervention  française  avait  donc  été  d'assurer  à  Sancy  une  rente 
annuelle  aux  dépens  du  bey  et  de  la  Société  Marseillaise.  Telle  fut  la  conclusion  peu 
morale  de  l'affaire  de  Sidi  Tabet. 

c)  L'échec  d'une  proposition  d'alliance 

Waddington  avait  manqué  de  décision.  11  attendait  le  milieu  de  janvier  pour  reparler 
protectorat  à  Roustan,  pour  lui  demander  surtout  des  informations  sur  l'état  des  esprits 
à  Tunis.  11  suggérait  de  reprendre  l'affaire  sur  des  bases  plus  modestes,  une  négociation 
amicale  avec  le  bey  pour  la  conclusion  d'une  alliance  défensive,  en  excluant  expressément 
tout  recours  à  une  pression  militaire.  «Au  lieu  d'un  protectorat  direct  et  officiel  se 
traduisant  par  l'occupation  immédiate  et  permanente  de  plusieurs  points  de  la  Régence, 
nous  nous  bornerions  à  rechercher  une  alliance  défensive.  Le  bey  prendrait  l'engagement 
de  ne  céder  et  de  ne  laisser  occuper  aucune  portion  de  son  territoire  par  aucune  autre 
puissance.  Nous  nous  engagerions  de  notre  côté  à  le  défendre  contre  tout  danger  intérieur 
ou  extérieur  et  nous  lui  garantirions  le  maintien  de  la  dynastie...  ;  il  nous  reconnaîtrait  la 
faculté  d'occuper  certains  points  du  pays  dans  certaines  éventualités  déterminées^^» 

Waddington  avait-il  foi  réellement  en  la  vertu  de  négociations  amicales  ?  N'essayait- 
il  pas  plutôt  de  faire  l'économie  d'une  expédition  ou  d'une  démonstration  militaire, 
d'éviter  des  critiques  parlementaires,  une  opposition  ouverte  de  l'Italie  ?  La  politique 
qu'il  préconisait  était  vouée  à  l'échec.  Pour  une  telle  démarche,  la  crainte  était  le  seul 
moyen  d'action  sur  l'esprit  d'un  prince  imbécile  et  décrépit,  incapable  de  raisonnement, 
mais  profondément  méfiant  par  nature.  L'occasion  avait  été  manquée  en  janvier  ;  il  était 
inutile  de  soulever  la  question  du  protectorat  si  le  gouvernement  français  n'entendait 
pas  aller  jusqu'à  Vultima  ratio.  Roustan  et  Chanzy  l'avaient  certainement  exprimé  de 
vive  voix  au  ministre  quelque  six  mois  plus  tôt. 

Roustan  ne  croyait  guère  au  succès  d'une  méthode  de  persuasion.  Il  proposa  d'agir 
à  titre  personnel  et  par  sondages  afin  d'épargner  au  gouvernement  l'humiliation  d'un 
refus®®.  Waddington  l'approuva  en  lui  laissant  toute  latitude  d'agir  comme  bon  lui 
semblerait.  Le  11  février,  il  lui  transmettait  le  canevas  d'un  traité  en  cinq  articles  qui 
prévoyait  une  alliance  défensive  étroite  et  une  union  douanière  franco-tunisienne,  la 
garantie  du  territoire  de  la  Régence,  sans  que  fût  expressément  stipulée  la  prise  en 
charge  par  la  France  de  la  politique  étrangère  du  bey®®. 


54  A.  E.  Tunis,  vol.  47.  A  Roustan,  confid  Paris,  14  janvier  1879. 

55  Ibid.  dép.  confid  et  pers  de  Roustan  à  Waddington.  Tunis,  21  et  30  janvier  1879. 

56  «Article  premier.  -  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  s'engage  envers  la  France  à  ne  céder  et  à  ne  permettre  à  aucune 
puissance  étrangère  d'occuper  soit  une  partie  du  territoire,  soit  un  port  appartenant  à  la  Régence...  Le 
gouvernement  de  la  République  prend  de  son  côté  l'engagement  de  prêter  son  appui  à  S.  A.  contre  tout  danger 
pouvant  soit  menacer  S.  A.  Mohammad  Essadok  ou  sa  dynastie,  soit  compromettre  la  sécurité  de  la  Régence. 
Art  2.  -  Pour  faciliter  au  gouvernement  de  la  République  Française  l'accomplissement  des  obligations  qu'il 
assume  par  l'article  précédent,  S.  A.  consent  à  ce  que  dans  le  cas  où  la  sécurité  de  la  Régence  ou  de  la  dynastie 
actuellement  régnante  serait  menacée  par  un  danger  intérieur  on  extérieur,  le  Président  de  la  République 
Française  fasse  occuper  un  ou  plusieurs  points  qui  seraient  jugés  nécessaires,  tels  notamment  que  les  îles 
de  la  Galite  et  de  Tabarque,  la  baie  de  Bizerte,  le  cap  Farine,  le  cap  Bon,  Prie  et  rade  de  Gerba. 

Art  3.  -  S.  A.  le  Bey  s'engage  à  ne  conclure  aucun  acte  ayant  un  caractère  international  sans  en  avoir  donné 
connaissance  au  gouvernement  de  la  République  Française  et  sans  s'être  entendu  préalablement  avec  elle. 
Art  4.  -  Les  agences  diplomatiques  et  consulaires  de  France  en  pays  étrangers  seront  chargées  de  la  protection 
des  intérêts  et  des  nationaux  tunisiens.  Le  gouvernement  français  et  le  gouvernement  tunisien  s'entendront 
ultérieurement  pour  la  conclusion  d'une  union  douanière  entre  la  Régence  et  l'Algérie. 


342 


Pour  ses  démarches  auprès  du  bey,  le  meilleur  agent  de  Roustan  était  toujours 
Mustapha  ben  Ismail,  le  favori  dont  il  avait  facilité  l'ascension  et  qui  ne  semblait  pas 
avoir  ressenti  l'humiliation  de  sa  récente  visite  d'excuses  au  consulat.  Au  prix  de  quelles 
promesses,  de  quelles  garanties  accepta-t-il  de  plaider  auprès  de  Mohammed  es  Sadok 
la  cause  du  protectorat,  ou  plutôt  de  «l'alliance»  française  ?  Nous  savons  seulement  que 
Roustan  lui  fit  accorder  en  secret  la  protection  française  et  que,  par  décret  présidentiel 
du  17  juin  1879,  Mustapha,  comme  naguère  Benaïad,  était  «admis  à  domicile  en  France». 
La  négociation  franco-tunisienne  prenait  le  tour  scabreux  d'une  conversation  d'alcôve. 
L'avenir  de  la  Régence  était  suspendu  à  la  faveur  d'un  mignon^^. 

Mais,  comme  Roustan  l'avait  craint.  Mohammed  es  Sadok  ne  se  laissa  pas  convaincre. 
Au  milieu  de  juillet,  le  consul  devait  avouer  son  échec  :  «C'est  toujours  le  même  fanatisme, 
la  même  ignorance  et  il  ne  sera  jamais  convaincu,  il  ne  cédera  qu'à  la  force  des  choses 
ou  des  bayonnettes»^®.  Sur  les  conseils  de  Waddington,  Roustan  persévéra  néanmoins. 
Début  septembre,  il  continuait  sans  grand  espoir  ses  démarches  auprès  du  bey  ;  il  ne 
devait  pas  avoir  plus  de  succès. 

La  politique  de  persuasion  avait  échoué.  En  attendant  que  le  gouvernement  se 
décidât  à  pratiquer  une  politique  de  force,  Roustan  ne  demeurait  pas  inactif  ;  il  jetait 
les  bases  d'un  programme  de  pénétration  économique  dont  la  réalisation  allait  être 
grandement  facilitée  par  le  départ  de  son  vieil  adversaire,  le  consul  d'Angleterre. 

La  retraite  de  Wood  fut  le  grand  événement  du  printemps  de  1879.  Depuis  l'été 
précédent,  Waddington  se  répandait  en  doléances  sur  la  conduite  du  consul  d'Angleterre, 
à  Salisbury  lui-même,  mais  le  plus  souvent  à  Lyons  qui  se  plaignaità  Londres  de  l'insistance 
française^®.  A  plusieurs  reprises,  Salisbury  avait  conseillé  à  Wood  la  neutralité  la  plus 
stricte  dans  les  affaires  locales,  mais  ce  que  voulaient  les  Français  c'était  l'éloignement 
d'un  adversaire  rompu  à  l'intrigue  et  habitué  à  l'indépendance  qui  jamais  ne  pourrait  se 
résigner  à  l'inaction.  La  France  n'avait-elle  pas  rappelé  d'Egypte  un  de  ses  agents  pour 
des  motifs  analogues  ? 

En  janvier,  Waddington  fit  une  nouvelle  démarche  auprès  de  Salisbury  en  lui 
écrivant  à  titre  personnel.  Mais  il  était  difficile  de  déplacer  sans  motifs  graves  un 
agent  qui  comptait  plus  d'un  demi  siècle  de  bons  services.  On  essaya  de  le  mettre 
à  la  retraite  en  faisant  revivre  une  limite  d'âge  de  soixante-dix  ans  quelque  peu 
oubliée  dans  la  pratique.  Wood  avait  73  ans  ;  il  répondit  avec  aplomb  qu'il  n'en  avait 
que  67^0. 


Art  5.  -  Le  gouvernement  de  la  République  sera  représenté  auprès  de  S.  A.  le  Bey  par  un  ministre  résident 
qui  veillera  à  l'exécution  du  présent  acte  et  qui  sera  l'intermédiaire  des  rapports  du  gouvernement  français 
avec  les  autorités  tunisiennes  pour  toutes  les  affaires  administratives  communes  aux  deux  pays». 

57  La  tradition  orale  a  conservé  nombre  d'anecdotes  pimentées  sur  les  relations  entre  le  bey  et  Mustapha  à 
cette  époque.  Elles  jettent  un  jour  curieux  sur  la  vie  quotidienne  au  palais  et  font  ressortir  la  répugnance 
profonde  du  bey  pour  tout  accord  avec  l'étranger,  en  dépit  de  l'extraordinaire  empire  qu'exerçait  sur  lui  le 
favori. 

58  A.  E.  Tunis,  vol.  48.  Fers  de  Roustan  (à  Desprez).  Tunis,  15  juillet  1879. 

«Mustapha»,  écrivait  Roustan  en  1880,  «se  rappelle  les  colères  du  Bey  qui  est  resté  l'an  dernier  troisjours 
sans  lui  parler  parce  qu'il  avait  conseillé  à  S.  A.  de  signer  le  traité.  Il  paraît  que  trois  jours,  étant  donné 
l'intimité  du  Bey  et  de  son  ministre,  c'est  quelque  chose  d'énorme».  (Ibid,  vol.,  50.  Part  de  Roustan  à  Courcel. 
Tunis,  7  mai  1880). 

59  Waddington  «made  his  life  a  burden  to  him  in  connection  with  the  proceedings  of  the  British  Consul  General 
at  Tunis».  (Newton,  op.  cit  vol.  2,  p.l64). 

60  Ce  fait  curieux  pour  l'époque,  surtout  de  la  part  d'un  fonctionnaire,  n'est  pas  le  résultat  d'une  confusion. 
Nous  savons  que  Wood  était  né  en  1806.  Le  29  janvier  1879,  il  écrivit  au  ministère  qu'il  était  né  en  juin  1811 


343 


Le  ministère  prétexta  alors  la  mauvaise  raison  d'une  réorganisation  du  service 
consulaire  en  Orient,  la  réduction  du  poste  de  Tunis  au  rang  de  simple  consulat  pour 
signifier  à  Wood  sa  mise  à  la  retraite,  le  24  février^i.  Wood  n'en  fut  point  dupe,  mais  il 
n'avait  qu'à  s'incliner^^  pg  3;^  mars,  il  abandonna  le  service  aux  mains  du  vice-consuL^. 
En  juin,  il  s'embarqua  pour  la  France.  C'est  à  Nice  qu'il  devait  en  effet  se  retirer.  11  devait 
survivre  plus  de  vingt  ans  encore  sans  perdre  tout  contact  avec  les  affaires  de  Tunisie  car, 
presque  chaque  année,  l'été  le  voyait  revenir  chez  sa  fille,  sur  la  plage  de  La  Goulette^^^. 
Mais  son  rôle  politique  était  bien  fini  désormais 

Cinquante-cinq  ans  d'activité  et  de  luttes  incessantes  pour  le  prestige  et  les  intérêts 
de  l'Angleterre  s'achevaient  brutalement  sur  un  renvoi  presque  incivil.  L'agent  qui  avait 
cessé  d'être  utile  était  sacrifié  à  l'entente  française,  avec  seulement  un  bref  regret  pour 
«ses  précieux  services».  A  Londres,  personne  ne  se  soucia  d'évoquer  la  longue  carrière 
d'un  homme  qui  avait  brillamment  servi  à  Damas,  qui,  plus  obscurément,  mais  avec 
autant  de  ténacité,  avait  milité  à  Tunis  pour  placer  au  tout  premier  rang  l'influence  de 
son  pays  d'adoption.  La  page  fut  vite  tournée  :  dès  que  Wood  eut  été  informé  de  sa  mise 
à  la  retraite,  le  ministère  ne  se  préoccupa  plus  que  de  hâter  son  déparD^, 

Avec  Wood  ce  n'était  pas  seulement  un  consul  qui  s'en  allait,  c'était  aussi  la  fin  d'une 
époque,  la  fin  d'une  tradition.  La  retraite  de  Wood,  après  le  départ  de  Santillana,  déchirait 
ce  réseau  de  renseignements,  d'intérêts,  de  complicités  qui,  depuis  plus  de  vingt  ans 
faisaient  du  consulat  britannique  une  véritable  puissance.  En  réduisant  le  personnel 
de  sa  mission^®,  en  nommant  à  Tunis  un  soliveau,  Salisbury  marquait  la  volonté  de 
l'Angleterre  de  se  retirer  des  affaires  tunisiennes.  La  retraite  de  Wood  sonnait  le  glas 
de  l'influence  anglaise  en  Tunisie.  Pour  Roustan  comme  pour  Waddington,  c'était  là  un 
succès  réel,  un  succès  qui  pouvait  adoucir  un  peu  l'échec  de  leurs  projets  de  protectorat 
tunisien. 

2  -  Roustan  contre  Maccio'  ou  la  guerre  des  deux  consuls 

La  retraite  de  Wood  délivrait  le  consul  de  France  d'un  adversaire  dangereux.  Mais 
Roustan  trouvait  devant  lui  un  autre  rival,  beaucoup  moins  souple  certainement,  mais 
aussi  actif,  aussi  tenace  que  Wood,  un  nouveau  consul  d'Italie  qui  d'entrée  affirmait 
sa  résolution  de  mener  une  lutte  énergique  contre  les  empiétements  français.  Pour 


(F.  0.10  2/  124).  Un  mois  plus  tard,  après  avoir  été  averti  de  sa  mise  à  la  retraite,  Wood,  récapitulant  ses  états 
de  services,  notait  qu'il  avait  débuté  en  1824  au  service  de  la  Levant  C°.  (F.  0.102/  125).  A  Salisbury,  Tunis, 
26  février  1879).  «Having  returned  himself  as  67  years  of  âge  (he  entered  the  services  55  years  ago  and 
therefore  must  hâve  begun  his  public  duties  at  a  precocious  âge»  ...  relevait  avec  humour  Salisbury  (Newton, 
op.  cit.  vol.  2,  p.l73  :  A  Lyons,  6  mars  1879). 

61  Salisbury  s'était  borné  à  décider  le  remplacement  de  Wood  à  compter  du  avril,  laissant  à  ses  subordonnés  le 
soin  de  trouver  les  modalités  de  l'opération.  La  correspondance  échangée  fin  février  entre  les  fonctionnaires 
du  ministère  montre  leur  embarras  pour  trouver  une  solution  acceptable  (F.  0.102/125). 

62  «It  is  superfluous  for  me»,  écrivait  Wood,  le  26  février,  «to  dwell  on  the  mental  distress,  which  the  sudden 
resolution  ofH.  M's  Government  has  caused  me»...  (F.  0.102/125). 

63  Le  nouveau  consul,  Reade,  ne  fut  nommé  qu'en  juillet.  11  arriva  à  Tunis  le  21  septembre  1879.  Le  vice-consul 
Stevens  assura  l'intérim  pendant  six  mois. 

64  Lucia-Fer/rfo  Wood,  née  à  Damas  le  l®*^  décembre  1852,  qui  avait  épousé  à  Tunis,  le  15  avril  1874,  Giuseppe 
Raffo,  fils  aîné  du  deuxième  comte  Raffo  (Reg.  Ste  Croix). 

65  Wood  demandait  quelque  délai  pour  liquider  ses  affaires.  Mais  le  ministère  lui  enjoignit  de  cesser  ses 
fonctions  le  31  mars  (télégr.  du  5  mars)  en  lui  promettant  une  indemnité  pour  couvrir  les  pertes  que  pouvait 
lui  faire  subir  un  départ  précipité. 

66  Un  consul,  un  chancelier  et  deux  employés  au  lieu  d'un  consul  général  assisté  d'un  vice-consul,  d'un 
chancelier  et  de  quatre  employés. 


344 


remplacer  Mussi  dont  la  mission  temporaire  s'achevait  à  l'automne  de  1878,  le 
gouvernement  italien  avait  désigné  pour  le  poste  de  Tunis  le  consul  à  Beyrouth,  Licurgo 
Maccio',  qui  arrivait  le  20  décembre  1878.  Maccio'  avait  cinquante  ans®^.ll  avait  fait  une 
belle  carrière  dans  les  postes  du  Levant,  au  Caire,  à  Damas,  puis  à  Beyrouth,  il  arrivait 
avec  une  réputation  de  ténacité  et  de  combativité^®  ;  on  savait,  à  Tunis,  qu'il  se  faisait 
l'idée  la  plus  haute  du  rôle  que  l'Italie  devait  jouer  en  Méditerranée.  Roustan  connaissait 
bien  Maccio'  dont  il  avait  été  le  collègue  au  Caire  et  à  Beyrouth,  il  avait  été  en  conflit  avec 
lui  au  Caire,  treize  ans  plus  tôt.  Mais  les  deux  consuls  n'avaient  pas  cessé  d'entretenir 
des  relations  personnelles  relativement  cordiales.  A  Tunis  ce  fut  bientôt  une  rupture 
complète. 

L'arrivée  de  Maccio'  entrant  à  Tunis  comme  en  pays  conquis,  prenait  la  valeur  d'une 
provocation.  Escorté  d'une  section  d'infanterie  de  marine  débarquée  avec  lui  de  l'aviso 
Rapido,  «clairon  sonnant»®^,  Maccio'  se  fit  rendre  des  honneurs  militaires  inusités  à  la  porte 
du  consulat.  Il  inaugura  incontinent  une  politique  de  revendications  et  de  protestations 
systématiques  auprès  du  Bardo.  Les  affaires  en  suspens,  les  demandes  de  concessions, 
les  avantages  accordés  aux  Français  lui  fournissaient  l'occasion  de  se  plaindre  de  la 
mauvaise  volonté  du  gouvernement  tunisien  à  l'égard  de  l'Italie.  Par  système,  Maccio' 
ignorait  la  France  ;  il  intervenait  brutalement  auprès  du  bey,  le  verbe  haut,  la  parole 
tranchante.  Il  ne  dissimulait  pas  le  mépris  qu'ils  ressentait  pour  le  triste  favori  du  prince 
et,  en  public,  il  affectait  de  le  négliger.  En  mai  1880,  après  une  scène  violente  au  palais, 
Maccio'  rompit  ouvertement  avec  le  premier  ministre  ;  il  déclara  qu'il  ne  voulait  plus 
avoir  de  rapports  avec  Mustapha  ben  Ismaïl  et  que  désormais  il  traiterait  directement 
avec  le  bey^o.  De  son  côté,  Mustapha  manifestait  un  mauvais  vouloir  systématique  en 
faisant  traîner  indéfiniment  toutes  les  affaires  italiennes  qui  lui  étaient  soumises.  Aussi, 
bien  des  Italiens  prirent-ils  l'habitude  de  s'adresser  régulièrement  au  consulat  de  France 
pour  faire  aboutir  leurs  requêtes  auprès  du  bey.  cette  situation  faisait  le  jeu  de  Roustan 
qui  se  félicitait  d'une  rupture  franco-italienne  si  favorable  aux  intérêts  français^i. 


67  MACQO*  (Licurgo],  consul  d'Italie,  né  à  Pistoia,  le  5  août  1828  ;  licencié  en  droit  de  l'Université  de  Pise,  juillet 
1847  ;  enrôlé  contre  l'Autriche  dans  un  bataillon  de  volontaires,  février  1848  ;  sous-lieutenant  pendant  les 
campagnes  de  1848-1849  ;  avocat  à  Alexandrie  ;  nommé  vice-consul  de  classe,  chargé  du  consulat  du 
Caire,  11  août  1860  ;  promu  consul  de  2^»"°  classe,  28  mai  1863  ;  transféré  à  Beyrouth  avec  brevet  de  consul 
général,  11  mars  1866  ;  promu  consul  de  classe,  24  juin  1869  ;  transféré  à  Tunis  en  qualité  d'agent 
et  consul  général,  17  octobre  1878  ;  promu  consul  général  de  2ème  classe,  27  février  1881  ;  transféré  au 
Monténégro,  29  janvier  1883  ;  consul  général  de  classe,  30  octobre  1884  ;  transféré  au  Caire,  14  juillet 
1889. 

Chevalier  des  S.S  Maurice  et  Lazare,  1863  ;  officier,  1874  ;  commandeur,  20  février  1880  ;  chevalier  de  la 
Couronne  d'Italie,  1868  ;  officier,  1869  ;  commandeur,  18  janvier  1880  ;  décoré  du  grand  cordon  du  Nichan 
de  Tunis,  8  février  1880  (fichier  Rome). 

68  F.  0.102/111.  Wood  à  Salisbury.  Tunis,  8  octobre  1878. 

69  Arch.  Rés.,  dép.  pol  n°  65  de  Roustan.  Tunis,  24  décembre  1878.  Egalement  F.  0.102/111.  Wood  à  Salisbury, 
Tunis,  31  décembre  1878.  Comme  le  débarquement  de  soldats  en  armes  était  interdit  par  le  gouvernement 
tunisien,  les  fusils  furent  dissimulés  à  La  Goulette  dans  des  caisses  que  le  vice-consul  d'Italie  vint  réclamer  à 
la  douane  comme  effets  personnels  de  Maccio'.  Les  fusils  furent  exhibés  seulement  lors  de  l'arrivée  à  Tunis. 
Devant  les  protestations  de  Roustan  et  les  remontrances  du  bey,  Maccio'  se  borna  à  répondre  qu'il  croyait 
que  tel  était  l'usage  dans  la  Régence.  Le  publiciste  anglais  Broadley  jugeait  cette  manifestation  italienne  «un 
acte  de  folie  presque  incroyable»  (Last  Punie  War,  vol.  1,  p.l74). 

70  A.  E.  Tunis,  vol.  50.  Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  28  mai  1880. 

71  «Je  n'ai  garde  de  m'en  plaindre  et  je  désire  seulement  que  cela  dure  le  plus  longtemps  possible»  (A.  E. 
Papiers  Noailles.  Privée  de  Roustan  à  Noailles.  Tunis,  17  août  1880).  «Je  voudrais  bien  que  l'on  sût  que 
non  seulement  je  n'ai  jamais  désiré  le  départ  de  mon  collègue  d'Italie,  mais  que  je  le  verrais  s'éloigner  avec 
regret,  car  je  suis  convaincu  qu'aucun  agent  italien  ne  pourrait  parvenir  à  se  rendre  aussi  désagréable  au 
bey».  (Ibid,  du  même  au  même.  Tunis,  10  septembre  1880). 

Egalement  F.  0.102/127.  Confid  de  Reade  à  Granville.  Tunis,  23  juillet  1880). 


345 


Maccio'  voulait  relever  le  prestige  italien  en  Tunisie.  Aussi  encouragea-t-il  les 
manifestations  patriotiques  qui  devaient  affirmer  la  conscience  nationale  d'une  colonie 
nombreuse  mais  misérable.  Un  quotidien  de  Cagliari  venait  à  son  aide,  l'Avvenire  di 
Sardegna,  organo  délia  colonia  italiana  nella  Tunisia,  qui  jusqu'alors  ne  consacrait  aux 
affaires  tunisiennes  qu'une  médiocre  chronique  de  faits  divers.  A  partir  de  1878,  le 
directeur  de  l'Avvenire,  Giovanni  De  Francesco,  se  lança  résolument  dans  une  campagne 
en  faveur  de  l'italianité  ;  il  louait  Maccio',  magnifiait  les  entreprises  italiennes,  évoquait 
les  fastes  de  la  Rome  antique  pour  célébrer  la  grandeur  de  l'Italie  nouvelle. 

Mais  l'important  pour  Maccio'  était  de  lutter  contre  la  pénétration  économique 
française  que  patronnait  Roustan.  Il  s'efforça  aussitôt  de  freiner  les  progrès  de 
l'adversaire,  de  le  gagner  de  vitesse  en  constituant  en  face  du  réseau  des  entreprises 
françaises  qui  commençaient  à  couvrir  le  pays  tout  un  faisceau  d'entreprises  italiennes. 
Aux  projets  français,  il  opposait  des  contre-projets,  des  demandes  de  concessions, 
faisait  revivre  des  droits  italiens  oubliés.  Soutenu  au  ministère  par  Maffei,  le  secrétaire 
généraU^^  par  Malvano,  le  directeur  des  affaires  politiques^^,  Maccio'  ventilait  les  projets 
suggérés  par  les  notables  de  Tunis,  protestait  au  Bardo,  faisait  rédiger  des  pétitions.  Il 
saisissait  toutes  les  occasions  d'intervenir  et  déployait  une  activité  fiévreuse,  un  peu 
désordonnée  autour  des  projets  les  plus  variés,  réseau  télégraphique,  voies  ferrées, 
banques,  installations  portuaires.  Il  faisait  sonner  bien  haut  les  vœux  de  la  colonie,  la 
nécessité  de  poursuivre  l'effort  italien,  tandis  que  ses  émissaires  partaient  en  quête  de 
capitaux  pour  soutenir  une  guerre  d'argent  difficile  contre  des  rivaux  pécuniairement 
mieux  armés. 

Mais  cette  activité  passionnée  conduisait  Maccio'  à  une  lutte  de  tous  les  instants  avec 
le  consulat  de  France,  une  lutte  qui  sortait  du  cadre  étriqué  des  rivalités  consulaires  et 
qui  menait  tôt  ou  tard  à  un  conflit  déclaré  avec  la  France.  Aussi  actif,  aussi  tenace,  Maccio' 
était  moins  pondéré  que  Roustan.  S'il  avait  été  le  représentant  d'un  gouvernement  fort, 
décidé  à  l'emporter  coûte  que  coûte  dans  les  affaires  tunisiennes,  Maccio'  aurait  sans 


72  MAFFEI  DI  BOGUO  (marquis  Carlo-Alberto),  diplomate  italien,  né  à  Turin  le  25  mars  1834.  Admis  comme 
gentilhomme  au  service  de  la  reine  Marie-Adélaïde,  1854  ;  Volontaire  au  ministère  des  Affaires  étrangères, 
novembre  1856  ;  secrétaire  de  2™  classe,  décembre  1859  ;  secrétaire  de  légation  de  2ème  puis  classe  à 
Londres,  juillet  1860  -  mars  1869  ;  conseiller  de  légation,  mars  1869  ;  transféré  à  Madrid,  17  février  1873  ; 
envoyé  extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  de  2™^  classe,  16  mars  1876  ;  transféré  à  Athènes, 
janvier  1877  ;  appelé  au  ministère  aux  fonctions  de  secrétaire  général,  3  juin  1878  ;  démissionnaire  lors 
de  la  chute  du  premier  cabinet  Cairoli,  19  décembre  1878  ;  nommé  à  Athènes,  9  février  1879  ;  appelé  de 
nouveau  par  Cairoli  aux  fonctions  de  secrétaire  général,  28  juillet  1879  ;  élu  député  de  Turin,  mai  1880  ; 
démissionne  de  ses  fonctions  de  secrétaire  général  lors  de  la  chute  du  second  cabinet  Cairoli,  29  mai  1881, 
puis  de  son  mandat  de  député,  2  juin  1881  ;  chargé  de  mission  à  Londres  pour  la  suppression  du  cours  forcé, 
mai  1881.  Officier  des  S.  S  Maurice  et  Lazare  depuis  avril  1865  ;  officier  de  la  Couronne  d'Italie,  avril  1869  ; 
commandeur,  juin  1874  ;  grand  officier,  18  janvier  1880  (fichier  Rome). 

73  Malvano  (Giacomo),  haut  fonctionnaire  italien,  né  à  Turin  le  15  décembre  1841  ;  licencié  en  droit  de 
l'Université  de  Turin,  1861  ;  volontaire  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  1862  ;  secrétaire  de  2^"i^  classe, 
novembre  1867  ;  chef  de  bureau  de  2^»"®  classe,  février  1870  ;  faisant  fonction  de  chef  de  division,  septembre 
1871  ;  chef  de  division  de  2^»"®  classe,  24  mars  1872  ;  membre  du  Comité  central  de  statistiques  ;  du  conseil 
supérieur  du  commerce  et  du  comité  d'enquête  industrielle,  1872-1876  ;  commissaire  adjoint  pour  le 
renouvellement  des  traités  de  commerce  avec  la  France,  la  Suisse,  l'Angleterre  et  l'Autriche-Hongrie,  juillet 

1875  -  mars  1876  ;  envoyé  en  mission  à  Paris  pour  le  rachat  des  chemins  de  fer  de  la  haute  Italie,  mai-juin 

1876  ;  vice-président  de  la  Société  royale  de  géographie,  20  janvier  1878  ;  délégué  à  la  conférence  monétaire 
de  Paris,  mai  1879  ;  directeur  général  des  Affaires  politiques,  31  juillet  1879  ;  chargé  des  fonctions  de 
secrétaire  général  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  2  juillet-23  octobre  1885. 

Officier  de  la  Couronne  d'Italie  depuis  1871  ;  commandeur,  mars  1876  ;  officier  des  S.  S  Maurice  et  Lazare 
depuis  1874  ;  commandeur,  mai  1877  ;  grand  officier,  1882  ;  commandeur  de  la  Légion  d'honneur,  novembre 

1877  ;  grand  officier,  1882  (fichier  Rome). 


346 


doute  pu  triompher  de  son  rival.  Mais  le  succès  d'intrigues  locales,  les  encouragements 
plus  ou  moins  déclarés  d'un  parti  de  diplomates  romains  ne  suffisaient  pas  à  résoudre 
la  question  tunisienne.  Maccio'  négligeait  trop  les  réactions  possibles  de  la  France, 
les  conséquences  d'une  rivalité  franco-italienne  sur  le  plan  international.  Les  milieux 
politiques  italiens  n'étaient  pas  préparés  à  l'idée  d'une  rupture  avec  la  France  pour  la 
question  tunisienne.  Si  le  cabinet  de  Rome  encourageait  officieusement  son  consul  à 
l'action,  il  n'avouait  d'autre  politique  à  Tunis  que  le  maintien  du  statu  quo.  La  guerre  des 
deux  consuls  ne  pouvait  être  en  définitive  qu'une  lutte  irritante  et  stérile,  une  intolérable 
politique  de  provocation,  aux  yeux  des  Français,  qui  allait  fournir  des  arguments 
nouveaux  aux  partisans  déclarés  de  l'intervention^^. 

A  Tunis,  le  heurt  des  ambitions  françaises  et  italiennes  prenait  les  allures  d'une 
rivalité  personnelle  entre  Roustan  et  Maccio',  d'un  duel  acharné  entre  «deux  consuls 
de  combat»^^  aiguillonnés  par  des  maîtresses  vindicatives.  La  société  européenne 
se  partagea  en  clans  furieusement  opposés.  Les  conflits  d'intérêts,  les  rancœurs,  les 
inimitiés  personnelles  envenimèrent,  exaspérèrent  l'opposition  entre  un  parti  français 
et  un  parti  italien,  si  l'on  pouvait  donner  ce  nom  à  deux  coteries  où  les  Français  partisans 
de  Maccio'  étaient  aussi  nombreux  que  les  Italiens  qui  soutenaient  Roustan.  Des  deux 
côtés,  une  cour  de  Juifs,  de  Levantins  douteux,  informateurs  ou  intermédiaires  en  quête 
de  pots-de-vin,  faisaient  aux  deux  consuls  un  entourage  compromettant. 

Roustan  s'était  laissé  accaparer  par  le  ménage  Mussalli.  Réintégré  dans  ses 
fonctions  de  sous-directeur  des  Affaires  étrangères,  le  général  Elias  servait  fidèlement 
au  Bardo  la  politique  française.  A  Tunis,  nul  ne  pouvait  ignorer  la  liaison  de  Roustan  et 
de  Madame  Elias,  demeurée  étonnamment  belle,  la  quarantaine  venue.  La  voiture  du 
consul  stationnait  journellement  à  la  porte  de  la  maison  Mussalli.  Lors  des  cérémonies, 
des  manifestations  françaises.  Madame  Elias  était  officiellement  traitée  en  première 
dame  de  la  colonie.  Elle  laissait  les  honneurs  de  l'hôtel  consulaire  à  l'occasion  des 
réceptions.  Elle  donnait  son  opinion  en  matière  de  politique  et,  de  l'avis  général, 
«elle  exerçait  à  Tunis  une  prépondérance  absolue^®».  Les  Mussalli  étaient  avides. 
Grâce  à  Roustan,  des  donations  beylicales  leur  permirent  de  rétablir  une  fortune 
compromise  par  sept  ans  de  disgrâce.  A  Tunis,  on  assurait  que  Madame  Mussalli 
prélevait  son  courtage  sur  toutes  les  affaires  qu'elle  recommandait  à  la  bienveillance 
du  consul.  Son  salon  où  l'on  parlait  politique  avec  Roustan,  avec  Elias,  réunissait  les 
principaux  tenants  du  parti  français.  Le  clan  adverse  dénonçait  la  maison  Mussalli 
comme  une  officine  où  s'élaboraient  intrigues  financières  et  spéculations  en  bourse^^. 


74  Nous  rejoignons  l'opinion  de  Gorrini  :  Maccio'  «voulait  résoudre  le  problème  tunisien  presque  sans  se 
préoccuper  de  la  France  ;  mais  avait-il  un  programme  concret,  bien  défini  ?  Et,  s'il  l'avait,  sut-il  l'imposer 
au  gouvernement  ?  11  semble  que  non.  Son  programme  était  aux  deux  tiers  négatif,  combattre  à  outrance 
l'influence  de  la  France,  à  ses  entreprises  opposer  autant  d'entreprises  italiennes»  {Tunisi  e  Biserta  Milan, 
1940,  p.  50).  Maccio'  fit  preuve  d'une  ardeur  remarquable.  Il  devait  succomber  vaillamment  dans  une  lutte 
inégale  (Ibid.  pp.  51,  55,  80-100). 

75  Broadley  :  Last  Punie  War,  vol.  1,  p.  174  (en  français  dans  le  texte). 

76  D'après  le  général  Faidherbe,  ancien  commandant  à  Bône  (Paul  Cambon  :  Correspondance,  vol.  1,  p.  162  : 

lettre  à  Madame  Cambon  Paris,  l®*^  mars  1882). 

77  Avvenire  diSardegna  1878-1881,  passim,  notamment  12  juin  et  11  septembre  1879,15  avril  et  31  mai  1880. 

F.  0.  102/  133.  Confid  de  Reade  à  Granville.  Tunis,  25  novembre  1881  A.  E.  Tunis  Mém.  Doc.  Procès  de 
l'Intransigeant,  vol.  1.  Compte  rendu  sténographique  des  débats.  Dépositions  de  Billing,  pp.  23-25,  de  Villet, 
p.67,  Gay,  pp.  91-93,  Le  Blant,  pp.  198  et  201,  et  surtout  de  Pelletan,  pp.  113-122  et  142-153.  Roustan  ne  nia 
pas  ses  relations  avec  les  Mussalli,  mais  il  protesta  qu'il  ne  leur  avait  jamais  fait  obtenir  de  dons  en  argent  du 
bey.  «On  dit  que  j'ai  eu  des  relations  fréquentes  avec  M.  Elias  Mussalli...  ;  je  l'ai  exposé  souvent  au  ministère... 

Je  lui  ai  dit  :  il  me  faut  emprunter  l'intermédiaire  de  M.  Mussalli  ;  il  n'y  en  a  pas  d'autres  sur  qui  nous 

puissions  compter  ;  tous  les  autres  fonctionnaires...  sont  vendus  à  nos  adversaires.  Voilà  pourquoi  je  me 


347 


On  y  rencontrait  un  «sous-Élias»,  selon  le  mot  de  Camille  Pelletant®,  le  Juif  livournais 
Amedeo  Volterra  qui,  en  matière  d'influence,  était  au  général  Mussalli  ce  que  Mussalli 
était  à  Roustan^®,  Volterra,  «le  courtier  de  l'agonie»,  le  faussaire  qui  vivait  des  aumônes 
du  Bardo,  quand  il  ne  faisait  pas  profession  d'introduire  en  fraude  dans  la  Régence  des 
pièces  d'argent  fabriquées  en  Suisse®®.  Jules  Forti  était  un  autre  courtier  juif.  Français 
de  nationalité,  celui-là,  qui  vivait  de  façon  plus  honorable  en  représentant  plusieurs 
sociétés  françaises®!.  L'aventureux  Sancy,  l'Italien  Mangano®^,  agent  de  la  compagnie 
Bône-Guelma,  étaient  également  reçus  au  consulat  et  chez  Madame  Elias,  comme 
le  Marseillais  Van  Gaver  qui  n'acceptait  pas  sans  aigreur  l'accaparement  du  grand 
commerce  par  les  courtiers  juifs  du  Contrôle.  Le  Corse  Mattéi,  vice-consul  de  France 
à  Sfax  et  grand  ami  de  Roustan,  l'agent  du  bey  à  Bône,  Joseph  Allegro,  mi  Français,  mi 
Tunisien,  venaient  y  faire  également  de  brèves  apparitions. 

Le  salon  Traverso  se  posait  en  rival  du  salon  Mussalli.  Autour  de  Maccio'  gravitaient 
le  ménage  Traverso,  Pietro®®,  frère  de  Madame  Elias,  «un  simple  imbécile»,  au  dire  de 
Roustan®'*,  qui  se  laissait  mener  par  sa  femme,  l'intrigante  Marietta®®,  dont  la  liaison  avec 
le  consul  d'Italie  demeurait  discrète,  les  frères  Castelnuovo®®,  le  Juif  anglais  Santillana,  le 


suis  servi  de  lui»  [Ibid.  pp.  35-36.  Egalement  A.  E.  Tunis,  vol.  63.  Part  de  Roustan  à  Courcel  Tunis,  30  octobre 
1881.  Note  annexe]  Broadley  a  dressé  une  liste  de  douze  propriétés  possédées  parles  Mussalli,  qui  provenaient 
de  donations  beylicales  [Last  Punie  War,  vol.  2,  pp.  258-259],  Plusieurs  affaires  de  pots-de-vin  furent  évoquées  au 
cours  du  procès  de  l'Intransigeant  en  décembre  1881.  La  plupart  d'entre  elles  ne  semblent  pas  sérieuses  ;  mais 
il  ne  paraît  pas  douteux  que,  en  juin  1879,  Elias  Mussalli  et  Gay  se  soient  partagé  une  somme  de  25.000 
francs  donnée  à  Gay  par  le  bey  pour  adoucir  son  refus  de  laisser  construire  un  port  à  Carthage.  Gay  lui 
même  le  reconnut  à  la  barre  (A.  E.  Tunis  Mém.  et  Doc.  Procès,  vol.  1,  déposition  de  Gay,  pp.  92-93  -  Ibid. 
pièce  n°  9  :  reçu  des  25.000  fr.  signé  par  Gay.  Tunis,  5  juin  1879  -  Ibid.  vol.  2,  déposition  de  Waddington,  p.9  - 
F.  0.102/124.  Stevens  à  Salisbury.  Tunis,  12  juin  1879  ;  etc.]. 

78  A.  E.  Tunis  Mém. et  Doc.  Procès  de  l'Intransigeant,  vol.  1,  p.  123  déposition  de  C.  Pelletan. 

79  Avvenire  di  Sardegna,  16  septembre  1880  :  Lettere  di  Tunisi.  Dans  sa  déposition  au  procès  de  l'Intransigeant, 
en  décembre  1881,  Pelletan  parla  de  Volterra  comme  d'un  homme  «qui  est  l'ami  de  M.  Elias  exactement 
comme  M.  Elias  est  l'ami  de  M.  Roustan». 

80  La  monnaie  d'argent  tunisienne  étant  frappée  à  une  valeur  supérieure  à  sa  valeur  effective,  Volterra  fit 
fabriquer  en  Suisse  des  piastres  qui  passaient  en  fraude  à  La  Goulette,  avec  la  complicité  de  quelques  agents 
de  la  compagnie  de  navigation  Valéry. 

81  FORT!  (Jules],  fils  de  David-Vita  et  de  Rachel  Costa,  né  à  Marseille  le  24  décembre  1841.  Depuis  mars  1879, 
il  dirigeait  une  banque  filiale  de  la  Société  Marseillaise,  la  Société  de  crédit  franco-tunisienne,  qui  fut 
incorporée,  l'année  suivante,  dans  la  Société  des  comptoirs  maritimes.  Il  représentait  également  à  Tunis  les 
raffineries  de  sucre  de  Saint-Louis.  Après  l'établissement  du  protectorat,  il  fut  mêlé  aux  principales  affaires 
financières  de  la  Régence,  comme  administrateur  de  la  Banque  Transatlantique  et  administrateur  délégué 
de  la  Banque  de  Tunisie  dirigées  par  Eugène  Pereire. 

82  MANGANO  {Domenico-Carmine],  né  à  Civita-Vecchia  le  4  août  1818,  marié  à  Tunis  le  4  avril  1853  à  Marie 
Vidal,  une  Française  originaire  de  Carcassonne,  mort  à  Tunis  le  19  janvier  1884  (reg  St.  croix].  Il  avait  quitté 
Civita-Vecchia  pour  Tunis  en  février  1850  et,  comme  Romain,  il  y  fut,  pendant  vingt  ans,  inscrit  sur  la  liste 
des  protégés  français.  Agent  de  la  compagnie  de  navigation  Valéry,  il  joignit  à  ces  fonctions  celles  d'agent 
de  la  compagnie  Bône-Guelma  et  fit  beaucoup  pour  le  rattachement  de  la  ligne  de  la  Medjerda  au  réseau 
algérien,  ce  qui  lui  valut  la  croix  de  la  Légion  d'honneur  en  1879  (A.  E.  Mém.  et  Doc.  procès  de  l'Intransigeant, 
vol.  3,  pp.  37-38.  Rapport  de  Jusserand  au  président  du  conseil.  Tunis,  7  janvier  1882], 

83  TRAVERSO  (P/etro-Alessandro),  fils  aîné  de  Stefano  et  de  Maddalena  Pîgnatari,  né  à  Tunis  le  6  août  1837, 
marié  à  Tunis  le  12  février  1862  à  Maria  Tapia,  mort  à  Tunis  le  23  décembre  1881  (Reg.  Ste  croix].  Il  s'était 
associé  à  son  frère  Amedeo  pour  reprendre  le  commerce  paternel  en  1861. 

84  A.  E.  Papiers  Noailles.  Privée  de  Roustan  à  Noailles.  Tunis.  10  septembre  1880. 

85  Mar/a-Luigia,  dite  Marietta  Tapia,  épouse  Traverso  et  belle-sœur  des  Mussalli,  était  née  à  Djerba  le  26  février 
1845.  Son  père,  Paolo  Tapia,  un  négociant  triestin  d'origine  israélite,  était  sujet  autrichien  ;  sa  mère  était  une 
Maltaise,  Giovanna  Molinos.  Marietta  Tapia  était  âgée  de  16  ans  lorsqu'elle  fut  épousée  par  Pietro  Traverso 
à  qui  elle  donna  quatre  enfants. 

86  Achille  Castelnuovo,  l'aîné,  né  en  1842,  exerçait  à  Tunis  la  profession  de  médecin.  Raffaelle  avait  été  agent 
du  bey  à  Florence  jusqu'en  1871  ;  il  devint  alors  médecin  de  santé  à  La  Goulette  où  il  mourut  en  juillet  1884 
[Tunis  Journal,  13  juillet  1884],  Giulio  était  le  correspondant  de  la  Riforma.  Guglielmo,  né  en  1847,  dirigea 
l'exploitation  de  la  Djédeida  avant  de  se  consacrer  au  métier  d'architecte. 


348 


Théodore  ROUSTAN 
consul  de  France  à  Tunis 
de  1874  à  1882 
(Photo  Garrigues  -  Tunis) 


Licurgo  MACCIO' 
consul  d'Italie  à  Tunis 
de  1878  à  1881 
(L'Illustration,  1881,  p.  272) 


Madame  Elias  MUSSALLI 
née  Luigia  Traverso 
{1835-1911) 

(Court,  de  M.  P.  Grandchamp) 


Thomas  READE 
consul  dAngleterre  à  Tunis 
de  1879  à  1885. 

(court  de  M.  Malcolm, 
ambassadeur  de  Grande-Bretagne  à  Tunis) 


Juif  italien  Paz,  ancien  courtier  du  khaznadar,  l'avocat  Maggiorani,  conseiller  juridique 
du  bey.  La  plupart  des  membres  du  Comité  de  contrôle  soutenaient  le  parti  italien, 
Guttieres  notamment,  dont  tous  les  frères  avaient  été  placés  dans  l'administration  des 
revenus  concédés,  Moreno  et  même  le  Corse  Rocca,  protégé  de  Khérédine,  qui  n'avait  pas 
pardonné  à  Roustan  la  disgrâce  de  son  bienfaiteur.  D'autres  Français  brouillés  avec  le 
consulat  de  France,  l'homéopathe  Burguet®^  médecin  sans  diplômes,  un  repris  de  justice 


87  Burguet  était  arrivé  à  Tunis  vers  1870,  de  Bône  où  il  avait  exercé  avec  peu  de  succès  les  différents  métiers 
de  photographe,  marchand  de  chaussures  et  directeur  de  cirque.  A  Tunis,  il  s'improvisa  médecin  en  utilisant 
une  série  d'ordonnances  qu'un  médecin  de  ses  amis  lui  avait  dictées.  Il  devint  le  médecin  du  khaznadar  puis, 
après  la  mort  de  ce  dernier  en  1878,  passa  au  service  de  Taïeb  Bey  (A.  E.  Tunis,  vol.  66.  Lettre  de  Perdrigeon). 


349 


du  nom  de  Perdrigeon*®,  trouvaient  au  consulat  d'Italie  des  oreilles  complaisantes.  De 
Sfax,  l'agent  consulaire  Awocato  dénonçait  à  Maccio'  les  intrigues  de  Mattéi,  son  rival  en 
matière  de  commerce  et  de  contrebande. 

A  la  cour,  le  parti  italien  pouvait  compter  sur  Hamida  Benaïad  et  son  gendre 
Baccouche,  directeur  des  Affaires  étrangères,  sur  Mohammed  Beyram^^,  sur  le  général 
Heussein  également  qui  séjournait  d'ordinaire  à  Livourne  où  il  défendait  les  intérêts  du 
bey  dans  la  succession  Samama.  Burguet  apportait  le  concours  du  prince  Taïeb  dont  il 
était  le  médecin.  Mais,  grâce  à  Mustapha  ben  Ismaïl,  grâce  aux  maladresses  de  Maccio', 
Roustan  était  le  plus  puissant.  Il  flattait,  il  encourageait  Alléla  dont  l'influence  était 
grande  sur  l'esprit  du  favori.  Pour  surveiller  des  alliés  inconsistants,  il  avait  aussi  ses 
espions  au  Bardo,  comme  le  docteur  Mascaro',  médecin  privé  du  bey,  qui  sut  jusqu'au 
bout  renseigner  le  consulat  de  France  sans  éveiller  les  soupçons^o  .Les  faveurs,  les 
décorations  pleuvaient  sur  l'entourage  de  Roustan  qui  faisait  récompenser  leur  zèle  par 
des  libéralités  du  bey®i.  Les  amis  de  Maccio'  ne  pouvaient  s'en  consoler;  ils  exhalaient 
leur  rancœur  en  dénonçant  les  scandales  du  parti  adverse.  Madame  Traverse  était  aussi 
avide  que  sa  belle  sœur  et  rivale®^.  Jalouse  de  la  beauté  de  Madame  Elias,  son  aînée 
de  dix  ans,  elle  abondait  en  propos  perfides  que  la  rumeur  de  l'avenue  de  la  Marine 
ramenait  au  salon  Mussalli.  Tous  les  soirs,  une  foule  désœuvrée  se  pressait  sur  l'avenue, 
colportant  «les  cancans^^»^  se  précipitant  sur  les  correspondances  tunisiennes  des 
journaux  d'Europe.  Chaque  clan  avait  ses  journalistes  attitrés.  Van  Gaver  écrivait  dans  le 
Sémaphore  de  Marseille  ;  Giulio  Castelnuovo,  dans  la  Riforma  de  Rome^*.  Mais  l'Avvenire 
di  Sardegna  était,  par  excellence,  l'organe  du  clan  Maccio'.  LFn  Juif  livournais,  Morpurgo, 
en  était  le  correspondant  habituel  ;  le  directeur  du  journal,  de  Francesco,  exerçait  souvent 


Tunis,  21  février  1882  ;  Ibid.  vol.  63.  Part  de  Roustan  à  Barthélemy-Saint-Hilaire.  Tunis,  7  octobre  1881). 
«Ici»,  écrivait  Roustan,  «il  a  fait  les  plus  honteux  métiers  avant  d'entrer  chez  Taïeb  Bey.  Il  a  volé  une  bague 
en  brillants  à  une  femme  de  mauvaise  vie  qui  est  venue  la  lui  réclamer  au  consulat.  Il  a  dû  rendre  la  bague 
en  alléguant  qu'elle  lui  avait  été  donnée  par  cette  femme  pour  lui  avoir  procuré  un  riche  Tunisien». 

88  Jean  Perdrigeon,  qui  se  faisait  appeler  du  Vernier  à  Tunis,  était  originaire  de  Rennes  où  il  était  né  le  26  mars 
1852.  Il  avait  été  condamné  pour  escroquerie  par  le  tribunal  de  la  Seine  (vol  de  200.000  fr.  à  une  actrice  de 
Paris).  Il  devint  le  secrétaire  de  Burguet  (A.  E.  Tunis,  vol...  64.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  12  novembre 
1881.  Egalement  dép.  de  Roustan.  Tunis,  14  janvier  1882.  A.  E.  Tunis,  vol.  66).  Perdrigeon  se  fixa  à  Tunis  où 
il  se  maria,  le  9  novembre  1882,  avec  une  Florentine  de  vingt  ans  (reg.  Ste  croix). 

89  BEYRAM  V  (Mohammed  ben  Mustapha),  neveu  du  Cheikh  el  Islam  Beyram  IV,  né  à  Tunis  en  mars  1840,  mort 
en  Egypte  le  18  décembre  1889.  Directeur  de  la  Grande  Mosquée,  il  fut,  en  avril  1874,  chargé  par  Khérédine 
de  l'administration  des  biens  habous,  nommé  directeur  de  l'imprimerie  du  gouvernement,  en  mai  1875, 
et  participa  à  la  fondation  de  l'hôpital  Sadiki  en  février  1879.  Au  cours  d'une  mission  à  Paris,  au  milieu  de 
1879,  il  tenta  vainement  d'obtenir  le  rappel  de  Roustan.  Il  s'expatria  en  octobre  1879,  à  l'occasion  d'un 
pèlerinage  à  la  Mecque,  se  fixa  à  Constantinople,  puis  en  Egypte,  tout  en  faisant  de  nombreux  voyages  en 
Europe  {Encycl.  de  l'Islam,  vol.  3,  p.  731). 

90  «J'ai  à  moi  presque  tout  l'entourage  du  premier  ministre»,  écrivait  Roustan,  «et  surtout  le  premier  médecin 
du  bey  qui  a  une  grande  influence  mais  qui  est  très  sensible  à  l'argent»  (A.  E. Tunis,  vol.  51.  Lettre  de  Roustan, 
Tunis,  2  août  1880). 

Le  docteur  Mascaro',  né  à  Tunis  en  février  1845,  était  le  fils  du  docteur  Francisco  Mascaro',  un  Espagnol  de 
Minorque,  et  de  Rosa  Gamba,  une  Génoise  de  Tunis. 

91  Mattéi,  Forti,  Allegro,  étaient  décorés  de  la  Légion  d'honneur.  Mangano  le  fut  en  1879.  D'officier,  Elias  fut 
promu  au  rang  de  commandeur. 

92  «On  pourrait  voir  s'il  n'est  pas  possible  d'acheter  la  maîtresse  de  Maccio'»,  notait  un  officier  français  du 
service  des  renseignements,  au  printemps  de  1881  (Arch.  Guerre.  Carton  13,  Tunisie  :  Mission  Sandherr, 
note  du  4  avril  1881). 

93  Selon  l'expression  de  Sancy. 

94  II  signait  Uléma,  pseudonyme  qu'il  reprit  dans  son  ouvrage.  Il  conflitto  franco-italiano  e  la  guerra  (Venise, 
1894). 


350 


Tunis  :  le  quartier  franc  en  1878. 

Le  quartier  franc  commençait  à  s'étendre  en  direction  de  la  mer,  de  part  et  d'autre  de  cette  promenade 
de  la  Marine  qui,  sous  le  nom  d'avenue  Jules  Ferry,  allait  devenir  le  centre  de  la  ville  européenne.  Face  au 
consulat  de  France,  le  cimetière  catholique  occupait  encore  l'emplacement  de  l'actuelle  cathédrale. 


aussi  sa  verve  aux  dépens  du  parti  français^®.  Presque  chaque  semaine,  la  chronique 
tunisienne  de  l'Avvenire  déchirait  le  consul  de  France  et  Madame  Elias,  fustigeait  «Marc- 
Antoine  et  Cléopâtre»,  «la  politique  d'alcôve  de  Mr  Roustan»®^  Volterra,  Forti,  Sancy  «sans 
sous  sans  souci®^»,  Mustapha  et  son  aller  ego  Alléla,  quand  elle  ne  s'en  prenait  pas  au 
rédacteur  du  Sémaphore,  Van  Gaver,  «l'historiographe  du  boudoir®®».  La  haine  de  clans 
divisait  les  familles  ;  Madame  Elias  entraînait  avec  elle  son  frère  Amedeo  ;  Marietta 
Traverse,  les  Monge,  ses  neveux,  son  beau-frère  Aurelio  Fedriani,  les  autres  frères  et 
sœurs  de  son  mari. 

Le  consulat  d'Angleterre  demeurait  habituellement  neutre  dans  la  querelle.  Par 
tempérament  Thomas  Reade®®,  le  successeur  de  Wood,  n  'était  pas  homme  à  reprendre 


95  Giuseppe  Morpurgo  fut  pendant  longtemps  le  seul  correspondant  tunisien  de  l'Avvenire.  Comme  le  directeur 
du  journal,  Giovanni  de  Francesco,  il  signait  de  ses  initiales.  Morpurgo  mourut  à  Tunis  le  13  janvier  1880. 
Nous  ne  connaissons  pas  les  autres  correspondants  du  quotidien  de  Cagliari,  dont  l'un  était  peut-être 
l'avocat  italien  Maggiorani. 

96  Avv.  diSard.,  16  mai  1878. 

11  n'y  a  pas  de  Pompadour  à  Tunis,  notait  le  correspondant  de  la  Gazette  du  Midi.  «Peut  être  comprendrait- 
on  mieux  l'érudit  de  Cagliari,  s'il  se  fût  contenté  de  parler  d'une  beauté  tunisienne,  en  son  été  de  la  Saint- 
Martin,  remuante  et  serpentante,  dans  les  choses  de  l'endroit»  (Gaz.  Midi,  n°  des  10,  llet  12  juin  1878. 
Lettre  tunisienne). 

97  G.  de  Francesco  :  Considérations  sur  le  conflit  franco- tunisien.  Cagliari,  1879,  p.34,  pamphlet  hostile  à  Sancy 
qui  fut  distribué  avec  l'Avvenire  au  début  de  1879. 

98  Avv.  di  Sard.,  17  mai  1880. 

99  READE  (77?omas-Fellowes),  consul  d'Angleterre,  fils  du  consul  Thomas  Reade  dont  il  fut  à  Tunis  le  troisième 
successeur,  né  à  La  Marsa  en  1829,  mort  le  24  mars  1885.  Secrétaire  privé  de  son  père  à  Tunis,  1847- 
1849  ;  nommé  vice-consul  à  Tanger,  6  novembre  1850  ;  chargé  à  plusieurs  reprises  de  la  gestion  du  consulat 


351 


Il-* 


Les  TRAVERSO  et  leurs  alliés  (1878-1881). 


le  rôle  qu'avait  si  longtemps  assumé  son  prédécesseur.  Faible  et  négligent,  il  somnolait 
des  après-midis  entières  à  la  terrasse  des  cafés  sur  l'avenue  de  la  Marine.  11  abandonna 
bientôt  tout  le  soin  des  affaires  à  son  chancelier  Pisanboo,  à  un  intrigant  qui  avait  su 
capter  sa  faveur,  l'avocat  Broadley. 

Broadleyioi  n'était  à  Tunis  que  depuis  six  ans.  Une  condamnation  l'avait  contraint 
de  quitter  précipitamment  ses  fonctions  de  juge  dans  l'administration  des  Indes.  De 
Tchittagong,  il  avait  gagné  Alexandrie,  puis  Tunis  où  il  avait  obtenu  de  plaider  devant  le 
tribunal  consulaire,  il  n'avait  pas  réussi  à  se  rapprocher  de  Wood^°2.  Mais  avec  Reade,  il 
eut  bientôt  la  haute  main  sur  les  affaires  du  consulat.  Pas  plus  que  Pisani,  Broadley  ne  se 


général  ;  envoyé  en  Crimée  à  la  disposition  du  commandant  en  chef  de  l'expédition  anglaise,  1854  ;  en 
service  spécial  sur  la  cote  du  Rif,  1856  et  1857  ;  nomme  consul  a  Tanger,  26  mars  1859  :  charge  a  deux 
reprises  de  la  gestion  du  consulat  général  ;  consul  au  Caire,  14  mai  1864  ;  chargé  par  deux  fois  de  la  gestion 
du  consulat  général  d'Alexandrie  ;  transféré  à  Cadix,  30  novembre  1868  ;  à  Smyrne,  1“  mars  1877  ;  à  Tunis, 
avec  effet  du  1^'  avril  1879.  [F.  0.  List  1878,  p.  170  ;  Ann.  Biografico  universale,  vol.  1,  p.  579). 

100  PISANI  (Michèle),  né  à  vers  1831,  mort  le  28  mars  1896  à  Tunis,  chancelier  du  consulat  d'Angleterre  depuis 
1854. 

101  BROADLEY  (Alexander-Meyrick)  était  le  fils  d'un  pasteur  de  Bridport  (Dorset).  Après  de  bonnes  études  de 
droit,  il  s'embarqua  pour  les  Indes  où  il  obtint  du  Bengal  Civil  Service  une  charge  de  juge  à  Tchittagong. 
IL  en  repartit  précipitamment  en  décembre  1872  sous  la  menace  d'une  condamnation  par  le  tribunal  de 
Lucknow  et  s'installa  comme  avocat  à  Tunis  au  printemps  de  1873.  Broadley  devait  attacher  son  nom  à 
deux  causes  célèbres,  la  défense  de  Levy  dans  l'affaire  tunisienne  de  l'Enfida,  de  1880  à  1882  (cf.  notre 
article  de  la  Revue  Africaine  1955,  pp.  341-378)  -  et  celle  du  colonel  Arabi  en  Egypte.  11  retraça  les  dernières 
années  de  l'indépendance  tunisienne  dans  son  célèbre  ouvrage  {The  Last  Punie  War...,  1882)  où,  à  côté  de 
ses  souvenirs  personnels,  il  rapporte  le  point  de  vue  du  consulat  anglais  dont  il  compulsa  les  archives. 

102  Wood  qui  entendait  demeurer  seul  maître  au  consulat  avait  tenu  Broadley  à  l'écart.  Celui-ci  avait  aussitôt 
suscité  contre  le  consul  des  cabales  au  sein  de  la  colonie  maltaise  (F.  0.102/95). 


352 


souciait  beaucoup  de  politique  ;  la  rumeur  publique,  dénonçant  leur  avidité,  les  accusa 
bientôt  de  s'être  associés  pour  exploiter  sans  vergogne  la  justice  consulairei^^. 

Dans  les  consulats,  c'était  la  même  faune,  les  mêmes  combinaisons  sordides. 
Histoires  de  pots-de-vin,  jalousies  de  chef-lieu  de  canton,  la  rivalité  franco-italienne 
semblait  se  perdre  dans  un  dédale  d'intrigues  misérables  conduites  par  des  agents  sans 
dignité.  Dans  ce  cadre  étriqué,  cette  atmosphère  nauséabonde,  on  pouvait  oublier  la 
signification  de  la  lutte  entre  factions,  oublier  que  la  guerre  des  deux  consuls  avait  pour 
enjeu  la  prépondérance  politique  dans  la  Régence. 

3  -  Les  succès  de  Roustan  :  1879-1880 

a)  La  pénétration  économique  française 

Roustan  avait  repris  au  compte  de  la  France  le  programme  de  pénétration 
économique  que  Wood,  avec  persévérance,  avait  soutenu  pendant  plus  de  vingt  ans. 
A  défaut  d'un  accord  politique  auquel  le  bey  ne  souscrirait  jamais  de  son  plein  gré,  il 
voulait  couvrir  le  pays  d'un  réseau  d'entreprises,  organiser  une  colonisation  capitaliste 
qui  préparerait  la  pénétration  politique  et  faciliterait  l'action  militaire  lorsque  le 
gouvernement  se  déciderait  enfin  à  user  de  vigueur.  En  France,  les  capitaux  ne  manquaient 
pas  ;  il  ne  serait  pas  difficile  de  les  attirer  en  Tunisie,  si  le  gouvernement  français  acceptait 
de  souscrire  une  garantie  d'intérêt  analogue  à  celle  qu'il  avait  récemment  accordée 
pour  la  construction  du  chemin  de  fer  de  Béja.  En  matière  de  travaux  publics,  il  y  avait 
beaucoup  à  faire  dans  la  Régence  et  Mustapha  aurait  certainement  moins  de  peine  à 
faire  admettre  au  bey  l'octroi  de  concessions  qu'à  lui  faire  signer  un  quelconque  traité 
de  protectorat  ou  d'alliance. 

A  Paris,  Roustan  pouvait  compter  sur  le  baron  de  CourceP°^  suppléant  de  Desprez, 
puis  directeur  des  affaires  politiques,  avec  lequel  il  était  en  correspondance  régulière. 
Mais,  en  dehors  de  lui,  «personne  ne  pensait  plus  à  Tunis»  De  Freycinet  qui  succédait 
à  Waddington  à  la  fois  à  la  tête  du  département  et  à  la  présidence  du  Conseil,  le  27 
décembre  1879,  s'occupait  surtout  des  relations  avec  le  Saint-Siège  ;  le  cabinet  était 
tout  à  la  question  scolaire.  Avec  le  maréchal  de  Mac-Mahon,  la  politique  d'intervention 


103  Associés  avec  un  avocat  maltais  Face,  auquel  il  avait  fallu  faire  place  pour  le  faire  taire,  Pisani  et  Broadley 
disposaient  à  leur  gré  des  sentences  du  tribunal  consulaire.  Pisani  prélevait  son  courtage  et  l'on  retrouvait 
toujours  les  compères  sur  les  mêmes  bancs,  Broadley  contre  Face  ou  Face  contre  Broadley.  Les  Maltais  se 
plaignaient  à  Londres  qu'il  fût  impossible  de  gagner  un  procès  au  tribunal  de  Tunis  sans  deux  ou  trois  mille 
piastres  à  Pisani,  comme  pot-de-vin,  et  le  double  à  Broadley,  à  titre  d'honoraires,  que  toutes  les  pétitions, 
retournées  à  Tunis,  tombaient  entre  les  mains  de  Broadley  qui  poursuivait  leurs  auteurs  de  sa  haine 
[Corresp.  consulaire  anglaise  :  1879-1882,  passim). 

104  COURCEL  (Alphonse  CHODRON,  baron  de),  diplomate  français,  né  et  mort  à  Paris  (1835-1919)  ;  licencié  puis 
docteur  en  droit;  attaché  à  la  direction  politique,  6  juin  1859  ;  à  Bruxelles,  9  juin  1859  ;  à  Saint-Petersbourg, 
11  avril  1861  ;  attaché  payé  au  cabinet,  16  octobre  1862  ;  secrétaire  de  2®  classe  à  la  disposition  du 
département,  27  décembre  1865  ;  détaché  au  contentieux,  30  août  1866  ;  secrétaire  de  classe  à  la 
disposition  du  ministre,  7  août  1869  ;  sous-directeur  à  la  direction  politique,  31  octobre  1869  ;  ministre 
plénipotentiaire  de  2^*"^  classe,  10  février  1877  ;  chargé  de  suppléer  le  directeur  des  affaires  politiques  en 
cas  d'empêchement,  4  février  1877  ;  directeur  des  affaires  politiques,  23  janvier  1880  ;  conseiller  d'Etat  en 
service  extraordinaire,  27  janvier  1880  ;  ministre  plénipotentiaire  de  classe,  17  février  1880  ;  directeur 
des  affaires  politiques  et  des  archives,  18  septembre  1880  ;  ambassadeur  à  Berlin,  27décembre  1881  ;  mis, 
sur  sa  demande,  en  disponibilité,  8  septembre  1886  ;  membre  de  la  commission  des  archives  diplomatiques, 
15  septembrel886  ;  chargé  de  travaux  particuliers,  22  septembre  1887  ;  en  disponibilité,  17  février  1889. 
Chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  1864  ;  officier,  7  août  1877  ;  commandeur,  12  juillet  1880  ;  grand  officier  ; 
30  mars  1885  {Annuaire  diplomatique  et  consulaire  pour  1894,  p.  168). 

Elu  sénateur  de  Seine-et-Oise,  en  1892,  le  baron  de  Courcel  redevint  ambassadeur  à  Londres  de  1894  à 
1898  et  fut  élu  en  1899  membre  de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques. 


353 


dans  la  Régence  avait  perdu  un  de  ses  plus  ardents  défenseurs.  De  loin  en  loin,  Courcel 
parlait  Tunisie  à  de  Freycinet,  mais  celui-ci  l'écoutait  à  peine  ;  visiblement  son  esprit 
était  ailleursi°^.  Du  moins  laissa-t-il  Roustan  agir  à  sa  guise  et  mener  l'offensive  sur  le 
terrain  économique  et  financier  qu'il  avait  choisi. 

Des  entreprises  que  Wood  avait  attirées  en  Tunisie,  deux  seules  survivaient 
encore.  La  New  Gas  C°,  au  bord  de  la  faillite,  cherchait  en  vain  à  se  défaire  de  ses 
installations.  La  compagnie  de  chemin  de  fer  n'était  pas  en  meilleure  posture  : 
l'exploitation  du  Tunis-Goulette-Marsa,  le  T.  G.  M.  comme  l'appelaient  les  Tunisois, 
n'était  pas  rentable.  Le  train  n'avait  jamais  pu  lutter  contre  la  concurrence  de  la 
batellerie  du  lac.  A  peine  soutenait-il  un  médiocre  trafic  estival  lorsque  la  cour 
émigrait  vers  les  plages  de  La  Goulette.  Depuis  quatre  ans  la  compagnie  annonçait 
son  intention  de  céder,  mais  elle  n'avait  pas  trouvé  preneur  pour  son  matériel  délabré. 
Elle  se  débattait  en  difficultés  avec  des  gérants  indélicats  et,  périodiquement,  elle 
aussi,  cherchait  au  bey  de  mauvaises  querelles  pour  essayer  de  lui  extorquer  quelque 
indemnitéio^. 

Une  société  liégeoise  occupait  quelques  ouvriers  à  l'exploitation  des  carrières  de 
marbre  de  Chemtou.  L'extraction  des  scories  de  plomb  du  Djebel  Ressas,  péniblement 
menée  par  Castelnuovo  pendant  trois  ans,  semblait  sur  le  point  de  cesser.  En  mai  1879 
Castelnuovo,  endetté,  cédait  sa  concession  à  une  société  sarde  ;  mais  l'effondrement 
des  cours  du  plomb  sur  le  marché  européen  paraissait  condamner  définitivement 

l'exploitationio7. 

Les  entreprises  françaises  étaient  seules  à  prospérer.  Le  réseau  télégraphique  était 
exploité  avec  succès  depuis  dix-sept  ans  par  le  gouvernement  français.  La  compagnie 
Bône-Guelma  qui  menait  activement  les  travaux  sur  la  ligne  de  la  Medjerda  inaugurait 
avec  faste  un  premier  tronçon  de  100  kilomètres  de  voie  ferrée  en  avril  1879.  En  mars 
de  la  même  année,  la  Société  Marseillaise  de  Créditio®  fondait  à  Tunis  une  succursale,  la 
Société  Franco-Tunisienne  de  Crédit,  dont  elle  confiait  la  direction  au  négociant  Jules 


105  Baron  de  Courcel  :  Souvenirs  inédits. 

106  F.  0  102/109, /llO, /ni  :  corresp.  de  Wood,  1877-1878. 

107  La  mine  avait  été  concédée  à  Castelnuovo,  Nathan  Lindor,  un  Juif  anglais,  et  Frédéric  Toché,  de  Paris,  le 
9  septembre  1868.  Castelnuovo  ayant  racheté  la  part  de  ses  associés  devint  seul  concessionnaire  en  1876. 
Dès  1877,  la  mine  était  hypothéquée  au  profit  d’une  banque  de  Cagliari  qui  obtenait,  le  30  mars  1879,  le 
transfert  de  la  concession  au  nom  d’une  Société  Mineraria  Metallurgica  Italiana  qu'elle  venait  de  constituer 
(Arch.  Tun.  carton  239,  Doss.  579  et  583  ;  G.  Melis  :  Miniera  efonderia  del  Ghel  Rsass  in  Tunisia.  Cagliari, 
1885,  pp.  6-10). 

108  La  SOCIÉTÉ  MARSEILLAISE  DE  CRÉDIT  INDUSTRIEL  ET  COMMERCIAL  ET  DE  DÉPÔTS,  société  anonyme  autorisée 
par  décret  impérial  du  2  octobre  1865,  fut  fondée  sous  les  auspices  de  la  Société  Générale  de  Crédit  Industriel 
et  Commercial  de  Paris  et  de  la  Société  Anonyme  des  Dépôts  et  Comptes  Courants,  également  de  Paris,  avec  le 
concours  des  milieux  d'affaires  marseillais.  Elle  fut  transformée  en  société  anonyme  libre  au  capital  de  40 
millions,  en  vertu  d'un  décret  du  12  décembre  1878,  et  continuait  d'être  liée  aux  affaires  de  la  Société  de 
Crédit  Industriel  de  Paris. 

Parmi  les  21  administrateurs  de  la  Société  Marseillaise,  on  relevait,  en  1880,  les  noms  de  :  Armand  (Amédée), 
armateur,  président  de  la  chambre  de  commerce  de  Marseille  et  président  du  conseil  d'administration 
depuis  1878  ;  Rey  (Albert),  membre  de  la  chambre  de  commerce  de  Marseille,  vice  président,  puis  président 
du  conseil  d’administration  de  la  Société  Marseillaise,  après  le  décès  d’Armand  en  1881  ;  BERÇASSE  (Henri), 
armateur  à  Marseille,  vice-président  de  la  Société  en  1881  ;  DURRIEU  (Henri),  président  de  la  Société  de 
Crédit  Industriel  et  Commercial  et  de  la  compagnie  de  chemins  de  fer  de  l'Est  Algérien,  à  Paris  ;  JOUET- 
PASTRE  (Albert),  administrateur  délégué  de  la  Société  des  forges  et  chantiers  de  la  Méditerranée  ;  Rostand 
(Jules),  négociant,  administrateur  du  Crédit  Industriel  et  Commercial.  En  étaient  également  les  négociants 
Marseillais  David  Carcassonne  et  Etienne  Zafiropulo  qui  avaient  quelques  intérêts  commerciaux  en  Tunisie 
(A.  N.  :  f  12,  67-77  :  doss.  Société  Marseillaise  :  presse  financière  1865-1882,  pnssim). 


354 


Forti.  A  peine  installée,  elle  s'intéressait  à  l'achat  de  terrains,  acquérait  de  Mustapha 
ben  Ismaïl  un  assez  vaste  domaine  dans  l'ouest  de  la  Régence,  et  engageait  contre  les 
usuriers  locaux  une  redoutable  guerre  d'argent. 

Deux  grandes  entreprises  françaises  étaient  désormais  engagées  en  Tunisie. 
D'autres  pouvaient  les  imiter.  Un  vaste  champ  d'activité  s'offrait  à  elles,  construction  de 
voies  ferrées,  de  ports,  création  d'exploitations  agricoles,  d'installations  industrielles 
et  commerciales  qui  alimenteraient  le  trafic  ferroviaire  et  portuaire.  11  fallait  aussi 
réorganiser  les  services  maritimes,  lutter  contre  la  concurrence  de  l'Italie  qui,  depuis 
plusieurs  années,  s'assurait  une  part  croissante  dans  les  échanges  commerciaux 
de  la  Régence.  Roustan  était  disposé  à  tout  mettre  en  jeu  pour  assurer  le  succès  des 
entreprises  françaises  et,  par  le  biais  d'une  pénétration  économique,  préparer  une  prise 
de  possession  pacifique  du  pays. 

La  question  d'un  port  était  à  l'étude  depuis  longtemps.  En  1874  déjà.  Oscar  Gay 
était  venu  présenter  à  Khérédine  un  projet  de  port  à  Carthage.  11  revenait  à  la  charge 
à  la  fin  de  1878  en  faisant  soutenir  sa  demande  au  ministère  par  un  député  de  ses 
amis^o®.  Mais  si,  techniquement,  elle  offrait  des  facilités  d'exécution,  la  création  d'un 
port  à  Carthage  soulevait  bien  des  difficultés  :  les  terrains  de  la  côte  appartenaient 
pour  la  plupart  au  bey  ou  aux  grands  dignitaires  de  la  cour  qui  s'étaient  fait  construire 
des  maisons  de  plaisance.  11  fallait  s'attendre  à  rencontrer  des  obstacles  de  ce  côté. 
Mais  surtout  l'opération  imposait  le  rachat  du  T.  G.  M.  dont  le  réseau  s'interposait  entre 
le  terminus  de  la  ligne  française  et  l'accès  à  la  mer.  La  compagnie  Bône-Guelma  y  avait 
déjà  songé  mais  les  pourparlers  avaient  été  rompus  en  août  1877  devant  les  prétentions 
excessives  de  la  société  anglaise.  La  compagnie  manifestait  peu  d'enthousiasme  à 
prendre  possession  d'une  ligne  mal  construite  qu'il  lui  faudrait  entièrement  refaire. 
Elle  préférait  visiblement  obtenir  à  Tunis  même  la  concession  d'un  port  et  l'ouverture 
d'un  chenal  dont  elle  entreprendrait  l'exécution  sous  la  garantie  du  gouvernement 
français. 

Roustan  avait  assez  peu  confiance  dans  le  projet  Gay  où  il  voyait  surtout  une 
spéculation.  Gay  n'était  qu'un  aventurier  qui  cherchait  à  tirer  argent  d'une  concession 
gracieusement  accordée  par  le  bey.  Le  consul  s'efforça  néanmoins  de  ménager  un  accord 
entre  Gay  et  le  président  de  la  compagnie  Bône-Guelma,  Charles  Géry.  Sur  sa  médiation, 
Gay  s'engagea  à  demander  au  bey  le  raccordement  du  port  à  la  capitale  par  une  voie 
ferrée  dont  la  construction  serait  réservée  à  la  compagnie  Bône-Guelma.  Si  la  compagnie 
anglaise  protestait  au  nom  de  son  privilège,  Roustan  lui  susciterait  des  difficultés  afin  de 
l'amener  à  céder  sa  ligne  à  des  conditions  raisonnables^o. 

Mais,  le  20  mai,  le  bey  refusa  d'accorder  la  concession  du  port.  Le  projet  était 
abandonné  «dans  des  conditions  lamentables»,  car  Gay,  pour  prix  de  sa  renonciation, 
se  faisait  offrir  par  le  prince  un  brevet  du  Nichan  et  un  «cadeau»  de  25.000  francs  que 
venait  lui  remettre  son  vieil  ami  Elias  Mussallim.  Quelques  mois  plus  tard,  l'affaire  était 
reprise  par  Géry  pour  le  compte  de  la  compagnie  Bône-Guelma.  En  février  1880,  par 


109  Un  député  affairiste  de  Marseille,  Paule-Emile-Brutus  Bouchet,  qui  siégeait  dans  les  rangs  de  l'Union 
républicaine  (A.  E.  Tunis.  Comm.  vol.  61.  Corresp.  de  Roustan  et  du  ministère,  décembre  1878).  Bouchet 
devait  être  condamné  à  huit  mois  de  prison  et  dix  mille  francs  d'amende,  en  décembre  1884,  en  tant 
qu'administrateur  d'une  société  financière  douteuse,  le  Zodiaque. 

110  Ibid.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  22  avril  1879.  Roustan  pensait  soulever  une  question  de  cahier  des  charges 
que  la  société  n'avait  ni  respecté  ni  même  accepté. 

111  A.  E.  Tunis,  Vol.  49,  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  3  février  1880. 


355 


l'intermédiaire  de  Mustapha,  Géry  demanda  à  son  tour  la  concession  d'un  port  à  Tunis.  11 
n'était  pas  plus  heureux.  Faute  de  pouvoir  convaincre  le  prince,  il  avait  essayé  de  passer 
par  la  «porte  d'or»,  offert  100  à  150.000  francs,  mais  on  voulait  le  double  et  sa  demande 
fut  elle  aussi  repoussée^i^ 

Roustan  s'était  gardé  jusqu'alors  d'intervenir  à  titre  officiel.  Les  initiatives  de  son 
collègue  d'Italie  l'amenèrent  à  prendre  position  plus  ouvertement 

b)  La  contre  offensive  italienne  :  l'affaire  du  T.  G.  M. 

Inquiets  de  la  concurrence  de  la  banque  Franco-tunisienne  qui  leur  enlevait  une 
de  leurs  principales  sources  de  revenus,  les  avances  à  la  Caisse  des  Revenus  concédés, 
les  Juifs  italiens  essayaient  de  constituer  une  banque  rivale  avec  l'appui  des  capitaux 
de  la  métropole.  Maccio'  les  secondait  de  son  mieux.  Sur  sa  recommandation,  les  frères 
Cesana  obtinrent  audience  auprès  de  Maffei  qui  les  conduisit  en  personne  à  Florence, 
en  août  1879,  chez  le  directeur  du  Crédita  Mobiliare™,  Domenico  Balduino.  Une  banque 
italo-tunisienne  pourrait  lutter  avec  succès  contre  les  entreprises  françaises,  patronner 
le  rachat  de  la  dette,  acquérir  des  terrains,  renflouer  la  société  du  Djebel  Ressas  et 
surtout  racheter  la  ligne  anglaise  dont  Maccio'  soulignait  tout  l'intérêt.  Mais  Balduino  ne 
se  laissa  pas  séduire,  bien  que  Maffei  eût  fait  miroiter  à  ses  yeux  la  possibilité  d'un  siège 
au  Sénatii"^. 

A  défaut  de  Balduino,  Maffei  réussit  à  convaincre  le  directeur  d'une  compagnie 
de  navigation  génoise,  Raffaele  Rubattinon^  qui  depuis  1851  exploitait  la  ligne  Gênes- 
Cagliari-Tunis  avec  prolongement  vers  les  ports  du  Sahel.  Rubattino  consentit  à  s'engager 
dans  les  affaires  tunisiennes  à  condition  d'obtenir  le  soutien  matériel  du  gouvernement. 
A  défaut  d'une  banque,  il  acceptait  de  créer  des  installations  plus  directement  liées  à  ses 
intérêts,  aménagement  d'un  port,  pose  d'un  câble  télégraphique,  rachat  et  exploitation 
du  T.  G.  M. 

Tandis  que  les  courtiers  livournais  entraient  en  campagne  pour  le  rachat  des  titres 
de  la  dette  unifiée,  essayaient  d'acquérir  les  domaines  tunisiens  du  général  Khérédine, 
Maccio'  harcelait  le  Bardo  de  demandes  de  concession  :  salines  de  la  Soukra,  location 
de  l'arsenal  de  La  Goulette,  création  d'un  port  à  La  Goulette,  installation  de  phares, 
concessions  minières  vers  Bizerte  ou  Tabarka  (août-octobre  1879}.  Mustapha  accueillait 
uniformément  ces  demandes  par  des  refus  ou  des  fins  de  non-recevoir.  Maccio'  n'en 
poursuivait  pas  moins  sa  campagne  avec  persévérance,  présentant  périodiquement  les 
mêmes  requêtes  sur  un  ton  agressif. 


112  Ibid.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  17  février  1880. 

113  Filiale  à  l’origine  du  Crédit  Mobilier  des  Pereire,  cette  banque  avait  reconquis  son  autonomie  lors  de  la 
déconfiture  du  groupe  français.  C'était  alors  un  des  premiers  établissements  financiers  italiens.  Balduino 
s'occupait  surtout  des  chemins  de  fer  de  la  haute  Italie. 

114  Gorrini,  op.  cit,  pp.  82  et  97-98. 

115  RUBATTINO  (Raffaele),  armateur  italien,  né  et  mort  à  Gênes  (1809  novembre  1881).  Il  avait  fondé  sa 
compagnie  de  navigation  en  1850  et,  depuis  1851,  assurait  une  liaison  postale  régulière  Gênes-Cagliari- 
Tunis.  En  1860,  Rubattino  fournit  les  navires  de  l'expédition  des  Mille.  Sa  compagnie  ne  tarda  pas  à  se 
développer  :  en  1880,  elle  était  la  première  d'Italie  avec  la  compagnie  Florin  ;  elle  armait  le  tiers  des  vapeurs 
du  royaume. 

Depuis  1874,  Rubattino  avait  prolongé  la  ligne  de  Tunisie  par  un  service  destiné  à  desservir  Sfax  et  les  ports 
du  Sahel.  En  1877,  il  avait  lancé  une  nouvelle  ligne  Tunis-Malte-Tripoli. 

Conseiller  municipal  de  Gênes,  Rubattino  avait  été  élu  député  de  sa  circonscription  en  novembre  1876, 
et  siégeait  dans  la  gauche  ministérielle.  Il  ne  fut  pas  réélu  en  mai  1880  [Avv.  di  Sardegna,  19  juillet  1880, 
2  novembre  1881  et  presse  italienne,  passim,  1878-1881). 


356 


En  octobre  1879,  il  trouvait  le  prétexte  d'un  violent  conflit  avec  le  bey,  de 
prétendues  violences  exercées  parles  Khroumirs  contre  des  ouvriers  italiens  travaillant 
à  la  démolition  de  l'épave  de  l'Auvergne.  Aussitôt,  il  demandait  à  Rome  l'envoi  d'un 
stationnaire,  exigeait  du  bey  une  énorme  indemnité  en  faveur  de  l'entrepreneur,  l'envoi 
d'un  corps  d'armée  à  Tabarka  pour  protéger  la  reprise  des  travaux^^®.  Roustan  avait 
à  peine  fait  accepter  une  transaction  que  Maccio'  soulevait  une  nouvelle  querelle. 
11  signalait  au  bey  une  nouvelle  agression  des  Khroumirs  contre  des  Italiens,  des 
ouvriers  au  service  de  la  compagnie  Bône-Guelma.  Mais  l'incident  était  purement 
imaginaires^  et  Maccio',  malgré  qu'il  en  eût,  devait  rentrer  l'ultimatum  qu'il  préparait 
déjà. 

Au  printemps  de  1880,  Maccio'  mettait  l'accent  sur  l'installation  d'un  câble  de  Sicile 
en  Tunisie  dont  il  voulait  faire  l'amorce  d'un  réseau  télégraphique  italien  autonome. 
Grâce  à  ses  efforts,  l'exploitation  du  Djebel  Ressas  reprenait  sur  des  bases  ambitieuses.  Un 
consortium  de  banques  régionales  sardes  à  la  tête  duquel  était  le  député  Ghiani-Mameli 
de  Cagliariss,  réorganisait  la  Société  Mineraria  Metallurgica  Italiana,  cessionnaire  de 
la  concession  Castelnuovo.  A  l'aide  de  capitaux  fournis  par  des  banques  romaines  et 
napolitaines,  elle  mettait  sur  pied  tout  un  programme  industriel,  installait  une  laverie, 
une  fonderie,  ouvrait  des  routes,  construisait  des  bâtiments  et  des  appontements  pour 
l'expédition  du  métaRi®. 

Face  aux  entreprises  françaises  de  Tunisie,  l'action  opiniâtre  de  Maccio'  et  de  Maffei 
avait  contribué  à  créer  deux  faisceaux  d'intérêts  italiens,  un  groupe  sarde,  une  grande 
compagnie  génoise.  Mais,  pour  agir,  il  fallait  de  puissants  moyens  financiers  ;  or  l'argent 
était  bien  rare  dans  cette  Italie  qui  devait  toujours  emprunter  et  qui  ne  connaissait 
d'autre  monnaie  que  des  billets  sans  couverture  métallique.  On  en  était  amené  tout 
naturellement  à  quémander  au  gouvernement  des  subventions  plus  ou  moins  déguisées. 
Maccio'  et  ses  alliés  de  Rome  soutenaient  ces  requêtes  sans  paraître  se  soucier  des 
réactions  qu'une  telle  politique  pouvait  susciter  en  France. 


116  L'épave  de  l'Auvergne  avait  été  vendue  4.000  francs  à  l'entrepreneur  Aurelio  Fedriani,  beau-frère  de  Marietta 
Traverso.  Bien  qu'il  eût  déjà  récupéré  toutes  les  meilleures  pièces  du  navire,  il  exigeait  60.000  francs  et  le 
Bey  dut  finalement  transiger  à  35.000  francs. 

L'enquête  devait  démontrer  que  l'incident  avait  été  démesurément  grossi.  L'agression  se  réduisait  à  une 
dispute  entre  ouvriers  et  indigènes,  à  la  suite  de  laquelle  Fedriani  et  ses  gens  avaient  prestement  décampé 
{Arch.  Rés,  dép.  de  Roustan.  Tunis,  16,19,  22,  30  octobre  1879). 

117  II  s'agissait  d'une  sotte  panique  que  les  Siciliens  avaient  travestie  en  agression.  La  compagnie  contraignit  le 
conducteur  de  travaux  italien  à  retirer  sa  plainte  en  le  menaçant  de  ne  plus  lui  donner  de  travail  (Ibid.,  30 
octobre  1879). 

118  GHIANI-MAMELI  (Pietro)  homme  d'affaires  et  député  italien,  né  à  Cagliari  en  1842.  Lancé  très  tôt  dans  les 
affaires,  il  devint  rapidement  la  principale  figure,  le  deus  ex  machina  du  mouvement  commercial  sarde. 
Directeur  de  la  Caisse  d'épargne  de  Cagliari,  animateur  du  Crédita  Agricolo  Sardo  et  de  nombreuses  autres 
entreprises,  il  fut  député  d'Isili  de  1876  à  1882,  puis  de  Cagliari,  à  partir  del882,  et  siégea  à  gauche. 

Accusé  d'escroqueries  en  février  1887,  il  dut  donner  sa  démission  de  député  le  18  avril.  A  l'issue  d'un  procès 
qui  dura  d'août  à  novembre  1888,  il  fut  condamné  par  la  Cour  d'Assises  de  Gênes  à  dix  ans  de  réclusion  et 
deux  millions  d'indemnité  pour  vol  et  escroquerie.  La  chute  de  Ghiani-Mameli  provoqua  une  longue  crise 
commerciale  en  Sardaigne  ainsi  que  la  déconfiture  de  l'affaire  tunisienne  du  Djebel  Ressas  (T.  Sarti,  Op.  Cit-, 
Avv.  di  Sard.  Février-mars  1887). 

119  La  Société  Mineraria  Metallurgica  Italiana  dont  le  siège  était  à  Cagliari  avait  été  fondée  par  la  Banca 
Industriale  Commerciale  Sarda,  sa  filiale,  la  Banca  Agricola  Industriale  Arborense  d'Oristano  et  par  une 
maison  d'Oristano  à  laquelle  s'était  substitué  Ghiani-Mameli,  un  des  principaux  capitalistes  de  l'île,  qui  était 
devenu  directeur  de  la  société.  Castelnuovo  s'était  borné  à  extraire  les  scories  qu'il  vendait  telles  quelles 
à  Marseille  ou  Livourne.  Pour  créer  une  véritable  entreprise  industrielle,  la  société  emprunta  au  début  de 
1880,  sur  la  recommandation  de  Maccio',  à  la  Banca  Nazionale  et  au  Banco  di  Napoli  (G.  Melis  :  Mineria  e 

fonderia...  op.  cit.  pp.  10-20). 


357 


Rubattino  ne  cessait  de  faire  antichambre  dans  les  bureaux  du  ministère.  Le  groupe 
sarde,  dynamique  et  remuant,  semblait  manifester  plus  d'impatience.  Ghiani-Mameli  qui 
jouait  les  brasseurs  d'affaires  avait  fédéré  sous  son  égide  toutes  les  grandes  entreprises 
de  l'île.  11  rêvait  de  fonder  un  vaste  consortium  africain  dans  lequel  il  entraînerait  les 
grandes  banques  du  Midi.  Son  organe  était  VAvvenire  di  Sardegna  dont  le  directeur.  De 
Francesco,  était  administrateur  de  la  société  du  Djebel  Ressas.  Plusieurs  députés  étaient 
intéressés  à  cette  affaire,  les  Sardes  Umana  et  Cocco-Ortu  notamment^^o^  semble-t-il,  le 
Sicilien  Damiani,  lieutenant  de  Crispi^^i.  H  y  avait  là  toute  une  coterie  politico-financière 
de  gauche  qui  se  réclamait  du  grand  homme  d'Etat  sicilien  par  des  affinités  à  la  fois 
politiques  et  régionalesi22,  qui  pouvait  compter  sur  son  patriotisme  et  sa  gallophobie 
pour  l'amener  à  soutenir  une  politique  africaine  de  rivalité  avec  la  France.  Sans  doute 
Crispi  était-il  écarté  du  pouvoiri^s,  mais,  dans  la  presse  comme  au  Parlement,  les  députés 
méridionaux  étaient  en  mesure  d'exercer  une  forte  pression  sur  le  gouvernementi^r. 

L'offensive  se  développait  dans  un  climat  passionné  :  campagnes  de  presse, 
interpellations  parlementaires  en  Italie,  tandis  que  Maccio'  jouait  les  agents  provocateurs 
pour  forcer  son  gouvernement  à  intervenir.  Le  retour  aux  affaires  de  Cairoli,  en  juillet 
1879,  rendait  les  opérations  plus  faciles.  Avec  la  présidence,  Cairoli  avait  repris  le 
portefeuille  des  Affaires  étrangères.  Maffei  était  redevenu  secrétaire  général  et  Malvano 
promu  directeuri25,  La  politique  italienne  redevenait  aussitôt  agressivei^^.  Le  ministre. 


120  G.  Melis  :  Ultima  Ratio.  Société  Mineraria  Metallurgica  îtaliana  nella  Tunisia.  Oristano,  1887,  pp.  12.  Avv.  di 
Sard.  30  avril,  5  mai  1881. 

UMANA  (Pasquale)  professeur  de  médecine  et  homme  politique  italien,  né  à  Sassari  en  1830,  mort  en  1887 
à  Cagliari.  Médecin,  auteur  d’ouvrages  scientifiques,  il  enseigna  la  chirurgie  aux  universités  de  Sassari, 
Cagliari  et  Rome.  Député  d'Alghero,  de  1870  à  1876,  puis  d'Ozieri,  de  1877  à  1880,  il  fut  battu  aux  élections 
générales  de  mai  1880,  mais  retrouva  un  siège  à  Sassari  à  partir  de  1882.  Il  siégeait  dans  les  rangs  de  la 
gauche  modérée. 

COCCO-ORTU  (Francesco),  avocat  et  homme  politique  italien  né  à  Cagliari  en  1842,  mort  en  1929.  Élu  député 
en  1876,  il  fut  constamment  réélu  pendant  14  législatures  et  représenta  les  circonscriptions  sardes  de 
Lanusei,  Cagliari  et  Isili.  Il  siégeait  à  gauche  dans  le  groupe  Zanardelli,  fut  secrétaire  général  au  ministère  de 
l'Agriculture,  de  l'Industrie  et  du  Commerce  dans  l'administration  Cairoli  en  1878.  Au  printemps  de  1880, 
avec  Zanardelli,  il  rejoignit  l'opposition  de  gauche  au  deuxième  cabinet  Cairoli.  Après.  1887,  il  fut  ministre 
à  maintes  reprises  (T.  Sarti,  op.  cit). 

121  Selon  Roustan  :  Arch.  Rés.  Dép.  du  29  juillet  1879. 

DAMIANI  (Abele)  homme  politique  italien  néà  Marsala,  le  2  juin  1835,  mortle  20  mars  1905.  Colonel  garibaldien, 
il  fut  élu  député  de  Marsala  qu'il  représenta  de  1865  à  1882,  de  Messine  puis  Trapani.  Il  siégeait  à  gauche,  et 
à  partir  de  1878,  se  classa  comme  un  des  plus  notables  partisans  de  Crispi.  Orateur,  il  intervint  plusieurs  fois 
pour  la  défense  des  intérêts  du  Midi  et  à  propos  des  affaires  tunisiennes.  En  avril  1881,  il  présenta  un  ordre 
du  jour  de  défiance  qui  provoqua  la  chute  de  Cairoli  (T.  Sarti,  op.  cit  Riforma  :  1878-1881). 

122  Les  groupes  politiques  italiens  à  cette  époque  étaient  autant  des  coalitions  régionales  que  des  coteries 
personnelles.  La  droite  représentait  surtout  les  intérêts  industriels  du  Nord.  Au  sein  de  la  gauche  même, 
l’opposition  était  vive  entre  les  Siciliens  de  Crispi,  les  Napolitains  de  Nicotera,  défenseurs  des  intérêts  du 
Midi,  et  les  partisans  lombards  et  piémontais  de  Cairoli  et  Depretis. 

123  Accusé  de  bigamie,  Crispi  avait  dû  abandonner  le  portefeuille  de  l’Intérieur  qu'il  détenait  dans  le  cabinet 
Depretis,  en  mars  1878. 

124  Rubattino  et  les  Sardes  agissaient  visiblement  de  concert,  mais  nous  n'avons  pas  trouvé  trace  de  leurs 
relations. 

125  En  Italie,  les  fonctions  de  secrétaire  général  d'un  ministère  étaient  un  poste  politique  confié  tantôt  à 
un  député,  tantôt  à  un  diplomate  ou  un  fonctionnaire.  Le  secrétaire  général  avait  l'autorité  sinon  la 
responsabilité  d'un  sous-secrétaire  d'Etat.  Il  se  retirait  souvent  avec  le  ministre  qui  l’avait  désigné  ;  témoin 
Maffei  se  retirant  avec  Cairoli  en  décembre  1878  et  mai  1881. 

Le  poste  de  directeur  des  affaires  politiques,  le  plus  important  du  ministère  après  celui  de  secrétaire 
général,  revenait  à  un  fonctionnaire  de  carrière. 

126  A.  E.  Italie,  vol.  57,  dép.  confid.  de  Noailles  à  Freycinet.  Rome,  29  avril  1880.  Noailles  opposait  les 
administrations  Cairoli  aux  administrations  Depretis,  notamment  celle  de  1876-1878,  «une  période  de 
calme  presque  parfait». 


358 


d'ailleurs,  n'en  était  pas  le  premier  responsable.  L'ambassadeur  français  lui  reprochait  de 
ne  diriger  que  nominalement  les  relations  extérieures  de  son  pays  et  d'abandonner  tout 
le  soin  des  affaires  à  des  subalternes  irresponsables,  Maffei  et  Malvano,  qui  agissaient  à 
leur  guise  dans  les  bureaux  de  la  Consultéi^^. 

Le  21  juillet  1879,  le  député  sicilien  Abele  Damiani,  bientôt  suivi  par  Ghiani-Mameli, 
interpellait  le  gouvernement  sur  les  affaires  de  Tunisie.  «L'Angleterre  laisse  faire  la 
France»,  disait  Damiani  qui  dénonçait  le  développement  de  ses  entreprises,  l'invasion 
de  ses  capitaux,  ses  visées  sur  Carthage  et  sur  Bizertei^s.  En  août,  la  plupart  des  grands 
journaux  de  la  péninsule,  même  ceux  de  Florence  et  de  Milani^s  évoquaient  les  affaires  de 
Tunis.  La  Riforma  de  Crispi  ouvrait  une  chronique  tunisienne  régulière  ou  l'on  dénonçait 
avec  véhémence  les  empiétements  français.  VAwenire  di  Sardegna  commençait  une 
campagne  de  diffamation  dans  laquelle  De  Francesco  n'épargnait  aucun  des  protégés 
du  consulat  de  Francei^o.  En  mars  1880,  avec  le  concours  de  Maccio'  et,  semble-t-il,  le 
soutien  financier  du  gouvernemenfi^i,  il  lançait  un  hebdomadaire  arabe,  le  Mostakel 
destiné  à  propager  dans  les  milieux  musulmans  la  campagne  anti-française  menée 
dans  VAwenire.  Deux  Syriens  recrutés  pour  la  circonstance  s'employèrent  à  traduire 
les  articles  fournis  par  De  Francesco  et  Pestalozza,  un  employé  du  consulat  de  Tunis. 
Les  caractères  arabes  avaient  été  fournis  par  le  cheikh  Beyram  qui  les  avait  simplement 
dérobés  à  l'imprimerie  officielle  du  bey  dont  il  était  le  directeuri32. 

En  Italie,  la  polémique  tunisienne  s'apaisait  à  l'automne  de  1879  pour  reprendre 
de  plus  belle  au  printemps  suivant.  En  même  temps,  les  députés  sardes  profitaient  d'un 


127  «Mr  Cairoli...  ne  s'est  d'ailleurs  jamais  occupé  des  affaires  de  son  ministère  et  s'en  occupe  moins  que  jamais. 
Un  ministre  des  Affaires  étrangères  qui  ne  l'est  que  nominalement,  un  secrétaire  général  et  un  directeur 
politique  qui  n'en  font  qu'à  leur  tête  et  qui  ne  sentent  pas  le  poids  de  la  responsabilité,  manquent  de  retenue 
et  de  prudence,  ce  sont  de  mauvaises  conditions  pour  traiter  les  affaires»  (Ibid.  Part  de  Noailles  à  Courcel. 
Rome,  9  juin  1880). 

La  Riforma  reprochait  également  à  Cairoli  d'être  à  la  merci  de  ses  subordonnés  et  de  ne  pouvoir  se 
débarrasser  d'un  entourage  assez  compromettant  (31  août  1878,  4  septembre  1879). 

128  «L'inghilterra  lascia  fare,  e  già  libero  la  Francia  fin  délia  sorveglianza  di  un  agente  inglese,  lasciandola 
arbitra  e  sola». 

Cairoli  répondit  par  de  bonnes  paroles  en  soulignant  que  les  progrès  français  étaient  dûs  surtout  à 
l'abondance  des  moyens  pécuniaires.  Ghiani-Mameli  obtint  un  accroissement  des  subventions  destinées 
aux  écoles  italiennes  de  Tunisie  (Atti  parlamentari.  Caméra  dei  deputati  1^^^^  et  2^“®  séances  du  21  juillet 
1879). 

129  Ainsi  la  Gazzetta  d'Italia,  la  Perseveranza  de  Milan,  organes  conservateurs.  Toutefois  le  Popolo  Romano 
demeurait  très  réservé. 

130  En  1879,  Sancy  lui  intenta  devant  le  tribunal  correctionnel  de  Cagliari  un  procès  qu'il  devait  gagner  en  août 
1880. 

131  Le  13  mai  1881,  De  Francesco  donnait  dans  YAvvenire  des  explications  fort  embarrassées  sur  l'origine 
d'une  somme  de  80.000  lires  en  provenance  de  Rome  qui  lui  aurait  été  remise  en  1880  par  l'intermédiaire 
du  Crédita  Agricolo  de  Cagliari. 

132  II  ne  fait  aucun  doute  que  la  création  du  Mostakel  (l'indépendant)  ait  été  décidée  en  commun  par  Maccio'  et 
de  Francesco  dans  le  courant  de  1879,  avec  l'approbation  de  Maffei  (Gorrini,  op.  cit  48). 

De  Francesco  fit  venir  de  Beyrouth  en  juillet  1879  un  certain  Joseph  Bokhos  dont  il  fit  un  rédacteur.  Bokhos 
s'adjoignit  ensuite  les  services  d'un  nommé  Zain-Zain  et  d'un  autre  typographe. 

La  publication  du  Mostakel  fut  abandonnée  au  début  d'avril  1881  lorsque  les  troupes  françaises  entrèrent  en 
Tunisie.  Bokhos  se  brouilla  alors  avec  Zain-Zain  ainsi  qu'avec  De  Francesco  et  se  rendit  à  Paris  oû  il  vendit 
au  banquier  Veil-Picard,  ami  de  Gambetta,  un  dossier  de  lettres  et  de  brouillons  d'articles  montrant  les  liens 
étroits  qui  existaient  entre  le  consulat  d'Italie  à  Tunis  et  la  presse  de  Cagliari  (Avv.  disard.  11  mai  1881  ;  procès 
de  Y  Intransigeant,  passim  ;  Paris,  20-26  décembre  1881  :  publication  partielle  du  dossier  Bokhos). 

Sur  l'envoi  à  Cagliari  de  la  moitié  des  caractères  de  l'imprimerie  officielle  tunisienne,  Roustan  écrivait  :  «Je 
tiens  le  fait  de  la  bouche  du  bey  lui-même  qui  me  l'a  raconté  hier  en  ajoutant  plaisamment  qu'on  allait  ainsi 
lui  faire  la  guerre  avec  ses  propres  armes»  (Arch.  Rés.  Dép.  n°  96  du  21  décembre  1879). 


359 


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La  rivalité  franco-italienne  vue  par  les  employés  du  consulat  de  France  à  Tunis 
(Arch.  Rés.  Lou  carbounaïre,  op.  cit.) 


En  haut,  Pozzo  di  Borgo,  capitaine  du  Persévérant,  un  vieux  paquebot-poste  de  la  compagnie  Valéry,  croise 
le  fer  avec  le  capitaine  du  vapeur  Lomhardia,  de  la  compagnie  Rubattino.  Les  deux  bâtiments  arborent 
la  marque  des  journaux  rivaux  dont  ils  assuraient  le  transport.  Sémaphore  de  Marseille  et  Avvenire  di 
Sardegna.  Le  croquis  du  bas  fait  allusion  aux  affaires  de  chemin  de  fer,  T.  G.  M.  et  ligne  de  la  Medjerda. 


débat  de  politique  étrangère  à  la  Chambre  pour  interpeller  à  nouveau  le  gouvernement 
sur  les  affaires  de  la  Régence.  Umana,  leur  porte-parole,  exposa  la  nécessité  d'une 
Tunisie  indépendante!^^.  11  demanda  la  protection  des  intérêts  italiens,  rinstallation 
d'un  câble  télégraphique  et,  en  évoquant  l'achat  des  actions  de  Suez  par  Disraeli,  conclut 


133  II  cita  la  brochure  de  l'avocat  Carta  (La  questione  tunisina  e  VEuropa,  Rome,  1879)  brochure  sortie  de 
l'officine  de  Cagliari  (Carta  était  en  effet  mêlé  aux  affaires  de  la  société  du  Djebel  Ressas). 


360 


par  un  appel  à  l'intervention  déclarée  du  gouvernement  dans  la  guerre  économique  et 
financière^^^. 

Roustan  ne  s'inquiétait  pas  outre  mesure  de  la  contre  offensive  italienne.  Les  attaques 
menées  contre  ses  amis,  contre  Mustapha  dans  la  presse  de  Cagliari  le  servaient  plutôt, 
car  elles  entretenaient  la  mauvaise  humeur  du  favori  contre  Maccio'  et  les  Italiens.  Les 
requêtes  du  consul  d'Italie  n'avaient  aucun  succès  et  Roustan  ne  croyait  pas  que  ses 
adversaires  fussent  en  mesure  de  soutenir  une  guerre  économique  sérieuse;  il  s'amusait 
de  la  vanité  de  leurs  efforts  pour  mettre  sur  pied  une  banque.  Tôt  ou  tard,  il  en  était  sûr, 
la  Société  Marseillaise  comme  la  Compagnie  Bône-Guelma  finiraient  par  atteindre  les 
objectifs  qu'elles  s'étaient  fixés  :  l'acquisition  de  vastes  domaines  et  la  réalisation  d'un 
port  à  Tunis. 

Qr,  le  1®''  mars  1880,  une  indiscrétion  de  Broadleyi^s  révélait  que  la  compagnie 
Rubattino,  soutenue  par  le  gouvernement  italien,  était  sur  le  point  d'acquérir  le  chemin 
de  fer  anglais.  L'affaire  avait  été  ourdie  dans  le  plus  grand  secret.  En  novembre  1879  déjà, 
Maffei  avait  vainement  essayé  de  décider  le  Crédita  Mobiliare^^^.  Rubattino  avait  accepté 
de  tenter  sa  chance  et,  en  février  1880,  il  envoyait  comme  mandataire  à  Londres  le  jeune 
Santillana.  Sur  l'entremise  de  l'ambassade  d'Italie  et  surtout  du  consul  à  Londres,  le 
baron  Heath,  membre  influent  de  V International  Financial  Society  Ltd.,  Santillana  réussit 
à  écarter  des  propositions  rivalesi37  et  à  traiter  pour  90.000  livres  sterling.  Un  contrat 
préliminaire  était  signé  le  22  mars  1880  ;  la  convention  définitive  devait  être  ratifiée  à 
Rome  le  mois  suivant. 

Aussitôt  la  compagnie  Bône-Guelma  se  mit  sur  les  rangs.  Tandis  qu'un  représentant 
de  la  Tunis  Raüivays  C°  faisait  traîner  en  longueur  les  discussions  à  Rome,  les  directeurs 
de  la  compagnie  venaient  négocier  à  Paris  avec  Géry.  Le  14  avril,  le  contrat  de  vente 
était  signé.  La  compagnie  Bône-Guelma  acquérait  le  T.  G.  M.  pour  la  somme  de  105.000 
livres,  soit  2.625.000  francs^^s,  plus  du  double  de  la  valeur  réelle  de  cette  «vieille 
ferrailleurs». 

Mais  les  Italiens  ne  se  tinrent  pas  pour  battus.  Rubattino  soutint  que  la  vente  à  la 
compagnie  française  était  nulle  et  non  avenue  parce  que  les  Anglais  étaient  liés  par  une 
promesse  de  vente  antérieure. 


134  Atti  parlamentari,  op.  cit.  Séance  du  13  mars  1880. 

135  Broadley  était  délégué  appointé  de  la  compagnie  sur  le  plan  local.  Gorrini  suggère  qu'il  aurait  agi  ainsi  par 
crainte  de  perdre  son  traitement.  Il  semble  que  la  société  anglaise  voulait  simplement  faire  monter  les 
enchères. 

136  Les  Italiens  avaient  d'abord  songé  à  se  rendre  maîtres  du  T.  G.  M.  en  rachetant  les  trois  quarts  des  actions 
de  la  société  par  entente  directe  avec  les  principaux  porteurs.  L'International  Society  devait  procéder  à  cette 
opération  pour  le  compte  de  Balduino,  directeur  du  Credito  Mobiliare  de  Florence.  L'exploitation  de  la  ligne 
devait  être  confiée  ensuite  à  Rubattino.  Début  novembre,  le  marquis  de  Sant'Onofrio,  chef  du  cabinet  de 
Cairoli,  fut  chargé  d'étudier  à  Londres  les  modalités  de  l'opération  de  concert  avec  l'ambassadeur  Menabrea 
et  le  consul  d'Italie,  Heath.  Menabrea  conseillait  d'ailleurs  de  conserver  à  la  société,  quelque  temps  après 
son  rachat,  «un  double  caractère  italien  et  anglais  afin  que  les  Français  puissent  plus  difficilement  leur  faire 
obstacle»  (Tél.  du  3  novembre). 

L'affaire  échoua  finalement  devant  les  résistances  de  Balduino  qui  répugnait  à  aventurer  des  capitaux 
sans  garantie  suffisante  (Arch.  Rome  Doss.  233,  fasc.  4  Ferrovia  Goletta-Tunisi  :  Tél  de  Menabrea,  Maffei  et 
Cairoli,  3-10  novembre  1879). 

137  Des  propositions  françaises  qui  ne  sont  pas  autrement  précisées. 

138  Long  exposé  de  Gorrini,  op.  cit.  pp.  Sl-Sb.  Avv.  diSard.,  15  mai  1881  :  Laferrovia  tunisina,  article  inspiré  par 
Rubattino  -  A.  E.  Tunis,  vol.  49  dép.  de  Roustan  des  1",  3  et  9  mars  1880  -  Ibid.  vol.  50  copie  du  contrat  de 
vente,  en  annexe  à  dép.  de  Paris,  15  avril  1880. 

139  Gazette  du  Midi,  5  mai  1880. 


361 


Il  exigeait  d'être  mis  en  possession  delà  voie  ferrée.  Santillana  partit  de  nouveau  pour 
Londres  afin  de  plaider  cette  cause  devant  la  Haute  Cour  de  Justice.  Il  eut  partiellement 
satisfaction  :  en  mai,  le  tribunal  décidait  de  casser  le  contrat  passé  avec  la  Cie  Bône- 
Guelma,  décision  confirmée  en  appel,  mais  il  refusait  de  faire  exécuter  le  contrat  Rubattino  ; 
en  juin,  il  se  ralliait  à  la  solution  d'une  vente  aux  enchères  par  autorité  de  justicei^o. 

Rubattino  hésitait  à  s'engager  bien  que  le  gouvernement  italien  lui  eût  fait  offrir 
5  millions  de  lires.  De  Londres,  Menabrea  télégraphiait  que  l'affaire  était  devenue  une 
question  de  dignité  nationale  et  que  le  ministère  ne  pouvait  plus  reculer.  Cairoli  était 
dans  l'embarras  ;  il  ne  pouvait  soutenir  Rubattino  sans  un  vote  du  Parlement  qu'il  n'avait 
pas  le  temps  de  provoquer.  Une  réunion  des  chefs  de  partis  politiques  lui  permit  d'en 
décider.  Il  fut  entendu  que  le  gouvernement  donnerait  à  Rubattino  sa  caution  jusqu'à 
concurrence  de  7  millions  de  lires  et  qu'une  loi  spéciale  étendrait  au  T.  G.  M.  le  système 
de  subvention  postale  dont  bénéficiaient  les  lignes  maritimes  de  la  compagnie,  sous 
forme  d'une  garantie  d'intérêt  annuel  de  6%  sur  les  sommes  engagées^^i. 

Géry  ayant  reçu  des  assurances  analogues,  les  enchères  montèrent  rapidement. 
Finalement,  le  7  juillet,  le  T.G.M.  qui  avait  été  racheté  quatre  ans  plus  tôt  pour  la  somme 
de  40.000  livres  fut  adjugé  à  la  compagnie  Rubattino  au  prix  de  165.500  livres,  soit  plus 
de  quatre  millions  de  francs.  Géry  s'était  refusé  à  monter  au-dessus  de  165.000  livres^''^. 

Cinq  jours  plus  tard,  comme  prévu,  le  gouvernement  italien  déposait  un  projet 
de  subvention  à  la  compagnie  Rubattino  qui  était  voté  sans  débat  le  lendemain,  par  la 
Chambre. 

L'achat  du  chemin  de  fer  fut  célébré  à  l'envi  par  la  presse  italienne  comme  une 
grande  victoire^'^^,  mais  la  rapidité  de  la  riposte  française  allait  faire  de  cette  victoire  un 
succès  sans  lendemain. 

c)  La  ripostefrançaise 

Alerté  par  son  directeur  politique,  le  baron  de  Courcel,  de  Freycinet  avait  fini 
par  se  décider  à  Faction.  Depuis  des  mois,  Roustan  et  Noailles  dépeignaient  à  l'envi 
l'excitation  de  la  presse  italienne  :  ils  dénonçaient  les  encouragements  qu'elle  recevait 
du  gouvernement^'''^,  l'intervention  déclarée  du  cabinet  Cairoli  en  faveur  de  Rubattino. 


140  La  correspondance  de  Santillana  adressée  à  Maffei  ou  Malvano  permet  de  suivre  au  jour  le  jour  toutes  les 
péripéties  du  procès  (Arch.  Rome.  Doss.  233,  fasc.  4  :  12  lettres  datées  de  Londres  entre  le  12  mai  et  le  26 
juillet  1880). 

141  Ibid.  Tél.  de  Cairoli  à  Menabrea,  6  juillet  1880. 

Maffei  confiait  à  l'ambassadeur  d'Angleterre  que  des  chefs  de  groupes  de  toutes  nuances  étaient  venus 
apporter  leur  appui  à  Cairoli,  des  leaders  de  la  droite,  comme  Minghetti  et  Sella,  aussi  bien  que  des  chefs 
de  la  gauche  comme  Crispi  et  Nicotera  (F.  0.  45/406.  Paget  à  Granville.  Rome,  8  juillet  1880).  L'idée  d'une 
conférence  de  chefs  de  partis  avait  été  suggérée  au  début  de  juin  par  Menabrea.  Cairoli  y  avait  eu  recours 
une  première  fois  le  7  juin,  avant  d'engager  le  gouvernement  dans  l'affaire. 

L'argent  fut  avancé  à  Rubattino  par  trois  banques  dont  le  Crédita  Mobiliare  (A.  E.  Italie,  vol.  58.  Tél  de  Rome, 
26  juin  et  4  juillet  1880). 

142  Pourquoi  Géry  a-t-il  lâché  prise  ?  La  construction  d'un  port  à  Tunis  même,  note  M.  Emerit,  «était  bien  plus 
intéressante  que  l'acquisition  des  traverses  vermoulues  du  chemin  de  fer  Pickering».  (R.  Afr.  1952  :  La 
pénétration  industrielle  en  Tunisie,  pp.  207-208).  Si,  avec  l'appui  du  gouvernement  français,  elle  obtenait 
la  concession  d'un  port,  elle  s'assurerait  un  marché  d'une  vingtaine  de  millions  avec,  à  la  clé,  une  garantie 
d'intérêts  qu'on  ne  saurait  certainement  lui  refuser. 

143  F.  O.  4  5/4  0  6  Paget  à  Granville.  Rome,  8  juillet  1880. 

Maffei  avait  peine  à  contenir  son  enthousiasme  en  annonçant  la  nouvelle  à  l'ambassadeur  d'Angleterre. 

144  «Il  me  paraît  à  peu  près  prouvé»  écrivait  Noailles  le  5  mai  1880,  «que  MM  Maffei  et  Malvano  ont  voulu 
organiser  une  campagne  de  presse  contre  nous  et  cela,  certainement  à  l'insu  de  M.  Cairoli»  (A.  E.  Italie,  vol. 
57.  Part,  à  Freycinet)  «Maffei  et  Malvano  font  crier  les  journaux  de  droite»  sur  Tunis,  reprenait-il  en  juin 


362 


L'apparition  du  cuirassé  Roma  en  rade  de  La  Goulette  le  28  avril,  que  Maccio'  présentait 
comme  l'avant-garde  de  forces  plus  imposantes,  apparut  aux  Français  comme  une 
provocation,  au  moment  où  les  Italiens  plaidaient  à  Londres  l'annulation  du  contrat 
Géry. 

Tandis  qu'il  exposait  à  Noailles  la  nécessité  «d'une  explication  nette  et  franche  sur 
Tunis»  avec  les  Italiens,  de  Freycinet  incitait  Roustan  à  reprendre  avec  le  bey  l'affaire  du 
protectorat  suspendue  depuis  la  chute  du  cabinet  Waddington. 

Interrogé  par  Noailles,  Cairoli  assura  que  l'escadre  italienne  n'irait  pas  croiser 
dans  les  eaux  tunisiennes  ;  l'ouverture  d'une  discussion  d'ensemble  sur  les  problèmes 
tunisiens  dut  être  ajournée  car  l'Italie  était  alors  en  pleine  campagne  électorale  à  la  suite 
d'une  dissolution  de  la  Chambre  provoquée  par  Cairolii^s 

Roustan  avait  reçu  mission  de  proposer  au  bey  la  conclusion  du  traité  d'alliance 
préparé  par  Waddington,  à  la  fin  de  1878'^*^.  En  cas  de  besoin,  l'escadre  française 
appuierait  les  demandes  du  consul.  Roustan  pouvait  toujours  compter  sur  Mustapha 
mais,  télégraphiait-il  le  7  mai,  le  bey  ne  céderait  que  «devant  l'emploi  de  la  force». 
«L'envoi  de  Fescadre  s'il  ne  devait  être  suivi  d'aucun  effet  serait  inutile  et  aurait  même 
des  inconvénients».  Il  demandait  une  démonstration  combinée  sur  terre  et  sur  meri47. 

Mais,  comme  Waddington  naguère,  de  Freycinet  n'osa  pas  s'engager  plus  avant. 
Il  paraissait  croire,  lui  aussi,  à  la  vertu  de  la  persuasion  et  des  négociations  amicales. 
«Nous  pouvons  faire  paraître  l'escadre  devant  Tunis»,  répondait-il  à  Roustan,  «mais  il  ne 
peut  pas  être  question  de  préparatifs  ostensibles,  d'armements  ni  de  mesures  tendant 
à  un  débarquement  ou  à  une  invasion  par  terre.  Cela  précisément  enlèverait  à  notre 
convention  le  caractère  amical  que  nous  désirons  lui  donneri^s». 

Comme  Roustan  l'avait  prévu,  le  8  mai  le  bey  opposa  aux  propositions  françaises  un 
«refus  absolu».  Il  rejeta  la  note  que  le  consul  lui  présentait  et  s'opposa  vigoureusement 
à  l'ouverture  de  toute  négociation  à  ce  sujet^^®.  L'échec  était  complet.  De  Freycinet  s'y 
résignai®**.  Toutefois,  il  fit  sonder  discrètement  les  dispositions  des  cabinets  de  Berlin 
et  de  Londres  et  demanda  instamment  à  Noailles  de  reprendre  les  négociations  avec  le 
gouvernement  italien. 

De  Berlin  parvinrent  aussitôt  des  informations  favorables.  Bismarck  restait  fidèle 
à  la  ligne  de  conduite  qu'il  suivait  depuis  1878i®i.  On  fut  moins  heureux  à  Londres. 


(Ibid.  vol.  58.  Part,  à  Courcel  Rome,  9  juin  1880). 

145  Les  élections  des  16  et  23  mai  1880,  succès  relatif  pour  les  amis  de  Cairoli,  permirent  au  gouvernement  de 
se  maintenir. 

146  A.  E.  Tunis,  vol.  50.  Tél  à  Roustan  Paris,  5  mai  1880. 

Le  projet  envoyé  par  de  Freycinet  ne  reproduisait  pas  exactement  le  projet  Waddington,  (cf.  note  56).  Le 
traité  était  resserré  en  quatre  articles  où  l'on  retrouvait  tous  les  paragraphes  du  traité  précédent.  Seul 
l'article  2  avait  été  modifié,  les  points  à  occuper  par  les  troupes  françaises  n'étant  pas  désignés  :  «...  le 
Bey  consent  à  ce  que,  dans  le  cas  où  la  sécurité  de  Sa  personne  ou  celle  de  la  Régence  serait  menacée, 
le  Président  de  la  République  Française  fasse  occuper  un  ou  plusieurs  points  qui  seraient  désignés  par 
l'autorité  militaire  française,  ladite  occupation  devant  cesser  aussitôt  que  toute  menace  ou  danger  aura 
disparu». 

147  Ibid.  Tunis,  7  mai  1880. 

148  Ibid.  Tél  de  Freycinet  Paris,  7  mai  1880. 

149  Ibid.  Tél  de  Roustan  Tunis,  8  mai  1880. 

150  «Nous  ne  chercherons  pas  une  occasion  de  griefs  contre  le  bey...  Les  démonstrations  militaires  que  vous 
m'avez  suggérées  ne  seraient  comprises  aujourd'hui  ni  en  France  ni  en  Europe»  (Ibid.  Tél  de  Freycinet. 
Paris,  19  mai  1880). 

151  A.  E.  Ail.  vol.  35  et  36.  St-Vallier  à  Freycinet.  Berlin,  24  mai  et  6  juin  1880. 


363 


Après  sa  défaite  électorale  d'avril  1880,  le  cabinet  conservateur  avait  dû  céder  la  place 
à  une  administration  libérale  dirigée  par  Gladstone,  où  lord  Granville  reprenait  le 
portefeuille  des  Affaires  étrangères.  Freycinet  espérait  que  les  déclarations  anglaises 
de  1878  n'avaient  «rien  perdu  de  leur  valeur  par  suite  du  changement  de  ministère» 
et  que  le  gouvernement  français  pouvait  toujours  «compter  pour  l'avenir...  sur  l'appui 
sympathique  de  l'Angleterre  dans  toutes  les  questions  relatives  à  [sa]  position  dans 
la  Régencei52»  Mais  les  ambasadeurs  de  France,  Léon  Say,  puis  Challemel-Lacouri^s^ 
ne  purent  obtenir  de  Granville  que  d'assez  vagues  déclarations  de  neutralité  dans  la 
rivalité  franco-italienne.  Le  Foreign  Secretary  se  borna  à  relever  «l'influence  que  la 
France.,  exerçait  et  exercerait  probablement  sur  la  Tunisie».  11  souligna  les  réserves  qui 
apparaissaient  dans  les  dépêches  de  Salisbury  et  rappela  que  «Tunis  était  une  partie  de 
l'Empire  ottoman  et  [que]  la  Grande-Bretagne  n'avait  aucun  droit  moral  ou  international 
d'en  disposer^sr»,  n  était  visible  qu'avec  la  retraite  de  Salisbury  les  temps  d'une  bonne 
volonté  britannique  dans  les  affaires  de  Tunisie  étaient  révolus  désormais. 

Les  Italiens,  en  revanche,  se  félicitaient  du  changement  de  gouvernement  survenu 
en  Angleterre.  Noailles  qui  n'avait  pu  joindre  Cairoli  toujours  «enseveli  sous  des 
préoccupations  parlementairesi^^»,  avait  fait  à  Malvano  la  communication  dont  l'avait 
chargé  de  Freycinet.  Malvano  avait  répondu  par  de  bonnes  paroles  sans  renoncer  pour 
autant  à  poursuivre  son  action.  Du  moins  les  Italiens  étaient-ils  avertis. 

L'achat  du  T.G.M.,  la  prise  de  position  déclarée  du  cabinet  italien  eurent  raison  des 
dernières  hésitations  de  de  Freycinet.  Puisque  les  Italiens  avaient  porté  la  lutte  dans  le 
domaine  des  affaires,  il  décida  de  les  battre  sur  le  terrain  même  où  ils  s'étaient  engagés. 

Le  25  juillet,  de  Freycinet  transmettait  à  Roustan  une  demande  de  concession 
d'un  port^SÊ  et  d'un  embranchement  de  chemin  de  fer  Tunis-Radès,  par  la  rive  sud  du 
lac,  présentée  par  la  Société  des  Batignolles  et  sa  filiale  du  Bône-Guelma.  «Vous  aurez 
à  engager  cette  affaire  vigoureusement»,  télégraphiait-iP57.  Mais  Roustan  qui  tenait  à 
être  assuré  du  soutien  énergique  du  gouvernement  se  montrait  réservé.  Mustapha  était 
moins  sûr,  écrivait-il  ;  ses  bonnes  «dispositions  à  l'égard  du  port  semblent  se  refroidir  et 
je  prévois  une  résistance  sérieuse»!^*.  «Nous  n'avons  pas  grande  autorité  en  ce  moment, 
confiait-il  à  Courcel  au  début  d'août.  «Nous  avons  demandé  le  protectorat  sans  l'exiger. 
11  est  temps  de  passer  de  la  période  des  déclarations  à  celle  de  l'action  si  nous  ne  voulons 
perdre  tout  crédit»!^®. 


152  D.  D.  F.,  IIL  Freycinet  à  L.  Say.  Paris,  4  juin  1880. 

Selon  Dilke  qui  exerçait  alors  les  fonctions  de  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères  ce  fut  la 
démarche  de  Léon  Say  qui  révéla  au  cabinet  libéral  toute  la  portée  des  engagements  pris  par  Salisbury  à 
l'égard  de  la  France  (Gwynn  etTuckwell  :  The  life  of...  Sir  Charles  W.  Dilke,  1917.  vol.  1,  p.  335). 

153  Léon  Say  fut  ambassadeur  à  Londres  du  30  avril  au  11  juin  1880  :  Challemel-Lacour  jusqu'en  février  1882. 

154  F.  0.  27/2421.  Granville  à  Lyons.  F.  O.,  17  juin  1880  (A  O.  T.,  A 
F.  O.  45/400.  Gladstone  à  Paget.  F.  0.,  10  juillet  1880. 

A.  E.  angl.  vol.  786.  Challemel-Lacour  à  Freycinet.  Londres,  12  juillet  1880. 

155  A.  E.  Italie,  vol.  58  Part,  de  Noailles  à  Courcel.  Rome,  9  juin  1880. 

156  Port  à  La  Goulette  ou  près  de  La  Goulette,  était-il  mentionné  dans  le  télégramme.  Il  est  évident  qu'il  ne 
pouvait  s'agir  que  d'un  port  à  Radès  sur  la  côte  sud,  que  relierait  à  la  capitale  un  tronçon  de  voie  ferrée, 
sinon  la  demande  n'eût  plus  eu  aucune  signification. 

157  A.  E.  Tunis  vol.  51.  Tél  confid  de  Freycinet  -  Paris  25  juillet  1880  -.  «Le  ministre  est  très  décidé  tout  en 
étant  prudent  et  évitant  soigneusement  les  aventures,  à  ne  pas  se  laisser  damer  le  pion  par  les  Italiens  et  à 
conserver  en  Tunisie  la  position  que  nous  avions  acquise  et  qui  nous  est  assignée  par  la  nature  des  choses». 
[Ibid.  Part,  {de  Courcel  ?)  à  Roustan.  Paris.  27  juillet  1880). 

158  Ibid.  Tél  Tunis.  26  juillet  1881. 

159  Ibid.  Lettre  part  à  Courcel.  Tunis,  6  août  1880. 


364 


Rubattino  protestait  contre  les  projets  français  qui  portaient  atteinte  au  privilège 
du  T.  G.  M.  et  constituaient  une  menace  pour  ses  intérêts  commerciaux.  Toutefois  le 
Comité  consultatif  tunisien  des  chemins  de  fer  émettait  un  avis  favorable  à  la  concession 
de  la  ligne  de  Radès.  Rubattino  alors  d'exhiber  une  concession  Tunis-Hammam-Lif 
accordée  huit  ans  plus  tôt  à  un  Italien  du  nom  de  Mancardi,  concession  qu'il  prétendait 
avoir  rachetée.  Le  document  était  périmé  depuis  longtemps  mais  le  bey,  inquiet,  parlait 
d'arbitrage  et  son  attitude  laissait  de  plus  en  plus  présager  un  refus  (12  août). 

Poussé  par  Courcel,  de  Freycinet  se  décida  enfin  à  recourir  aux  mesures 
d'intimidation  dès  longtemps  réclamées  par  Roustan.  Trois  navires  de  guerre  furent 
dépêchés  dans  les  eaux  tunisiennes,  tandis  qu'un  corps  de  trois  mille  hommes  était 
chargé  d'opérer  sur  la  frontière.  Roustan  en  était  averti  le  12  août.  Le  14,  il  présentait 
au  bey  les  demandes  de  concession. 

Entre  temps  les  sociétés  françaises  avaient  modifié  leurs  projets.  La  Société  des 
Batignolles  demandait  la  concession  d'un  port  à  Tunis  même,  la  compagnie  Bône-Guelma 
celle  de  deux  voies  ferrées  de  Tunis  à  Sousse  et  à  Bizerte.  Devant  la  menace,  le  bey  céda 
sur  toute  la  ligne  ;  il  accordait  même  à  la  compagnie  Bône-Guelma  le  monopole  de  la 
construction  des  chemins  de  fer  dans  ses  Etats.  «Nous  ne  permettrons  à  nulle  personne» 
écrivait-il,  le  17  août,  «de  construire  à  l'avenir  des  chemins  de  fer  dans  Notre  Régence 
qu'après  que  la  Compagnie  française  aura  renoncé  à  le  faire^^o». 

Roustan  pouvait  triompher.  Les  concessions  du  bey  annulaient  et  ridiculisaient  la 
victoire  italienne  dans  l'affaire  du  T.  G.  M.  Tandis  que  les  Français  étaient  désormais 
en  mesure  de  construire  un  réseau  cohérent  aboutissant  à  un  port  dégagé  de  toute 
servitude  étrangère,  les  Italiens  demeuraient  avec  leur  acquisition  misérable,  une  ligne 
de  banlieue  sans  intérêt,  sans  avenir  dont  le  Trésor  romain  devrait  chaque  année  solder 
le  déficit.  Maffei,  désabusé,  reconnaissait  l'échec  de  sa  politique  ;  il  avouait  aux  Anglais 
que  la  guerre  économique  était  perdue  pour  l'Italie,  que  l'extension  des  voies  ferrées 
allait  placer  Tunis  dans  les  mains  de  la  Francei^i». 

Maffei  avait  d'autres  raisons  de  s'inquiéter.  Malgré  les  efforts  italiens,  le  29  juillet, 
la  Société  Marseillaise,  ratifiant  les  engagements  pris  en  avril  par  Khérédine  sous  le 
patronage  de  Roustani^^^  achetait  en  bloc  les  domaines  tunisiens  de  l'ancien  premier 
ministre,  trois  palais  à  Tunis  et  dans  sa  banlieue,  des  olivettes  et  surtout  l'immense 
domaine  de  l'Enfida,  une  province  de  cent  mille  hectaresi®^.  Le  mois  précédent,  elle 
avait  obtenu  du  bey  le  transfert  à  son  nom  de  la  concession  de  Sidi  Tabet  abandonnée 
par  Sancy.  La  petite  agence  bancaire  de  Tunis  ne  suffisait  déjà  plus  aux  besoins  de  la 


160  Ibid.  Tunis,  17  août  1880.  D.  D.  F.  n»  166 

«C'est  là  un  succès  considérable  et  qui  a  même  dépassé  mes  espérances...  Mais  pour  le  chemin  de  fer  de 
Bizerte,  il  y  a  eu  beaucoup  de  tirage»  (A.E.  Papiers  Noailles.  Part  de  Roustan  à  Noailles.  Tunis,  17  août 

1880). 

161  F.  0.  45/406.  Mac  Donel,  gérant  de  l'ambassade,  à  Granville.  Rome,  26  août  1880. 

162  En  accordant  à  Khérédine  la  protection  française  sur  ses  biens  de  Tunisie,  Roustan  les  avait  garantis  contre 
les  convoitises  de  Mustapha.  En  même  temps,  il  disposait  sur  l'ex-premier  ministre  d'un  moyen  de  pression 
efficace  pour  l'amener  à  céder  ses  biens  à  une  société  française  si,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  il  se  décidait 
à  s'en  défaire. 

Khérédine  avait  essayé  de  profiter  de  la  concurrence  de  la  Société  Marseillaise  et  de  la  Compagnie  Bône- 
Guelma  pour  vendre  à  des  conditions  plus  avantageuses,  mais  Géry  n'avait  guère  insisté.  L'affaire  fut  traitée 
pour  le  compte  de  la  Société  Marseillaise  par  un  de  ses  administrateurs,  le  négociant  marseillais  Zafiropulo 
et  par  le  Juif  livournais  Giacomo  Lumbroso  également  de  Marseille,  administrateur  de  la  Franco-tunisienne 
(Doc.  sur  Khérédine,  corresp  inédite  :  Khérédine  à  Lumbroso  et  à  Mangano,  septembre-novembre  1879). 

163  Jean  Ganiage  :  Une  affaire  tunisienne,  l'affaire  de  l'Enfida  (1880-1882).  R.  Afr.  1955.  pp.  342-345. 


365 


société.  Il  avait  fallu  la  doubler  d'une  agence  commerciale,  dirigée  également  par  Forti, 
dont  la  mission  était  entre  autres  d'écouler  dans  la  Régence  les  sucres  des  raffineries  de 
Saint-Louis  que  contrôlait  la  Société  Marseillaise.  Pour  mettre  en  valeur  les  domaines 
acquis  en  1880,  la  banque  de  Marseille  songeait  à  créer  une  entreprise  agricole.  Mais 
la  rapidité  même  des  progrès  de  la  société,  l'ampleur  de  son  programme  d'expansion, 
dépassaient  ses  possibilités  financières,  en  dépit  de  l'appui  que  pouvait  lui  dispenser  le 
Crédit  Industriel  et  Commercial  de  Paris  qui  avait  présidé  à  sa  création  quinze  ans  plus 
tôt.  Elle  jugea  opportun  de  s'assurer  le  concours  d'un  groupe  financier  en  plein  essor 
qui  depuis  quelques  années,  commençait  à  prospecter  Afrique  du  Nord  et  Méditerranée 
occidentale,  le  groupe  Péreire^^^. 

Lors  de  l'effondrement  du  Crédit  Mobilier  à  la  fin  de  l'Empire,  les  Péreire  avaient 
abandonné  la  direction  de  la  plupart  des  entreprises  qu'ils  avaient  fondées  en  France 
pour  se  replier  sur  le  groupe  des  sociétés  liées  aux  intérêts  du  Crédit  Mobilier 
EspagnoP®®.  En  France,  ils  n'avaient  conservé  le  contrôle  que  de  la  seule  Compagnie 
Générale  Transatlantique  qui  assurait  des  liaisons  rapides  avec  l'Amérique  du  nord. 
Encore  avaient  -  ils  ostensiblement  renoncé  à  leurs  fonctions  d'administrateurs. 

Dix  ans  plus  tard,  les  affaires  des  Péreire  prospéraient  de  nouveau.  Eugène  Péreire, 
fils  d'Isaaci®®,  redevenu  administrateur  de  la  Compagnie  Transatlantique  en  1876,  en 
était  élu  président  l'année  suivante.  Profitant  des  difficultés  du  groupe  Talabot,  les 
Péreire  intervenaient  en  Méditerranée  et  commençaient  à  détourner  à  leur  profit  les 
affaires  des  Messageries  Maritimes. 

La  ligne  de  Tunisie  était  desservie  par  la  compagnie  de  navigation  Valéryi®^  qui 
recevait  du  ministère  des  Postes  une  subvention  pour  le  transport  du  courrier.  A  la  fin  de 
1879,  Eugène  Péreire  avait  vainement  essayé  d'enlever  à  Valéry  le  service  de  Tunis.  En 
avril  suivant,  un  accord  intervenait  entre  les  deux  compagnies  :  Valéry,  renonçant  à  une 
partie  de  son  activité,  abandonnait  à  Péreire  la  ligne  de  Tunisie,  et  lui  vendait  plusieurs 
de  ses  navires.  Le  4  juillet,  le  premier  courrier  de  la  Transat  faisait  son  entrée  en  rade 
de  La  Goulette. 

Pour  développer  les  affaires  de  sa  compagnie,  Péreire  avait  besoin  d'établissements 
de  crédit  qui  reprendraient  dans  les  principaux  comptoirs  de  la  Méditerranée  le  rôle  joué 
naguère  en  Algérie  par  la  Compagnie  Algérienne  de  Talabot.  En  avril  1880,  il  s'unit  à  la 
Société  Marseillaise  pour  fonder  la  Société  des  Comptoirs  Maritimes  de  Crédit  Industriel 
et  Commercial  dont  les  premiers  établissements  furent  organisés  à  Alger  et  Tunis.  La 
banque  de  Tunis  fonctionnait  déjà.  Elle  changea  de  nom  le  mai  ;  ses  bureaux  furent 


164  A.  N.  :  F  12,6777  ;  Arch.  Priv.  Rapport  Soc.  Marseillaise  (séance  5  avril  1880). 

165  Chemins  de  fer  du  nord  de  l'Espagne,  compagnie  madrilène  d'éclairage,  compagnie  d'assurances,  le  Phénix 
espagnol.  Après  être  passé  quelques  mois  sous  le  contrôle  d'un  aventurier  belge,  Philippart,  le  Crédit 
mobilier  était,  depuis  1875,  dirigé  par  Erlanger. 

166  Emile  Péreire  était  mort  en  1875.  Son  frère  lui  survécut  jusqu'en  juillet  1880.  Eugène  Péreire,  né  en  1831, 
avait  secondé  très  tôt  les  affaires  de  son  père  et  de  son  oncle.  Il  avait  été  élu  député  du  Tarn  avec  l'appui 
de  l'administration  en  1863,  mais  fut  battu  en  1869.  Avec  son  père  Isaac  et  son  frère  Gustave,  il  était 
administrateur  des  quatre  compagnies  espagnoles  et  redevint  président  de  la  Compagnie  Transatlantique 
en  1877. 

167  La  compagnie  Valéry,  fondée  à  Marseille  en  1861  par  le  comte  Joseph  Valéry  originaire  d'Ajaccio,  sénateur 
d'Empire,  disposait  d'une  vingtaine  de  paquebots.  Elle  assurait  des  liaisons  régulières  avec  la  Corse,  l'Algérie, 
la  Tunisie,  l'Italie,  Cette  et  Carthagène.  Financièrement  obérée,  elle  ne  pouvait  assurer  le  renouvellement 
d'unités  vieillies  dont  se  gaussaient  les  Italiens  (sur  les  avatars  du  Persévérant  affecté  à  la  ligne  de  Tunis, 
cf.  Avv.  ài  Sard.,  1879,  passim).  Elle  finit  par  être  absorbée  par  la  Compagnie  Transatlantique  en  décembre 
1880. 


366 


agrandis,  son  capital  porté  de  1  à  5  millions  de  francs.  Jules  Forti  continua  d'en  assumer 
la  directionifis  Xrois  semaines  plus  tard,  elle  enlevait  aux  enchères  l'adjudication  de  la 
pêche  dans  les  lacs  de  Bizerte  et  de  La  Goulette  et,  par  personne  interposée,  le  monopole 
de  la  pêche  aux  éponges  et  aux  poulpes  sur  les  côtes  de  Tunisiei®^.  Déjà  elle  préparait  la 
création  d'une  filiale,  la  Société  Franco-africaine,  qui  serait  chargée  de  mettre  en  valeur 
les  domaines  acquis  par  la  Société  Marseillaise. 

Avec  les  Comptoirs  Maritimes  et  la  Société  Franco-africaine,  c'étaient  les  Péreire  et 
la  Société  Marseillaise  qui  s'installaient  dans  la  Régence  et,  derrière  celle-ci,  le  groupe 
du  Crédit  Industriel,  concessionnaire  déjà  du  réseau  ferré  de  l'Est  algérien.  Derrière  la 
Société  des  Batignolles  et  sa  filiale  du  Bône-Guelma  se  profilait  la  puissance  du  Comptoir 
d'Escompte  et  de  la  banque  des  Pays-Bas.  Les  succès  de  Roustan  préparaient  la  ruée  des 
grandes  entreprises  françaises,  la  pénétration  envahissante  des  consortiums  capitalistes. 
Qui  désormais  pourrait  freiner  leurs  progrès,  empêcher  la  conquête  économique  du 
pays,  la  main  mise  sur  les  terres,  sur  les  mines,  les  moyens  de  production  ?  A  défaut 
d'une  démonstration  militaire,  la  politique  des  concessions  pouvait  sans  trop  de  heurts 
préparer  une  mise  en  tutelle  plus  discrète  de  la  Régence,  ce  «protectorat  de  fait» 
qu'évoquait  Roustan^^o^  le  protectorat  financier  de  la  haute  banque  parisienne. 

Au  milieu  de  l'été  1880,  les  derniers  obstacles  paraissaient  surmontés,  l'opposition 
italienne  ne  semblait  plus  dangereuse.  «Aujourd'hui  seulement»,  écrivait  Roustan, 
«je  considère  ma  mission  comme  à  peu  près  achevée  et  les  difficultés  graves  comme 
écartées.  Pour  cela,  il  suffit  d'un  peu  de  soin  et  de  beaucoup  d'argenP^i».  Mais  l'avenir 
dépendait  aussi  des  Tunisiens,  les  circonstances  n'allaient  pas  tarder  à  le  démontrer. 


168  A.  N.  Arch.  privées.  Rapport  Soc.  Marseillaise  (séance  à  avril  1880) 

-Arch.  Rés.  Copie  d'une  lettre  d'Eugène  Péreire  du  31  juillet  1880  donnant  des  renseignements  sur  l'activité 
de  la  Compagnie  Transatlantique  en  Tunisie,  navigation,  comptoirs  maritimes,  société  agricole  (annexe  à 
dép.  pol  n°  32  de  Freycinet  à  Roustan  Paris,  5  août  1880]. 

-  Gazette  du  Midi,  Sémaphore,  passim,  mai  1880. 

En  octobre  suivant,  cet  établissement  devint  la  Banque  transatlantique  qui,  en  septembre  1884,  changea  son 
nom  en  celui  de  Banque  de  Tunisie,  avec,  pour  président,  Eugène  Péreire  et,  pour  administrateur  délégué 
Jules  Forti. 

169  Sémaphore,  26  mai  1880. 

170  «Couvrir  le  sol  tunisien  d'argent  français  afin  de  le  garder  contre  les  convoitises  étrangères». 

(A.  E.  Tunis,  vol.  56  à  Barth.  St. -Hilaire.  Tunis,  29  mars  1881). 

171  A.  E.  Pap  Noailles.  Part,  de  Roustan  à  Noailles.  Tunis,  17  août  1880. 


367 


368 


CHAPITRE  XII 


LES  DERNIÈRES  CRISES  ET  L'INTERVENTION 

FRANÇAISE 

(Septembre  1880  -  Avril  1881) 


Contre  toute  attente,  le  programme  français  de  pénétration  économique  ne  se 
réalisa  point.  Si,  au  milieu  de  l'été  1880,  tous  les  espoirs  semblaient  permis,  il  n'en  était 
plus  de  même  dès  le  début  de  l'automne.  Les  progrès  des  sociétés  françaises  suscitaient 
la  mauvaise  humeur,  bientôt  l'hostilité  déclarée  du  gouvernement  tunisien.  11  n'en  fallut 
pas  plus  pour  miner  l'autorité  de  Roustan,  pour  rendre  intolérable  la  situation  d'un 
homme  qui,  depuis  cinq  ans,  inspirait  toute  la  politique  du  Bardo. 

I  -  La  revanche  de  Maccio' 

L'autorité  de  Roustan  reposait  essentiellement  sur  l'influence  qu'il  exerçait  sur 
Mustapha  ben  Ismaïl,  sur  la  haine  que  le  favori  portait  aux  Italiens.  Or,  dès  le  mois  de 
septembre,  il  apparut  que  les  relations  entre  Mustapha  et  Roustan  se  refroidissaient.  Le 
ministre  était  frivole,  inconstant  ;  il  était  avide  aussi.  L'affaire  de  l'Enfida  provoqua  sa 
rupture  avec  le  consulat  de  France  ;  elle  entraîna  par  contre-coup  sa  réconciliation  avec 
le  parti  italien. 

a)  Le  revirement  de  Mustapha 

L'achat  des  biens  de  Khérédine  par  la  Société  Marseillaise  avait  déplu  à  Mustapha. 
Depuis  deux  ans,  on  l'avait  laissé  piller  à  sa  guise  les  biens  du  beylik,  détourner  à  son 
profit  les  biens  habous,  la  dotation  du  collège  Sadiki.  Mais  il  lui  fallait  toujours  plus 
d'argent,  de  nouveaux  palais,  de  nouveaux  domaines,  de  la  terre  surtout  «qu'il  aimait 
d'un  amour  paysan».  Mustapha  convoitait  l'Enfida  comme  il  avait  convoité  Sidi  Tabet. 
Une  longue  tradition  voulait,  en  effet,  que  les  favoris  en  disgrâce  fussent  dépouillés  de 
leurs  biens,  heureux  s'ils  pouvaient  sauver  leur  vie,  le  bey  reprenant  d'un  coup  toutes 
ses  donations  pour  enrichir  un  rival  heureux  devenu  le  favori  du  jour.  Or  la  concession 
Sancy  venait  d'être  transférée  à  la  Société  Marseillaise,  Khérédine  vendait  l'Enfida  à  la 
même  société  avec  l'agrément  du  consulat  de  France.  Mustapha  eut  l'impression  d'être 
spolié.  Aussi  sa  colère  fut-elle  vive  contre  la  Société  Marseillaise,  contre  Roustan  aussi 


369 


qu'il  avait  toujours  soutenu^.  Il  tenta  par  tous  les  moyens  de  s'opposer  à  la  prise  de 
possession  de  l'Enfida  et  commença  de  chercher  d'autres  alliés  pour  la  politique  nouvelle 
dans  laquelle  il  s'engageait. 

Lorsque  la  Société  Marseillaise  voulut  régler  les  formalités  d'achat  et  prendre 
possession  des  biens  de  Khérédine,  elle  se  heurta  à  la  mauvaise  volonté  des  autorités 
tunisiennes.  Les  notaires  se  dérobaient  ;  ils  déclaraient  ne  pouvoir  enregistrer  l'acte 
sans  autorisation  d'un  cadi.  Les  cadis  des  deux  rites,  de  leur  côté,  se  retranchaient  dans 
une  hostilité  qu'ils  ne  daignaient  point  expliquer.  Près  de  deux  mois  s'écoulèrent  ainsi 
en  atermoiements.  Pour  en  finir,  le  mandataire  de  la  société,  l'avocat  Chevallier-Rufigny, 
demanda  à  Roustan  d'intervenir  auprès  du  Bardo.  Mustapha  alors,  de  faire  savoir  que 
le  cadi  soulevait  des  objections  sur  la  valeur  des  titres  de  propriété  de  Khérédine  et 
d'énumérer  une  série  de  mauvaises  raisons  tendant  à  prouver  que  l'ex-premier  ministre 
ne  pouvait  pas  plus  disposer  de  ses  palais  de  Tunis  que  de  son  domaine  de  l'Enfida^. 

Le  cadi  ne  faisait  qu'exécuter  les  consignes  du  premier  ministre;  déjà  le  bruit  se 
répandait  dans  Tunis  que  le  bey  avait  l'intention  de  révoquer  ses  donations.  Roustan 
cependant  continuait  d'insister  auprès  du  prince  ;  «le  Bey,  acculé  dans  ses  derniers 
retranchements»,  a  fini  par  me  déclarer  que  «lorsqu'il  a  donné  l'Enfida  à  Khérédine, 
c'était  pour  qu'il  en  jouît  tranquillement  ici  et  non  pour  qu'il  le  vendît  à  des  étrangers. 
C'est  là,  en  effet,  la  véritable,  la  seule  raison  de  cette  opposition.  On  ne  veut  pas  de 
l'Enfida  entre  les  mains  des  étrangers,  surtout  entre  les  nôtres»^. 

Fin  novembre  1880,  Khérédine  avait  reçu  à  Constantinople  une  lettre  collective  des 
principaux  dignitaires  du  Bardo,  Hamida  Benaïad  et  Baccouche  notamment,  l'incitant 
à  leur  vendre  ses  biens  aux  mêmes  conditions  qu'à  la  société  française  et  à  renoncer 
au  contrat  passé  avec  Chevallier-Rufigny.  Mustapha  avait  appuyé  cette  démarche  en 
adressant  lui  aussi  deux  lettres  à  l'ancien  ministre  du  bey.  Tandis  qu'à  titre  officiel,  il 
démentait  les  rumeurs  selon  lesquelles  le  bey  aurait  l'intention  de  reprendre  l'Enfida, 
à  titre  personnel,  il  engageait  Khérédine  à  accepter  les  offres  des  notables  tunisiens"^. 
Mais  Khérédine  n'accepta  pas.  il  rappela  qu'il  avait  vainement  offert  un  rabais  de  10% 


1  A.  E.  Tunis,  vol.  54.  Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  11  janvier  1881. 

2  La  donation  de  la  Manouba  par  Mohammed  Bey  agissant  en  son  nom  personnel  et  au  nom  de  ses  frères  était 

discutée  sous  le  prétexte  que  le  bey  ne  pouvait  disposer  de  biens  appartenant  à  des  personnes  sous  tutelle- 

ses  frères  -,  argument  qui  manquait  de  sérieux  car  toutes  les  donations  beylicales  eussent  été  également 
frappées  de  nullité. 

La  cession  de  L'Enfida  aurait  été  sans  valeur,  le  domaine  ayant  été  échangé  contre  une  rente  viagère  impossible 
à  déterminer,  puisqu'elle  dépendait  de  la  vie  du  bénéficiaire  ;  «or,  quand  le  prix  est  inconnu,  la  vente  est  nulle. 
Des  objections  de  même  valeur  étaient  soulevées  à  propos  de  la  propriété  du  palais  de  Carthage  et  d'une 

maison  située  dans  la  hara  de  Tunis  (A.  E.  Tunis,  vol.  52  Mustapha  à  Roustan,  19  octobre  1880,  annexe  à  dép. 

de  Roustan  à  Barthélemy-St-Hilaire  (publiée  dans  D.  D.  F.  n°  169)  Tunis,  22  octobre  1880). 

Dans  une  lettre  à  son  mandataire  à  Tunis,  Khérédine  discutait  et  réfutait  tous  les  arguments  du  cadi.  Il  faisait 
remarquer  en  outre  que,  quelles  que  fussent  les  irrégularités  dont  un  contrat  de  vente  ou  de  donation  ait 
pu  être  entaché,  il  y  avait  prescription  au  bout  de  dix  ans,  selon  le  rite  malékite,  de  quinze  ans,  selon  le  rite 
hanéfite,  et  que  pour  la  Manouba,  par  exemple,  il  était  resté  «en  possession  tranquille  de  ce  lot  «pendant  une 
période  triple  de  celle  exigée  par  la  loi  la  plus  sévère»  (Khérédine  à  Clôt  Bey.  Couroutchesmé,  17  novembre 
1880,  annexe  à  dép.  de  Roustan.  Tunis,  7  décembre  1880  D.  D.  F.  n°  170). 

3  A.  E.  Tunis,  vol.  53.  Roustan  à  Barthélémy  St-Hilaire.  Tunis,  7  décembre  1880  (D.  D.  F.,  13,  n°  170.) 

4  A.  REY  :  Mémoire  sur  l'affaire  de  l'Enfida.  Paris,  1881,  p.l6. 

Les  autres  signataires  de  la  lettre  collective  étaient  les  généraux  Mohammed  Mrabet,  membre  du  conseil 
d'Etat,  Larbi  Zarrouk,  président  de  la  municipalité  de  Tunis,  Hassin  Djellouli,  Sadok  Bahri  bach  hamba,  le 
colonel  Ali  Jouine,  le  cheikh  el  Ourtani,  le  receveur  général  des  Finances,  caïd  Eliaôu  Samama. 

La  manœuvre  fut  préparée  à  partir  de  septembre  1880  par  Hamida  Benaïad  (Arch.  Tun.  Doss.968,  carton  80. 
Tél.  de  Benaïad  à  Mustapha.  Paris,  17  septembre  1880). 


370 


TVIIS  1878 


Tunis  et  ses  environs  en  1878. 


pour  tout  acheteur  tunisien.  Il  ne  voulait  pas  reprendre  la  parole  qu'il  avait  donnée  et 
soupçonnait  trop  les  Benaïad  et  les  Baccouche,  ses  anciens  adversaires  de  Tunis,  de 
vouloir  faire  rompre  le  contrat  pour  jouer  un  mauvais  tour  aux  Français  et  acquérir 
l'Enfida  sans  bourse  délier  avec  la  complicité  du  premier  ministre. 

Au  milieu  de  décembre  toutefois,  l'opposition  du  gouvernement  tunisien  parut 
cesser.  Alors  que  le  représentant  de  la  Société  Marseillaise  songeait  à  faire  enregistrer 
au  consulat  de  France  le  contrat  passé  avec  Khérédine,  les  notaires  acceptèrent  soudain 
de  le  recevoir,  sans  plus  se  soucier  des  objections  récemment  soulevées  par  le  cadi.  Mais 
ce  n'était  là  qu'une  feinte  destinée  à  brouiller  plus  sûrement  les  affaires  de  la  société. 
A  la  faveur  d'une  subtilité  de  la  loi  musulmane,  les  conjurés  tunisiens  préparaient  déjà 
une  tortueuse  procédure  de  préemption.  Le  contrat  enregistré,  c'est  alors  que  l'affaire 
de  l'Enfida  allait  réellement  commencer. 

La  mauvaise  humeur  du  favori  s'exerçait  désormais  dans  tous  les  domaines  aux 
dépens  des  Français.  Non  seulement  Mustapha  refusait  de  leur  accorder  des  concessions 


371 


nouvelles,  mais  il  discutait  les  termes  de  celles  qu'il  leur  avait  fait  obtenir  et  cherchait 
par  tous  les  moyens  à  entraver  le  développement  de  leurs  entreprises.  Début  novembre, 
il  refusait  au  directeur  de  la  compagnie  de  Mokta  el  Hadid  tout  permis  d'exploitation 
ou  de  recherche  du  minerai  de  fer  dans  l'ouest  tunisien.  Sous  prétexte  de  difficultés 
financières,  il  marchandait  à  la  compagnie  Bône-Guelma  les  terrains  qu'il  lui  avait 
expressément  accordés,  il  discutait  le  tracé  de  la  ligne  du  Sahel  avec  le  dessein  bien 
arrêté  de  retarder  l'ouverture  des  travaux^. 

Roustan  recommandait  la  prudence  ;  il  s'efforçait  d'écarter  les  demandes  de 
concession  que  lui  transmettait  le  quai  d'Orsay.  Malgré  ses  avertissements,  il  dut  céder 
à  l'impatience  des  financiers  français  et  ne  put  éviter  un  échec  dans  l'affaire  du  Crédit 
foncier.  Début  novembre,  le  ministère  lui  envoyait  une  demande  de  concession  d'une 
banque  privilégiée  présentée  par  Collas,  un  financier  parisien  connu  pour  avoir  lancé 
l'affaire  des  phares  de  l'Empire  ottoman.  Vainement,  Roustan  essaya  de  décourager  cette 
tentative  en  montrant  que  les  circonstances  étaient  peu  favorables.  Déjà,  Céry,  le  président 
du  Bône-Cuelma,  venait  de  subir  un  échec  pour  une  proposition  analogue.  Mieux  valait 
attendre  ou  se  contenter  d'une  banque  privée  fonctionnant  sur  des  bases  plus  modestes 
qui  n'aurait  besoin  d'aucune  autorisation  gouvernementale^.  Ce  fut  peine  perdue;  les 
financiers  revinrent  à  la  charge  avec  l'appui  du  ministère. 

Cette  idée  de  créer  en  Tunisie  une  caisse  de  crédit  destinée  à  faire  des  avances  sur 
les  récoltes  et  des  prêts  hypothécaires  n'était  pas  nouvelle.  Depuis  quinze  ans.  Anglais  et 
Italiens  essayaient  périodiquement  d'en  fonder  une.  Sous  le  louable  prétexte  de  délivrer 
le  paysan  de  l'usure,  se  couvrait  le  désir  d'enlever  aux  courtiers  juifs  le  monopole  du 
prêt  à  gros  intérêt,  avec,  à  la  clef,  l'acquisition  de  terres  à  bas  prix.  Le  capital  européen 
n'aurait  aucune  peine  à  l'emporter  sur  une  usure  locale  féroce  mais  demeurée  artisanale. 
Cette  opération  n'allait  pas  sans  risques  toutefois  ;  et  c'est  pour  se  prémunir  contre 
la  mauvaise  volonté  de  débiteurs  insolvables  ou  réticents  que  les  uns  et  les  autres 
avaient  toujours  songé  à  créer  une  banque  d'Etat  jouissant  de  l'appui  du  gouvernement 
tunisien.  Collas  qui,  dans  l'affaire  représentait  les  intérêts  du  baron  de  Soubeyran, 
animateur  de  nombreuses  sociétés  de  crédit  foncier^,  ne  voulait  s'engager  qu'à  ce  prix, 
de  même  que  Géry  qu'un  premier  échec  n'avait  pas  découragé.  Mais  le  gouvernement 
tunisien  s'était  toujours  montré  à  juste  titre  réticent,  car  il  savait  les  difficultés  causées 
par  les  transactions  foncières  dans  un  pays  qui  ne  connaissait  ni  cadastre  ni  système 
d'enregistrement  régulier. 


5  Arch.  Rés.  Dép.  de  Roustan,  19  octobre  1880. 

D'après  les  termes  de  la  concession  accordée  en  août,  le  gouvernement  tunisien  devait  céder  à  la  compagnie 
50  mètres  de  terrain  le  long  de  la  voie.  Mustapha  assurait  que  le  Trésor  n'était  pas  en  mesure  de  subvenir  à 
toutes  les  expropriations  nécessaires. 

6  Arch.  Rés.  Roustan  au  comte  de  Choiseul,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Affaires  étrangères.  Tunis,  8  novembre 

1880. 

7  CHIRAC  :  L'agiotage  de  1870  à  1884,  1^'^  partie,  1887,  p  98. 

SOUBEYRAN  (Jean-Maric-C^or^es,  baron  de),  financier  et  homme  politique  français,  né  et  mort  à  Paris  (1829- 
1897).  Petit-fils  de  Savary,  le  ministre  de  la  police  du  l^R  Empire,  il  devint  en  1852  chef  de  cabinet  du  ministre 
d'Etat  et  fut  nommé  sous-directeur  du  Crédit  Foncier  en  1860.  Après  avoir  siégé  au  Corps  Législatif  comme 
député  de  la  Vienne  depuis  1860,  il  représenta  ce  même  département  à  l'Assemblée  nationale,  fit  partie  du 
groupe  de  l'Appel  au  peuple  et  contribua  à  la  chute  de  Thiers  en  1873. 

En  tant  que  financier,  le  baron  de  Soubeyran  fut  mêlé  à  une  foule  d'intrigues  dans  lesquelles  il  se  lança  avec 
plus  d'ardeur  que  de  succès,  en  particulier  dans  les  affaires  des  fonds  égyptiens.  Ayant  dû  se  démettre  de  ses 
fonctions  de  sous-directeur  du  Crédit  Foncier  en  1878,  il  fonda  la  Banque  hypothécaire  de  France  destinée  à 
faire  concurrence  à  ce  dernier  établissement,  la  Banque  d'escompte,  la  Société  des  Immeubles  de  France  et 
de  nombreuses  caisses  de  crédit  foncier,  toutes  créations  qui  sombrèrent  successivement. 


372 


A  regret,  Roustan  dut  s'engager  et  choisir  entre  Collas  et  Géry.  11  opta  pour  le 
premier®  qui  dépêcha  aussitôt  un  mandataire,  le  député  Léon  Renault,  administrateur 
de  la  Banque  hypothécaire  de  Soubeyran®.  Arrivé  à  Tunis,  Léon  Renault  fut  présenté  au 
bey  par  le  consul,  mais,  comme  celui-ci  l'avait  craint,  Mustapha  rejeta  le  projet  de  Crédit 
foncier  qui  lui  était  présenté.  L'échec  était  complet  et  la  publicité  donnée  à  l'affaire 
fournit  aux  adversaires  de  la  France  l'occasion  de  se  réjouir.  «Les  Italiens  font  des  gorges 
chaudes  et  s'exaltent»,  écrivait  Roustan.  «Ils  appellent  M.  Renault  le  député-fiasco»^®. 

11  était  désormais  impossible  de  douter  de  la  mauvaise  volonté  de  Mustapha  ben 
Ismaïl.  Le  favori  cherchait  maintenant  d'autres  appuis  pour  contrebalancer  l'influence 
française  sur  laquelle  il  s'était  toujours  appuyé.  Courant  novembre,  Roustan  soupçonnait 
des  intrigues  à  Constantinople  et  l'ambassadeur  de  France  en  Turquie  rapportait  que 
Mustapha  songeait  à  un  rapprochement  avec  le  sultan  dans  le  dessein  de  s'assurer,  avec 
le  titre  de  mouchir,  la  promesse  de  succéder  un  jour  au  bey^i.  Sans  doute  Mustapha  fut- 
il  déçu  par  le  peu  de  succès  de  ses  ouvertures,  par  le  manque  d'enthousiasme  du  haut 
personnel  impérial  sur  lequel  s'exerçait  encore  l'influence  de  son  adversaire  Khérédine. 
Toujours  est-il  que,  par  un  brusque  revirement,  dans  les  derniers  jours  de  décembre 
1880,  il  consentit  à  une  réconciliation  avec  Maccio'  que  s'efforçait  de  ménager  depuis 
longtemps  le  consul  d'Angleterre^^. 

Roustan  crut  encore  possible  d'intervenir.  Le  30  décembre,  en  présence  du  bey, 
il  infligea  à  Mustapha  une  verte  semonce,  dénonçant  ses  intrigues  à  Constantinople 
et  s'efforçant  de  l'effrayer  assez  pour  le  ramener  du  côté  français.  Mustapha  sortit 
de  l'audience  «livide,  atterré»^®.  Mais  l'avertissement  venait  trop  tard.  Le  premier 
ministre  était  désormais  rejeté  sans  espoir  du  côté  italien.  Maccio',  triomphant,  pouvait 
retourner  contre  son  rival  les  armes  que  celui-ci  avait  longtemps  utilisées  contre  lui. 
11  entreprenait  incontinent  une  politique  de  provocations  et  de  vexations  à  l'égard  des 


8  «J'ai  opté  pour  M.  Collas.  Il  n'a  pas  plus  de  titres  que  M.  Géry,  mais  il  a  plus  de  chances,  ce  dernier  ayant  déjà 
subi  un  refus  sur  cette  question...  Enfin,  entre  nous  soit  dit,  Géry  a  déjà  suffisamment  embrassé  ici,  et  je 
trouve  qu'il  commence  à  mal  étreindre»  (A.  E.  Tunis,  vol.  53.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  30  novembre 
1880). 

9  RENAULT  (Léon-Charles),  homme  politique  et  financier  français,  né  à  Alfort  (Seine)  en  1839,  mort  en  1915. 
Avocat  au  barreau  de  Paris,  il  fut  nommé  secrétaire  général  de  la  préfecture  de  police  de  la  Seine  le  5 
novembre  1870,  préfet  du  Loiret  en  avril  1871,  puis  préfet  de  police  le  21  novembre  1871.  Démissionnaire 
lors  de  la  chute  de  Thiers,  il  accepta  de  demeurer  en  fonctions  sur  la  demande  de  Mac-Mahon  et  joignit  à 
ses  attributions  celles  de  directeur  de  la  sûreté  générale,  il  se  retira  en  février  1876  pour  se  présenter  aux 
élections  législatives  dans  l'arrondissement  de  Corbeil.  Elu,  puis  réélu  en  octobre,  il  siégea  au  Centre  gauche 
dont  il  devint  président  en  janvier  1878,  mais  il  fut  battu  au  renouvellement  de  1881  et  ne  retrouva  un  siège 
qu'en  1882  à  Grasse.  En  1885,  il  fut  sénateur  des  Alpes  Maritimes. 

Administrateur  de  plusieurs  sociétés  financières  dont  la  Banque  hypothécaire  de  France,  le  Crédit  foncier 
canadien  et  le  Crédit  foncier  maritime  de  France,  Léon  Renault  fut  mêlé  aux  affaires  tunisiennes  en  1880/81 
et,  quelques  années  plus  tard,  à  celles  de  Panama.  Mis  en  accusation  comme  «chéquard»,  à  la  fin  de  1892,  il 
bénéficia  d'un  non-lieu  (Vapereau,  op.  cit.  1880,1893  -  Intransigeant,  19  août  1881,  presse  financière  1878- 

1881,  passim). 

10  A.  E.  Tunis,  vol.  53.  Part  de  Roustan  à  Courcel,  28  décembre  1881. 

11  Ibid.  Dép.  de  Roustan,  15  novembre.  Tél  de  Barth.  St.  Hilaire  Paris,  22  novembre  1880. 

12  Ibid.  Tél  de  Roustan.  Tunis,  28  décembre  1880. 

F.  0.102/  127.  Reade  à  Granville.  Tunis,  31  décembre  1880. 

13  A.  E.  Pap.  Noailles.  Roustan  à  Barth-St-Hilaire  Tunis,  3  janvier  1881. 

«Moustapha  avait  besoin  d'un  avertissement  sévère.  Son  attitude  dans  la  question  de  l'Enfida,  l'opposition 
sourde  qu'il  a  faite  à  toute  acquisition  de  propriété  par  les  Français  dans  l'intérieur  du  pays,  son  apathie 
pour  la  répression  des  actes  de  brigandage  commis  journellement  sur  notre  frontière,  enfin  le  mauvais 
vouloir  et  la  duplicité  dont  il  vient  de  faire  preuve  dans  les  négociations  relatives  à  la  concession  d'un  Crédit 
foncier  étaient  des  indices  qui  ne  permettaient  pas  de  me  faire  illusion  sur  le  danger  de  la  situation». 


373 


entreprises  françaises  avec  le  soutien  intéressé  de  Mustapha  toujours  acharné  à  se  saisir 
de  l'Enfida. 

b)  Les  provocations  des  Italiens 

Au  début  de  1881,  le  voyage  du  roi  Humbert  en  Sicile  fournissait  à  Maccio'  l'occasion 
d'affirmer  publiquement  la  réconciliation  italo-tunisienne.  Le  7  janvier,  l'aviso  royal 
Staffetta  emmenait  à  Palerme  une  délégation  chargée  de  saluer  le  souverain.  Aux  côtés 
de  Maccio'  et  des  principaux  notables  de  la  colonie^b  le  prince  HusseiM^  et  le  ministre 
de  la  Guerre  Si  Selim  venaient  apporter  le  salut  du  bey  et  du  gouvernement  tunisien.  A 
Palerme,  l'accueil  fut  chaleureux  ;  Hussein  fut  invité  à  visiter  le  Duilio,  le  plus  puissant 
des  cuirassés  italiens  ;  les  délégués  de  Tunis  émaillèrent  leurs  discours  de  thèmes 
connus  sur  Rome  et  Carthage  ;  ils  demandèrent  le  soutien  de  la  mère  patrie  pour  assurer 
le  développement  de  leurs  entreprises  et  la  grandeur  de  l'Italie  nouvelle.  En  vain  le  quai 
d'Orsay  avait-il  demandé  au  gouvernement  italien  d'éviter  de  heurter  les  susceptibilités 
françaises^®.  Les  journaux  de  la  péninsule  s'enflammèrent  à  nouveau  à  propos  de  Tunis. 
A  son  retour  de  Sicile,  la  délégation  italo-tunisienne  fut  accueillie  par  de  débordantes 
manifestations  d'enthousiasme.  Le  18  janvier,  dans  une  gare  pavoisée  de  guirlandes  et 
de  drapeaux  italiens,  Hussein  et  Maccio'  étaient  salués  par  la  musique  et  les  enfants 
des  écoles,  sous  les  bouquets  et  les  vivats  d'une  foule  en  délire.  Le  lendemain,  c'étaient 
encore  des  défilés,  des  sérénades,  un  feu  d'artificei^. 

Mustapha  n'avait  pas  osé  se  rendre  à  Palerme.  Maccio'  lui  rapportait  cependant 
la  promesse  d'une  décoration  qui  devait  récompenser  sa  bonne  volonté  nouvelle  à 
l'égard  de  l'Italie.  LAvvenire  di  Sardegna  et  le  Mostakel  cessaient  leurs  attaques  contre  le 
premier  ministre.  Les  entreprises  italiennes,  délivrées  de  l'opposition  gouvernementale, 
pouvaient  reprendre  leurs  programmes  d'expansion,  tandis  que  les  sociétés  françaises 
étaient  en  butte  à  une  politique  de  brimades  et  de  provocations. 

Sous  prétexte  d'assurer  les  besoins  du  service,  la  société  Rubattino  entreprenait 
sans  autorisation  la  construction  d'une  ligne  télégraphique  entre  Tunis  et  La  Goulette. 
Les  protestations  françaises  restaient  sans  effet.  Les  Italiens  ne  dissimulaient  pas  leur 
dessein  d'en  finir  avec  le  monopole  français  ;  ils  se  flattaient  d'établir  en  Tunisie  un 
réseau  télégraphique  autonome  qui  serait  relié  à  celui  d'Italie  par  un  câble  sous-marinis. 
La  société  du  Djebel  Ressas  s'attaquait  pareillement  à  la  construction  d'un  port  pour 
l'évacuation  du  minerai  de  plomb.  Maccio'  brandissait  la  vieille  concession  Mancardi 
dont  Mustapha  feignait  d'admettre  la  validité  pour  barrer  à  la  compagnie  Bône-Guelma 
la  route  du  Sahel  et  réserver  aux  Italiens  une  ligne  Tunis  Hammam-Lif  qui  desservirait 
le  Djebel  Ressas.  Les  arguments  italiens  étaient  sans  valeur,  puisqu'en  août  1880,  le  bey 


14  Notamment  Guglielmo  Guttieres,  Giacomo  Cesana,  Aurelio  Fedriani  et  Le  directeur  du  collège  italien. 

15  Fils  aîné  de  Mohammed  Bey  et  neveu  de  Mohammed  es  Sadok,  il  était  âgé  de  41  ans  et  venait  alors  au 
troisième  rang  dans  l'ordre  de  succession  au  trône  après  les  frères  du  bey.  Ali  et  Taïeb. 

16  A.  E.  Italie,  vol.  61.  Dép.  et  Tél  de  Barth-St-Hilaire  à  Noailles.  Paris,  3  et  4  janvier  1881... 

17  A.  E.  Tunis,  vol.  54.  Dép.  de  Roustan.  Tunis,  11  et  24  janvier  1881.  Riforma,  12  janvier  1881  :  Tunisi  a  Palermo. 
-  Avv.  di  Sard.  :  17  Janvier  1881  ;  Lettera  di  Palermo. 

18  C'était  une  façon  détournée  d'installer  en  Tunisie  un  réseau  italien  indépendant,  seule  raison  de  l'intérêt 
porté  par  Maffei  et  Maccio'  à  la  question  du  câble  sous-marin  (Gorrini,  op.  cit  pp.  79-82  ;  Chiala  :  Pagine 
di  storia  contemporanea.  Turin,  1892,  t.  2,  pp.  210-217  :  interventions  à  la  Chambre  de  Damiani  sur  les 
questions  tunisiennes,  fin  novembre  1880).  Le  gouvernement  français  avait  pris  une  attitude  décidée  :  le  20 
novembre  1880,  Barthélemy-St-Hilaire  faisait  savoir  à  l'ambassadeur  italien  Cialdini  qu'il  ne  soulevait  pas 
d'objections  sur  la  question  du  câble  pourvu  que,  conformément  à  la  convention  tunisienne  d'avril  1861, 
il  fût  raccordé  au  réseau  général,  sans  bureau  spécial  (A.  E.  Italie,  vol.  60.  A  Cialdini.  Paris,  20  novembre 
1880). 


374 


avait  expressément  accordé  à  la  compagnie  française  la  concession  d'une  ligne  Tunis- 
Sousse.  Néanmoins,  après  un  mois  de  pourparlers,  Géry  se  vit  refuser  le  droit  d'ouvrir 
à  Hammam-Lif  sa  première  station  sur  la  ligne  de  Sousse.  Son  projet  refusé,  il  était 
contraint  de  faire  arrêter  les  travaux.  C'était  ce  que  souhaitaient  Mustapha  et  Maccio'. 

La  compagnie  Bône-Guelma  était  tenue  en  échec  de  tous  côtés.  Les  autorités 
d'Algérie  n'arrivaient  pas  à  obtenir  l'agrément  du  gouvernement  tunisien  pour  la  création 
d'un  poste  de  douanes  au  point  de  jonction  futur  des  réseaux  ferrés  des  deux  pays. 
Aussi  avait-il  fallu  arrêter  la  ligne  à  6  kilomètres  de  la  frontière  en  territoire  tunisien^®. 
Inutile  évidemment  de  soulever  la  question  du  port.  La  presse  italienne  et  le  Mostakel 
s'évertuaient  depuis  trop  longtemps  à  développer  les  dangers  d'une  telle  opération^o 
pour  que  la  compagnie  voulût  courir  au  devant  de  nouvelles  rebuffades. 

La  Société  Marseillaise  était  plus  mal  partagée  encore.  Elle  était  la  victime  d'une 
cynique  manœuvre  de  spoliation  ourdie  à  l'ombre  du  consulat  d'Italie  pour  le  compte 
de  Mustapha.  Mais,  dans  ce  qu'on  appelait  déjà  «l'affaire  de  l'Enfida»,  les  Italiens  avaient 
bien  soin  de  s'effacer.  Ils  laissaient  la  vedette  à  un  sujet  anglais  afin  de  susciter  aux 
Français  des  difficultés  nouvelles  avec  le  gouvernement  britannique^i. 

c)  L'affaire  de  l'Enfida 

Fin  décembre  1880,  l'opposition  de  Mustapha  à  l'achat  des  biens  de  Khérédine 
par  la  Société  Marseillaise  avait  paru  cesser.  On  laissa  les  deux  parties  rédiger  le 
contrat,  comme  elles  l'entendaient  ;  on  accepta  sans  difficulté  le  paiement  des  droits 
de  mutation.  Mais,  une  fois  l'acte  enregistré,  le  11  janvier,  des  lenteurs  administratives 
calculées  firent  perdre  deux  jours  au  mandataire  de  la  société.  Pendant  que  celui-ci  était 
retenu  à  Tunis,  Youssef  Levy,  un  courtier  juif  de  Sousse,  faisait  prestement  enregistrer 
une  déclaration  de  chejfaa,  ou  préemption,  et  gagnait  l'Enfida  avec  quarante-huit 
heures  d'avance. 

Sujet  britannique  parce  que  son  père  était  natif  de  Gibraltar,  Levy  était  connu  pour 
ses  sentiments  hostiles  à  la  France.  L'insurrection  de  1864  l'avait  enrichi22  ;  grâce  à  son 
frère  Moses,  il  était  devenu  administrateur  de  la  douane  locale.  A  Sousse,  il  faisait  figure 
de  notable  et  possédait  de  nombreuses  propriétés  dans  le  Sahel.  C'est  au  nom  de  l'une 
de  celles-ci  qu'il  avait  prétendu  exercer  le  droit  de  préemption  sur  l'Enfida. 

La  loi  musulmane  admettait  en  effet  le  droit  de  préemption  en  faveur  du 
copropriétaire,  à  la  condition  expresse  que  le  chafi,  ou  préempteur  se  substituât  en 
tous  points  à  l'acquéreur  éventuel,  en  payant  une  somme  égale  à  celle  qui  était  prévue 
dans  le  contrat.  Les  interprétations  variaient  selon  les  rites  :  le  rite  hanéfite  étendait 
le  droit  de  chejfaa  aux  voisins  immédiats,  la  seule  condition  requise  étant  la  contigùité 
entre  les  biens  immeubles  mis  en  vente  et  ceux  du  chafi  ;  le  rite  malékite,  en  revanche, 
le  restreignait  aux  seuls  co-propriétaires.  Le  préempteur  avait  toujours,  il  est  vrai,  la 


19  Toutefois  comme  les  travaux  étaient  assez  peu  avancés  du  côté  algérien,  la  question  de  la  douane  ne 
constituait  pas  encore  un  obstacle  au  raccordement. 

20  Les  arguments  politiques  ou  stratégiques  n'étaient  pas  ceux  qui  impressionnaient  le  plus  les  Tunisois. 
L'ouverture  d'un  port  et  d'un  chenal  à  travers  les  boues  du  lac  faisait  redouter  le  développement  de  terribles 
épidémies  provoquées  par  le  dégagement  des  «miasmes  putrides»,  ainsi  que  la  ruine  à  bref  délai  de  la 
batellerie  et  du  commerce  local  (Avv.  di  Sard.,  passim,  1879-1880). 

21  L'affaire  semble  avoir  été  ébauchée  dès  la  fin  de  novembre  1880  par  des  amis  tunisiens  communs  des 
consuls  d'Italie  et  d'Angleterre,  Hamida  Benaïad  et  Baccouche  entre  autres,  au  moment  où  Reade  préparait 
une  réconciliation  entre  Mustapha  et  Maccio'. 

22  Sur  Y.  Levy,  note  112,  chap.  1  ;  sur  son  rôle  en  1864,  note  171,  chap.  V. 


375 


faculté  de  choisir  le  rite  qui  lui  convenait,  le  droit  de  préemption  étant  attaché,  aux  biens 
eux-mêmes  et  ne  dépendant  nullement  de  la  situation  des  contractants. 

Lorsque  la  déclaration  de  chejfaa  avait  été  exprimée  selon  les  formes  requises  et  que 
le  cadi  avait  examiné  les  titres  et  la  situation  des  propriétés,  le  chafi  pouvait  être  mis  en 
possession  et  substitué  à  l'acquéreur,  à  condition  de  verser  sur  le  champ  ou  dans  un  très 
court  délai,  trois  à  cinq  jours  au  maximum,  le  prix  d'achat  convenu  dans  le  contrat^^. 

Mais  il  était,  pour  l'acheteur  et  le  vendeur,  des  moyens  légaux  et  traditionnels 
de  se  préserver  contre  l'exercice  d'un  droit  de  chejfaa  toujours  possible.  Le  vendeur 
pouvait  se  réserver  une  bande  de  terrain  séparant  la  propriété  vendue  de  celle  d'un 
voisin  gênant.  Fût-elle  large  d'un  pouce,  cette  zone  neutre  suffisait  à  empêcher 
l'exercice  d'une  cheffaa  fondée  sur  la  contiguïté.  On  pouvait  encore  adjoindre 
au  prix  de  vente  principal  prévu  dans  le  contrat,  une  poignée  de  monnaie  dont  le 
montant  restait  inconnu  des  contractants  eux-mêmes.  Le  préempteur  était  alors  dans 
l'impossibilité  de  se  substituer  exactement  à  l'acquéreur,  en  versant  la  même  somme 
que  lui,  et  par  conséquent,  d'exercer  son  droit  de  préemption.  Cette  clause  de  la 
poignée  de  la  monnaie  <i  v»  i .  o  )  n'était  qu'une  subtilité  de  pure  forme  ;  elle  était 

cependant  admise  par  tous  les  commentateurs.  Prudent,  Khérédine  avait  usé  de  ces 
précautions  ;  il  avait  stipulé  dans  le  contrat  un  prix  de  vente  global  pour  l'ensemble 
de  ses  propriétés,  sans  spécifier  la  valeur  de  chacune  d'elles,  clause  qui  valait  celle  de 
la  poignée  de  monnaie,  il  s'était  réservé  une  bande  d'un  mètre  de  terrain  sur  toutes 
les  limites  de  l'Enfida.  il  pensait,  de  cette  façon,  rendre  impossible  l'exercice  du  droit 
de  chejfaa. 

Mais,  pour  les  amis  du  premier  ministre,  la  chejfaa  n'était  qu'un  prétexte.  Peu 
importait  au  fond  que  Levy  fût  ou  non  propriétaire  en  bordure  de  l'Enfida.  il  était 
sujet  britannique,  c'était  là  l'essentiel,  et,  grâce  à  lui,  on  pourrait  ramener  l'attention 
du  cabinet  de  Londres  vers  ces  affaires  tunisiennes  dont  il  affectait  de  se  désintéresser 
depuis  la  retraite  de  Wood.  En  novembre  et  décembre  1880,  Levy  avait  revendiqué  le 
droit  de  chejfaa  en  arguant  de  la  possession  du  domaine  de  Souya,  voisin,  peut  être, 
de  celui  de  l'Enfida.  A  partir  de  janvier,  il  fit  état  d'une  propriété  nouvelle,  Bourmadia, 
dont  les  éléments  auraient  été  enclavés  au  cœur  même  de  l'Enfida.  Levy  prétendait 
l'avoir  achetée  en  décembre  à  un  intendant  du  général  Baccouche.  Mais  la  propriété 
de  Bourmadia  relevait  de  la  plus  haute  fantaisie.  Pour  attester  son  existence,  Levy  ne 
pouvait  s'appuyer  que  sur  un  faux,  un  de  ces  actes  de  notoriété  si  faciles  à  établir  et 
qu'un  complaisant  notaire  d'Akouda  avait  fabriqué  au  nom  du  prétendu  vendeur^^. 

Cela  n'avait  pas  empêché  le  cadi  hanéfite  de  Tunis  de  recevoir  la  déclaration  de 
chejfaa  de  Levy  et  de  le  mettre  en  possession  du  domaine.  Quant  au  versement  du  prix 


23  A.  Marneur  ;  La  chefâ  (droit  de  rachat  dans  la  loi  musulmane),  thèse  droit.  Paris,  1910.  -  F.  O.  102/146. 

Santillana  à  Granville.  Londres,  1®^  octobre  1881.  -  Arguments  juridiques  présentés  par  Khérédine,  Rey, 

Broadley  et  Levy  [corresp.  de  Roustan  et  Reade,  1880-1881,  passim]. 

24  Ceci  fut  démontré  par  Frederick  Arpa,  un  consul  juge  commis  à  l'étude  de  la  question  par  les  autorités 

britanniques  en  août  1881.  Arpa  se  fit  délivrer  les  titres  et  papiers  de  propriété  de  Levy  ;  il  étudia  les 

pétitions  rédigées  par  ses  avocats,  les  fétouas  des  juges  musulmans.  Le  rapport  qu'il  adressa  à  lord  Gran¬ 
ville.  (F.  O.  102/14  5.  Tunis,  31  août  1881}  constituait  contre  Levy  un  accablant  réquisitoire.  Le  plan 
de  l'Enfida  publié  par  les  soins  de  Broadley  (France  and  Tunis)  n'était  pas  plus  sérieux  que  les  titres  de 
propriété  de  Levy.  L'original  n'était  qu'un  croquis  informe  et  mal  griffonné  dans  lequel  on  ne  pouvait 
retrouver  ni  les  proportions,  ni  les  contours  du  domaine  (Cf.  notre  article  sur  l'affaire  de  l'Enfida  R.  Afr.1955, 
pp.  367/369). 


376 


Le  général  Baccouche 
(Photo  Soler  -  Tunis). 


d'achat,  personne  ne  s'était  soucié  de  l'exiger.  Ainsi,  sans  avoir  déboursé  une  piastre^^, 
Levy  avait  pu  s'installer  sur  l'Enfida,  avec  la  complicité  des  autorités  tunisiennes.  11 
avait  pris  possession  de  la  maison  d'habitation,  convoqué  les  fermiers,  renouvelé  les 
fermages  et  décidé  tout  un  programme  de  travaux.  Des  troupeaux,  des  bœufs  de  labour 
appartenant  à  Benaïad  et  Baccouche  et  même  à  Mustapha  ben  ismaïl  avaient  été  amenés 
sur  le  domaine.  La  manœuvre  avait  été  prestement  exécutée. 

Lorsque  Chevallier-Rufigny,  le  représentant  de  la  Société  Marseillaise,  arrivait  à 
l'Enfida,  en  compagnie  du  chancelier  du  consulat,  le  14  janvier,  il  se  trouvait  en  présence 
d'une  appropriation  en  règle  du  domaine.  11  n'eut  aucune  peine  à  expulser  de  la  maison  le 
Maltais  laissé  par  Levy  mais,  lorsqu'il  voulut  prendre  contact  avec  les  fermiers,  il  se  heurta  à 
une  mauvaise  volonté  évidente.  Les  indigènes  déclaraient  ne  point  le  connaître  ;  les  cheikhs 
et  les  chefs  des  douars,  dûment  stylés,  témoignaient  que  Levy  était  le  seul  propriétaire 
et  demandaient  un  ordre  écrit  du  caïd  ou  du  bey  pour  obtempéreras.  Tandis  que  Levy 
faisait  ostensiblement  commencer  les  labours,  Chevallier-Rufigny,  de  guerre  lasse, 
regagnait  Tunis.  Le  mandataire  qu'il  laissait  à  l'Enfida  était  bientôt  en  butte  à  l'hostilité 
des  indigènes.  Insulté,  menacé,  il  ne  lui  restait  plus  qu'à  s'enfermer  dans  la  maison  sous 
la  protection  de  quelques  Algériens  fidèles. 


25  Huit  mois  plus  tard,  Levy  n'avait  encore  rien  versé  à  la  Société  Marseillaise.  Il  osait  présenter  pour  tout 
paiement,  un  contrat  passé  avec  trois  coreligionnaires  de  Tunis  qui  s'engageaient  à  tenir  à  sa  disposition  un 
million  et  demi  de  piastres  (937.500  Fr.),  guère  plus  du  tiers  des  sommes  versées  par  la  société. 

26  A.  Rey,  op.  cit  pp.  25  et  55-57  (annexe  n°  8). 


377 


Les  faits  étaient  à  peine  croyables.  Ainsi,  la  société  avait  accompli  toutes  les 
formalités  requises  par  la  loi,  payé  le  prix  d'achat  et  versé  intégralement  les  droits  de 
mutation,  pour  se  voir  dépossédée  au  dernier  moment  par  un  individu  sans  titres  et 
sans  crédit  qui  la  traitait  en  usurpatrice.  Elle  fit  rédiger  un  rapport  circonstancié  sur 
l'affaire  où  elle  établissait  avec  netteté  ses  droits  sur  l'Enfida  et  la  nullité  d'un  droit  de 
préemption  qui  ne  servait  qu'à  camoufler  une  occupation  illégale.  Pour  la  société,  Levy 
n'était  qu'un  homme  de  paille  ;  on  l'avait  poussé  en  avant  en  lui  promettant  200.000 
francs  en  cas  de  succès^^.  Plaidant  cette  cause  avec  vigueur,  Roustan  protestait  auprès 
de  son  collègue  d'Angleterre.  «Le  sieur  Y  Levy...»,  écrivait-il,  «n'est  que  l'agent  salarié 
d'un  groupe  de  certains  personnages  qui  voudraient,  à  la  faveur  d'une  subtilité  de  la 
loi  musulmane,  déposséder  une  société  française  et  acquérir  à  vil  prix  une  importante 
propriété»^^. 

Mais  Reade  soutint  Levy  avec  fermeté.  Après  deux  ans  d'une  pesante  inaction,  il 
trouvait  enfin  une  cause  à  défendre.  Surtout,  l'intervention  de  son  ami  Broadley  allait 
contribuer  à  soulever  les  passions.  Broadley  avait  ses  entrées  au  consulat  ;  il  avait  déjà 
plaidé  pour  Levy.  Pouvait-on  trouver  plus  «belle  affaire»  que  l'Enfida  pour  un  avocat 
besogneux  en  quête  d'argent  et  de  notoriété  ? 

Dès  qu'il  eut  été  chargé  par  Levy  de  la  défense  de  ses  intérêts,  Broadley  mena  grand 
bruit  autour  de  l'affaire.  11  dictait  à  Reade  des  rapports  favorables  à  son  client,  rédigeait 
des  pétitions,  alertait  le  gouvernement  anglais,  les  parlementaires,  la  presse.  Fin  janvier 
1881,  il  décidait  de  partir  pour  l'Angleterre,  laissant  à  son  confrère  et  ami  Pace  le  soin 
d'assister  Levy  à  Tunis. 

A  Londres,  Broadley  redoubla  d'activité  :  exploitant  habilement  la  tension  franco- 
italienne,  cet  avocat  sans  scrupules  mais  non  sans  talent  réussit  à  faire  d'une  médiocre 
affaire  qui  jamais  n'aurait  dû  quitter  le  cadre  local  de  Tunis,  une  question  d'importance 
internationale.  La  cause  d'un  coquin  qui  s'était  vendu  pour  favoriser  une  vilaine  affaire 
d'accaparement,  prit,  grâce  à  lui,  les  proportions  d'une  question  de  principe  sur  la 
défense  de  la  propriété  et  de  l'honneur  du  citoyen  britannique  à  l'étranger. 

Broadley  rédigeait  des  communiqués  pour  les  grands  journaux.  Standard,  Daily 
Telegraph,  Times  surtout,  tantôt  de  brefs  entrefilets  que  signait  l'avocat  défenseur, 
tantôt  des  comptes  rendus  détaillés  où  il  se  dissimulait  sous  l'anonymat  d'un  «résident 
britannique  à  Tunis».  Le  Temps  de  Paris  répondait  au  Times  de  Londres.  Broadley 
soutenait  la  polémique  en  résumant,  en  traduisant  les  arguments  de  l'adversaire  ;  il  la 
faisait  rebondir  par  des  mises  au  point,  des  réfutations  ;  à  l'appui  de  sa  thèse,  il  appelait 
les  articles  parus  dans  la  presse  italienne.  Deux  parlementaires.  Montagne  Guest,  député 
aux  Communes  et  lord  de  la  Warr^^,  avaient  fait  connaissance  avec  Broadley  pendant  un 
séjour  à  Tunis  en  1880.  Ils  s'étaient  tout  naturellement  intéressés  à  l'affaire  Levy  dont 
on  leur  avait  exposé,  au  consulat,  la  version  anglaise.  Pour  nourrir  leurs  interpellations 
ou  leurs  questions  écrites  au  ministère  des  Affaires  étrangères,  Broadley  découpait  des 
articles,  constituait  des  dossiers.  11  rédigea  de  même  pour  le  sous-secrétaire  d'Etat  aux 


27  Ibid.  P  49,  annexe  n°  5  :  extrait  d'une  lettre  de  Moses  Levy  à  un  de  ses  amis  de  Marseille,  dans  laquelle  il 
atteste  que  Benaïad  a  promis  200.000  francs  à  son  frère. 

28  F.  0 . 1 0  2/14  3 .  Roustan  à  Reade.  Tunis,  14  janvier  1881. 

29  GUEST  (Montague-John),  parlementaire  anglais,  né  en  1839,  élu  député  en  avril  1880  par  le  bourg  pourri  de 
Wareham  (Dorset).  Il  siégeait  dans  la  majorité  libérale. 

DE  LA  WARR  (Reginald-Windsor  Sackville-West,  7®  comte  et  13^  baron),  né  à  Londres  en  1817,  membre  de  la 
Chambre  des  Lords  depuis  1873. 


378 


Affaires  étrangères,  sir  Charles  Dilke^°,  un  mémorandum  sur  l'Enfida.  Pour  donner  plus 
de  poids  à  ses  affirmations,  Broadley  fit  imprimer  une  brochure  habilement  présentée 
qu'il  fit  répandre  dans  les  milieux  de  la  presse  et  du  Parlementai.  11  arriva  ainsi,  grâce  à 
un  sens  aigu  de  la  publicité,  à  persuader  une  large  part  de  l'opinion  anglaise  du  bon  droit 
de  la  cause  qu'il  défendait. 

Dans  ses  communications,  Broadley  présentait  Joseph  Levy  comme  un  honnête 
négociant  britannique  qui,  au  nom  d'un  droit  légitime,  souhaitait  acquérir  le  domaine 
de  l'Enfida.  Selon  la  loi,  «en  cas  de  vente  d'un  bien  immeuble,  quiconque  possède  une 
propriété  immédiatement  contigiie  à  celle  qui  est  vendue  peut  exercer  le  droit  de 
préemption  ou  cheffaa  sur  la  propriété  ainsi  vendue  et  peut  en  devenir  légalement 
propriétaire,  en  payant  le  prix  d'achat  stipulé  par  le  vendeur  originel».  Levy  était  voisin 
de  l'Enfida  vendu  par  Khérédine  à  la  Société  Marseillaise,  avait  déclaré  son  intention 
d'exercer  la  cheffaa,  le  3  décembre  1880,  l'avait  formulée  le  12  janvier  1881,  et  complété 
les  formalités  en  se  rendant  à  l'Enfida  dont  il  avait  été  mis  en  possession  ce  même  jour, 
en  présence  de  deux  notaires  et  de  témoins  tunisiens.  Levy  était  entré  dans  la  maison 
d'habitation,  avait  labouré,  semé,  avait  agi  en  propriétaire^^ 

Broadley  passait  cependant  sous  silence  les  clauses  restreignant  l'exercice  de  la 
cheffaa  ;  il  oubliait  de  dire  que  Levy  n'avait  pas  payé  la  première  piastre  du  prix  de 
l'Enfida.  11  pouvait  alors,  non  sans  effronterie,  dénoncer  la  violence  des  acquéreurs 
français  qui  avaient  fait  expulser  par  cinquante  de  leurs  sbires^^  l'intendant  laissé  par 
Levy  ;  il  pouvait  solliciter  l'assistance  du  gouvernement  de  Sa  Majesté  pour  la  défense  de 
la  propriété  et  de  l'honneur  d'un  sujet  britannique. 

Reade,  de  son  côté,  ne  cessait  de  proclamer  la  bonne  foi  de  Levy.  Le  bon  droit 
était  pour  lui  ;  il  appelait  de  tous  ses  vœux  un  jugement  sur  le  fond.  «Tout  ce  qu'on 
demande  cependant,  c'est  que  la  question  soit  laissée  au  jugement  des  tribunaux 
locaux,  où  sans  aucun  doute,  stricte  justice  sera  rendue»^^.  C'était  là,  d'ailleurs,  le 
point  fort  de  son  argumentation.  La  méfiance  manifestée  à  l'égard  des  tribunaux 
tunisiens  par  la  société  française  était,  à  n'en  pas  douter,  la  preuve  de  sa  mauvaise 
conscience.  Elle  ne  récusait  la  justice  du  bey  que  parce  que  le  bon  droit  n'était  pas  de 
son  côté. 

De  fait,  la  Société  Marseillaise  était  dans  une  impasse.  Elle  avait  publié  un  mémoire 
pour  exposer  la  mauvaise  foi  de  ses  adversaires;  elle  avait  obtenu  du  cheik  el  Islam  de 
Constantinople  une  consultation  favorable  à  sa  cause;  sur  le  plan  tunisien,  elle  n'avait 
pas  le  moyen  d'aller  plus  loin.  11  n'y  avait  pour  elle  d'autre  solution  d'attente  que  de 
tolérer  l'occupation  abusive  de  l'Enfida  par  les  gens  de  Levy.  Nos  adversaires,  écrivait 
Chevallier-Rufigny,  «s'efforcent  de  nous  amener  à  les  attaquer  devant  le  tribunal  du 
Charâa  et  à  nous  faire  renoncer  au  bénéfice  de  la  situation  de  défendeurs  qui  nous 
appartient  légalement.» 


30  DILKE  {sir  Charles-Wentrworth),  homme  politique  et  écrivain  anglais  né  et  mort  à  Londres  (1843-1911). 
Député  radical  de  Chelsea,  depuis  1868,  il  accédait  pour  la  première  fois  au  gouvernement  dans  le  2«  cabinet 
Gladstone. 

31  France  and  Tunis.  Londres,  1881,  op.  cit 

32  F.  0.102/143,  pétition  de  Joseph  Levy  à  lord  Granville  (Imprimé),  23  janvier  1881. 

33  Daily  Telegraph  :  The  Tunis  difficulty,  2  février  1881.  Broadley  insistait  sur  le  fait  que  Roustan  s'était  associé 
à  cette  violation  de  domicile  en  dépêchant  le  chancelier  du  consulat  pour  assister  Chevallier-Rufigny  à 
l'Enfida. 

34  F.  0.10  2/  143.  Tél.  à  Granville.  Tunis,  12  février  1881. 

379 


«Défendeurs,  nous  sommes  libres,  selon  la  loi  tunisienne,  de  choisir  notre  rite,  et 
d'opter  pour  le  rite  malékite,  qui  ne  reconnaît  pas  le  droit  de  cheffaa.  Tout  l'échafaudage 
de  nos  adversaires  tombe  devant  cette  situation  légale.  Demandeurs,  dans  une  action 
contre  la  prétendue  cheffaa  exercée  par  le  sieur  Levy,  nous  nous  déclarons  par  cela  même 
hanéfites,  c'est-à-dire  appartenant  au  rite  qui  reconnaît  la  cheffaa,  et  nous  nous  livrons 
à  une  justice  qui  est  pour  nous,  à  l'état  de  suspicion  légitime  et  qu'aucune  illégalité 
n'arrêtera.» 

«Tel  est  le  piège  dans  lequel  on  cherche  à  nous  entraîner  à  la  faveur  des  subtilités 
de  la  loi  musulmane  et  grâce  à  la  complicité  de  toutes  les  autorités  tunisiennes»^^.  En 
effet,  si  le  cadi  hanéfite  de  Tunis  avait  reconnu  à  Levy  la  propriété  de  l'étrange  domaine 
de  Bourmadia,  s'il  l'avait  mis  en  possession  de  l'Enfida  sans  exiger  le  versement  du 
prix  d'achat,  la  société  ne  pouvait  nourrir  aucune  illusion  sur  la  sentence  du  tribunal 
hanéfite.  On  trouverait  sans  doute  dans  le  Coran  des  arguments  nouveaux  pour  justifier 
l'occupation  illégale  du  domaine,  pour  différer  ou  esquiver  le  remboursement  des 
sommes  payées  par  les  Français. 

Les  affaires  devaient  rester  en  l'état  pendant  trois  mois  environ,  Levy  disposant 
de  l'Enfida  sans  l'avoir  payé,  la  Société  Marseillaise  protestant  contre  cette  usurpation, 
sans  engager  cependant  des  pourparlers  judiciaires.  Après  avoir  vainement  tenté  de  se 
persuader  l'un  l'autre  de  la  justesse  de  leurs  points  de  vue,  Reade  et  Roustan  avaient  fini 
par  cesser  toute  communication  sur  ce  sujet.  L'affaire  était  à  son  point  mort  sur  le  plan 
local;  il  ne  restait  plus  aux  consuls  qu'à  en  appeler  à  leurs  gouvernements  respectifs. 

2  -  Les  hésitations  anglaises 

L'affaire  de  l'Enfida  venait  à  point  nommé  pour  créer  une  diversion  dans  les  affaires 
tunisiennes.  Les  Italiens  qui,  plus  que  jamais,  espéraient  faire  épouser  leur  cause  par  les 
Anglais  encourageaient  ceux-ci  à  l'action.  S'ils  affectaient  de  se  tenir  à  l'écart  de  l'affaire 
Levy,  toute  occasion  leur  était  bonne  pour  se  plaindre  des  agissements  de  leurs  rivaux 
et  pour  dénoncer  leur  politique  «envahissante»^^. 

a)  La  politique  tunisienne  de  Granville 

A  Rome,  on  avait  été  quelque  peu  déçu  par  l'attitude  circonspecte  adoptée  par 
Granville  dans  les  affaires  tunisiennes.  Les  invectives  lancées  par  les  libéraux  au 
cours  de  la  campagne  électorale  de  1880  contre  la  politique  étrangère  de  Disraeli 
avaient  laissé  espérer  que  le  changement  de  ministère  entraînerait  un  renversement 
de  la  politique  anglaise.  Revenus  au  pouvoir,  les  libéraux  avaient  dû  renoncer  à  tout 
bouleversement.  Oubliant  leurs  diatribes  électorales,  ils  finissaient  par  se  rallier  à  la 
politique  méditerranéenne  de  leurs  adversaires.  «Au  lieu  de  détruire  le  traité  de  Berlin», 
écrivait  Granville  à  la  Reine,  en  septembre  1880,  «M.  Gladstone  et  ses  collègues  [sont] 


35  A.  E.  Tunis,  vol.  55.  Chevallier-Rufigny  à  Roustan.  Tunis,  10  février  1881,  annexe  à  dép.  de  Roustan  du 
12  février  1881  (D.  D.  R,  13,  n°  193). 

36  F.  0.  45/406.  Tél  de  Mac  Donel  à  Granville.  Rome,  13  août  1880. 

F.  O.  45/407.  Du  même  au  même,  1^^  septembre  1880. 

F.  O.  45/401.  Granville  à  Paget.  Walmer  Castle,  21  et  28  décembre  1880.  -  F.  O.  45/426.  Paget  à  Granville. 
Rome,  19  janvier  1881. 

Selon  Paget,  les  Italiens  étaient  persuadés  que  s'ils  donnaient  «satisfaction  à  l'Angleterre  dans  les  questions 
commerciales,  l'Angleterre  n'abandonnerait  certainement  pas  l'Italie  dans  les  questions  politiques  qui 
l'intéressaient»,  les  affaires  de  Tunisie,  en  particulier  (G.  P.  182.  A  Granville.  Rome,  juin  1880). 

380 


résolus  à  faire  de  leur  mieux  pour  en  exécuter  les  stipulations»^^.  Après  avoir  dénoncé 
comme  déshonorante  l'acquisition  de  Chypre,  les  ministres  libéraux  se  trouvaient  fort 
embarrassés  pour  y  renoncer  sans  «encourager  les  Russes  à  aller  de  l'avant».  Pour 
se  défaire  des  obligations  gênantes  que  la  convention  imposait  à  la  Grande-Bretagne, 
certains  d'entre  eux  songeaient  à  un  rachat  pur  et  simple  de  l'île  à  la  Turquie^®.  Finalement, 
la  crainte  de  la  Russie  décida  le  cabinet  à  se  rallier  à  la  convention.  Dès  lors,  il  devenait 
bien  difficile  de  répudier  l'accord  sur  la  Tunisie  conclu  par  Waddington  et  Salisbury. 
Gladstone  lui-même  devenait  le  reconnaître  un  an  plus  tard  :  «Notre  position  pour 
résister  aux  intrigues  françaises  en  Tunisie...  a  été  terriblement  affaiblie,  premièrement 
par  l'acquisition  de  Chypre...  deuxièmement  par  la  déclaration  de  Salisbury  qui,  je  le 
suppose,  nous  lie^^.» 

Les  hésitations  de  la  politique  anglaise  traduisaient  l'embarras  de  Granville,  assez 
hostile  aux  ambitions  françaises  mais  peu  désireux  cependant  d'encourager  les  Italiens 
à  l'action.  Pendant  la  crise  du  T.  G.  M.,  il  fit  la  sourde  oreille  aux  appels  qui  lui  venaient 
de  Rome  ou  de  Paris,  en  s'efforçant  de  maintenir  une  prudente  neutralité.  11  se  gardait  de 
reconnaître  aux  Français  la  prépondérance  qu'ils  revendiquaient  en  Tunisie  et  refusait 
de  jouer  leur  jeu  en  conseillant  aux  Italiens,  comme  on  le  lui  suggérait  à  Paris,  de  ne  pas 
entraver  la  politique  française  dans  la  Régence.  Mais  il  refusait  pareillement  aux  Italiens 
de  condamner  les  ambitions  françaises  et  faisait  répondre  aux  deux  parties  qu'il  n'était 
pas  en  mesure  de  donner  un  avis  sur  les  différends  qui  les  opposaient  dans  la  Régence^o. 
Finalement,  la  ligne  de  conduite  adoptée  par  Granville  laissait  planer  l'incertitude  la 
plus  complète  sur  les  intentions  réelles  du  gouvernement  britannique  dans  les  affaires 
de  Tunisie. 

11  ne  servait  de  rien  aux  Italiens  d'aligner  en  toute  circonstance  leur  politique 
méditerranéenne  sur  celle  de  l'Angleterre''^.  Ils  se  retrouvaient  seuls  en  Tunisie  devant 
un  rival  mieux  armé.  11  était  vain  d'espérer  résister  à  la  France  sans  alliance.  L'Italie  seule, 
«cela  ne  compte  pas»,  disait  Bismarck  avec  mépris''^.  L'ambassadeur  à  Paris,  le  général 
Cialdini,  déconseillait  avec  vigueur  toute  politique  d'aventures''^.  Ses  avertissements 
furent-ils  entendus  ?  11  put  sembler  en  tout  cas  que  l'Italie  allait  renoncer  à  son  isolement 
pour  se  rapprocher  des  puissances  centrales.  Maffei  et  Malvano  étaient  partisans  d'une 


37  Gladstone  papers,  44.172.  Granville  à  la  Reine  Victoria,  19  septembre  1880. 

38  G.  R  123  et  143,  mémorandum  pour  Gladstone  et  opinion  des  membres  du  cabinet  sur  la  question  de  Chypre, 
mai  1880. 

39  Gladstone  à  Granville,  22  avril  1880  (Fitzmaurice  :  The  life  of  Granville.  London,  1906,  vol.  2,  p.  236). 

40  D.  D.  K,  vol.  3.  Challemel-Lacour  à  Freycinet.  Londres,  12  juillet  1880.  -  F.  O.  27/2432.  Lyons  à  Granville.  Paris, 
8  juillet  1880  -  F.  O.  27/2422  Granville  à  Lyons  F.  O.,  15  juillet  1880. 

«1  said  (to  Menabrea)  that  H  M's  government  were  not  in  a  position  to  make  a  présent  of  Tunis  to  France  or 
to  any  other  Power  :  it  was  a  dependency  of  Turkey.  They  had  no  wish  to  oppose  the  preponderating  exercise 
and  development  of  French  influence  in  that  Regency,  but  I  reserved,  as  my  predecessors  in  office  had  done, 
any  opinion  upon  questions  raised  by  Italy  in  connexion  with  Tunis».  (F.  O.  45/400.  Granville  à  Paget,  F.  O., 
10  juillet  1880  -  Avertissement  de  Mac  Donel  aux  Italiens  :  F.  O.  45/407.  Mac  Donel  à  Granville.  Rome,  1^*^ 
septembre  1880). 

41  En  particulier  dans  les  affaires  de  Monténégro  et  de  Grèce  qui  occupaient  la  diplomatie  européenne  à  partir 
de  juin  1880. 

42  A.  E.  Ail.  vol.  43,  dép.  de  St-Vallier.  Berlin,  2  mai  1881. 

43  «Soutenons  avec  fermeté  le  maintien  du  statu-quo»,  écrivait-il  en  substance,  en  juin  1880,  «défendons  nos 
intérêts  avec  énergie  et  résolution,  mais,  pour  l'amour  du  ciel,  ne  donnons  à  la  France  aucun  prétexte  de 
nous  chercher  une  querelle  d'Allemand...  Mais,  si  un  conflit  avec  la  France  ne  vous  alarme  pas,  si  vous  avez  des 
alliances  sûres,  si...  vous  vous  sentez  décidés  à  résister,  je  n'ai,  pour  ma  part,  plus  rien  à  dire.  Mais,  dans  ce 
cas,  rappelez-moi  de  Paris  et  replacez  moi  à  la  tête  d'un  corps  d'armée  où  ma  présence  sera  plus  utile  qu'ici» 
(Chiala,  op.  cit.  t  2,  p.l49). 


381 


entente  avec  l'Allemagne'^^.  Fin  août  1880,  par  l'intermédiaire  d'un  journaliste  allemand, 
Maffei  fit  entendre  à  Berlin  et  à  Vienne  que  Fltalie  accéderait  volontiers  à  la  Duplice. 
Mais  ces  avances  furent  accueillies  avec  réserve  et  le  projet  n'aboutit  point.  Courant 
septembre,  Maffei  pouvait  le  confirmer  officiellement  à  l'ambassadeur  d'Angleterre^^. 
D'ailleurs,  de  nombreux  hommes  politiques  italiens,  notamment  Depretis,  le  ministre  de 
l'intérieur,  étaient  hostiles  à  tout  changement  de  politique. 

Après  avoir  longuement  disserté  sur  la  question  des  alliances,  les  journaux  de  la 
péninsule,  qu'ils  fussent  les  organes  de  la  majorité  comme  l'officieux  Popolo  Romano,  ou 
ceux  de  l'opposition  de  droite  ou  de  gauche,  comme  l'Opinione  ou  la-Riforma,  s'accordaient 
au  début  d'octobre  pour  conseiller  au  gouvernement  de  conserver  sa  liberté  d'action  et 
de  chercher  à  maintenir  avant  tout  une  bonne  entente  avec  l'Angleterre''^.  A  la  fin  de 
l'année,  on  retrouvait  l'Italie  affectant  de  «trotter  en  toutes  choses  derrière  la  Grande- 
Bretagne»'''',  la  soutenant  dans  les  affaires  de  Grèce  et  d'Orient  comme  pour  se  concilier 
son  appui  dans  celles  de  Tunis.  Mais  ces  variations  de  la  politique  italienne  ne  pouvaient 
qu'inciter  à  la  réserve  les  hommes  d'Etat  anglais.  Lord  Paget  dépeignait  avec  sévérité 
la  confusion  qui  continuait  de  régner  à  Rome,  la  versatilité  des  hommes,  la  nullité  des 
programmes.  Depuis  la  mort  de  Cavour,  l'Italie  n'avait  plus  eu  de  politique  étrangère^». 
Eût-il  été  sage  de  s'appuyer  sur  une  nation  versatile,  sur  un  Etat  faible  qui  pouvait  faire 
défection  à  la  première  occasion  ? 

b)  L'impossible  conciliation  franco-italienne 

Cependant  en  Tunisie,  à  la  crise  de  l'été  1880,  avait  succédé  l'apaisement.  Les 
Français  paraissaient  satisfaits  des  dernières  concessions  beylicales.  A  Paris,  la  chute 
de  Freycinet,  le  10  septembre,  amenait  au  pouvoir  Jules  Ferry  qui  confiait  le  portefeuille 
des  Affaires  étrangères  à  un  vieillard  érudit,  pacifique  et  circonspect,  le  sénateur 
Barthélemy-Saint-Hilaire''®.  Le  moment  eût  été  favorable  à  un  rapprochement  franco- 
italien,  à  un  échange  de  vues  de  sang-froid  sur  le  fond  de  la  question  tunisienne. 

Il  n'était  pas  difficile  de  désavouer  les  initiatives  malheureuses  d'agents  locaux 
trop  impulsifs.  Comme  les  Anglais  l'avaient  fait  remarquer,  les  desseins  avoués  des  deux 
gouvernements  ne  semblaient  nullement  incompatibles^".  Les  Italiens  avaient  toujours 
proclamé  leur  désintéressement  vis-à-vis  de  la  Tunisie.  Ils  revendiquaient  seulement  le 
droit  de  développer  leurs  entreprises  privées,  droit  que  les  Français  ne  leur  contestaient 
point.  Les  Français  prétendaient  à  une  prééminence  politique,  difficile  à  définir  sans 
doute,  mais  qui  paraissait  susceptible  d'accommodements.  Les  actes  désavouaient  trop 


44  A.  E.  Italie,  vol.  59.  Dép.  de  Noailles.  Rome,  2  septembre  1880. 

45  F.  0.45/407.  Tél.  de  Mac  Donel  à  Granville.  Rome,  23  septembre  1880.  M.  Rosi  :  1  Cairoli,  12,  pp.  54/56.  Chiala, 
op.  cit.  p.  178.  Giaccardi  :  La  conquista  di  Tunisi...  Milan,  1940,  pp.  19  7/200  -  Le  26  août  1880,  Cairoli,  Cialdini 
et  Maffei  s'étaient  réunis  à  Belgirate  pour  discuter  des  affaires  tunisiennes  et  de  la  politique  générale  de 
l'Italie.  Selon  Rosi,  les  suggestions  de  Maffei,  après  avoir  emprunté  le  canal  du  journaliste  Grunert  Goerke, 
auraient  été  transmises  à  Bismarck  par  le  prince  de  Reuss,  ambassadeur  à  Vienne. 

46  Chiala,  op.  cit.  t  2,  pp.  178-191.  -  Popolo  Romano,  Opinione,  Diritto,  Piccolo  de  Naples  :  25  août  -15  octobre 
1880.  Commentaires  sur  les  articles  de  la  Neue  Freie  Presse  de  Vienne  (des  1^^  et  14  septembre  notamment), 
favorables  à  un  rapprochement  avec  l'Italie,  et  polémiques  sur  la  question  de  Tunis. 

47  A.  E.  pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  10  janvier  1881. 

48  F.  O.  45/40  7.  Paget  à  Granville  ;  Rome,  16  octobre  1880. 

G.  P.  182  du  même  au  même,  Rome,  7  juin  1880. 

49  Né  en  août  1805,  il  avait  alors  75  ans. 

50  F.  O.  27/2422.  Granville  à  Adams  F.  O.  26  juillet  1880. 

-  F.  O.  45/401.  Granville  à  Mac  Donel.  F.  O.  28  juillet  1880. 


382 


souvent  les  paroles,  il  est  vrai,  l'affaire  du  T.  G.  M.  en  avait  apporté  la  preuve^i.  Si  les 
ministres  étaient  relativement  conciliants,  ils  abandonnaient  à  leurs  subordonnés  le 
soin  des  affaires.  Courcel  comme  Maffei  dirigeaient  la  politique  tunisienne  de  la  France 
et  de  l'Italie  sous  le  nom  de  Freycinet,  Barthélemy-Saint-Hilaire  ou  Cairoii^^ 
ni  l'autre  ne  songeaient  à  traiter  avec  l'adversaire  et  Roustan  comme  Maccio'  pouvaient 
toujours  compter  sur  leur  soutien  actif  pour  la  «guerre  au  couteau»  qu'ils  se  livraient 
sur  le  front  tunisien.  Maffei  crut-il  réellement  que  l'opposition  déclarée  de  Grévy  et  de 
Gambetta^^  empêcherait  indéfiniment  le  gouvernement  français  d'agir  ?  Il  n'est  pas 
douteux  en  tout  cas  qu'il  comptait  fermement  sur  l'Angleterre  pour  arrêter  la  France 
en  cas  d'initiatives  hardies.  Il  pouvait  traiter,  mais  il  n'était  décidé  à  aucune  concession 
sérieuse.  «On  voulait  le  statu  quo  dans  la  Régence,  mais  avec  la  prépondérance  de 
l'influence  italienne»^^.  Partage  de  la  Tunisie  ou  condominium  franco-italien,  les  Italiens 
n'entendaient  pas  aller  au  delà  ;  c'est  avec  cette  ultime  concession  qu'ils  espéraient 
encore  arrêter  les  Français  à  la  fin  d'avril  1881^5. 

Adversaire  de  la  France,  Maffei  voulait  à  tout  prix  l'empêcher  de  s'emparer  de  la 
Régence.  De  toute  l'année  1880,  il  ne  fit  aucune  tentative  sérieuse  de  rapprochement 
ou  même  de  discussion  avec  elle®^.  L'idée  d'un  rappel  simultané  de  Roustan  et  de 
Maccio'  lancée  au  cours  de  l'été,  ne  fut  qu'un  ballon  d'essai  ;  elle  ne  fut  suivie  d'aucune 
proposition  précise^^. 

L'activité  de  Maffei  et  de  Malvano,  leur  ferveur  dans  les  affaires  tunisiennes  ne 
pouvaient  suppléer  à  l'isolement  diplomatique  de  leur  pays.  Faute  de  soutien  extérieur, 
l'Italie  courait  vers  une  aventure  sans  issue.  Comme  le  soulignait  à  juste  titre  Gorrini, 
les  responsables  de  la  politique  italienne  «auraient  dû  comprendre  dès  1878  que  c'était 
seulement  par  une  victoire  militaire  ou  diplomatique  sur  la  République  voisine  qu'ils 
pouvaient  lui  ravir  la  Tunisie^®». 

De  leur  côté,  les  Français  ne  firent  aucun  effort  pour  vider  la  question  par  une 
discussion  amicale  avec  leurs  voisins.  Les  avertissements  donnés  à  l'Italie  ne  pouvaient 
être  que  des  pis-aller.  Courcel  déclarait  sans  ambages  au  gérant  de  l'ambassade  anglaise, 
le  30  septembre  1880,  que  le  gouvernement  français  visait  à  l'annexion  de  la  Tunisie  à 
plus  ou  moins  brève  échéance^^.  N'aurait-il  pu  agir  de  la  même  façon  avec  les  Italiens, 
et,  pour  prévenir  leur  mécontentement,  n'aurait-il  pu  leur  offrir  Tripoli,  comme 


51  «Under  the  guise  of  purely  commercial  opérations,  the  Italian  government  was  pursuing  objects  in  the  main, 
if  not  wholly  political»  (F.  O.  45/401.  Granville  à  Mac  Donel  F.  0.  28  juillet  1880) 

52  Sur  Cairoli  ;  A.  E.  Italie  ;  vol.  58.  Part,  de  Noailles  à  Courcel.  Rome,  9  juillet  1880  ;  G.  P.  182  Part,  de  Paget  à 
Granville.  Rome,  7  juin  1880. 

53  C'est  à  la  fin  de  septembre  que  Grévy  aurait  dit  à  Cialdini  que  «la  question  de  Tunis  ne  valait  pas  un  cigare 
de  deux  sous  et  que  l'amitié  italienne  était  infiniment  plus  chère  et  plus  précieuse  pour  la  France»  (Chiala, 
op.  cit.  t.  2,  p.  201).  Le  19  novembre  1880,  Gambetta  déclarait  à  Dilke  qu'une  entente  franco-italienne  sur  la 
Tunisie  était  nécessaire  et  qu'il  faudrait  la  rechercher  au  moyen  d'un  partage  de  la  Régence  (Gorrini,  op.  cit 
pp.  62  et  106). 

54  Gorrini,  op.  cit  p.47. 

55  A.  E.  Papiers  Noailles.  A  Noailles.  Paris,  1^>^  mai  1881. 

56  Quelques  ouvertures  faites  à  Noailles  au  début  de  1880  par  le  marquis  de  Sant'Onofrio,  chef  de  cabinet  de 
Cairoli,  puis  par  Maffei  (F.  0.102/144.  Paget  à  Granville,  très  confid.  Rome,  16  mars  1881  ;  A.  E.  Italie,  vol.  61 
dép.  de  Noailles.  Rome,  29  janvier  1881). 

57  A.  E.  Pap.  Noailles.  Roustan  à  Noailles,  10  septembre  1880. 

58  Gorrini,  op.  cit,  p.  47. 

59  «He  allowed  that  the  French  government  looked  to  the  ultimate  annexation  of  the  Regency,  but  they  were 
in  no  hurry.  It  could  corne  gradually  in  the  form  of  a  protectorate,  but  it  must  corne»  (G.  P.  175.  Adams  à 
Granville,  1^^^  octobre  1880). 


383 


naguère  Salisbury  avait  offert  Tunis  à  la  France  ?  Les  circonstances  étaient  favorables, 
car  le  gouvernement  italien  cherchait  alors  à  emprunter  650  millions,  pour  assainir  sa 
monnaie  en  mettant  fin  au  cours  forcé  des  billets.  L'Italie  avait  besoin  de  la  bourse  de 
Paris  et  le  gouvernement  français  disposait  d'un  moyen  de  pression  efficace  pour  poser 
la  question  de  Tunis  dans  les  meilleures  conditions®o. 

Mais  l'ambassadeur  à  Rome,  le  marquis  de  Noailles,  hostile  aux  Italiens,  déconseillait 
toute  politique  de  transaction.  Les  Italiens,  assurait-il,  ne  songeaient  qu'à  prendre  la 
succession  de  la  France  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée.  «Toute  concession  que  nous 
leur  ferons  aujourd'hui  leur  servira  de  marchepied  contre  nous  et  ils  deviendront  plus 
exigeants  et  feront  croire  à  tout  le  monde  qu'ils  nous  ont  battus  dans  la  campagne  de  ce 
printemps  ». 

«Il  faut,  selon  moi,  y  aller  très  doucement  avec  Tripoli  et  ne  pas  laisser  croire  d'ores 
et  déjà  à  MM.  les  Italiens  qu'ils  y  sont  les  maîtres...  parce  que  la  Régence  de  Tripoli  est 
sept  ou  huit  fois  plus  grande  que  la  Tunisie  et  n'a  pas  de  frontières  fixes,  ce  qui  amènera 
toutes  sortes  d'ennuis  si  nous  avons  jamais  les  Italiens  pour  voisins  de  ce  côté...  [et  que] 
Tripoli  devant  être  vraisemblablement...  une  compensation  d'avenir,  nous  risquons  de 
nous  mettre  dans  l'embarras  en  parlant  trop  tôt  et  de  n'avoir  plus  de  gâteau  dans  la 
main,  au  jour  donné,  pour  apaiser  les  Italiens»®^. 

Il  est  possible  cependant  que  Courcel  eût  été  plus  généreux.  Mais  il  était  avant  tout 
partisan  d'une  politique  de  fermeté  et  ne  souhaitait  pas  provoquer  de  vaines  discussions 
avec  l'Italie.  Il  ne  croyait  pas  qu'elle  pût  se  résigner  facilement  à  l'annexion  de  la  Tunisie 
et,  s'il  était  sans  doute  acquis  à  l'idée  de  compensations,  il  tenait  à  ce  que  la  France 
allât  de  l'avant  en  conservant  sa  liberté  d'action®^  était  décidé  à  négliger  l'opposition 
italienne,  confiant  qu'il  était  en  l'appui  de  l'Allemagne^^  et  persuadé  que  l'Angleterre  ne 
pouvait  renier  «ses  paroles  trop  positives»  de  1878®"*, 

L'important  d'ailleurs  était  de  décider  le  gouvernement  français.  Mais  les  ministres 
ne  s'occupaient  guère  que  de  politique  intérieure.  Barthélemy-Saint-Hilaire,  distrait 
par  les  questions  orientales,  hésitait  à  se  prononcer.  Persuadé,  lui  aussi,  qu'on  pouvait 
convaincre  le  bey  de  signer  quelque  accord  à  l'amiable,  il  souhaitait  faire  l'économie 
d'une  crise  et  ne  croyait  pas  à  l'urgence  d'une  décision,  car  l'Italie  sans  argent  lui 
semblait  hors  d'état  d'agir  en  Tunisie.  Les  mois  s'écoulaient  en  vain.  Barthélemy- 
Saint-Hilaire  ne  s'occupait  que  de  l'affaire  des  frontières  grecques®^.  Mais  les  Italiens, 
réconciliés  avec  le  bey,  redevenaient  arrogants.  A  la  manifestation  de  Palerme, 


60  «Le  gouvernement  italien  serait  fort  gêné»,  notait  Barth-St-Hilaire,  si  le  marché  officiel  venait  à  lui  être 
fermé»  (A.  E.  Italie,  vol.  61.  Fers,  à  Noailles  ;  Paris,  18  février  1881). 

61  Ibid,  vol.  60.  Part,  de  Noailles  à  Courcel.  Biarritz,  9  octobre  1880. 

62  C'est  ce  qui  ressort  des  mémoires  inédits  de  Courcel  ainsi  que  de  sa  correspondance  particulière  avec 
Roustan,  Noailles  et  Saint-Vallier.  Ce  dernier  d'ailleurs  ne  partageait  pas  l'opinion  de  Noailles  au  sujet  de 
Tripoli.  Il  souhaitait  que  la  France  fît  un  geste  à  l'égard  de  l'Italie  afin  d'apaiser  son  ressentiment  (A.  E.  Ail 
vol.  40.  A  Barth.  St-Hilaire.  Berlin,  10  février  1881). 

Mais  les  circonstances  amenèrent  la  France  à  agir  sans  prévenir  explicitement  l'Italie.  Aussi  les  hommes 
d'Etat  et  les  historiens  italiens  ne  manquèrent-ils  pas  de  relever  avec  amertume  la  mauvaise  foi  de  leurs 
voisins,  l'hypocrisie  de  déclarations  qui  les  avaient  induits  en  erreur  jusqu'à  la  fin  (Gorrini,  op.  cit  «malafede 
francese»,  «fides  punica».  pp.  57-67). 

63  A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol. 167.  Part  de  St-Vallier  à  Courcel,  Berlin,  12  novembre  1880. 

64  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part,  de  Courcel  à  Noailles  ;  Paris,  20  janvier  1881.. 

65  «Depuis  que  Mr  B.  St.  Hilaire  s'est  lancé  dans  sa  proposition  d'arbitrage  européen  entre  la  Turquie  et  la 
Grèce,  cette  affaire  domine  pour  nous  toute  autre  préoccupation,  et  à  vrai  dire,  notre  politique  gravite  autour 
d'elle.»  (A.  E.  Pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  10  janvier  1881). 


384 


le  quai  d'Orsay  fit  répondre  par  une  campagne  de  presse.  Une  dépêche  de  l'agence 
Havas  reproduite  par  tous  les  journaux,  le  11  janvier,  laissa  croire  qu'une  intervention 
française  était  imminente.  Une  lettre  d'Alger,  dont  elle  donnait  le  texte,  exposait  en  effet 
la  nécessité  pour  la  France  d'exercer  sur  la  Régence  «un  protectorat  effectif...  condition 
indispensable  de  la  sécurité  de  l'Algérie».  «Qui  touche  à  la  Tunisie  touche  à  la  France», 
concluait  l'éditorialiste  du  Temps,  le  même  jour^^. 

Les  Italiens,  émus,  se  hâtèrent  de  faire  des  sondages  en  vue  de  compensations 
éventuelles^^.  Mais  l'alerte  fut  de  courte  durée.  Enhardis  par  l'irrésolution  française,  ils 
revinrent  bien  vite  à  leurs  projets  et  continuèrent  de  contrecarrer  les  entreprises  de 
leurs  adversaires.  Lentement,  mais  sûrement,  la  situation  se  dégradait.  Bismarck  pouvait 
se  moquer  de  ses  voisins.  «Les  Français»,  disait-il  en  janvier,  «oublient  en  ce  moment  la 
morale  de  la  fable  et  lâchent  la  proie  pour  l'ombre  ;  ils  jettent  aux  moineaux  grecs  la 
poudre  qu'ils  devraient  réserver  pour  le  pigeon  tunisien.  Par  faiblesse,  par  indécision, 
par  crainte  de  prendre  un  parti  résolu,  ils  font  depuis  trois  ans  une  grave  faute  politique. 
S'ils  avaient  été  sages  et  avisés,  ils  auraient  clos  et  terminé  la  question  tunisienne  aussi¬ 
tôt  après  le  Congrès  de  Berlin»^^  Saint-Vallier  de  renchérir  :  «il  est  pitoyable  vraiment 
qu'ayant  sur  les  bras  une  affaire  comme  celle  de  Tunis,  nous  nous  soyons  embarqués 
comme  des  étourneaux  dans  la  campagne  perdue  d'avance  de  l'arbitrage...  Et  tout 
cela  en  Grèce  pour  un  intérêt  humanitaire  à  la  Don  Quichotte,  quand  nous  aurions  dû 
concentrer  toutes  nos  forces  pour  un  intérêt  vital  comme  celui  de  Tunis»^® 

c)  La  crise  de  l'Enfida 

Les  avertissements  de  Bismarck  étaient  fondés.  Déjà  en  Tunisie,  des  difficultés 
nouvelles  menaçaient  la  France.  Le  parti  italo-tunisien  avait  soulevé  la  querelle  de 
l'Enfida,  entraîné  Levy,  Broadley,  le  consulat  d'Angleterre  ;  il  essayait  d'obtenir  l'appui 
du  cabinet  de  Londres. 

Mais  celui-ci  connaissait  alors  trop  d'embarras  en  Irlande,  au  Transvaal  et  dans 
l'Afghanistan  pour  souhaiter  se  créer  des  difficultés  nouvelles  avec  la  France^®.  En  dépit 
de  l'agitation  de  Reade  et  de  Broadley,  le  Foreign  Qffice  conservait  une  attitude  réservée 


66  Temps,  11  janvier  1881  :  Bulletin  du  jour,  l'Algérie  et  la  Tunisie  (On  écrit  d’Alger,  le  5  janvier...}. 

67  A.  E.  Italie  ;  vol.  61.  Tél.  Part  et  confid.  de  Noailles.  Rome,  17  janvier  1881. 

68  «J’avais  cru  M.  Waddington  plus  résolu  et  plus  pratique,  mais  il  a  voulu  jouer  au  puritanisme  en  faisant 
étalage,  à  son  retour  en  France,  de  son  mot  des  mains  nettes  auquel,  s’il  avait  été  habile,  il  aurait  préféré 
celui  des  mains  libres.  Il  a  donc  laissé  passer  le  temps,  un  temps  précieux,  où  tout  conspirait  pour  lui,  et  il 
s’est  quelque  peu  noyé  dans  la  fumée  des  vins  grecs,  capiteux  et  ne  rapportant  rien.  Chaque  fois  qu'il  m'a  fait 
parler  de  Tunis  par  Holenhohe  ou  Saint-Vallier,  j'ai  tenu  le  même  langage  que  lors  du  Congrès  et,  quand  il 
m’a  demandé  de  détourner  la  rapacité  italienne  vers  Tripoli,  je  l'ai  fait  aussitôt  ;  il  est  tombé  finalement  sans 
avoir  rien  exécuté». 

«Freycinet  n’a  été  ni  plus  sage  ni  plus  clairvoyant  ;  il  s’est  même  montré  beaucoup  plus  faible.  Waddington 
avait  au  moins  maintenu  le  statu  quo  ;  Freycinet  a  perdu  du  terrain  et  laissé  prendre  par  l'adversaire  de 
fortes  positions.  Cela  a  encouragé  les  Italiens  qui  sont  devenus  plus  audacieux  et  plus  insolents  ;  c'est  leur 
nature  d'être  hardis  conre  les  timides  et  humbles  devant  les  résolus  ;  il  y  a  trois  mois,  le  gouvernement 
français  paraissait  à  bout  de  patience  et  laissait  entendre  qu'il  allait  prendre  son  parti;  il  n’a  pris  qu'un 
nouveau  délai.  -  Aujourd'hui,  il  ne  fera  pas  davantage  ;  il  boira  l’amertume  de  la  mission  de  Palerme  et  il 
agira  si  bien  qu'un  beau  jour  il  se  réveillera  de  sa  torpeur  et  de  son  indécision  avec  un  cordon  de  troupes 
italiennes  sur  sa  frontière  algérienne  ;  en  politique  comme  au  jeu,  il  faut  saisir  les  occasions  ;  les  Français  ont 
eu  trois  ans  à  eux  pour  en  profiter,  ils  n'ont  pas  su  le  faire.  Les  belles  cartes  ont  changé  de  main,  c'est  l'Italie 
qui  les  tient  aujourd'hui».  (A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol.  167.  St-Vallier  à  Barth.  St.  Hilaire,  très  confid.  Berlin, 
15  janvier  1881). 

69  Ibid.  Part,  de  St-Vallier  à  Courcel.  Berlin,  22  janvier  1881. 

70  La  brigade  irlandaise  retournait  contre  le  cabinet  Gladstone  la  politique  d'obstruction  parlementaire  qui 
avait  paralysé  l'action  de  Disraeli  pendant  les  derniers  mois  de  son  grand  ministère. 


385 


et  ne  manifestait  nullement  le  désir  de  s'engager.  Dès  le  début,  Granville  s'en  était  tenu 
à  des  conseils  de  prudence.  11  souhaitait  garder  à  l'affaire  son  caractère  local  et  attendait 
d'être  mieux  informé  pour  pouvoir  exprimer  une  opinion. 

Or,  très  vite,  il  apparaissait  aux  dirigeants  britanniques  que  le  bon  droit  de  Levy  était 
difficile  à  soutenir.  L'ambassadeur  à  Paris,  lord  Lyons,  ne  dissimulait  pas  son  scepticisme 
et  redoutait  que  l'affaire  de  l'Enfida  ne  devînt  une  autre  affaire  don  Pacifico.  Les  intérêts 
anglais  en  Tunisie,  écrivait-il  à  Granville  le  18  janvier,  «ne  valent  pas  une  querelle  ou 
même  un  refroidissement  dans  nos  relations  avec  la  France».  L'essentiel,  pour  lui,  était 
«d'éviter  que  la  question  tunisienne  ne  devînt  une  pierre  d'achoppement  sur  la  voie  des 
bonnes  relations  avec  [elle]»^!.  Le  sous  secrétaire;  d'Etat  adjoint  aux  Affaires  étrangères, 
Pauncefote^^^  était  plus  tranchant  :  «Peut-on  dire  que  M.  Levy  ait  un  intérêt  de  bonne 
foi  et  que  ses  façons  d'agir  ne  sont  pas  des  vexations  ?  11  est  établi  qu'il  n'est  qu'un 
instrument  dans  les  mains  du  parti  italien  à  Tunis,  pour  faire  échec  aux  intérêts  français, 
en  empêchant  la  cession  de  cet  important  domaine  à  la  Société  Marseillaise.  Celle  ci  était 
la  première  en  course,  elle  a  versé  l'argent.  C'est  un  mauvais  tour  joué  de  la  part  des 
Italiens,  et  selon  toutes  probabilités,  c'est  le  gouvernement  italien  qui  a  fourni  l'argent, 
comme  il  l'a  déjà  fait  pour  le  chemin  de  fer  de  La  Goulette.  Ils  seraient  doublement 
satisfaits  de  nous  entraîner  dans  leur  querelle  avec  la  France  au  sujet  de  Tunis.  Bien  que 
Levy  puisse,  peut  être,  avoir  la  loi  de  son  côté,  il  me  semble  que  le  gouvernement  de  la 
Reine  peut,  à  juste  titre,  refuser  de  l'assister,  quand  il  joue,  contre  la  France,  les  cartes  de 
l'Italie,  quelle  que  soit  la  récompense  qu'il  puisse  en  espérer  pour  cela^^»  «je  ne  suis  pas 
persuadé  que  M.  Levy  ait  entièrement  raison»,  écrivait  Granville  lui-même^'*  qui  jugeait 
insuffisantes  voire  partiales  les  explications  fournies  par  le  consul  à  Tunis. 

Dans  ces  conditions,  le  Foreign  Secretary  ne  pouvait  qu'accueillir  avec  faveur  les 
suggestions  françaises  de  dessaisir  les  agents  locaux  pour  faire  étudier  l'affaire  par  les 
deux  gouvernements.  Le  17  janvier  1881,  Barthélemy-Saint-Hilaire  s'en  était  ouvert  à 
lord  Lyons  qui  donnait  son  approbation.  Il  chargea  alors  l'ambassadeur  à  Londres  d'en 
entretenir  le  Foreign  Office.  Le  31  janvier,  Granville  et  Challemel-Lacour  tombaient 
d'accord  sur  la  nécessité  d'ajourner  la  discussion  jusqu'à  l'arrivée  d'informations  plus 
complètes.  Mais,  comme  le  faisait  remarquer  Granville  le  2  février,  il  était  essentiel 
«qu'aucune  des  parties  ne  fasse  rien  qui  puisse  ajouter  à  la  difficulté  de  régler 
l'affaire^^». 

C'est  alors  qu'une  malencontreuse  tentative  d'intimidation  de  la  part  de  la  France 
faillit  tout  remettre  en  question.  Barthélemy-Saint-Hilaire  qui  s'était  décidé  à  en  finir  avec 
les  affaires  de  Tunisie  avait  soutenu  en  conseil  des  ministres,  le  29  janvier,  la  nécessité 
d'une  intervention  en  force  dans  la  Régence.  Mais  ses  collègues  ne  l'avaient  pas  suivi.  À 
défaut  de  mesures  plus  vigoureuses,  ils  s'étaient  ralliés  à  l'envoi  d'un  cuirassé  dans  les 
eaux  tunisiennes.  A  Constantinople,  le  bruit  courait  que  le  sultan  s'apprêtait  à  déposer  le 


71  G.  P.  171.  Part,  de  Lyons  à  Granville.  Paris,  18  janvier  1881. 

72  PALINCEPOTE  (sir  Julian),  diplomate  anglais,  né  à  Preston  Court  (Gloucestershire],  en  1828,  mort  en  1902. 
Il  était  sous-secrétaire  d'Etat  adjoint  aux  Affaires  étrangères  depuis  juillet  1876,  et  devint  sous-secrétaire 
d'Etat  permanent  en  1882. 

73  F.  0.  de  102/143.  Note  de  Pauncefote  sur  la  pétition  de  Levy  à  Granville  du  23  janvier  1881. 

74  «Il  lui  serait  interdit  d'exercer  son  droit  de  préemption  par  la  précaution  prise  par  Khérédine  Pacha,  de  se 
réserver  un  espace  encerclant  la  propriété,  de  façon  à  empêcher  la  partie  vendue  de  devenir  contiguë  de 
toute  autre  propriété.  M.  Reade  ne  répond  pas  là-dessus...»  (F.  0.102/143.  Note'de  Granville  sur  la  dépêche 
de  Reade  du  17  janvier  1881). 

75  A.  E.  Angl.  vol.  789.  Dép.  de  Challemel-Lacour.  Londres,  2  février  1881. 


386 


bey  et  réunir  la  Régence  à  ses  Etats  pour  nommer  comme  pacha  son  ancien  grand  vizir 
Khérédine^®.  Ces  rumeurs  peu  fondées  pouvaient  servir  de  prétexte,  mais  la  raison  réelle 
de  l'envoi  du  Friedland,  le  plus  puissant  bâtiment  de  l'escadre  de  Méditerranée,  n'était 
autre  que  l'affaire  de  l'Enfida,  Barthélemy-Saint-Hilaire  devait  innocemment  l'avouer  à 
lord  Lyons^^. 

Croyait-on  à  Paris  que  le  bey  se  hâterait  de  satisfaire  aux  réclamations  de  la 
Société  Marseillaise  ?  Mais  comment  espérer  que  Granville  pourrait  tolérer  une  telle 
provocation,  au  moment  même  où  il  convenait  avec  les  Français  de  suspendre  toute 
action  en  Tunisie  ?  L'idée  venait  du  ministre.  Courcel  lui-même  avait  peine  à  cacher  son 
scepticisme  sur  l'opportunité  d'une  telle  démonstration^®. 

Comme  il  fallait  s'y  attendre,  la  riposte  anglaise  fut  vive.  Si  le  Friedland  n'était  pas 
immédiatement  rappelé,  écrivait  Granville,  le  3  février,  le  gouvernement  de  Sa  Majesté, 
tout  en  regrettant  une  décision  qui  pouvait  laisser  croire  à  tort  à  un  refroidissement 
dans  les  relations  franco-anglaises,  se  trouverait  dans  la  nécessité  d'envoyer  une 
escadre  devant  Tunis^®.  Barthélemy-Saint-Hilaire  alors,  de  nier  que  l'envoi  du  Friedland 
eût  le  moindre  rapport  avec  l'affaire  Levy.  Démentant  les  paroles  qu'il  avait  prononcées 
la  veille  devant  lord  Lyons,  le  4  février,  il  assurait  que  la  démonstration  française  avait 
uniquement  pour  but  de  prévenir  une  menace  turque  contre  la  Régence.  Le  séjour  du 
Friedland,  d'ailleurs,  serait  de  courte  durée,  car  le  danger  turc  semblait  «moins  prochain 
qu'on  n'avait  été  autorisé  à  le  croire».  Le  cabinet  de  Londres  pouvait  donc  se  rassurer 
et  renoncer  à  une  démonstration  navale  «sur  le  caractère  comminatoire  de  laquelle  il 
serait  pénible  au  gouvernement  français  d'insister®o.» 

Mais  Granville  n'entendait  pas  se  contenter  d'une  réponse  aussi  «vague».  Piqué  de 
n'avoir  pu  faire  dérouter  le  Friedland,  il  voulut  rendre  coup  pour  coup.  À  défaut  d'une 
escadre,  il  demanda  au  premier  ministre,  le  4  février,  l'envoi  d'un  ou  deux  navires  devant 
La  Goulette.  Gladstone  qu'avait  irrité  «la  sotte  escapade  des  Français»  y  consentit 
aussitôt  sans  même  réunir  le  cabinet®^.  Le  lendemain,  l'amirauté  dépêchait  le  cuirassé 
Thunderer.  «Nous  ne  voulions  pas  interdire  aux  Français  l'accès  de  la  Tunisie»  assurait  le 
sous-secrétaire  d'Etat,  Sir  Charles  Dilke,  «mais  nous  ne  pouvions  accepter  qu'on  se  serve 
de  cuirassés  pour  obliger  les  cours  de  justice  tunisiennes  à  prononcer  des  décisions 
hostiles  à  des  sujets  britanniques®^». 


76  A.  E.  Turquie  vol.  444.  Tel.  de  Tissot.  Péra.  28  Janvier  1881.  -  Le  fils  de  Khérédine  devait  protester  avec 
énergie  contre  les  intentions  prêtées  à  son  père  par  la  diplomatie  française. 

77  G.  P.  171  Part,  de  Lyons  à  Granville.  Paris.  4  février  1881. 

Il  fit  la  même  déclaration  au  général  Cialdini  qui,  dans  sa  dépêche  ajoutait  :  «C'est  un  brave  homme  qui  ne 
sait  pas  mentir»  (Gorrini  op.  cit  p.  63). 

78  A.  E.  Pap.  Noailles.  Courcel  à  Noailles.  Paris,  30  janvier  1881. 

On  pouvait  admettre  que  Barthélemy-Saint-Hilaire  eût  fait  adopter  cette  décision  au  conseil,  le  29  janvier, 
alors  qu'il  ignorait  encore  les  termes  de  l'accord  passé  entre  Challemel-Lacour  et  Granville.  On  ne  saurait 
l'excuser  d'avoir  persévéré  dans  les  jours  qui  suivirent.  L'ambassadeur  à  Rome,  le  marquis  de  Noailles, 
était  d'avis,  lui  aussi,  que  le  ministre  avait  «embrouillé»  une  affaire  qu'il  n'avait  jamais  vraiment  comprise. 
(F.  0.102/144.  Paget  à  Granville.  Rome,  25  mars  1881). 

79  A.  0.  TIV.  Granville  à  Lyons,  3  février  1881. 

«Faut-il  qu'on  nous  croie  impuissants  à  vouloir,  impuissants  à  agir  pour  qu'un  ministre  timide  comme 
Granville,  pour  qu'un  membre  de  ce  cabinet  Gladstone  quia  sur  les  bras  l'Irlande,  le  Transvaal  et  l'Afghanistan 
ose  tenir  un  pareil  langage  à  notre  ambassadeur  !» 

(A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol.  167.  Part  de  St-Vallier  à  Barth.  St-Hilaire.  Berlin,  19  février  1881). 

80  A.  E.  angl.  vol.  789.  Note  confid.  remise  à  Lyons,  le  4  février  1881  (D.  D.  F.,  t.  3,  n°  363). 

81  G.  P.  124.  Granville  à  Gladstone  et  Gladstone  à  Granville,  4  février  1881.  -  G.  P.  143.  Note  de  Granville,  5  février 
1881. 

82  Gwynn  et  Turkwel  :  The  life  of...  Sir  Charles  Dilke.  Londres  1917,  vol.  1,  p.  380. 


387 


«Nous  avons,  hélas,  beaucoup  trop  peu  ménagé  les  Anglais  depuis  quelques  mois», 
notait  avec  amertume  le  baron  de  Courcel.  «Le  torrent  de  l'opinion  publique  déchaîné 
en  France  contre  la  politique  philhellène  de  M.  Gladstone,  nous  a  entraînés  un  peu  loin, 
et  nos  alliés,  se  voyant  abandonnés  par  nous  dans  une  affaire  qui  leur  tenait  à  cœur,  se 
sont  vengés  en  nous  touchant  à  notre  endroit  sensible»®^.  Les  tentatives  d'intimidation 
françaises  avaient  échoué.  11  ne  restait  à  Barthélemy-Saint-Hilaire  qu'à  capituler.  Le 
8  février,  il  annonçait  le  départ  du  Friedland  ;  celui  du  Thunderer  suivit  alors  sans 
tarder. 

Le  succès  britannique  ne  résolvait  rien  cependant,  car  le  rappel  des  navires 
laissait  entière  l'épineuse  question  de  l'Enfida.  Allait-on  laisser  aux  tribunaux  tunisiens 
le  soin  de  régler  l'affaire,  comme  Dilke  le  déclarait  à  la  Chambre  des  Communes,  le  7 
février  ?  Barthélemy-Saint-Hilaire  protestait  aussitôt  :  «Quant  à  remettre  la  question 
à  la  juridiction  locale,  dans  les  circonstances  actuelles,  autant  vaudrait  abandonner  la 
partie  tout  de  suite...  [La  Société  Marseillaise]  serait  certainement  dépouillée  de  tous  ses 
droits  si  elle  était  obligée  de  s'en  remettre  à  l'appréciation  de  ces  mêmes  autorités®^». 
En  définitive,  c'était  à  un  arbitrage  «impartial»  que  le  gouvernement  français  entendait 
remettre  le  soin  de  trancher  de  la  question.  Malgré  qu'il  en  eût,  Granville  se  voyait  amené 
peu  à  peu  à  se  rapprocher  de  ce  point  de  vue.  11  doutait  de  plus  en  plus  de  la  bonne  foi  de 
Levy  et  cherchait  vainement  une  solution  qui  pût  présenter  des  garanties  d'équité.  Pour 
essayer  de  concilier  les  affirmations  contraires  de  Reade  et  des  Français,  il  demandait 
consultation  sur  consultation  au  conseil  juridique  de  la  Couronne.  Mais,  faute  de  textes 
précis,  le  chancelier  lui-même  devait  avouer  son  impuissance  à  décider  des  questions 
les  plus  difficiles.  Si  l'affaire  leur  semblait  relever  d'une  cour  consulaire,  les  juristes 
anglais  admettaient  en  définitive  qu'il  était  préférable  de  faire  régler  la  contestation  par 
un  arbitrage  indépendant®^. 

La  négociation  s'éternisait  sans  progresser.  Granville  se  voyait  harcelé  par  la  presse, 
par  les  interpellations  parlementaires®®,  les  démarches  de  la  France  et  même  de  l'Italie  qui 
s'efforçait  toujours  de  brouiller  les  affaires  de  sa  rivale.  Le  Foreign  Secretary  ne  cherchait 
pas  à  dissimuler  son  embarras.  Avec  plus  de  persévérance  que  de  bonheur,  il  tentait 
de  définir  une  ligne  de  conduite  cohérente  :  défendre  les  droits  de  Levy  sans  préjuger 
du  fond  de  la  question,  agir  auprès  de  la  France  sans  réveiller  une  rivalité  lancinante. 
Le  gouvernement  anglais,  disait-il  à  Menabrea  le  4  février,  entendait  «maintenir  une 
séparation  complète  entre  l'affaire  Levy  et  les  autres  problèmes  tunisiens»®^.  Bien 
qu'à  plusieurs  reprises,  il  eût  fait  état  d'une  suzeraineté  ottomane  sur  la  Régence,  le 
11  février,  Granville  refusait  tout  net  aux  Italiens  de  faire  intervenir  le  sultan  dans  les 
affaires  tunisiennes.  Reade  chantait  victoire  depuis  l'apparition  du  Thunderer.  Granville 
s'efforçait  en  vain  de  le  calmer.  «Je  crains  qu'il  n'ait  été  trop  impulsif»,  écrivait-il  à  Lyons, 


83  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  20  février  1881  (D.  D.  t.  3,  n  384,  p.  365). 

84  A.  E.  angl.  vol.  789  Dép.  de  Barth.  St.  Hilaire.  Paris,  11  février  1881. 

85  F.  0.10  2/  144.  Law  officers  à  Granville.  Temple,  3  mars  (imprimé)  et  8  avril  1881. 

86  Drummond  Wolf  et  Montagne  Guest,  le  21  février  ;  Montague  Guest,  le  10  mars  ;  lord  de  la  Warr  et  lord 

Stanley,  le  25  mars  ;  Montague  Guest  encore,  le  5  avril,  et  lord  de  la  Warr,  le  7. 

Les  démarches  de  Guest  n'étaient  sans  doute  pas  désintéressées.  Noailles  y  voyait  un  intérêt  familial.  «Il 
est  probable  que  l'ambassadeur  d'Angleterre  Paget  va  être  déplacé.  Ceci  est  encore  une  intrigue  de  Maffei. 
On  veut  donner  son  poste  à  Layard.  Il  y  a  de  l'Enfida  dans  l'affaire.  Guest  est  le  beau-frère  de  Layard.  Maffei 
lui  a  promis  d'appuyer  sa  nomination  à  Rome,  s'il  faisait  appuyer  à  la  Chambre  des  Communes  l'affaire 
de  l'Enfida,  et  vous  avez  vu  que  c'est  Guest  qui  interrogeait  à  chaque  instant»  (A.  E.  Italie,  vol.  62.  Part  de 
Noailles  et  Courcel.  Rome,  9  avril  1881). 

87  F.  O.  45/424.  Granville  à  Paget.  F.  O.,  4  février  1881. 


388 


le  10  février.  «Je  souhaiterais  qu'il  n'eût  jamais  été  envoyé  à  Tunis»,  ajoutait-il  encore, 
un  mois  plus  tard®®. 

Mais,  en  dépit  des  réticences  du  ministre,  il  était  visible  qu'en  continuant 
d'intervenir  dans  l'affaire  Levy,  la  Grande-Bretagne  ne  pouvait  manquer  de  faire  figure 
d'adversaire  de  la  France  et  de  jouer  par  conséquent  le  jeu  des  Italiens.  Les  hésitations 
de  la  politique  anglaise  finissaient  par  donner  aux  Français  l'impression  d'une  mauvaise 
volonté  concertée.  «Je  vous  ai  dit  et  je  vous  répète  que  le  gouvernement  anglais  est  notre 
adversaire  à  Tunis»,  écrivait  avec  amertume  Challemel-Lacour®®.  Et  Courcel  de  noter,  le 
20  février,  «la  politique  Maffei-  Malvano  triomphe  en  ce  moment.  Les  Italiens  ont  le  bon 
esprit  de  s'effacer  modestement  et  de  laisser  le  devant  de  la  scène  aux  Anglais.  Leurs 
persévérants  efforts  depuis  un  an,  leur  constant  sacrifice  de  toute  autre  considération 
à  l'alliance  anglaise,  leur  humble  subordination,  leurs  sollicitations  incessantes  sont 
couronnées  du  succès  qu'ils  recherchaient®®». 

Aussi,  après  avoir  longtemps  tergiversé,  lord  Granville  finit-il  par  se  retirer 
purement  et  simplement  du  débat  en  faisant  décider,  le  21  avril,  que  le  gouvernement 
anglais  n'avait  point  à  intervenir  dans  un  différend  d'ordre  privé.  -  mesure  de  prudence 
que  lui  conseillait  depuis  longtemps  lord  Lyons  lorsqu'il  lui  suggérait  non  sans  verdeur 
de  se  «laver  les  mains  de  toute  l'affaire®^». 

Mais  déjà  les  troupes  françaises  entraient  en  Tunisie.  La  décision  de  Granville 
venait  trop  tard  pour  avoir  quelque  influence.  Les  Français  auraient  bientôt  d'autres 
moyens  de  régler  l'affaire  de  l'Enfida®^,  comme  l'affaire  des  chemins  de  fer,  l'affaire  du 
Crédit  foncier  et  l'ensemble  de  leurs  problèmes  tunisiens.  «Ainsi  que  Granville  l'avait 
prévu,  le  «gâchis  de  l'Enfida»  avait  laissé  «un  goût  amer  dans  la  bouche  des  Français». 
Le  gouvernement  français  avait  eu  l'impression  que  Granville,  après  avoir  affecté  une 
attitude  de  neutralité  peu  bienveillante  à  l'égard  des  prétentions  françaises,  malgré  les 
assurances  données  dans  le  passé  par  Salisbury,  en  venait  maintenant  à  contester  la 
suprématie  de  la  France  à  Tunis.  Il  était  persuadé  que  l'affaire  de  l'Enfida  avait  été  le 
fruit  d'une  intrigue  italienne  pour  soulever  des  difficultés  entre  la  France  et  la  Grande- 
Bretagne,  intrigue  qui,  grâce  à  l'appui  de  Reade,  avait  obtenu  un  certain  succès.  Si  l'on 
voulait  préserver  les  positions  françaises  à  Tunis,  il  était  temps  d'agir  avec  énergie, 
pensait-on  à  Paris.  Les  hésitations  qui  étaient  apparues  dans  la  politique  de  Granville 


88  G.  P.  202.  Part  de  Granville  à  Lyons.  F.  0.  10  février  et  16  mars  1881.  En  février  arrivait  à  Tunis  une 

correspondante  du  Standard  de  Londres.  «Quel  métier...»,  soupirait  Roustan,  «de  lutter  ici  contre  cette 

vieille  folle  d'Anglaise  qui  est  venue  se  joindre  à  tous  nos  adversaires.  Il  me  manquait  encore  cela  !  Elle  est 
immédiatement  informée  par  Mustapha  de  toutes  nos  conversations  soit  avec  lui,  soit  avec  le  bey»  (A.  E. 
Tunis,  vol.  56.  Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  1^'  Mars  1881). 

89  A.  E.  Angl.,  vol.  789.  Part,  de  Challemel-Lacour  à  Barth.-St-Hilaire.  Londres,  14  février  1881.  (D.  D.  F.  t.3, 
n°  375,  p.  358). 

90  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part,  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  20  février  1881  [D.  D.  F.,  13,  n  384,  p.365). 

91  G.  P.  171.  Part,  de  Lyons  à  Granville.  Paris,  25  février  1881. 

92  Après  la  signature  du  traité  de  protectorat,  la  Société  Marseillaise  put  retourner  contre  Levy  la  tactique 
d'intimidation  qui  lui  avait  si  bien  réussi  jusqu'alors.  Le  gouvernement  britannique  fut  amené  à  prendre  sa 
défense  à  nouveau,  bien  qu'une  enquête  menée  sur  place  par  un  consul  juge  anglais  eût  démontré  l'inanité 
de  ses  prétentions  initiales  au  fameux  droit  de  cheffaa. 

Les  dirigeants  de  la  société  finirent  par  se  rallier  à  une  transaction  que  suggéraient  depuis  longtemps 
les  diplomates  anglais.  En  mai  1882,  ils  rachetèrent  pour  220.000  piastres  les  propriétés  de  Levy  et 
sa  renonciation  au  droit  de  cheffaa.  Là-dessus,  Levy  mourait  et  sa  veuve  avouait  ne  point  posséder  les 
1  000  hectares  stipulés  dans  la  transaction.  Assignée  pour  dol  devant  le  tribunal  de  Tunis,  elle  s'y  entendit 
condamner  à  restituer  les  sommes  que  son  mari  avait  indûment  perçues  (2  juin  1884).  L'affaire  de  l'Enfida 
était  bien  terminée  (J.  Ganiage,  op.  cit  R.  Afr.  1955,  pp.  365-378). 


389 


depuis  février,  sa  lenteur  à  prendre  une  position  définitive,  ses  repentirs  même,  tous 
ces  éléments  pouvaient  d'ailleurs  permettre  à  la  diplomatie  française  d'escompter  que 
l'entreprise  tunisienne  se  heurterait  à  Londres,  dans  la  pire  des  hypothèses,  à  une  attitude 
de  neutralité  bougonne.  La  politique  réticente  de  Granville  donnait  au  gouvernement 
français  assez  de  motifs  d'inquiétude  pour  lui  faire  désirer  de  hâter  son  intervention 
dans  la  Régence,  sans  impliquer  des  menaces  suffisantes  pour  l'amener  à  renoncer  à 
l'opération  tunisienne®^». 

3  -  L'intervention  française 

Depuis  la  fin  de  mars,  en  effet,  la  décision  française  était  prise.  Les  provocations 
italiennes,  la  crise  de  l'Enfida  venant  avec  l'effondrement  de  l'influence  française 
dans  la  Régence,  avaient  précipité  les  événements.  Repoussée  en  janvier,  l'idée  d'une 
expédition  à  Tunis  était  reprise  en  mars  par  un  gouvernement  qui  se  souciait  alors  bien 
plus  d'élections  que  de  politique  internationale.  Mais,  plus  qu'à  Jules  Ferry  ou  même 
Barthélemy-Saint-Hilaire,  le  mérite  en  revenait  au  directeur  des  affaires  politiques  au 
quai  d'Orsay,  le  baron  de  Courcel. 

a)  L'action  de  Courcel 

Il  y  avait  près  de  trois  ans  que,  comme  suppléant  d'abord,  puis  comme  successeur 
de  Desprez  à  la  tête  de  la  direction  politique,  Courcel  avait  été  amené  à  s'occuper  des 
affaires  tunisiennes.  Après  le  départ  de  Desprez  et  la  chute  de  Waddington  en  1879, 
c'était  presque  exclusivement  à  lui  qu'était  revenu  le  soin  de  traiter,  avec  Roustan  comme 
avec  les  ambassades,  d'une  question  qui  intéressait  visiblement  peu  de  Freycinet.  Les 
diplomates  étrangers  appréciaient  en  Courcel  une  franchise,  une  décision  qui  n'excluaient 
pas  un  sens  réel  de  la  conciliation.  «Il  a  l'esprit  clair,  une  bonne  mémoire,  connaît  bien 
son  sujet»,  écrivait  le  gérant  de  l'ambassade  anglaise.  «C'est  certainement  le  meilleur 
homme  d'affaires  avec  lequel  j'aie  jamais  eu  à  traiter»®"*. 

Dès  le  début,  Courcel  avait  pris  en  main  l'affaire  tunisienne  avec  la  ferme  volonté 
d'aboutir.  Le  Congrès  de  Berlin  avait  ramené  la  France  dans  le  concert  des  grandes 
puissances.  Il  fallait  profiter  de  la  bonne  volonté  de  Bismarck  pour  traduire  dans  les 
faits  les  suggestions  de  Salisbury.  Le  moment  était  venu  de  renoncer  à  la  politique  de 
recueillement.  Mais,  pour  réhabituer  le  pays  «à  l'effort»,  comme  le  souhaitait  Courcel, 
il  était  nécessaire  de  l'encourager  par  un  premier  succès.  Qr,  il  était  difficile  d'émouvoir 
une  opinion  «affolée  de  paix»  qui  depuis  1871  se  complaisait  dans  un  «assoupissement», 
«un  néant  volontaire  et  obstiné»®^.  Les  milieux  parlementaires  eux-mêmes,  toujours 
plus  soucieux  de  questions  intérieures  que  de  politique  étrangère,  se  ralliaient  d'autant 
plus  volontiers  à  ce  qu'ils  croyaient  être  l'opinion  générale  qu'une  fin  de  législature 
ramenait  les  députés  à  leurs  préoccupations  électorales.  En  dépit  du  redressement 
diplomatique  de  la  France,  depuis  trois  ans  les  idées  expansionnistes  avaient  fait  bien 
peu  de  chemin. 

Les  monarchistes  continuaient  de  préconiser  le  recueillement.  A  la  séance  du  30 
novembre  1880,  de  Broglie  et  Gontaut-Biron,  les  chefs  de  la  droite  au  Sénat,  avaient 


93  A.  Raymond  :  Les  libéraux  anglais  et  la  question  tunisienne  (1880-1881).  Cahiers  de  Tunisie,  1955,  p.  446. 

94  «Certainly  the  best  business  man  I  hâve  ever  had  to  do  with.  He  has  a  clear  head  apd  a  good  memory,  knows 
his  subject  well  and  combines  conciliation  and  frankness  in  a  remarkable  degree  with  much  décision».  (G.  P. 
175.  Part,  de  Adams  à  Granville,  l®^^  octobre  1880). 

95  Souvenirs  inédits  de  Courcel.  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  10  janvier  1881. 


390 


souligné  que  la  France  était  en  train  d'abandonner  ses  intérêts  vitaux  et  sacrés  pour  des 
intérêts  «de  fantaisie,  de  sentiment  et  d'imagination».  «Dans  nos  rapports  avec  l'Europe», 
avait  dit  de  Broglie,  «employer  toute  notre  action  à  la  concorde,  à  la  paix  puis  garder  à 
notre  profit  notre  liberté  complète  d'action  et  surtout  d'abstention,  le  droit  d'agir  ou  de 
ne  pas  agir,  le  droit  de  rentrer  sous  la  tente  pour  y  rester  au  milieu  de  l'agitation  qui  se 
fait  autour  de  nous^^». 

il  n'y  avait  pas  à  attendre  de  réactions  plus  favorables  d'une  extrême  gauche 
encore  peu  nombreuse,  mais  active  et  véhémente,  qui,  depuis  l'amnistie  et  le  retour  des 
condamnés  de  la  Commune,  se  ralliait  pour  attaquer  avec  fureur  les  chefs  républicains 
dont  elle  se  séparait. 

La  majorité  opportuniste  elle-même  était  écartelée  par  les  rivalités  sournoises  qui 
opposaient  au  tout  puissant  président  de  la  Chambre  les  chefs  des  groupes  plus  modérés 
irrités  par  ce  qu'ils  appelaient  «le  gouvernement  occulte»  de  Gambetta.  Or,  Gambetta 
s'était  prononcé  nettement  contre  une  intervention  en  Tunisie,  il  avait  fait  échouer  les 
projets  de  Waddington  en  1878  ;  en  1880  encore,  il  avait  parlé  de  partage  d'influence 
et  de  bonne  entente  avec  les  Italiens,  à  Dilke  aussi  bien  qu'à  Cialdini.  En  janvier  1881, 
on  lui  prêtait  encore  le  propos  de  «chloroformer»  la  question  tunisienne  pour  quelques 
années^^.  De  son  côté,  l'Elysée  était  «de  glace»  ;  le  gendre  de  Grévy,  Wilson,  sous- 
secrétaire  d'Etat  aux  Finances,  travaillait  ouvertement  contre  le  projet^®.  Le  président 
de  la  République  lui-même  n'avait-il  pas  dit  dans  un  entretien  avec  le  général  Cialdini, 
en  septembre  1880,  que  «la  question  de  Tunis  ne  valait  pas  un  cigare  à  deux  sous  et  que 
l'amitié  italienne  était  infiniment  plus  chère  et  plus  précieuse  pour  la  France  ?"». 

De  Freycinet  était  tombé  du  pouvoir  sans  avoir  Son  successeur  à  la  présidence 

du  Conseil,  Jules  Ferry,  ne  s'occupait  que  de  questions  scolaires.  Quant  à  Barthélemy- 
Saint-Hilaire  lui-  même,  il  s'était  montré  très  réservé  pendant  longtemps,  il  redoutait 
Bismarck  et  craignait  l'hostilité  de  l'opinionioi.  S'il  finissait  par  se  laisser  convaincre, 
au  début  de  janvier  1881,  ses  collègues  du  ministère,  de  leur  côté,  ne  manifestaient 


96  /.  O.,  m  décembre  1880,  pp.  11.752-53. 

97  Chiala,  op.  cit,  1  2,  p.  239. 

Billing  le  confirma,  quoique  en  termes  différents,  lors  du  procès  de  Y  Intransigeant  (A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc. 
Procès.,  vol.  2)  ;  Waddington  raconta  à  Bernard  Lavergne,  en  mai  1881,  «au  sujet  de  Tunis,  que  Gambetta 
n'en  voulait  pas,  soit  qu'il  désirât  garder  l'affaire  pour  lui,  soit  qu'il  obéît  à  la  camarilla  d'Alsace-Lorraine, 
qui  le  pousse  à  la  revanche  et  qui  a  aussi  un  grand  déplaisir  que  l'Afrique  nous  prît  en  ce  moment  trente  à 
quarante  mille  hommes»  (Mémoires  de  B.  Lavergne,  ms). 

98  G.  Hanotaux  :  Histoire  de  la  France  contemporaine,  1871-1900,  t.  IV,  p.  650. 

Une  remarque  de  Chirac  sur  les  rivalités  financières  qui  opposèrent  en  Tunisie,  en  1884,  «Ferrystes»  et 
«Wilsonistes»  pourrait  laisser  croire  qu'en  1880-1881  déjà,  l'attitude  de  Wilson  avait  pu  être  guidée  par 
des  mobiles  financiers  (Les  pots-de-vins  parlementaires.  Paris.  1888,  pp.  41  sq). 

99  Chiala,  op.  cit  T  2,  p.201. 

100  Dans  ses  Souvenirs,  de  Freycinet  laisse  entendre  qu'il  était  prêt  à  agir  lorsqu'il  tomba  du  pouvoir  :  «Autorisez- 
moi  à  débarquer  une  compagnie  de  fusiliers-marins»,  m'avait  écrit  Roustan,  «et  le  Bey  signera».  J'allais 
l'autoriser  quand  je  quittai  le  pouvoir.  Je  renseignai  M.  Ferry  sur  la  situation  en  indiquant  les  précautions  à 
prendre  :  «Le  fruit  est  mûr,  lui  dis-je,  vous  le  cueillerez  au  moment  propice».  (Souvenirs  1878-1893.  Paris, 
1913,  p.  168). 

Ce  n'est  pas  ce  qui  ressort  de  la  correspondance  diplomatique  ni  des  témoignages  de  Courcel  ou  de  Saint- 
Vallier.  Ce  dernier  insistait  volontiers  sur  la  faiblesse  du  ministre.  Au  cours  de  la  criseduT.G.M.,  de  Freycinet 
apparut  lent  à  se  décider.  Il  n'était  plus  question  de  pression  sur  le  bey,  encore  moins  d'expédition  dans 
la  Régence,  après  l'octroi  des  concessions  beylicales  an  milieu  d'août  1880.  D'ailleurs  on  comprendrait 
mal  que  le  conseil  des  ministres  se  fût  refusé  à  une  épreuve  de  force  en  janvier  1881  s'il  y  avait  été  décidé 
cinq  ou  six  mois  plus  tôt,  car,  à  deux  exceptions  près,  Barthélemy-Saint-Hilaire  et  l'amiral  Cloué,  également 
favorables  à  l'expédition,  le  cabinet  Ferry  reconduisait  intégralement  le  cabinet  précédent. 

101  Souvenirs  inédits  de  Courcel. 


391 


aucun  enthousiasme  pour  s'engager,  à  la  veille  d'une  consultation  électorale.  «Notre 
gouvernement  a  bien  du  mal  à  se  décider»,  écrivait  Courcel,  le  30  janvier  ;  «il  ne  sort 
pas  des  préoccupations  électorales  et  parlementaires  et  croit  le  tempérament  public 
tellement  ennemi  de  toute  action  énergique,  qu'il  hésite  à  prendre  les  mesures  de 
l'urgence  la  plus  démontrée  et  de  la  simplicité  d'exécution  la  plus  incontestable»i°2. 
Même  constatation  désabusée  deux  mois  plus  tard  :  «Les  préoccupations  de  politique 
intérieure  continuent  à  tout  dominer  chez  nous,  et  la  grande  bataille  entre  le  scrutin  de 
liste  et  le  scrutin  d'arrondissement,  ou  plutôt  les  personnalités  dont  ces  deux  systèmes 
sont  devenus  les  symboles,  tient  en  suspens,  par  ses  péripéties,  toutes  nos  questions  de 
diplomatie»io3. 

Pour  compliquer  le  tout,  en  janvier  1881,  on  voyait  reparaître  à  Tunis  le  baron 
de  Billing,  prédécesseur  de  Roustan  au  consulat  qui,  sous  le  couvert  d'une  mission 
archéologique  dans  le  nord  de  la  Régence,  s'abouchait  avec  Maccio',  rendait  visite  au  bey 
et  commençait  une  campagne  de  sondages  diplomatiques  en  se  prétendant  accrédité 
par  Gambetta,  voire  par  Barthélemy-Saint-Hilaire  lui-même.  11  fallut  que  le  ministre 
rappelât  Billing  en  France,  après  l'avoir  désavoué,  mais  celui  ci  n'en  continua  pas  moins 
ses  intriguesio^.  Aidé  d'Oscar  Gay  qui  ne  pardonnait  pas  à  Roustan  son  échec  dans 
l'affaire  du  port  de  Carthage,  il  menait  campagne  à  Paris  contre  la  politique  du  consul, 
en  se  faisant  fort  de  régler  la  question  tunisienne  à  l'amiable  par  un  accord  direct  avec  le 
bey.  Réduits  à  leurs  seules  forces,  Gay  et  Billing  n'auraient  pas  été  dangereux  sans  doute, 
mais  ils  avaient  l'un  et  l'autre  leurs  entrées  au  ministère;  ils  étaient  reçus  à  l'Elysée  et 
profitaient  de  leurs  relations  avec  Gambetta  pour  introduire  dans  les  milieux  politiques 
français  des  envoyés  tunisiens  qui  se  répandaient  en  doléances  sur  le  compte  de  Roustan 
et  rejetaient  sur  lui  la  responsabilité  de  toutes  les  difficultésio^. 


102  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris.  30  janvier  1881.  (D.  D.  F.  t.  3,  p.  342,  n.  1). 

103  Ibid.  Du  même  au  même,  21  mars  1881. 

104  A.  E.  Tunis,  vol.  55  et  56.  Corr.  de  Roustan,  février-mars  1881. 

105  On  a  peine  à  saisir  les  mobiles  qui  faisaient  agir  le  baron  de  Billing,  à  suivre  tous  les  développements 
d'une  campagne  qu'il  devait  intensifier  surtout  en  avril  et  mai  1881.  «Vanité  immense...  amour-propre 
froissé,  déceptions  financières»,  écrit  Roustan,  «et  par  dessus  tout  une  jalousie  véritablement  féroce  contre 
l'agent...  [qu'il  voit]  occuper  depuis  sept  ans  un  poste  qui  a  toujours  été  l'objet  de  [ses]  convoitises...  Il  a  été 
brusquement  rappelé  par  le  duc  Decazes,  son  meilleur  ami,  d'après  ses  propres  expressions,  un  ministre  qui 
le  tutoyait.  11  fallait  que  le  cas  fût  grave...  M.  de  Billing  ne  m'a  jamais  pardonné  de  l'avoir  remplacé  ici  à  ce 
moment  là»  (A.  E.  Tunis,  vol.  64.  Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  1®^  novembre  1881). 

Peut-être  Billing  avait-il  espéré,  en  jouant  les  médiateurs  dans  le  conflit  tunisien,  s'imposer  comme 
successeur  de  Roustan  à  la  tête  de  la  Résidence,  après  l'accession  au  pouvoir  de  Gambetta.  11  semble  en  tout 
cas  avoir  été  déçu  par  ce  dernier.  Quant  à  Gay,  ses  raisons  d'agir  étaient  plus  faciles  à  comprendre.  Furieux 
d'avoir  vu  l'affaire  du  port  lui  échapper,  il  en  rendait  Roustan  responsable  et  cherchait  à  se  venger,  ce  qui  ne 
l'empêchait  cependant  pas  de  faire  payer  ses  services  par  les  adversaires  de  la  France. 

Billing  prétendit  avoir  été  envoyé  en  mission  par  Barthélemy-Saint-Hilaire,  son  chef  hiérarchique  (il  était 
toujours  secrétaire  d'ambassade).  II  soutint  même  au  début  du  procès  de  l'Intransigeant  (décembre  1881) 
qu'il  était  en  possession  d'instructions  écrites  du  ministre,  mais,  devant  le  démenti  formel  de  Saint-Hilaire, 
il  dut  convenir  qu'il  en  était  rien.  Toutefois,  Barthélemy-Saint-Hilaire  était  au  courant  de  ce  voyage  en 
Tunisie  où  Billing  devait  accompagner  le  comte  d'Hérisson.  Il  lui  avait  donné  congé  et  l'avait  probablement 
chargé  d'une  mission  officieuse,  quitte  à  le  désavouer  en  cas  d'insuccès.  Passé  par  Rome,  Billing  s'entretint 
avec  Noailles  et  Maffei.  A  Tunis,  il  fit  le  jeu  des  Italiens  en  intriguant  contre  Roustan.  De  retour  à  Paris,  il 
prôna  le  rappel  simultané  de  Roustan  et  Maccio'  et,  à  la  fin  d'avril,  il  fit  avec  Gay  et  Jules  de  Lesseps,  des 
efforts  désespérés  pour  s'entremettre  dans  la  signature  du  traité.  Ecarté  par  le  quai  d'Orsay,  il  se  lança  à 
l'automne  dans  une  violente  campagne  contre  Roustan  dans  des  meetings  organisés  par  l'extrême  gauche. 
Cette  activité  lui  valut  d'être  suspendu  par  le  ministère.  Il  donna  alors  sa  démission  et  témoigna  contre 
Roustan  lors  du  procès. 

L'activité-voire  l'agitation-frénétique  du  baron  de  Billing  au  cours  de  l'année  1881  laisse  une  impression 
aussi  pénible  que  sa  gestion  du  consulat  de  France  à  Tunis,  sept  ans  auparavant. 

392 


Dans  la  pénible  campagne  qu'il  menait  à  Paris,  le  baron  de  Courcel  comptait 
bien  peu  d'alliés.  Sa  meilleure  chance  résidait  dans  le  concours  résolu  de  tout  le  haut 
personnel  diplomatique,  Saint-Vallier  à  Berlin,  Noailles  à  Rome,  Tissot  à  Constantinople, 
qui,  avec  Roustan,  avec  Chanzy,  avec  le  frère  du  président  de  la  république,  Albert  Grévy, 
gouverneur  de  l'Algérie^oC  le  pressaient  d'emporter  une  résolution  énergique.  Mais 
les  décisions  se  prenaient  à  Paris  et  le  lointain  appui  d'un  parti  de  diplomates  plus 
ou  moins  suspects  d'attachement  à  un  régime  déchu  ne  pouvait  suffire  à  entraîner  un 
gouvernement  timide,  paralysé  par  le  régime  d'assemblée.  Dans  le  cabinet  Ferry,  comme 
dans  le  cabinet  de  Freycinet,  le  seul  ministre  qui  fût  réellement  décidé  était  justement 
un  militaire,  le  général  Farre,  ministre  de  la  Guerre^^^. 

Pour  vaincre  les  réticences  de  Barthélemy-Saint-FIilaire,  Courcel  avait  dû  mener 
un  siège  patient.  11  avait  mis  dans  la  confidence  les  ambassadeurs  à  Rome  et  à  Berlin, 
Noailles  et  Saint-Vallier  avec  lesquels  il  était  lié.  Par  ses  lettres  personnelles,  il  les  tenait 
au  courant  des  derniers  développements  de  l'affaire  tunisienne  et  il  les  encourageait 
à  ne  la  point  négliger  dans  leur  correspondance  officielle.  11  savait  que  le  ministre 
appréciait  beaucoup  la  correspondance  de  Saint-Vallier  et  qu'il  tenait  toujours  à  lire  lui- 
même  les  dépêches  qu'il  recevait  de  Berlin.  Or  Saint-Vallier,  plus  encore  que  Noailles 
peut-être,  était  un  partisan  résolu  de  l'intervention.  Il  avait  participé  au  congrès  de 
Berlin  et,  depuis  les  entretiens  entre  Waddington  et  Salisbury  dont  il  avait  été  le  témoin, 
il  déplorait  l'inertie  du  gouvernement.  Ses  avertissements  répétés,  ceux  de  Noailles, 
d'Albert  Grévy,  les  appels  désespérés  de  Roustan,  l'insistance  de  Courcel  finirent  par 
convaincre  Barthélemy-Saint-FIilaire  de  l'importance  de  l'entreprise  et  de  l'urgence  de 
son  règlement^o*. 

Il  finit  par  «entrevoir  la  fondrière»  oû  depuis  trois  ans  s'embourbait  le  gouvernement 
français.  Dès  les  premiers  jours  de  janvier  au  plus  tard,  le  ministre  était  rallié  à  la 
nécessité  d'une  action  énergiqueio®.  Il  fit  répondre  aux  manifestations  de  Palerme  par  un 
avertissement  sévère.  La  lettre  algérienne  publiée  par  l'agence  Flavas,  le  11  janvier,  posait 
pour  la  première  fois  devant  le  grand  public  la  question  tunisienne.  L'éditorial  du  Temps 
du  même  jour,  visiblement  inspiré  par  le  quai  d'Orsay,  rappelait  que  la  France  exerçait 
depuis  cinquante  ans  en  Tunisie  un  «protectorat  de  fait».  Il  développait  et  justifiait  avec 
des  arguments  chers  à  la  diplomatie  française  la  nécessité  de  ce  «protectorat  effectif» 
dont  la  lettre  algérienne  faisait  «la  condition  indispensable  à  la  sécurité  de  rAlgérie»iio. 

Les  Italiens,  émus  crurent  à  l'imminence  d'une  démonstration  militaire  française. 
Mais  Barthélemy-Saint-Hilaire  ne  pouvait  rien  faire  sans  l'agrément  de  ses  collègues. 
Embarrassé  par  les  affaires  de  Grèce,  il  perdit  encore  deux  semaines,  courant  janvier. 
Les  Italiens  profitèrent  de  ce  répit  pour  reprendre  leurs  attaques  contre  les  entreprises 
françaises  et  soulever,  de  connivence  avec  Levy,  l'affaire  de  l'Enfida. 


106  11  avait  succédé  au  général  Chanzy  en  1879. 

107  Le  général  Farre  avait  servi  en  Algérie  sous  l'Empire  ;  il  y  était  revenu  en  1872  comme  directeur  du  Génie. 
Ministre  de  la  Guerre  dans  le  cabinet  de  Freycinet,  il  avait  préparé  la  démonstration  militaire  sur  les 
frontières  de  Tunisie  qui  amena  le  bey  à  céder  dans  l'affaire  des  concessions,  en  août  1880. 

108  Souvenirs  inédits  de  Courcel,  que  confirme  entièrement  la  correspondance  particulière  ou  officielle  de  Saint- 
Vallier  (A.  E.  Ail.,  vol.  788  et  789  à  Barth-St-Hilaire-Berlin  24  novembre  1880,  20  janvier  1881  ;  Mém.  et  Doc. 
vol.  167.  A  Courcel  22  janvier  ;  à  Barth  St.  Hilaire  26  janvier  1881)  et  de  Noailles  (A.  E.  Italie,  vol.  60  et  61). 
Part,  de  Courcel,  9  et  31  octobre,  19  novembre  («Prenez  vivement  l'affaire  en  mains,  il  n'y  a  que  vous  qui 
puissiez  la  mener  à  bonne  fin.  Secouez  la  torpeur  et  l'entêtement  des  agents  qui  nous  font  de  l'opposition  : 
que  les  mots  célèbres  «il  faut  aboutir»  tombent  aussi  sur  Tunis»),  28,  29,  30  et  31  décembre  1881. 

109  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  10  janvier  1881. 

110  Temps,  11  janvier  1881. 


393 


Ensemble,  Noailles  et  Saint-Vallier  pressaient  Barthélemy-Saint-Hilaire  d'agir. 
L'ambassadeur  à  Rome  insistait  sur  les  facilités  de  l'opération  :  «les  Italiens  ont,  en  ce 
moment,  les  mains  liées  par  la  conversion  du  cours  forcé  et  ils  me  semblent  assez  isolés 
en  Europei^i».  «il  faut  fermer  cette  question  de  Tunis.  Plus  elle  se  prolongera,  plus  les 
rapports  entre  les  deux  pays  s'aigriront...  Un  de  nos  moyens  d'action  est  certainement 
l'emprunt  Rothschildn^...  Un  des  principaux  meneurs  de  la  question  tunisienne  et  cela 
dans  des  vues  personnelles,  est  Crispi.  Que  M.  de  Rothschild  lui  donne  200.000  francs 
ou  les  lui  fasse  donner  par  Magliani  [le  ministre  des  Finances  italien]  et  la  situation  se 
trouvera  singulièrement  allégée.  Deux  ou  trois  bons  articles  de  journaux,  une  baisse 
de  50  centimes  sur  l'italien,  et,  s'il  le  faut,  une  conversion  sérieuse  avec  Cairoli  et 
Cialdini  et  je  crois  que  la  situation  se  modifiera  sensiblement»!!^.  Saint-Vallier  portait 
plus  haut  le  débat  ;  ses  objurgations  se  faisaient  plus  pressantes  :  «Vous  me  dites», 
écrivait-il  à  Barthélemy-Saint-Hilaire,  le  26  janvier,  «qu'on  veut  laisser  passer  les 
élections  et  qu'on  agira  ensuite...  Quelle  imprudence  et  quel  aveuglement  !  Dans  dix 
mois,  vous  serez  en  face  d'une  alliance  secrète  organisée  et  conclue  contre  nous,  et  vous 
devrez  reculer  de  nouveau  car  ce  ne  sera  plus,  comme  au  jour  où  nous  sommes,  une 
promenade  militaire  à  accomplir,  mais  une  guerre  européenne  à  soutenir  pour  sauver 
notre  colonie  algérienne.  Ah  !  mon  cher  ministre,  vous  êtes  bon  patriote.  M.  Gambetta 
l'est  aussi  ;  voyez-le,  entendez-vous  avec  lui,  et  faites  en  sorte  que  notre  pays  n'ait 
jamais  à  subir  la  nouvelle  humiliation,  le  nouvel  amoindrissement  dont  il  est  menacé  ; 
j'en  suis  si  affecté,  si  inquiet,  si  malheureux  que  si  je  m'écoutais,  je  partirais  pour  Paris, 
y  passer  quarante-huit  heures,  vous  conjurer,  conjurer  M.  Gambetta,  M.  Ferry,  M.  Grévy, 
la  Chambre  entière  de  faire  ce  que  commandent  impérieusement  l'honneur  et  l'intérêt 
de  la  patrie.  Si  je  ne  tenais  avant  tout  à  ne  jamais  rien  faire  sans  votre  assentiment, 
j'écrirais  aujourd'hui  même  à  M.  Gambetta  ;  je  lui  exposerais  la  situation,  et  je  ferais 
un  appel  ardent  à  son  patriotisme...  Allons-nous,  une  fois  de  plus  justifier  le  mot  du 
prince  Gortchakoff  :  «la  France  ne  compte  plus,  elle  est  impuissante  à  l'extérieur». 
Nous  sommes  au  pied  du  mur  et  l'Europe  nous  observe  pour  nous  juger  et  savoir  si 
nous  sommes  encore  quelque  chose  ;  un  acte  de  fermeté,  d'énergique  volonté,  sans 
danger  sérieux,  sans  effusion  de  sang,  et  nous  reprenons  notre  rang  dans  l'estime  des 
nations  ;  une  nouvelle  preuve  de  faiblesse  et  nous  achevons  de  nous  reléguer  au  rang 
de  l'Espagne!!!». 

Cependant,  le  «dossier  tunisien»  était  prêt.  Courcel  pressa  le  ministre  de  soumettre 
au  plus  tôt  la  question  à  ses  collègues.  Le  29  janvierü^,  dans  un  conseil  des  ministres 
présidé  par  Grévy,  Barthélemy-Saint-Hilaire  demanda  au  gouvernement  de  prendre  une 
attitude  énergique  dans  les  affaires  de  Tunisie.  Mais,  tout  en  reconnaissant  la  justesse 
de  ses  arguments,  le  conseil  jugea  les  circonstances  peu  favorables.  «A  l'exception  de 
trois  de  ses  collègues»  (les  ministres  de  la  Guerre  et  de  la  Marine,  et,  peut-être,  celui  des 
Postes,  Cocheryjü'5...  «M.  Barth.  St.  Hilaire  a  vu  tous  les  autres  repousser  sa  proposition 


111  A.  E.  Italie,  vol.  61.  Part,  de  Noailles  à  Courcel.  Rome,  19  janvier  1881. 

112  L'emprunt  de  650  millions  qui  devait  permettre  de  supprimer  le  cours  forcé  des  billets  en  Italie. 

113  A.  E.  Italie,  vol.  61.  Part,  de  Noailles  à  Courcel.  Rome,  29  janvier  1881. 

114  A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol. 167.  Part  de  St-Vallier  Berlin,  26  janvier  1881  (D.  D.  f.,  t.  3,  n°  349,  p.  330) 

115  La  date  de  ce  conseil  n'est  ni  précisée  par  Courcel,  ni  signalée  dans  la  presse.  Nous  pouvons  la  déduire 
d'après  la  correspondance  du  directeur  politique  et  les  télégrammes  envoyés  à  Tissot  et  Roustan  les  29  et 
30  janvier. 

116  Roustan  le  jugeait  «bon»  dans  la  question  tunisienne.  (A.  E.  Tunis,  vol.  51.  Part,  à  Courcel.  Tunis, 
22  septembre  1880).  Cochery  avait  eu  à  s'occuper  du  réseau  télégraphique  tunisien. 


394 


et  décider  d'attendre  encore»i^^.  «Une  expédition  à  Tunis,  dans  une  année  d'élections», 
avait  dit  Jules  Ferry  en  passant  son  bras  sous  celui  de  son  collègue,  à  la  sortie  du  conseil, 
«mon  cher  Saint- Hilaire,  vous  n'y  pensez  pas 

À  défaut  de  mesures  plus  énergiques,  le  conseil  avait  accepté  l'envoi  du  cuirassé 
Friedland  devant  La  Goulette  et  Barthélemy-Saint-Hilaire  en  profitait  pour  suggérer 
à  Roustan  une  nouvelle  démarche  «amicale»  auprès  du  bey  en  vue  d'un  traité  de 
protectorat  ou  d'alliance^i®.  Mais  la  manœuvre,  lancée  mal  à  propos,  se  soldait  par 
un  échec  total.  Courcel  le  déplorait  :  «L'intervention  de  l'Angleterre  qui  s'est  méprise 
ou  a  feint  de  se  méprendre  sur  la  signification  de  l'envoi  de  notre  malheureux 
Friedland  et  l'envoi  d'un  bâtiment  anglais  pour  faire  retirer  le  nôtre  sont  des  incidents 
déplorables.» 

«Les  Italiens  qui  ont  tant  manœuvré  à  Londres,  vont  jeter  des  cris  de  triomphe 
et  nous  aurons  peine  à  les  contenir  désormais.  Je  doute  que  nos  financiers...  ayent  le 
patriotisme  nécessaire  pour  faire  acheter  leur  concours,  si  indispensable  à  l'Italie  en  ce 
moment,  le  prix  qu'il  vaut  politiquement  parlant.  Quant  à  notre  conseil  des  ministres, 
il  me  semble  qu'il  a  assumé  une  bien  grave  responsabilité  devant  la  France  et  devant 
l'avenir,  le  jour  où  il  a  refusé  à  Mr  B.  St.  Hilaire  Faction  prompte  et  énergique  sur  les 
frontières  de  la  Tunisie,  qui  était  nécessaire  pour  affirmer  nos  droits  et  assurer  notre 
position  avant  que  la  place  ne  fût  prise  par  d'autres»i2o. 

A  Tunis,  comme  Courcel  et  Roustan  l'avaient  prévu,  les  affaires  allaient  de  mal 
en  pis.  Forts  de  l'irrésolution  française.  Italiens  et  Tunisiens  menaient  ouvertement 
leur  offensive.  Totalement  découragé,  Roustan  songeait  à  demander  son  rappel.  «Vous 
savez  la  retraite  que  nous  opérons  sur  toute  la  ligne,  sous  prétexte  des  élections 
prochaines»,  écrivait-il  à  Noailles,  fin  février.  «De  Courcel  me  demande  de  faire  en 
sorte  qu'elle  ne  se  change  pas  en  déroute.  C'est  impossible  avec  des  gens  comme  les 
Tunisiens,  stimulés  par  des  ennemis  comme  les  Italiens.  Nous  allons  rouler  jusqu'au 
fond  du  fosséi^i». 

Vainement  Courcel  et  Saint-Hilaire  essayaient-ils  de  gagner  du  temps  en  s'efforçant 
de  tenir  les  Italiens  en  respect,  pendant  qu'ils  négociaient  avec  Londres  un  difficile 
accord  sur  la  question  de  l'Enfida.  La  nécessité  d'avoir  recours  à  la  bourse  de  Paris  pour 
placer  leur  emprunt  de  650  millions  ne  semblait  inquiéter  ni  Maffei  ni  Maccio'.  «Les 
Italiens  ont  malheureusement  la  conviction...  qu'ils  peuvent  tout  se  permettre  à  notre 


117  A.  E.  Pap.  Noailles.  A  Noailles.  Paris,  13  mars  1881  (D.  D.  F,  t  3  n  401,  p.381). 

Le  cabinet  Ferry  était  ainsi  composé  :  présidence  et  Instruction  publique  :  Jules  FERRY  ;  Affaires  étrangères  : 
BARTHELEMY-SAINT  HILAIRE  ;  Intérieur  :  CONSTANS  ;  Finances  :  MAGNIN  ;  Guerre  :  le  général  FARRE  ;  Marine 
et  Colonies  :  le  vice-amiral  CLOUÉ  ;  Travaux  publics  :  Sadi  CARNOT  ;  Agriculture  et  Commerce  :  IIKARD  ; 
Postes  et  Télégraphes  :  COCHERY.  Les  sept  sous-secrétaires  d'Etat  (Turquet,  de  Choiseul,  Martin-Feuillée, 
Fallières,  Wilson,  Raynal  et  Girerd)  n'avaient  pas  voix  délibérative. 

«L'avis  de  nos  ambassadeurs  à  Berlin,  à  Rome,  à  Constantinople  et  notre  ministre  à  Tunis,  pèse  très  grand 
poids»,  écrivait  Barthélemy-Saint-Hilaire  «mais  il  n'a  pas  pu  faire  pencher  la  balance»  (A.  E.  Ail.,  Mém.  et 
Doc.  vol.  167.  Part  à  St-Vallier  Paris,  16  février  1881). 

118  Souvenirs  inédits  de  Courcel.  Hanotaux  (op.  cit.,  IV,  p.  650)  cite  Courcel  en  employant  le  mot  :  «Une  affaire»... 

119  Devant  l'accueil  du  bey,  Roustan  jugea  inutile  de  parler  du  traité  (A.  E.  Tunis  vol.  54.  Tél.  de  Barth-St-Hilaire 
à  Roustan  et  de  Roustan  à  Barth.-St-Hilaire,  30  et  31  janvier  1881.  -  F.  0.102/143.  Reade  à  Granville.  Tunis, 
3  février  1881). 

120  A.  E.  Pap.  Noailles.  Part,  de  Courcel  à  Noailles.  Paris,  10  février  1881. 

121  Ibid.  Part,  de  Roustan  à  Noailles  Tunis,  23  février  1881. 

«Nous  tomberons  dans  un  tel  état  aux  yeux  mêmes  des  Tunisiens.  Ils  se  gêneront  si  peu  avec  nous  qu'il  n'y 
aura  plus  qu'un  espoir,  c'est  que  l'excès  de  nos  humiliations  nous  amène,  bon  gré  mal  gré,  à  une  résolution 
virile»  (A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol.  167.  Part  de  Roustan  à  Courcel  (copie). 


395 


égard  sans  que  leur  emprunt  en  soit  le  moins  du  monde  compromis»,  relevait  Noailles 
le  24  févrieri22 

Noailles  et  Saint-Vallier  avaient  beau  renouveler  leurs  appels  désespérés  à 
Barthélemy-Saint-Hilaire,  comme  à  Courcel,  déplorer  la  défaite  politique  qu'était  en  train 
de  subir  la  France,  le  «brevet  d'impuissance»  qu'elle  se  donnait  aux  yeux  des  cabinets 
européensi23,  si  résolus  qu'ils  fussent,  les  dirigeants  du  quai  d'Orsay  ne  pouvaient  rien 
sans  l'assentiment  du  cabinet.  L'échec  subi  par  Saint-Hilaire  en  janvier  laissait  bien  peu 
d'espoir  de  faire  revenir  le  conseil  sur  sa  décision^^r.  Découragé  par  la  vanité  de  ses 
efforts,  Saint-Vallier  confiait  son  amertume  à  son  collègue  de  Rome,  le  21  mars  :  «L'affaire 
de  Tunis  est  à  mon  avis  comme  au  vôtre  le  plus  grave  échec  et  la  plus  funeste  humiliation 
que  je  relève  dans  notre  histoire  depuis  bien  des  années  ;  jamais,  à  aucune  époque,  même 
pendant  la  période  tant  attaquée  de  la  paix  à  tout  prix  de  la  monarchie  de  juillet,  nous  ne 
nous  sommes  laissé  insulter,  braver,  évincer,  chasser  aussi  pitoyablement  ;  c'est  un  oubli 
de  toute  dignité,  un  verdict  de  faiblesse  sans  nom,  d'impuissance  sans  remède  que  nous 
nous  laissons  infliger  aux  yeux  surpris  de  l'Europe  qui  nous  raille  et  nous  méprise»i25. 

Restait  une  seule  chance  d'aboutir,  celle-là  même  que  Saint-Vallier  avait  suggérée  à 
Barthélemy-Saint-Hilaire  au  mois  de  janvier,  une  démarche  auprès  de  Gambetta.  Après 
avoir  longuement  hésité,  courant  mars,  Courcel  se  résolut  à  la  tenter. 

b)  La  conversion  de  Gambetta 

Par  son  prestige,  son  influence,  le  nombre  des  députés  qui  se  pressaient  dans  sa 
clientèle,  Gambetta  apparaissait  à  tous  les  yeux  comme  le  véritable  chef  de  la  majorité 
républicaine,  il  était  le  seul  homme  qui  pût  entraîner  un  ministère  assez  falot  et  emporter 
la  décision  à  la  veille  d'une  consultation  électorale.  Comme  le  notait  Courcel  dans  ses 
Souvenirs,  «il  était  le  maître  de  l'heure»  ;  «le  nœud  de  la  question  tunisienne  était  entre 
ses  mains». 

Or  Gambetta  s'était  montré  plutôt  hostile  jusqu'alors  à  tout  projet  d'expédition 
et  Courcel  ne  savait  comment  prendre  contact  avec  lui.  il  ne  pouvait  compter  sur 
Barthélemy-Saint-Hilaire  toujours  hostile  à  celui  qu'il  continuait  de  considérer  comme 
un  «fou  furieux».  Bonapartiste  lui-même,  le  directeur  des  affaires  politiques  n'avait 
aucun  rapport  avec  le  chef  de  l'Union  républicaine.  «J'avais  vu  le  monstre  une  seule 
fois»,  note-t-il  dans  ses  Souvenirs.  Encore  s'agissait-il  d'une  expérience  assez  fâcheuse, 
une  visite  qu'il  lui  avait  faite  deux  ans  plus  tôt,  à  la  demande  de  Freycinet,  lors  de  son 
entrée  en  fonctions.  Gambetta  qui  s'était  montré  hostile  à  sa  nomination  l'avait  alors 
accueilli  avec  quelque  fraîcheur. 

Surmontant  sa  répugnance,  Courcel  sollicita  néanmoins  une  audience.  Après  deux 
ou  trois  tentatives  infructueuses,  il  y  parvint.  L'entretien  eut  lieu  très  probablement  le 
23  mars326,  Courcel  s'y  attarde  longuement  dans  ses  Souvenirs.  «Mon  audience  fut  fixée 


122  A.  E.  Italie,  vol.  61.  Tél.  de  Noailles,  Rome  24  février  1881. 

«Il  y  aurait  pour  nous  un  véritable  devoir  aujourd'hui  de  ne  pas  fournir...  à  l'Italie  les  capitaux  dont  elle  a 
besoin  pour  achever  de  nous  expulser  de  la  Régence  ;  c'est  assez,  c'est  trop  de  nous  laisser  battre  sans  payer 
encore  ceux  qui  nous  exproprient  et  nous  dépouillent»  (A.  E.  Ail.  vol.  790.  Dép.  confid  de  St-Vallier.  Berlin 
10  mars  1881). 

123  Ibid.  vol.  789.  Dép.  confid.  de  St-Vallier.  Berlin.  19  février  1881. 

124  A.  E.  Papiers  Noailles.  A  Noailles.  Paris,  13  mars  1881. 

125  Ibid.  St-Vallier  à  Noailles.  Berlin,  21  mars  1881  (D.  D.  F.,  III.) 

126  Courcel  n'a  pas  précisé  la  date  de  l'entrevue  dans  ses  Souvenirs  qui  ont  été  rédigés  une  vingtaine  d'années 
plus  tard.  La  correspondance  de  l'époque  ne  nous  fournit  aucune  allusion  à  l'événement,  on  le  comprend 
aisément.  Plusieurs  recoupements  nous  permettent  cependant  de  croire  que  la  date  de  mercredi  23  mars 
est  la  plus  vraisemblable. 


396 


à  sept  heures  du  matin.  Me  voilà  donc  par  une  belle  matinée  de  printemps  franchissant 
le  court  espace  de  la  rue  de  l'Université  qui  sépare  le  ministère  des  Affaires  étrangères 
de  la  présidence  de  la  Chambre.  À  cette  heure,  la  rue  était  déserte  mais  déjà  baignée  par 
les  rayons  d'un  soleil  étincelant.  Le  cœur  me  battait  fort.  L'incertitude,  le  secret  même  de 
la  démarche  me  harcelaient  de  scrupules.  Car  il  avait  fallu  ne  rien  dire  à  M.  Barthélemy- 
Saint-Hilaire  qui  se  serait  gendarmé  et  il  me  semblait  que  je  trompais  la  confiance  à 
laquelle  avait  droit  mon  excellent  chef.» 

«Introduit  auprès  de  M.  Gambetta,  il  me  reçut  avec  affabilité,  satisfait  en  apparence 
et  un  peu  flatté  de  ma  démarche.  J'entrai  vite  en  matière.  Le  ton  dont  je  lui  parlai  était 
nouveau  pour  lui...  Il  m'écouta  avec  une  attention  soutenue,  me  suivant,  comme  si  je 
l'introduisais  dans  un  cercle  supérieur  d'idées,  pendant  que  je  développais  les  avantages, 
la  nécessité  d'une  action  prompte  en  Tunisie,  l'honneur  qui  en  rejaillirait,  l'espèce 
de  baptême  diplomatique  qu'en  recevrait  cette  République  qu'ils  avaient  l'ambition 
d'instituer,  les  dispositions  favorables,  mais  peut-être  éphémères  des  puissances,  etc. 
Sous  l'air  de  réserve  dont  il  ne  se  départit  pas,  dans  ce  premier  entretien,  je  sentis 
l'intérêt  que  mes  paroles  éveillaient  en  lui...  Son  regard  s'éclairait,  sa  physionomie 
devenait  plus  curieuse  et  plus  confiante.  Son  patriotisme  ardent,  son  amour  de  l'action, 
sa  large  intelligence,  son  désir  des  choses  élevées  et  toute  la  générosité  de  sa  nature 
se  trahissaient  peu  à  peu  dans  ses  traits,  avec  la  satisfaction  d'échapper,  ne  fût-ce  que 
pour  quelques  instants,  au  bas  souci  des  intrigues  parlementaires,  son  amère  pitance 
quotidienne.  Quand  je  sortis,  après  une  longue  audience  de  plus  de  deux  heures,  je 
commençais  de  respirer.» 

«M.  Gambetta  m'avait  donné  rendez-vous  pour  le  surlendemain  dans  l'après-midi. 
Il  se  montra  plus  expansif,  entrant  dans  mes  idées  et  les  discutant.  Je  n'eus  pas  de  peine 
à  triompher  de  ses  objections,  surtout  au  point  de  vue  italien...  Lorsque  je  le  quittai, 
cette  seconde  fois,  j'avais  cause  gagnée.  Dès  lors,  tout  me  devint  aisé.  Je  sentis  partout  la 
main  de  Gambetta,  son  activité,  son  rayonnement,  et,  en  même  temps,  sa  sollicitude,  sa 
prévoyance,  son  remarquable  don  d'autorité.  Personne  ne  songea  plus  à  m'objecter  les 
élections  de  l'automne.  M.  Jules  Ferry  se  décida  à  son  tour.  Son  rôle  dans  l'affaire  ne  se 
dessina  qu'à  la  fin  mais  il  fut  essentiel  ;  il  endossa  les  responsabilités  suprêmes  avec  une 
décision  dont  il  a  mérité  de  garder  rhonneur»i27. 


jusqu'au  21  mars,  Courcel  ne  laisse  à  ses  divers  correspondants  aucun  espoir  de  succès  (cf.  Pap.  Noailles, 
lettre  du  21  mars  à  Noailles).  Or  une  lettre  de  Roustan  du  29  mars  (A.  E.  Tunis,  vol.  56  à  Barth.  St.  Hilaire) 
nous  montre  que  le  consul  sait  qu'une  décision  a  été  prise.  Le  lendemain,  il  télégraphie  que  Taïeb  Bey,  frère 
cadet  du  bey,  offre  de  se  rendre  en  Algérie  et  de  rentrer  en  Tunisie  avec  les  troupes  françaises  pour  détrôner 
son  frère  et  qu'il  est  prêt  à  signer  immédiatement  une  convention  de  protectorat.  La  décision  française  a 
donc  été  prise  entre  le  22  et  le  28  mars  1881. 

Or,  dans  ses  Souvenirs  Courcel  évoque  encore  le  «soleil  étincelant»  de  cette  «belle  matinée  de  printemps»  où  il 
rendit  visite  à  Gambetta,  détails  sans  doute,  mais  détails  qui  ont  pu  se  graver  profondément  dans  la  mémoire 
d'un  homme  qui  accomplissait  alors  une  démarche  importante.  La  presse  contemporaine  pouvait  nous  aider 
à  retrouver  la  date  de  l'événement.  De  fait,  entre  le  21  et  le  31  mars,  période  de  giboulées,  le  chroniqueur  du 
Temps  ne  signale  qu'une  matinée  pouvant  convenir  à  la  description  qu'en  fait  Courcel,  celle  du  23  mars.  «Une 
matinée  claire,  un  peu  froide  malgré  le  soleil  qui  brille  dans  un  ciel  pur»  (Temps,  24  mars.  Faits  divers). 

Une  confirmation  indirecte  en  est  apportée  par  une  lettre  de  Noailles  du  29  mars  (A.  E.  Italie,  vol. 62), 
qui  signale  des  tentatives  de  rapprochement  italiennes  «depuis  cinq  ou  six  jours».  Cialdini  aurait  pu  être 
informé  très  tôt  du  revirement  de  Gambetta  et  en  avoir  averti  Rome  aussitôt. 

127  Souvenirs  inédits,  in  Hanotaux,  op.  cit.  t.  IV,  pp.  650-651. 

En  novembre  ou  décembre  1881,  Bernard  Lavergne  confiait  à  Grévy  que  Courcel  communiquait  toutes  les 
dépêches  à  Gambetta,  du  temps  qu'il  était  directeur  auprès  de  Barthélemy-Saint-Hilaire  (Mémoires  de  B. 
Lavergne,  ms.). 


397 


Sans  ma  démarche,  note  encore  Courcel,  Gambetta  n'aurait  sans  doute  pas  songé  à  la 
Tunisie  ;  «sans  lui,  j'aurais  été  impuissant  dans  mon  rôle  subalterne...  M.  Barthélémy-  Saint- 
Hilaire  n'aurait  pas  triomphé  seul  de  la  résistance  de  l'opinion  et  du  Parlementais». 

Pouvait-on  dégager  plus  clairement  le  rôle  décisif  joué  par  Gambetta,  souligner 
plus  crûment  l'effacement  de  Jules  Ferry,  de  Saint-Hilaire  et  de  tout  un  gouvernement  ? 
Si  le  baron  de  Courcel  ne  s'est  point  mépris  sur  les  mobiles  du  président  de  la  Chambre, 
c'est  à  lui  en  définitive,  autant  qu'à  Courcel  lui-même  que  reviennent  l'honneur  et  la 
responsabilité  de  l'intervention  française  en  Tunisie. 

La  soudaineté  du  revirement  de  Gambetta  ne  manqua  point  d'étonner  les 
contemporains.  Les  diplomates  étrangers,  les  Italiens  surtout,  s'étaient  habitués  à 
considérer  le  président  de  la  Chambre  comme  un  des  adversaires  résolus  du  projet 
tunisien.  «Pour  expliquer  sa  volte-face»,  écrit  Gorrini,  «on  a  dit  que  Gambetta  et  son 
entourage  étaient  financièrement  intéressés  dans  les  affaires  de  Tunisie  et  Cialdini  l'a 
crui29».  L'ambassadeur  de  Grande-Bretagne,  lord  Paget,  assurait  de  son  côté  que  «l'affaire 
tunisienne  avait  été  montée  par  Gambetta  dans  le  dessein  de  ramasser  de  l'argent  pour 
les  élections  françaises,  par  des  spéculations  en  bourse»i3°.  Sans  s'avancer  autant,  son 
collègue  de  Paris,  lord  Lyons,  dénonçait  les  «spéculations  financières  malpropres»  qui 
auraient  été  le  mobile  réel  de  l'expéditioni^i. 

Gambetta  en  effet  menait  assez  grand  train.  Ses  adversaires  dénonçaient  son  luxe  ; 
ils  assuraient  qu'il  était  «plusieurs  fois  millionnaire  et  qu'il  avait  gagné  sa  fortune  dans  les 
tripotages»i32.  Une  cour  de  flatteurs,  d'intrigants,  d'aventuriers  lui  faisait  un  entourage 
compromettant.  Financiers  et  affairistes,  mêlés  aux  politiciens  de  profession  assiégeaient 
l'hôtel  de  la  présidence.  «Quelques  vautours  tels  que  Lebaudy,  Erlanger,  Camondo,  Sou- 
beyran^^^  avaient  su  «environner»  les  environs  de  Gambetta  ;  celui-ci  les  laissait  faire  ;  non 
séduit  peut-être,  mais  endormi  tantôt  par  un  dîner,  tantôt  par  une  partie  de  chasse  plus  ou 
moins  bien  meutée,  ce  qui  lui  donnait  l'illusion  de  jouer  au  prince  de  Galles». Dans  cette 
société  très  mêlée,  les  Juifs  étaient  nombreux,  Drumont  s'en  indignait  :  Juifs  d'Espagne,  de 
Hambourg,  d'Autriche,  les  Porgès,  les  Reinach,  Lévy-Crémieu,  Etienne,  Veil-Picard^^s... 


128  Souvenirs  inédits. 

129  Gorrini,  op.  cit,  p.42. 

130  F.  0.  45/432  -  Paget  à  Granville  -  Rome,  22  décembre  1881. 

131  «As  in  ail  these  French  expéditions,  there  is  a  vast  amount  of  dirty  pecuniary  stockjobbing  interests  at  the 
bottom,  which  hâve  been  the  real  motive  power»  (G.  P.  171  Lyons  à  Granville.  Paris,  13  mai  1881  -  Newton, 
op.  cit  vol.  2,  pp.  243-244) 

132  Mémoires  de  Bernard  Lavergne,  ms. 

133  Le  «sucrier»  Lebaudy,  député  et  financier,  était  une  figure  bien  connue  des  contemporains.  Les  frères 
Camondo,  banquiers  israélites  naturalisés  italiens,  étaient  venus  de  Constantinople  à  Paris  à  la  fin  du 
second  Empire.  Ils  étaient  de  toutes  les  grosses  opérations  boursières  de  l'époque,  affaires  d'Egypte  et  de 
Roumanie  notamment.  Abraham  Camondo  siégeait  au  conseil  d'administration  de  la  banque  de  Paris  et  des 
Pays-Bas  depuis  1876,  à  celui  du  Crédit  mobilier  espagnol  des  Péreire  depuis  1880.  «Les  Camondo  sont  les 
syndicats  incarnés»,  écrit  Chirac,  «aussi  les  trouve-t-on  dans  ces  associations  mystérieuses...  qui  sont  les 
instruments  des  hausses  factices  ou  des  baisses  vertigineuses  dont  s'étonne  parfois  le  monde  de  la  bourse» 
[Les  rois  de  la  République,  t  2,  p.  216),  opinion  parfaitement  justifiée,  si  l'on  s'en  réfère  au  Grand  Livre  de  la 
maison  Camondo  déposé  aux  Archives  nationales  (I.  AQ,  années  1875-1881). 

Quant  à  Erlanger,  après  avoir  fait  fortune  dans  les  affaires  tunisiennes  (cf.  chap.  IV,  VI,  VII),  il  s'était  occupé 
de  diverses  opérations  tant  européennes  qu'américaines  et,  depuis  fin  1875,  dirigeait  la  Société  du  Crédit 
mobilier.  Selon  le  Mot  d'ordre,  un  premier  sujet  de  la  Comédie  française  était  alors  son  intermédiaire  auprès 
de  Gambetta  (30  septembre  1881  :  Affaire  tunisienne). 

134  A.  Chirac  :  L'agiotage  de  1870  à  1887,  t.  2,  p.  13. 

135  Veil-Picard  était  ce  banquier  de  Besançon,  ami  de  Gambetta,  qui  acheta  pour  lui  le  dossier  Bokhos,  publié  dans 
Paris  en  décembrel881,  qui  montrait  les  liens  existant  entre  le  consulat  d'Italie  et  le  journal  arabe  le  Mostakel. 


398 


«Tout  cela  tripotait,  spéculait,  agiotait,  dénonçait,  adulait^^®». 

De  là  à  conclure  que,  dans  l'affaire  tunisienne,  Gambetta  n'avait  agi  que  dans  son 
intérêt  ou  celui  de  ses  amis,  il  n'y  avait  qu'un  pas,  et  ce  pas  Rochefort  l'a  allègrement 
franchi,  lorsque,  le  7  septembre  1881,  il  prétendait  révéler  dans  l'Intransigeant  «le 
secret  de  l'affaire  tunisienne»,  un  coup  de  bourse  de  cent  millions  sur  les  obligations  de 
la  dette  unifiée. 

c)  «Une  guerre  pour  les  affaires  7»^^^ 

«Osera-t-on  soutenir  encore  que  l'expédition  tunisienne  n'a  été  qu'une  question 
d'honneur  et  pas  du  tout  une  question  d'argent  ?»  lançait  Rochefort  le  19  juin  18811^®. 
Dès  la  fin  de  l'été,  la  presse  d'extrême  gauche,  bientôt  soutenue  par  les  feuilles 
monarchistes,  commençait  une  violente  campagne  de  dénonciations  contre  la  majorité 
opportuniste,  contre  Ferry,  contre  Gambetta  surtout.  Coup  de  bourse,  affaire  de  l'Enfida, 
affaire  du  Crédit  foncier,  autant  de  prétextes  pour  des  révélations  sensationnelles,  des 
accusations  furibondes  contre  les  responsables  de  l'expédition,  bénéficiaires  désignés 
des  scandaleux  «tripotages  tunisiens»^^®. 

Tandis  qu'à  Paris  comme  en  province,  des  meetings  réclamaient  la  mise  en  accusation 
du  ministère,  la  Chambre  évoquait  les  affaires  de  Tunisie  avant  de  se  prononcer  sur  le 
traité  de  protectorat.  Au  nom  de  l'extrême  gauche,  le  8  novembre,  Clemenceau  ouvrait 
le  dossier  tunisien.  Mais  trois  jours  de  débats  à  la  Chambre  ne  devaient  pas  épuiser 
la  question.  Un  mois  plus  tard,  on  en  reparlait  encore  au  procès  de  VIntransigeant,  ce 
procès  en  diffamation  intenté  par  Roustan  contre  le  publiciste  Rochefort,  et  le  Tout-Paris 
de  courir  au  palais  de  justice  entendre  ces  histoires  de  tripotages  orientaux,  relevées 
d'anecdotes  pimentées  qui  faisaient  ses  délices. 

En  dépit  de  bien  des  outrances,  bien  des  inexactitudes,  les  accusations  de 
l'opposition  révélaient  l'existence  de  groupes  financiers  matériellement  intéressés 
au  succès  de  l'opération  tunisienne.  Leurs  relations  avec  les  chefs  de  la  majorité 
républicaine  laissaient  soupçonner  d'inquiétantes  compromissions  entre  la  politique 
et  la  finance. 


Eugène  Etienne,  élu  député  d'Oran  en  1881,  fit  pendant  quarante  ans,  comme  député,  sénateur  et  ministre, 
une  carrière  politique  au  cours  de  laquelle  il  s'affirma  comme  le  chef  du  groupe  colonial  au  Parlement. 
Billing  rapporte  qu'il  lui  avait  servi  d'intermédiaire  pour  présenter  à  Gambetta  divers  envoyés  tunisiens 
entre  1879  et  1881.  Etienne  était  originaire  des  Charentes  et  c'est  à  tort  que  Drumont  fait  de  lui  un  Juif. 
Marcus  Levy-Crémieu,  originaire  de  Marseille,  était  un  des  animateurs  de  la  Banque  Franco-égyptienne. 
Selon  Chirac,  il  aurait  été  propriétaire  de  maisons  closes  dans  la  capitale  {Les  rois  de  la  république,  t.  2,  (pp. 
264-271). 

Joseph  Reinach  collaborait  à  la  République  française,  avant  de  devenir  chef  de  cabinet  de  Gambetta  en  1881. 
Neveu  du  baron  de  Reinach  que  l'affaire  de  Panama  devait  tristement  mettre  en  vedette,  il  s'illustra  par  la 
défense  du  capitaine  Dreyfus.. 

136  La  France  juive  ;  pp.  530-546. 

137  Daily  Telegraph,  10  septembre  1881. 

138  Intransigeant,  19  juin  1881. 

139  Intransigeant  (avril-décembre  1881),  Justice  (avril-décembre).  Petit  Parisien  (14-29,  septembre).  Lanterne 
(septembre-octobre  :  lettres  de  Gay),  Rappel  (septembre-octobre).  Mot  d'ordre  (septembre-octobre).  Vérité 
(15  septembre-  3  novembre).  Politique  d'action  (septembre-octobre).  Clairon  (14  septembre  1^^-  octobre). 
Napoléon  (novembre-décembre).  Soir  (octobre).  Comédie  politique,  de  Lyon  (octobre-novembre),  Daily 
Telegraph  (septembre),  Pall  Mail  Gazette  (29  septembre  et  1®^  octobre)  Réponses  de  la  République  française, 
de  l'Evénement  et  de  Paris,  analyses  et  chroniques  du  Temps  et  du  Figaro  (septembre-décembre  1881). 


399 


«L'expédition  française  a  été  précédée,  accompagnée  et  suivie  de  spéculations  qui 
ont  mis  aux  mains  de  syndicats  fort  connus  des  titres  tunisiens  achetés  à  50,40,  30%  au 
dessous  du  pair»,  écrivait  le  ministre  des  Finances,  Léon  Say,  en  juin  18821^0.  «La  dette 
et  les  bons  d'intérêt  étant  aussi  peu  soldés  que  l'était  la  dette  turque  -  ce  qui  est  très 
oriental  et  entre  dans  les  calculs  des  prêteurs  juifs  -  des  chiffonniers  de  banque  avaient 
recueilli  ces  papiers  de  diverses  mains,  entre  autres  d'Erlanger,  qui  ne  pouvait  manquer 
d'être  présent  dans  un  tripotagei'^i...» 

La  manœuvre  aurait  été  tentée  bien  avant  le  congrès  de  Berlin,  à  une  époque  où 
nul  ne  pouvait  songer  à  la  possibilité  d'une  intervention  française  en  Tunisie.  Profitant 
de  l'effondrement  des  obligations  tunisiennes  entraînées  dans  la  débâcle  des  «valeurs 
à  turban»  en  1876  et  1877,  un  groupe  de  spéculateurs,  bonapartistes  aussi  bien  que 
républicains,  parmi  lesquels  étaient,  selon  le  correspondant  de  la  Pall  Mail  Gazette, 
le  baron  Erlanger  et  Emile  de  Girardin,  se  mit  à  jouer  à  la  baisse  afin  de  ramasser  à 
bon  compte  un  papier  déprécié^^^  Voulaient-ils  seulement  attendre  un  mouvement  de 
hausse,  pour  revendre  dans  de  bonnes  conditions  ?  Ces  circonstances  favorables  ne 
se  présentèrent  point.  Le  titre  tunisien  affecté  par  les  mauvaises  récoltes  du  pays,  le 
paiement  incomplet  du  coupon,  ne  se  releva  pas. 

Vint  alors  le  congrès  de  Berlin.  Les  spéculateurs  qui,  toujours  selon  la  Pall  Mail 
Gazette,  avaient  partie  liée  avec  des  députés  de  l'entourage  de  Dufaure,  Léon  Renault  en 
particulier  et  le  ministre  Bardoux,  comprirent  tout  le  parti  que  leur  offrait  la  déclaration 
de  Salisburyi43  chasse  aux  valeurs  tunisiennes  reprit  alors  de  plus  belle.  Si  Erlanger 
menait  toujours  le  jeu,  il  lui  fallait  s'associer  d'autres  spéculateurs,  élargir  son  groupe  à 
la  façon  d'un  «syndicat».  11  avait  avec  lui  sans  doute  Girardin  et  probablement  aussi  Léon 
Renault,  le  richissime  Jenty,  des  chemins  de  fer  de  la  Vendée,  Raphaël  Bischoffsheim, 
député  de  Nice^'^^,  Lévy-Crémieu,  animateur  de  la  Banque  Franco-égyptienne,  qui,  en  mai 


140  A.  E.  Tunis  Mém.  et  Doc.  vol.  12.  A  Cambon  (?)  Stors,  5  juin  1882. 

141  A  Chirac  ;  L'agiotage  de  1870  à  1884.  Paris,  1887  p.  97. 

142  «Les  obligations  tunisiennes  comme  les  autres  valeurs  à  turban  ont  été  atteintes  par  la  baisse  sans  pouvoir 
reconquérir  ce  qu'elles  ont  perdu.  Les  cours  qui  pendant  longtemps  ont  flotté  entre  280  et  285  Fr.  sont 
tombés  jusqu'à  220  fr.  pour  ne  se  relever  qu'un  peu  au  dessus»  [Réforme financière,  15  octobre  1876). 

Les  cours  de  l'obligation  tunisienne  à  Paris  subissaient  aussi  l'influence  des  batailles  que  se  livraient  à 
Tunis  haussiers  et  baissiers,  rivalités  qui  mettaient  aux  prises  les  courtiers  juifs  du  Contrôle  et  leurs  rivaux, 
tel  le  fameux  Haï  Sebag  qui  fut  «exécuté»  au  printemps  de  1879  (Réforme  financière,  Semaine  financière, 
Avv.  di  Sard.  1876-1879).  Relevons  cependant  les  articles  «baissiers»  de  la  Semainefinancière  contrôlée  par 
Girardin  et  Jenty,  les  28  octobre,  18  novembre  1876,12  mai  et  4  août  1877. 

143  «Baron  Erlanger  then  thought  that  perhaps  he  could  galvanize  Tunisian  Bonds.  He  found  that  he  could  do 
nothing  with  them.  They  were  then  taken  up  by  the  late  Clément  Laurier,  M.  de  Girardin,  and  a  fair  friend 
ofboth.  Political  men  ofvarious  shades  of  politics  were  drawn  into  the  affair.  Bonapartists  and  Republicans 
met  at  the  dinner  table  of  the  lady.  Men  of  such  opposite  politics  shared  the  repasts  to  which  she  invited 
them  as  to  win  for  her  house  the  name  of  «ménagerie».  They  steadily  «beared»  Tunisians  until  they  could 
scarcely  fall  lower,  and  then  bought  them  up.  The  political  struggles  which  marked  the  close  of  the  Mac 
Mahonnate  prevented  them  for  a  time  taking  further  action.  But  the  opportunity  watched  for  arose  in 
1878,  when  the  Congress  met  at  Berlin.  M.  Waddington  was  no  party  to  the  intrigue,  but  some  deputies 
in  M.  Dufaure's  entourage  were.  Other  names  besides  those  of  MM.  Léon  Renault  and  Bardoux  hâve  been 
mentioned  to  me»  (Pall  Mail  Gazette,  29  septembre  1881  :  The  real  origin  ofthe  war  in  Tunis). 

144  Jenty,  député  de  la  Roche-sur-Yon,  était  un  des  principaux  brasseurs  d'affaires  du  Parlement.  Il  dirigeait 
ou  administrait  de  nombreuses  sociétés  financières,  contrôlait  le  Petit  journal  et  la  France.  Mais  la  récente 
déconfiture  des  chemins  de  fer  de  la  Vendée  qu'il  dirigeait  avait  porté  un  coup  sensible  à  son  crédit. 
Raphaël-Louis  Bischoffsheim,  fils  de  Louis-Raphaël,  était  le  gendre  d'Erlanger.  Homme  politique  et  financier, 
il  se  passionnait  surtout  pour  l'astronomie.  Ses  libéralités  électorales  lui  valurent  une  invalidation  méritée 
en  1889. 


400 


1880,  préparait  la  fusion  de  sa  banque  avec  le  Crédit  mobilier  d'Erlangeri''^.  Nous  ne  les 
connaissons  pas  tous  ;  mais  nous  savons  du  moins  que,  contrairement  aux  affirmations 
des  Italiens,  les  Camondo  n'en  étaient  pas^^®. 

Avec  son  habileté  coutumière,  Erlanger  se  gardait  d'opérer  sur  un  seul  front.  11 
préparait  sa  rentrée  dans  les  affaires  tunisiennes  par  un  coup  de  maître,  une  manoeuvre 
à  longue  échéance  qui  devait  lui  assurer  la  possession  d'un  paquet  de  17.000  obligations 
qui,  depuis  cinq  ans  dormaient  dans  la  succession  Samamai'*^. 


145  «Nous  pouvons  aujourd'hui  désigner  quelques  uns  des  bons  patriotes  qui  ont  fait  ce  coup  de  bourse»,  lit-on 
dans  le  Clairon  du  28  septembre  (Les  tripotages  tunisiens). 

1)  un  ancien  député  bien  connu. 

2)  un  financier  qui  s'occupe  d'industrie 

3)  un  financier  dont  le  nom  pourrait  être  un  prénom. 

4)  un  baron  sans  particule. 

5)  le  directeur  d'un  journal  parisien  connu  pour  la  mansuétude  de  son  caractère  et  la  légèreté  frétillante  de 
son  allure. 

6)  un  millionnaire  qui  a  mis  de  l'argent  dans  un  journal  opportuniste. 

7)  un  millionnaire  devenu  député  par  la  grâce  de  ses  écus. 

8)  le  directeur  d'une  institution  de  crédit 

9)  un  agent  de  publicité  qui  a  des  rapports  étroits  d'intérêt  avec  le  précédent». 

Ces  allusions,  transparentes  sans  doute  pour  les  contemporains,  restent  malheureusement  trop  souvent 
pour  nous  des  énigmes.  Nous  reconnaissons  aisément  Léon  Renault  (1°)  qui  venait  d'être  battu  au 
renouvellement  de  1881,  Emile  de  Girardin  (5°),  Jenty  (6°),  son  partenaire  habituel  dans  les  opérations 
financières,  qui  venait  de  participer  au  lancement  du  Petit  Journal,  Raphaël  Bischoffsheirn  (7°),  dont  les 
campagnes  dans  les  Alpes  Maritims  devaient  longtemps  demeurer  célèbres. 

Il  y  a  de  fortes  chances  pour  que  «un  baron  sans  particule»  désigne  le  baron  Seillière,  gendre  de  Gallifet.  Le 
financier  qui  s'occupe  d'industrie  pourrait  être  Erlanger,  et  Levy-Crémieu,  le  directeur  d'une  institution  de 
crédit  (Franco-égyptienne).  Sur  les  deux  autres,  nous  ne  pouvons  formuler  que  des  conjectures.  Seraient-ce 
Desfossés  (9°),  F.  Thomas,  administrateur  du  Comptoir  d'Escompte  et  censeur  de  la  Banque  des  Pays  Bas, 
Henri  Germain,  directeur  du  Crédit  Lyonnais,  Richard,  administrateur  de  la  compagnie  Bône-Guelma,  ou 
encore  Jacques  Siegfried,  administrateur  du  Comptoir  d'Escompte  et  du  Bône-Guelma  (3°)  ? 

Selon  le  Mot  d'ordre,  «ce  syndicat  avait  à  sa  tête  la  Banque  Franco-égyptienne  dont  le  président,  M.  Levy- 
Crémieu  écrivait  naguère  dans  la  République  Française  des  articles  à  la  baisse  sur  les  fonds  égyptiens.» 
«Parmi  les  administrateurs  de  cette  banque  figure  aussi  M.  Charles  Ferry,  frère  du  président  du  conseil»  (30 
septembre  1881). 

Enfin,  la  Réforme  financière,  dans  son  numéro  du  16  mai  1880,  assurait  qu'une  «importante  maison  de 
banque  de  Paris  aurait  acheté  un  grand  nombre  de  titres».  Cette  banque  «qui  a  de  gros  intérêts  dans  un 
chemin  de  fer  algérien  (nous  nous  hâtons  de  dire  qu'il  ne  s'agit  pas  de  la  compagnie  Bône-Guelma)»  était 
sans  doute  la  Société  industrielle  et  Commerciale,  maison  mère  de  la  Société  Marseillaise  et  fondatrice  de 
la  Compagnie  de  l'Est  algérien,  rivale  du  Bône-Guelma.  Cette  information  était-elle  fondée  ?  La  Réforme 
financière,  organe  de  chantage,  était  d'ordinaire  bien  informée  en  matière  de  finances  tunisiennes.  Par  la 
Société  Marseillaise,  les  dirigeants  de  la  Société  industrielle  et  Commerciale  étaient  liés  aux  affaires  du 
Crédit  Mobilier  et  de  la  Franco-égyptienne.. 

146  «On  dit  qu'un  groupe  de  banquiers  parisiens  capitainés  par  le  banquier  italien  Camondo  a  acheté  en  ce 
moment  80.000  obligations»  (Av.  diSard.  18  décembre  1880). 

L'examen  des  opérations  boursières  de  Camondo,  telles  qu'elles  apparaissent  dans  le  Grand  Livre  de  la 
banque  entre  1875  et  1881,  prouve  de  la  façon  la  plus  péremptoire  que  les  Camondo  et  leurs  alliés  n'étaient 
pas  mêlés  au  coup  de  bourse  tunisien.  Les  seules  opérations  spéculatives  que  nous  relevions  sur  le  5% 
tunisien  se  réduisent  à  l'achat  de  500  titres  pour  le  compte  de  Léon  Alfassa,  le  gendre  de  Camondo,  le  14 
décembre  1880  (164.637,50  fr.)  et  à  une  liquidation  portant  sur  150  obligations,  en  juin  suivant  (A.  N.  1  AQ 
123  et  124),  sommes  dérisoires  si  on  les  compare  aux  opérations  menées  au  même  moment  sur  les  valeurs 
égyptiennes  :  35  millions  sur  le  seul  6%  Dette  unifiée  dans  la  seule  année  1880. 

147  Depuis  la  mort  du  caïd  Nessim  Samama  en  1873  et  l'ouverture  de  sa  succession,  à  Livourne,  à  Lucques,  à 
Florence,  les  procès  succédaient  aux  procès.  Les  neveux  déshérités  contestaient  la  validité  du  testament, 
tandis  que  le  gouvernement  tunisien,  représenté  par  le  général  Heussein,  prétendait  recouvrer  le  produit 
des  vols  de  son  ancien  trésorier,  un  total  de  16.768.000  francs.  Or  la  succession  Samama  avait  été  estimée 
27.718.000  francs,  dont  près  du  tiers  en  valeurs  tunisiennes  :  17.143  obligations  valant  7.971.495  francs 
au  cours  de  465  francs  et  8.941  certificats  de  coupons  cotant  789.040  francs  (Arch.  Tun.  Carton  102,  Doss. 
239). 


401 


500 


Le  cours  des  obligations  tunisiennes  en  bourse  de  Paris 
de  1876  à  1881 

(d'après  la  presse  financière  française). 


Mais,  pour  que  la  manœuvre  pût  réussir,  pour  que  le  coup  de  bourse  fût  payant, 
il  fallait  pouvoir  revendre  au  plus  haut  prix.  Or  ce  n'étaient  certes  pas  les  fluctuations 
habituelles  du  5%  tunisien,  influencé  autant  par  le  paiement  irrégulier  de  ses  coupons 
que  par  les  manœuvres  des  courtiers  de  Tunis,  qui  pouvaient  fournir  les  bénéfices 
escomptés  par  les  spéculateurs.  Mais  si  le  gouvernement  français  se  décidait  à  annexer 
la  Régence,  il  ne  serait  pas  difficile  de  le  persuader  de  la  nécessité  de  se  débarrasser  de  la 
Commission  financière  et,  pour  ce  faire,  de  prendre  à  sa  charge  la  dette  tunisienne.  Et  les 


Cinq  années  d'interminables  procès  avaient  lassé  les  héritiers  Samama  qu'inquiétaient  en  outre  la  ténacité 
du  gouvernement  beylical  et  l'amenuisement  d'une  succession  atteinte  par  l'effondrement  des  cours 
du  5%  tunisien  (à  220  ou  225  francs,  c'était,  début  1879,  une  perte  de  plus  de  4  millions  sur  les  seules 
obligations).  Erlanger  jugea  le  moment  opportun  pour  intervenir.  A  partir  de  janvier  1879,  en  grand  secret, 
il  racheta  ou  fit  racheter  par  son  mandataire  Albert  Dubois  les  droits  des  neveux  Samama  et  de  tous  ceux 
qui  prétendaient  à  une  part  de  la  succession.  Le  31  janvier  1879,  il  traitait  avec  Joseph  et  Nathan  Samama, 
héritiers  chacun  pour  un  quart,  sur  la  base  de  250.000  francs  comptant  et,  sous  réserve  de  réductions,  de 
2.500.000  francs  lors  de  la  liquidation  (Arch.  Tun.  carton  102,  Doss.  244).  Il  traitait  sur  les  mêmes  bases, 
les  mois  suivants,  avec  les  autres  héritiers.  Ainsi,  en  engageant  seulement  un  million,  il  rachetait  pour 
11  millions  une  succession  qui  ne  inanquerait  pas  d'être  revalorisée  par  une  hausse  des  titres  tunisiens. 
L'opération  valait  d'être  tentée,  même  s'il  lui  fallait  toujours  tenir  compte  des  prétentions  du  bey. 

Après  la  signature  du  traité  de  protectorat,  Erlanger  abattit  son  jeu.  Comme  les  contestations  n'avaient 
point  cessé,  il  proposa  au  gouvernement  tunisien,  en  tant  que  cessionnaire  des  héritiers  Samama,  un 
arrangement  à  l'amiable  pour  le  partage  de  la  succession.  Le  gouvernement  y  consentit  et,  pour  traiter 
en  son  nom,  il  désigna  un  courtier  qui  avait  été  le  complice  du  banquier  dans  les  scandaleuses  affaires 
d'avant  1870,  Giacomo  Guttieres.  C'est  ainsi  que  la  convention  d'octobre  1881  répartit  l'héritage  du  caïd 
Nessim  à  raison  de  72%  pour  Erlanger  et  de  28%  pour  le  gouvernement.  L'affaire  fit  quelque  bruit.  Un 
avoué  parisien  protesta  auprès  du  gouvernement  français  contre  un  «contrat  léonin»  qui  laissait  à  Erlanger 
tous  les  bénéfices  de  l'opération.  Qui  donc  avait  désigné  Guttieres  pour  traiter  au  nom  du  bey,  ce  Guttieres 
qui  n'était  qu'un  «agent  habituel  de  M.  Erlanger  dont  il  aurait  en  réalité  servi  les  intérêts  ?»  (A.  E.  Tunis, 
vol.  63.  A  Roustan.  Paris,  23  octobre  1881).  Un  pamphlet  anonyme  paru  à  Genève  en  1882,  Tunis  en  France, 
dénonça  des  tripotages  et  de  scandaleuses  compromissions  dans  l'entourage  du  résident.  Mais  rien  n'y  fit. 
Guttieres  fut  même  chargé  de  la  liquidation  de  la  succession.  Finalement  le  gouvernement  recouvra  moins  de 
8  millions  au  cours  des  années  suivantes  tandis  qu'Erlanger  ramassait  20  millions  tout  en  déboursant  moins 
de  8  millions  en  faveur  des  Samama  (en  raison  d'une  réduction  de  28%  sur  la  part  qui  leur  revenait).  Il  est 
vrai  qu'il  avait  sans  doute  été  tenu  à  quelques  largesses  en  faveur  de  Guttieres  comme  des  fonctionnaires 
qui  lui  avaient  permis  de  réaliser  une  aussi  belle  opération... 


402 


spéculateurs  de  réaliser  alors  des  bénéfices  de  100  à  200%  en  échangeant  benoîtement 
au  prix  de  500  francs  des  valeurs  qui  ne  leur  avaient  coûté  que  220  ou  même  165  francs 
quelques  années  auparavanb^s  p  n'était  pas  même  besoin  d'attendre  une  opération 
de  conversion.  Une  hausse  savamment  entretenue  par  des  bruits  de  réorganisation 
financière  pouvait  rapporter  tout  autant.  11  suffisait  de  revendre  au  bon  moment,  lorsque 
les  obligations  coteraient  480  ou  490  francs,  ce  qui  n'était  pas  difficile  assurément  pour 
des  banquiers  habitués  à  diriger  les  opérations  du  marché  financieri^s. 

Les  spéculateurs  en  bourse  n'étaient  pas  les  seuls  qui  fussent  intéressés  au  succès 
de  l'opération  tunisienne.  Toutes  les  sociétés  françaises  qui,  d'une  façon  ou  d'une  autre, 
avaient  engagé  des  fonds  dans  la  Régence  Tétaient  également. 

Sans  doute,  la  Compagnie  Bône-Guelma  et  la  Société  des  Batignolles  n'avaient- 
elles  plus  rien  à  espérer  du  côté  de  la  ligne  de  la  Medjerda.  Les  subventions  annuelles 
que  le  gouvernement  français  leur  versait  en  vertu  de  la  convention  de  mars  1877 
continueraient  pendant  longtemps  d'assurer  l'essentiel  de  leurs  revenus  dans  ce 
domainei^o,  même  si  la  jonction  avec  le  réseau  algérien  pouvait,  être  enfin  réalisée.  Mais 


148  «The  «ring»  of  deputies  who  secretly  precipitated  the  goverment  into  the  adventure  did  not  want  precisely  to 
conquer  Tunis.  But  it  was  necessary  to  the  success  of  their  plan  that  the  Beylicat  should  become  a  dependency 
of  France.  Unless  it  did,  there  would  not  be  a  sufficient  pretext  for  asking  the  minister  of  Finance  to  bring  a 
bill  which  would  enable  him  to  guarantee  the  debts  contracted  previous  to  the  occupation  by  the  Bey. 
Whatever  members  of  the  government  were  privy  to  the  designs  of  the  Tunis  ring  of  deputies  early  in  the 
year,  and  decided  to  aid  and  abet  them,  M.  Barthelemy-Saint-Hilaire  was  not.  1  will  not  say  he  was  a  dupe, 
but  he  was  hoodwinked  and  taken  in»  {Pall  Mail  Gazette  ,  29  septembre  1881  :  The  real  origin  ofthe  ivar 
in  Tunis  -Vérité,  3  octobre  1881  :  Affaires  de  Tunisie,  traduction  ou  adaptation  de  l'article  de  la  Pall  Mail 
Gazette). 

La  conversion  de  la  dette  tunisienne  fut  effectivement  réalisée  en  1884  par  le  second  ministère  Ferry.  Il  en 
était  déjà  question  en  1882  et  Léon  Say  qui  avait  repris  le  portefeuille  des  Finances  dans  le  second  cabinet 
de  Freycinet  ne  cachait  pas  son  hostilité  à  ce  projet  :  «ce  serait  un  grand  effort  moral  et  financier  que  de 
prendre  à  la  charge  de  la  France  le  remboursement  de  la  dette  tunisienne.  Moral,  parce  que  l'expédition 
française  a  été  précédée,  accompagnée  et  suivie  des  spéculations  qui  ont  mis  aux  mains  de  syndicats  fort 
connus  des  titres  tunisiens  achetés  à  50,  40  ou  30%  au  dessous  du  pair,  et  qui  seraient  immédiatement 
réalisés  au  pair  si  la  France  venait  à  rembourser  aux  porteurs,  et  à  500  fr.,  les  obligations  qu'ils  détiennent». 
(A.  E.  Tunis  mém  et  Doc.  vol.  12  à  Cambon  (?)  Stors,  5  juin  1882,  loc.  cit)  . 

149  «Un  détenteur  de  100.000  titres...  les  ayant  acquis  en  1877  à  160  francs  l'un  les  aurait  payés  16  millions,  et  les 
revendant  400  francs,  il  aura  pu  réaliser  40  millions,  d'où  un  profit  net  de  24  millions»  (Chirac,  op.  dtp.  99). 
Le  14  septembre  1881,  le  Clairon,  bientôt  suivi  par  la  Gazette  du  Midi,  de  Marseille,  et  le  Mot  d'ordre  (17 
et  30  septembre),  relevait  une  note  qu'il  prétendait  avoir  trouvée  dans  le  Daily  Telegraph  (?),  note  selon 
laquelle  un  syndicat  de  tripoteurs  aurait  acheté  pour  35  millions  d'obligations  tunisiennes  à  220  francs  et 
les  aurait  revendues  485  francs  après  le  traité  du  Bardo  {Les  tripotages  tunisiens).  Selon  ces  assertions  fort 
plausibles  (les  chiffres  de  220  et  485  francs  sont  en  effet  très  acceptables,  car  ils  correspondent  aux  cours 
moyens  du  5%  tunisien  à  la  fin  de  1879  et  au  mois  de  juin  1881)  il  s'agirait  d'un  coup  de  bourse  sur  70.000 
obligations  qui  aurait  laissé  un  bénéfice  de  18.500.000  francs  à  ceux  qui  l'auraient  réalisé. 

Sur  cette  question,  voir  également  VAvvenire  di  Sardegna,  la  Riforma  (décembre  1880)  ;  H.  Pontois  :  Les  odeurs 
de  Tunis  (Paris,  1889)  ;  Drumont  :  La  France  juive,  p.  492,  qui  accuse  Ch.  Ferry  d'avoir  organisé  avec  Lévy- 
Crémieu  la  baisse  des  obligations,  et,  évidemment  l'Intransigeant  du  27  septembre  1881  où  Rochefort  prétend 
révéler  le  secret  de  l'affaire  tunisienne,  un  coup  de  bourse  de  cent  millions  réalisé  par  Gambetta  et  Roustan... 

150  Clemenceau  devait  dénoncer  à  la  Chambre,  le  8  novembre  1881,  la  trop  grande  habileté  de  la  Compagnie 
Bône-Guelma  à  tirer  parti  des  subventions  de  l'Etat.  Il  faisaitremarquer  qu'elle  avaitrétrocédé  la  construction 
de  la  ligne  de  la  Medjerda  à  la  Société  des  Batignolles  et  l'exploitation  à  une  compagnie  fermière  (la  Société 
d'exploitation  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma),  «tout  en  gardant  pour  elle  un  très  notable  bénéfice». 
«Voilà  donc»,  disait-il,  «une  compagnie  financière  qui  a  simplement  rempli  le  rôle  d'intermédiaire  et  qui, 
pour  ce  fait,  reçoit  une  subvention  du  budget». 

Il  montrait  ensuite,  non  sans  raison,  que  le  système  des  subventions  forfaitaires  annuelles  n'encourageait 
nullement  la  société  à  développer  son  activité.  La  compagnie  fermière  d'exploitation  ayant  traité,  elle  aussi, 
à  forlait  avec  la  Compagnie  Bône-Guelma  est  arrivée  à  ce  singulier  résultat  qu'elle  «n'a  pas  d'intérêt  à 
développer  le  trafic  puisque  le  Bône-Guelma  prend  toutes  les  recettes  et  paye  le  prix  convenu  à  la  compagnie 


403 


La  famille  Goüin  de  Tours 


f 

1 

f 

f 

Henry 

1782-1861 

Charles 

1783-1855 

Edouard 
n.  1787 

bugène 

1818-1909 

PAYS-BAS 

Sénateur 


Ernest 

1815-1885 

BATIGNOLLES 


Stéphane 
1820-1876 
BONE-GUELMA  | 


Jules 

W.  CHABROL 

1845-1908 

feendrel 

BONE-GUELMA 

BONE-GUELMA 

SOURCES  :  Temps,  26  mars,  Figaro,  25  et  27  mars  1885  :  notices  nécrologiques  concernant  Ernest  Gouin  ; 
Louis  de  Grandmaison  :  Historique  de  la  Caisse  d'épargne  et  de  prévoyance  de  la  ville  de  Tours  1833-1933,  suivi 
de  notices  biographiques.  Tours,  1933  pp.  103  sqq.  ;  actes  de  naissance  de  Charles  Gouin,  le  28  décembre  1783, 
d'Edouard,  le  26  septembre  1787,  d'Ernest-Alexandre,  le  22  juillet  1815  (état-civil  Tours)  ;  d'Eugène  Goüin,  le 
18  septembre  1818  (état-civil  St  Symphorien  les  Tours)  ;  acte  de  décès  de  Stéphane  Goüin,  le  22  octobre  1878 
(Paris  VHP). 

Nous  avons  mentionné  les  sociétés  dont  faisaient  partie  les  différents  membres  de  la  famille  Gouïn  en 
1878-1881.  A  la  mort  de  son  père,  en  mars  1885,  Jules  Goüin  devait  reprendre  la  direction  de  la  Société  des 
Batignolles. 


fermière.  Si  bien  que  moins  cette  dernière  fait  de  frais,  moins  elle  fait  passer  de  trains  sur  sa  voie,  plus  elle 
gagne  d'argent»  (/.  0.,  séance  du  8  novembre  1881,  pp  1969-1970.  -  Thème  traité  par  C.  Pelletan  dans  la 
Justice  du  2  novembre  :  La  question  tunisienne).  En  somme,  concluait  Clemenceau,  le  lendemain,  la  compagnie 
Bône-Guelma  «n'a  fait  que  mettre  dans  sa  poche  l'argent  du  budget»  (J.  0.  p.  1991).  Gay  développait  à  peu 
près  les  mêmes  arguments  dans  une  lettre  qu'il  adressait  à  Roustan  le  6  septembre  1880  (A.  E.  Mém.  et  Doc. 
Procès  de  l'Intransigeant,  vol.  1.  Pièce  13). 

Quelle  que  fût  la  légitimité  des  avantages  acquis  par  le  groupe  Batignolles  Bône-Guelma.  ces  avantages  étaient 
les  mêmes  que  ceux  dont  jouissaient  en  France  les  compagnies  de  chemin  de  fer  et  ils  avaient  été  obtenus  en 
1877  par  un  vote  du  Parlement.  Il  est  difficile  d'en  faire  état  au  nombre  des  mobiles  financiers  de  l'expédition 
française.  Les  difficultés  d'exploitation  de  la  ligne  en  raison  de  l'insécurité  locale,  pouvaient  tout  au  plus  fournir 
au  gouvernement  français  un  prétexte  supplémentaire  pour  justifier  son  intervention  dans  la  Régence. 

404 


une  main  mise  française  sur  la  Régence  signifierait  pour  ces  deux  sociétés  la  réalisation 
à  brève  échéance  des  promesses  beylicales  d'août  1880,  la  construction  des  lignes  de 
Sousse  et  de  Bizerte,  l'installation  d'un  port  à  Tunis  avec,  à  la  clé,  quelque  garantie 
d'intérêt  française  ou  tunisienne  qui  leur  assurerait  pendant  de  longues  années  la 
rémunération  du  capital  qu'elles  auraient  bien  voulu  engageri^i. 


LE  GROUPE  BATIGNOELES  BONE-CUELMA 
et  ses  attaches  financières  (1878-1881). 


/ 


BONE 

GUELMA 


La  Compagnie  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma  était  la  filiale  de  la  Société  de  construction  des  Batignolles 
(Ernest  Goiiin  et  Cie],  Parmi  ses  administrateurs,  en  1880-1881,  elle  comptait  toujours  le  fils  du  directeur  de  la 
Société  des  Batignolles,  Jules  Goiiin  (Compagnie  d’exploitation)  et  son  gendre,  Wilbrod  Chabrol  ;  mais  Stéphane 
Goiiin,  le  frère  du  fondateur,  était  mort  en  octobre  1878. 

Comptoir  d'Escompte  et  Banque  de  Paris  et  des  Pays-Bas  étaient  très  liés.  Ces  deux  banques  avaient  trois 
adminstrateurs  communs,  Edouard  Hentsch,  président  du  Comptoir  ;  F.  Thomas,  Berthier,  censeur  des  deux 
sociétés  ;  elles  participaient  d'ordinaire  aux  mêmes  opérations  financières.  En  1877,  elles  avaient  collaboré  au 
placement  des  actions  de  la  Compagnie  Bône-Guelma  et  placé  au  sein  de  la  nouvelle  société,  l'une,  un  de  ses 
adminstrateurs,  le  banquier  Jacques  Siegfried  ;  l'autre,  son  directeur,  Charles  Sautter.  Le  lien  entre  Banque  des 
Pays-Bas  et  Société  des  Batignolles  était  assuré  par  la  famille  Goiiin  ;  le  sénateur  Eugène  Goiiin,  commanditaire  du 
Bône-Guelma,  administrait  la  première,  son  cousin  germain  Ernest  dirigeait  la  seconde  (Société  des  Batignolles  : 
l'œuvre  d'un  siècle,  Paris  1952  ;  Compagnie  des  chemins  de  fer  de  Bône  à  Guelma...  :  Actes  organiques,  Paris,  1912  : 
presse  financière,  passim,  1878-81). 


151  Nous  n'avons  pas  trouvé  trace  de  pressions  exercées  par  les  dirigeants  du  groupe  Batignolles  Bône-Guelma,  ni 
de  relations  existant  entre  ceux-ci  et  les  responsables  de  la  politique  française.  On  ne  saurait  toutefois  en  tirer 
aucune  conclusion,  car  ce  groupe  avait  plus  d'un  protecteur  politique  au  sein  du  Parlement,  ne  seraient-ce  que  les 
sénateurs  Goiiin,  Krantz  et  Barrot.  Notons  cependant  que  les  intérêts  financiers  de  la  Compagnie  Bône-Guelma 
en  Tunisie  étaient,  dans  l'immédiat,  beaucoup  moins  ii^ortants  que  ceux  du  groupe  Péreire-Marseillaise. 


Erlanger 


Un  grand  consortium  financier  (1880-1881). 


L'affaire  de  l'Enfida  soulignait  tout  l'intérêt  que  la  Société  Marseillaise  pouvait  avoir 
à  la  réalisation  d'un  protectorat  français  sur  la  Tunisiei^^.  La  société  ne  pouvait  certes 
pas  prévoir  qu'elle  pût  être  victime  d'une  spoliation  aussi  cynique.  Mais,  quel  que  fût  son 
bon  droit  dans  l'affaire  Levy,  l'achat  pour  près  de  trois  millions,  tous  frais  compris,  de 
domaines  qui,  de  l'aveu  même  de  leur  propriétaire,  ne  rapportaient  pas  200.000  francs 
par  an,  n'en  constituait  pas  moins  une  spéculation  au  sens  le  plus  strict  du  terme,  une 
mise  de  fonds  sur  des  biens  qui  ne  pourraient  être  sérieusement  mis  en  valeur  qu'à  la 
faveur  d'un  changement  de  régime  en  Tunisie. 

Les  dirigeants  de  la  société  semblaient  avoir  pris  bien  rapidement  leur  parti 
des  difficultés  que  leurs  suscitaient  Mustapha  et  ses  amis.  Ils  s'étaient  bornés  à  une 
déclaration  de  principe  affirmant  leur  bon  droit  et  pour  le  reste,  il  paraissaient  s'en 
remettre  au  gouvernement  du  soin  d'assurer  la  défense  de  leur  cause^^^.  Mais  la  Société 
Marseillaise  n'était  plus  seule  dans  l'affaire.  Depuis  le  mois  d'avril  1880,  elle  s'était 
associée  au  groupe  Péreire  pour  le  développement  de  ses  entreprises  africaines.  Or, 
au  début  du  printemps  de  1881,  alors  que  les  négociations  franco-anglaises  et  franco- 


152  Clemenceau  eut  beau  jeu  de-souligner  les  contradictions  des  déclarations  gouvernementales  à  propos  de 
l'Enfida.  Le  8  novembre  1881,  il  rappelait  à  la  Chambre  que  le  12  mai,  sous  la  signature  de  Barthélemy- 
Saint-Hilaire,  le  Livre  jaune  donnait  l'affaire  de  l'Enfida  pour  «le  second  motif  de  l'expédition»,  alors  qu'un 
mois  plus  tôt,  le  11  avril,  J.  Ferry  avait  dit  et  répété  dans  un  discours  à  la  Chambre  «qu'entre  cette  opération 
militaire  et  l'affaire  de  l'Enfida  il  n'y  avait  aucune  relation  directe  ou  indirecte»  (J.  O.,  12  avril,  p.  851:  8 
novembre  1881.  p.  1970). 

153  Une  société  «à  laquelle  on  ne  peut...  reprocher  que  sa  mollesse  et  son  trop  de  confiance  dans  son  bon  droit, 
écrivait  Courcel  (A.  E.  Pap.  Noailles.  A  Noailles.  Pad»^21  mars  1881). 


tunisiennes  au  sujet  de  l'Enfida  semblaient  au  point  mort,  Eugène  Péreire  préparait 
l'élargissement  du  consortium  franco-tunisien  en  faisant  appel  au  baron  Erlanger, 
animateur  de  l'agence  Havas  et  du  Crédit  mobilier  français,  le  banquier  Erlanger 
des  emprunts  tunisiens  de  1863  et  1865,  des  canons  rayés  en  dehors  et  de  l'affaire 
Samama... 

Compagnie  transatlantique.  Crédit  mobilier  espagnol.  Crédit  mobilier  français. 
Banque  franco-égyptienne.  Société  Marseillaise,  Est  algérien,  ne  retrouvait-on  point 
partout  les  mêmes  financiers  rapaces,  les  Péreire,  les  Erlanger,  les  Camondo,  les  Lévy- 
Crémieu,  les  Durrieu  ?  Derrière  les  façades  nouvelles  de  la  Banque  transatlantique  et  de 
la  Société  franco-africaine,  c'était  un  nouveau  syndicat  financier  qui  s'organisait  pour 
l'exploitation  en  règle  du  marché  tunisieni^r.  A  elle  seule,  la  participation  d'Erlanger 
était  tout  un  programme  ;  le  banquier  allemand  n'apportait-il  pas  avec  lui  la  fructueuse 
expérience  de  dix  ans  d'affaires  tunisiennes,  la  connaissance  des  hommes  et  des  choses, 
une  solide  pratique  de  la  corruption  orientale.  Mieux  sans  doute  valait  l'avoir  pour 
allié  que  pour  adversaire  ;  l'intérêt  qu'il  portait  aux  obligations  tunisiennes  comme  à 
la  succession  Samama  était  la  meilleure  garantie  de  l'appui  qu'il  pouvait  fournir  aux 
affaires  des  Péreire  et  de  la  Société  Marseillaise. 

Ainsi,  au  moment  où  se  décidait  l'expédition  française,  nous  assistons  à  la  formation 
d'un  puissant  consortium  financier,  où  les  gens  qui  spéculent  sur  les  terrains  retrouvent 
ceux  qui  spéculent  sur  les  valeurs  tunisiennes,  un  syndicat  de  profiteurs  qui  se  préparent 
à  la  curée,  un  syndicat  qui  dispose  d'une  agence  de  presse,  de  quotidiens  politiques  et 
d'hebdomadaires  financiers,  sans  compter  des  appuis  dans  les  milieux  parlementaires 


154  En  octobre  1881,  eut  lieu  la  transformation  de  la  Société  des  Comptoirs  maritimes  de  Crédit  industriel  et 
Commercial  (ancienne  Société  Franco-tunisienne  de  Crédit),  création  commune  de  la  Société  Marseillaise 
er  d'Eugène  Péreire  par  l'intermédiaire  de  la  Compagnie  transatlantique  et  du  Crédit  mobilier  espagnol, 
en  Banque  transatlantique,  tandis  qu'était  mise  sur  pied  une  Société  franco-africaine  chargée  de  mettre  en 
valeur  les  domaines  acquis  par  la  Société  Marseillaise,  Enfida  et  Sidi  Tabet. 

Or,  au  printemps  de  1881,  Eugène  Péreire  décidait  de  s'associer  à  Erlanger,  avec  lequel  il  était  en  relations 
étroites  d'affaires  depuis  le  début  de  1879.  Le  11  juin  1881,  il  était  nommé  administrateur  du  Crédit  mobilier 
français  qu'avaient  fondé  son  père  et  son  oncle.  En  revanche,  il  réservait  une  part  de  10.000  actions  de  la 
Banque  transatlantique  au  Crédit  mobilier,  ainsi  qu'une  participation  dans  l'augmentation  de  capital  du 
Phénix  espagnol  qu'il  contrôlait  également  (A.  N.  :  procès-verbal  des  séances  du  conseil  d'administration 
du  Crédit  mobilier  :  4  avril,  11  juin,  24  juin,  4  juillet  1881). 

Trois  groupes  financiers  se  trouvaient  ainsi  associés  dans  les  affaires  tunisiennes  :  Péreire,  Erlanger  et 
la  Société  générale  de  Crédit  industriel  et  commercial  qui  contrôlait  à  la  fois  Société  Marseillaise  et  Est 
algérien.  Henri  Durrieu,  président,  et  Rostand,  administrateur  du  Crédit  industriel  et  commercial  en  1880- 
1881,  étaient  toujours  administrateurs  de  la  Société  Marseillaise  avec  G.  Dehaynin,  Rey  de  Foresta,  Joseph 
de  la  Bouillerie,  Simons,  le  baron  Portalis,  Gérard  West,  F.  Aubry,  au  total  neuf  administrateurs  de  la  banque 
parisienne  étaient  administrateurs  ou  gros  actionnaires  de  la  filiale  Marseillaise.  Durrieu  présidait  le  conseil 
des  chemins  de  fer  de  l'Est  Algérien  où  siégeait  un  autre  administrateur  du  Crédit  industriel  et  Commercial,  le 
banquier  Léon  Thélier.  (A.  N.  F  12  6777  :  Société  Marseillais  c-JoMma/ des  actionnaires  et  Semaine  financière  : 
assemblées  générales  de  la  Société  Marseillaise  et  du  Crédit  industriel  et  commercial,  1875-1881). 
Abraham  Camondo  était  administrateur  du  Crédit  mobilier  espagnol  depuis  juin  1880.  Quant  à  la  Société 
franco-égyptienne,  si  elle  n'apparaissait  pas  comme  une  filiale  du  Crédit  industriel  et  commercial,  ses  liens 
avec  cette  dernière  banque  étaient  évidents.  Un  de  ses  dirigeants,  Rostand,  administrait  également  Société 
Marseillaiie  et  Crédit  industriel  ;  un  autre,  Rey  de  Foresta,  avait  siégé  quelques  années  plus  tôt  au  conseil  de 
ces  deux  mêmes  sociétés  et  présidé  à  la  fondation  de  la  Société  Marseillaise  (presse  financière,  passim,  ;  1878- 
1881).  Une  fusion  de  la  Franco-égyptienne  avec  le  Crédit  mobilier  français  fut  préparée  en  mai  1880  par  Lévy- 
Crémieu  et  Rostand,  trois  administrateurs  de  la  Franco-égyptienne,  dont  Lévy-Crémieu,  entrèrent  au  conseil 
du  Crédit  mobilier,  tandis  qu'un  administrateur  du  Crédit  mobilier  entrait  à  celui  de  la  Franco-égyptienne. 
Mais  ce  projet  fut  abandonné  en  juillet  pour  des  raisons  qui  ne  furent  pas  précisées  (A.  N.  Procès-verbal  des 
séances  du  Crédit  mobilier,  24,25,27  mai  et  5  juillet  1880,  et  presse  financière,  passim,  1880-1881). 


407 


Votes  de  la  Chambre  sur  les  affaires  de  Tunisie  en  1881 
(Chiffres  bruts  et  rectifiés) 


535  députés  (532  ou  533  sièges  pourvus) 


Votants 

Pour 

Contre 

Abstent. 

Cong 

Vote  d'un  crédit 

KG. 

25 

de  5  millions 

Gauche 

343 

12 

8 

(7  avril) 

Droite 

106 

36  (35) 

2(3) 

474 

474 

48  (47) 

10(11) 

Vote  de  confiance 

E.  G. 

4 

1 

19 

1 

sur  l'ordre  du  jour 

Gauche 

315  (308) 

ICO 

43*  (49*) 

5(7) 

de  P.  Bert 

Droite 

3 

122 

14 

5 

{12  avril) 

446  (438) 

322  (315) 

124(123) 

76  (82) 

11  (13) 

*  dont  6  ministres 

Ratification 

E.  G. 

12 

1 

11 

1 

du  traité  du  Bardo 

Gauche 

331  (334) 

25  (22) 

7 

(24  mai) 

Droite 

87 

53 

4 

431  (434) 

430  (433) 

1 

89  (86) 

12 

Crédits 

KG. 

12  (11) 

12  (13) 

1 

supplémentaires  de 

Gauche 

330 

21 

13 

14  millions 

Droite 

87 

53 

4 

(13  juin) 

429  (428) 

429  (428) 

86  (87) 

18 

557  députés  (545  sièges  pourvus) 

Vote  sur  la 

KG. 

39 

2 

1 

demande  d'enquête 

Gauche 

38 

324  (325) 

47*  (46*) 

4 

de  Clemenceau 

Droite 

84 

4 

2 

(9  novembre) 

489  (490) 

161 

328  (329) 

49  (48) 

7 

*  dont  11 

ministres 

Sur  l'ordre  du  jour 

KG. 

39  (40) 

2(1) 

1 

pur  et  simple 

Gauche 

176(177) 

187 

46*  (45*) 

4 

(9  novembre) 

Droite 

86 

2 

2 

488  (490) 

176  (177) 

312  (313) 

50  (48) 

7 

dont  9  ministres 

Sur  l'ordre  du  jour 

KG. 

2 

24 

15 

1 

de  Gambetta 

Gauche 

345  (347) 

8 

56  (54) 

4 

(9  novembre) 

Droite 

8 

36  (38) 

44  (42) 

2 

423  (427) 

355  (357) 

68  (70) 

115(111) 

7 

Nous  n'avons  classé  dans  l'extrême  gauche  que  les  députés  radicaux  et  intransigeants,  25  entre  avril  et  juin, 
42  en  novembre,  ayant  rompu  avec  Gambetta  et  l'Union  républicaine.  En  novembre  1881,  12  sièges  restaient 
à  pourvoir  en  raison  d'élections  multiples;  4  députés  coloniaux,  rangés  parmi  les  abstentionnistes  de  gauche, 
n'avaient  en  fait  pas  encore  regagné  Paris. 


408 


Votes  de  certains  députés  bonapartistes  ou  républicains 
dans  les  scrutins  sur  les  affaires  de  Tunisie 


(1)  du  7  avril,  (2)  du  12  avril,  (3)  du  13  juin  et  (4-6)  du  9  novembre  : 

(4)  demande  d'enquête  de  Clemenceau,  (5)  ordre  du  jour  pur  et  simple 
(6)  ordre  du  jour  de  Gambetta.. 


(D 

(2) 

(3) 

(4) 

(5) 

(6) 

CAZEAUX  (B),  Tarbes  I  -  (Gr.  Péreire) 

+ 

+ 

+ 

GAVINI  (B)  Corte  (Gr.  Péreire) 

+ 

+ 

+ 

de  SOUBEYRAN  (B)  Loudun 

+ 

+ 

+ 

BISCHOFFSHEIM  (Rép)  Nice  2 

+ 

+ 

BOUCHET  (U.R)  Marseille  4, 

+ 

+ 

ETIENNE  (U.R)  Oran  1 

+ 

+ 

Ch.  FERRY  (G.R)  Epinal  2  (Franco 
égyptienne) 

+ 

+ 

de  GIRARDIN  (U.R)  Roche,  s-  Yon  1 

+ 

décédé 

(27.IV) 

Ch.  JENTY  (C.G)  Paris  IX' 

+ 

+ 

+ 

de  LA  PORTE  (U.R)  Niort  2  (Franco 
égyptienne) 

+ 

+ 

+ 

+ 

L.  RENAULT  (C.G)  Corbeil  - 

+ 

RICHARD  (Rép)  Nyons-  (Bône-Guelma) 

+ 

ROUVIER  (U.R)  Marseille  3 

+ 

+ 

+ 

+ 

+ 

F.  THOMAS  (G.R)  Castres  - 
(Compt.  d'esc.,  Pays-Bas) 

+ 

Ont  voté  pour  :  (+),  contre  :  {-)  ;  se  sont  abstenus  :  (.)  ;  retenu  en  commission  :  (*) 

A  l'exception  de  Bouchet  dont  on  connaît  le  mécontentement  provoqué  par  l'affaire  du  port  de  Carthage  et 
de  Soubeyran,  tous  ces  députés,  à  quelque  groupe  qu'ils  appartinssent,  soutinrent  la  politique  tunisienne  du 
gouvernement,  en  votant  les  crédits  demandés  les  7  avril  (1)  et  13  juin  (3),  en  votant  pour  l'ordre  du  jour  de 
P.  Bert  le  12  avril  (2),  contre  la  demande  d'enquête  de  Clemenceau  (4)  et  powr  l'ordre  du  jour  de  Gambetta  (6). 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  noter  l'attitude  des  députés  d'opposition  Cazeaux  et  Gavini  se  séparant  de  leur 
groupe  pour  soutenir  le  gouvernement  le  12  avril  et  le  9  novembre  dans  les  scrutins  sur  la  demande  d'enquête 
de  Clemenceau  et  l'ordre  du  jour  de  Gambetta,  celle  de  Bouchet,  de  la  majorité,  prenant  une  attitude  inverse  pour 
se  ranger,  dans  les  mêmes  scrutins,  aux  côtés  des  députés  de  droite  ou  d'extrême  gauche. 


409 


et  surtout  l'immense  pouvoir  que  peut  procurer  l'argent^®®.  Comment  croire  dans  ces 
conditions  qu'un  financier  aussi  retors  qu'Erlanger,  qui  fréquentait  chez  Gambetta 
comme  il  avait  fréquenté  chez  Drouyn  de  Lhuys,  n'eût  pas  été  informé  de  ce  qui  se  tramait 
dans  les  milieux  politiques  ?  Comment  croire  qu'Erlanger,  Camondo  ou  Lévy-Crémieu 
qui,  à  un  titre  ou  un  autre,  étaient  intéressés  dans  les  affaires  tunisiennes,  n'aient  pas 
eu  leur  mot  à  dire  dans  l'entourage  du  président  de  la  Chambre  ou  du  président  du 
Conseillée  lorsque  se  décidait  le  sort  de  la  Tunisie,  à  la  fin  de  mars  1881  ?  «il  faut  en 
finir»,  s'écriait  Chirac,  «il  faut  empêcher  que  le  public  soit  dupe  du  procédé  juridique 
consistant  à  réclamer  des  faits  précis.  Ai-je  besoin  d'avoir  vu  un  financier  tendant  un 
sac  d'écus  à  un  député  pour  être  certain  qu'il  y  a  eu  sac  reçu,  pot-de-vin  bu  ?  Qu'importe 
même  l'intervention  de  la  monnaie  ?  Recevoir  l'or  qui  procure  la  chose,  ou  la  chose  que 
procurerait  l'or,  n'est-ce  point  agir  de  même  ?ié7» 

Nous  ne  pensons  pas  que  le  rôle  des  financiers  ait  été  déterminant  dans  la 
décision  du  gouvernement  français.  Mais  il  y  avait  trop  de  contacts,  les  intérêts  en 
jeu  étaient  trop  évidents  pour  que  les  spéculateurs  du  groupe  tunisien  qui  avaient 
tant  d'amis  au  Parlement  ne  soient  pas  intervenus  au  moment  opportun,  pour  peser 
sur  une  décision  encore  en  suspensifs.  Les  contemporains  ne  s'y  étaient  pas  trompés 


155  Erlanger  et  le  Crédit  mobilier  avaient  pris  en  mai  1879  le  contrôle  financier  de  l'agence  Havas.  Le  Crédit 
mobilier  était  également  gros  actionnaire  de  YEstafette,  quotidien  fondé  en  1876  [A.  N.  :  procès  verbal  des 
séances  du  conseil  d’administration  du  Crédit  mobilier,  décembre  1876-mai  1879).  Les  Péreire  détenaient 
la  majorité  des  actions  de  la  Liberté,  de  Girardin  était  le  directeur  politique  de  la  France  et  Jenty  celui  du 
Petit  Journal,  le  quotidien  ayant,  en  1881,  le  plus  fort  tirage  de  la  presse  parisienne,  600.000  exemplaires. 
Tous  deux  avaient  depuis  1868  le  contrôle  de  la  Semaine  financière,  un  des  hebdomadaires  financiers  les 
plus  lus  de  Paris. 

Notons  que  les  adversaires  de  Gambetta  considéraient  que  l'agence  Havas  lui  était  «vendue»  (Mémoires  de 
B.  Lavergne,  ms  ;  Rochefort  :  L'aventure  tunisienne.  Intransigeant,  5  avril  1881). 

156  Charles  Ferry,  frère  du  président  du  conseil  et  banquier  de  la  famille,  siégeait  aux  côtés  de  Lévy-Crémieu, 
comme  censeur  de  la  banque  Franco-égyptienne.  Drumont  assurait  qu'avec  ce  dernier  il  avait  organisé 
toutes  les  grandes  opérations  de  cette  banque  [France juive,  p.491).  Au  lendemain  du  protectorat,  en  tout 
cas,  on  trouve  Charles  Ferry  fortement  engagé  dans  les  affaires  de  la  Régence,  industrielles,  comme  celle 
des  eaux  de  Tunis,  ou  foncières,  comme  l’achat  des  immeubles  appartenant  à  Benaïad  (H.  Pontois  op.  cit 
1889  ;  Tunis  journal,  28  septembre  1884).  Charles  Ferry  joua  également  un  grand  rôle  dans  les  affaires 
financières  égyptiennes  et  les  contemporains  le  soupçonnaient  de  pousser  son  frère  à  l'intervention 
dans  ce  domaine  (Mémoires  de  B.  Lavergne,  ms).  Son  nom  «fut  plus  d'une  fois  mêlé  aux  polémiques  des 
journaux  de  l'opposition  qui  accusaient  certains  membres  du  gouvernement  d'avoir  entrepris,  sous  le 
couvert  de  la  politique  coloniale,  des  opérations  financières»  (Robert,  Bourloton  et  Coigny  :  Dictionnaire 
des  parlementaires  français,  t.  2,  p.639). 

Charles  Ferry  n'avait-il  pu  circonvenir  son  frère  encore  hésitant  pour  le  décider  à  l’intervention  dans  les 
affaires  tunisiennes  ? 

157  A.  Chirac  :  Les  pots-de-vin  parlementaires.  Paris,  1888,  p.41. 

158  Dans  cette  Chambre  de  1881  où  Rochefort  dénonçait  les  intérêts  pécuniaires  qui  en  faisaient  «moins  un 
bouquet  de  fleurs  qu'une  corbeille  d'agents  de  change».  [Intransigeant  :  Le  bombardement  de  Sfax,  9  juillet 
1881),  nombreux  étaient  les  députés  qui  assumaient  des  fonctions  d'administrateur  de  société.  Chirac 
devait  en  recenser  91  en  1882,  occupant  133  sièges  dans  divers  conseils  d'administration  [Agiotage  de 
1870  à  1887,12)  ainsi  qu'une  cinquantaine  de  sénateurs. 

Ainsi  trouvait-on  en  1881  les  députés  bonapartistes  Cazeaux  et  Gavini  attachés  aux  intérêts  d’Erlanger 
et  de  Péreire,  comme  administrateurs,  l'un  du  Crédit  mobilier  français  depuis  mai  1878,  et  l'autre,  de 
la  Compagnie  transatlantique  ;  de  Soubeyran,  financier  lui-même  et  ancien  sous-gouverneur  du  Crédit 
foncier.  Chez  les  républicains,  avant  comme  après  le  renouvellement  de  1881,  la  liste  était  longue  des 
députés  qu'on  pouvait  à  un  titre  ou  un  autre  rattacher  aux  affaires  tunisiennes  :  F.  Thomas,  censeur  de 
la  banque  des  Pays-Bas  et  administrateur  du  Comptoir  d’escompte  qui  avaient  financièrement  soutenu 
la  Société  des  Batignolles  ;  Richard,  administrateur  de  la  compagnie  Bône-Guelma  ;  les  deux  beaux- 
frères,  Charles  Ferry  et  de  la  Porte,  gendres  d’Allain-Targé,  l’un  censeur  et  l'autre  administrateur  de  la 
banque  Franco-égyptienne  ;  de  Girardin,  Jenty  et  Bischoffsheim,  le  gendre  d'Erlanger,  tous  trois  dénoncés 
comme  les  animateurs  du  coup  de  bourse  sur  les  obligations  tunisiennes  ;  Léon  Renault,  du  Crédit  foncier 


410 


et  les  accusations  portées  à  grand  tapage  par  la  presse  de  droite  ou  d'extrême  gauche 
ne  furent  pas  plus  démenties  que  ne  l'avaient  été  les  révélations  «tunisiennes»  d'une 
certaine  presse  financière,  une  quinzaine  d'années  plus  tôt.  il  y  eut  trop  de  «bonnes 
affaires»,  trop  de  scandales  étouffés  dans  les  premières  années  du  protectorat  pour  que 
ce  fût  le  résultat  de  simples  coïncidences^^®.  Ne  voyons-nous  pas  la  Société  Marseillaise 
prendre  possession  de  l'Enfida  dès  1881,  Erlanger,  la  même  année,  mettre  la  main  sur 
la  succession  Samama  ?  Si  les  promoteurs  d'un  projet  de  Crédit  foncieri^o  qui  avait  fait 
beaucoup  de  bruit  à  l'époque  semblaient  écartés  des  affaires  tunisiennes,  en  revanche,  la 
Société  des  Batignolles  faisait  les  chemins  de  fer  de  la  Régence,  comme  ce  port  de  Tunis 
qu'elle  convoitait  depuis  si  longtemps.  Les  détenteurs  d'obligations  n'étaient  pas  oubliés 
cependant  :  la  convention  de  rachat  du  21  février  1883,  ratifiée  par  le  Parlement  en  avril 
1884,  assurait  l'échange  au  pair  du  5%  tunisien  contre  des  obligations  rapportant  4% 
mais  garanties  par  l'Etat  français.  Les  spéculateurs  avisés  avaient  pu  se  défaire  de  leurs 
titres  depuis  longtemps  déjà  car  le  cours  des  valeurs  tunisiennes,  après  avoir  monté  en 
flèche  pendant  le  printemps  de  1881  atteignait,  début  juillet,  la  cote  inégalée  de  487,50 
francs. 

L'expédition  française  ouvrait  ainsi  largement  la  Tunisie  à  l'exploitation  capitaliste, 
aux  grandes  entreprises  en  quête  de  travaux  publics,  comme  aux  affairistes  sans 
envergure  qui  trouvaient  dans  une  société  corrompue  le  milieu  le  plus  favorable  pour 
la  satisfaction  de  leurs  appétits.  En  proclamant  que  la  Tunisie  devait  être  considérée 
«jusqu'à  nouvel  ordre  comme  une  colonie  de  capitauxi^i».  Jules  Ferry  ne  devait-il  pas 
justifier  lui-même  une  partie  des  critiques  et  des  accusations  de  ses  adversaires  pour 
lesquels  un  des  mobiles  de  l'expédition  et  non  des  moindres  avait  été  de  «trouver  de 


tunisien  ;  Bouchet,  qui  fut  mêlé  aux  intrigues  du  port  de  Carthage.  On  pouvait  y  joindre  encore  Rouvier, 
l'ancien  employé  du  négociant  marseillais  Zafiropulo,  qui  était  considéré  comme  un  des  protecteurs  de  la 
Société  marseillaise,  Eugène  Etienne,  autre  ami  de  Gambetta,  qui  se  faisait  auprès  de  lui  l'introducteur  de 
personnalités  tunisiennes  en  mission  à  Paris. 

Le  groupe  pouvait  s'élargir  d'une  demi  douzaine  de  sénateurs  :  Eugène  Goiiin,  cousin  du  directeur  de  la 
Société  des  Batignolles,  administrateur  lui-même,  avec  les  sénateurs  Duclerc  et  Dutilleul,  de  la  banque 
des  Pays-Bas  ;  Barrot,  administrateur  de  la  compagnie  Bône-Guelma,  et  Krantz.  En  revanche,  Bocher 
appartenait  au  Crédit  mobilier  espagnol  de  Péreire,  Jules  Cazot,  au  Crédit  mobilier  français  et  Lucet  à  l'Est 
algérien  (Chirac,  op.  cit  A.  N.  procès  verbal  des  séances  du  conseil  d'administration  du  Crédit  mobilier  ; 
presse  financière  1878-1881,  passim  :  assemblées  générales  de  sociétés)  . 

159  Nous  pensons  à  la  liquidation  des  biens  Benaïad,  à  la  chasse  aux  concessions  industrielles,  ainsi  qu'à 
la  façon  dont  le  groupe  Péreire-Marseillaise  sut  s'assurer  la  possession  des  propriétés  de  Mustapha.  Le 
rôle  de  Camondo  en  1881,  dans  la  tentative  d'acquisition  du  domaine  de  Bouchateur,  près  d'Lftique,  qui 
appartenait  à  Benaïad,  n'a  pas  été  éclairci  (c/.  F.  0.  102/134.  Tél  de  Reade  du  13  juillet  1881),  mais  il  faut  y 
voir  le  geste  de  spéculateurs  pressés  de  se  saisir  à  bon  compte  de  biens  facilement  négociables  dès  la  fin 
d'une  époque  troublée.  Les  scandales  qui  marquèrent  la  liquidation  de  la  succession  Samama  donnèrent  à 
la  presse  d'opposition  l'occasion  d'ouvrir  contre  Cambon  une  polémique  aussi  violente  que  celle  qui  avait 
été  menée  contre  Roustan. 

160  L'affaire  du  Crédit  foncier  qui  fut  un  des  thèmes  favoris  de  l'opposition  à  l'automne  de  1881  (discours  de 
Clemenceau  à  la  Chambre,  le  8  novembre  :  /.  O.,  pp.  1971-1972)  ne  méritait  pas  d'être  comparée  à  celle 
de  l'Enfida  pas  plus  qu'aux  autres  affaires  tunisiennes  contemporaines.  Le  voyage  de  Léon  Renault  qui 
donna  matière  à  tant  de  «révélations»  fantaisistes  n'était  en  fait  qu'une  tentative  assez  isolée  d'un  financier 
en  quête  de  placements  avantageux.  Le  baron  de  Soubeyran  n'avait  aucune  attache  dans  la  Régence  et  la 
correspondance  consulaire  montre  clairement  que  Roustan  avait  fait  de  son  mieux  pour  décourager  Léon 
Renault  d'intervenir,  au  moins  à  cette  époque. 

Les  débats  tunisiens  de  1881,  au  Parlement  comme  au  procès  de  l'Intransigeant  (ont  bien  voir  combien  les 
contemporains  étaient  mal  informés  des  affaires  financières  de  la  Régence.  11  est  symptomatique  en  tout 
cas  que  le  nom  des  Péreire  n'eût  point  été  connu  du  grand  public  et  que  ce  fût  M.  Emerit  qui,  le  premier,  eût 
attiré  l'attention  sur  le  rôle  de  ce  «grand  trust  bien  camouflé»  (/7.  Afr.  1952,  p.  212).. 

161  J.  Ferry  :  Discours  V,  p.  133. 


411 


Incidents  de  frontière 
(Arch.  Rés.  Lou  Carbounaïre,  op.  cit.) 


nouveaux  débouchés  pour  les  capitaux  français  et  de  transformer  la  malheureuse 
Régence  en  un  terrain  de  chasse  heureux  pour  les  spéculateurs  françaisi®^»? 

d)  L'affaire  des  Khroumirs 

Une  fois  le  gouvernement  français  décidé,  restait  à  trouver  le  prétexte  d'une 
intervention,  ce  qui,  assurément,  n'était  pas  une  tâche  difficile.  Roustan,  depuis  des  mois, 
s'évertuait  à  le  démontrer  :  «nous  devons  attendre  et  préparer  nos  motifs  d'agir  avant 
nos  moyens  d'action.  La  sottise  du  gouvernement  tunisien  nous  y  aidera»,  écrivait-il  à 
Courcel  en  mai  1880,  et,  quelques  mois  plus  tard  :  «Soyez  bien  convaincu  que  nous  avons 
chaque  semaine  un  casus  beiu  sur  la  frontière,  il  dépend  de  nous  de  le  faire  valoir^^^» 

Les  dénis  de  justice,  les  avanies  dont  Mustapha  et  ses  amis  se  plaisaient  à  accabler 
les  entreprises  françaises  depuis  le  début  del881  pouvaient  fournir  au  gouvernement 
d'autres  prétextes  pour  justifier  une  intervention  dans  la  Régence^'""*.  Mais,  aux  yeux  de 
Roustan,  rien  ne  valaitunbonincidentde  frontière  qui  permettrait  de  lancer  une  expédition 
par  voie  de  terre.  Ainsi  la  France  n'aurait-elle  pas  à  redouter,  comme  dans  le  cas  d'une 
démonstration  navale,  l'apparition  d'autres  forces  étrangères,  une  internationalisation  du 


162  II  est  difficile  de  rendre  sans  l'alourdir  la  vigueur  du  texte  anglais  :  «The  real  object  is  to  find  a  new  outlet  for 
French  capital  and  to  drill  the  unfortunate  Regency  into  a  «happy  hunting  ground»  for  French  speculators» 
[Daily  Telegraph,  10  septembre  1881). 

163  A.  E.  Tunis,  vol.  50  et  51.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  21  mai  et  24  septembre  1880. 

164  «Nous  venons  d’être  presque  simultanément  et  dans  l'espace  de  quelques  jours,  attaqués  et  lésés  dans  les 
trois  monopoles  que  nous  possédons  ici  :  celui  de  l'exploitation  télégraphique,  celui  de  la  construction  des 
chemins  de  fer  et  celui  du  port»  (Ibid.,  vol.  55.  Roustan  à  Barth.  St-Hilaire,  Tunis,  15  février  1881  -  D.  D.  F., 
n°  194)  «Vous  vous  rendez  compte  comme  moi  que  la  situation  empire  chaque  jour  et  que  nous  sommes 
obligés  de  tout  lâcher.  Sans  cela,  jamais  plus  belle  occasion  ne  se  serait  présentée  à  nous  de  rompre  en 
visière  avec  les  Tunisiens  et  même  avec  les  Italiens,  jamais,  en  effet,  nous  n'avons  subi  plus  de  dénis  de 
justice,  d'attaques  de  tout  genre,  etc.  ;  tous  nos  droits  sont  foulés  aux  pieds,  nos  concessions  devenues 
lettres  mortes.  Ne  vous  semble  t-il  pas  que  le  faisceau  compact  de  griefs  dont  M.A.  Grévy  désire  se  munir 
pour  montrer  les  dents  sur  la  frontière  est  déjà  suffisamment  respectable  ici  ?» 

(Ibid.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  15  février  1881). 


412 


conflit  qui  conduirait  l'opération  tunisienne  à  un  échec  sans  rémission.  Depuis  longtemps 
Roustan  reprochait  aux  autorités  d'Algérie  un  esprit  de  conciliation,  souhaitable  peut-être 
à  l'époque  du  gouvernement  Khérédine,  mais  qui  n'était  plus  de  mise  depuis  le  congrès 
de  Berlin,  il  se  plaignait  que  les  officiers  de  la  division  de  Constantine  fissent  tous  leurs 
efforts  pour  régler  les  incidents,  les  minimiser  ;  il  ne  cessait  de  remontrer  au  ministre 
comme  au  gouverneur  de  l'Algérie,  Albert  Grévy,  que  l'heure  n'était  plus  de  se  résigner 
aux  méfaits  des  tribus  insoumises  sur  les  confins,  il  fallait  au  contraire  profiter  de  tous 
les  incidents,  les  «pousser»  au  besoin,  en  allant  châtier  malfaiteurs  et  pillards  jusque 
dans  leurs  repaires  tunisiens^^^. 


Roustan,  d'ailleurs,  disposait  de  deux  boutefeux  sur  la  frontière,  les  agents  tunisiens 
à  La  Galle  et  à  Bône,  Panariello  et  surtout  Allegro,  mi-agents  politiques,  mi-trafiquants, 
qui  se  targuaient,  non  sans  exagération  sans  doute,  de  mener  à  leur  gré  les  tribus  de 
la  montagne.  Roustan  pouvait  compter  sur  eux  pour  agir  au  moment  opportun,  pour 
susciter  ou  envenimer  des  querelles,  en  tout  cas  pour  diffuser  et  grossir  les  incidents 
dont  on  pourrait  faire  état,  le  cas  échéanti^^. 

L'occasion  pouvait  se  trouver  d'elle-même.  Ainsi,  le  16  février,  trois  cents  Khroumirs 
en  armes  avaient  pénétré  en  Algérie  pour  venger  un  des  leurs,  un  voleur  de  bétail  abattu 
par  des  Algériens^^^.  «Nous  ne  saurions  trouver  une  meilleure  occasion  pour  agir  ici  et 
pour  agir  seuls»,  écrivait  aussitôt  Roustan,  «car  c'est  une  question  dans  laquelle  les  autres 


165  «Par  une  appréciation  fausse  de  la  situation,  les  autorités  militaires  de  la  frontière  mettent  un  certain 
amour-propre  à  étouffer  ces  affaires  au  lieu  de  les  pousser»  (A.  E.  Tunis  Pap.  Noailles  et  vol.  54.  Roustan  à 
Barth.-St-Hilaire.  Tunis,  3  janvier  1881). 

Egalement  A.  E.  Tunis,  vol.  51  et  55.  Part  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  24  septembre  1880  et  18  février  1881 
Livre  jaune,  n°  97  et  100  :  Grévy  à  Barth-St-Hilaire.  Alger,  21  janvier  1881  ;  Roustan  à  Grévy.  Tunis,  11  février 
1881. 

166  While  Sidi  Yusef  (Allegro)  and  Panariello  were  arranging  for  an  opportune  fracas  on  the  borders»... 
(Broadley,  op.  cit,  1,  p.  206). 

Sur  ces  deux  personnages,  voir  Broadley,  pp.  204-206.  Le  père  dAllegro  s'était  déjà  distingué  au  service 
de  Beauval  pendant  l'insurrection  de  1864.  En  1865,  des  agents  tunisiens  avaient  intercepté  une  lettre 
qu'il  adressait  à  Duchesne  de  Bellecourt,  lettre  dans  laquelle  il  proposait  au  consul  de  soulever  les  tribus 
frontalières  tunisiennes  afin  de  fournir  à  la  France  un  prétexte  pour  exiger  du  bey  la  démission  du 
khaznadar  {Cf.  chap  v,  note  206  ;  erratum). 

«Il  a  toute  ma  confiance»,  écrivait  Roustan,  «et  je  l'ai  employé  depuis  six  ans  dans  toutes  les  questions  les 
plus  délicates  y  compris  celles  du  protectorat  et  du  traité.  Nous  pouvons  compter  entièrement  sur  lui  dans 
le  cas  d'une  occupation»  (A.  E.  Tunis,  vol.  52.  Part  à  Courcel,  14  septembre  1880).  Le  23  février  1881,  Allegro 
adressait  à  Roustan  ce  billet  dont  copie  était  aussitôt  envovée  à  Courcel.  «Je  suis  plus  certain  aujourd'hui 
que  jamais  dans  le  cas  d'une  occupation  en  Tunisie  de  faire  rentrer  les  troupes  sans  un  coup  de  fusil.  J'en 
ai  l'assurance  par  tous  les  cheikhs  tunisiens.  Mes  précautions  sont  prises  et  j'en  prends  la  responsabilité... 
Nous  n'avons  aucun  intérêt  en  ce  moment  à  arranger  les  affaires  du  Bardo  :  au  contraire  à  prouver  son 
mauvais  vouloir,  son  peu  d'action  sur  les  tribus  frontières  et  à  faire  du  bruit  sur  tous  ces  faits.  Je  crois  oue 
c'est  votre  politique  et  c'est  celle  que  je  suis»  (ïbid...  vol.  55,  annexe  à  lettre  de  Roustan  à  Courcel  du  28 
février  1881). 

Le  gouvernement  tunisien  savait  depuis  longtemps  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  fidélité  de  son  agent  à  Bône.  De 
son  côté,  Reade  qualifiait  de  trahison  la  conduite  d' Allegro  pendant  les  événements  de  1881  :  «As  Tunisian 
consul  at  Bona,  he  notoriously  betrayed  the  Bey  and  acted  as  Mr  Roustan  instrument  in  bringing  about  the 
so  called  Kroumir  raid  which  led  to  the  invasion  of  the  country»  (F.  O.  102/133.  A  Granville,  confid.  Tunis, 
23  novembre  1881). 

167  A.  E.  Tunis.  Mém.  et  Doc,  vol.  11.  Grévy  à  Barth-St-Hilaire  Alger,  23  février  1881  (Livrejaune,  n°  106). 

Ce  n'était  pas  le  premier  incident  d'ailleurs,  car,  depuis  deux  mois,  les  autorités  françaises  se  plaignaient  des 
méfaits  répétés  des  tribus  tunisiennes,  Khroumirs,  Ouchteta,  Ouled  bou  Ghanem  et  Frèchich  (Ibid.  Lettres 
de  Grévy  des  21  janvier  et  4  février  1881  -  A.  E.  Tunis,  Mém.  et  Doc.  vol.  11  {affaires  des  Ouchtètas  et  affaires 
diverses,  janvier-février  1881  ;  affaire  des  Khroumirs,  violations  de  frontières,  février). 


413 


Puissances  n'ont  rien  à  voir»i^®.  Barthélemy-Saint-Hilaire  chargea  Roustan  de  protester 
auprès  du  bey.  Une  conférence  franco-tunisienne  réunie  sur  la  frontière  pour  régler 
l'incident  aboutit  à  un  échec  complet.  Mais  il  était  alors  impossible  d'aller  plus  avant.  Le 
ministre  ne  pouvait  compter  sur  le  consentement  d'un  cabinet  qui,  trois  semaines  plus 
tôt,  avait  refusé  de  le  suivre.  11  se  contenta  de  demander  à  son  collègue  de  la  Guerre,  le 
général  Farre,  d'assurer  la  sécurité  de  l'Algérie  sur  les  confins  tunisiensi^®. 

Roustan,  cependant,  continuait  de  se  démener.  A  son  instigation  visiblement, 
le  12  mars,  la  Compagnie  Bône-Guelma  se  plaignait  au  quai  d'Orsay  des  difficultés 
qu'elle  rencontrait  dans  l'exploitation  du  chemin  de  fer.  Et  d'énumérer  les  actes  de 
malveillance  commis  tant  contre  ses  agents  que  contre  la  voie  ferrée  qui  témoignaient 
de  l'insécurité  du  pays.  Deux  jours  plus  tard,  c'était  au  tour  de  la  colonie  française  de 
souligner  les  périls  courus  par  les  intérêts  nationaux.  Une  adresse  remise  au  consulat 
le  14  mars  faisait  un  pressant  appel  «à  l'énergique  intervention  du  gouvernement  de 
la  République^^o». 

Déjà  les  événements  se  précipitaient.  Entraîné  par  Courcel,  stimulé  sans  doute 
par  son  entourage,  Gambetta  donnait  sa  caution  à  l'opération  tunisienne.  Ferry  se 
décidait  à  son  tour.  Aussitôt  informéi^i,  Roustan  télégraphiait  à  Paris  qu'il  disposait 
d'un  prétendant  sûr  pour  le  cas  où  le  bey  s'obstinerait.  Le  prince  Taïeb,  second  héritier 
présomptif  du  trône^^^^  offrait  de  se  rendre  en  Algérie  sous  la  protection  française  afin 
de  revenir  à  Tunis  avec  nos  troupes  pour  détrôner  son  frère  et  apposer  sa  signature  au 
bas  du  traité  de  protectorat^^^.  En  même  temps,  la  pression  des  milieux  français  d'Algérie 
se  faisait  plus  forte;  les  journaux  de  Bône  prônaient  ouvertement  l'interventioni^^.  «A 
ce  moment»,  écrit  de  Freycinet,  «des  Kroumirs  plus  ou  moins  menaçants,  en  tout  cas 
opportuns,  se  montrèrent  sur  la  frontière  algérienne  et  permirent  à  M.  Ferry  de  faire 
avancer  les  troupesi^®». 


168  A.  E.  Tunis  vol.  55.  Part,  de  Roustan  à  Courcel.  Tunis,  18  février  1881.  L'information  transmise  par  Roustan 
lui  venait  d'Allegro. 

169  C'est  alors  que  Farre  suggéra  le  même  système  de  protection  que  sur  les  frontières  occidentales  de  l'Algérie 
où  le  gouvernement  marocain  abandonnait  à  la  France  le  soin  de  châtier  les  pillards  [Livre  jaune,  n°  112. 
Farre  à  Saint-Hilaire  Paris,  13  mars  1881). 

170  A.  E.  Tunis,  vol.  56,12  et  14  mars  1881. 

«C'est  signé  Roustan»  devait  s'écrier  Clemenceau  à  la  Chambre,  le  9  novembre  1881  {/.  O.  p.  1982).  On 
ne  saurait  toutefois  retenir  comme  argument  valable  le  petit  nombre  des  signatures  françaises  recueillies 
au  bas  de  cette  adresse,  201  pour  la  ville  de  Tunis,  258  pour  l'ensemble  de  la  Régence.  Même  si  l'on 
retranche  les  signatures  en  nom  collectif  des  cinq  sociétés  françaises  installées  en  Tunisie,  ces  chiffres 
représentaient  la  quasi  totalité  des  chefs  de  famille  d'une  colonie  qui  se  réduisait  alors  à  708  personnes. 
Mais,  comme  le  soulignèrent  Pelletan  et  Broadley,  il  était  facile  de  reconnaître  le  sens  et  l'origine  de  la 
manifestation  lorsqu'on  savait  que  c'étaient  les  janissaires  du  consulat  qui  avaient  été  chargés  de  collecter 
les  signatures. 

171  Par  quel  canal,  nous  ne  le  savons  pas,  mais  vraisemblablement  par  un  télégramme  personnel  de  Courcel. 

172  Le  bey  du  camp  Ali  qui  devait  monter  sur  le  trône  l'année  suivante  était  considéré  comme  particulièrement 
hostile  à  la  France.  Son  frère  cadet,  Taïeb  Bey,  sixième  fils  du  bey  Hussein,  était  alors  âgé  de  soixante  ans.  Il 
n'eut  point  la  chance  de  régner  car  il  mourut  en  1898,  quatre  ans  avant  Ali  Bey.. 

173  A.  E.  Tunis,  vol.  56.  Tél.  confid.  Tunis,  30  mars  1881.  Barthélemy-Saint-Hilaire  fit  savoir  aussitôt  qu'il  était 
impossible  d'accueillir  cette  démarche  mais  qu'il  fallait  ménager  le  bon  vouloir  de  Taïeb  en  assurant  sa 
protection  en  cas  de  danger. 

S'est-il  greffé  sur  cette  candidature  Taïeb  une  affaire  de  pot-de-vin  ?  L'histoire  fut  longuement  évoquée  au 
cours  du  procès  de  l'Intransigeant,  mais  les  débats  n'ont  point  permis  d'éclaircir  le  rôle  assez  équivoque 
joué  par  les  Mussalli  à  ce  moment  [cf.  dép.  de  Reade  à  Granville  25  novembre  1881  F.  0.102/133). 

174  Voir  les  articles  de  la  Seyhouse,  bi-hebdomadaire  de  Bône  en  mars-avril,  les  correspondances  tunisiennes 
de  la  Gazette  du  Midi  et  du  Sémaphore  de  Marseille.. 

175  Souvenirs,  1913  p.l69. 


414 


Un  accrochage  entre  troupes  françaises  et  tribus  tunisiennes  les  30  et  31  mars, 
rixe  locale  au  dire  des  Italiens  et  des  Anglais,  ou  bataille  rangée  comme  l'assuraient 
les  Français,  fournissait  le  prétexte  souhaité  par  Roustan^^^.  L'agitation  des  tribus  sur 
la  haute  Medjerda  donnait  à  la  direction  du  Bône-Guelma  l'occasion  de  suspendre 
l'exploitation  du  chemin  de  fer  au-delà  de  Béja  devant  la  menace  de  montagnards 
Ouchtéta  généreusement  évalués  à  trois  ou  quatre  mille  hommesi^^. 

L'agence  Havas  aussitôt  de  fournir  la  presse  parisienne  d'informations  aussi 
alarmantes  que  peu  précises  où  le  massacre  de  la  mission  Flatters  était  mêlé  aux 
incidents  de  Tunisie,  comme  pour  préparer  l'opinion  à  la  nécessité  d'une  opération 
en  force,  seule  capable  de  sauvegarder  la  sécurité  de  l'Algérie  française.  La  presse 
opportuniste  de  renchérir  immédiatement,  entraînant  même  dans  son  sillage  quelques- 
uns  des  organes  les  plus  en  vue  de  l'extrême  gauche^^s  L'incident  était  venu  à  point. 
Un  mouvement  d'opinion  s'était  créé  qui  permettait  désormais  au  gouvernement 
d'intervenir. 

Après  un  dernier  tour  d'horizon  diplomatique  qui  montrait  l'Allemagne  toujours 
favorable,  l'Angleterre  hésitante,  l'Italie  impuissante  dans  son  isolementi^^,  Jules 
Ferry  se  décidait  à  informer  le  Parlement  de  l'incident  tunisien,  le  4  avril.  Après  avoir 
développé  la  nécessité  d'une  expédition  dont  le  seul  objectif  avoué  était  le  châtiment 
des  tribus  frontalières,  il  obtenait  par  un  vote  unanime  de  la  Chambre,  le  7  avril,  le  vote 
du  crédit  militaire  de  cinq  millions  qu'il  avait  sollicitéi®^.  Cinq  semaines  plus  tard,  les 
troupes  françaises  arrivaient  devant  Tunis  ;  elles  imposaient  au  bey  la  signature  d'un 
traité  de  protectorat  qui  mettait  fin  à  l'indépendance  tunisienne.  Les  prévisions  des  plus 


176  Toute  une  liasse  de  documents  ayant  disparu  des  archives  de  la  Résidence,  les  renseignements  de  source 
française  dont  nous  disposons  sont  fort  peu  explicites  sur  l'affaire  des  30  et  31  mars. 

Grâce  aux  archives  britanniques,  nous  connaissons  la  version  tunisienne  de  l'événement,  un  rapport  du  caïd 
de  Béja  dont  la  traduction  anglaise  fut  envoyée  par  Reade  à  Granville  le  6  mai  1881  (F.  0.102/132).  Selon  ce 
rapport,  suspect  de  partialité  à  bien  des  égards,  la  fusillade  aurait  eu  pour  origine  une  rixe  à  l'occasion  d'un 
partage  entre  malfaiteurs  algériens  et  tunisiens  habituellement  associés  dans  des  opérations  de  maraudage 
et  de  recel  des  deux  côtés  de  la  frontière.  Bien  que  l'affaire  eût  été  réglée  par  le  caïd  de  Béja,  le  conflit  aurait 
rebondi  en  raison  de  l'intervention  d'officiers  français  en  faveur  des  Algériens. 

Le  29  mars,  un  commandant  français  exigea  de  plusieurs  cheikhs  khroumirs  le  versement  d'une  indemnité 
en  faveur  des  Algériens  Nahad,  ainsi  que  la  livraison  de  plusieurs  otages.  Les  Khroumirs  ayant  refusé 
d'obtempérer,  les  Nahad  passèrent  à  l'attaque  le  30  mars.  Ils  seraient  revenus  à  la  charge  le  31  avec  le 
soutien  d'une  compagnie  de  spahis.  La  bataille  aurait  duré  plusieurs  heures  et  fait  22  morts  et  19  blessés 
dans  les  deux  camps. 

177  A.  E.  Tunis,  vol.  57.  Tél.  du  2  avril  1881. 

178  Tout  en  repoussant  l'idée  d'une  guerre  contre  la  Tunisie  le  5  avril,  la  Justice,  organe  de  Clemenceau  considérait 
comme  indispensable  de  franchir  la  frontière  afin  «d'infliger  aux  agresseurs  un  châtiment  rigoureux». 
Politique  d'action,  quotidien  républicain  socialiste,  ne  pensait  pas  autrement,  comme  en  témoigne,  dans 
son  premier  numéro  du  17  avril,  l'article  intitulé  :  La  question  des  Khroumirs. 

179  Sur  l'attitude  de  Bismarck,  lettres  particulières  de  Saint-Vallier  à  Barthélemy-St-Hilaire,  les  26  mars  et  5 
avril  1881  (A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol.  167),  télégramme  du  3  avril  (A.  E.  Ail  vol.  42). 

«Je  persiste  à  penser»,  écrivait  Challemel-Lacour,  «que  le  gouvernement  anglais  est  au  moins  indécis  et 
que  notre  devoir  est  de  profiter  de  ces  circonstances»  (A.  E.  Angl.  vol.  790  à  Barth.-St-Hilaire.  Londres, 
5  avril  1881).  «L'embarras  de  nos  adversaires  est  donc  visible»,  télégraphiait  le  même  jour  Noailles,  «et 
nous  devons  en  profiter.  J'ai  suffisamment  renseigné  le  gouvernement  de  la  République  sur  la  situation 
intérieure  de  l'Italie,  sur  la  réserve  que  lui  impose  sa  grande  opération  de  la  conversion  du  cours  forcé,  sur 
le  double  courant  qui  existe  dans  le  cabinet  actuel  dont  plusieurs  membres  blâment  l'imprudence  qu'on 
a  commise  le  printemps  dernier  en  soulevant  la  question  tunisienne  pour  que  j'aie  besoin  d'y  revenir... 
L'Italie  pourra  donc  dans  ses  journaux  se  prononcer  pour  les  Khroumirs  contre  la  cause  de  la  civilisation 
en  Afrique  que  représente  et  défend  la  France  mais  je  ne  crois  pas  que  dans  ce  moment  elle  puisse  aller  au- 
delà»  (A.  E.  Italie,  vol.  62.  Rome,  5  avril  1881). 

180  474  votants  et  48  abstentions. 


415 


optimistes  s'étaient  réalisées.  Comme  Roustan  n'avait  cessé  de  le  démontrer,  il  avait  suffi 
d'un  peu  de  vigueur  et  de  décision  pour  réaliser  sans  effort  une  conquête  que,  depuis 
Berlin,  trois  années  d'hésitations  avaient  inutilement  différée. 


416 


CHAPITRE  XIII 

LE  PROCÈS  DE  L'EXPÉDITION  TUNISIENNE 


Rapidement  menée,  l'expédition  tunisienne  aboutissait  sans  incident,  après  une 
marche  militaire  de  trois  semaines,  à  la  réalisation  des  objectifs  du  gouvernement, 
la  signature  par  le  bey  de  ce  traité  de  «garanties»  qui  établissait  en  fait  le  protectorat 
français  sur  la  Régence.  Sans  doute  pouvait-on  reprocher  au  ministère  de  n'avoir  pas 
dévoilé  ses  véritables  desseins  et  d'avoir  largement  dépassé  la  mission  qui  lui  avait 
été  confiée  par  le  Parlement.  Mais  l'opération  s'était  effectuée  sans  heurts.  En  dépit 
des  appels  du  bey,  la  Tunisie  était  demeurée  isolée.  Malgré  la  mauvaise  humeur  de 
l'Angleterre,  l'émotion  provoquée  en  Italie  et  en  Turquie  par  les  événements  d'Afrique  du 
nord  n'avait  pas  suffi  à  entraîner  une  crise  internationale.  Les  hésitations  de  Granville, 
le  soutien  diplomatique  discret  mais  efficace  apporté  par  Bismarck  à  la  France,  avaient 
empêché  une  coalition  de  se  nouer  contre  celle-ci,  une  coalition  où  l'on  aurait  pu  voir 
autour  de  l'Angleterre,  la  Turquie,  l'Espagne,  voire  même  la  Russie,  l'Italie  surtout  que 
Saint-Vallier  dépeignait  pleine  de  rage  impuissante,  «cherchant  un  bouclier  assez  fort 
à  l'abri  duquel  elle  puisse  nous  mordre^».  Les  prévisions  de  la  diplomatie  française 
s'étaient  réalisées.  Politiquement,  l'opération  avait  été  payante.  Si,  comme  tout  le 
laisse  à  penser.  Ferry  avait  surtout  voulu  s'assurer,  vis-à-vis  de  l'opinion  française,  un 
succès  extérieur  à  la  veille  des  élections  générales,  au  printemps  de  1881,  il  semblait 
que  cette  manœuvre  avait  pleinement  réussi.  En  avril  cependant,  peu  de  jours  après  le 
vote  des  premiers  crédits.  Ferry  fut  en  butte  à  d'acerbes  critiques  ;  il  dut  livrer  contre 
la  droite  de  la  Chambre  sa  première  bataille  parlementaire  sur  des  affaires  coloniales. 
Si  la  plupart  des  journaux,  prêchant  l'énergie,  taxaient  le  gouvernement  de  lenteur  et 
d'indécision,  certains  quotidiens  de  droite  et  d'extrême  gauche,  devant  l'ampleur  des 
préparatifs  militaires  engagés,  soupçonnaient  que  le  châtiment  des  Khroumirs  cachait 
bien  des  développements  imprévus.  Ils  demandaient  au  gouvernement  des  explications 


1  A.  E.  Ail.  Mém.  et  Doc.  vol.  167.  Part,  de  St-Vallier  à  Barth.-St-Hilaire.  Berlin,  10  juillet  1881. 

«Il  me  revient  qu'à  l'ambassade  d'Italie  à  Londres,  on  se  plaint  de  l'égoïsme  des  Anglais...  Mais  si  on  trouve 
les  Anglais  égoïstes,  c'est  qu'apparemment  ils  n'ont  envie  de  risquer  ni  un  cuirassé  ni  un  écu  dans  la  bagarre 
de  Tunis  et  nous  ne  pouvons  qu'en  être  fort  satisfaits  pour  notre  compte,  car  c'est  bien  du  côté  de  Londres 
qu'était  le  point  noir,  ou  du  moins  le  point  d'interrogation  pour  toute  cette  affaire»  (Pap.  Noailles.  Part,  de 
Courcel  à  Noailles,  Paris,  10  avril  1881], 


417 


sur  ses  intentions  réelles  en  Tunisie.  Le  8  avril,  la  Justice  de  Clemenceau  remarquait 
que  l'attaque  des  Khroumirs,  pour  imprévue  qu'elle  eût  été,  «n'était  peut-être  pas 
inopportune»  pour  certains.  Deux  jours  plus  tard,  sous  la  signature  de  son  rédacteur  en 
chef,  Camille  Pelletan,  elle  s'étonnait  des  «façons  d'agir  mystérieuses  et  inquiétantes» 
du  gouvernement.  «Que  veut-on  faire  en  Tunisie  ?  ...La  Chambre  tomberait  au  niveau 
des  Chambres  impériales  et  trahirait  les  intérêts  du  pays,  si,  avant  de  se  séparer,  elle 
n'exigeait  pas  du  ministère  les  engagements  les  plus  catégoriques^». 

A  la  Chambre,  ce  fut  la  droite  qui  prit  l'offensive.  Le  11  avril.  Janvier  de  la  Motte, 
député  de  l'Eure,  dénonça  des  préparatifs  militaires  qui  dépassaient  le  cadre  d'une  simple 
expédition  punitive.  11  conclut  en  rappelant  que  la  loi  constitutionnelle  du  7  juillet  1875 
interdisait  au  président  de  la  République  de  déclarer  la  guerre  sans  l'assentiment  des 
Chambres.  «Nous  vous  avons  dit»,  assura  Ferry,  «que  nous  entrions  sur  le  territoire  de 
la  Tunisie,  à  la  fois  pour  châtier  les  agressions...  et  pour  mettre  un  terme  à  une  situation 
qui  est,  vous  le  savez  aussi  bien  que  moi,  absolument  intolérable,  car  elle  dure  depuis 
dix  ans...  Nous  allons  en  Tunisie  pour  châtier  les  méfaits  que  vous  connaissez  ;  nous  y 
allons  en  même  temps  pour  prendre  toutes  les  mesures  qui  pourront  être  nécessaires 
pour  en  empêcher  le  renouvellement...  Le  Gouvernement  de  la  République  ne  cherche 
pas  de  conquêtes.  11  n'en  a  pas  besoin  (vifs  applaudissements  à  gauche  et  au  centre)  ;  mais 
il  a  reçu  en  dépôt,  des  gouvernements  qui  l'ont  précédé  cette  magnifique  possession 
algérienne  que  la  France  a  glorifiée  de  son  sang  et  fécondée  de  ses  trésors.  11  ira  dans 
la  répression  militaire  qui  commence,  jusqu'au  point  où  il  faut  qu'il  aille  pour  mettre  à 
l'abri,  d'une  façon  sérieuse  et  durable,  la  sécurité  et  l'avenir  de  cette  France  africaine 
(nouveaux  applaudissements)»^. 

C'est  alors  qu'un  autre  député  monarchiste,  Lenglé,  montait  à  la  tribune.  Lenglé  ne 
se  déclara  point  satisfait  des  déclarations  du  président  du  Conseil  ;  il  se  plaignit  à  son 
tour  des  préparatifs  militaires  et  de  l'incertitude  que  laissait  planer  le  gouvernement  sur 
ses  desseins  véritables.  Puis,  brusquement,  il  laissa  tomber  en  conclusion  ces  paroles 
qui  déchaînèrent  le  tumulte  dans  l'hémicycle  :  «Nous  ne  voulons  pas  donner  l'argent  de 
la  France  et  le  sang  de  ses  enfants  pour  les  Jeckers  de  la  Tunisie»^. 

Vivement  pris  à  partie  par  Jules  Ferry,  Lenglé  se  débattit  maladroitement  ;  il  rejeta 
l'origine  de  ses  informations  sur  la  rumeur  publique.  Serré  de  plus  près,  il  lança  le  nom 
de  l'Enfida  tout  en  refusant  obstinément  de  s'expliquer.  Ferry,  cependant,  protestait  avec 
énergie  :  «La  seule  comparaison  entre  l'affaire  de  l'Enfida  et  la  scandaleuse  et  abominable 
affaire  des  bons  Jecker  est  tellement  odieuse  qu'elle  ne  mérite  pas  de  réfutation...  Je 
tiens  à  dire  qu'entre  cette  expédition  approuvée  par  vous  et  l'affaire  de  l'Enfida,  il  n'y  a 


2  Et  Pelletan  poursuivait  :  «Ces  engagements  sont  faciles  à  indiquer  :  Faire  tout  ce  qu'il  faut  avec  toute  la 
promptitude,  toute  l'énergie  nécessaire  pour  châtier  les  coupables  et  pour  prendre  les  garanties  nécessaires 
contre  le  retour  de  pareilles  attaques.  Ne  rien  faire  de  plus  et  ne  pas  porter  la  plus  légère  atteinte  à  la 
politique  des  mains  nettes»  (Justice,  10  avril  1881  :  La  question  tunisienne). 

Le  9  avril,  le  Rappel,  sous  la  signature  de  Gaulier,  prenait  la  même  position  :  «Nous  avouons  que,  sans  avoir 
sur  les  députés  d'arrondissement  plus  d'illusions  qu'il  convient,  nous  n'eussions  pas  cru  qu'ils  pousseraient 
jamais  l'absence  de  curiosité  au  point  de  ne  solliciter  aucune  explication  en  pareille  circonstance.  Le  Corps 
Législatif  n'aurait  pu  mieux  faire...  Pour  le  moment,  même  parmi  ceux  qui  ont  voté  ces  crédits,  nul  ne  peut 
dire  à  quoi  ils  serviront  car  les  expressions  de  M.  Jules  Ferry  sont  extrêmement  élastiques.  Les  assemblées 
sérieuses  ne  délivrent  jamais  ces  sortes  de  «blanc-seing».  Cela  n'empêchait  pas  le  même  journal  de  réclamer 
d'énergiques  mesures  de  représailles  les  jours  suivants  (10  et  13  avril  :  Ni  provocation  ni  humilité  ;  Agissons, 
par  Aug.  Vacquerie) 

3  /.  O.,  12  avril  1881,  p.  850. 

4  Ibid. 


418 


aucune  relation...  Je  répète  qu'entre  cette  opération  militaire  et  l'affaire  de  l'Enfida,  il  n'y 
a  aucune  relation  directe  ou  indirecte». ..5. 

La  discussion  s'acheva  dans  le  désordre  au  milieu  des  protestations  de  la  majorité. 
On  procéda  ensuite  au  scrutin  sur  les  divers  ordres  du  jour.  L'incident  avait  permis  au 
président  du  Conseil  d'esquiver  de  plus  amples  explications  sur  les  buts  qu'il  recherchait 
en  Tunisie,  il  se  rallia  à  l'ordre  du  jour  de  confiance  présenté  par  Paul  Bert  et  recueillit 
la  confortable  majorité  de  322  voix  contre  124,  l'extrême  gauche  s'étant  abstenue  dans 
le  scrutin^. 

Le  débat  tunisien  semblait  terminé.  L'entrée  des  troupes  françaises  dans  la  Régence 
faisait  aussitôt  passer  au  premier  plan  les  questions  militaires.  La  marche  des  colonnes 
françaises,  l'intervention  de  l'escadre  à  Bizerte  firent  bientôt  ressortir  l'hypocrisie  des 
déclarations  du  cabinet  Ferry.  C'était  bel  et  bien  d'une  guerre  qu'il  s'agissait,  d'une 
guerre  menée  sous  le  couvert  de  représailles  frontalières,  grâce  à  la  fiction  du  maintien 
des  relations  diplomatiques  et  de  la  coopération  des  troupes  tunisiennes  que  le  bey, 
isolé  en  dépit  de  ses  appels,  se  devait  bien  malgré  lui  d'accepter^. 

Le  12  mai,  la  colonne  du  général  Bréart  arrivait  aux  portes  de  Tunis.  Inquiet  d'une 
déposition  possible  en  faveur  de  son  frère  Taïeb  qui  se  posait  en  prétendant.  Mohammed 
es  Sadok  signa  au  palais  de  Kassar  Saïd  cette  convention  que  l'histoire  devait  connaître 
sous  le  nom  du  traité  du  Bardo®. 


5  Ibid.  p.  851. 

6  «La  Chambre,  approuvant  la  conduite  du  gouvernement  et  pleine  de  confiance  dans  sa  prudence  et  son 
énergie,  passe  à  l'ordre  du  jour».  Sur  522  députés  présents  (533  sièges  pourvus,  11  (13  après  rectifications 
de  vote)  députés  en  congé  ou  retenus  à  la  commission  du  budget),  les  chiffres  bruts  et  rectifiés  furent  les 
suivants  : 


Pour 

Contre 

Abstentions 

Extrême  Gauche 

4. 

1 

19 

Gauche 

315  (308) 

1  (-) 

43*  (49)* 

Droite 

3 

122 

14 

322  (315) 

124  (123) 

76  (82) 

*  dont  6  ministres 

{/.  0.,  pp.  855  sqq). 

7  «  Nous  ne  sommes  pas  et  nous  ne  voulons  pas  être  en  guerre  avec  le  Bey...  C'est  en  alliés  que  nous  entendons 
entrer  et  opérer  sur  le  territoire  tunisien  pour  la  répression  [des]  désordres»...  (A.  E.  Tunis,  vol.  57  Tél  de 
Barth.  St.  Hilaire  à  Roustan.  Paris,  13  avril  1881).  Ne  pas  dévoiler  nos  batteries,  conseillait  Roustan.  «Si  nous 
entamons  la  discussion  prématurément,  nous  n'en  sortirons  jamais.  Je  ne  vois  qu'un  moyen  :  c'est  de  venir 
jusqu'à  Tunis  au  besoin,  et  déposséder  le  bey  en  fait,  avant  de  le  déposséder  en  droit  » 

[Ibid.  vol.  58.  Part,  à  Courcel.  Tunis,  4  mai  1881). 

8  Les  dispositions  essentielles  du  traité  du  Bardo  (art  2,  3  et  5)  reproduisaient  celles  des  projets  de  traité 
rédigés  en  février  1879  et  mai  1880  par  Waddington  et  Freycinet  : 

ARTICLE  PREMIER  -  Les  traités  de  paix,  d'amitié  et  de  commerce  et  toutes  autres  conventions  existant 
actuellement  entre  la  République  Française  et  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  sont  expressément  confirmés  et 
renouvelés. 

Art.  2.  -  En  vue  de  faciliter  au  Gouvernement  de  la  République  Française  l'accomplissement  des  mesures 
qu'il  doit  prendre  pour  atteindre  le  but  que  se  proposent  les  hautes  parties  contractantes,  S.  A.  le  Bey  de 
Tunis  consent  à  ce  que  l'autorité  militaire  française  fasse  occuper  les  points  qu’elle  jugera  nécessaires  pour 
le  rétablissement  de  l'ordre  et  la  sécurité  de  la  frontière  et  du  littoral.  Cette  occupation  cessera  lorsque 
les  autorités  militaires  française  et  tunisienne  auront  reconnu,  d'un  commun  accord,  que  l'administration 
locale  est  en  état  de  garantir  le  maintien  de  l'ordre. 

Art.  3.  -  Le  Gouvernement  de  la  République  Française,  se  porte  garant  de  l'exécution  des  traités  actuellement 
existant  entre  le  Gouvernement  de  la  Régence  et  les  diverses  puissances  européennes. 

Art.  4.  -  le  Gouvernement  de  la  République  Française  sera  représenté  auprès  de  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  par 
un  ministre  résident  qui  veillera  à  l'exécution  du  présent  acte  et  qui  sera  l'intermédiaire  des  rapports  du 


419 


Le  masque  était  jeté.  La  nouvelle  provoquait  aussitôt  les  récriminations  de 
l'Angleterre,  un  rebondissement  de  la  crise  politique  italienne.  Cairoli  qui  était  revenu 
sur  sa  démission  d'avril  devait  se  retirer  définitivement  des  affaires.  Mais  le  soutien 
résolu  de  Bismarck  délivrait  le  gouvernement  français  de  la  menace  d'une  médiation 
européenne®.  La  France  demeurait  seule  en  Tunisie.  Trois  ans  après  le  congrès  de  Berlin, 
elle  avait  enfin  cueilli,  selon  l'expression  de  Bismarck,  ce  fruit  africain  qu'Angleterre  et 
Allemagne  lui  avaient  conjointement  offert. 

L'opinion  française,  sensible  au  succès  de  l'opération,  oubliait  bien  vite  les 
contradictions  entre  les  déclarations  et  les  actes  du  gouvernement.  Presque  unanime, 
la  presse  parisienne  se  louait  des  résultats  obtenus,  félicitait  le  ministère  d'avoir  su  oser 
et  réussir.  Seule,  s'élevait  une  voix  discordante,  celle  du  publiciste  Rochefort  qui,  dans 
l'Intransigeant  s'en  prenait  à  l'opportunisme  en  alliant  l'injure  à  la  railleriei®.  Mais  le 
rappel  même  des  origines  financières  de  l'expédition  demeurait  sans  écho^i.  Le  débat 
sur  la  ratification  du  traité  du  Bardo  au  Parlement  fut  sans  histoire.  A  une  voix  près, 
celle  du  député  socialiste  Talandier,  Ferry  obtenait  le  vote  unanime  de  la  Chambre  en 
faveur  de  l'adoption  du  traité.  Trois  semaines  plus  tard,  la  même  unanimité  se  reformait 


Gouvernement  français  avec  les  autorités  tunisiennes  pour  toutes  les  affaires  communes  des  deux  pays. 

Art.  5  -  Les  agents  diplomatiques  et  consulaires  de  la  France  en  pays  étrangers  seront  chargés  de  la  protection 
des  intérêts  tunisiens  et  des  nationaux  de  la  Régence.  En  retour,  S.  A.  Le  Bey  s'engage  à  ne  conclure  aucun 
acte  ayant  un  caractère  international  sans  en  avoir  donné  connaissance  au  Gouvernement  de  la  République 
Française  et  sans  s'être  entendu  préalablement  avec  lui. 

Art.  6.  -  Le  Gouvernement  de  la  République  française  et  le  Gouvernement  de  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  se  réservent 
de  fixer  d'un  commun  accord  les  bases  d'une  organisation  financière  de  la  Régence  qui  soit  de  nature  à 
assurer  le  service  de  la  dette  publique  et  à  garantir  les  droits  des  créanciers  de  la  Tunisie. 

Art.  7.  -  Une  contribution  de  guerre  sera  imposée  aux  tribus  insoumises  de  la  frontière  et  du  littoral.  Une 
convention  ultérieure  en  déterminera  le  chiffre  et  le  mode  de  renouvellement  dont  le  Gouvernement  de  S.  A. 
le  Bey  se  porte  responsable. 

Art.  8.  -  Afin  de  protéger  contre  la  contrebande  des  armes  et  des  munitions  de  guerre  les  possessions 
algériennes  de  la  République  Française,  le  Gouvernement  de  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  s'engage  à  prohiber  toute 
introduction  d'armes  ou  de  munitions  de  guerre  sur  l'île  de  Djerba,  le  port  de  Gabès  ou  les  autres  ports  du 
sud  de  la  Tunisie. 

Art.  9.  -  Le  présent  traité  sera  soumis  à  la  ratification  du  Gouvernement  de  la  République  Française  et 
l'instrument  de  ratification  sera  remis  à  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  dans  le  plus  bref  délai  possible.» 

9  «Lord  Granville  et  sir  Charles  Dilke  peuvent  épiloguer  tant  qu'ils  veulent  avec  M.  Challemel-Lacour  ;  il 

n'en  est  pas  moins  certain  qu'ils  ont  fait  sonder  le  chancelier  par  Lord  Dufferin  en  vue  d'une  médiation» 
(A.  E.  Allemagne,  Mém.  et  Doc.,  vol  167.  Part,  de  St-Vallier  à  Barthélemy-St-Hilaire.  Berlin,  10  juillet  1881). 
M.  A.  Raymond  a  minutieusement  analysé  les  hésitations  et  les  repentirs  de  la  politique  tunisienne  de 
Granville  en  avril  et  mai  1881  dans  son  article  :  Les  libéraux  anglais  et  la  question  tunisienne  (Cahiers  de 
Tunsie.  1955,  pp.  447-463). 

10  Le  prix  du  sang,  9  avril  ;  Cherchez  le  Khroumir  !  21  avril  1881.  Dans  ce  dernier  article,  rondement  mené, 

Rochefort  retrouvait  sa  verve  de  la  Lanterne  :  «Une  chose  à  la  fois  étrange,  folichonne,  translunaire  et  à 

laquelle  on  n'a  pas  assez  réfléchi,  c'est  qu'il  n'y  a  pas  de  Khroumirs.  On  en  a  parlé  pendant  deux  jours,  mais 
personne  n'en  ayant  aperçu  un  seul,  on  a  lâché  les  Khroumirs  pour  s'occuper  exclusivement  du  bey,  du 
consul  Maccio,  de  l'Italie  et  de  la  continuation  du  chemin  de  fer  de  Bône  à  Guelma... 

Nous  sommes  sûrs  que  le  cabinet  Ferry  offrirait  trente  mille  francs  à  qui  lui  procurerait  un  Khroumir,  afin 
de  pouvoir  le  montrer  à  l'armée,  ne  fût-ce  que  comme  échantillon.  Malheureusement  le  Khroumir  manque 
absolument  sur  le  marché...  Le  bachelier  incompris  qui  aurait  l'intelligence,  en  se  soumettant  à  quelques 
tatouages  préalables,  de  se  transformer  en  Khroumir,  verrait  cesser  tous  ses  maux.  Nul  doute,  que  s'il 
consentait  à  raconter  qu'il  a  été  fait  prisonnier  après  un  combat  de  onze  heures  par  la  brigade  du  général 
Forgemolle,  l'État  ne  le  couvrît  d'or  et  de  pierreries...  Il  y  a  lieu  de  croire  que,  finalement,  tout  ce  qui  restera 
du  «châtiment  exemplaire»  que  le  gouvernement  feint  de  vouloir  appliquer  à  ces  prétendus  pirates,  ce  sera 
une  affiche  des  Folies  Bergères  annonçant  l'exhibition  d'un  Khroumir  qui  entrera  en  scène  à  9  heures  du 
soir.  La  foule  émue  s'approchera  de  ce  phénomène  et  s'apercevra  bientôt  avec  stupéfaction  qu'il  est  né  aux 
Batignolles  de  parents  français.» 

11  Le  prix  du  sang,  9  avril  ;  De  la  frontière  algérienne,  30  avril  ;  Les  résultats,  16  mai.  Egalement  16  et  17  juin. 


420 


pour  accorder  un  crédit  supplémentaire  de  quatorze  millionsi^.  La  Chambre,  en  fin  de 
mandat,  se  séparait  alors  et  le  pays  se  plongeait  bientôt  dans  l'atmosphère  passionnée 
des  grandes  campagnes  électorales. 

Nul  n'eût  sans  doute  plus  reparlé  des  affaires  tunisiennes,  si,  en  juillet  1881, 
l'insurrection  du  sud  de  la  Régence  n'avait  surpris  le  gouvernement  français  en  plein 
rapatriement  du  corps  expéditionnaire.  Malgré  qu'il  en  eût.  Ferry  se  voyait  contraint  de 
mener  à  nouveau  campagne  en  Tunisie,  une  campagne  rendue  difficile  par  la  chaleur, 
le  manque  d'eau,  les  épidémies.  Profitant  des  vacances  parlementaires,  il  s'efforçait 
de  minimiser  les  incidents  tandis  qu'il  pressait  le  commandement  d'agir  et  de  lui 
rapporter  une  victoire  décisive  pour  la  rentrée  parlementaire^^.  Mais  la  prolongation 
de  la  guerre  ramenait  désagréablement  l'attention  du  public  français  sur  les  affaires 
de  Tunisie. 

I  -  L'opinion  publique  et  l'expédition 

Fin  septembre,  brutalement,  la  campagne  de  presse  se  déclencha.  Le  27, 
VIntransigeant  publiait  en  première  page  un  très  violent  article  de  Rochefort  intitulé  : 
Le  secret  de  l'affaire  tunisienne  oû  il  traitait  l'affaire  de  Tunis  de  «vol  qualifié  compliqué 
d'assassinat».  «MM.  Gambetta  et  Roustan»,  écrivait  Rochefort,  «avaient  formé  une 
association  dont  le  but  était  de  faire  d'abord  tomber  au  prix  du  papier  les  obligations 
de  la  dette  tunisienne,  et  de  les  racheter  ensuite  pour  quelques  liards.  Mais  comme 
jamais  le  Bey  n'aurait  eu  les  deux  cents  millions  nécessaires  à  leur  remboursement,  les 
deux  compères  poussaient  le  gouvernement  français  à  intervenir  dans  la  Régence,  et  à 
prendre  à  son  compte  le  paiement  des  obligations  qui  eussent  été  converties  en  trois 
pour  cent.» 

«M.  Gambetta  et  M.  Roustan  eussent  alors  échangé  le  tas  de  papier  contre  des 
coupons  de  rentes  pour  une  valeur  de  plus  de  cent  millions,  et  ces  rentes  c'étaient  les 
contribuables  qui  les  leur  auraient  servies.» 

«Voilà  pourquoi  cinquante  mille  de  nos  soldats  sont  allés  mourir  là-bas  d'insolation 
et  de  misère.  Nous  comparions  la  guerre  de  Tunisie  à  celle  du  Mexique...  Jecker  a  été 
fusillé  par  la  Commune.  Nous  nous  demandons  s'il  méritait  plus  la  mort  que  les  pandours 
qui  à  l'instar  du  Thénardier  des  Misérables  vont  voler  des  millions  sur  des  cadavres»!^. 

Deux  jours  plus  tard,  c'était  au  tour  du  Petit  Parisien  d'exposer  au  grand  public 
la  vérité  sur  l'expédition  tunisienne.  Plus  qu'aux  tripotages  de  bourse,  le  Petit  Parisien 
attribuait  la  responsabilité  de  l'intervention  française  aux  appétits  des  grandes 


12  Sur  la  ratification  du  traité  du  Bardo,  le  24  mai,  431  votants  et  89  abstentions  (chiffres  bruts),  se  répartissant 
ainsi  :  Extrême  gauche  11  ;  gauche  25  ;  droite  53.  Sur  le  vote  d'un  crédit  de  14  millions,  le  13  juin, 
429  votants  et  86  abstentions  dont,  respectivement,  12,  21  et  53  pour  les  mêmes  groupes. 

13  «C'est  une  comédie»,  cria-t-on  à  la  Chambre  lorsque  le  gouvernement  annonça  à  la  rentrée  la  prise  de 
Kairouan. 

14  L'Union  Républicaine  répondait  à  Rochefort  dans  la  République  française,  le  29  septembre  :  «Nous  ne  parlons 
jamais  de  M.  de  Rochefort.  Nous  lisons  rarement  son  journal.  Il  ne  rencontre  pas  tous  les  jours  le  mot  pour 
rire.  Il  ne  sait  rien  et  ne  peut  rien  nous  apprendre.  Il  faut  cependant  que  tous  les  jours  V Intransigeant sa\isse 
d'encre  son  mauvais  papier  pour  le  vendre...  Quand  l'esprit  manque,  on  insulte  ;  puis,  les  lecteurs  se  blasant 
assez  vite  et  se  fatiguant  des  insultes  ordinaires,  après  avoir  ainsi  épuisé  tout  le  vocabulaire  poissard,  on 
insulte  en  argot,  avec  une  sorte  de  fureur  hystérique.  A  bout  d'insultes...  on  calomnie». 

L'auteur  de  l'article  défendait  ensuite  Antonin  Proust  et  Challemel-Lacour  accusés  par  Rochefort  d'avoir 
été  les  agents  de  la  campagne  de  dépréciation  sur  les  fonds  tunisiens  engagée  par  Roustan  et  Gambetta.  Il 
concluait  en  demandant  que  Roustan  fût  autorisé  à  poursuivre  Rochefort  en  justice. 


421 


sociétés,  Batignolles,  Bône-Guelma  et  Société  Marseillaise.  Sidi  Tabet,  l'Enfida,  les 
projets  de  chemins  de  fer,  de  ports,  de  concessions  minières  et  même  le  percement 
de  l'isthme  de  Gabès  étaient  ainsi  dénoncés  comme  les  véritables  mobiles  de 

l'expéditionis. 

Presque  toute  la  presse  d'extrême  gauche  se  joignait  à  la  campagne,  soit,  comme 
la  Lanterne,  en  se  bornant  à  reproduire  les  arguments  avancés  déjà  par  l'Intransigeant 
et  le  Petit  Parisien,  soit  en  apportant  des  éléments  nouveaux,  comme  le  faisaient  Mot 
d'ordre  et  Vérité^^.  A  droite,  si  le  Figaro  se  montrait  réservé,  en  revanche  des  quotidiens 
bonapartistes  comme  le  Napoléon  et  surtout  le  Clairon  qui  s'en  prenait  au  syndicat  des 
tripoteurs,  se  rangeaient  résolument  aux  côtés  des  journaux  radicauxi^.  La  campagne 
se  prolongeait  à  l'étranger.  Déjà,  le  10  septembre,  le  Daily  Telegraph  de  Londres  avait 
qualifié  l'expédition  française  de  «guerre  pour  les  affaires».  Les  29  et  3  0  septembre  1881, 
la  Pall  Mail  Gazette,  en  deux  articles  envoyés  de  Paris,  faisait  longuement  le  procès  des 
principaux  responsables  et  fournissait  l'exposé  le  plus  cohérent  de  toutes  les  intrigues 
qui,  depuis  dix  ans,  s'étaient  nouées  autour  des  affaires  de  la  Régencei^.  Les  quotidiens 
italiens  s'empressaient  à  leur  tour  d'accueillir  des  accusations  qui  servaient  si  bien  leurs 
intérêts  nationaux. 

La  contre  attaque  de  la  presse  opportuniste  représentée  par  Paris  et  l'Evénement 
fit  rebondir  la  polémique  au  cours  des  semaines  suivantes.  «Les  deux  condottieri  qui 
empruntent  bravement  une  escopette  à  gauche  et  un  stylet  à  droite  pour  atteindre 
notre  honorable  représentant  à  Tunis  s'appellent  M.  le  baron  de  Billing...  et  M.  0.  Gay 
(de  Tunis)»i®.  Et  l'Evénement  de  dénoncer  les  tripotages  auxquels  avaient  été  mêlés 
eux-mêmes  les  informateurs  de  la  presse  radicale,  tandis  que  Paris,  preuves  à  l'appui, 
rappelait  la  curieuse  façon  dont  Gay,  trois  ans  plus  tôt,  avait  rempli  son  mandat  de 
commissaire  tunisien  à  l'Exposition  universelle  de  Paris.  Aussitôt  Gay  de  répondre  dans 
l'Intransigeant,  dans  le  Soir,  dans  la  Lanterne  et  d'intenter  un  procès  en  diffamation  à 
Georges  de  la  Bruyère,  le  rédacteur  de  l'EvénemenP^. 


15  Petit  Parisien  :  Coulisses  diplomatiques,  21-26  septembre  1881  ;  La  vérité  sur  l'expédition  tunisienne, 
29  septembre... 

16  Le  Mot  d'ordre  rappelait  l'histoire  des  emprunts  tunisiens  de  1863  et  1865,  dénonçant  les  vols  d'Erlanger 
et  de  ses  complices,  Dahdah,  Ganesco,  Pinard  {Affaires  tunisiennes,  30  septembre,  1®»^  octobre  1881).  La 
Vérité  donnait  le  3  octobre,  sous  la  rubrique  Affaires  de  Tunisie,  la  traduction  de  l'article  paru  le  29  dans  la 
Pall  Mail  Gazette.  Sans  apporter  d'éléments  nouveaux,  le  Radical  ou  la  Politique  d'action,  organe  socialiste 
récemment  créé,  s'en  prenaient  vigoureusement  aux  spéculateurs.  L'hebdomadaire  de  Lyon,  la  Comédie 
politique,  consacrait  trois  articles  (30  octobre,  6  et  20  novembre)  aux  «auteurs  de  la  guerre»,  les  Mussalli, 
Sancy,  Allegro,  les  dirigeants  de  la  Société  Marseillaise,  Léon  Renault. 

17  Napoléon  :  28  septembre  -13  novembre  1881  (Le  bouquet.  Un  peu  de  dignité,  11  et  13  novembre)  ;  Clairon  : 
Les  tripotages  tunisiens,  14  articles  du  14  septembre  au  1^^  octobre  1881. 

18  Daily  Telegraph,  10  septembre  1881;  Pall  Mail  Gazette  :  The  real  origin  ofthe  war  in  Tunis,  29  septembre 
1881  ;  The  Tunisian  scandai  and  its  authors,  1^^  octobre.  Standard  et  Times,  septembre-octobre  1881.. 

19  Evénement,  30  septembre  1881. 

20  Evénement,  30  septembre,  1^^  et  14  octobre  1881  ;  Paris,  8  et  13  octobre  ;  Intransigeant  9-23  octobre  ;  Soir 
4-6  et  16  octobre  ;  Lanterne  11-18  octobre  1881. 

A  toute  cette  polémique  se  mêle  le  rappel  des  intrigues  entreprises  par  Gay  et  ses  amis  pour  s'entremettre, 
avec  au  moins  la  tolérance  de  l'Elysée,  dans  la  négociation  du  traité  de  protectorat,  en  avril-mai  1881  (cf. 
articles  de  Gay  dans  le  Soir,  10-13  mai  1881).  Billing  nia  avoir  été  l'informateur  de  Rochefort  {République 
française,  30  septembre  1881).  Il  envoya  ses  témoins  à  de  la  Bruyère,  mais  le  duel  fut  ajourné  et  à  notre 
connaissance,  n'eut  point  lieu. 

La  belle  ardeur  déployée  par  de  la  Bruyère  en  faveur  de  Roustan  s'explique  la  fois  par  la  ligne  politique  de 
son  journal  et  par  le  voyage  entrepris  en  Tunisie  par  ce  journaliste,  voyage  au  cours  duquel  il  fut  l'hôte  du 
consulat  de  France.  C'est  ainsi  qu'il  aurait  pu  être  informé  par  Roustan  lui-même  de  bien  des  détails  fâcheux 
concernant  Gay  et  Billing. 


422 


Billing,  de  son  côté,  acceptait  de  participer  à  une  série  de  meetings  organisés  par 
l'extrême  gauche  pour  réclamer  la  mise  en  accusation  du  ministère.  Le  23  octobre,  il 
parlait  à  Paris,  dénonçant  les  causes  financières  de  l'expédition,  les  coups  de  bourse, 
le  rôle  des  grandes  sociétés  ;  en  novembre,  il  se  produisait  à  Lyon,  puis  à  Saint-Etienne, 
toujours  environné  des  députés  radicaux  les  plus  intransigeants. 

Au  début  de  novembre,  le  député  et  journaliste  radical  Camille  Pelletan^i  entrait  en 
lice  à  son  tour.  Avant  de  s'engager  dans  la  querelle  tunisienne,  Pelletan  était  allé  mener 
sur  place  une  enquête  de  deux  semaines.  11  en  ramenait  les  informations  qui  pendant  plus 
d'une  semaine  allaient  nourrir  ses  articles  de  la  Justice^^.  «Le  conflit  entre  MM.  Roustan 
et  Maccio'  est  l'unique  origine  de  la  guerre»,  notait-il  le  1“  novembre.  Et  de  s'en  prendre 
aussitôt  aux  spéculations  financières  qui  auraient  été  à  l'origine  de  l'expédition  :  l'affaire 
de  l'Enfida,  les  appétits  du  groupe  Batignolles-Bône-Guelma  en  quête  de  chemins  de  fer 
à  construire  et  de  subventions  gouvernementales  à  se  partager,  la  déception  de  Léon 
Renault  qui  avait  vu  repoussé  son  projet  de  Crédit  foncier.  Pelletan  insistait  ensuite 
sur  l'atmosphère  tunisienne,  sur  l'entourage  douteux  du  consul  de  France,  le  couple 
Mussalli,  le  Juif  Volterra^^.  11  montrait  le  ridicule  de  la  querelle  franco-tunisienne  au  sujet 
du  T.  G.  M,  un  misérable  tramway  de  banlieue,  et  concluait  que  l'action  gouvernementale 
ne  visait  qu'à  l'annexion  économique  de  la  Régence,  une  annexion  non  par  la  France 
mais  par  la  bourse  de  Paris. 

Moins  violentes  mais  mieux  documentées  que  celles  de  l'Intransigeant,  les  critiques 
de  la  Justice  étaient  surtout  plus  pertinentes.  Clemenceau  n'allait  pas  manquer  de  s'en 
inspirer  lorsque  viendrait  le  moment  de  porter  à  la  tribune  de  la  Chambre  l'attaque 
décisive  contre  le  cabinet  Ferry. 

Legouvernementnepouvaiteneffetdifférerpluslongtempslarentrée  parlementaire. 
Ferry,  virtuellement  démissionnaire  depuis  le  résultat  des  élections  qui  avaient  assuré  le 
triomphe  de  l'Union  républicaine,  entendait  cependant  défendre  sa  politique  tunisienne 
avant  de  céder  la  place  à  Gambetta  qui,  dans  la  coulisse,  préparait  déjà  ce  qui  devait  être 
le  «grand  ministère».  Dès  la  rentrée,  des  demandes  d'interpellation  étaient  déposées 
sur  le  bureau  de  la  Chambre.  Ferry  acceptait  le  débat,  mais  il  décidait  de  prendre  les 
devants  en  exposant  à  l'assemblée,  le  5  novembre,  les  raisons  de  l'intervention  française 
et  la  conduite  de  l'expédition. 

«La  question  de  Tunis»,  commença-t-il,  «est  devenue  une  plateforme  électorale 
pour  des  gens  qui  n'en  avaient  pas  trouvé  d'autres».  Et,  repoussant  brièvement  les 
comparaisons  évoquées  par  l'extrême  gauche  entre  les  affaires  tunisiennes  et  celle 
des  bons  Jecker,  il  fit  l'historique  de  la  question  en  remontant  à  la  monarchie  de  Juillet. 
Après  des  années  de  relations  confiantes,  la  situation  était  modifiée.  Le  changement 


21  PELLETAN  {Charles-Camille'),  publiciste  et  homme  politique,  né  et  mort  à  Paris  (1846-1915),  fils  du  sénateur 
Eugène  Pelletan.  Ancien  élève  de  l'école  des  Chartes,  il  entra  dans  le  journalisme  et  collabora  à  la  Tribune, 
au  Rappel  et  à  la  Justice  de  Clemenceau  dont  il  devint  le  rédacteur  en  chef.  Il  venait  d'être  élu  député  pour  la 
première  fois  en  août-septembre  1881  par  les  circonscriptions  de  Paris  X"  et  d'Aix-en-Provence  et  siégeait  à 
l'extrême  gauche  parmi  les  radicaux  intransigeants. 

22  Justice  :  La  question  tunisienne,  1®^,  2,  3,  6  novembre  1881. 

23  «11  y  a,  dans  l'orient,  à  côté  du  monde  musulman,  une  population  spéciale,  mêlée  de  toutes  les  autres, 
européenne  de  costume  et  de  langue,  trop  souvent  orientale  de  principes,  croisée  des  sangs  les  plus  divers, 
n'ayant  à  proprement  parler  d'autre  patrie  que  l'écume  de  la  Méditerranée.  La  descendance  d'Israël  s'y  mêle 
avec  des  Coptes,  des  Grecs,  des  Italiens  désitalianisés,  souvent  des  produits  mélangés  de  tous  ces  peuples 
divers.  Est-il  excessif  de  dire  que  les  collaborateurs  de  M.  Roustan  appartiennent  à  ce  monde  cosmopolite  ?» 
(Justice,  6  novembre  1881). 


423 


d'attitude  du  gouvernement  beylical  suscitait  des  difficultés  aux  intérêts  français 
tandis  que  s'aggravait  l'insécurité  sur  les  confins  algériens.  «En  dix  ans  combien  a-t-on 
compté  de  violations  de  frontière,  de  la  frontière  française  d'Algérie  ?  2.365  !  Le  détail 
en  est  au  Livre  Jaune».  Et  Ferry  de  conclure  qu'il  était  impossible  au  gouvernement  de 
tolérer  un  tel  état  de  choses  dans  un  pays  qui  était  réellement  «la  clef  de  notre  maison 
algérienne»24. 

L'orateur  en  venait  ensuite  à  la  conduite  de  l'expédition.  Pour  prévenir  les  critiques,  il 
s'efforça  de  démontrer  que  le  gouvernement,  fidèle  interprète  de  la  volonté  du  Parlement, 
n'avait  pas  outrepassé  le  mandat  qu'il  en  avait  reçu,  le  plein  pouvoir,  le  «blanc-seing»  qui 
devait  valoir  jusqu'à  la  rentrée  des  Chambres.  Mandataire  de  l'opinion  qui  le  pressait 
d'agir,  le  gouvernement  n'avait  pas  innové  ;  il  avait  seulement  poursuivi  une  politique 
conforme  à  la  tradition  et  aux  grands  intérêts  de  la  nation.  Et,  pour  sonner  le  ralliement 
de  la  majorité.  Ferry,  en  bon  tacticien  parlementaire,  essayait  de  solidariser  la  nouvelle 
Chambre  de  l'ancienne  ;  il  affectait  de  la  confondre  avec  elle  en  rappelant  l'approbation 
unanime  qu'il  en  avait  reçue.  «Trois  votes  successifs  du  Parlement  :  le  vote  du  premier 
crédit  qui  sanctionne  le  principe  de  l'expédition  ;  le  vote  du  traité  du  12  mai  et  celui  des 
derniers  crédits  demandés  par  M.  le  ministre  de  la  Guerre  ;  ...ces  trois  votes  unanimes 
ont  intimement  lié,  dans  l'honneur  et  dans  la  responsabilité,  le  gouvernement  d'alors  et 
les  Chambres^s». 

Ferry  s'étendait  enfin  longuement  sur  les  problèmes  militaires,  la  mobilisation  du 
corps  expéditionnaire,  le  rapatriement  des  troupes.  11  montra  le  développement  de  la 
conquête,  la  progression  française  dans  le  sud  de  la  Régence.  Le  danger  n'était  point 
dans  la  menace  d'une  résistance  prolongée  ;  il  résidait  essentiellement  dans  l'incertitude 
apparente  du  gouvernement  français.  Deux  grands  intérêts,  politique  et  militaire,  étaient 
en  cause.  Ne  touchez  pas  à  ces  intérêts,  s'écriait  il  dans  sa  péroraison  «ne  touchez  pas  à 
la  France,  ne  touchez  pas  à  l'armée  !». 

Le  premier  interpellateur  inscrit  était  le  député  de  Saint-Flour,  Amagat.  Celui-ci 
entendait  démontrer  la  légitimité  des  droits  de  la  France  sur  la  Régence,  mais  critiquer 
l'inopportunité  de  leur  exercice.  Mais  la  maladroite  éloquence  de  l'orateur  soulevait 
aussitôt  l'hilarité  générale  et  sa  démonstration,  hachée  d'interruptions,  se  perdit  dans 
le  brouhaha  des  conversations  particulières. 

La  suite  de  la  discussion  ayant  été  remise  au  lundi  7,  ce  fut  alors  que  Naquet^®  prit  la 
parole  à  son  tour.  Plus  qu'aux  mobiles  ou  à  la  conduite  de  l'expédition,  Naquet  s'en  prit  à 
l'hypocrisie  des  déclarations  gouvernementales,  à  la  façon  dont  Ferry  avait  manœuvré  la 
Chambre  afin  d'agir  sans  contrôle  au  mépris  des  usages  parlementaires.  «Vous  avez  été 
guidés  par  des  préoccupations  électorales»,  s'écriait  l'orateur  ;  «je  dis  que  vous  vouliez 
paraître  devant  les  populations  parés  des  lauriers  de  la  victoire,  et  que  vous  vouliez  en 
même  temps  -  ce  qui  semble  assez  singulier,  assez  contradictoire  -,  paraître  ne  pas  faire 
la  guerre...  La  question  vitale  pour  vous,  à  cette  époque,  c'était  bien  moins  de  châtier  les 
Kroumirs  que  de  ramener  sur  les  bancs  de  cette  Chambre  une  majorité  qui  fut  dévouée 
à  votre  cabinet^^  !» 


24  J.  O,  pp.  1924-1926. 

25  J.  0.,p.l927 

26  Alfred  Naquet,  député  du  Vaucluse,  qui  s'illustra  par  sa  campagne  pour  le  rétablissement  du  divorce. 
Louis  Amagat,  député  du  Cantal,  professeur  à  la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier,  rayé  des  cadres. 

27  /.  0.,p.l943. 


424 


Le  Faure  et  Langlois^®  traitèrent  ensuite  de  questions  militaires.  Ils  critiquèrent 
la  façon  dont  la  mobilisation  avait  été  organisée  et  s'en  prirent  tout  particulièrement 
à  l'insuffisance  du  ravitaillement,  à  l'état  sanitaire  déplorable  de  la  troupe.  Avec 
Clemenceau,  le  8  novembre,  l'attaque  prit  un  tour  plus  direct  à  la  fois  et  plus  incisif. 
L'orateur  avait  soigneusement  préparé  son  dossier.  C'est  Livre  Jaune  en  main  qu'il 
monta  à  la  tribune  et  qu'il  entendit  exposer  les  raisons  véritables  de  l'intervention 
française. 

Simple  prétexte  que  l'agression  des  Kroumirs  !  Les  déclarations  ministérielles, 
comme  les  dépêches  de  Grévy  et  de  Roustan  apportaient  la  preuve  que  l'insécurité  avait 
toujours  été  de  règle  sur  la  frontière  ;  le  gouvernement  n'avait  invoqué  la  nécessité 
de  protéger  l'Algérie  que  dans  le  dessein  bien  arrêté  de  réaliser  des  objectifs  politico- 
financiers  dont  il  s'était  bien  gardé  d'entretenir  le  Parlement^®.  L'orateur  s'attaquait 
ensuite  aux  «difficultés»  qui  avaient  occupé  Roustan  à  la  veille  de  l'expédition,  ces 
affaires  du  Bône-Guelma,  de  l'Enfida  et  du  Crédit  foncier  où  il  voyait  les  mobiles  inavoués 
de  l'intervention  française.  Il  eût  été  commode  de  reprendre  les  arguments  de  la  presse 
d'extrême  gauche,  de  lire  à  l'assemblée  les  coupures  de  journaux  en  mettant  au  défi  le 
président  du  Conseil  d'apporter  la  réfutation  de  toutes  les  accusations.  Clemenceau  sut 
résister  à  cette  tentation.  Plutôt  que  de  se  faire  l'écho  de  rumeurs  souvent  incontrôlables, 
il  préféra  démontrer  à  la  Chambre,  documents  officiels  à  l'appui,  que  les  sociétés 
françaises  engagées  en  Tunisie  n'étaient  pas  dignes  de  la  sollicitude  du  gouvernement. 

Qu'étaient-ce  que  Batignolles  et  Bône-Guelma,  sinon  des  compagnies  rentières 
vivant  en  parasites  aux  dépens  du  budget  national  ?  La  subvention  annuelle  de  6%  sur 
les  capitaux  qu'elles  avaient  engagés  ne  les  encourageait  nullement  à  développer  le 
trafic  de  leur  chemin  de  fer.  Aussi  ne  cherchaient-elles  en  Tunisie  que  des  affaires  du 
même  genre,  des  placements  avantageux  dont  tous  les  risques  seraient  supportés  par 
l'Etat  français.  La  Société  Marseillaise  ne  procédait  pas  autrement  ;  l'affaire  de  l'Enfida 
n'était  pour  elle  que  le  moyen  de  s'assurer  «un  bénéfice  proportionné  aux  risques  qu'elle 
n'avait  pas  courus»^^. 

De  l'affaire  du  Crédit  foncier,  Clemenceau  retenait  surtout  le  voyage  de  Léon  Renault, 
le  langage  comminatoire  tenu  par  Roustan  à  l'égard  du  bey.  Le  bey  avait  refusé  «et  deux 
ou  trois  mois  après,  l'expédition  a  eu  lieu.  Non  pas  que  je  prétende»,  poursuivait  l'orateur, 
«que  ce  refus  a  été  la  cause  directe  de  l'expédition.  Mais  je  dis  que  l'état  d'esprit  créé 
chez  notre  consul  par  ce  refus  n'a  pu  qu'aggraver  la  crise  si  bien  préparée  par  les  affaires 
du  Bône-Guelma  et  de  l'Enfida.» 

«Je  ne  vois  pas  là...»,  concluait  Clemenceau,  «l'institution  de  grands  débouchés  pour 
notre  commerce,  la  création  de  comptoirs  ou  d'établissements  industriels,  rien  en  un 
mot  qui  ressemble  à  la  légitime  exploitation  des  ressources  du  sol  tunisien.  Je  n'aperçois, 
dans  toutes  les  entreprises  dont  j'ai  parlé,  que  des  hommes  qui  sont  à  Paris,  qui  veulent 
faire  des  affaires  et  gagner  de  l'argent  à  la  Bourse  {Applaudissements  à  V extrême  gauche 
et  à  droite.  Réclamations  à  gauche  et  au  centre)....  J'ai  dit  que  ce  sont  là  des  affaires  qui 


28  LE  FAURE  {Amédée-Jean)  publiciste  et  homme  politique  français  né  et  mort  à  Paris  (1838-1881).  Il  collabora 
à  la  rédaction  du  journal  La  France  et  siégeait  à  la  Chambre  depuis  1879  comme  député  d'Aubusson.  Il  était 
spécialiste  des  questions  militaires. 

LANGLOIS  (Amédée-Jérôme),  député  de  Pontoise,  ancien  officier  de  marine,  était  venu  lui  aussi  au  journalisme, 
après  avoir  été  un  des  disciples  de  Proudhon. 

29  /  0.,  pp.  1968-69. 

30  /  0„p.l971. 


425 


peuvent  faire  gagner  de  l'argent  à  la  bourse.  11  y  en  a  qui  sont  bonnes,  comme  le  chemin 
de  fer  de  Bône-Guelma,  elles  sont  même  trop  bonnes,  et  je  le  regrette  parce  qu'elles  ont 
été  faites  aux  dépens  du  budget,  c'est  à  dire  des  finances  de  la  France  {Applaudissements 
à  l'extrême  gauche  et  à  droite).  Ces  affaires  là  peuvent  intéresser  des  particuliers.  Mais 
elles  n'intéressent  pas  l'honneur  national  et  je  dis  que  ce  n'est  point  pour  de  telles 
affaires  qu'il  fallait  engager  une  lutte  avec  le  bey  de  Tunis  et  créer  la  crise  qui  a  amené 
rexpédition»3i. 

Clemenceau  aurait  pu  s'en  tenir  là.  Mais  il  crut  opportun  de  revenir  sur  les  arguments 
avancés  déjà  par  Naquet  pour  dénoncer  à  son  tour  et  avec  plus  de  force  que  son  collègue 
l'hypocrisie  de  la  politique  gouvernementale,  sa  façon  détournée  d'empiéter  sur  les 
droits  du  Parlement  :  «Et  M.  le  Président  du  Conseil  croit  se  tirer  d'affaire  en  disant  : 
Nous  n'avons  pas  déclaré  la  guerre.  Je  le  crois  bien.  Mais  c'est  précisément  là  notre  grief. 
Vous  n'avez  pas  déclaré  la  guerre,  mais  vous  l'avez  faite...  Vous  avez  déclaré  ici  que  vous 
ne  vouliez  ni  annexion  ni  conquête  et  voilà  que  vous  organisez  le  protectorat  qui  est  la 
forme  la  plus  dangereuse  de  l'annexion». 

La  Constitution  avait  été  violée  manifestement  et,  pour  couvrir  les  frais  de 
l'expédition,  le  cabinet  Ferry  en  avait  été  réduit  à  la  détestable  pratique  des  virements 
de  crédits.  Clemenceau  s'en  indignait  :  «Vous  avez  fait  là  une  chose  très  grave,  vous  avez 
touché  aux  deux  privilèges,  aux  deux  droits  primordiaux  de  la  Chambre  ;  vous  avez 
touché  à  son  droit  de  paix  et  de  guerre  et  vous  avez  touché  à  son  pouvoir  de  consentir 
l'impôt^^». 

La  parole  était  à  Jules  Ferry.  Aux  arguments  de  Clemenceau,  il  répondit  tout  d'abord 
par  l'ironie.  Où  étaient  donc  les  révélations  annoncées  à  grand  bruit  ?  Quels  faits  avait- 
on  avancés,  quels  documents  avait-on  produits  ?  Le  président  du  Conseil  ne  niait  point 
le  soutien  que  son  gouvernement  avait  apporté  aux  sociétés  intéressées  dans  l'affaire 
du  Crédit  foncier  comme  dans  celle  de  l'Enfida.  Mais  leur  cause  était  bonne  et  légitime 
leur  souci  de  rechercher  la  rémunération  de  leurs  capitaux.  Après  avoir  brièvement 
résumé  l'affaire  Levy,  Ferry  en  vint  aussitôt  à  la  question  du  Bône-Cuelma.  C'était  une 
bonne  chose,  assura-t-il,  que  la  création  d'un  chemin  de  fer  français  en  Tunisie.  Quelles 
raisons  Clemenceau  avait-il  de  s'indigner  de  la  garantie  accordée  au  Bône-Guelma,  alors 
que  toutes  les  compagnies  de  chemin  de  fer  d'Algérie,  le  P.  L.  M.  comme  l'Est  algérien, 
avaient  reçu  des  subventions  égales  sinon  plus  élevées  ?  Les  compagnies  françaises  ne 
bénéficiaient-elles  pas,  elles  aussi,  d'une  garantie  de  5,  75%  l'an  ?  Là  n'étaient  point  les 
motifs  de  l'expédition,  mais  «toutes  les  tracasseries  suscitées  à  nos  nationaux,  tous  ces 
empiétements  sur  leurs  droits,  tous  ces  dénis  de  justice  qui  contrastaient  si  étrangement 
avec  l'attitude  amicale  et  bienveillante,  je  dirais  presque  avec  la  docilité,  que,  pendant 
tant  d'années,  le  gouvernement  de  la  Régence  avait  montrée  vis-  à  -vis  de  la  France». 

Aux  interrupteurs  qui  lui  reprochaient  d'avoir  trompé  la  Chambre,  Ferry  répondit  en 
relisant  sa  déclaration  du  11  avril.  11  appuya  sur  les  mots,  soulignant  que  le  gouvernement 
entendait  déjà  «mettre  à  l'abri  d'une  façon  sérieuse  et  durable  la  sécurité  et  l'avenir»  de 
l'Algérie  française.  D'ailleurs,  entre  le  12  avril  et  le  12  mai,  l'attitude  de  la  Turquie  s'était 
faite  menaçante.  Mais  il  n'y  avait  pas  eu  de  guerre;  les  relations  diplomatiques  n'avaient 
pas  été  rompues.  La  convention  franco-tunisienne  était  un  traité  de  paix,  un  traité  de 
garanties. 


31  /.  0.,  p. 1971-1972. 

32  /  0.,  pp.  1972-1973. 


426 


Tout  le  monde  en  avait  été  satisfait  alors.  Seul  Clemenceau  avait  fait  quelques 
réserves,  «mais  ceux  qui  ont  entendu  la  discussion  que  je  viens  de  résumer,  ceux  qui  ont 
voté,  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  que  le  gouvernement  donnât  plus  d'explications,  ceux-là 
n'ont  pas  le  droit  de  reprendre  en  quelque  sorte  leur  vote  aujourd'hui  et  de  protester 
contre  une  décision  à  laquelle  ils  se  sont  librement  associés»^^ 

La  discussion  tirait  à  sa  fin.  Clemenceau  revint  à  la  tribune  contester  les  arguments 
du  président  du  Conseil.  «M.  Jules  Ferry  m'a  répliqué»,  dit-il,  «mais  il  ne  m'a  pas  répondu», 
il  montra  qu'il  n'avait  pas  été  contredit,  que  sur  la  question  des  affaires  financières 
comme  sur  celle  des  pouvoirs  de  la  Chambre,  ses  arguments  demeuraient.  L'assemblée 
entendit  encore  le  comte  de  Mun,  puis  la  discussion  fut  close  et  l'on  passa  aux  scrutins. 

Clemenceau  avait  déposé  une  demande  d'enquête  sur  les  actes  du  gouvernement. 
En  dépit  du  soutien  presque  unanime  de  la  droite  et  de  l'extrême  gauche,  sa  proposition 
recueillit  moins  du  tiers  des  suffrages^"*.  Une  autre  demande  d'enquête  émanant  de 
l'extrême  gauche  était  repoussée  de  la  même  façon.  Le  gouvernement  se  rallia  alors  à 
l'ordre  du  jour  pur  et  simple  demandé  par  un  groupe  de  députés  de  gauche.  Ce  fut  à  son 
tour  de  subir  un  cuisant  échec. 

Abandonné  par  la  moitié  des  députés  opportunistes,  il  était  battu  par  176  voix 
contre  312.  La  droite  demanda  ensuite  la  clôture  qui  fut  également  repoussée^s.  Ce  fut 
alors  la  confusion  la  plus  complète.  La  Chambre,  divisée  contre  elle-même,  incapable  de 
rassembler  une  majorité  positive,  se  débattit  entre  une  vingtaine  de  motions  émanant 
de  tous  les  horizons  politiques  sans  arriver  à  conclure,  il  fallut  que  Gambetta  intervînt 
en  personne  pour  tirer  l'assemblée  du  chaos.  Sans  épiloguer,  il  demanda  simplement 
l'ordre  du  jour  et  le  respect  du  traité  du  Bardo,  sonnant  ainsi  le  ralliement  du  centre 
opportuniste.  La  motion  Gambetta  recueillit  355  voix  contre  68,  extrême  gauche  et 
droite  s'étant  partagées  entre  abstention  et  opposition.  C'est  sur  cette  note  positive  que 
se  terminaient  enfin  les  débats.  Le  protectorat  tunisien  était  accepté,  mais  Jules  Ferry, 
battu,  devait  démissionner  aussitôt. 


33  J.  0.,  p.  1987. 

34  Principaux  scrutins  du  9  novembre  1881.  Sur  557  députés  dont  538  en  séance  (545  sièges  pourvus)  : 


Votants 

Pour 

Contre 

Abstentions 

Vote  sur  la  demande  d'enquête  de 

Ext.  gauche  :  39 

39 

2 

Clemenceau 

Gauche  :  362  (363) 

38 

324  (325) 

47  (46) 

Droite  :  88 

84 

4 

489  (490) 

161 

328  (329) 

49  (48) 

Vote  sur  l'ordre  du  jour  pur  et  simple. 

Ext.  gauche  :  39  (40) 

39  (40) 

2(1) 

Gauche  :  363  (364) 

176  (177) 

187 

46  (45) 

Droite  :  86 

86 

2 

488  (490) 

176  (177) 

312  (313) 

50  (48) 

Sur  l'ordre  du  jour  de  Gambetta. 

Ext.  gauche  :  26 

2 

24 

15 

Gauche  :  353  (355) 

345  (347) 

8 

56  (54) 

Droite  :  44  (46) 

8 

36  (38) 

44  (42) 

423  (427) 

355  (357) 

68  (70) 

115  (111) 

Nous  n'avons  classé  dans  l'extrême  gauche  que  les  42  (41  présents)  députés  radicaux  intransigeants  ayant  alors 
rompu  avec  Gambetta.  Mais  on  pourrait  élargir  la  notion  d'extrême  gauche  en  y  englobant  la  soixantaine  de 
députés  d'Union  républicaine  avancée  qui  allaient  former  au  milieu  de  décembre  le  nouveau  groupe  de  la  Gauche 
radicale  (Temps,  15  décembre). 

35  Par  276  voix  contre  184  et  78  abstentions. 


427 


2  -  Le  procès  de  r«Intransigeant» 


Les  débats  du  Parlement  n'avaient  cependant  pas  mis  le  point  final  à  la  discussion 
des  affaires  tunisiennes.  Roustan  avait  décidé  en  effet  de  répondre  aux  attaques  dont  il 
avait  été  l'objet  ;  il  avait  obtenu  du  gouvernement  l'autorisation  de  poursuivre  en  justice 
les  quotidiens  qui  l'avaient  diffamé.  Après  avoir  songé  à  traduire  en  correctionnelle  tous 
les  pamphlétaires  qui  s'étaient  déchaînés  contre  lui,  Roustan  s'était  contenté  de  s'en 
prendre  au  seul  Rochefort  en  ne  retenant  contre  lui  que  son  article  du  27  septembre,  «le 
secret  de  Vajfaire  tunisienne». 

Le  procès  de  Y  Intransigeant  qui  s'ouvrit  le  13  décembre  1881  devant  la  8°  chambre 
correctionnelle  de  la  Seine  fut  un  des  événements  de  la  saison  parisienne.  Depuis  six 
mois  les  polémiques  de  presse,  les  meetings,  les  débats  du  Parlement  avaient  familiarisé 
le  public  avec  les  affaires  de  la  Régence  et  les  mœurs  curieuses  de  la  cour  beylicale.  Le 
séjour  fastueux  de  Mustapha  au  Grand  Hôtel,  le  procès  en  diffamation  intenté  -et  perdu- 
par  Gay  au  rédacteur  de  YEvénement^^  avaient  ranimé  la  curiosité  à  la  veille  même  de 
l'ouverture  des  débats.  Plus  qu'un  procès  de  presse,  l'affaire  Roustan-Rochefort  fut  pour 
le  grand  public  le  procès  de  l'expédition  tunisienne. 

Trente-deux  témoins  étaient  cités  dont  vingt-quatre  pour  la  défense.  Aux  côtés 
de  Gay  et  de  Billing  qui  avaient  ouvertement  mené  campagne  contre  le  gouvernement 
pendant  l'automne,  on  trouvait  les  noms  de  la  plupart  des  Français  qui  avaient  été  mêlés 
aux  affaires  de  la  Régence  au  cours  des  dix  dernières  années,  les  inspecteurs  des  Finances 
Villet,  Le  Blant  et  Queillé,  les  anciens  consuls  à  Tunis,  de  Botmiliau,  des  Essarts  et  de 
Vallat,  Camille  Pelletan,  Desfossés,  Léon  Renault,  les  frères  de  Lesseps.  Des  Tunisiens 
également  avaient  été  cités  :  le  cheikh  Beyram,  le  général  Heussein,  Taïeb  Bey,  l'Anglais 
Santillana,  qui  tous  se  gardèrent  bien  de  paraître  aux  débats.  Roustan,  pour  sa  part,  avait 
fait  appel  aux  témoignages  de  Sancy  et  des  anciens  ministres  des  Affaires  étrangères, 
Waddington  et  Barthélemy-Saint-Hilaire.  Rochefort  était  assisté  des  avocats  Delattre  et 
Gâtineau,  députés  radicaux  de  la  Seine  et  de  l'Eure  et  Loir.  Roustan  avait  demandé  les 
services  de  Léon  Cléry  qui,  deux  jours  plus  tôt,  avait  plaidé  pour  Y  Evénement  devant  cette 
même  8®™  chambre  correctionnelle.  Les  audiences  étaient  présidées  par  le  conseiller 
Lefebvre  de  Viefville. 

Le  procès  de  Y  Intransigeant  étrennait  une  procédure  nouvelle  qui,  en  matière  de 
délits  de  presse  venait  de  supprimer  l'instruction  préalable.  11  dura  trois  jours,  les  13,14 
et  15  décembre  1881.  Les  débats  furent  confus.  Un  long  défilé  de  témoins  surchargeait 
les  audiences.  Chacun  apportait  des  on  dit,  des  griefs  personnels.  On  perdit  des  heures 
sur  des  détails  oiseux.  De  leur  côté,  les  avocats  ne  se  faisaient  pas  faute  d'amuser  la 
galerie  par  les  effets  faciles,  ces  détails  piquants  qui  tenaient  en  éveil  un  auditoire  de 
perruches.  Le  président,  visiblement  hostile  à  Rochefort,  essayait  en  vain  de  couper 
court  à  toutes  les  digressions,  de  ramener  le  débat  à  l'affaire  du  coup  de  bourse  qui 
avait  motivé  les  poursuites.  11  ne  put  empêcher  le  procès  de  dévier,  de  se  perdre  dans 
le  fatras  des  racontars  et  des  anecdotes  scabreuses,  avant  de  prendre  le  tour  imprévu 
d'une  enquête  de  moralité  sur  le  couple  Mussalli. 

Tour  à  tour,  Billing  et  Gay  vinrent  entretenir  le  tribunal  de  leurs  rancunes 
personnelles.  Billing  commença  par  parler  de  coups  de  bourse,  mais  il  s'en  prit  surtout 
à  Desfossés,  à  Volterra,  au  couple  Mussalli  ;  il  s'étendit  longuement  sur  sa  prétendue 


36  Le  procès  de  l'Evénement  avait  été  évoqué  le  11  décembre  devant  la  8°  chambre  correctionnelle.  L'avocat  de 
La  Bruyère  était  Léon  Cléry  qui  s'était  chargé  également  de  la  défense  de  Roustan. 


428 


mission  del881.  Gay,  de  son  côté,  revint  sur  l'histoire  du  port  de  Carthage.  Mais  lorsque 
le  président,  coupant  les  développements  importuns,  rappelait  les  faits  incriminés, 
exigeait  des  précisions,  c'étaient  chez  les  témoins  les  mêmes  silences,  les  mêmes  réponses 
embarrassées^^.  Emporté  par  sa  haine  contre  son  ancien  ami  Elias,  Gay  s'enferrait 
maladroitement  dans  une  tortueuse  histoire  de  pot-de-vin.  À  vouloir  démontrer  à  la  cour 
l'amoralité  du  général  Mussalli,  Gay  arrivait  surtout  à  mettre  l'accent  sur  le  bakchich  de 
25.000  francs,  ce  «don  gracieux»  que,  selon  sa  propre  expression,  il  avait  reçu  du  bey 
pour  prix  de  sa  renonciation  au  port  de  Carthage^®. 

La  déposition  de  Villet  futbrève.  L'ancien  vice-président  de  la  commission  financière 
ne  savait  rien  des  faits  incriminés.  Interrogé  par  Gâtineau,  il  rappela  seulement  que 
Mussalli  avait  été  destitué  pour  vol  par  le  gouvernement  du  bey.  On  entendit  ensuite 
deux  fonctionnaires  du  quai  d'Orsay,  puis  l'ancien  ministre  Barthélemy-Saint-Hilaire 
qui  fit  à  la  barre  l'éloge  de  Roustan,  de  son  activité,  de  son  désintéressement.  Lorsque 
vint  la  première  suspension  d'audience,  il  était  visible  que  Roustan  avait  marqué  des 
points. 

La  déposition  de  Camille  Pelletan,  impatiemment  attendue  par  l'auditoire, 
renversa  brutalement  l'opinion  en  faveur  de  Rochefort.  Le  jeune  député  radical  parlait 
avec  aisance  et  clarté.  11  ne  se  laissa  point  détourner  par  le  président  et  exposa  avec 
autorité  les  informations  qu'il  avait  recueillies  au  cours  de  son  voyage  dans  la  Régence. 
D'emblée,  il  s'en  prit  à  l'entourage  de  Roustan,  aux  Italiens,  aux  Juifs,  aux  Levantins  dont 
il  brossait  le  triste  portrait,  insistant  sur  l'impression  de  dégoût  qui  l'avait  saisi  dès  son 
premier  contact  avec  les  affaires  tunisiennes.  «Un  jour,  M.  Roustan  a  été  absolument 
dominé  par  une  influence  fatale...,  il  a  été  pris  par  la  maison,  par  le  ménage  Elias 
Mussalli...  11  y  a  une  chose  que  tout  le  monde  sait  à  Tunis,  qui  éclate  aux  yeux,  rien  qu'  à 
voir  la  voiture  de  M.  Roustan  s'arrêter  tous  les  jours  devant  la  maison  Elias  Mussalli  à  5 
heures  et  à  8  heures  du  soir  quand  il  y  a  soirée  ;  à  voir  Madame  Elias  aller  chercher  M. 
Roustan  à  la  gare,  personnellement,  car  ces  choses  se  passent  d'une  manière  publique, 
au  grand  soleil,  tout  le  monde  le  sait,  et  vous  ne  trouveriez  pas  dans  tout  Tunis  une 
seule  personne  qui  ayant  une  sollicitation  à  présenter  ne  sache  où  il  faut  s'adresser 
pour  obtenir  l'appui  du  consulat  de  France.  J'affirme  donc  de  la  façon  la  plus  positive.... 
que  tout  le  monde  sait  que  M.  Roustan  a  été  accaparé  par  la  maison  Elias  Mussalli  à 
partir  d'un  certain  moment  l»^^. 

Et  Pelletan  d'esquisser  à  grands  traits  la  carrière  du  général  Mussalli,  général 
interprète  chassé  du  Bardo  pour  des  «faits  extrêmement  tunisiens»,  ce  qui  ne  l'avait  pas 


37  «Le  Président  :  «Est-ce  qu'il  est  à  votre  connaissance  personnelle  que  M.  Roustan  ait  été  intéressé  ou  associé 
financièrement,  d'une  manière  directe  ou  indirecte  dans  l'un  ou  l'autre  des  coups  de  bourse  que  vous  venez 
d'indiquer  ?» 

Billing  :  «M.  Roustan  a  donné  un  très  grand  appui  à  ces  deux  sociétés  et  même  à  d'autres  sociétés  financières 
en  Tunisie». 

Prés .  «Il  s'agit  de  savoir...  s'il  est  associé  aux  coups  de  bourse  que  vous  venez  d'indiquer». 

Billing  :  «Je  n'en  sais  absolument  rien  »... 

Gâtineau  :  «M.  Roustan  a-t-il  la  réputation  de  recevoir  des  pots-de-vin  et  par  quels  intermédiaires  ?»... 
Billing  :  «Je  l'ai  entendu  dire,  mais  je  ne  le  sais  pas». 

Prés  :  «  Vous  l'avez  entendu  dire,  par  qui  ?» 

Billing  :  «Par  bien  des  personnes  à  Tunis  et  à  Paris». 

Prés.  :  «Mais,  une  de  ces  personnes  ?» 

Billing  :  (silence) 

(A.  E.  Tunis  Mém.et  Doc.  :  Procès,  vol.  I,  p.  17) 

38  Ihid.  pp.  92/93.  Sur  l'affaire  du  port  de  Carthage,  voir  chap.  XL. 

39  Ibid.  p.  117. 


429 


empêché  d'être  pris  sous  la  protection  du  consul  de  France  qui  favorisa  sa  réintégration 
quelques  années  plus  tard.  «Et  puis,  il  y  a  un  sous-Elias,  un  homme  qui  est  l'ami  de  M. 
Elias  exactement  comme  M.  Elias  est  l'ami  de  M.  Roustan...  ;  cet  homme  est  un  Juif  de 
Livourne,  un  nommé  Volterra.  Ce  Volterra  a  commencé  par  être  courtier  ...  il  était  célèbre 
par  la  manière  dont  il  faisait  mettre  en  faillite  tous  les  négociants  pour  lesquels  il  faisait 
le  courtage  ;  on  m'a  cité  la  longue  liste  de  ses  victimes  ;  il  était  appelé  publiquement 
au  tribunal  de  Tunis  le  courtier  de  l'agonie  !  [Rires).  Et  puis,  il...  a  introduit  de  la  fausse 
monnaie  en  Tunisie»  [dès  l'établissement  du  protectorat]  «on  l'a  mis  à  la  tête  de  l'hôtel 
des  monnaies  de  Tunisie»'^'’. 

«Voyons,  qu'est-ce  que  c'est  que  l'Orient  ?»,  poursuivait  Pelletan.  «11  y  a  là  une  idée 
maîtresse,  une  seule,  le  pot-de-vin,  le  baskchich  ;  le  pot-de-vin  est  la  raison  d'être  de 
tout  ce  qui  se  passe  en  Orient  ;  un  gouvernement  n'est  pas  une  échelle  d'autorités  ou  de 
fonctions,  c'est  une  succession  de  pots-de-vin  ;  si  vous  en  doutiez,  il  suffirait  de  voir  avec 
quelles  fortunes  tous  ceux  qui  sont  arrivés  là  les  mains  vides,  s'en  vont,  en  partant  -  30, 
45,  60  millions  -  pour  voir  que  le  gouvernement  n'a  été  qu'une  succession  de  pots-de- 
vin»4i. 

Pelletan  en  venait  ensuite  aux  affaires  financières  qui,  selon  lui,  auraient  été  la 
raison  principale  de  l'expédition  française.  Roustan,  disait-il,  était  maître  de  faire  vendre 
les  biens  de  Khérédine  à  qui  il  voulait.  Pelletan  affirmait  qu'il  y  avait  eu  pot-de-vin  à 
propos  de  l'Enfida,  un  pot-de-vin  de  300  ou  500.000  francs.  «Où  a  été  ce  pot-de-vin», 
concluait-il,  «c'est  la  question  ?». 

«Le  président  :  ...«A-t-il  été  à  M.  Roustan,  oui  ou  non  ?». 

Pelletan  :  «11  y  a  eu  pot-de-vin,  M.  le  Président  !...  J'ai  bien  dit  qu'on  avait  l'habitude 
de  donner  des  pots-de-vin  en  Orient,  mais  je  pense  qu'ils  vont  d'habitude  à  ceux  qui 
ont  une  influence  dans  l'affaire  et  qui  peuvent  la  protéger,  l'accorder  à  ceux  qui  la 
demandent.  Par  conséquent  ce  pot-de-vin  a  été  nécessairement  à  quelqu'un  qui  pouvait 
procurer  l'affaire». 

Roustan  :  «C'est  pour  moi,  c'est  bien  clair  !». 

Pelletan  :  «Je  vois  la  maison  Elias,  des  hommes  associés  dans  une  action  dans  la 
maison  Elias  ;  j'y  vois  entrer  beaucoup  d'argent  ;  ce  que  cet  argent  devient  là  dedans, 
je  ne  le  cherche  pas,  je  ne  le  sais  pas,  attendu  que  je  n'ai  à  dire  que  ce  que  je  sais 
personnellement-  ce  que  je  sais  de  source  certaine,  c'est  que,  soit  par  des  cadeaux  du 
Bey  soit  par  des  pots-de-vin,  beaucoup  d'argent  entre  dans  la  maison  et  que  tout  ce 
qui  entre,  y  entre  à  cause  de  l'action,  de  l'influence  de  M.  Roustan.  Voilà  ce  que  je  sais, 
ce  que  je  puis  affirmer  et  dire.  Maintenant,  M.  Roustan,  qui  fait  la  seule  force  réelle  de 
cette  maison  de  pots-de-vin,  met-il  dans  sa  fortune  privée  une  part  des  pots-de-vin  qui 
entrent,  c'est  un  fait  qui  reste  à  l'appréciation  de  chacun  ;  vous  m'avouerez  que  c'est  déjà 
grave  qu'il  les  fît  entrer. ..»42, 

Passant  à  l'affaire  du  Crédit  foncier,  Pelletan  y  voyait  encore  l'influence  des  Mussalli 
qui,  selon  lui,  s'étaient  chargés  d'en  négocier  la  concession  auprès  du  bey.  Quant  au 
coup  de  bourse  qui  avait  été  à  l'origine  du  procès,  l'orateur  n'en  soufflait  mot.  «Je  vous 
avoue»...,  confessait-il,  «que  je  n'ai  même  pas  eu  la  curiosité  de  m'informer  de  ce  point 


40  Ibid.  pp.  123-126. 

41  Ibid.  p.  134. 

42  Ibid.  pp.  140-142.. 


430 


après  avoir  acquis  une  conviction  sur  les  autres,  car  il  me  semblait  que  la  moins  coupable 
des  spéculations,  c'était  celle-là,  car  il  est  moins  coupable  de  jouer  sur  la  dette  que  de 
vendre  des  places,  des  cordons  et  de  mettre  un  faux  monnayeur  à  la  tête  de  la  Monnaie 
de  Tunis  ^3.» 

Mais,  visiblement,  le  siège  du  jury  était  fait  désormais.  Pour  renverser  la  situation, 
pour  retourner  un  auditoire  versatile,  il  eût  fallu  autre  chose  que  les  cris  d'indignation 
qui  échappaient  à  Roustan,  ces  protestations  véhémentes  qui  le  faisaient  s'insurger 
contre  les  calomnies  absurdes  dont  ses  adversaires  entretenaient  si  longuement  le 
prétoire.  Mais  Roustan  n'était  pas  orateur^^  ;  il  manquait  de  sang-froid.  Visiblement 
exaspéré  par  les  attaques  dirigées  contre  sa  vie  privée,  il  se  bornait  à  relever  brièvement 
les  erreurs  les  plus  grossières,  les  confusions  les  plus  flagrantes.  11  discutait  sur 
des  détails,  critiquait,  s'emportait,  renforçant  en  définitive  l'argumentation  de  ses 
adversaires.  Comment  débrouiller  en  quelques  phrases  la  complexité  des  affaires 
tunisiennes  ?  Comment  expliquer  au  jury  ce  qu'étaient  les  grandes  entreprises,  la 
politique  française,  la  rivalité  franco-italienne  ?  Si  Roustan  n'avait  pas  assez  de  souffle 
pour  les  grandes  envolées  oratoires,  pourquoi  son  avocat  n'intervenait-il  point  au  lieu 
d'attendre,  muet  sur  son  banc,  le  moment  d'une  plaidoirie  que  personne  n'écouterait 
plus  ? 

Après  la  déposition  de  Pelletan,  les  audiences  se  poursuivirent,  monotones,  en 
dépit  de  quelques  incidents,  jusqu'à  la  délibération  du  jury.  Desfossés  reconnut  qu'il 
était  l'auteur  des  articles  baissiers  de  la  République  française,  mais  il  assura  qu'à  cette 
époque  il  ne  connaissait  nullement  Roustan  et  qu'il  avait  seulement  voulu  faire  pression 
sur  Khérédine  qui  repoussait  alors  les  prétentions  d'un  de  ses  clients.  Le  14  décembre, 
Waddington  apporta  un  vigoureux  témoignage  en  faveur  de  Roustan.  11  s'en  prit  à 
Gay  dont  il  stigmatisa  la  conduite  en  termes  sévères.  Sancy,  après  lui,  demeura  dans 
les  généralités.  Quant  à  Ferdinand  de  Lesseps,  il  ne  retenait  de  son  dernier  voyage  à 
Tunis  qu'un  seul  souvenir,  celui  d'avoir  été  présenté  à  Madame  Elias,  «une  fort  belle 
personne». 

Barthélemy-Saint-Hilaire  ayant  vigoureusement  protesté  contre  les  assertions  de 
Billing,  affirmant  que  le  ministre  l'avait  chargé  d'une  mission  en  Tunisie  au  début  de 
1881,  il  fut  procédé  à  une  confrontation  entre  les  deux  témoins  au  début  de  l'audience  du 
15.  Billing  s'emporta,  s'en  prit  à  Desfossés.  11  fallut  que  l'avocat  de  Rochefort  le  fît  taire, 
en  admettant  que  l'ancien  ministre  avait  effectivement  raison.  Les  dernières  révélations 
de  Rochefort'^^  furent  de  la  même  veine  que  ses  arguments  de  Y  Intransigeant.  Elles 
semblent  avoir  fait  quelque  impression  sur  l'auditoire  cependant. 

Instruit  par  la  tournure  du  débat,  Cléry  persista  néanmoins  à  plaider  sur  le  fond. 
11  traita  du  coup  de  bourse  et,  chiffres  à  l'appui,  n'eut  point  de  peine  à  démonter 
l'argumentation  de  Rochefort  en  montrant  que  la  campagne  de  Desfossés,  lancée 
d'ailleurs  deux  ans  avant  le  congrès  de  Berlin  n'avait  pas  eu  la  moindre  influence 
sur  les  cours  de  bourse  du  5%  tunisien.  Mais  cette  plaidoirie,  tard  venue,  manquait 


43  Ibid.  p.  153.. 

44  «La  parole  est  brève,  un  peu  sèche»  (Paris,  10  septembre  1881  :  M.  Roustan  à  Paris).  «La  voix  est  sourde,  la 
parole  sans  netteté»  (Justice,  6  novembre  :  La  question  tunisienne).  «La  parole  de  M.  Roustan  est  une  espèce 
de  bredouillement  sourd  et  haletant  où  les  mots  se  heurtent...»  (Intransigeant,  15  décembre  1881). 

45  Selon  sa  promesse,  il  révéla  le  nom  du  diplomate  qui  l'aurait  informé,  qui  n'était  point  Billing  mais  un  certain 
Mohammed  Arif  Effendi.  Or,  ce  personnage,  un  Turc,  ancien  secrétaire  de  Khérédine,  de  l'aveu  même  de 
Reade,  était  mort  fou  à  Constantinople  au  début  de  1879.  Les  autres  révélations  de  Rochefort  sur  les  pots- 
de-  vin  tunisiens  n'étaient  pas  plus  sérieuses. 


431 


singulièrement  de  chaleur.  Après  le  réquisitoire  du  procureur,  Gâtineau,  insistant  sur 
la  bonne  foi  de  son  client,  jongla  à  son  tour  avec  les  chiffres  pour  aboutir  non  sans 
audace  à  des  conclusions  opposées  à  celles  de  son  confrère.  Mais,  pour  le  jury  comme 
pour  l'auditoire,  ce  n'était  pas  là  le  cœur  du  débat.  On  l'avait  bien  vu  au  cours  du 
procès.  On  le  vit  encore  lorsque  fut  rendu  le  verdict  qui  proclamait  l'acquittement 
pur  et  simple  de  Rochefort.  Tout  au  long  des  débats,  on  avait  parlé  de  tripotages  et 
de  pots-de-vin,  d'Elias  et  de  Volterra  ;  de  Madame  Elias  et  de  Roustan.  Le  jury  n'avait 
pas  été  plus  loin.  Invité  à  se  prononcer  sur  l'affaire  du  coup  de  bourse  qui  avait  motivé 
le  procès,  il  répondait  par  un  verdict  de  condamnation  des  tripotages,  un  verdict  qui 
traduisait  beaucoup  plus  une  impression  de  dégoût  analogue  à  celle  qui  avait  saisi 
Pelletan  lors  de  son  arrivée  à  Tunis  que  l'approbation  des  méthodes  d'information 
d'un  Rochefort.  Mais  l'extrême  gauche  pouvait  triompher  ;  le  15  décembre,  les  crieurs 
de  journaux  annonçaient  dans  les  rues  la  «condamnation  de  Roustan».  Et  Rochefort 
de  renchérir  dans  l'Intransigeant  en  proclamant  la  condamnation  de  l'expédition,  la 
condamnation  de  la  Société  Marseillaise,  de  la  compagnie  Bône-Guelma  et  de  toutes 
les  sociétés  qui  s'étaient  engagées  dans  la  Régence.  Logique,  étant  donnée  la  tournure 
du  procès,  l'acquittement  de  Rochefort  n'en  était  pas  moins  immérité.  Pas  plus  que 
ses  témoins,  Rochefort  n'avait  apporté  à  la  barre  le  moindre  argument  qui  pût  étayer 
ses  accusations  contre  Roustan.  Gâtineau  lui-même  eût  été  fort  en  peine  de  justifier 
la  bonne  foi  de  son  client  s'il  avait  eu  affaire  à  un  auditoire  mieux  au  fait  des  histoires 
de  la  Régence. 

Mais  comment  le  jury  aurait-il  pu  se  retrouver  dans  ce  milieu  tunisien  qui  lui  était 
si  étranger  ?  On  avait  parlé  de  coup  de  bourse  sans  parler  d'Erlanger  ;  on  avait  parlé  de 
l'Enfida  sans  parler  de  Levy  ni  de  Broadley  ;  on  avait  parlé  des  Elias  sans  les  replacer 
dans  la  rivalité  franco-italienne,  sans  jamais  évoquer  le  revirement  de  Mustapha.  Etait-il 
possible  après  cela  de  comprendre  les  démarches  de  Roustan,  de  démentir  Pelletan  qui 
lançait  :  «Il  y  a  eu  pot-de-vin.  Monsieur  le  Président  ?». 

La  verve  d'un  témoin  qui  brossait  les  exploits  de  quelques  courtiers  véreux 
avait  emporté  la  conviction  de  l'auditoire.  Mais  Pelletan  lui-même  avait-il  apporté 
d'autres  preuves  ou  d'autres  présomptions  que  celles  qui  pesaient  sur  Mussalli  ou  sur 
Volterra  ?  Si  l'entourage  de  Roustan  était  pour  le  moins  douteux,  comment  qualifier 
alors  celui  de  Reade  et  de  Maccio'  ?  N'aurait-on  pas  pu  faire  le  même  procès  au  consul 
d'Italie  ou  à  son  collègue  d'Angleterre  qui  soutenait  l'étrange  réclamation  Levy  ?  Si  les 
débats  avaient  étalé  au  grand  jour  la  pourriture  du  milieu  tunisien,  ils  ne  pouvaient 
justifier  pour  autant  l'acquittement  d'un  publiciste  sans  vergogne  qui  avait  exploité 
des  rumeurs  incontrôlables  pour  bâtir  le  roman  absurde  de  son  odieux  article  du 
27  septembre. 

Loin  de  nous  l'idée  de  nier  l'influence  des  grandes  sociétés  dans  les  origines  de 
l'intervention  française,  mais  le  tableau  qui  en  fut  tracé  au  cours  du  procès  n'en  était 
qu'une  triste  caricature.  On  avait  ramené  toutes  les  affaires  autour  du  couple  Mussalli, 
autour  du  misérable  Volterra  qui  dut  être  étonné  tout  le  premier  d'une  aussi  belle 
publicité.  Que  Roustan  eût  très  souvent  servi  l'avidité  de  sa  maîtresse,  le  fait  ne  semble 
pas  niable;  mais  c'était  lui  faire  injure  que  de  le  réduire  au  simple  rôle  de  pourvoyeur 
du  couple  Mussalli.  Des  contemporains  l'avaient  compris,  tel  cet  éditorialiste  du  Figaro 
qui,  loin  d'être  favorable  à  la  cause  de  Roustan,  n'en  concluait  pas  moins  ainsi  son  article 
du  16  décembre  :  «Malgré  l'acquittement  de  M.  Rochefort,  nous  persistons  à  croire  que 
l'expédition  de  Tunisie  n'a  pas  été  faite  uniquement  en  vue  du  succès  d'une  opération 
financière  :  cela,  les  débats  ne  l'ont  point  prouvé,  mais  ils  ont  éclairé  d'un  jour  fâcheux  les 


432 


mœurs  diplomatiques  de  ces  pays  d'Orient  où  la  corruption  musulmane  et  la  corruption 
européenne  se  combinent  de  façon  à  donner  des  résultats  exceptionnels'*®». 


3  -  Les  dessous  d'une  campagne 

«Il  y  a  eu  des  tripotages»,  écrivait  Chirac  ;  mais  au  fond,  «ils  ne  furent  ni  plus  ni 
moins  dégoûtants  qu'un  très  grand  nombre  d'autres  ...  ;  or,  pendant  que  je  trouve  dans 
les  journaux  un  bruit  étourdissant  relativement  aux  affaires  tunisiennes,  c'est  à  peine 
si  j'ai  découvert  quelques  timides  mentions  au  sujet  des  milliers  d'autres  agiotages 
cyniques  sur  lesquels  je  porte  la  lumière»'*^. 

Pourquoi  donc  ces  révélations  publiques,  pourquoi  cet  acharnement  autour 
d'affaires  qui,  somme  toute,  n'étaient  guère  plus  scandaleuses  que  bien  d'autres,  qui, 
sans  aucun  doute,  l'étaient  infiniment  moins  que  les  opérations  de  Pinard  et  d'Erlanger 
à  l'heureuse  époque  des  emprunts  tunisiens  ?  Des  appétits  déçus,  des  rancœurs 
personnelles,  encouragées  sous  main  par  des  rivalités  entre  groupes  financiers  avaient 
été,  semble-t-il,  à  l'origine  de  toute  cette  campagne.  Mais  elles  avaient  trouvé  pour 
s'exprimer,  à  l'automne  de  1881,  le  concours  intéressé  d'une  opposition  déçue  par  le 
résultat  des  élections  générales. 

Gay  et  Billing  qui  avaient  joué  les  informateurs  auprès  des  milieux  de  droite  ou 
d'extrême  gauche  n'étaient  certes  pas  mûs  par  des  mobiles  désintéressés.  La  vanité 
semble  l'avoir  emporté  chez  Billing  qui  n'avait  point  pardonné  à  Roustan  de  l'avoir 
remplacé  en  1874  lorsque  Decazes  avait  mis  fin  brusquement  à  son  étrange  mission 
consulaire.  Avait-il  espéré  s'imposer  de  nouveau  à  Tunis  en  jouant  les  médiateurs  dans 
le  conflit  franco-tunisien  ?  Les  informations  transmises  par  Roustan  tout  au  long  de  la 
crise  tendaient  à  le  démontrer'*®.  Quant  à  Gay,  il  cherchait  seulement  à  se  venger  de  l'échec 
de  son  projet  de  port  à  Carthage  dont  il  rendait  Roustan  seul  responsable.  Le  pot-de-vin 
de  25.000  francs  qu'il  avait  reçu  du  bey  en  1879  pour  prix  de  sa  renonciation,  n'avait  pu 
le  consoler  de  son  échec.  Car  la  concession  qu'il  convoitait  aurait  été  aussitôt  monnayée 
en  des  avantages  infiniment  plus  substantiels.  11  ne  fait  pas  de  doute  en  effet  qu'en  1879- 
1880,  Gay  se  proposait  de  le  céder  au  groupe  Péreire.  Celui-ci  aurait  accueilli  avec  faveur 
la  construction  et  l'exploitation  d'un  port  devenu  tête  de  ligne  de  ses  services  maritimes 
en  Méditerranée.  Les  lettres  de  menaces  envoyées  par  Gay  et  ses  amis  à  Roustan  en 
septembre  1880  lorsque  celui-ci  eut  obtenu  du  bey  la  concession  d'un  port  à  Tunis  au 
seul  profit  de  la  compagnie  des  Batignolles  ne  sauraient  trouver  d'autre  explication^®. 


46  Figaro,  16  décembre  1881. 

Une  douzaine  d'années  plus  tard,  un  des  adversaires  de  Roustan,  Giulio  Castelnuovo,  devait  écrire,  non  sans 
honnêteté  ;  «Si  accuso'  in  quell'epoca  dagli  stessi  giornali  francesi  il  signor  Roustan  di  tripotage,  di  pot  di 
vins,  ecc. 

Nulla  di  più  falso.  N eW entourage  del  Sig.  Roustan,  certo  non  sarà  mancato  chi  avrà  saputo  profittare  délia 
protezione  per  lucrare  più,  o  meno  onestamente  e  anche  il  signor  Roustan  avrà  favorito  e  protetto  chi  lo 
serviva  e  nel  medesimo  tempo  serviva  la  Francia»  (II  conflitto franco-itaîiano  e  la  guerra.  Venise.  1894.  p.  32). 

47  L'agiotage  de  1870  à  1884,  op.  cit  p.  96. 

48  A.  E.  Tunis,  vol.  54-58,  janvier-mai  1881,  passim. 

49  En  avril  1879,  Roustan  avait  ménagé  un  accord  entre  Gay  et  Géry,  le  président  du  Bône-Guelma,  accord 
aux  termes  duquel  Gay  s'engageait  à  demander  en  même  temps  que  la  concession  du  port  de  Carthage  le 
raccordement  du  port  à  la  capitale  par  une  voie  ferrée  dont  la  construction  serait  réservée  à  la  compagnie 
Bône-Guelma.  Mais  la  proposition  fut  repoussée  par  le  bey  qui,  pour  adoucir  la  déconvenue  de  Gay,  lui  fit 
accorder  sur  sa  requête  un  brevet  du  Nichan  ainsi  qu'une  gratification  de  25.000  francs.  En  août  1880,  la 
pression  française  consécutive  à  l'affaire  du  T.  G.  M.  permit  à  Roustan  d'enlever  la  concession  d'un  port 
à  Tunis  même,  mais  au  seul  profit  de  la  compagnie  des  Batignolles.  Gay  et  ses  amis  ne  s'en  étaient  pas 
consolés. 


433 


Nous  ne  croyons  cependant  pas  que  le  groupe  Péreire-Marseillaise  ait  suscité  ni 
même  encouragé  les  initiatives  de  Gay  et  de  Billing.  Mais  il  ne  pouvait  leur  déplaire  de 
laisser  se  développer  une  campagne  contre  un  groupe  financier  plus  favorisé,  campagne 
qui  pouvait  amener  leurs  rivaux  à  transiger.  Le  nom  de  Péreire  ne  fut  jamais  prononcé 
au  Parlement,  dans  la  presse  ni  au  procès.  Mais  n'est-il  pas  significatif  de  voir  composer 
les  groupes  Batignolles  Bône-Guelma  d'une  part,  Marseillaise-Péreire-Est  algérien  de 
l'autre,  jusqu'alors  entièrement  séparés  sinon  rivaux,  au  terme  d'une  campagne  qui  avait 
été  essentiellement  dirigée  contre  les  promoteurs  des  projets  de  port  et  de  chemins  de 
fer  tunisiens 


«Mon  cher  ami»,  écrivait  Gay  à  Roustan,  le  6  septembre  1880,  «il  m'est  impossible  de  vous  dire  l'effet  que 
nous  a  produit  votre  lettre  du  30  août  dernier  nous  annonçant,  à  l'occasion  du  port,  une  solution  à  laquelle 
nous  étions  loin  de  nous  attendre.  Nous  avons  été  joués  d'une  façon  bien  complète,  bien  radicale,  mais,  s'il 
plaît  à  Dieu,  tout  n'est  pas  fini  et  il  y  aura  un  épilogue...  Parce  qu'il  a  plu  à  la  Cie  Bône-Guelma  de  faire  en 
Tunisie  une  ligne  de  chemin  de  fer  abandonnée  par  les  Anglais,  ligne  qui  n'a  ni  caractère  politique,  ni  utilité 
commerciale,  parce  qu'elle  a  puisé  dans  l'épargne  française  80  millions  qui  eussent  été  complètement  perdus 
et  de  rendement  nuis  sans  la  subvention  de  l'Etat,  parce  que  sans  tête  de  ligne,  elle  a  eu  hâte  d'effectuer  des 
travaux  où  entrepreneur,  employés  et  financiers  avaient  seuls  à  gagner,  il  faudrait  qu'on  s'engagêat  et  plus 
avant  dans  cette  œuvre  pitoyable,  et  parce  qu'il  y  a  un  doigt  de  pris  dans  l'engrenage  on  voudrait  que  le 
corps  tout  entier  y  passât...  Depuis  dix  ans,  j'ai  trop  travaillé  et  trop  dépensé...  pour  perdre  ainsi  le  fruit  de 
mes  laborieuses  études.  Mes  amis  et  moi,  nous  sommes  fermement  résolus,  aujourd'hui  plus  que  jamais, 
à  défendre  nos  droits  qui  sont  les  seuls  d'accord  avec  les  intérêts  de  la  France,  de  la  Tunisie  et  de  toutes 
les  Puissances  maritimes.  Nous  irons  partout  chez  les  ministres  et  chez  les  personnes  les  plus  influentes 
pour  faire  connaître  la  vérité  dans  les  plus  minutieux  détails  ;  si  nous  tombons,  au  moins  aurons-nous  la 
satisfaction  de  nous  être  bien  défendus  et  peut-être  d'autres  avec  nous  resteront  sur  le  carreau  ou  sortiront 
éclopés  de  la  lutte  où  l'on  nous  pousse  malgré  nous...» 

«Le  journal  «La  Liberté»  sera  la  clef  de  voûte  sur  laquelle  viendront  s'appuyer  d'autres  feuilles,  et  par  paroles 
et  par  publications,  le  Parlement  tout  entier  sera  bien  éclairé  quand  viendra  la  demande  de  fonds...»  (A.  E. 
Tunis  Mém.  et  Doc.  Procès,  vol.  1,  pièce  13). 

Et  Barbieux,  le  directeur  du  Rappel,  de  renchérir  trois  jours  plus  tard  :  «Le  port  nous  a  été  escamoté...  il  faut 
qu'on  nous  le  rende...  Nous  avons  été  indignement  frustrés,  et,  si  l'on  ne  nous  rend  justice,  nous  engagerons 
la  lutte  avec  toute  l'implacable  énergie  que  nous  puiserons  dans  la  conscience  de  notre  bon  droit»  (Ibid., 
pièce  14)  Il  n'y  a  au  fond  de  toute  cette  histoire  qu'une  question  de  gros  sous  expliquait  Roustan.  Gay  en 
veut  à  Mussalli  «parce  que  Mussalli  lui  a  porté  les  25.000  francs  donnés  par  le  bey  et  s'en  est  fait  délivrer  un 
reçu  en  bonne  règle  et  que  M.  Gay  s'imagine  bien  à  tort  que  M.  Mussalli  a  été  indiscret.  C'est  par  le  Trésorier 
du  gouvernement  que  cette  libéralité  s'est  ébruitée»  (A.  E.  Tunis,  vol.  63.  Part,  à  Courcel.  Tunis,  18  octobre 
1881). 

Le  reçu  signé  par  Gay  le  5  juin  1879  fut  produit  au  cours  du  procès  de  Y  Intransigeant.  Gay  lui-même  avait  eu 
l'inconscience  d'attaquer  Mussalli  au  cours  des  débats  en  lui  reprochant  d'avoir  gardé  pour  lui  la  part  de  12.500 
francs  qu'il  lui  avait  remise  pour  l'achat  l'un  bijou  à  sa  femme  (A.  E.  Tunis,  Procès,  vol.  I,  pièce  9  ;  Intransigeant, 
18  décembre  1881,  publication  d'une  lettre  de  Mme  Elias  Mussalli  à  Mme  Oscar  Gay,  28  octobre  1879). 

Gay,  d'ailleurs,  n'avait  pas  limité  à  cette  époque  ses  activités  tunisiennes  au  seul  projet  de  port  à  Carthage. 
Dès  qu'il  avait  connu  les  premières  difficultés  entre  Mustapha  et  la  Société  Marseillaise  au  sujet  de  l'Enfida,  il 
avait  essayé  de  s'entremettre  entre  la  société  et  les  amis  du  premier  ministre,  Hamida  Benaïad  et  Baccouche, 
en  vue  d'une  nouvelle  cession  du  domaine.  Roustan  avait  été  au  courant  de  toutes  ces  démarches  et  il  en 
avait  plusieurs  fois  entretenu  Courcel  (A.  E.  Tunis,  vol.  59.  Tunis  10  juin  1881  -  Egalement  14  juin,  7  juillet). 
«C'est  une  véritable  bande  dans  laquelle  nous  sommes  tombés»,  écrivait-il  le  15  septembre  1880,  à  propos 
de  Gay,  de  Barbieux  et  de  leur  protecteur,  le  député  de  Marseille  Bouchet,  «et  je  crains  bien  qu'elle  ne  nous 
donne  des  ennuis»  (Ibid.  vol.  51.  Part,  à  Courcel).  Le  député  d'Algérie  Etienne  était  également  de  la  partie. 
Sans  s'engager  autant  que  Bouchet,  il  jouait  les  intermédiaires  auprès  de  Gambetta  (Ibid.  vol.  49.  Dép.  de 
Freycinet  du  16  février  1880.  Part,  de  Roustan  à  Courcel,  24  février  1880). 

50  En  1877  déjà,  Péreire  ainsi  que  certains  dirigeants  de  l'Est  algérien,  société  dont  les  intérêts  n'étaient  pas 
encore  liés  à  ceux  du  groupe  «Transatlantique»,  avait  accueilli  avec  aigreur  la  création  de  la  ligne  de  la 
Medjerda  ;  Villet  le  notait  incidemment  à  cette  époque.  «M.  Lucet,  sénateur  de  Constantine,  intéressé  dans 
les  chemins  de  fer  de  l'Est  algérien...  n'est  pas  content  des  facilités  concédées  à  la  nouvelle  compagnie  rivale. 
Pereire,  dans  son  journal  (La  Liberté)  a  aussi  exhalé  des  envies»  (Doc.  sur  Khérédine.  Corresp  inédite  Villet 
à  Khérédine  Paris,  27  mars  1877,  loc.  cit.)  La  rivalité  aurait  pu  se  faire  plus  vive  lors  de  l'achat  de  l'Enfida  si 
Géry  n'avait  rapidement  renoncé  à  acquérir  les  biens  que  Khérédine  lui  proposait  en  même  temps  qu'à  la 
Société  Marseillaise. 


434 


Les  révélations  de  Gay  et  de  Billing  n'auraient  sans  doute  jamais  pris  un  tel 
caractère  de  publicité,  si,  à  l'automne  de  1881,  ils  n'avaient  trouvé  le  concours  d'une 
opposition  de  droite  et  surtout  d'extrême  gauche  profondément  ulcérée  de  son  échec 
aux  élections  générales  d'août-septembre  1881.  En  dépit  de  la  violence  de  leurs  attaques 
contre  Gambetta,  les  Intransigeants  ne  l'avaient  emporté  que  dans  un  petit  nombre  de 
circonscriptions  urbaines.  L'échec  relatif  de  Gambetta  à  Belleville,  ne  pouvait  compenser 
les  succès  remportés  en  province  par  la  gauche  opportuniste  définitivement  victorieuse 
de  la  droite  monarchiste.  Vingt-trois  en  juin  1881,  les  Intransigeants  se  retrouvaient 
quarante-deux  en  novembre,  mais  l'opportunisme  avait  gagné  cinquante  sièges  au  profit 
d'une  droite  réduite  à  quatre-vingt-dix  députés.  Partout  l'Union  républicaine  avait  gagné 
des  voix  et  des  mandats.  Gambetta  apparaissait  ainsi  comme  le  grand  vainqueur  de  la 
consultation  électorale  de  1881.  La  campagne  de  presse  et  de  meetings  de  l'automne 
1881  qui  traduisait  cette  déception  de  l'extrême  gauche,  ne  visait  en  définitive  qu'à  lui 
susciter  des  embarras  à  la  veille  de  la  constitution  de  son  gouvernement,  beaucoup  plus 
qu'à  Ferry  d'ailleurs  donton  n'ignoraitpointla  retraite  prochaine.  Coup  de  bourse  et  Bône- 
Guelma  n'étaient  pour  Rochefort  que  des  prétextes  lorsqu'il  s'en  prenait  à  Roustan  et  à 
Gambetta^i.  Courcel  le  laissait  comprendre  à  Roustan  dès  la  mi-octobre  1881  lorsqu'il  lui 
écrivait  :  «Du  reste  ces  intrigues  de  bas  étage  ne  viennent  qu'en  seconde  ligne,  croyez-le 
bien,  dans  toute  cette  affaire.  Elles  servent  d'appoint  et  d'instrument  à  une  machination 
essentiellement  politique,  visant  des  personnages  politiques,  et  combinée  pour  créer 
d'avance  des  embarras  au  gouvernement  que  l'on  voit  prêt  à  se  former52», 

4» 

La  campagne  de  presse  de  l'opposition,  le  procès  avaient  jeté  le  discrédit  sur 
l'expédition  tunisienne,  sur  les  milieux  d'affaires  comme  sur  la  majorité  opportuniste. 
D'une  conquête  menée  sans  guerre  ni  batailles,  l'opinion  ne  devait  conserver  que  le 
souvenir  d'affaires  discutables,  de  tripotages  cyniques  ourdis  dans  le  milieu  corrompu 
d'une  petite  cour  orientale.  La  reprise  de  l'expansion  française  outre  mer,  un  des 
événements  essentiels  de  notre  histoire  contemporaine,  se  faisait  ainsi  par  le  biais 
d'une  opération  peu  coûteuse,  d'une  campagne  trop  facile  à  laquelle  avaient  manqué 
ces  exploits  guerriers  qui  auraient  pu  flatter  l'esprit  cocardier  de  la  foule. 

Ferry  allait  bientôt  parler  de  points  d'appui,  de  débouchés,  d'expansion  industrielle 
et  commerciale,  élever  le  débat  en  repoussant  la  politique  d'abstention  et  d'abandon,  en 
montrant  que  dans  un  monde  en  essor  la  grandeur  de  la  patrie  était  indissolublement 
liée  à  la  grandeur  de  ses  entreprises,  qu'un  pays  comme  la  France  ne  pouvait  cesser  de 
progresser  sans  prendre  inéluctablement  le  chemin  de  la  décadence.  Pouvait-il  séduire 
une  opinion  hostile  ou  indifférente,  une  opinion  qui  demeurait  étrangère  aux  grands 


La  réconciliation  entre  les  deux  groupes  fut  effective  dès  la  fin  de  1881.  La  Compagnie  Transatlantique  fut 
admise  à  participer  au  lancement  financier  de  la  Société  du  port  de  Tunis  tandis  que  la  Société  Marseillaise 
réservait  immédiatement  les  mêmes  avantages  aux  dirigeants  du  Bône-Guelma,  lors  de  la  création  de  la  Société 
agricole  et  immobilière  franco-africaine  chargée  de  mettre  en  valeur  Enfida  et  Sidi  Tabet.  C'est  ainsi  que  le 
premier  conseil  d'administration  de  la  nouvelle  société  vit  siéger  Charles  Géry,  président  du  Bône-Guelma,  et 
Jacques  Siegfried,  administrateur  du  Comptoir  d'Escompte,  aux  côtés  de  quatre  administrateurs  de  la  Société 
Marseillaise.  Chevallier-Rufigny,  Bergasse,  Bloch  et  Zafiropulo,  sous  la  présidence  d'Albert  Rey  président  déjà 
de  la  Société  Marseillaise  {L'Enfida,  son  passé,  son  avenir  Paris,  1889,  p.  22,  n  1)  ;  la  Banque  Transatlantique 
elle-même,  dès  1883,  devait  accueillir  le  président  du  Bône-Guelma  au  sein  de  son  conseil  d'administration. 

51  En  faudrait-il  d'autre  preuve  que  son  article  «Les  deux  Génois»  dans  l'Intransigeant  du  21  avril  où  il 
s'essayait  à  une  comparaison  entre  Maccio'  et  Gambetta,  la  politique  gastronomique  de  l'un  et  la  diplomatie 
pornographique  de  l'autre  ? 

52  A.  E.  Tunis,  vol.  63.  Part,  de  Courcel  à  Roustan.  Paris,  15  octobre  1881. 


435 


impératifs  économiques  comme  aux  combinaisons  des  diplomates,  une  opinion  qui,  en 
matière  de  politique  étrangère  ne  réagissait  guère  qu'au  seul  nom  d'Alsace-Lorraine  ? 
Tunis  ne  faisait  pas  oublier  Strasbourg. 

La  reprise  de  l'expansion  coloniale  laissait  entier  le  problème  allemand.  Elle  ne 
faisait  pas  oublier,  comme  Bismarck  l'eût  souhaité,  cet  espoir  pieusement  entretenu 
d'une  revanche  à  l'Est  que  chaque  année  nouvelle  rendait  cependant  toujours  plus 
improbable.  Le  ralliement  des  chefs  républicains  n'avait  pas  entraîné  l'adhésion  de 
députés  d'arrondissement  trop  attentifs  à  l'opinion  publique  pour  souscrire  sans 
réserves  à  une  politique  coloniale  dont  ils  ne  comprenaient  pas  toute  la  portée.  Sans  doute 
allaient-ils  tolérer  désormais,  en  Asie  comme  en  Afrique,  une  expansion  abandonnée  le 
plus  souvent  aux  initiatives  individuelles,  mais  avec  des  réserves,  des  repentirs,  le  souci 
des  dépenses  publiques  et  la  crainte  des  aventures  et  des  complications  diplomatiques. 
Le  moindre  échec  provoquait  une  crise,  des  interpellations  au  Parlement,  les  réactions 
violentes  d'une  opinion  exaspérée  par  ce  que  la  presse  d'opposition  qualifiait  de 
trahison  à  l'égard  des  grands  intérêts  nationaux.  Quatre  ans  après  les  affaires  de  Tunisie, 
les  affaires  du  Tonkin  devaient  révéler  la  profondeur  du  mouvement  anticolonialiste, 
souligner  l'impopularité  de  Ferry,  compromettre  sans  rémission  la  carrière  politique 
d'un  homme  qui  avait  cru  servir  les  intérêts  supérieurs  de  son  pays. 

L'expédition  tunisienne  qui  marquait  la  reprise  de  l'expansion  française,  qui  suscitait 
la  vocation  coloniale  d'un  Ferry,  inaugurait  aussi  la  tradition  d'un  anticolonialisme 
agressif  qui  ne  devait  jamais  complètement  désarmer. 


436 


BIBLIOGRAPHIE 

ABREVIATIONS 


Archives  et  documents  diplomatiques. 

A.  E. 

Archives  des  Affaires  étrangères,  documents  conservés  au  quai 
d'Orsay  :  séries  Tunis,  Allemagne,  Italie,  etc. 

A.N. 

Archives  Nationales. 

A.  O.  T. 

State  Papers,  volume  XCIX  (1881).  Affairs  of  Tunis. 

Arch.  Guerre 

Archives  du  ministère  de  la  guerre  à  Vincennes. 

Arch.  Rés. 

Archives  de  la  Résidence  générale,  aujourd'hui  ambassade  de 
à  Tunis  :  correspondance  consulaire. 

France 

Arch.  Rome 

Documents  de  VArchivio  storico  relevant  du  ministère  des  Affaires 
étrangères  italien  à  Rome. 

Arch.  Tun. 

Archives  tunisiennes  conservées  au  Dar  el  Bey  de  Tunis. 

Ch.  Comm.  Marseille 

Archives  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille. 

D.D.F. 

Documents  diplomatiques  français,  (1871-1914).  1«”  série 

1900). 

(1871- 

F.O. 

Archives  du  Foreign-Ojfice  conservées  au  Public  Record  Office,  Londres 
(F.O.,  suivi  du  numéro  de  la  série  :  102,  correspondance  avec  Tunis, 
27,  avec  la  France.  45,  avec  l'Italie,  etc.  et  de  celui  du  volume. 

G.  P. 

Granville  Papers  conservés  au  Public  Record  Office. 

P.E.A. 

Politique  extérieure  de  VAllemagne,  traduction  française  de  Die 
Politik  Europaischen  Kabinette  1871-1914  (Berlin  1922). 

Grosse 

Reg.  Ste-Croix 

Registres  paroissiaux  de  l'église  Sainte-Croix  de  Tunis 

Périodiques. 

A.  G. 

Annales  de  géographie.  -  Paris,  depuis  1891-92. 

Avv.  di.  Sard. 

Avvenire  di  Sardegna  (L'),  quotidien  de  Cagliari. 

B.  E.  Tunis. 

Bulletin  de  la  direction  des  affaires  économiques  de  la  Tunisie.  - 
de  1895  à  1939. 

Tunis, 

B.  S.  G.  A. 

Bulletin  de  la  Société  de  géographie  dAlger  et  de  VAfrique  du  Nord.  - 
Alger,  de  1895  à  1943. 

Econ.  Fr. 

Économiste  français  (L').  -  Paris. 

E  B.  F.  A. 

Institut  des  Belles  Lettres  Arabes.  -  Tunis,  depuis  1938 

R.  afr. 

Revue  africaine  publiée  par  la  Société  historique  algérienne-Alger, 
depuis  1856. 

Rev.  Hist. 

Revue  historique.  -  Paris. 

R.P.E. 

Revue  politique  et  littéraire.  -Paris. 

R.  Pol.  Pari. 

Revue  politique  et  parlementaire.  -  Paris. 

R.  T. 

Revue  Tunisienne.  -  Tunis,  de  1894  à  1948. 

437 


1  -  Archives  et  documents  diplomatiques 

les  archives  françaises,  anglaises  et  italiennes  ont  fourni  l'essentiel  de  notre  documentation, 
archives  de  la  Résidence  générale  à  Tunis,  archives  du  quai  d'Orsay  (séries  Tunis,  Angleterre, 
Allemagne,  Italie,  Turquie,  Autriche  et  Russie)  sur  la  période  1845-18831  .  Public  Record  Office 
(séries  Tunis,  France,  Turquie,  Italie,  Allemagne),  de  1851  ou,  pour  les  deux  dernières  séries,  de  1875 
à  1882  ;  celles  de  l'Archivio  storico  de  Rome  sur  les  seules  périodes  qui  nous  aient  été  ouvertes,  1859- 
1872  et  1879-1880. 

Les  archives  tunisiennes  du  Dar  el  Bey,  celles  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  divers 
documents  conservés  tant  aux  Archives  nationales  qu'au  ministère  de  la  Guerre  ont  été,  avec  diverses 
archives  familiales,  souvent  complétées  par  des  renseignements  oraux,  des  documents  d'appoint, 
mais  des  documents  qui  se  sont  révélés  souvent  précieux  pour  des  études  de  détail. 

Une  partie  de  ces  documents  a  été  publiée  dans  divers  recueils  imprimés  officiels.  Livre  Jaune 
français.  Livre  bleu  anglais^,  tandis  qu'à  Rome  nous  en  trouvions  l'équivalent  dans  une  ébauche  restée 
manuscrite  destinée  à  l'usage  intérieur  du  ministère  des  Affaires  étrangères  italien. 

a)  Correspondance  consulaire. 

Il  s'agit  des  séries  «Tunis»  des  archives  françaises  et  italiennes,  de  la  série 
«F.  0.102»  des  archives  du  Foreign  Office. 

Ces  documents  sont  de  valeur  inégale.  D'une  façon  générale,  les  correspondances  des  consuls 
de  France  et  d'Angleterre  sont  beaucoup  plus  riches  que  celles  de  leurs  collègues  d'Italie  qui,  jusqu'en 
1868-70  tout  au  moins,  apparaissent  assez  mal  renseignés  sur  les  affaires  beylicales.  Les  rapports 
français  sont  d'ordinaire  plus  détaillés,  ceux  de  l'Anglais  Wood,  plus  concis.  L'interprétation  des  mêmes 
faits  laisse  apparaître  entre  les  consuls  des  rivalités  très  vives  qui  se  traduisent  par  des  accusations 
de  corruption  qui  ne  semblent  pas  toujours  fondées.  La  présence  de  Wood  pendant  24  ans  à  la  tête  du 
consulat  contribue  à  donner  aux  sources  anglaises  une  grande  homogénéité.  La  succession  pendant 
la  même  période  à  la  mission  de  France  de  huit  consuls  titulaires  ou  intérimaires,  de  tempéraments 
aussi  divers  que  Roches,  de  Beauval,  de  Botmiliau  ou  Roustan,  ne  laisse  pas  de  donner  aux  sources 
françaises  une  certaine  impression  d'incohérence.  A  dix  ans  d'intervalle,  en  1864  et  en  1874  le 
consulat  fut  géré  par  deux  trublions,  de  Beauval  et  de  Billing,  qui  entretinrent  le  désordre  dans  la 
colonie.  Leurs  rapports  passionnés  sont  de  tous  les  plus  suspects. 

l'Italie  fut  dans  l'ensemble  plus  mal  représentée  que  la  France,  surtout  au  début  où  cinq  consuls 
se  succédèrent  en  cinq  ans,  de  1860  à  1865.  Vint  ensuite  Pinna,  âgé  et  peu  actif,  qui  se  maintint 
jusqu'en  1878.  Pendant  plusieurs  années,  l'Italie  n'eut  pas  plus  de  politique  tunisienne  que  la 
Sardaigne.  Les  rapports  des  consuls  étaient  presque  uniquement  consacrés  aux  affaires  commerciales 
des  Génois,  à  leurs  conflits  avec  la  colonie.  Il  serait  impossible  de  se  faire  une  idée  d'ensemble  des 
affaires  tunisiennes  avant  1870,  si  l'on  ne  disposait  que  des  seuls  documents  italiens. 

En  matière  financière,  les  rapports  consulaires  n'apportent  qu'une  documentation  fort 
incomplète.  Wood  semble  bien  informé  des  intrigues  du  Bardo,  mais  il  se  montre  volontairement 
discret  sur  des  opérations  auxquelles  il  participait  par  l'intermédiaire  d'un  employé  de  son  consulat. 
Après  Roches  et  jusqu'à  Roustan,  les  consuls  de  France  ne  transmettent  plus  que  des  informations 
fragmentaires  et  de  seconde  main.  Les  négociants  marseillais,  leurs  informateurs  habituels,  sont  en 
effet  tenus  à  l'écart  des  opérations  financières  que  mènent  désormais  avec  le  khaznadar  des  courtiers 
juifs  et  une  poignée  d'aigrefins  venus  d'Europe  ou  du  Levant.  Les  sources  italiennes  sont  décevantes 
en  ce  domaine  ;  elles  ne  peuvent  guère  fournir  que  des  renseignements  d'appoint.  Analyse  des 
contrats  d'emprunts,  va-et-vient  des  ministres,  des  banquiers  ou  de  leurs  émissaires  entre  Tunis 
et  Paris,  description  de  la  banqueroute  et  de  la  misère  générale,  tels  sont  les  principaux  types  de 
renseignements  fournis  par  les  rapports  consulaires.  Peu  ou  point  d'indications  sur  les  relations 


1  De  1871  à  1882,  pour  la  série  Allemagne,  de  1878  à  1881  pour  les  séries  Autriche  et  Russie.  Ajouter  la  série 
Tripoli  1834-1836,1878-1881. 

2  Affaires  de  Tunisie,  avec  une  carte  de  la  Régence  1870-81.  -  Paris  1881.  -  supplément  avril-mai  1881.  Ibid. 
1881. 

State  Papers,  vol.  XCIX  (1881).  Affairs  of  Tunis. 

Sélection  de  documents  diplomatiques  justifiant  l'attitude  des  deux  gouvernements  dans  les  affaires  de 
Tunisie  entre  1878  et  1881. 


438 


entre  hommes  d'affaires  ;  rien  qui  puisse  aider  à  comprendre  les  événements.  La  seule  impression 
qui  se  dégage  de  cette  période,  c'est  le  désordre  des  finances  et  de  l'administration  beylicale. 

Cependant,  les  archives  françaises  conservent  la  correspondance  échangée  avec  le  quai  d'Orsay 
par  les  inspecteurs  des  Finances  détachés  auprès  du  gouvernement  beylical  à  partir  de  1869  pour 
diriger  une  Commission  financière  internationale  imposée  à  la  Tunisie  par  la  France,  l'Angleterre 
et  l'Italie.  Les  rapports  de  l'inspecteur  Villet  sont  les  plus  intéressants  :  deux  d'entre  eux  ont  une 
importance  essentielle  :  une  note  de  80  pages  sur  les  causes  du  désordre  financier  (19  mai  1872), 
une  note  sur  le  khaznadar  (1873),  toutes  deux  conservées  au  quai  d'Orsay  (A.  E.  Tunis.  Mémoires  et 
Documents,  vol.  12). 

b)  Correspondance  des  ambassades 

DOCUMENTS  FRANÇAIS 

Avant  1870,  les  affaires  de  Tunisie  n'apparaissent  qu'exceptionnellement  dans  la 
correspondance  des  ambassades  ou  des  légations  françaises  à  l'étranger.  Toutefois,  l'intervention  des 
escadres  française,  anglaise  et  italienne  dans  les  eaux  tunisiennes  lors  de  l'insurrection  de  1864,  les 
pourparlers  en  vue  de  l'établissement  d'un  contrôle  triparti  sur  les  finances  beylicales  en  1868-1869 
entraînèrent  l'ouverture  de  négociations  internationales  dont  on  peut  suivre  le  déroulement  dans  la 
correspondance  échangée  entre  le  quai  d'Orsay,  l'ambassade  de  Londres  et  la  légation  française  de 
Florence. 

En  revanche,  à  partir  de  1876  et  surtout  de  1878,  les  affaires  tunisiennes  prennent  une 
place  importante  dans  les  préoccupations  françaises.  La  série  «Angleterre»  conserve  le  détail 
des  négociations  engagées  entre  Paris  et  Londres  en  vue  de  concrétiser  les  entretiens  de  Berlin 
entre  Waddington  et  Salisbury.  Trois  ans  plus  tard,  l'affaire  de  l'Enfida  ouvre  une  nouvelle 
période  de  pourparlers  franco-britanniques  sur  les  questions  tunisiennes.  Les  dépêches  les 
plus  importantes  de  cette  correspondance  ont  d'ailleurs  été  publiées  dans  le  Livre  Jaune.  Mais 
on  reste  fort  étonné  en  définitive  du  caractère  fragmentaire  des  échanges  diplomatiques  franco- 
anglais  sur  une  question  tunisienne  qui  mettait  en  cause  l'équilibre  des  forces  maritimes  en 
Méditerranée. 

Les  séries  «Allemagne»  et  «Italie»  se  révèlent  plus  intéressantes  car  elles  conservent  une 
grande  partie  de  la  correspondance  particulière  échangée  entre  le  directeur  des  affaires  politiques, 
de  Courcel,  et  les  ambassadeurs  à  Rome  et  à  Berlin,  Noailles  et  Saint- Vallier.  On  peut  suivre  ainsi 
les  efforts  déployés  par  ces  trois  hommes  en  faveur  de  l'établissement  du  protectorat,  mesurer 
l'importance  qu'ils  attachaient  au  soutien  de  Bismarck,  l'hostilité  méprisante  qu'ils  témoignaient  à 
l'égard  d'une  Italie  débile  mais  inquiétante. 

En  revanche,  les  fonds  «Autriche»  et  «Russie»  sont  extrêmement  décevants  sur  le  plan  tunisien. 
La  correspondance  des  ambassadeurs  à  Constantinople  fournit  peu  d'informations  après  1871,  en 
dépit  de  l'intérêt  porté  aux  affaires  de  la  Régence,  par  Tissot  qui  avait  commencé  à  Tunis  sa  carrière 
diplomatique.  Même  après  1878,  rares  sont  les  dépêches  consacrées  au  problème  tunisien  dans  la 
série  «Turquie». 

DOCUMENTS  ANGLAIS 

Deux  fonds  importants  s'en  détachent  ;  les  séries  F.  O.  27  et  F.  O.  45  qui  rassemblent  la 
correspondance  échangée  entre  le  Foreign  Office  et  les  ambassades  à  Paris  et  dans  les  trois  capitales 
italiennes  successives. 

La  correspondance  de  lord  Lyons  qui  géra  pendant  vingt  ans  (1867-1887)  l'ambassade  de  Paris 
est  particulièrement  importante  car  elle  révèle  les  préoccupations  d'un  diplomate  bien  informé 
des  affaires  françaises  et  peu  soucieux  de  troubler  les  relations  franco-anglaises  par  une  question 
tunisienne  relativement  secondaire  du  point  de  vue  britannique.  L'avis  de  Lyons  pesait  grand  poids 
auprès  du  Foreign  Office  ;  il  fit  beaucoup  pour  prévenir  un  renversement  de  la  politique  anglaise 
en  Tunisie  après  la  chute  du  cabinet  conservateur  en  1880.  La  sévérité  des  chargés  d'affaires  et 
ambassadeurs  en  Italie  à  l'égard  des  mœurs  politiques  de  la  péninsule  ne  s'est  point  démentie  au 
cours  de  cette  période.  Les  propos  désabusés  de  lord  Paget  ne  contribuèrent  pas  médiocrement  à 
prévenir  toute  tentative  de  rapprochement  anglo-italien  après  1878.  Le  mépris  de  l'ambassadeur 
d'Angleterre  à  l'égard  des  hommes  d'Etat  italiens  rejoignait  en  définitive  celui  de  son  collègue 
de  France,  le  marquis  de  Noailles.  Mais  dans  cette  correspondance  on  ne  trouve  qu'assez  peu  de 
documents  intéressant  directement  la  Régence,  même  à  l'époque  de  l'affaire  Rubattino. 


439 


Les  séries  F.  0.  64  (Allemagne)  et  F.  0.  78  (Turquie)  sont  également  décevantes  pour  l’étude 
de  la  question  tunisienne.  L'ambassade  à  Constantinople  mettait  assez  peu  de  conviction  à  soutenir 
les  efforts  de  Wood  pour  rapprocher  Tunis  de  la  Porte  entre  1856  et  1873.  Elle  était  infiniment  plus 
intéressée  par  les  affaires  balkaniques  ou  égyptiennes  qui  devinrent  sa  préoccupation  essentielle  à 
partir  de  1875. 

DOCUMENTS  ITALIENS 

Ces  documents  sont  actuellement  l’objet  d'un  reclassement  en  vue  d'une  publication 
systématique  entreprise  par  une  équipe  de  professeurs  italiens. 

Ce  serait  pour  cette  raison  que  nous  n'avons  pu  en  obtenir  l'accès  que  sur  la  période  1859-1872. 
A  la  différence  des  archives  françaises  ou  anglaises,  les  archives  diplomatiques  italiennes  n’avaient 
pas  été  jusqu'ici  l'objet  d'un  classement  et  d'une  reliure  systématiques.  Elles  présentent  le  défaut 
d'être  dispersées  sans  raison  apparente  dans  un  grand  nombre  de  cartons  anonymes. 

La  correspondance  télégraphique  échappe  à  toute  espèce  de  classification,  car  des  registres 
particuliers  rassemblent  toutes  les  dépêches  de  l'étranger,  ordinairement  libellées  en  français 
d'ailleurs,  quelle  que  soit  l'origine  de  l'expédition.  Toutefois,  pour  les  besoins  delà  diplomatie  italienne, 
dépêches  et  télégrammes  importants  ont  été  recopiés  dans  des  recueils  manuscrits  consacrés  à 
chacune  des  missions  à  l'étranger.  Ainsi  en  est-il  pour  le  consulat  général  de  Tunis,  à  partir  de  1866. 

Dans  l'ensemble,  les  documents  italiens  sont  loin  de  présenter  l'intérêt  des  sources  françaises 
et  anglaises.  Hormis  quelques  notes  échangées  en  1864  entre  Tunis,  Paris  et  Londres  à  propos  de 
l'insurrection  des  tribus  tunisiennes,  l'intérêt  des  archives  italiennes  se  réduitaux  négociations  ouvertes 
entre  les  trois  capitales  au  sujet  de  la  commission  financière  internationale  et,  subsidiairement,  aux 
pourparlers  échangés  pour  le  règlement  de  l'affaire  de  la  Djédeida  en  1871-1872. 

En  dépit  de  nos  efforts,  nous  n'avons  pu  poursuivre  nos  recherches  au-delà  de  1872.  Nous  avons 
pu  consulter  cependant  un  important  dossier  datant  de  1879-1880,  celui  du  chemin  de  fer  Tunis- 
Goulette;  nous  avons  utilisé  le  rapport  de  Gorrini  publié  en  1940  qui,  selon  le  professeur  Chabod, 
responsable  de  la  publication  des  documents  italiens  pour  cette  période,  rassemble  tous  les  thèmes 
essentiels  de  la  politique  tunisienne  de  l'Italie  entre  1878  et  1881. 

DOCUMENTS  ALLEMANDS 

Bien  qu'il  s'agisse  de  documents  imprimés,  on  peut  ranger  ici  le  recueil  allemand 
Die  Grosse  Politik  der  Europaischen  Kahinette,  1871-1914  (Berlin  1922,  6  vol.  traduit  en 

français  sous  le  titre  :  La  politique  extérieure  de  l'Allemagne,  1871-1914.  -Costes,  1927, 
vol.  1-3,  In-8°).  On  y  trouve  évidemment  assez  peu  de  documents  intéressant  directement  la  Tunisie, 
mais  les  dépêches  échangées  entre  la  Chancellerie  et  les  ambassades  à  Paris  et  à  Londres  confirment 
les  rapports  de  Saint-Vallier  en  montrant  les  bonnes  dispositions  de  Bismarck  à  l'égard  d'une  reprise 
de  l'expansion  française  en  Afrique. 

c)  Archives  tunisiennes 

En  dépit  de  leur  classification  imparfaite,  les  archives  conservées  au  Dar  el  Bey  de  Tunis^ 
constituent  un  des  fonds  les  plus  importants  pour  l'histoire  de  la  Régence  au  XIX®*"®  siècle.  La  plupart 
des  documents  sont  en  arabe,  mais  on  y  trouve  également  des  textes  turcs,  français,  italiens  et  mêmes 
anglais^.  Les  affaires  diplomatiques  y  sont  évoquées  aussi  bien  que  les  affaires  d'administration 
intérieure  qui  constituent  cependant  l’élément  le  plus  important.  Les  questions  financières  en 
particulier  y  trouvent  une  large  place,  avec  les  budgets,  les  registres  d'imposition,  les  procès  et 
surtout  l'énorme  correspondance  échangée  en  français  et  en  italien  entre  les  ministres  du  bey  et 
leurs  émissaires  à  Paris  et  à  Londres  en  matière  d'emprunts.  Il  y  a  là  une  masse  de  documents  d'un 


3  Le  microfilmage  d'un  important  fonds  de  documents  en  langue  arabe  vient  d’être  entrepris.  Sa  publication 
actuellement  à  l’étude  permettra  probablement  d'entreprendre  une  étude  détaillée  de  l'administration 
beylicale  et,  peut  être,  de  la  vie  sociale  en  Tunisie  avant  le  Protectorat. 

4  La  plupart  des  documents  diplomatiques  ou  administratifs  tunisiens  sont  accompagnés  d'une  brève  analyse 
en  français  qui  facilite  grandement  leur  dépouillement.  M.  R.  Mantran  a  bien  voulu  nous  traduire  les 
documents  en  turc  qu'il  a  recensés  à  Tunis.  Nous  sommes  également  redevables  de  nombreuses  explications 
des  textes  arabes  que  nous  avons  étudiés  aux  fonctionnaires  tunisiens  des  archives  du  Dar  el  Bey,  en 
particulier  à  M.  Karroui. 


440 


haut  intérêt,  mais  de  documents  en  désordre  qui  ne  peuvent  être  utilisés  sans  une  connaissance  déjà 
approfondie  des  intrigues  financières  qui  se  sont  entrecroisées  à  Tunis,  entre  1862  et  1869. 

d)  Archives  privées 

Un  certain  nombre  de  fonds  privés  sont  actuellement  accessibles  dans  les  principaux  dépôts 
d'archives  français  et  anglais.  Ainsi,  les  papiers  Noailles  conservés  au  quai  d'Orsay,  les  papiers 
Granville,  Gladstone  et  Salisbury  déposés  au  Public  Record  Office,  au  British  Muséum  et  à  l'Université 
d'Oxford. 

Les  papiers  Noailles  qui  sont  l'objet  d'un  classement  spécial  dans  les  archives  du  quai  d'Orsay 
contiennent  un  grand  nombre  de  lettres  échangées  entre  l'ambassadeur  à  Rome,  Noailles,  son  collègue 
de  Berlin,  Saint-Vallier,  de  Courcel  et  le  consul  à  Tunis,  Roustan.  La  plupart  des  lettres  importantes, 
originaux  ou  copies,  ont  été,  il  est  vrai,  encartées  dans  la  correspondance  diplomatique  de  Tunis  ou 
de  Berlin  (némoires  et  documents). 

Les  papiers  Granville  contiennent  une  importante  correspondance  échangée  entre  le  ministre, 
les  membres  du  cabinet  et  lord  Lyons  ou  le  gérant  de  l'ambassade  à  Paris,  Adams.  Ils  permettent 
de  suivre  avec  une  étonnante  précision  les  revirements  du  chef  du  Foreign  Office  dans  la  question 
tunisienne  en  1880  et  1881.  Les  papiers  Gladstone  complètent  utilement  les  précédents,  mais  les 
papiers  Salisbury,  largement  utilisés  par  lady  Cecil,  n'apportent  aucun  élément  nouveau  sur  la 
politique  du  cabinet  conservateur  en  1878. 

Les  papiers  Khérédine  ont  été  Pobjet  d'une  publication  systématique  entreprise  dans  la  Revue 
tunisienne  entre  1934  et  1940  par  MM.  Mzali  et  Pignon.  Grâce  à  l'obligeance  de  M.  Pignon,  nous  avons  pu 
avoir  accès  aux  documents  dont  la  publication  a  été  interrompue  par  la  guerre.  Ces  documents  valent 
surtout  par  la  correspondance  échangée  de  1875  à  1879  entre  Khérédine  et  l'ancien  vice-président 
de  la  commission  financière,  Pinspecteur  des  Finances  Villet.  Cette  correspondance  éclaire  d'un  jour 
particulier  la  politique  tunisienne  à  la  veille  du  congrès  de  Berlin,  révèle  intrigues  et  compromissions. 
Elle  constitue  ainsi  une  source  importante  de  cette  histoire  ;  elle  révèle  aussi  quelques-unes  des 
idées,  des  traits  de  caractère  de  l'homme  d'Etat  tunisien  le  plus  compétent  de  son  époque,  le  général 
Khérédine,  premier  ministre  du  bey  de  1873  à  1877. 

La  correspondance  de  Richard  Wood  (quelque  quinze  cents  lettres  écrites  entre  1830  et  1885)  a 
été  découverte  à  Londres  en  1948  par  M.  Allan  Cunningham,  professeur  à  PUniversité  de  la  Jamaïque, 
qui  doit  en  entreprendre  très  prochainement  la  publication.  M.  Cunningham  a  bien  voulu  nous  tenir 
au  courant  de  ses  recherches  et  nous  transmettre  les  informations  qu'il  a  recueillies  sur  la  carrière 
tunisienne  de  Wood.  Malheureusement,  la  plupart  de  ces  documents  se  rapportent  à  la  période  où 
celui-ci  exerçait  en  Syrie;  ils  fournissent  peu  de  renseignements  sur  son  activité  politique  en  Tunisie. 
Toutefois,  nous  avons  pu  utiliser  un  important  dossier  contenant  la  correspondance  échangée  entre 
Wood  et  son  agent  à  Londres,  Santillana,  en  1856-1858,  qui  permet  de  suivre  de  près  les  efforts 
déployés  par  ces  deux  hommes  en  faveur  d'une  pénétration  économique  anglaise  dans  la  Régence 
(Public  Record  Office.  Doss.  P.  0.  3  3  5/111/1). 

Les  papiers  Villet  n'ont  pas  été  détruits.  Ils  constituent  un  important  fonds  privé  que  nous  avons 
été  autorisé  à  consulter.  Malheureusement,  cette  autorisation  a  été  subordonnée  à  un  classement 
préalable  qui  n'a  pas  été  entrepris.  Eaute  de  mieux,  nous  avons  dû  nous  contenter  de  collecter  les 
seuls  renseignements  biographiques  qui  nous  étaient  accessibles  en  ce  domaine.  Nous  n'avons  pas  été 
plus  heureux  auprès  du  marquis  de  Moustier.  Mais  les  archives  de  son  bisaïeul,  ministre  des  Affaires 
étrangères  de  Napoléon  III,  ne  semblent  contenir  aucun  document  intéressant  la  Tunisie. 

En  revanche,  M.  de  Courcel  a  bien  voulu  nous  communiquer  les  notes  manuscrites  rédigées  par 
son  grand-père  sur  l'affaire  tunisienne,  notes  dont  les  fragments  les  plus  importants  ont  été  publiés 
par  Hanotaux,  dans  son  Histoire  de  la  France  contemporaine.  MM.  B.  et  J.  Dahdah  de  Paris  et  Londres, 
Mme  la  marquise  de  Drée,  nous  ont  fourni  des  renseignements  intéressants  sur  leur  cousin  et  grand- 
père,  Rochaïd  Dahdah.  Les  descendants  de  plusieurs  vieilles  familles  de  Tunisie,  MM.  Chapelié,  Caillat, 
Ventre,  Monge,  Hue,  Mme  Halfon,  Mme  Granara,  Mlle  Raffo  ont  ouvert  pour  nous  leurs  archives  et  nous 
ont  donné  verbalement  d'utiles  précisions  sur  leur  généalogie,  et  sur  les  affaires  commerciales  de 
leurs  aïeux.  M.  Julien  a  mis  à  notre  disposition  les  mémoires  politiques  de  Bernard  Lavergne,  député 
et  sénateur  du  Tarn,  ouvrage  dactylographié  (Tome  1er  du  22  mai  1881  au  22  février  1883). 

Les  seules  archives  d'entreprises  que  nous  ayons  pu  étudier  sont  celles  qui  sont  déposées  dans 
la  série  A.  Q.  des  Archives  nationales  et  dont  la  consultation  est  aujourd'hui  autorisée.  Si  nous  n'avons 


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pu  accéder  aux  papiers  de  la  Compagnie  Transatlantique,  nous  avons  dépouillé  le  Journal  et  le  Grand- 
livre  de  la  banque  Camondo  sur  la  période  1873-1883  et  consulté  les  dossiers  consacrés  à  la  création 
de  la  Société  Générale  Algérienne  en  1865  (F.  12  6777).  Ces  documents  nous  ont  surtout  permis  de 
préciser  les  liens  existant  entre  les  sociétés  françaises  engagées  en  Tunisie  et,  dans  une  moindre 
mesure,  de  déterminer  leur  rôle  respectif  dans  les  entreprises  qu'elles  patronnaient  à  la  veille  du 
protectorat. 

Nous  n'avons  rien  pu  obtenir  ni  de  la  famille  Erlanger,  ni  de  la  Société  Marseillaise,  du  Comptoir 
d'Escompte  ou  de  la  Banque  des  Pays-Bas.  Seule  la  Société  des  Batignolles  nous  a  fait  l’hommage 
d'une  plaquette  éditée  pour  le  centenaire  de  l'entreprise 

e)  Autres  documents 

Les  documents  conservés  aux  Archives  de  la  Guerre  à  Vincennes,  ceux  des  Archives  nationales 
nous  ont  permis  d'étudier  la  question  tunisienne  du  point  de  vue  algérien,  grâce  à  la  correspondance 
échangée  entre  Alger  et  Paris  jusqu'en  1881.  Dans  les  rapports  du  gouvernement  général  et  ceux 
des  officiers  de  la  division  de  Constantine  on  suit  dans  son  entier  l'évolution  des  rapports  frontaliers 
algéro-tunisiens  sous  l'Empire  et  la  République,  depuis  les  premiers  projets  de  délimitation  des 
confins  datant  de  la  monarchie  de  Juillet^.  Nous  avons  également  trouvé  aux  Archives  nationales 
d'importants  dossiers  financiers  concernant  l'admission  à  la  cote  de  Paris  des  emprunts  tunisiens 
de  1863,1865  et  1867.  Mais  nous  n'y  avons  pas  trouvé,  pas  plus  qu'au  quai  d'Orsay,  au  ministère  des 
Finances  ou  à  Tunis  les  archives  de  la  Commission  financière  tunisienne  dissoute  en  1884  qui  furent 
transférées  à  Paris®. 

Les  archives  de  la  Chambre  de  commerce  de  Marseille,  importantes  pour  l'étude  du  commerce 
franco-tunisien  jusqu'au  milieu  du  XIX®*"®  siècle,  contiennent  relativement  peu  de  documents 
intéressants  sur  la  genèse  du  protectorat.  A  l'hôtel  de  ville  de  Marseille,  comme  aux  archives 
départementales,  nos  recherches  se  sont  avérées  totalement  vaines. 

A  Rome,  nous  avons  été  autorisé  à  consulter  les  archives  du  Ministero  délia  Difesa-  Esercito.  Les 
documents  concernant  la  Tunisie  y  sont  peu  nombreux.  Leur  intérêt  repose  essentiellement  sur  le 
dossier  de  l'expédition  italienne  de  1864,  un  dossier  utilisé  déjà  par  des  historiens  et  chroniqueurs 
italiens  et  qui  révèle  la  contradiction  entre  les  déclarations  et  les  intentions  réelles  du  cabinet  de 
Florence  à  cette  époque. 

2  -  Documents  imprimés 
a)  Bibliographies 

Le  meilleur  répertoire  bibliographique  de  la  question  est  constitué  par  un  ouvrage  publié  par 
le  ministère  de  la  Guerre  :  l'Afrique  française  du  Nord.  Bibliographie  militaire  des  ouvrages  français  ou 
traduits  en  français  et  des  articles  des  principales  revues  françaises  relatifs  à  l'Algérie,  à  Tunisie  et  au 
Maroc.  -  Paris,  Imprimerie  nationale,  1931  (Pour  la  Tunisie,  vol...  1,  pp.  145-237).  On  peut  également 
utiliser  l'ouvrage  de  ASHBEE  (Henry-  Spencer)  :  A  bibliography  of  Tunisia,  from  the  earliest  times  to 
the  end  ofl888.  London,  Dulau,  1889,  gr.  In-8°  (réédition  de  la  bibliographie  publiée  en  appendice 
au  Travels  in  Tunisia,  de  Graham  et  Ashbee).  On  trouvera  égalemenf^  des  bibliographies  plus  réduites 
mais  sûres  dans  les  ouvrages  suivants  : 

DESPOIS  (Jean)  -  La  Tunisie.  -  Paris,  1930. 

JULIEN  (Ch.  André)  -  Histoire  de  l'Afrique  du  Nord-Paris,  1931. 


5  Signalons  également  Missiow  en  Afrique  du  colonel  Ducouret  (Hadji  Abd  el  Hamid  Bey)  1850-1852,  manuscrit 
de  1.037  pages  conservé  aux  Archives  nationales  (cote  F17  29572),  ouvrage  signalé  et  analysé  par  R.  Mantran 
(Cahiers  de  Tunisie,  1955,  pp.  474-480).  La  critique  en  a  été  faite  en  1956  par  M.  Emerit  dans  la  même  revue, 
pp.  243-249  (Un  collaborateur  d'Alexandre  Dumas  :  Ducouret  Abd  El  Hamid). 

6  Ces  documents  semblent  avoir  disparu  à  Paris  même.  En  dépit  des  précisions  que  nous  a  fournies  M.  le 
doyen  Renouvin,  aucune  des  administrations  de  ces  trois  dépôts  d'archives  parisiens  n'a  pu  retrouver  la 
trace  de  l'entrée  ou  du  passage  des  dossiers  tunisiens. 

7  Signalons  seulement  pour  mémoire,  A  sélective  survey  ofthe  literature  in  the  social  sciences  and  relatedfields 
on  modem  North-Africa  par  Benjamin  Rivlin  (American  political  science  Review,  XLVIII,  sept.  1954,  pp.  826- 
848). 


442 


ROBERTS  (Stephen-Henry)  -  History  ofthe  Trench  colonial  policy  (1870-1925)-  Londres,  1927. 

Sauf  indication  contraire,  les  livres  ou  revues  mentionnés  ci-après  ont  été  publiés  à  Paris  et 
peuvent  être  consultés  à  la  Bibliothèque  Nationale.  Nous  avons  précisé  le  nom  des  bibliothèques 
françaises  ou  étrangères  où  nous  avons  trouvé  certains  ouvrages  qui  manquaient  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  en  utilisant  les  abréviations  suivantes  : 

Doc.  Intern.  Contemp.  -  Bibliothèque  de  documentation  internationale  contemporaine  de 

Paris. 

Ste-Geneviève  -  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  de  Paris. 

Sorbonne  -  Bibliothèque  de  la  Sorbonne. 

Ch.  commerce  Marseille  -  Bibliothèque  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Marseille. 

Chambéry  -  Bibliothèque  Municipale  de  Chambéry. 

Tunis  -  Bibliothèque  Nationale  de  Tunis. 

Br.  Mus.  -  British  Muséum,  Londres. 

V.  Emm.  -  Biblioteca  Nazionale  Vittorio  Emmanuele,  Rome. 

Bibl.  Aff.  Etr.  Rome  -  Bibliothèque  du  ministère  des  Affaires  étrangères  italien  à 

Rome. 

Ch.  députés  Rome  -  Bibliothèque  de  la  Chambre  des  députés  à  Rome. 

Cagliari  -  Biblioteca  universitaria  di  Cagliari. 

Certains  ouvrages  du  fonds  ancien  de  la  Bibliothèque  Nationale  (série  i)  étant  difficiles  à 
retrouver  dans  le  catalogue  général,  nous  en  avons  fourni  la  cote  sans  autre  notation. 

b)  Politique  coloniale  française  et  problèmes  internationaux 

Rares  sont  les  auteurs  qui  se  soient  consacrés  à  une  étude  détaillée  de  la  question  tunisienne  au 
XIX  siècle.  Le  publiciste  Broadley  fut  le  premier.  En  1882,  il  donna  la  version  anglaise  des  dernières 
années  de  l'indépendance  tunisienne,  une  version  relativement  impartiale  si  on  songe  au  rôle  que 
l'auteur  avait  joué  dans  l'affaire  de  l'Enfida,  et  qui  reste  encore  de  nos  jours  un  document  important 
pour  l'étude  de  cette  période.  Broadley  avait  accès  aux  archives  du  consulat  britannique.  Il  les  a 
largement  utilisées  dans  son  ouvrage,  mais,  par  ses  précisions,  ses  anecdotes,  il  leur  a  donné  ce  tour 
personnel  qui  fait  la  valeur  de  son  témoignage,  en  dépit  de  sa  prise  de  position  dans  le  conflit  et  d'un 
goût  trop  marqué  pour  la  petite  histoire. 

Dix  ans  plus  tard,  l'Italien  Chiala  envisageait  la  question  sous  l'angle  de  la  rivalité  franco- 
italienne.  Il  insistait  sur  les  pourparlers  diplomatiques,  les  réactions  des  hommes  politiques,  de 
l'opinion  italienne.  Il  a  laissé  un  ouvrage  sérieux,  modéré  de  ton,  en  dépit  d'une  certaine  aigreur  à 
l'égard  des  responsables  de  la  politique  française.  Aussi  le  livre  de  Chiala  a-t-il  été  largement  utilisé 
par  d'autres  historiens  italiens  tels  que  Cilibrizzi  et  Giaccardi. 

D'Estournelles  de  Constant  (P.  H.  X.),  qui  fut  secrétaire  d'ambassade  à  Tunis,  a  rédigé  une  histoire 
des  origines  du  protectorat  cohérente  et  bien  ordonnée,  mais  qui  évoque  avec  trop  de  discrétion  les 
affaires  financières  et  qui,  par  son  orientation,  constitue  trop  une  histoire  «officielle»  pour  n'être 
point  accueillie  sans  réserves.  En  1925,  le  consul  Jean  Serres  consacra  sa  thèse  de  doctorat  à  une 
étude  de  la  politique  turque  en  Afrique  du  Nord  sous  la  monarchie  de  Juillet  qui  évoque  la  mise  en 
tutelle  progressive  de  la  Tunisie  par  la  France  au  milieu  du  XIX®  siècle. 

La  thèse  de  l'égyptien  Safwat,  publiée  en  1943,  aurait  pu  renouveler  la  question,  bien  qu'elle  fût 
limitée  à  une  étude  de  politique  méditerranéenne  entre  1878  et  1881.  Safwat  eut  accès  à  toutes  les 
archives  anglaises  mais  son  travail  reste  décevant  à  bien  des  égards.  Des  recours  trop  fréquents  à  des 
documents  de  seconde  main,  des  développements  étranges  dans  des  affaires  comme  celle  de  l'Enfida 
témoignent  en  effet  que  l'auteur  ne  s'est  livré  qu'à  une  exploration  superficielle  des  documents 
conservés  au  Public  Record  Office. 

Les  événements  diplomatiques  de  1878-1881  sont  éclairés  par  la  publication  de  divers 
documents  provenant  d'archives  privées.  Les  articles  de  Waddington  et  de  Corti  et  surtout  les  livres 
de  lady  Cecil,  de  Newton,  de  Gwynn  sur  Salisbury,  Lyons  et  Dilke,  sont  parmi  les  plus  importants 
à  cet  égard.  Il  faut  également  accorder  une  mention  à  l'ouvrage  apologétique  de  la  baronne  de 
Billing  consacré  à  la  mémoire  de  son  mari,  ancien  consul  à  Tunis.  Plusieurs  articles  récents,  ceux 


443 


de  M.  Emerit,  de  W.  Langer,  d'A.  Raymond,  fondés  surtout  sur  des  documents  d'archives,  étudient 
avec  précision  certains  aspects  de  la  politique  française  et  anglaise  en  Tunisie  avant  1881.  Quant  à 
l'ouvrage  publié  en  1940  sous  le  nom  de  Gorrini,  un  rapport  sur  la  question  tunisienne  entre  1878 
et  1881  rédigé  pour  Crispi  en  1890,  il  pourrait  être  considéré  à  bien  des  égards  comme  un  véritable 
document  d'archives. 

Affaires  étrangères.  Documents  diplomatiques.  Affaires  de  Tunisie  avec  une  carte  de  la  Régence,  1870- 
1881.  lmp.  nationale,  1881,  In-4°,  XXIV-  312  p.  Carte.  Supplément  avril-mai  1881.  -  Ibid.,  1881, 
In-4°,  V-74  p. 

Aldao  (Martin).  -  Les  idées  coloniales  dejules  Ferry  (Thèse  droit).  -  Loviton,  1933,  In-8°,  111p. 

ANTINORI  (Orazio).  -  Letteresulla  Tunisia.-  Firenze,  Civelli,  1867,  In-16°,  348  p. 

La  questione  tunisina.  -  Firenze,  Civelli,  1868,  In-  8°,  39  p. 

AYDELOTTE  (Frank).  -  William  O.  Bismarck  and  British  Colonial  Policy.  -  Philadelphia,  University  of 
Pennsylvania  Press,  1937,  In-8‘’. 

BARTHELEMY-SAINT-HILAIRE  (Jules).  -  Fragments  pour  l'histoire  de  la  diplomatie  française,  du  23 
septembre  1880  au  14  novembre  1881.  Chamard,  1882,  In-8°,  VIII-448  p. 

BARTOLINI  (Antonio).  -  Gl'Italiani  alVespugnazione  di  Tunisi,  Raconto  storico-  Firenze,  C.  Ademollo  e 
C.  In-8°,217p. 

BILLING  (Baronne  Robert  de).  -  Le  Baron  Robert  de  Billing,  vie,  notes,  correspondance.  Précédé  d'une 
préface  d’Edouard  Drumont.  -  A.  Savine  (1895),  In-18,  XX-493  p. 

BILLOT  (A.)-  La  triple  alliance.  -  Rev.  de  Paris,  1901,  t  II,  pp.  500-533,  740-774. 

La  France  et  l'Italie.  Histoire  des  années  troubles.  1881-1899  -  Pion,  1905,  2  Vol.  In-O",  489  et 
464  p. 

BLOWITZ  (Henri  Stephan  de).  -  My  memoirs  -  London,  E.  Arnold,  1903,  In-O",  III-358  p.  et  1  portr. 

BOULIER  (Auguste).-  L'Italie  et  l'Allemagne  à  Tunis.  -  Le  Correspondant,  1881,  t.  CXXIII,  pp.  393-411. 

BOURGEOIS  (Emile).  -  Manuel  historique  de  politique  étrangère-.  Belin,  1905-1906,  4  Vol.  In-16. 

BRACHET  (Auguste).  -  Al  misogallo  signor  Crispi  à  propos  de  l'Italie  qu'on  voit  et  l'Italie  qu'on  ne  voit 
pas.  -  Pion,  1882,  In-8°,  101  p. 

L'Italie  qu'on  voit  et  l'Italie  qu'on  ne  voit  pas,  suivi  de  la  lettre  al  misogallo  signor 
Crispi  et  de  la  réponse  à  S.E.  Exc.  Nigra.  -  Marpon  et  Flammarion,  1882,  In-18, 
192  p. 

BROADLEY  (Alexander-Meyrick).  -  The  last  Punie  War.  Tunis,  Past  and  Présent.  With  a  narrative  ofthe 
Trench  Conquest  ofthe  Regency.  -  Edimburgh  and  London,  W.  Blackwood,  1882,  2  vol.  In-8°, 
XVI-356,  VIII-399  p.  ills. 

BROGLIE  (Duc  de).-  Discours  prononcé  dans  la  séance  du  10  décembre  1881.  Discussion  d'un  projet  de  loi 
portant  ouverture  de  crédits  pour  l’expédition  de  Tunisie.  -  lmp.  du  Journal  Officiel,  1881,  In-8° 
(extraits  du  J.O.  du  11  décembre  1881). 

BRUNIALn  (Attilio).  -  Le  Colonie  degli  Italiani,  con  appendice  i  primi  tentativi  e  le  prime  ricerche  di  una 
colonia  in  Italia  (1861-1882)  di  Giacomo  Gorrini  -  Torino,  Unione  Tipografico-Editrice,  1897, 
ln-4°,  545  p.  (bibl.  V.  Emm.) 

Algeria,  Tunisia  e  Tripolitania.  Studii  di  geografia  politica  sugli  ultimi  avvenimenti  africani.- 
Milano,  Fr.  Treves,  1881,  In-8°,  274  p.  carte  (bibl.  V.  Emm.) 

Tunisie.  L'exploration  italienne.  -  Explorateur,  1875,  t.  II.  p. 67-69. 

BULOW  (Prince  de).  -  Mémoires  du  chancelier  prince  de  Biilow,  trad.  de  Henri  Bloch  et  Paul  Roques  - 
Pion,  In-8°,  1930-1931,4  vol. 

BUSCH  (Maurice).  -  Tes  mémoires  de  Bismarck,  recueillis  par  Maurice  Busch...  Fasquelle,  1898-1899,  2 
vol.  In-8°,  340  et  348  p. 

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1912. 


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Politica  estera-Memorie  e  documenti  raccolti  e  ordinati  da  T.  Palamenghi-Crispi...  Milano,  Fr. 
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Questioni  intemazionali  :  Diario  e  documenti  ordinati  da  T.  Palamenghi-Crispi.  -  Milano,  fr. 
Treves,  1913,  In-8°,  VII  300  p.  et  1  pl. 

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La  plupart  des  ouvrages  anciens  traitant  de  la  Tunisie  sont  essentiellement  descriptifs  ;  ils 
résument  l'histoire  du  pays,  esquissent  sa  géographie,  décrivent  ses  coutumes.  S'ils  font  une  grande 
place  aux  impressions  et  aux  observations  personnelles,  ils  ont  trop  souvent  tendance  à  reproduire 
avec  servilité  des  notations  tirées  d'ouvrages  antérieurs.  Cependant  la  description  de  la  Régence  de 
Tunis  par  l'ancien  vice-consul  Pellissier  de  Reynaud,  les  relations  de  voyages  du  baron  von  Maltzan 
échappent  dans  l'ensemble  à  ces  défauts. 

Parmi  les  études  géographiques,  il  faut  accorder  une  mention  spéciale  aux  ouvrages  de  Charles 
Monchicourt  et  surtout  de  Jean  Despois  qui  sont  fondés  sur  une  étude  approfondie  du  milieu  tunisien 
et  de  son  évolution  au  cours  des  derniers  siècles  de  son  histoire. 

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A  ces  ouvrages  imprimés  il  faut  joindre  la  chronique  manuscrite  de  Ben  Dhiaf  dont  une 
équipe  de  chercheurs  tunisiens  travaille  actuellement  à  établir  le  texte  arabe  en  vue  d'une 
publication  et  d'une  traduction  prochaines.  Grâce  à  d'obligeants  concours  nous  avons  pu  disposer 
d'une  ébauche  de  traduction  encore  manuscrite  de  cet  ouvrage  :  «L'agrément  de  notre  époque 
comprenant  l'histoire  de  la  Tunisie  et  en  particulier  du  Pacte  fondamental». 

d)  Population  et  vie  économique 

11  n’existe  pas  plus  d'étude  d'ensemble  sur  les  populations  de  la  Régence  que  sur  l'économie 
tunisienne  au  milieu  du  XIX®*"®  siècle.  Seul  le  dépouillement  systématique  d'archives  tunisiennes 
encore  peu  accessibles  au  public  permettra  peut-être  d'entreprendre  une  telle  enquête.  Grâce  aux 
registres  nominatifs  des  impôts  personnels,  des  taxes  sur  les  récoltes,  les  olivettes  et  les  arbres 


456 


fruitiers,  on  pourra  sans  doute  apprécier  plus  exactement  la  répartition  et  la  densité  de  la  population, 
ses  ressources,  son  niveau  de  vie  qui  ne  nous  sont  connus  jusqu'à  présent  qu'à  travers  des  rapports 
consulaires  souvent  incomplets  et  peu  précis.  Nous  sommes  infiniment  mieux  renseignés  sur  les 
minorités  italienne  et  juive  que  sur  les  Musulmans.  Les  Maltais  eux-mêmes  out  été  négligés  au  profit 
des  Italiens,  rivaux  des  Français.  Il  existe  toutefois  deux  ouvrages  importants  concernant  les  tribus 
tunisiennes,  qui  exploitent  des  renseignements  collectés  par  les  contrôleurs  civils  au  lendemain  du 
protectorat,  la  «nomenclature»  éditée  par  les  soins  du  gouvernement,  les  notes  sur  les  tribus  de  la 
Régence  parues  dans  la  Revue  Tunisienne  en  1902. 

En  matière  économique,  nous  ne  sommes  bien  renseignés  que  sur  le  mouvement  commercial 
maritime,  grâce  aux  rapports  des  vice-consuls  de  France  à  La  Goulette,  Charles  et  Joseph  Cubisol, 
de  leurs  collègues  italiens  à  Sousse  et  La  Goulette  dont  les  rapports  annuels  out  été  publiés  dans  les 
recueils  consulaires  français,  belge  ou  italien. 

Relevons  cependant  quelques  études  sur  les  mines  de  Tunisie,  les  chemins  de  fer,  les  articles  de 
Marcel  Emerit  et  André  Raymond  sur  la  pénétration  française  et  anglaise  en  Tunisie,  ainsi  que  toute 
la  littérature  engendrée  après  1874  par  le  projet  Roudaire  de  percement  de  l'isthme  de  Gabès.  En 
dépit  de  l'apport  fourni  par  les  rapports  consulaires  et  les  documents  accessibles  du  Dar  el  Bey,  nos 
connaissances  en  ce  domaine  restent  très  fragmentaires. 

1  °)  Population 

ABDUL  WAHAB  (H.  H.).-Coup  d'œil  général  sur  les  apports  ethniques  en  Tunisie-  R.  T.  1917.  pp.  305-316 
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BERNARD  (Auguste).  -  Enquête  sur  l'habitation  rurale  des  indigènes  de  la  Tunisie.  -  Tunis.  -  Impr.  Barlier. 
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ROBERTY  (K.)  -  L'industrie  extractive  en  Tunisie..  Tunis.  Orliac.  1907.  In-8°.  III-160  p.  (Tunis). 

ROUDAIRE  (E.),  capitaine  d'Etat-Major.  -  Une  mer  intérieure  en  Algérie.-  Rev.  Deux  Mondes,  15  mai  1874. 
pp.  3  2  3-350. 

SAINTE-MARIE  (E.  PRICOT  de).  -  La  mission  du  capitaine  Roudaire  en  Tunisie.  -  L'explorateur.  N°  59.  23 
mars  1876. 

Les  lignes  télégraphiques  françaises  en  Tunisie.  -  Bull.  Soc.  Géo.  1875.  t.  IX.  p.  321. 

SAYOUS  (André  E.).  -  Le  commerce  des  Européens  en  Tunisie  depuis  le  XIP  siècle  jusqu' à  la  fin  du  XVI‘.  - 
Soc.  D'Editions  géogr.  marit.  et  coloniales.  1929,  In-8°,  181  p. 

SCEMAMA  (R.).  -  La  Tunisie  agricole  et  rurale  et  l'oeuvre  de  la  Lrance.  Etude  historique,  législative  et 
économique  contribuant  à  une  politique  d'empire  concertée,  coordonnée  et  harmonisée- 
Librairie  gén.  de  droit  et  de  jurisprudence,  1938,  In-8°.  531  p.  (Bibl.  des  SE.  Econ.  VI). 

Société  de  constructions  des  Batignolles.  -  L'œuvre  d'un  siècle.  Tolmer,  1952.  In-4°,  88  p.,  ills.  (Don  de 
la  Société). 

Tableau  général  du  commerce  de  la  Lrance  avec  ses  colonies  et  les  puissances  étrangères  pendant  l'année 
(1861  à  1881).  -  Impr.  Nationale  (1862  à  1882).  In-4°. 

TOURNIEROUX  (J.  A.).  -  L'oléiculture  en  Tunisie.  -  Dir.  Gén.  de  l'Agr.  Tunis,  lmp.  centrale.  2°  éd.  1929, 
In-8°.  373-IX  p.,  97  fig. 


461 


Travaux  publics  (Les)  du  protectorat  français  en  Tunisie.  -  Tunis  Picard.  1900.  2  vol.  gr.  in-8°,  fig. 

Tunisie  (La)  et  les  chemins  de  fer  algériens.  -  Rouvier  et  Logeât.  S.d.  (1877).  In-8°.  31  p.  carte  [0  3  i 

128], 

VATIN  (Fernand).  -  Les  chemins  de  fer  en  Tunisie  (Thèse  droit  Paris).  -  Lahure,  1902,.  In-8°,  364  p. 

WOOD  (Richard).  -  Report  on  the  Sea  of  Triton  and  the  chotts  ofAlgeria.  London,  1874  (Public  Record 
Office:  F.  0.10^104). 

e)  Les  questions  financières 

Sous  cette  rubrique,  nous  avons  rangé  des  études  financières  se  rapportant  de  près  ou  de  loin 
à  la  Tunisie  du  XIXe  siècle  aussi  bien  que  des  brochures  traitant  de  propositions  d'emprunt  ou  les 
mémoires  d'obligataires  réclamant  le  paiement  d'intérêts  en  souffrance.  La  valeur  des  documents 
imprimés  ne  saurait  être  comparée  à  celle  des  sources  manuscrites,  correspondance  consulaire 
ou  archives  tunisiennes  qui,  seules  permettent  de  saisir  dans  leur  ensemble  les  origines  et  le 
développement  de  la  crise  financière  tunisienne. 

A  MM.  les  sénateurs  et  députés  des  Bouches-du-Rhône.  -  Marseille.  lmp.  Barlatier  Feissat,  (1880),  In-4°, 
4p.  [0  3  i  140], 

BORDE  [Paul],  -  La  vérité  sur  le  câble  transatlantique.  -  Serrière  (1868)  .In-4°,  16  p.  (Vp  28.929], 

BOULARD  (Maurice).  -  Les  finances  de  la  Tunisie  pendant  les  trente  dernières  années  (Thèse  droit). 
Boyer,  1901,  In-8°.212p. 

BURDEAU  (A.).  -  La  conversion  de  la  dette  tunisienne,  art.  paru  dans  Le  Globe,  4  janvier  1899. 

CESANA  (].  de  J.).  -  Appel  aux  porteurs  d'obligations  de  la  dette  tunisienne.  Bône,  lmp.  J.  Carie,  1873, 
In-12,  87  p.  (Tunis). 

CHIRAC  (Auguste).  -  L'agiotage  de  1870  à  1884.  partie  :  Période  de  1870  à  1881.  -  Bureaux  Rev. 
Socialiste.  1887,  In-8°.120  p.  (Chambéry). 

Les  pots-de-vin  parlementaires.  -  Savine,  1888.  In-8°.  48  p. 

Les  Rois  de  la  République.  Histoire  des  Juiveries.  Arnould.  1883.  In-8°.  2  vol. 

CLAPHAM  (John  Harold).  -An  Economie  history  ofmodem  Britain.  -  Cambridge  University  Press,  1930- 
1932,  2  vol.In-8°  (Sorbonne). 

COLLAS  (Henry).  -  La  Banque  de  Paris  et  des  Pays-Bas  et  les  émissions  d'emprunt  publics  et  privés  (Thèse 
droit).  -  Dijon,  Marchai,  1908.  In-8°.  221  p. 

Comité  des  obligataires  français  des  emprunts  tunisiens  1863.  1865.  -  Procès  verbaux 

des  séances  du  Comité  et  pièces  annexes  à  consulter.  -A  Chaix.  1872,  In-8°-  68  p. 

[0  3  i  101]. 

Comité  des  porteurs  d'obligations  tunisiennes.  -  Rapport  aux  obligataires.  -  Paris,  au  secrétariat 
général  du  Comité,  1868.  In-8°,  48  p.  (56  avec  annexe)  [0  3  i  44]. 

Commission  des  Finances  tunisiennes.  Conversion  en  rente  6%  de  la  dette  générale  publique  tunisienne 
comprenant  les  obligations  émises  en  1863  et  en  1865.  -  Poitevin,  1868,  In-4°,  22  p.  [0  3  i  46], 

Commission  financière  tunisienne.  -  Dette  générale  du  gouvernement  tunisien.  -  (Paris)  Bône,  Dagand, 
18  71  (Arch.  Tun.) 

COUVERT  (J.)  -  Etude  sur  la  Tunisie  au  point  de  vue  financier  et  commercial.  -  lmp.  P.  Dupont,  1875, 
in-4°,  42  p.  [0  3  i  100], 

DRUMONT  (Edouard).  -  La  dernière  bataille,  nouvelle  étude  psychologique  et  sociale. 

E.  Dentu,  1890,  in-18,  XIX-572  p. 

La  fin  d'un  monde,  étude  psychologique  et  sociale-  Savine,  1889,  In-18,  XXXIII-556  p. 

La  France  juive,  essai  d'histoire  contemporaine  -  C.  Marpon  et  E.  Flammarion,  1886,  2  vol.  in- 
18. 

DUCHENE  (Georges).  -  La  spéculation  devant  les  tribunaux,  pratique  et  théorie  de  l'agiotage.  Libr. 
centrale,  1867. 

DUPONT-  FERRIER  (Pierre).  -  Le  marché  financier  de  Paris  sous  le  second  Empire.  -  Alcan  1925,  In-8°, 
X-248  p. 


462 


EMERIT  (Marcel).  -  La  crise  des  finances  tunisiennes  et  les  origines  du  protectorat.  -  R.  Afr.  1949,  pp. 
249-276. 

Emprunt  national  de  la  Régence  de  Tunis.  -  Marseille,  lmp.  de  Bazile.  (1860),  In-4°  [0  3  i  34], 

Emprunt  national  de  la  Régence  de  Tunis.  -  Marseille,  imp.  de  Bazile,  (1860),  in-4°  [0  3  i  35]. 

Emprunt  Tunisien  de  1865.  Compte  rendu  de  la  réunion  générale  des  porteurs  d'obligations  de  cet 

emprunt,  séance  du  6  septembre  1867.  Salle  Herz  48,  rue  de  la  Victoire.  -  Poitevin,  1867,  in-4°, 
19  p.  [0  3  i  43] 

FEIS  (Herbert).  -  Europe,  the  zvorld's  banker  1870-1914,  an  account  ofEuropean  foreign  investmentand 
the  connection  of  world  finance  with  diplomacy  before  the  zvar...  Newhaven,  Yale  University 
Press,  1930,  In-8°,  XXIII-469  p. 

GANIAGE  (Jean).  -  La  crise  des  finances  tunisiennes  et  l'ascension  des  Juifs  de  Tunis  (1860-1880)  -  R. 
Afr.  1955,  pp.  153-173. 

Grandeur  et  décadence  de  la  dette  tunisienne.  -  Imp.  Schiller,  (1871),  In-16,  21  p.  [0  3  i  52], 

GUENEE  (Georges).  -  Les  finances  tunisiennes.  Préface  de  M.  Georges  Rectenwald.  (thèse  droit  Alger).  - 
Tunis,  Imp.  Sapi,  1932,  in-8°.  XII-212  p. 

HOUDIARD  (Yves).  Les  problèmes  financiers  du  protectorat  tunisien.  -  Lib.  soc.  et  écon.,  1939,  In-8°,  246 
p.  (Thèse  droit  Paris)  [8°  F  41.072], 

HUGELMANN  (Gabriel).  -  Le  conflit  tunisien,  lettre  à  S.  E.  M.  de  Moustier,  ministre  de  nos  Affaires 
étrangères.  Balitout,  Questroy  et  Cie,  1868,  In-8°,  23  p.  [8  Lb  56  1953]. 

JENKS  (Leland  Hamilton).  -  The  migration  of  British  capital  to  1875.  -  New-York,  Knopf,  1927,  in-16, 
XI-442  p.  [8°  Ne  3811]. 

La  dette  générale  tunisienne,  étude  financière.  -  Marseille,  imp.  Barlatier-Feissat,  1876,  In-8°,  18  p.  [0 
3  i  121]. 

LOUTCHITCH  (Léonidas  J.).  -  Allure  et  mécanisme  des  variations  du  taux  de  l'intérêt  (en  France  de  1800 
à  nosjours).  Alcan,  1930,  (Thèse  Lettres,  Paris). 

MARION  (Marcel).  -  Histoire  financière  de  la  France,  depuis  1715  (t.  V.  :  1819-1875,  t  VI  :  1876-1914). 
A  Rousseau,  1914-1931,  6  vol.  In-8°. 

MATHOREL  (Henri)  -  La  situation  de  nos  sociétés  de  crédit.  Le  Comptoir  d'Escompte.  Typ.  Balitout,  1873, 
In-8°,  23  p.  (A.  N.  65  AQ). 

MAYER  (Eugène).  -  Le  Crédit  Foncier  de  France  devant  les  Chambres.  (1876)  [A.  N.  65  AQ) 

NEU  (Justin).  -  La  vérité  sur  la  Tunisie.  -  A  Chaix,  1870,  ln-8°,  42  p.  [8°  03  i  50] 

Note  sur  le  rôle  et  les  attributions  de  la  Commission  financière  tunisienne  relativement  à  l'établissement 
des  voies  de  communication  dons  la  Régence  de  Tunis  (septembre  1875).  -  Imp.  P.  Dupont, 
1875,  in-4°,  35  p.  [0  3  i  113]. 

OUTREY  (Edmond).  -  Avenir  financier  de  la  Tunisie.  -  Ghio,  1879,  in-16, 111-43  p.  [8°  0  3  138], 

PAYSANT  (L.),  rédacteur  du  journal  VAkhbar.  -  Le  Bey  de  Tunis  devant  l'opinion  publique.  -  Alger,  F. 
Paysant,  1869,  in-4°  15  p.  [0  3  i  49]. 

PONTET  DE  FONVENT  (Henry).  La  Tunisie,  son  passé,  son  avenir  et  la  question  financière.  -  Gisors,  Bardel, 
1872,  In-8°,  32  p.  [8°0  3i55], 

Rapport  sur  l'exercice  quinquennal  1870-1875  de  la  gestion  des  revenus  concédés  par  le  service  de  la 
dette  tunisienne,  présenté  à  S.E.M.  Le  Président  de  la  Commission  financière  parles  membres  du 
Comité  de  Contrôle  de  la  dite  commission  délégués  des  porteurs  de  titres.  -  Bône,  Imp.  Dagand, 
1875,  In-  4°,  10  p.30  tabl.  (F.  0.102/103). 

Réponse  adressée  au  général  Elias  Mussalli  négociateur  d'un  emprunt  à  Paris  sur  le  refus  d'adhésion  par 
le  gouvernement  tunisien  au  projet  d'emprunt  signé  par  le  général  et  M.  Planat,  député  au  Corps 
Législatif,  (du  4  novembre  1866)  (Arch.  Rome.  Doss.  Tunis). 

ROCCA  (Nonce).  -  Réponse  à  des  questions  relatives  à  la  Commission  financière  et  posées  dans  le  journal 
«Le  Sémaphore»  de  Marseille.  -  Bône,  imp.  du  Courrier,  1878,  In-  4°,  14  p.  (Tunis). 

SOURIGUES  (M.)  -  Une  question  qui  intéresse  les  capitalistes  grands  ou  petits.  Assemblée  générale  des 
actionnaires  du  Comptoir  d'Escompte.  -  Guérin,  1867,  In-4°,  4  p.  (A.  N.  65  AQ). 


463 


fi  Les  procès 

Les  affaires  Benaïad  (1853-1856  et  1880-1913). 

Conflit  entre  le  gouvernement  tunisien  et  le  général  Benaïad,  ancien  ministre  et  fermier  général 
du  bey,  réfugié  à  Paris,  au  sujet  de  la  gestion  financière  de  ce  dernier.  La  sentence  arbitrale  rendue 
par  Napoléon  III  en  1856  ne  mit  pas  fin  au  litige  qui  rebondit  à  partir  de  1880  après  l'ouverture  de  la 
succession  Benaïad. 

BENAÏAD  (Mahmoud).-  Notice  sur  le  général  Benaïad,  sa  famille  et  son  administration  à  Tunis.  -  Cosson, 

1853,  10-8°,  23  p.  (Dupont,  1875,  réimpression)  [0  3  i  56]. 

Deux  notes  du  général  Mahmoud  Benaïad  à  Son  Excellence  Mr  le  ministre  des  Affaires  étrangères 
accompagnées  des  pièces  justificatives.  -  1853,  In-8°. 

Note  réfutative  du  général  Mahmoud  Benaïad  sur  le  mémoire  lithographié  des  agents  du 
gouvernement  tunisien,  intitulé  ;  «Réponse  aux  réclamations  de  M.  Benaïad».  Lahure,  1854, 
In-4,  66  p.  [03  i  57]. 

Extrait  des  «Mémoires»  du  général  Benaïad  relatifs  au  mandat  au  porteur  de  5  millions  sur  la 
ferme  des  cuirs  souscrit  par  le  gouvernement  tunisien  et  négocié  par  MM.  Périerfrères.  -  Lahure, 

1854,  In-4°,  19  p.  [0  3  i  59], 

Etat  des  questions  entre  le  général  Benaïad  et  le  gouvernement  tunisien,  après  la  note  explicative 
en  date  du  12  septembre  1854,  et/o  note  supplémentaire  en  date  du  2  novembre  1854  produites 
par  les  agents  de  ce  gouvernement.  -  Lahure,  1854,  In-4°,  41  p.  [0  3  i  60] 

Note  du  général  Benaïad  sur  la  sixième  communication  des  agents  tunisiens.  Pion,  1856,  In-4° 
]0  3  i  71]. 

Le  général  Benaïad  sur  la  onzième  communication  tunisienne  (teskérés  de  sortie  d'huile).  -  Pion, 
1856,  In-4°  ]0  3  i  72]. 

Explications  du  général  Benaïad  aux  dernières  questions  du  Comité  sur  ses  réclamations 
personnelles.  -  Pion,  1856,  In-4°  [0  3  i  74]. 

Lettre  adressée  le  2  mars  185  7  a  Son  Altesse  le  Bey  de  Tunis  par  le  général  Mahmoud  Benaïad. 
Impr.  de  Dubois  et  Vert,  s  d.,  In-4°  [0  3  i  78], 

Ibid.,  en  arabe  [0  3  i  79]. 

Lettre  adressée  le  30  mars  185  7  à  Son  Altesse  le  Bey  de  Tunis.  Pion,  1857,  ln-4°  [0  3  i  80]. 

]Général  KHÉRÉDINE]  -  Réplique  à  la  Note  réfutative  de  M.  Benaïad.  -  Chaix,  1854,  In-4°  [0  3  i  58], 

Réponse  sur  les  réclamations  de  M.  Benaïad  contre  le  gouvernement  tunisien.  Chaix,  1855,  In-4° 
]0  3  i  61]. 

Etat  des  pièces  justificatives  classées  par  chapitres  avec  les  explications  qui  en  déterminent  la 
signification  et  la  valeur.  -  Chaix,  1885,  In-4°  [0  3  i  62]. 

Réponses  aux  questions  du  Grand  Conseil  touchant  les  répétitions  exercées  par  le  gouvernement 
de  Tunis  contre  Mahmoud  Benaïad.  -  Chaix,  1856,  ln-4°  [0  3  i  70]. 

Réponse  du  Général  Khérédine  aux  observations  de  M.  Benaïad  sur  la  IV’"‘  communication 
tunisienne  (teskérés  de  sortie  d'huilej  15  juillet  1856.  -  Chaix,  1856,  In-4°  ]0  3  i  73]. 

Sentence  arbitrale  rendue  par  Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français  sur  les  réclamations  réciproques  de 
Son  Altesse  le  Bey  de  Tunis  et  le  général  Benaïad  (30  novembre  1856).  -  Pion,  1857,  In-4°  [0  3 
i  75]. 

Ibid,  en  arabe  [0  3  i  76], 

Résumé  des  comptes  dressés  pour  l'exécution  de  la  sentence  arbitrale  rendue  le  30  novembre  1856  par 
Sa  Majesté  l'Empereur  Napoléon  III,  entre  Son  Altesse  le  Bey  de  Tunis  et  le  général  Mahmoud 
Benaïad.  Pion,  1857,  Gr.  In-foI„  1  p.  [0  3  i  77], 

Conclusions  du  procureur  de  la  République,  M.  Cruppi  et  jugement  de  la  1ère  chambre  du  tribunal  civil 
de  la  Seine,  rendu  le  18  juillet  1885  en  faveur  de  la  succession  du  général  Mahmoud  Benaïad 
contre  Hamida  Benaïad  et  consorts.  lmp.  L.  Guérin,  1885,  Gr.  In-8°,  89  p.  [Arch.  Tun.~). 

CRUPPI  (M'  Jean).  -  Tribunal  civil  de  Tunis  T"  chambre,  Affaire  Benaïad  contre  le  gouvernement  tunisien. 

Plaidoirie...  pour  les  héritiers  Benaïad,  audiences  des  10,  11,  12  décembre  1912.  Extraits  des 


464 


consultations  de  Mmes  Raymond  Poincaré,  Milliard,  Millerand.  Jugement  du  tribunal  civil  de 
Tunis,  du  29 janvier  1913.  -  lmp.  P.  Dupont,  1913,  In-8°,  214  p.  (Prêt  Tunis). 

LENTE  (Erédéric).  -  Tribunal  civil  de  la  Seine.  Chambre  ;  Mémoire  à  l'appui  de  la  cause  du  général 

Hamida  Ben  Abdurrahman  Benayad  et  de  ses  frères,  le  colonel  Aly  et  Hassouna  Benayad  contre 
les  héritiers  de  feu  leur  oncle,  le  général  Mahmoud  Benayad.  lmp.  Vve  Renou,  1885,  In-4°,  83 
p.  (Ibid.). 

VIVIANI  (M®  René).  -  Cour  d’appel  d'Alger.  P"  chambre  de  la  cour-Plaidoiries...  pour  S.  A.  le  Bey  de  Tunis 
et  le  gouvernement  tunisien  contre  les  consorts  Ben  Aïad  (audiences  des  27,  28,  29,  30  octobre 
1913).  -  lmp.  P.  Dupont,  1913,  In-8°,  214  p.  (Ibid.). 

* 

Affaire  de  la  Djédeida  (1871-1873).  -  Affaire  politico-financière  qui  opposa  au  bey  la  société  agricole 

de  la  Djédeida  animée  par  le  baron  Castelnuovo  et  qui  fut  réglée  par  voie  d'arbitrage. 

Governo  di  S.  A.  S.  Il  Bey  di  Tunisi  e  société  per  la  Tunisia.  Documenti  prodotti  dal  govemo  di  Tunisi.  - 
Eirenze,  Niccolai,  1872,  In-4°,  65  p.  (Arch.  Tun.  Carton  245). 

LUCHINI  (Aw.  Odoardo).  -  Govemo  di.  S.  A.  S.  Il  Bey  di  Tunisie  e  Société  per  la  Tunisia.  -  Eirenze,  Niccolai, 
1872,  In-4  359  p.  (Arch..  Tun.  Carton  245). 

Documents  relatifs  à  M.  le  Baron  Jacques  Castelnuovo.  Réponses  à  la  lettre  adressée  par  M.  le  baron 
Castelnuovo  à  l'honorable  avocat  de  la  Société  industrielle,  commerciale  et  agricole  pour  la 
Tunisie  en  date  du  15  juillet  1872.  Documents  communiqués  à  MM.  les  arbitres  par  ordre  du 
gouvernement  tunisien...  Elorence,  lmp.  L.  Niccolai,  1872,  In-4°,  67  p.  (Ibid.). 

Tribunale  arbitrale  istituito  col  compromesso  15  Febbraio  e  24  Marzo  1872.  Govemo  di  S.  A.  S.  il  Bey 
di  Tunisi  e  Société  par  la  Tunisia.  Documenti  prodotti  dal  Govemo  di  Tunisi.  -  Eirenze,  lmp  L. 
Niccolai,  1872,  In-8°,  65  p.  (Ibid.) 

Vertenza  tra  la  Société  anonima  commerciale  ed  industriale  per  la  Tunisia  ed  il  govemo  di  S.  A.  Il  Bey 
di  Tunisi...  Documenti  presentati  al  tribunale  arbitrale  presieduto  da  S.  E.  il  Ministre  di  Stato 
Commendatore  Vigliani.  -  Rome,  Eredi  Botta,  1872,  In-4°,  XVI  194p  (Bibl.  Aff.  Etr.  Rome). 

* 

Affaires  Colin  et  Caillat.  -  Réclamations  successives  de  deux  ingénieurs  au  service  du  bey  en  vue 

d'obtenir  le  paiement  complet  de  travaux  de  réfection  et  d'entretien  de  l'aqueduc  de  Zaghouan. 

[COLIN  (P.)].  -  Mémoire  justificatif  des  droits  de  M.  Colin,  ingénieur  civil  à  la  constitution  d'un  nouveau 
tribunal  arbitral  pour  statuer  sur  les  différends  existant  entre  lui  et  S.  A.  le  Bey  de  Tunis.  -  lmp. 
Hugonis,  1873,  In-4°,  39-23  p.  [4°  E  3  7264], 

[BRULAT  (A.)[.  -  Mémoire  pour  les  créanciers  de  M.  Philippe  Caillat  contre  le  gouvernement  tunisien.  - 
lmp.  Perreau,  1872,  In-4,  26  p.  [4'=  f  3  4949]. 

[MAGGIORANI  (0.)J.  -  Le  gouvernement  de  S.  A.  le  bey  de  Tunis  et  le  sieur  Ph.  Caillat.  Réfutation  de  la 
réponse  au  rapport  consultatif  de  1877.  -  Rome,  lmp.  du  Sénat,  1880,  In-8°,  V-54  p.  [0  3  i 
598], 

Pièces  adressées  à  M.  Philippe  Caillat  ingénieur  de  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  relativement  aux  spoliations  dont 
il  a  été  victime  en  1870.  lmp.  Perreau,  1872,  In-4°,  42  p. 

Pièces  justificatives  à  annexer  au  mémoire  présenté  pour  les  créanciers  de  M.  Philippe  Caillat  contre  le 
gouvernement  tunisien.  -  lmp.  Perreau,  1872,  In-4°,  36  p.  [4°  F  3  4949], 

Récapitulation  des  comptes  à  annexer  au  mémoire  présenté  pour  les  créanciers  de  M.  Philippe  Caillat 
contre  le  gouvernement  tunisien.  -  lmp.  Perreau,  1878,  In-i°,  28  p.  lithogr.  (Arch.  Caillat). 

Sentence  rendue  par  la  commission  arbitrale  nommée  par  les  gouvernements  français  et  tunisien  à  l'effet 
de  statuer  en  dernier  ressort  sur  les  réclamations  de  Mr  Ph.  Caillat  contre  le  gouvernement  de  S. 
A.  Ee  Bey  de  Tunis.  -  Tunis,  typ.  Finzi,  1880,  In-8°,  29  p.  (Ibid.). 


Affaire  de  Sidi-Tabet.  (1873-1879).  -  Litige  opposant  au  bey  le  comte  de  Sancy,  concessionnaire  du 
domaine  de  Sidi-Tabet,  qui  fut  réglé  en  1879  par  une  commission  arbitrale  après  l'intervention 
du  gouvernement  français  en  faveur  de  Sancy. 


465 


[BOUTEILLE  (Eernand)  et  VINCENT  (L.).]  -  Historique  des  contrats  de  M.  le  Comte  de  Sancy  avec  S.  A.  Le 
Bey  de  Tunis,  MM.  Carter,  Tiffany  et  Wise  et  Mme  Ronalds.  -  Aix,  A.  Makaire,  1874,  In-4°  12-10 
p.  (Cagliari). 

DE  FRANCESCO  (J.).  -  Considérations  sur  le  conflit  franco-tunisien.  -  Cagliari,  lmp.  de  l'Avvenire  di 
Sardegna,  1879,  In-8°,  48  p.  (A//,  étr.  Rome). 

EMERIT  (Marcel).  -  Aux  origines  de  la  colonisation  française  en  Tunisie.  (LAffaire  de  Sidi-Tabet).  -  R.  Afr. 
t.  LXXXIX,  1945,  pp.  201-235. 

* 

Affaire  Samama  (1873-1886).  -  Série  de  procès  intentés  principalement  en  Italie  autour  de  la 
succession  du  caïd  Nessim  Samama,  ancien  trésorier  du  bey,  qui  mirent  aux  prises  les  neveux 
Samama  légataires  ou  déshérités  ainsi  que  l'Etat  tunisien,  victime  des  prévarications  du  caïd 
Nessim. 

Aw.  ANDREUCCT,  GALEOl  11,  etc.  -  R.  Corte  d'Appello  di  Lucca.  Memoria  in  causa  governo  di  Tunisi  e 
Samama.  Applicazione  délia  legge  ebraica...  -  Firenze,  Niccolai,  1879,  In-l",  440  p.  (Arch.  Tun. 
carton  108). 

Real  Corte  d'appello  di  Lucca.  Note  in  causa  Governo  di  Tunisi  e  Samama  in  replica  aile  memorie 
Villa  e  Cassuto.  -  Firenze,  Niccolai,  1880,  In-l",  24  p.  (Ibid.). 

BENAÏAD  (Mahmoud).  -  Lettre  adressée  à  S.  Exc.  le  général  Hussein,  chargé  d'affaires  du  Bey  de  Tunis,  à 
Livourne.  -  Dupont,  1875,  In-8‘’,  7  p.  [0  3  i  106], 

Seconde  lettre  adressée  par  S.  Exc.  le  général  Mahmoud  Benaïad  au  général  Hussein.  Dupont, 
1875,  In-8°  [0  3  i  104]. 

Réponse  du  Général  Benaïad  à  la  lettre  du  général  Hussein,  ministre  du  Bey  de  Tunis.  -  Dupont, 
1875,  In-8°  [0  3  i  103]. 

Lettre  du  général  Mahmoud  Benaïad  adressée  au  Directeur  du  journal  «L’Italie».  -  Dupont, 
1875,  In-8°  [0  3  i  107]. 

Note  rectificative  présentée  par  le  général  Mahmoud  Benaïad  au  second  mémoire  des  héritiers 
du  Caïd  Nessim  Samama.  -  Dupont. 1875,  1^8°,  31  p.  [0  3  i  105], 

Réplique  pour  le  général  Benaïad  aux  accusations  de  M.  Heussein.  -  Dupont,  1876,  In-8°  [0  3  i 
119]. 

BENAMOZECH  (Elia).  -  Dellefonti  e  del  testamento  delfù  conte  caid  Nissim  Samama...  Livorno,  Zecchini, 
1882,  In-8°,  83  p.  (Arch.  Tun.  Carton  108). 

CASSUTO  (AW.  Dario).  -  Thbunale  civile  di  Livomo.  Giuseppe  Semama  contro  Comm.  Giacomo  Guttieres 
N.  N.  -  Livorno,  Zecchini,  1885,  In-8°,  42  p.  (Arch.  Tun.  carton  103). 

CASTELLI  (David).  -  Confutazione  delParerefirmato  dalsig.  Rabbino  Roberto  Eunaro...  Firenze,  Niccolai, 
1877,  In-8°,31p.  (Ibid.). 

Secondo  parère  sulla  validité  seconda  la  legge  ebraica  del  testamento  del  fù  caid  Nissim 
Samama.  -  Ibid.,  In-8°,  18  p.  (Ibid.). 

Terzo  parère  sulla  validité  secondo  la  legge  ebraica  del  testamento  delfù  Caid  Nissim  Samama 
-  Ibid.,  In-8°,  17  p.  (Ibid.). 

Osservazioni  sul  parère  dei  professori  De  Benedetto  e  Serafini  sulla  validità  del  testamento  del 
sig.  conte  Caid  Nissim  Samama  secondo  il  diritto  ebraico.  -  Firenze,  Niccolai,  1878,  In-8°,  39  p. 
(Arch.  Tun.  carton  104). 

Il  diritto  di  testare  nella  legislazione  ebraica...  Firenze.  Le  Monnier,  1878,  In-8°, 

60  p.  (Ibid.). 

Replica  ai  pareri  del  Rabbino  ].  Costa  e  di  altri  rabbini  sulla  validità  del  testamento  delfù  Conte 
Caid  Nissim  Samama.  -  Firenze,  Niccolai,  1879,  10-8°,  22  p.  (Ibid.). 

Osservazioni  sui  testi  ebraici  prodotti  dai  sostenitori  délia  validità  del  testamento  del  Caid 
Nissim  Samama.  Firenze,  Niccolai,  1882,  In-8°,  15  p.  (Ibid.). 

Aw.  CORSI,  MUGNAI  et  CAMPETTI.  -  Corte  Reale  di  Appello  sedente  in  Eucca.  Note  dopo  le  discussioni 
in  causa  comm.  Giacomo  Guttieres,  N.  N.  et  cav.  G.  Samama.  -  Livorno,  Vigo,  1885,  In-4°,  23  p. 

466 


(Arch.  Tun.  carton  103). 

Du  BUrr.  -  Cour  d'appel  de  Paris  P"  Chambre,  Note  pour  S.  E.  Taher  Benatad,  fils  du  général  Mahmoud 
Benaïad  et  son  héritier,  contre  les  héritiers  de  Nessim  Samama.  -  lmp.  Vve  Renou,  1882,  In-  4°, 
39  p.  (Ibid.). 

GALEOl  11  (avv.  Leopoldo)  ;  etc...  -  Corte  di  Cassazione  di  Firenze.  Memoria  in  Causa  Govemo  di  Tunisi  e 
Samama.  -  Firenze,  Tipogr.  Bonducciana  di  A.  Alessandri,  1881,  In-8°,  VI-299  p.  (Ibid.). 

HEUSSEIN  (Général).  -  Exposé  des  réclamations  du  gouvernement  tunisien  contre  le  feu  Caïd  Nissim 
Samama  et  contre  ses  ayants  cause,  1874,  In-4°,  30  p.  (F.  O.  102/101). 

Eettre  du  général  Heussein  au  collège  de  la  défense  du  gouvernement  tunisien,  dans  l'affaire 
du  Caïd  Nessim  Samama.  -  lmp.  Vve  Renou,  (1878),  ln-i°,  35  p.  (traduit  de  l'arabe)  [4°  En  3 
2581]. 

Eettera  del  generale  Heussein,  all'onorevole  avvocato  Comm.  Adriano  Mari.  Livorno,  Tip. 
Francesco  Vigo,  1880,  In-4°,  31  p.  [4°  0  3  V  71]. 

Réponse  du  général  Heussein  au  général  Mahmoud  Benaïad.  -  Livourne,  imp.  F.  Vigo,  1875, 
In-4°,  157  p.  (traduit  de  l'arabe)  (Arch.  Tun.  carton  109). 

Ibid,  en  italien. 

MUGNAI  (aw.  Vincenzo).  -  Tribunale  civile  di  Eivomo.  -  Note  defensionali  afavore  del  sig.  comm.  Giacomo 
Guttieres  N.  N.  contro  il  sig.  cav.  Giuseppe  Samama.  -  Livorno,  Vigo,  1885,  ln-4°,  20  p.  (Arch. 
Tun,  carton  103). 

PUCQ  (avv.  Achille).  Excellentissima  Corte  di  Appello  di  Lucca,  sezione  civile.  Note  dopo  le  discussioni  a 
favore  del  sig.  cav.  G.  Semama  contro  il  sig.  comm.  Giacomo  Guttieres  N.  N.  -  Livorno,  Zecchini, 
1885  (Arch.  Tun.,  carton  103). 

(RENDU  et  MEUNIER]  -1®'®  chambre  de  la  Cour...  succession  Samama.  Note  pour  les  légataires  intervenants 
en  réponse  aux  conclusions  de  M.  l'avocat  général.  -  Pontoise,  Imp.  A.  Paris,  1882,  In-4°,  3  p. 
14'=  En  3  2580], 

Tunis  en  France,  questions  politiques  contemporaines  par  un  diplomate.  -  Genève,  C.  Perrotel,  1882, 
In-16,  VIII-200  p.  [8°  0  3  i  827]. 

* 

Affaire  Elmilik.  -  Revendications  d'un  secrétaire  du  général  Heussein  à  l'égard  de  la  succession  de  son 
ancien  employeur. 

ELMILIK  (Léon).  -  Extrait  des  registres  présentés  par  M.  Féon  Elmilik  ex-administrateur  et  secrétaire  de 
S.  E.  le  général  Heussein.  Livourne,  1885,  In-8‘',  79  p.  (Arch.  Tun.  carton  109). 

Gouvernement  tunisien  et  succession  Heussein.  Notes  explicatives...  Tunis,  Imp.  Internationale, 
1869,  In-4°,  125  p.  (Arch.  Tun.  carton  108). 

Arbitrage  Léon  Elmilik  contre  le  gouvernement  tunisien.  Conclusions  de  Mr  Elmilik  déposées 
aux  arbitres  MM.  Auguste  Ventre  et  Raymond  Valensi.  -  Ibid.,  1890,  ln-4°,  XVII-29  p.  (Arch.  tun. 
carton  109). 

Mémoire  du  Chevalier  Léon  Elmilik  adressé  à  ses  avocats  contre  Heussein  Pacha,  ex-  général 
tunisien.  -  Tunis,  Imp  V  Finzi,  1885,  In-4°,  351-260  p.  (trad.  de  l'italien  par  Z.  Eymon)  (Ibid.). 

(GUEYDAN  (A.)  et  SANllLLANA  (B.)].Arbitrage.  Réclamations  du  sieur  Léon  Elmilikcontrele  gouvernement 
tunisien.  Mémoire  pour  le  gouvernement  tunisien.  -  Tunis,  Imp.  B.  Borrel,  1890,  Grd  In-8°,  152 
p.  [4°  En  3  5721], 

HEUSSEIN  (Général).  -  Note  personnelle  à  mes  honorables  avocats.  Lettre  du  général  Heussein  relative  à 
la  demande  formée  contre  M.  Elmilik  devant  le  tribunal  de  Tunis.  -  Imp  Vve  Renou,  1885,  In-8°, 
8  p.  (Traduit  de  l'arabe)  ]8°  F  n  3  681]. 

•F 

Affaire  Vandoni.  -  Conflit  entre  le  bey  et  l'un  de  ses  anciens  agents  au  sujet  de  frais  de  mission  et  de 
représentation. 

GRANDCHAMP  (Pierre).  -  Dix  mémoires  en  italien  sur  le  procès  Vandoni  (1869-1879).  R.  T.,  1919,  pp. 
34  7-349. 

467 


HUGON  (H.).  -  Un  singulier  diplomate,  le  comte  de  Vandoni  «agent  et  consul  général  du  bey  Mohamed  es 
Sadok».  R.  T.  1918,  pp. 349-362. 

Diritti  e  crediti  del  conte  F.  B.  de  Vandoni  verso  S.  A.  Il  Principe  Mohammed  El-Sadock  Bey  di  Tunisi... 
Roma,  Cecchini,  1876,  42  p.  (Bibl.  Aff.  étr.  Rome). 

[Aw.  MAGGIORANl]  -  Commissione  consultativa  nominata  da  S.  A.  Il  Bey  di  Tunisi.  Memoria  a  favore 
del  Govemo  di  S.  A.  Il  Bey  contro  Frederico  Bartolozzi  conte  d’Vandoni...  Roma,  Barbera,  1879 
(Arch.  Tun.). 


Affaire  de  l'Enfida.  (1880-1882).  -  Affaire  essentiellement  politique  ayant  pris  les  apparences  d'un 
conflit  d'ordre  privé  entre  la  Société  Marseillaise  et  le  Juif  anglais  Levy  au  sujet  de  la  possession  du 
domaine  tunisien  de  l'Enfida. 

BROADLEY  (Alexander-Meyrick).  -  France  and  Tunis.  -  London,  1881,  In-8‘’,  51  p.,  2  cartes  h.-t  (Br. 
Muséum). 

GANIAGE  (Jean).  -  Une  affaire  tunisienne,  l'affaire  de  l'Enfida  (1880-1882).  -  R.  Afr.,  1955,  pp.  341- 
378. 

LOTH  (Gaston).  -  E'Enfida  et  Sidi-Tabet  :  la  grande  colonisation  française  en  Tunisie.  -  Tunis,  Impr. 
Rapide,  1910,  In-8‘',  193  p.  ill  [4'=  0  3  i  1190], 

[REY  (Albert)].  -  Société  Marseillaise  de  Crédit  industriel  et  commercial  et  de  dépôts...  Mémoire  sur 
l'affaire  de  l'Enfida,  propriété  acquise  de  S.  A.  Khéredine  Pacha  (Tunisief.  -  Chaix,  1881  Gr.  In-8°, 
64  p.  [4'=  Lb  57  7767], 

Société  agricole  et  immobilière  franco-africaine.  -  L'Enfida,  son  passé  et  son  avenir.  -  Maréchal,  1889, 
In-l",  72  p.,  ills  (Ch.  Comm.  Marseille). 

* 


Affaires  diverses. 

BATAILLE  (Albert).  Causes  criminelles  et  mondaines  de  1881.  -  E.  Dentu,  1882  (Affaire  Roustan- 
Rochefort,  pp.  326-375)  [8°  E  1850], 

GREGOIRE  (Eugène).  -  Mémoire  sur  l'autorité  erga  omnes  dans  les  limites  du  territoire  de  la  Régence 
de  Tunis  des  jugements  en  matière  immobilière  par  le  tribunal  musulman  ou  chaâra,  de  Tunis, 
soit  entre  Tunisiens,  soit  entre  Tunisiens  et  Européens.  -  lmp.  A.  Lahure,  s.  d.  (1885)  In-4‘',  VI- 
170. L.V  p. 

Mémoire  pour  le  sieur  Joseph  Cohen  contre  le  prince  Sidi-Taïeb  Bey,  d'une  part,  et  le  gouvernement 
tunisien  d'autre  part.  -  lmp.  Schiller,  1881,  In-l",  24  p.  [4°  E  n3  2973]. 

Pontois  (Honoré).  -  Les  odeurs  de  Tunis.  -  Savine,  1889,  In-18,  IV-542  p.  ]0  3  i  270]. 

g)  Périodiques 

Nous  avons  dépouillé  systématiquement  la  Revue  Tunisienne,  publication  trimestrielle 
entreprise  à  partir  de  1894  par  l'Institut  de  Carthage  et  qui,  à  part  une  brève  interruption  pendant 
la  guerre  mondiale  fut  poursuivie  jusqu'en  1948.  La  Revue  Tunisienne  contient,  surtout  à  partir  de 
1929,  un  grand  nombre  d'articles  ou  de  chroniques  historiques  dûs  à  des  érudits  ou  des  chercheurs 
locaux.  La  succession  a  été  reprise  depuis  1953,  par  les  Cahiers  de  Tunisie,  publication  de  l'Institut 
des  Hautes  Etudes  de  Tunis,  orientée  spécialement  vers  l'étude  des  sciences  humaines.  La  Revue 
Africaine  publiée  à  Alger  depuis  1856  par  la  Société  historique  algérienne  s'est  également  beaucoup 
intéressée  à  l'histoire  tunisienne  dans  ces  dernières  années  sous  l'impulsion  de  M.  Emerit, 
professeur  à  la  faculté  des  lettres.  Les  Annales  de  Géographie,  de  leur  côté,  ont  publié  plusieurs 
articles  de  M.  J.  Despois  consacrés  autant  à  l'histoire  qu'à  la  géographie  humaine  de  la  Tunisie. 
Nous  avons  fait  appel  également  à  d'autres  revues,  de  valeur  souvent  inégale,  mais  qui  présentaient 
l'intérêt  d'être  contemporaines  des  événements  que  nous  nous  proposions  d'étudier.  Mais,  de  façon 
générale,  les  articles  de  la  presse  politique  et  financière,  française  et  étrangère  entre  1860  et  1881 
se  sont  révélés  infiniment  plus  riches  de  renseignements  que  ceux  des  revues  anciennes  que  nous 
avons  utilisés. 

Tunis  n'ayant  pas  d'autre  presse  que  le  journal  officiel,  le  Raid  et  Tounsi,  des  chroniques 
tunisiennes  étaient  ouvertes  dans  plusieurs  journaux  de  France  et  d'Italie,  le  Sémaphore  et  la 

468 


Gazette  du  Midi  de  Marseille,  VAvvenire  di  Sardegna,  de  Cagliari,  puis  la  Riforma,  organe  de  Crispi.  On 
peut  suivre  ainsi  à  travers  les  polémiques  entre  chroniqueurs  locaux  la  petite  histoire  de  la  colonie 
européenne  à  la  veille  du  protectorat. 

Les  affaires  financières  tunisiennes  ont  été  évoquées  dans  des  hebdomadaires  parisiens 
spécialisés,  tels  la  Semaine  Financière,  le  Moniteur  de  l'Epargne,  le  Journal  des  actionnaires  et  surtout 
la  Réforme  Financière,  organe  de  chantage  qui  se  livra  à  de  violentes  attaques  contre  les  animateurs 
des  emprunts  tunisiens  sous  couleur  de  défendre  les  épargnants  français  atteints  par  la  banqueroute 
financière  de  la  Régence.  Mais  ce  fut  dans  la  presse  politique  française  que  les  affaires  tunisiennes, 
financières  d'ailleurs  autant  que  politiques,  furent  l'objet  des  plus  larges  commentaires.  A  l'automne 
de  1881,  les  quotidiens  d'extrême  gauche  et  de  droite  entraînés  par  l'Intransigeant  de  Rochefort, 
lancèrent  de  violentes  attaques  contre  le  cabinet  Ferry  et  la  majorité  opportuniste.  L'étude  de  journaux 
comme  Injustice,  le  Petit  Parisien,  le  Clairon,  le  Mot  d'ordre  ou  Politique  d'action  pendant  cette  période 
est  absolument  indispensable  pour  la  détermination  des  origines  du  protectorat  tunisien.  Mais  il 
faut  évidemment  la  compléter  par  celle  des  débats  parlementaires  en  France  et  à  l'étranger,  dont  on 
trouve  le  compte  rendu  dans  des  publications  spécialisées,  Journal  Officiel  français,  Hansard's,  Atti 
parlamentari  italiens. 

Hebdomadaires  financiers 
Comic  Finances  (1868-1870) 

Corriere  mercantile  maltese  (1870)  (V.  Emm.) 

Economist  (The)(1865-68) 

Economiste  (L')  de  Malte  (18  76)  (Cagliari) 

Epargne  (L')  (1868) 

Finance  (La)  (1872) 

Finance  et  l'industrie  illustrées  (La)  (1878-1882) 

Finanza  (La)  de  Milan  (1877-80)  (V.  Emm.) 

Journal  des  actionnaires  (Le)  (1864-82) 

Journal  des  chemins  de  fer  (Le)  1868) 

Journal  financier  (Le)  (1867-1869) 

Moniteur  de  l'épargne  (Le)  (1879-1880) 

Moniteur  desfonds  publics  et  des  valeurs  industrielles  (Le)  (1869-70) 

Moniteur  des  intérêts  matériels  (Le)  (1863,1868-70) 

Notre  petit  journal  financier  (1879) 

Réforme  financière  (La)  (1872-1881) 

Semaine  financière  (La)  (1863-1882) 

Presse  politique  et  d'information 

Byrgys  Barys  (E'aigle  de  Paris),  journal  en  arabe  paraissant  deux  fois  par  mois  (1859-66) 

Clairon  (Le)  (1881) 

Constitutionnel  (Le)  (1878,1881) 

Estafette  (L')  (1876-77,  octobre  1889) 

Evénement  (L')  (1881) 

Figaro  (Le)  (1868-70,1878-81,1885,1891) 

Gaulois  (Le)(1869-72) 

Illustration  (L')  (1878-1881) 

Intransigeant  (L')  (1880-1882) 

Journal  des  débats  (Le)  (1881) 

Justice  (La)  (1881) 


469 


Lanterne  (La)  (1879-1881) 

Liberté  (La)  (1868,1878-1881) 
Moniteur  (Le)  (1866-1870) 

Mot  d'ordre  (Le)  (1879-81) 

Napoléon  (Le)  (1881) 

Pans  (1881) 

Patrie  (La)  (mars  1868) 

Petit  Parisien  (Le)  (1881) 

Politique  d'action  (La)  (1881) 

Presse  (La)  (186  8) 

Radical  (Le)  (1881) 

Rappel  (Le)  (1880-1881) 

République  française  (La)  (1875-1881) 
Soir  (Le)  (1879-1881) 

Temps  (Le)  (1865-1868,1876-1881) 
Vérité  (La)  (1881) 


Comédie  politique  (La),  hebdomadaire  de  Lyon  (1881) 
Gazette  du  Midi  (La),  Marseille  (1875-1881) 

Peuple  (Le),  Marseille  (1876-1879) 

Sémaphore  (Le),  Marseille  (1865-1881) 

Seybouse  (La),  Bône  (1878-1881)8 
Daily  Telegraph  (The),  Londres  (1881) 

Pall  Mail  Gazette  (The),  Londres  (1881) 

Standard  (The),  Londres  (1881) 

Times  (The),  Londres  (1876-1881) 

Avvenire  di  Sardegna  (L'),  Cagliari  (1871-82,1887,  oct  1889) 
Costituzione  (La),  Turin  (1862-1864) 

Diritto  (II),  Rome  (1864,1881) 

Italie  (L'),  Rome  (1869-1877,1881) 

Mostakel  (El),  hebdomadaire  en  arabe,  Cagliari  (1880-81) 
Opinione  (L'),  Rome  (1878-1881,1889) 

Popolo  Romano  (II),  Rome  (1878-1881) 

Riforma  (La),  Rome  (1878,1881) 

Tunis-Journal  (1884-1885) 

h)  Biographies 


(Br. 

Mus.) 

{Br. 

Mus.) 

(Br. 

Mus.) 

(Cagliarip 

(V. 

Emm.) 

(V. 

Emm.) 

(V. 

Emm.) 

(Cagliari) 

(V. 

Emm.) 

(V. 

Emm.) 

(V. 

Emm.) 

(Tunis) 

Pour  reconstituer  la  biographie  des  personnages  ayant  joué  un  rôle  dans  cette  histoire,  nous 
avons  fait  appel  à  des  documents  manuscrits  autant  qu’à  des  recueils  imprimés.  Les  annuaires 
diplomatiques  français,  anglais  (F.  0.  List)  et  italiens,  les  fichiers  des  ministères  des  affaires  étrangères 
français  et  italien  nous  ont  fourni  la  carrière  des  divers  consuls  et  diplomates.  Nous  avons  utilisé  de 


8  La  collection  de  la  Bibliothèque  nationale  est  très  incomplète  et  la  plupart  des  numéros  de  la  Seybouse  sont 
mutilés  de  coupures. 

9  II  n'existe  à  Rome  qu'une  collection  très  incomplète  de  VAvvenire  di  Sardegna  (1876,  1879-88).  Il  en  est 
malheureusement  de  même  pour  la  plupart  des  ^tJCQidiens  italiens  de  cette  époque. 


la  même  façon  le  fichier  du  ministère  de  la  Guerre  français,  le  livre  d'or  de  l'inspection  des  Finances 
pour  nous  documenter  sur  les  officiers  et  inspecteurs  des  Finances  français  détachés  auprès  du 
gouvernement  tunisien. 

Plusieurs  dictionnaires  biographiques  nous  ont  été  très  utiles  : 

BRUNIALTl  (Attilio).  -Annuario  biografico  universelle.  Raccolta  deipiù  illustri  contemporanei.  -  Unione 
tipografico-editrice  torinese,  1884-1887,  3  vol. 

ROBERT  (Adolphe),  BOURLOTON  (Edgar)  etCouGNY  (Gaston).  -  Dictionnaire  des  parlementaires  français, 
1789-1889.  -  Bourloton,  1889-1890,  5  vol. 

SAPUPPO-ZANGHl  (S.).  -  La  XV"  Législature  italiana.  Roma,  1884. 

SARn  (Telesforo).  -  Il  Parlamento  subalpino  e  nazionale.  Profili  e  cenni  biografici  di  tutti  i  deputati  e 
senatori  eletti  e  creati  dal  1848  al  1890.  -  Terni,  1890. 

STEPHEN  (Leslie)  et  LEE  (Sidney).  -  Dictionary  of National  biography.  -  London,  Smith,  Elder  and  C°, 
1885-1901,  LXIII  vol.. 

VAPEREAU  (Gustave).  -  Dictionnaire  universel  des  contemporains.  -  Hachette,  éd.  de  1861,1865,1870, 
1880  et  1893. 

Who  was  who  ?  a  companion  to  Who's  who  containing  the  biographies  of  those  who  died  during  the 
period  1897-1916.  -  London,  Black,  1920. 

Nous  avons  fait  appel  également  au  Bottin  (1865-1881),  à  l'Encyclopédie  de  Ylslam,  4  vol.  Paris- 
Leyde,  1913-1934,  à  la  Jewish  Encyclopedia,  au  Jewish  Directory,  de  1874,  ainsi  qu'aux  chroniques 
mondaines  du  Temps,  du  Figaro  et  du  Times. 

Restait  cependant  un  grand  nombre  de  personnages,  Tunisiens  pour  la  plupart,  ou  Européens 
fixés  dans  la  Régence  sur  lesquels  les  recueils  biographiques  français,  anglais  ou  italiens  ne  nous 
apportaient  aucun  renseignement.  Grâce  aux  registres  paroissiaux  de  l'église  Sainte-Croix  de  Tunis, 
nous  avons  pu  reconstituer  la  plupart  des  familles  catholiques  de  notables  français  ou  italiens  fixées 
en  Tunisie  avant  1881.  Un  recensement  des  Toscans  devenus  sujets  italiens  en  1861,  l'état-civil  établi 
à  partir  de  1866  au  consulat  d'Italie  nous  ont  permis  de  retrouver  les  alliances  et  la  descendance  des 
principales  familles  d'Israélites  livournais,  sujets  ou  protégés  italiens. 

Les  Tunisiens  musulmans  n'ayant  pas  plus  d'état-civil  que  les  Juifs,  il  était  vain  d'espérer  des 
précisions  analogues  à  celles  que  nous  avions  trouvées  pour  les  Chrétiens  de  la  Régence.  Aussi  avons- 
nous  été  heureux  de  découvrir  dans  les  archives  tunisiennes  des  dossiers  consacrés  aux  principaux 
dignitaires  de  la  cour  beylicale,  à  partir  desquels  nous  avons  reconstitué  leur  carrière  en  nous  aidant 
des  rapports  consulaires  et  de  la  chronique  de  Ben  Dhiaf.  Il  nous  fut  plus  difficile  de  retrouver  les 
origines  des  aventuriers  européens  ou  levantins  qui  s'abattirent  sur  la  Régence  à  partir  de  1860, 
d'autant  que  certains  d'entre  eux  se  dissimulaient  sous  des  noms  d'emprunt.  Un  dépouillement 
systématique  du  Bulletin  des  Lois  à  partir  de  1850  nous  a  fait  découvrir  quelques  décrets  de 
naturalisation  ou  de  changement  de  nom  significatifs.  Nous  avons  cherché  dans  le  fichier  de  la  Grande 
Chancellerie  de  la  Légion  d'honneur,  au  greffe  du  tribunal  de  la  Seine,  procédé  à  des  sondages  dans 
l'état-civil  de  plusieurs  villes  de  province  ou  de  l'étranger,  Beauvais,  Meaux,  Tours,  Dinard,  Poligny, 
Autun,  Sens,  Eécamp,  Vichy,  Menton,  Bône,  et  Milan.  Grâce  à  quelques  hasards  heureux,  il  nous  a  été 
ainsi  possible  de  retrouver  les  antécédents  de  la  plupart  des  hommes  qui  furent  mêlés  aux  affaires 
financières  tunisiennes  à  partir  de  1860. 

Citons  enfin  quelques  ouvrages  qui  nous  ont  apporté  des  renseignements  d'ordre 
biographique  : 

ADAM  (Mme  Juliette).  -  Mes  angoisses  et  nos  luttes,  1871-1873,  l®”'  éd.  -  Lemerre,  1907,  In-18,  406  p. 
[8°  En  27  53110]. 

Nos  amitiés  politiques  avant  l'abandon  de  la  revanche,  5®'"''  éd.  -  Lemerre,  1908,  10-8°  [8  Lb  57 
14518], 

ANDRIEUX  (Louis).  -  Souvenirs  d'un  préfet  de  police.  -  Rouffet  et  Cie.  1885,  2  vol.  In-8°. 

BARBEY  D'AUREVILLY.  -  Polémiques  d'hier.  -  Savine,  1889,  336  p. 

BFTAR  (M.  Y.).  -  Catalogue  des  manuscrits  précieux  et  livres  rares  composant  la  bibliothèque  de  M.  le 
Comte  Rochaïd  Dahdah.  Paris,  1912.  In-  4'471  p.  (Prêt). 


CAMBON  (Paul),  -  Correspondance,  1870-1924.  Tome  premier  (1870-1898)...  avec  commentaires  et 
notes  d'Henri  Cambon  -  Grasset,  1940,  In-8°,  463  p. 

DAUDET  (Ernest),  -  Souvenirs  de  mon  temps.  Débuts  d'un  homme  de  lettres,  1857-1861.  -  Pion,  1921, 
In-8°,  282  p. 

GIOLim  (Giovanni),  -  Memorie  délia  mia  vita.  Con  un  studio  di  Olindo  Malagodi.  -  Milano,  Fr.  Treves, 
1922,  2  Vol.  In-8°. 

GUIRAL  (Pierre).  -  Prévost  -  Paradol  (1829-1870).  Pensée  et  action  d'un  libéral  sous  le  second  Empire.  - 
P.U.F.,  1955,  In-8°,  842  p. 

LETI  (Giuseppe),  -  Elenri  Cemuschi,  patriote,  financier,  philanthrope  apôtre  du  bimétallisme.  Sa  vie,  sa 
doctrine,  ses  œuvres.  Trad  de  Pitalien  par  Louis  Lâchât.  -  P.U.F.,  1936,  In-8°,  294  p.,  fac-similés, 
portr  h.-t  pi. 

MASSON  (P.).  -  Les  Bouches-du-Rhône.  Encyclopédie  départementale,  2®'"''  partie.  Tome  XL  Biographies. 

-  Marseille,  1913,  In-4°. 

POUfOULAT  (Baptistin),  -  Ea  vérité  sur  la  Syrie  et  l'expédition  française.  Avec  une  préface  de  M.  Poujoulat, 

-  Gaume  et  Duprey,  1861,  In-8°,  XXIV  540  p.  [8°  Lh4  733], 


472 


INDEX  ALPHABETIQUE 


A 

ABDALLAH  GUECHE,  rue  de  Tunis,  105 (n). 

ABD  EL  KADER,  20. 

ABDELLEIA  (Tunisie),  95 

ABD-EN-NEBI,  chef  rebelle,  162(n),  170,173, 
173(n). 

ABD  UL-AZIZ,  sultan,  59,175,  262. 

ABD-UL-  MEDJID,  SULTAN,  19. 

ABEASIS,  courtier  isr.,  87,  87(n),  106,  200,  202, 
202,  203,  203(n),  256(n). 

ADAM  (EDMOND),  financier,  197,  207 
AHMED  BEY  (1837-1855),  5,15,15(n),  16, 
17,19,  20(n),  22(n),  25,45(n),  51,  52,  55(n), 
59(n),  61,  61(n),  64,  65,  72,  74,  74(n),  77,  78, 
79,  80,  80(n),  84,  82,  83,  86,  91,  93,  95,  96(n), 
97,  98(n),  102,108(n),  108,111,115,119,120, 
125,144,  190,257,  478. 

AHMED  BOUACHOUR,  caid,  153. 

AHMEDIA,  frégate,  86. 

AHSEN,  CAID,  161. 

AIX  EN  PROVENCE,  7,  36,  38,  282(n),  423. 
AKOUDA  (Tunisie),  97,  376. 

ALBANIE,  312,  312(n),  313,  323,  339,  340. 
ALBINI,  V.  amiral,  150,155,164,165,166. 
ALEXANDRIE,  44,138,138(n),  146,146(n), 
165,185,185(n),  227(n),  256(n),  279(n),  282, 
282(n),  312(n),  345(n),  352,  352  (n). 

ALGER,  7,13,16,16(n),  17,19,  27,  30,  31,  32, 
33(n),  36,  47,47(n),  55,  58,  63,  85(n),  99(n), 
104,105,lll,117,173(n),  176,183,  290(n), 
318,  332,  366,  385,  385(n),  413(n),  437,  443, 
453,  454,  455,  456,457,  458,  459,  461,  464, 
466,  468,  471,473,478. 

ALGERIE,  11,14,16,18,19,  20,  26,  28,  29, 
29(n),  30,  31,  32,  35(n),  37,43,45,47(n),  48, 
55,  63,  72(n),  80,  89(n),  90(n),  104(n),  111, 

11 2, 114, 116, 11  7, 118, 12  7, 128(n),  132, 


136(n),  146,148,149,150,15  7,159,160, 
163(n),  165,167,173(n),  176,180,183,187, 
192,192(n),  195,199,  213,  225(n),  229,  251, 
266,  290,  291,  293(n),  295,  296,  297,  317,  321 
324,  327,  330,  335,  342(n),  366,  366(n),  375, 
385,  385(n),  393,  393(n),  397(n),  413,414, 
414(n),  415,  424,  425,426,  434(n),  444,  450, 
451,  455,  456,  458,  459,  461,  463,  464,  465, 
466,  467,  469. 

ALI  BEN  GHEDAHEM,  chef  rebelle,  148,152, 
152(n),  161,162,162(n),  170,173. 

ALI  BEN  HUSSEIN  (1759-1782),  14. 

ALI  BEY  (1882-1902),  68,  414. 

ALI  BEY,  prince  de  Tripoli,  17. 

ALI  ES  SASSI,  caïd,  90,  95,  95 (n) 

ALI  PACHA,  2°  bey  husseinite,  14,110,179, 
263,  277. 

ALI  PACHA,  grand  vizir,  26,  26(n),  30,155,157 
177,  235,  262,  263,  319(n).ALLEGRO  J..  118(n) 
180,180(n),  339(n),  348,  350(n),  413,  413(n), 
414(n),  422(n). 

ALLELA  BEZEI,  301,  301(n),  350,  351. 
ALLEMAGNE,  3,  61(n),  135,  249,  249(n), 
291(n),  311,  312,  314,  315,  316,  316(n), 
317,318,  319(n),  327,  339,  382,  384,415, 

420,  420(n),  437,439,439(n),  440,  440(n), 
441,446,  447,  448,  452. 

AL  MUSTANSIR,  48. 

ALSACE-LORRAINE,  11,  309,  315,  316(n), 
339(n),  391(n),  436. 

AMAGAT,  député,  425. 

AMEMAv.  HAMMAMA. 

AMERIQUE,  131,  211(n),  366. 

AMSTERDAM,  207,  207(n),  281. 

ANDERSON  A.,  financier,  47,47(n),  48,  268 
ANDRASSY,  310,  312,  312(n),  314,  314(n),  319 
321(n),  340. 


473 


ANGLETERRE,  3,11,  22,  24,  25,  26,  27,  28,  29, 
30,  32,  33,  35,  37,  38,  39,  40,  41,44,46,  47(n), 
49,  53,  54,  55,  58,  60(n),  65,  66,  76,  80,  83, 

100, 10  2, 106, 127, 131, 135, 137(n),  139(n), 
154,154(n),  155(n),  156(n),  157,158,158(n), 
160,162,163,163(n),  164,165,166,168, 

203,  211(n),  213,  216,  216,  217,  217(n),  217, 
219(n),  223,  224,  228,  229,  230,  230(n),  231, 
232,  237,  237(n),  238,  241(n),  253,  258,  259, 
260,  260(n),  261,  263,  265,  266,  267,  271,  278, 
282(n),  284,  289,  289(n),  293(n),  301,  305(n), 
309,  310,  311,  313,  314,  317,  317(n),  318,  319, 
319(n),  320,  322,  323(n),  324,  324(n),  325, 
325(n),  329,  331,  331(n),  332,  332(n),  333, 

334,  338(n),  339,  340,  343,  344,  346(n),  350, 
350(n),  352(n),  359,  362(n),  364,  369,  3737, 
375(n),  378,  380(n),  381,  382,  383,  384,  385, 
338(n),  395,  415,  417,  420,432,438,  439,  440, 
448. 

ARABIE,  103. 

ARAB  MAJOUR,  tribu,  93,11 3 (n). 

ARAD,  caïdat,  54(n),  600(n),  81,  94,  95(n),  116, 
148(n),  148,154,180(n),  183(n),  241. 
ARMENIE,  310. 

ARPA,  consul,  376(n). 

ARTOM,  diplomate,  257,  257(n),  259,  261, 
261(n). 

ATTIAS,  Juifs  de  Tunis,  192. 

AUDIBERT,  nég.,  43,189. 

AUVERGNE,  navire,  155,155(n),  157,158,163, 
179,179(n),  217,  217(n),  219(n),  220(n),  230, 
230(n),  240(n),  241(n),  243(n),  330,(n),  357, 
357(n) 

AUTRICHE-HONGRIE,  27,  33,  40,  49,  49(n), 

58,  60(n),  101,131,137(n),  168,172(n),  181, 
181(n),  183(n),  192(n),  216(n),  251,  263,  309, 
311,  312,  312(n),  313(n),  314,  315,  315(n), 

319,  319(n),  323(n),  345(n),  346(n),  398,  438, 
438(n),  440. 

AVVENIRE  DI  SARDEGNA  (L’),  journal,  67(n), 
238(n),  279(n),  281(n),  283(n),  301,  301(n), 
334,  346,  347(n),  348,  350,  351(n),  351,  358, 
359,  359(n),  360(n),  374,403(n],  437,475, 

478,  480,  480(n). 

AWOCATO,  agent  consulaire,  153,  350,  476. 
AYOUB,  fond.,  183. 

AZEGLIO  (D’),  diplomate,  179,179(n). 

AZIZ  BOU  ATTOUR,  fonct,  61(n),  135,140,196. 
AZUELOS,  courtier  isr.,  106,  200,  202,  203, 

252,  274(n),  297(n),  304,  305(n). 

BACCOUCHE  (Général),  300,  300(n],  338,  376, 
377,434. 

B 

BACCOUCHE  SEHILI  L.  caïd,  1 4 9,1 52 (n) 
BALDUINO,  banquier,  356,  356(n),  361(n). 
BALFOUR  (sir  george),  292,  292(n),  294 


BALKANS,  26,  295(n],  310,  311,  312 
BAMBERGER,  financier,  197,  204,  207,  207(n], 
BANCO  DI  NAPOLI,  256,  357(n). 

BANK  OF  TUNIS,  4  8,268. 

BANQUE  de  CREDIT  INTERNATIONAL,  205, 
250(n),  206,  212. 

BANQUE  DE  PARIS,  139,  207(n),  208,  295(n), 
296,  398(n),  401(n),  405,470. 

BANQUE  des  PAYS-BAS,  192,  207,  295(n),  296, 
367,  401(n),  405,  443,  470 
BANQUE  DES  PROVINCES,  272. 

BANQUE  FRANCO-EGYPTIENNE,  204(n),  399, 
400,  401(n),  407,  410(n). 

BANQUE  FRANCO-ITALIENNE,  206,  206(n). 
BARAIL  (Gai  du],  283,  335,  336. 

BARBIEUX,  journaliste,  434. 

BARDO  (LE),  palais,  25,  27,  66,  67. 

BARDO  (traité  du),  403(n),  408,419,  419(n), 
420(n),  421(n),  427,447,448. 

BARDOUX,  ministre,  329,  400,400 (n). 

BARING,  banquier,  46,  224,  268,  268(n). 
BARKA,  333. 

BARTHELEMY-SAINT-HILAIRE,  ministre, 
395(n),  403(n),  446. 

BASSINS,  rue  de  Paris,  30,136,190. 
BATIGNOLLES  (Société  des),  295,  295(n), 
297(n),  364,  365,  367,  403,403(n),  404, 
404(n),  405(n),  405,  410,  411,420(n),  422, 
423,  425,  433,  433(n),  433(n),  434,  443,  469. 
BATOUM,  124. 

BEACONSFIELD  v„  Disraeli,  310,  310(n),  311, 
319(n),  320,  321(n),  322(n),  331(n),  334,  340. 
BEAUVAL  (DE),  consul,  49,  65,  65(n),  136, 
136(n),  144(n),  145(n),  146,146(n),  147, 
147(n),  150,151,153,154,157,158,159,160, 
161,161(n),  162,163,164,166,167,169,170, 
175,175(n),  176,176(n),  178,180,184,  210, 
413(n),  438,  439. 

BECHIR,  aviso,  86,  8  7,175,176,195. 

BECLARD,  consul,  20,  20(n),  82(n),  120(n), 
124(n). 

BEJA  (Tunisie),  46,  73(n),  81,  92(n),  93,94, 
94(n),  95,  99,113,117,149,162,163(n),  170, 
198,199,  241,  266,  267,  292,  293,  294,  296, 
302(n),  353,  415(n),  415. 

BELGIQUE,  28,  32,  32(n),  41,  72,  83,  84,127, 
130,137,282,311,  468. 

BELVEDERE,  colline,  165. 

BENAlAD  M.,  ministre,  121(n),  464,  466. 

BEN  DAHAR,  chef  rebelle,  148,173. 

BEN  DHIAF,  fond.,  5,15(n),  20(n),  21(n), 

38(n),  54(n),  59(n),  60(n),  61(n),  64(n), 

70(n),  73(n),  78(n),  80(n),  86(n),  92(n), 

95(n),  lOO(n),  102(n),  llO(n),  120(n),  127(n), 
135(n),  138(n),  144(n),  148(n),  148(n), 

195(n),  199(n),  462,481. 

BENI  ZID,  tribu,  116,148(n),  152,169,  241. 
BENOIT,  ingénieur,  45,  45 (n),  80. 

474 


BENSA,  consul,  22(n),  3333(n),  38(n),  146, 
146(n). 

BERGERE,  rue  de  Paris,  227,  227(n). 

BERLIN,  3,ll,138(n),  155(n),  183(n],  218(n), 
226(n),  249,  249(n),  251(n),  259(n),  308,  309, 
310(n),  313(n),  314,  315,  315(n),  316,  316(n), 
317(n),  318,  318(n),  319,  320,  320(n),  321(n), 
322,  322(n),  323,  323(n),  324,  325,  325(n), 
328,  329,  330,  331,  331(n),  332,  332(n),  334, 
339(n),  340,  340(n),  341(n),  353(n),  363, 
363(n),  380,  381(n),  385,  384(n),  385,  387(n), 
390,  393,  393(n),  394(n),  395(n),  396(n),  400, 
400(n),  413,  416,  417(n),  420,420(n),  431, 
439,440,  441,  442,  448,  449,  450,451,  458. 
BERT  P.  député,  409,419. 

BEUST,  263. 

BEYRAM  Md,  cheikh  el  islam,  53,  53(n),  60, 
126,284(n),  259,  428. 

BEYRAM  Md,  son  neveu,  277(n),  350,  350(n). 
BEYROUTH,  23,  63(n),  136(n),  176(n),  281(n), 
282,  282(n),  345,  345(n),  359(n). 

BILLING  (baron  de),  consul, 

BILLING  (baronne), 

BIRMINGHAM,  100. 

BISCHOFESHEIM,  financier, 

BISCHOFFSHEIM  et  HIRSCH, 

BISMARCK,  3,11,  232,  249,  249(n),  309,  310, 
310(n),  312,  314,  315,  315(n),  316,  316(n), 
317,  318,  319,  320,  321,  321(n),  322,  322(n), 
323(n),  328,  329,  331(n),  339,  339(n),  340(n), 
340,  363,  381,  382(n),  382,  390,  391,  415(n), 
417,  420,436,  440,  441,  446,  447,  451 
BIZERTE,  26,  30,  34(n),  84,  94,  95(n),  99, 
121(n),  167,182,  241,  245,  267,  292,  294(n), 

296,  302(n),  330,  334,  339,  340(n),  340(n), 
341(n),  342(n),  356,  359,  365,  365(n),  367, 
405,419,  459. 

BOGO  (achille),  nég.,  202,  202(n),  246,  246(n). 
BOGO  (antonio),  fonct.,  80,  80(n),  121. 

BON  (cap),  49,  70,  95(n),  96,  Ill(n),  182,  243, 
245,  270(n),  273(n),  274,  277,  318,  342(n), 
462. 

BONAPARTE,  63. 

BONAPARTE-WYSE,  officier,  281,  336,  336(n). 
BONE,  16(n),  31,  41,42(n),  72,  72(n),  89(n), 
118(n),  180,180(n),  269(n),  295,  295(n),  296, 

297,  297(n),  339(n),  347(n),  348,  349(n),  405, 

413,  413(n),  414,  414(n),  420(n),  451,456, 
462,  463,470,471. 

BONE-GUELMA,  Cie,  295,  295(n),  296,  296(n), 
300,  348,  348(n),  354,  355,  357,  361,  362,  364, 
365,  365(n),  367,  372,  374,  375,  401,  403, 
403(n),  404(n),  405(n),  409,410(n),  411(n), 

414,  415,420,  422,423,  425,  426,432,433(n), 
434,434(n),  435,435(n),  466,  500. 

BONFILS  (Cdt),  225,  225(n),  239,  239(n),  247, 
270,272. 

BONNAIRE  (de),  financier,  194. 


BONNEMAINS  (de),  financier,  134,134(n),  135 
BOREL  (Général),  329,  340 
BOSNIE,  310,  312,  312(n),  314,  319,  320,  322. 
BOSPHORE,  17. 

BOTMILIAU  (de),  consul,  23(n),  34(n),  65(n), 
65,  70(n),  87(n),  127(n),  136(n),  174(n), 
198(n),  199,199(n),  201,  201(n),  203,  203(n), 
205(n),  206(n),  213,  214,  214(n),  215,  215(n), 
216,  218,  223,  223(n),  224(n),  225(n),  227, 
232,  238(n),  239(n),  240(n),  241(n),  242, 
242(n),  243(n),  244(n),  245(n),  246(n), 

248(n),  249,  252,  252(n),  253,  262(n),  263(n), 
265,  265(n),  266,  266(n),  267,  267(n),  268(n), 
270,  270(n),  271(n),  272,  272(n),  273(n),  274, 
274(n),  288(n),  289(n),  290(n),  428,  438. 
BOUCHET,  député,  355(n),  409,  411(n),  434(n) 
BOUET-WILLAUMEZ  (v.  amiral),  157,157(n). 
BOU-HADJAR  (Algérie),  112. 

BOU-KHRISS,  fond.,  61. 

BOURMADIA,  domaine,  376,  380. 

BREART  (G5),  419. 

BRENIER  (B),  sénateur,  209,  209(n),  212, 
283(n),  335. 

BROADLEY,  avocat,  147,150,151  (n),  162, 
175(n),  176(n),  199,  273(n),  281(n),  302(n), 
323(n),  345(n),  347(n),  348(n),  352,  353(n), 
361(n),  361,  376(n),  378,  379,  379(n),  385, 
413(n),  414(n),  432,  445,  446,  477. 

BRODIN,  banquier,  272,  272(n). 

BROGLIE  (duc  de),  17,  30(n),  272(n),  275(n), 
390,391. 

BRULAT,  474. 

BUENOS-AIRES,  146,146  (n). 

BULGARIE,  310,  319,  322,  338(n). 

BULOW,  diplomate,  447. 

BUREAU  CH.  banquier,  205,  205(n),  206, 
206(n),  215,  223,  226. 

BURGUET,  349,  349(n),  350,  350(n). 

c 

CAGLIARI,  33(n),  41,151(n),  176(n),  281(n), 
283(n),  301,  301(n),  346,  351(n),  354,  354(n), 
356,  356(n),  357,  357(n),  358(n),  359(n), 
360(n),  361,  437,  445,  468,  475,  478,  479,  480. 
CAIRE  (Le),  61,132,133,  282,  282(n),  309, 
345(n),  352(n). 

CALLE  (La),  29,  29(n),  45,  117,  146,  413. 
CALLIGARIS,  officier,  79,  79(n),  460. 
CAMONDO,  banquier,  133,186,  398,  398(n), 
401,401(n),  407,  407(n),  410,  443. 
CAMPENON,  officier,  31(n),  63(n),  79(n),  80(n) 
86,128(n),  142(n),  144,145,145(n),  150, 
150(n),  151,151(n),  152,152(n),  163(n). 
CANADA,  47,131. 

CANNING,  309. 

CAPITULATIONS,  34,  38,  40,  63,  72,100,102, 
287,289,309. 


475 


CARBONNIERES  (marquis  de),  204,  206. 
CARAMANLI,  dynastie,  16,117. 

CARCASSONNE  J.,  nég.  36,  36(n),  195,195(n), 
200(n),  201,  348(n),  354(n). 

CARLETON,  agent  consulaire,  243. 
CARLOEORTE  (Sardaigne),  34,  34(n). 

CARNOT  (Sadi),  ministre,  137,  395 (n). 
CARTHAGE,  3,  48,  82,  84,127,136,145, 

208(n),  218,  278,  294,  318,  320,  320(n), 
324(n),  348(n),  355,  359,  370(n),  374,  392, 
409,  411(n),  429,  429(n),  433,  433(n),  434(n), 
454,455,461,465,478. 

CASSANELLO  P.  nég.,  37(n),  202(n). 
CASTELNUOVO  G.  médecin  isr.,  25,107,108, 
108(n),  185,  218,  223,  224,  224(n),  230, 
230(n),  255,  255(n),  257(n),  262,  294,  304(n), 
354(n),  445,465. 

CASTELNUOVO  A...  son  fils,  256,  258,  262. 
CASTELNUOVO  G...,  256,  256(n),  257,  261(n), 
262,  350,433(n). 

CAVAN,  LUBBOCK  and  C°,  banquiers,  134(n), 
137. 

CAVOUR,  256,  382. 

CAZEAUX,  député,  409,  410(n). 

CERNUSCHI,  financier,  139,139(n),  141,  208, 
210,211,212,  482. 

CESANA  L,  courtier  isr.,  108,191,  200,  201, 
202(n),  203,  203(n),  242(n),  271,  306,  356, 
374(n),  470. 

CHAKIR,  ministre,  52,  59(n),  64,  65. 
CHALLEMEL-LACOUR,  diplomate,  364,  364(n), 
381(n),  386,  386(n),  387(n),  389,  389(n), 
415(n),  420(n),  421(n). 

CHANZY,  329,  330,  332(n),  342,  393,  393(n). 
CHAPELIÉ  A.,  nég.,  7,  35(n),  36,  36(n),  43(n), 
200(n),  201,  443. 

CHARAA,  tribunal,  53,  57,  92,  286(n),  379. 
CHAREN,  tribu,  112 

CHAUSSÉE  d'ANTIN,  rue  de  Paris,  1 38,1 38 (n). 
CHEBBA  (La)  (Tunisie),  97. 

CHEMTOU,  carrière,  45,  354. 
CHEVALLIER-RUFIGNY,  avocat,  370,  377,  379, 
380(n),  435(n). 

CHIO,  25(n),  64,  64(n). 

CHIRAC,  auteur,  133,138 (n),  208,  211  (n),  372, 
391(n),  398(n),  399,  400(n),  403,  410,  410(n), 
411(n),  433,470. 

CHYPRE,  176,  309,  318,  319,  320,  321,  322, 
323,  331,340,  381,  381(n). 

CIALDINI  (général),  331,  331(n),  374(n),  381, 
382(n),  383(n),  387(n),  391,  394,  397(n),  398. 
CLAIRON  (Le)  journal,  399(n),  401(n),  403(n), 
422,  422(n),  478,479. 

CLARENDON  (Lord),  21(n),  22,  22(n),  30(n), 
31(n),  38(n),  53(n),  54(n),  202(n),  222(n), 
225(n),  226(n),  228(n),  229,  229(n),  230,  231, 
231(n),  241(n),  246(n). 

CLAUZEL  (Marichal),  16,17. 


CLEMENCEAU,  399,  403(n),  404(n),  406(n), 
411(n),  414(n),  415(n),  408,  409,  418,  423, 

425,  426,  427,  427(n). 

CLÉRY,  avocat,  428,431. 

CLOUÉ  (v.  amiral),  ministre,  391  (n),  395 (n). 
COCCO-ORTU,  député,  358,  358(n). 

COCHERY,  ministre,  394,  394(n),  395(n). 
COHEN  (Juda),  105,478. 

COLIN  J...  ingénieur,  67,190,191. 

COLLAS,  financier,  594. 

COMIC  FINANCES,  hebdomadaire,  211(n),  226, 
479. 

COMPAGNIE  ALGERIENNE,  366. 

COMPAGNIE  TRANSATLANTIQUE,  366,  366(n), 
367(n),  407,  410,  435(n),  443. 

COMPTOIR  d’ESCOMPTE,  136,141,142,187, 
189,  191,192,195,  204,  204(n),  207,  210,  214, 
221,  222,  223,  226,  227,  239,  239(n),  244,  247, 
248,  272,  273(n),  295(n),  367,401(n),  405, 
410(n),  435(n),  443,  471,  472. 

CONFÉDÉRÉS,  132,132(n),  138,  208. 
CONSTANS,  ministre,  395(n),  452. 
CONSTANTINE,  16,  28,  29,  31,  111,  112,118, 
173,  252,  290,  295,  295(n),  297(n),  413, 

434(n),  443,  457. 

CONSTANTINOPLE,  15,16,17,19,  20(n),  23, 
23(n),  26,  27,  28,  30,  32(n),  51,  52,  54,  59, 
59(n),  64,  82,  87,  95(n),  lOl(n),  122(n),  124, 
127,132,132(n),  133,135,155  (n),  156,157, 
157, 158, 159, 160, 166, 172, 175, 176(n), 
177,178,179,179(n),  180(n),  181,184,  212, 
217(n),  226(n),  227(n),  235,  251(n),  261(n), 
263,  263(n),  265,  265(n),  273(n),  282,  291(n), 
298,  299,  309,  310,  313,  313(n),  319,  321(n), 
322(n),  350(n),  370,  373,  379,  386,  393, 

395(n),  398(n),  431(n),  440. 

CORA,  diplomate,  263. 

CORAN,  21,  53,  54,  91,  91(n),  288,  380,  454. 
CORFOU,  69,191(n),  285. 

CORNU  (Mme),  139(n),  147,156,161,176, 

208,  208(n),  448. 

CORTI,  ministre,  311(n),  312,  313,  313(n),  314, 
314(n),  319(n),  322,  322(n),  323(n),  331,  445, 
447. 

COULOUGHLIS,  métis,  77,  81,100. 

COURCEL  (DE),  diplomate,  4,  7,  61,  209(n), 
235(n),  297(n),  301(n),  327,  327(n),  329, 
331(n),  332,  332(n),  343(n),  345(n),  348(n), 
350(n),  353,  353(n),  354,  354(n),  355(n), 
356(n),  359(n),  362,  363(n),  364,  364(n),  365, 
370(n),  373(n),  382(n),  383,  383(n),  384, 
384(n),  385(n),  387,  387(n),  388,  388(n),  389, 
389(n),  390,  390(n),  391(n),  392,  392(n),  393, 
393(n),  394,  394(n),  395,  395(n),  396,  396(n), 
397,  397(n),  398,  406,  412,  412(n),  413(n), 
414,417(n),  419(n),  434(n),  435,  435(n),  440, 
442,  443,  448. 

COURRIER  de  BONE  (Le),  297. 


COWLEY  (Lord),  ambassadeur,  177,177(n), 
178(n). 

CRÉDIT  AGRICOLE,  194. 

CRÉDIT  COLONIAL,  132. 

CRÉDIT  EONCIER,  132,  282,  297(n),  373, 
373(n),  389,  399,  411(n),  423,  425,  426,  430, 
471. 

CRÉDIT  INDUSTRIEL  ET  COMMERCIAL, 

278(n),  341,  354(n),  366,  407(n],  477. 

CRÉDIT  INTERNATIONAL,  205,  206,  212. 
CRÉDIT  MOBILIER,  132,137,138,139,193, 
194,  250,  356,  366,  366(n),  398,  401,104(n), 
407,  407(n),  410(n),  411(n). 

CRÉDIT  MOBILIER  ESPAGNOL,  132,  366, 
398(n),  407,  407(n),  411(n). 

CREDITO  ITALIANO,  404. 

CREDITO  MOBILIARE,  356,  361,  361(n), 
362(n). 

CREISSON,  49. 

CRÉMIEUX  (décret),  289. 

CRESOLLES  (vicomte  de),  205,  206. 

CRIMÉE  (guerre  de),  20(n),  26,  79(n),  82,  84, 
95(n),  124,125,159,165(n),  199(n),  309, 
352(n). 

CRISPI,  167(n),  311(n),  312(n),  313(n),  315, 
315(n),  323,  331,  331(n),  332,  334,  358, 
358(n),  359,  362,  394,  445,  446,  447,  448,478. 
CROATIE,  314. 

CUBISOL  Ch.,  v-consul,  32,  41,  72,  72(n),  76, 
89(n),  99(n),  102(n),  103(n),  161(n),  170(n), 
173(n),  195,195(n),  293(n),  455,463,  466. 
CYRÉNAÏQUE,  103,  340. 

CZAYKOWSKI  (Sadyk  Pacha),  officier,  156, 
156(n). 

D 

DABDABA,  manutention,  80. 

DAHDAH  Rd„  136,136(n),  137,138,140, 
185,189,190,193(n),  194,195(n),  196,197, 
197(n),  200,  204,  208,  210,  211,  211(n),  222, 
225,  227,  228,  273,  302,  422(n),  443,  455,  481. 
DAILY  TELEGRAPH,  319,  325(n),  378,  379(n), 
399(n),  403(n),  412(n),  422,  480. 

DAKHLA  JENDOUBA  (Tunisie),  296. 
DALHOUSIE  (Lord),  131. 

DALMATIE,  314,  315(n). 

DAMAS,  23,  27(n),  111,136,  176(n),  282, 
282(n),  344,  344(n),  345. 

DAMIANI,  homme  poL,  358,  358(n),  359, 
374(n). 

DANEMARK,  131. 

DANTE,  navire,  86. 

DAR  EL  BEY,  palais,  7,  56,437,438,  441, 
441(n),  463. 

DAVRIL,  entrepreneur,  128. 

DECAZES,  ministre,  108(n),  280,  281,  281(n), 
283(n),  289,  290,  290(n),  291(n),  299,  304(n), 


305(n),  310(n),  311,  311(n),  315,  316(n), 
318(n),  336,  392(n),  433. 

DE  ERANCESCO  journaliste,  281(n),  283(n), 
301(n),  346,  350,  351(n),  358,  359,  359(n), 

475. 

DELATTRE,  avocat,  428. 

DELHI,  131. 

DELLA  ROVERE  (Gai),  1 6 5,1 65 (n). 

DE  MARTINO,  consul,  107. 

DE  MONTES,  nég.,  107,  200,  202. 
DENFERT-ROCHEREAU,  banquier,  272. 
DEPRETIS,  311,  311(n),  312,  312(n),  313, 
313(n),  339(n),  340,  352,  358,  382. 

DERBY  (Stanley,  Lord),  216(n),  217(n),  310, 
313(n). 

DESFOSSÉS,  avocat,  279,  279(n),  297,  298, 
298(n),  428,  431. 

DESPOIS  J...  auteur,  97,  97(n),  110,110(n), 
115(n),  116(n),  171(n),  444,  453,456,  464, 

478. 

DESPREZ,  diplomate,  226,  226(n),  227,  227(n), 
230,  231,  281  (n),  319,  319(n),  337,  338(n), 
343(n),  353,390. 

DESVAUX  (Général),  150. 

DEVAUX,  banquier,  134,  224,  335. 

DILKE,  homme  poL,  322,  364(n),  379,  379(n), 
379(n),  383,  383(n),  387,  387(n),  388,  391, 

420,  445,  448,  449. 

DIRITTO,  journal,  177,  331,  333,  382(n),  475, 

476,  480. 

DISRAELI,  310(n),  310,  313(n),  319(n),  360, 
380,385,451,453. 

DJEBBA,  mine,  45,  45(n),  119,  267,  292. 

DJEBEL  RESSAS,  mine,  45,45(n),  354,  356, 
357,357(n),  358,  360(n),  374. 

DJELLOULI  M.,  95,199. 

DJEMIL  PACHA,  diplomate,  263. 

DJENDOUBA,  caïdat,  90,  95,111. 

DJERBA,  20,42,  49,  59(n),  92(n),  94,  95(n), 
103,105,121(n),  122,154,  241,  245(n),  265, 
294,  348(n),  420(n),  458,462. 

DJERID,  43,  59(n),  70,  70(n),  71,  81,  90(n), 
94(n),  95,  95(n),  98,1 1 1,1 12,11 5,1 1 5  (n), 
124,147,148,149,195,  213,  241,  294,  296. 
DRID,  tribu,  81,  81(n),  92,  93,112,112(n),  113, 
113(n),  115,149,152,169. 

DROUYN  de  LHUYS,  30(n),  31,  31(n),  39,  65(n), 
82(n),  112(n),  120(n),  122(n),  124(n),  135(n), 
139,139(n),  144(n),  145(n),  147,147(n), 
149(n),  151,152(n),  154,154(n),  155(n),  156, 
156(n),  157,157(n),  158(n),  161(n),  162,163, 
168,168(n),  169(n),  170(n),  172,172(n), 
173(n),  175(n),  176,177,177(n),  178,179, 
181(n),  182,186(n),  187,187(n),  209(n),  210, 
210(n),  211,  211(n),  212,  236,  260(n),  261, 
265,335,410,  449. 

DRUMONT,  123,  398,  399,  403,  410,  446,  470. 
DUBOIS,  ingénieur,  45,45(n),  48,127,  251,  270. 


477 


DUBOIS  A.,  fond,  239,  239(n),  402(n). 
DUCHESNE  DE  BELLECOURT,  consul,  69(n), 
70(n),  76,  97(n),  114(n),  115(n),  173,174(n), 
175(n),  176,176(n),  180,181(n),  182,192(n), 
193(n),  194(n),  201(n),  210,  210(n),  212(n), 
236(n),  413(n). 

DUFAURE,  ministre,  329,  329(n),  330(n),  400, 
400(n). 

DUILIO,  cuirassé,  374. 

DURRIEU,  financier,  354,407,  407(n). 

DUTFOY,  financier,  197,  207. 

E 

ECLAIREUR,  aviso,  181(n),  183. 

ECONOMISTA  (L'),  journal,  297,  297(n). 
EDOUARD  (VII),  prince  de  Galles, 

EGYPTE,  20,  22,  30,  46,  63,  77,101,103,108, 
117,119,131,132,138(n),  157,160,185(n), 
234(n),  252(n),  252(n),  289,  309,  310,  311, 
316,  316(n),  318,  318(n),  319,  320,  320(n), 
331,  343,  350,  350(n),  352(n),  398(n),  447. 

EL  ADEL,  prince,  68,  68(n),  129,198,199, 
199(n). 

EL  A 717  BOU  ATTOUR,  ministre,  61,  61  (n). 

EL  DJEM  (Tunisie),  80,  97. 

ELHAMMA  (Tunisie),  116. 

ELHANI,  sebkha,  115. 

ELIAS  :  V.  Mussali.,  36(n),  61,  61(n),  127,135, 
136,136(n),  140,170,196,  203,  209,  209(n), 
226,  272,  347,  347(n),  348,  348(n),  349,  350, 
351,  355,429,430,431,  432,  434(n),  472. 
ELLIOT,  diplomate,  166,166(n),  177(n), 
291(n),  448. 

EL  OUED  (Algérie),  29. 

EMERIT  M.,  auteur,  7,  48(n),  128(n),  139(n), 
147(n),  156,162(n),  176(n),  193,193(n), 
208(n),  283(n),  336(n),  339(n),  362(n), 
411(n),  443(n),  445,448,  457,  463,467,470, 
475,478. 

ENFIDA,  domaine,  47(n),  96(n),  115,116(n), 
174(n),  195(n),  352(n),  365,  365(n),  369,  370, 
370(n),  371,  373(n),  374,  375,  376,  376(n), 
377,  378,  379,  379(n),  380,  385,  386,  388, 
388(n),  39,  389(n),  390,  393,  395,  399,  406, 
406(n),  407,  407(n),  411,  411(n),  418,419, 
422,  425,  426,  430,  432,434(n),  435(n),  440, 
445,477. 

ERLANGER  E.,  financier  isr.,  133,136,137,138 
138(n),  139,139(n),  140,141,141(n),  142, 
142(n),  145,185(n),  186,186(n),  187,187(n), 
188,189,189(n),  190,190(n),  192,193,194, 
195,196,197,197(n),  200,  204,  206(n),  207, 
207(n),  208,  209,  210,  210(n),  211,  211(n), 
212,  212(n),  214,  214(n),  221,  222,  225, 
226(n),  227,  227(n),  232,  239,  239(n),  240, 
240(n),  242,  242(n),  247,  248,  248(n),  249, 
249(n),  250,  250(n),  251,  270,  273,  278,  302, 


366(n),  398,  398(n),  400,400(n),  401,  401(n), 
402(n),  407,407(n),  410,410(n),  411,  422(n), 
432,433,  443. 

ERRERA  P.  courtier  isr.,  108,108(n),  200,  202, 
203,  203(n),  237(n),  256,  256(n). 

ESKI-SERAI  (Turquie),  79. 

ESPAGNE,  18,  32,  47,  60(n),  103,106,128(n), 
132,172(n),  182(n),  195(n),  203,  251(n),  289, 
295,  315,  331(n),  338(n),  366(n),  394,  398, 
417,461. 

ESPINA,  agent  consulaire,  49,  49(n),  70,  97, 
97(n),  114(n),  148(n),  150(n),  153,153(n), 
164(n),  169,169(n),  171(n),  172(n),  174, 
174(n),  192(n),  198(n). 

ESSARTS  (des),  consul,  235(n),  252(n),  428. 
ESSED,  aviso,  86. 

ESTAFETTE  (L’),  journal,  297,  297(n),  298, 
410(n),  479. 

EST  ALGÉRIEN  (Cie  de  L’),  295(n),  354(n),  367, 
401(n),  407,  407(n),  411(n),  426,  434,  434(n). 
ÉTATS-UNIS,  32,130,131. 

ETIENNE,  député,  283(n),  336(n),  354(n),  398, 
399(n),  411(n),  398,  399(n),  409,  434(n). 
EUROPE  (L'),  journal,  137,138. 

EVENEMENT  (L’),  journal,  279(n),  399(n), 
422(n),  428,479. 

F 

FAENZA,  254. 

FAHRAT,  caïd,  59,  61,  95,116,135. 

FARRE  (général),  ministre,  393,  393(n),  395, 
414,  414(n),  448. 

FASCIOTTI,  consul,  25(n),  33,  33(n),  34(n), 
36(n),  38(n),  127(n),  128(n),  134,134(n), 
146(n). 

FAVIGNANA,  îlot,  34,  34(n). 

FEDRIANI  A.  nég.,  35(n),  351,  357(n),  374(n). 
FEDRIANI  G.  nég.,  36,  37(n),  38(n),  237,  238, 
238(n). 

FERDINAND  II  de  Toscane,  103. 

FERRIERE,  v.  consul,  24,  24(n). 

FERRY  Ch.,  123(n),  401,  403,409,  410(n), 
FERRY  J.  4,  266,  327(n),  351,  382,  390,  391, 
395,  397,  398,  406,  411,411(n),  415,  418, 
418(n),  426,427,446,448,  450,  451,  452,457. 
FIGARO  (Le),  journal,  138,138(n),  190(n), 
295(n),  322(n),  399(n),  404(n),  422,432, 
433(n),  479,  481. 

FIORENTINO,  courtier  isr.,  200,  202. 

FIREFLY,  corvette,  150. 

FLATTERS,  415. 

FEAUX  (DE),  auteur,  85,  85(n),  103(n),  457, 
461. 

FLEURY  (Général),  213,  213(n),  214(n). 
FLORENCE,  31,  61,  108,126(N),  181,182, 
182(n),  202(n),  209(n),  211,  216,  216(n),  218, 
218(n),  219,  220,  220(n),  223,  230,  230(n), 


478 


231,  231(n),  232,  244,  256,  256(n),  257, 
257(n),  258,  258(n),  259,  259(n),  260,  260(n), 
261,  261(n),  262(n),  348(n),  356,  359,  361(n), 
401(n),  439,  444,451,  474. 

FLORIO,  Cie  de  navigation,  293,  356. 

FOLLY,  officier,  78,  79(n),  81. 

FONTAINEBLEAU,  166,167(N),  168. 

FOREIGN  AND  COLONIAL  GAS  C.,  267. 

FORTI  D...  courtier  isr.,  36(n),  106. 

FORTI  J...  Isr.  de  Tunis,  348,  348(n),  355,  365, 
367,367(n). 

FOUAD  PACHA,  ministre,  26,  26(n),  27,  27(n), 
235,261,263,277. 

FOULD,  banquier,  187,187(n),  204,  207, 
207(n),295(n). 

FRANCFORT,  132,137,137(n),  138,138(n), 
176(n),  177(n),  186,189(n),  207,  232,  248, 
249,  259(n),  280(n) 

FRECHiCH,  tribu,  148,  460. 

FREYCINET  (de),  329,  329(n),  353,  354,  362, 
363,  363(n),  364,  364(n),  365,  367(n),  382, 
383,  390,  391,  391(n),  393,  393(n),  396, 
403(n),  414,  419(n),  434(n),  449. 

G 

GABÈS,  29,  92,  94,  98,114,116,145,149,151, 
154,154(n),  241,  245(n),  294,  294(n),  330, 
420(n),  422,  461,  463,  467,  468,  469 
GAESA,  94,  98,115,  463 

GAMBAROTTA,  consul,  33,  33(n),  38(n),  49(n), 
95(n),  107(n),  129(n),  137,146,151  (n), 
153(n),  154(n),  155(n],  157(n),  159,160, 
161(n),  163,163(n),  164,164(n),  166,169, 
170(n),  172(n),  175(n),  176,177,177(n),  181, 
181(n),  191(n),  203(n). 

GAMBETTA,  4,  80,  212,  279(n),  319,  323, 

331,  332,  332(n),  359(n),  383,  383(n),  391, 
391(n),  392,  392(n),  394,  396,  397,  397(n), 
398,  398(n),  399,  399(n],  403(n),  408,409, 
410,  410(n),  411,  415,  421,  421(n),  423,  427, 
434(n),  435,435(n),  448,  452. 

GANESCO,  publiciste,  137,137(n),  138,138(n), 
140,186,186(n),  187,190,190(n),  210,  211, 
226,227,422(n). 

GARIBALDI,  36,153,  214,  238(n),  358(n). 
GARSIN,  courtier  isr.,  36,  201,4  6  7. 

GATINEAU,  avocat,  123(n),  428,  429,  429(n), 
432. 

GAVARD,  diplomate,  310. 

GAVINI,  député,  409,  410(n). 

GAZETTE  DU  MIDI  (La),  23(n),  279(n),  282, 
297,  297(n),  298,  333(n),  351(n),  361(n), 
367(n),  403(n),  414(n),  478,  480. 

GAY  O.,  208,  208(n),  209,  209(n),  212,  212(n), 
226,  226(n),  227,  249(n),  272,  272(n),  280, 
280(n),  294,  297(n),  298,  298(n),  347(n), 
348(n),  355,  392,  392(n),  399(n),  404(n), 


422,  422(n),  428,429,431,  433,  433(n),  434, 
434(n),  435,  458. 

GÊNES,  36,  37,41,105,137(n),  151(n),  165, 
166,168,175(n],  200,  238,  238(n),  256,  293, 
334,  356,  356(n),  357(n) 

GERMAIN  H.,  banquier,  401  (n). 

GÉRY  Ch.,  295(n),  355,  356,  361,  362,  362(n), 

363,  365(n),  372,  373,  373(n),  375,433(n], 
434(n),  435(n). 

GHIANI-MAMELI,  député,  357,  357(n),  358, 
359,  359(n). 

GIBIAT,  206(n). 

GIBRALTAR,  47,  87,106,  203,  310,  375. 
GIRARDIN  (DE),  206,400,  400(n),  401(n),  409 
410(n). 

GLADSTONE,  134(n),  211(n),  229,  310,  310(n) 

364,  364(n),  379(n),  380,  381,  381(n),  385(n), 
387,  387(n),  388,  442,443,  450,  451,  453. 
GLYNN,  MILLS  and  CO,  banquiers,  46,  268, 
268(n). 

GNECCO  P.  A.  nég.,  35(n),  36,  36(n),  38,  38(n), 
153(n),  173,173(n). 

GONTAUT-BIRON,  diplomate,  315,  318,  318(n) 
321(n),  390. 

GORRINI,  auteur,  167(n),  311(n),  312(n), 
321(n),  322(n),  323(n),  331(n),  334(n), 
347(n),  356,  359,  361(n),  374(n),  383(n),  383, 
384(n),  387(n),  398,  398(n),  441,  445,446, 
449. 

GORTCHAKOEF,  311,  312,  319,  394. 

GOUIN  (Ernest),  ind.,  295,  295(n),  405. 

GOUIN  (Eugène),  banquier,  405,411,  404. 
GOUIN  J...  405,404. 

GOUIN  S...  404,  405. 

GOULETTE  (La),  13,17,  32,  35,  37,  40,41, 

41  (n),  42,  43,44,46,47,47(n),  48,48(n),  52, 
54,  56,  61,  71(n),  72,  85,  86,87(n),  94,  95, 
102(n),  108(n),  120,124,1 34,134  (n),  146, 
149(n),  150,151,151(n),  157,161,161  (n), 
162(n),  164,165,165(n),  170(n),  172,173(n), 
175,180,183,189,  211(n),  233(n),  237(n), 
245,  246,  247(n),  249(n),  251,  251(n),  252(n), 
257,  259,  261,  265,  266,  267,  278(n),  292, 
293(n),  299,  303,  330,  339,  344,  345(n), 
348(n),  354,  356,  363,  364(n),  366,  367,  374, 
386,  387,  395,  441,  455,  463,  466. 

GRANDVAL  (vicomte  de),  205,  205 (n). 
GRANVILLE  (Lord),  ministre,  20,  87,136,190, 
249,  252(n),  256(n),  258(n),  260(n),  262(n), 
263(n),  267(n),  268(n),  275(n),  280(n), 
286(n),  289(n),  291(n),  345(n),  347(n), 
362(n),  364,  364(n),  365(n),  373(n),  376(n), 
379(n),  380,  380(n),  381,  381(n),  382(n), 
383(n),  386,  386(n),  387,  387(n),  388,  388(n), 
389,  389(n),  390,  390(n),  395(n),  398(n), 
413(n),  414(n),  415(n),  417,  420(n),  437,  442, 
449,  450. 


GRÈCE,  37,191(n),  316(n),  322(n),  332(n), 
337,  381(n),  382,  384(n),  385,  393. 

GREEN,  banquier,  268,  448,  449. 

GREVY  A.,  Gouv.  de  l'Algérie,  393,  42(n),  413, 
413(n). 

GUELMA  (Algérie),  297(n),  403(n),  405, 
420(n). 

GUEST,  député,  378,  378(n),  388(n),  449. 
GUIZOT,  18,122(n) 

GULHANE  (hatt-i-chérif  de),  19,  54,  lll(n). 
GUTTIERES  G.  courtier  isr.,  106,106(n),  108, 
191,191(n),  191(n),  196,196(n),  200,  201, 
202,  203,  203(n),  237,  237(n),  238,  242(n), 
243,  244,  246,  247,  251,  253,  256,  270,  272, 
283,  300,  304,  304(n),  307,  349,  374(n), 
402(n),  475,  476. 

H 

HAESIA,  rue  de  Tunis,  80. 

HAIDER  EEFENDI,  diplomate,  155,156,157, 
158,159,160,172,174,175,178. 
HALEAOUINE,  PI.  de  Tunis,  25,  65,158,  279. 
HALPHEN,  194. 

HAMBOURG,  398. 

HAMMAMA,  tribu,  90,95,  98,114,11 5,115  (N) 
116,152,169,290. 

HAMMAMET,  115. 

HAMMAM-LIE  (Tunisie),  67,  71,94,170,  241, 
267,  296,  365,  374,  375. 

HAMOUDA,  bey  du  camp,  60,  68,  68(n),  98. 
HAMOUDA  BEY  (1782-1814),  14. 

HANENCHA,  confédération,  112. 

HARCOURT  (di),  diplomate,  311,  320(n), 
321(n),  323,  324,  324(n),  449. 

HASSOUNA,  bey  du  camp,  143,146,  227(n). 
HASSOUNA,  caïd,  90,95,  95(n). 

HAVAS  (agence),  250,  280(n),  385,  393,407, 
410,415 

HEATH  (baron),  consul,  361,  361(n). 

HEDJAZ,  114. 

HENRI  III,  roi  de  France,  40. 

HENRI  IV,  roi  de  France,  45. 

HENTSCH,  financier,  207,  405. 

HERAULT,  dépt.,  80. 

HERBINGHEM  (C.  amiral  d’),  150,151,157, 

161. 

HERGLA  (Tunisie),  97,170,171. 

HERTZFELD,  consul,  251. 

HEUSSEIN  (général),  fond,  21,  60,  60(n),  61, 
95,  95(n),  126(n),  135,140(n),  141(n),  143, 
146,149,181,  237,  259,  260,  260(n),  271(n), 
273(n),  277,  280(n),  300,  350,  401(n),  428, 
475,476,  477. 

HIRSCH,  financier,  197,  207,  207(n),  208. 
HOHENLOHE  (prince),  315,  315(n),  319(n), 
321(n). 

HOLLANDE,  311,  331  (n). 


HOLLANDER,  financier,  196,197,  207. 

HOPE  ET  BLACKMORE,  banquiers,  223,  224. 
HUGELMANN,  h.  de  lettres,  136(n),  137(n), 
204(n),  222,  226,  226(n),  227,471. 

HUMBERT  1“,  roi  d’italie,  165(n),  322,  374. 
HUSSEIN  BEN  ALI,  bey,  13,14,15. 

HUSSEIN  BEY  (1824-1835),  14,  77,110. 
HUSSEIN,  prince,  374. 

I 

IBRAHIM  BEN  ABBAS,  Caïd,  149. 

IBRAHIM  CHERIE,  13. 

IBRAHIM  PACHA,  v.  roi  d'Egypte,  23,  78. 
IFRIKIA,  108,114. 

IGNATIEFF  (Caïd),  diplomate,  263,  312. 

INDES,  30,131,132,310,  352. 
INTERNATIONAL  FINANCIAL  SOCIETY,  361. 
INTRANSIGEANT  (L'),  4,123,136(n),  208(n), 
209(n),  259,  273(n),  279(n),  297(n),  301(n), 
347(n),  348(n),  359(n),  373(n),  391(n), 

392(n),  399,  399(n),  403(n),  404(n),  410(n), 
411(n),  414(n),  420,  421,  421(n),  422,422(n), 
423,428,431(n),  432,  434(n),  435(n),  478, 
479. 

INVINCIBLE  (L'),  frégate,  175,176. 

ISMAIL  ES  SUNNI,  ministre,  59. 

J 

JANVIER  DE  LA  MOTTE,  député,  418 
JECKER,  207,418,  421,  423. 

JENTY,  député,  206(n),  400,400(n),  401,  409, 
410(n). 

JÉRUSALEM,  41,176(n),  199. 

JOURNAL  DES  ACTIONNAIRES,  197(n),  198(n), 
206,  206(n),  207(n),  211(n),  296(n),  303(n), 
407(n),  478,479. 

JOURNAL  FINANCIER,  206,  211(n),  239,  479. 
JUBINAL  A...,  député,  205,  205 (n). 

JUDÉE,  103 

JULIEN  (Ch.  A.),  auteur,  3,  5,  7,13(n),  14(n), 
125(n),  443,  444,  450,  459. 

JUSTICE  (La),  15,  26,  33,  38,  38(n),  39(n),  53, 
57,  62,  67,  83,  90,  91,  92,109,121,122,125, 
143,144,145,148(n),  150,  210(n),  241(n), 
258,  264,  286(n),  288,  297(n),  299,  325(n), 
329(n),  349,  353,  362,  379,  380,  387,  399, 
404(n),  412,  412(n),  415(n),  418,418(n),  423, 
423(n),  426,  428,  431(n),  434(n),  478,479. 

K 

KABLOUTI,  chef  rebelle,  290,  290(n). 

KABYLES,  80,100,  460 

KAIROUAN,  14,  71,  79,  83,  84,90,92(n),  94,  95 
95 (n),  99,100,102,109,110,114,115,116, 

14  7, 148, 149, 152, 163, 169, 169(n),  170(n), 
198,  267,  421(n),  458,  464,  468 


480 


KALAA  KBIRA  (Tunisie),  171,171(n). 

KALAA  SRIRA  (Tunisie),  97,1 71,1 71  (n),  172. 
KALAAT  SENANE  (Tunisie),  93. 

KARD AMILA  (Chio),  64. 

KASSAR  SAID  (Tunisie),  419. 

KEE  (le),  29,  45,  59,  59(n),  61,92(n),  93,94, 
95,  99,109,110,111,  lll(n),  112,116,148, 
148(n),  149,150,152(n),  162(n),  173,173(n) 
182,183,198,198(n),  265,  267,  290(n),  330, 
460. 

KEE  OUM  TEBOUL,  mine,  29(n),  45. 

KELIBIA  (Tunisie),  183. 

KESSERA  OULED  YAHIA,  CAIDAT,  93. 
KEUDELL,  diplomate,  340. 

KHALTOUM,  princesse,  64,121. 

KHÉRÉDINE  (général),  ministre,  24,  54, 

59,  59(n),  60,  60(n),  61,  66(n),  74(n),  86, 

95,  95(n),  96(n),  123,124(n),  135,135(n), 

136  (n),  143,146,175,177,178,179,180, 
181,189,  209(n),  221(n),  224,  224(n),  225, 
225(n),  235,  236(n),  237,  239,  240,  241, 
241(n),  247(n),  251,  251(n),  252,  253,  257(n) 
262(n),  263,264,  265,  268,  269,  270,  272(n), 
273(n),  274,  274(n),  275,  277,  277(n),  278, 
278(n),279,  279(n),  280,  280(n),  281,  281(n), 
282,  282(n),  283,  283(n),  284,  284(n),  285, 
285(n),  286,  287,  287(n),  288,  288(n),  289, 
290,  291,  292,  294,  295(n),  296,  296(n),  297, 
297(n),  298,  298(n),  299,  300,  300(n),  301, 
302(n),  303,  304(n),  305,  305(n),  306,  306(n) 
307,  307(n),  335(n),  336,  336(n),  341,  349, 
350(n),  355,  356,  365,  365(n),  369,  370,  371, 
377,  377(n),  379,  386(n),  387,  387(n),  413, 
430,  430,431,434(n),  441,  454,464. 
KHROUMIRS,  81,117,118(n),  195,  330(n), 
357,  412,  413,  413(n),  415(n),  417,418, 
420(n),  454,  464. 

KROUMIRIE,  89,112. 

KOEPRULU  Md,  grand  vizir,  27. 

KSOUR  ES  SAE  (Tunisie),  97. 

L 

LA  BRUYERE  (de),  journaliste,  422,  422(n), 
428(n). 

LAGAU  (de),  consul,  20,  20(n),  53(n),  122(n). 
LA  MARMORA  (général),  179,179(n),  181(n), 
182,182(n),  184(n),  192(n). 

LAMINE,  prince,  68,  68(n),  96(n),  125,129. 
LANCASHIRE,  44,  46,131,  216. 

LANGLOIS,  député,  425,  425(n),  450. 
LANTERNE  (La),  journal,  297(n),  399(n), 
420(n),  422,  422(n),  479. 

LA  PORTE  (de)  député,  13,15,16,17,18,19, 
20,  20(n),  22,  25,  26,  27,  28,  30,  31,  59,155, 
156,157,158,159,160,164,166,172,175, 
177,178,179,180,  235,  260,  261,  262,  263, 
264(n),  265,  266,  320,  345,409,  410(n),  440. 


LAUNAY  (de),  diplomate,  312,  319(n),  322, 
322(n),  331,  331(n),  340. 

LAURIER  CL,  400 (n). 

LAUZE,  banquier,  204,  206. 

LA  VALETTE,  ministre,  212(n),  227,  227(n), 
228,  229,  230,  230(n),  231,  231(n),  232,  461. 
LAVELEINE-MAUBEUGE,  officier,  78. 

LAYARD,  diplomate,  318,  388. 

LEBAUDY,  industriel,  398,  398(n). 

LE  BLANT,  insp.  des  finances,  272,  272(n), 

282,  282(n),  283(n),  286(n),  291,  297(n),  298, 
298(n),  300,  301,  301(n),  303,  303(n),  304, 
305,  305(n),  306,  306(n),  307,  347,  428. 

LE  EAURE,  député,  425,425(n),  450. 

LEEEBVRE  de  VIEEVILLE,  magistrat,  428. 
LEEEBVRE-DURUELÉ,  sénateur,  205,  205(n). 
LEEEUVRE,  ingénieur,  267. 

LEEEVRE,  financier,  194,196. 

LENGLE  député,  418. 

LEROY  BEAULIEU  P.,  économiste,  327,  450, 
459. 

LESSEPS  (P.  de),  30,136,138,  294,  336(n),  431 
468. 

LESSEPS  (J.  de),  consul,  15,194,194(n),  205. 
LEVANT,  3,  231,  282,  311,  317,  344(n),  345, 
439. 

LEVANT  COMPANY,  23. 

LEVI-SONSINO,  106. 

LEVY  (Moses),  courtier  Israël.,  195,195(n), 
202,  203,238,  378(n). 

LEVY  Y.,  Juif  de  Sousse,  47,  47(n),  174,174 (n), 
195(n),  375,  375(n),  378,  379,  379(n). 
LEVY-CRÉMIEU,  fin.  isr.,  399  (n),  401(n). 
LIBAN,  12. 

LIBERTÉ,  journal,  295,  311(N),  434(N),  479. 
LION,  officier,  78,468. 

LIVERPOOL,  46. 

LIVOURNE,  36,  38,  45(n),  108,123(n),  131(n), 
140(n),  151(n),  191(n),  202(n),  203(n), 
209(n),  209(n),  251(n),  273,  273(n),  279(n), 
331(n),  350,  357(n),  401(n),  430,475. 
LOMBARDIE,  32(n),  311(n),  313(n),  331, 
333(n). 

LONDON  AND  COUNTY  BANK,  196,  224. 
LONDON  BANK  OF  TUNIS,  268. 

LONDRES,  7,19,  22,  30,  30(n),  44,45,46, 
46(n),  47,47(n),  48,  53,  58,  61(n),  130,131, 
132,132(n),  134(n),  136(n),  137,138(n), 
154,155(n),  155,157,158,172(n),  178,179, 
179(n),  202(n),  203(n),  208,  209(n),  211, 
211(n),  216,  216(n),  217,  218(n),  219,  219(n), 
220(n),  224,  224(n),  227(n),  229,  229(n),  230, 
230(n),  232(n),  234(n),  244,  251(n),  252,  259, 
261(n),  267,  268(n),  271(n),  274(n),  280(n), 
281(n),  291(n),  292,  292(n),  305(n),  307,  310, 
310(n),  311(n),  318(n),  319(n),  321,  323, 

324,  338,  340,  343,  344,  346(n),  353(n),  361, 
361(n),  362,  362(n),  363,  364(n),  376(n),  376, 


481 


378,  378(n),  379,  381(n),  386,  386(n),  387, 
387(n),  389(n),  390,  395,415(n),  417(n),  422, 
437,  439,  441,  442,  443,  444,480. 

LONGONI,  (général),  165,165(n). 

LOUIS  XV,  18. 

LOUIS-PHILIPPE,18,19,  20,  86,  295(n). 
LUMBROSO  A.,  médecin  isr.,  106,107,107(n), 
200,202,203. 

LUMBROSO  D.,  son  frère,  106,194,  200,  202, 
203,  302,  302(n). 

LYON,  33,  37,176,  283(n),  399(n),  422(n),  423, 
454,  462,463,480. 

LYONS  (Lord),  diplomate,  31,177,  216,  216(n), 

217,  217(n),  220(n),  223(n),  224,  225,  228, 
229,  230,  289,  289(n),  291(n),  311,  318, 
318(n),  324(n),  330(n),  386(n),  387,  389,  398, 
440,  442,451. 

M 

MACCIO',  consol,  344,  345,  345(n),  346,  347, 
347(n),  348,  349,  350,  350(n),  356,  357, 

357(n),  358,  359,  359(n),  361,  363,  369,  373, 
374,  374(n),  375,  375(n),  383,  392,  392(n), 
395,423,  432,  435(n). 

MACKENSIE,  banquier,  137. 

MAC-MAHON,  112,173,183,  330(n),  332,  353, 
373(n). 

MAFFEI,  diplomate,  211,  211(n),  218,  218(n), 
219,  219(n),  220(n),  229,  229(n),  231,  231(n), 
232(n),  234(n),  346,  346(n),  356,  357,  358, 
358(n),  359,  359(n),  361,  361(n),  362(n),  365, 
374(n),  381,  382,  382(n),  383,  383(n),  388, 
388(n),  392(n),  395. 

MAGGIORANI,  avocat,  349,  351,474,  477. 
MAGLIANI,  ministre,  394. 

MAGNE,  ministre,  206,  223. 

MAGNIN,  ministre,  395. 

MAHARÈS  (Tunisie),  116. 

MAHDIA  (Tunisie),  94,95,  97,  99,116,116(n), 
130,150,150(n),  151,153,174,  245(n),  245. 
MAHMOUD  PACHA,  grand  vizir,  263. 

MAJEUR,  tribu,  90,11  0,1 11,1 14,149,1 49  (n), 
152,162(n),  170,173,460. 

MALAKOFF,  voir  Pélissier,47,  47(n). 

MALARET,  (de),  diplomate,  155,156(n),  166, 
166(n),  168,168(n),  179,179(n),  182,182(n), 

218,  218(n),  219(n),  220(n),  230,  231,  231(n), 
232,  220(n),  260(n). 

MALMESBURY  (Lord),  ministre,  15,  26,  27,  30, 
30(n),  35(n),  43(n),  48,  48(n),  55(n),  72(n). 
MALTE,  4,15,  30,  34(n),  38,42(n),  44,  87, 
99(n),  102,172,195,  279(n),  293,  293(n),  297, 
352,  356(n),  458,479 

MALTZAN  (von),  auteur,  85,  89,  93(n),  94(n), 
95(n),  99(n),  103(n),  104(n),  105(n),  107, 
107(n),  117,  237(n),  453,459. 

MALVANO,  diplomate,  346,  346(n),  358,  359, 
362(n),  364,  381,383,389. 


MANCARDl,  296,  365,374. 

MANCHESTER,  46,  47,100,131. 

MANGANO,  167(n),  224,  447,  348,  348(n), 
350(n),  365. 

MANOUBA,  (Tunisie),  80,  278,  299,  370. 
MANSOUR,  corvette,  86. 

MARCERE  (de),  ministre,  329. 

MARCESCHEAU,  consul,  122,122(n). 
MARGADEL,  officier,  78. 

MARINE,  av.  de  Tunis,  349,  352. 

MARINE,  p.l.  de  Tunis,  200,  203,  242,  243. 
MARMARA,  18. 

MAROC,  41(n),  115,  316(n),  444,447,451, 

456,  458,  459,  461,  465,  467. 

MARSA  (La)  (Tunisie),  53,  53(n),  54,  59,  59(n), 
71(n),  94,  96(n),  1 25,1 26,127,145,151  (n), 

158.198,  267,  268(n),  272(n),  351(n),  354. 
MARSALA,  34,  49,  358 (n). 

MARSEILLE,  4,  23(n),  33(n),  36(n),  41,43, 
43(n),  72, 102, 105, 106, 10  7, 108, 136(n), 
176(n),  192(n),  200,  203,  235(n),  271(n),  278, 
278(n),  279(n),  282,  296,  297,  297(n),  301, 
304(n),  315(n),  333,  348,  350,  354(n),  355(n), 
357(n),  365(n),  366,  360,  378(n),  399(n), 
403(n),  414(n),  409,  434(n),  437,  438,  443, 

444,  451,  452,  455,  461,  462,463,  470,  471, 
472,477,478,  480,  482. 

MARTINI,  financier,  197,  207. 

MASCARO  (Dr.),  350,  350(n). 

MATEUR  (Tunisie),  94,117,  302(n). 

MATHIEU,  consul,  15,  33,194(n). 

M  ATM  ATA,  116,458,464. 

MATTEI  agent  consulaire,  115(n),  148,148(n), 
153(n),  162,162(n),  174,175(n),  192(n), 
304(n),  348,  350(n),  350. 

MAURO.  MACCHI,  député,  260. 

MAYENCE,  132,138(n),  207,  207(n). 

MEAUX,  283(n),  335,  481. 

MÉDITERRANÉE,  322,  337,  340,  345,  354(n), 
366,  384,  387,  423(n),  433,440. 

MEDJERDA,  46,  70,  80,  8  6,96,108,12,134, 

148.167.198,  255,  256,  266,  294,  296,  296(n), 
335,  348,  354,  337,  360,  403,  403(n),  415, 
434(n). 

MEDJEZ  EL  BAB  (Tunisie),  94,  468. 

MEHEDBA,  tribu,  116. 

MELLEGUE,  112. 

MENABREA  (général),  ministre,  216,  216(n), 
217(n),  218,  218(n),  219,  219(n),  220(n),  229, 
230(n),  231,  231(n),  232,  232(n),  234(n), 
311(n),  321(n),  331,  361(n),  362,  362(n), 
381(n),  388. 

MENSDORFF-  POUILLY  (de),  ministre,  182. 
MENTANA,  214,  218. 

MERCIER,  nèg.  35,  36(n). 

MERLATO,  consul,  27,  49,  49(n),  137(n),  181, 
181(n),  183. 

MER  NOIRE,  82,312. 


482 


MÉRU  (Oise),  204. 

MÉSOPOTAMIE,  25. 

MESSAGERIES  MARITIMES,  366. 

METHELLITH,  tribu,  90,  95(n),  97,  98,116, 
116(n),  169,171. 

MEXIQUE,  132,183(n),  207,  208,  327,  334,  421 
MILAN,  32,  32(n),  108(n),  139(n),  165,166, 
167(n),  238(n),  311(n),  333(n),  347(n),  359, 
359(n),  382(n),  451,  479,  481. 

MINGHETTI,  ministre,  32,  33(n),  166,167(n), 
168,  362(n). 

MINOS,  navire,  86. 

MIRABEAU,  305. 

MOGHOD,  tribu,  81,117. 

MOHAMMED  ALI,  77,  309,  319. 

MOHAMMED  ARIE  EFFENDI,  fond.,  280,  431. 
MOHAMMED  BEN  HUSSEIN  (1756-1759),  14. 
MOHAMMED  BEY  (1855-1859),  15,  24,  25(n), 
26,  27,  54,  55,  63,  64,  64(n),  67,  70,  71,91,  94, 
97,104,108,108(n),  125,126,127(n),  169(n), 
370(n),  374(n). 

MOHAMMED  EL  AID,  cheikh  de  zaouïa,  173(n). 
MOHAMMED  ES  SADOK  (1859-1882),  14,15, 
19,  22,  25,  27,  28,  32,  48,  51,  58,  59(n),  60(n), 
61(n),  63,  64,  65,  66,  67,  67(n),  68,  77,  80(n), 
83,  84,  90,  91,  92,  94,  96(n),  97,  98,100,103, 
107,107(n),  126,127,130,143,199,  203,  266, 
273(n),  274,  278,  343,  374(n),  419. 
MOHAMMED  KHAZNADAR,  ministre,  B2,  59, 
61,  61(n),  90,  98,153,161(n),  174(n),  180, 
237,277,299,300. 

MOHAMMÉDIA,  palais,  80,  93,  96(n),  120, 
120(n),  151(n). 

MOKTA  EL  HADID  (Cie  de),  372. 

MOLINARI,  économiste,  327. 

MONASTIR  (Tunisie),  9,  42,  59,  60,  61,  71, 

79,  83,  90,  94,  95,  95(n),  97,  97(n),  98,  99, 
100,116,147;  150,151,153,153(n),  169(n), 
173(n),  174(n),  174,175,198(n),  245,  245(n) 
MONCHICOURT,  auteur,  93(n),  96,109,110, 
llO(n),  lll,112,112(n),  113,114(n),  148, 
453,460,465. 

MONGE  F.  nég.,  35,  35(n),  36(n),  82(n),  200(n), 
202(n),  246,  351,443. 

MONITEUR  DES  FONDS  PUBLICS,  141,142, 

211,  225,  225(n),  226,  239,  239,  239(n),  479. 
MONITEUR  OFFICIEL,  182. 

MONTAGSBLATT,  journal,  331. 

MONTEFIORE,  financier,  46. 

MONTMORENCY,  138(n),  190,  211,  211(n). 
MORALI  A.  fonct.,  246,  270. 

MORDINI,  député,  166. 

MORENO,  courtier  isr.,  200,  202,  203,  203(n), 
268(n),  270,  274(n),  304,  349. 

MORNY,  327. 

MORPURGO,  isr.,  de  Tunis,  185,185(n),  186, 
186(n),  207,272. 

MORPURGO,  financier,  139,185,188,189, 
251(n),  351. 


MORTON,  V.  Peto,  47,  47(n),  134,134(n),  266. 
MOSSELMANN,  financier,  194,196. 

MOSTAKEL,  hebdomadaire,  359,  359(n),  374, 
375,  398(n),  480. 

MOT  D'ORDRE  (Le),  journal,  138(n),  144,149, 
210,  212(n),  222,  398,  399(n),  401,  403(n), 

422,  422(n),  478,  479. 

MOULIN,  élève-consul,  39,  39(n),  49(n),  146, 
175,181(n),  192(n),  193(n). 

MOURAD,  13,14. 

MOURAD  III,  13. 

MOUSTIER  (de),  diplomate,  132,155,155(n), 
157,172,177,179,  206,  211,  212,  212(n),  213, 
214,  214(n),  217,  218,  219,  220,  223,  224,  225, 
226,  227,  227(n),  229,  230,  443,471. 

MRASSEN,  tribu,  112. 

MSAKEN  (Tunisie),  97,154,154(n),  171. 

MUN  (de),  député,  427. 

MUNSTER,  diplomate,  310(n),  318,  318(n), 

321. 

MUSSALLI  (elias),  fonct.,  56,  61,  61  (n),  127, 
137,196,196(n),  203(n),  272,  348,  429. 
MUSSALLI  (Mme  elias),  140,170,  347,  348, 

349,  742. 

MUSSI  G.,  député,  332,  333,  334,  334(n),  345. 
MUSTAPHA  BACH  AGHA,  ministre,  27,  54(n), 
59,  59(n),  60,  61,  95(n),  135,135(n). 
MUSTAPHA  BEN  AZOUZ,  cheikh  de  zaouïa,  111. 
MUSTAPHA  BEN  ISMAIL,  favori,  273,  275,  277, 
281(n),  291,  298,  299,  301,  302,  303,  334,  337, 
343,  345,  350,  355,  369,  373,  377. 

MUSTAPHA  BEY  (1835-1837),  17. 

MUSTAPHA  KHAZNADAR  (le  khaznadar),  66, 
135,136,142,150,175,180,184,185,  241, 
251,  269,  273,  273(n),  278(n),  291,  300. 
MUSTAPHA  SAHIB  ET-TABAA,  ministre, 
MYTILENE,  59,  64,  64(n). 

N 

NAPLES,  32,  33(n),  37,107,166,166(n), 
209(n),  256,  256(n). 

NAPOLÉON  (prince),  27,  225. 

NAPOLÉON  78,  78(n),  281,  336. 

NAPOLEON  III,  19,  27,  32,  55,  58,  63,  63(n), 
167,180,  208,  216(n),  224,  443,  448,  472,  473. 
NAPOLEON  (le),  journal,  422. 

NAQUET,  député,  424,  424(n),  426. 

NAVARIN,  16. 

NEFFAT,  tribu,  115,116. 

NEFTA  (Tunisie),  111,  111  (n). 

NEFZA,  tribu,  117. 

NEFZAOUA  (Tunisie),  70,  70(n),  98,116. 
NEMENTCHA,  tribu,  114. 

NESSIM  (caïd)  :  v.  Samama,  60(n),  61,  61(n), 

69,  96(n),  105,105(n),  107,108,123,123(n), 
125,126,126(n),  129,130,130(n),  134,135, 
136,140,140(n),  141,141(n),  151,151(n), 


483 


185,185(n),  186(n),  191(n),  196,  200,  239(n), 
240,  273,  273(n),  278(n),  279(n),  285,  401(n), 
402(n),  475,  476. 

NEW  GAS  C°,  292,  354. 

NICE,  23,  26,  315(n),  344,400,  409. 

NICHAN  IFTIKHAR,  décoration,  19,  33,  80,197 
209(n),  345(n),  355,  433(n). 

NIGRA,  diplomate,  156,165(n),  167,167(n), 
168,168(n),  216,  216(n),  217,  217(n),  219, 
219(n),  220(n),  228,  231,  232,  232(n),  261(n), 
331(n),  446. 

NISCO,  député,  256,  256(n),  262(n). 

NOAILLES  (de),  diplomate,  330,  332,  333, 
339(n),  345(n),  348(n),358(n),  359(n),  362, 
362(n),  363,  364,  364(n),  365(n),  367(n), 
373(n),  374(n),  382(n),  383(n),  384(n), 

385(n),  387(n),  388[n),  389(n),  390(n), 

392(n),  393,  393(n),  394,  394(n),  395,  395(n), 
396,  396(n),  397(n),  406(n),  413(n),  415(n), 
417(n),  440,  442. 

NOUSRET  BEY,  officier,  27. 

NYSSEN,  consul,  32,460. 

O 

OCÉAN  INDIEN,  87. 

OPINIONE  (1'),  journal,  331,  382,  382(n),  480. 
OPPENHEIM  H.  financier  isr.,  138,138(n), 
185(n),  186,186(n),  187,188,189,194,196, 
197,  207,  207(n),  209,  214,  227,  251(n). 

OR  AN,  14. 

ORSAY  (Quai  d'],  18,  20,  67,123(n),  146,147, 
151,156,199,  202(n),  207,  208,  209,  209(n), 
210,  211,  212,  212(n),  213,  222,  225,  226(n), 
227,  229,  296,  311,  327,  339,  372,  374,  385, 
390,  392(n),  393,  396,414,429,  437,  438,  439, 
442,  443. 

OSMAN  (Général),  153,  241. 

OSMAN  BEY  (1814),  14,  15. 

OTTOMAN  BANK,  46,  268,  268 (n). 

OU  ART  ANE,  tribu,  152. 

OUCHTÉTA,  tribu,  112,112(n),  114,  415. 
OUERGHAMMA,  tribu,  116. 

OULED  ABD-EN-NOUR,  tribu,  173. 

OULED  ALI,  tribu,  112. 

OULED  AOUN,  tribu,  61,112,149. 

OULED  AYAR,  tribu,  90,  94,114,152,1 52  (n) . 
OULED  BOU  GHANEM,  tribu,  112,146,148, 
290,  413(n). 

OULED  S  AID,  tribu,  115,169. 

OULED  YACOUB,  tribu,  112,116. 

OULED  YACOUB,  tribu  de  LArad,  148. 

OULED  YAHIA,  tribu  algérienne,  93. 

OUNIFA,  tribu,  11 2,114,149,1 52,152  (n) . 
OUTHAN  EL  KABLI,  caïdat,  94. 

OUTREY,  diplomate,  157,  463. 


P 

PACIFICO  (affaire),  386. 

PAGET  (Sir  Augustus),  259,  261,  261(n). 

PAGET  (Lord),  diplomate,  30(n),  230,  230(n), 
261,  311(n),  312,  313,  382,  398,  398(n),  439. 
PALERME,  41,166,  293,  374,  384,  385(n),  393. 
PALL  MALL  GAZETTE,  399(n),  400,  400(n), 
403(n),  422,  422(n),470. 

PALMA  DI  BORGOFRANCO,  consul,  165. 
PALMERSTON,  22,  31,155(n),  160,  309. 
PANARIELLO,  413,413(n). 

PANTELLERIA,  30,  34,  34  (n). 

PASTRE  J.  négociant,  43,  354. 

PAUNCEFOTE,  diplomate,  386,  386(n). 
PAYS-BAS,  32,  32(n),  207,  207(n),  295,  295(n), 
296,  367,  398(n),  405,  409,410,411,443,470 
PAZ  I.  courtier  isr.,  200,  201,  202(n),  252(n). 
PAZ  A.,  son  fils,  252,  271,  271(n),  283(n). 
PELISSIER  (Marichal),  29,112,146,  335. 
PELLETAN  C,  député,  556,  669,  636-693. 
PELLETIER,  282,  297,  297(n),  298(n),  301. 
PELLISSIER  de  REYNAUD,  auteur,  52(n),  89(n), 
90(n),  99(n),  104(n),  114(n),  115(n),  450,  455. 
PELUFFO  A.,  négociant,  36,  36(n),  201. 
PENINSULAR  AND  ORIENTAL,  CIE  DE,  46. 

NAVI  G.,167. 

PEPOLI,  diplomate,  166,166(n),  167. 

PEREIRE,  132,  194,  295(N),  348(N),  356(N), 
433,434. 

PERSEVERANZA  DA)  journal,  331,  359(n). 
PEROU,  198. 

PETIT  PARISIEN  DE),  journal,  399,421,  422, 
422(n),  469,470. 

PETO  (SIR  MORTON),  financier,  47,47(n),  48, 
134,134(n),  266. 

PICKERING,  INDUSTRIAL,  211(n),  267,  267(n), 
292(n),  362(n). 

PINARD  À  financier,  187(n),  192,192(n), 
195(n),  196,197,197(n),  198,198(n),  204, 
204(n),  206,  206(n),  207,  207(n),  210,  212, 
214,  214(n),  220,  221,  221(n),  222,  222(n), 
224,  225,  226(n),  227,  228,  229,  230,  231,  232, 
239,  239(n),  242(n),  244,  247,  247(n),  248, 
250,251,272,  422(n),  433. 

PINNA,  consul,  38(n),  170,176,176(n),  177, 
181,181(n),  182,182(n),  183(n),  184(n), 
192(n),  195(n),  198,198(n),  201,  201(n),  202, 
202(n),  203(n),  209(n),  212(n),  216,  216(n), 
218(n),  219,  223(n),  230,  230(n),  232,  232(n), 
238,  239(n),  242,  242(n),  243(n),  244(n), 
246(n),  249,  251,  252,  252(n),  255,  257, 
257(n),  258,  258(n),  259,  259(n),  261,  262, 
266,  268(n),  280,  280(n),  289(n),  291,  293, 
294,298,300,332,338,  438. 

PISANI  M.,  201,  215,  237(n),  289(n),  352, 
352(n),  353(n). 

PISE,  106,107,  202,  345. 


484 


PITT,  309. 

PLANAT  [oscar],  député,  196,196(n),  463. 

P.  L.  M.,  132,134(n),  426. 

PLOMBIÈRES,  167(n),  224,  447. 

POPOLO  ROMANO,  journal,  359(n),  382, 
382(n),  470. 

PORGÈS,  398. 

PORTIER,  financier,  194. 

PORTO-EARINA  (Tunisie),  86,119,124. 
POTHUAU  (amiral),  329(n),  340. 
PRÉVOST-PARADOL,  327. 

PROVINCES-UNIES,  105. 

PRUSSE,  32(n),  138(n),  220,  224,  230,  232, 
249(n),  319(n) 

PULIGA,  consul  juge,  220(n),  289. 

Q 

QADIRIYYA,  confrérie,  111. 

QUEILLÉ,  insp.  des  finances,  303,  337,  338, 
338(n),  428. 

R 

RADES  (Tunisie),  364,  364(n),  365. 

RAEEO  (Comte  Eelice),  36,  36(n),  61,  61(n). 
RAEEO  (Comte  Giuseppe),  25,  25(n),  191(n), 
238,  238(n),  305(n). 

RAEEO,  (Comte  Giuseppe),  fils  de  Eelice,  164, 
344(n). 

RAMEAU  (Le),  consul,  251,  251  (n). 

RANDON  (Maréchal),  16(n),  29(n),  31,  31(n), 
45(n),  63(n),  128(n),  145(n),  150(n),  151(n), 
152(n),  157,165,  249(n). 

RANKING,  banquier,  268,  268(n),  292,  294(n). 
RAPIDO,  aviso,  345. 

RAPPEL  (Le),  journal,  481(n). 

RATTAZZI  G,  député,  167,  256,  256(n),  257. 
READE,  consul,  251,  251(n),  302,  304(n), 
344(n),  345(n),  347(n),  349  ,351,  351(n),  352, 
373,  375(n),  376(n),  378,  378(n),  379,  380, 
385,  386(n),  388,  389,  395,  411(n),  413(n), 
414(n),  415(n),  431(n),  432. 

RÉCHID  (Général),  agha,  95(n),  199,199(n), 
290,  290(n). 

RÉCHID  (Général),  ministre,  95(n),  199. 
RÉCHID  (Général),  caïd,  95(n),  199. 

RÉCHID,  grand  vizir,  95(n),  199. 

RÉFORME  FINANCIERE  (La),  hebdomadaire, 
211(n),  217,  297,  297(n),  298,  298(n),  301, 
304(n),  305,  305(n),  400(n),  401(n),  469. 
REINACH,  398,  399(n),451. 

REKBA,  tribu,  112. 

RÉMUSAT,  ministre,  180(n),  248(n),  263, 
263(n),  264(n),  265,  265(n),  266,  266(n), 
267(n),  270(n),  271(n),  272(n),  273(n). 
RENAULT  (Léon),  député,  373,  373(n),  400, 
400(n),  401(n),  409,410(n),  411(n),  422(n), 
423,  425,  428. 


RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE  (La),  journal,  297, 
297(n),  319(n),  399(n),  401(n),  421(n), 

422(n),  431. 

RÉVÉLATEUR  (Le),  journal,  252. 

REVENGE,  vaisseau,  172. 

RIHR  (Oued)  (Algérie),  116. 

RIAH,  tribu,  115;  148. 

RICCI,  officier,  38,  38(n),  84(n),  165,165(n), 
166,168,169,169(n). 

RICHARD,  député,  22,  23,  23(n),  24(n),  25,  33, 
146,158,177(n),  207(n),  268(n),  401(n),  409, 
410(n),  441. 

RIFORMA  (La),  journal,  235(n),  331,  334, 
334(n),  348(n),  350,  358,  359,  359(n),  374, 
382,403,  469,  470. 

ROBILANT,  diplomate,  312. 

ROBINSON  ET  FLEMING,  banquiers,  224. 
ROCCA,  précepteur,  283,  283(n),  298,  300,  304, 
305,349,455,  463. 

ROCHEFORT,  publiciste,  279,  399,  403,  410(n), 
420,  420(n),  421,  421(n),  422(n),  428,429, 
431,  431(n),  432,  468,469. 

ROCHES  L.,  consul,  20,  20(n),  21,  21(n),  22, 

23,  24,  24(n),  25,  25(n),  27,  27(n),  30,  32,  33, 
33(n),  47(n),  48,  48(n),  49,  53,  53(n),  54(n), 

55,  58,  63,  63(n),  64,  65,  65(n),  66,  67(n), 

70(n),  71(n),  76,  76(n),  77(n),  82(n),  91,  92(n), 
108(n),  112(n),  125,125(n),  126,126(n),  127, 
127(n),  134,134(n),  135,137,139,139(n), 
144(n),  145,146,146(n),  158,184,  227, 

227(n),  229,  237(n),  438,  452,  455. 

ROHIA,  domaine,  170. 

ROLES  ).,  planteur,  46,  46 (n),  47,  49. 

ROMA,  cuirassé,  363,445,447,  448,  449,  460, 
468,  471. 

ROME,  7,  22,  22(n),  25,  32,  32(n),  34,  38, 

41  (n),  49(n),  95(n),  105(n),  106(n),  107(n), 
108(n),  119(n),  127(n),  128(n),  129(n), 

134(n),  137(n),  139(n),  146(n),  148(n), 

151(n),  153(n),  154(n),  155(n),  156(n), 

157(n),  161(n),  164(n),  165(n),  167,167(n), 
168,168(n),  170(n),  172(n),  175(n),  176(n), 
177(n),  179(n),  181(n),  182(n),  183(n), 

184(n),  191,191(n),  192(n),  195(n),  198, 

199,  201(n),  202(n),  203(n),  209(n),  211(n), 
212(n),  214,  216(n),  217(n),  218(n),  219(n), 
220(n),  223(n),  228(n),  230(n),  231(n), 

234(n),  238(n),  239(n),  242(n),  243(n), 

244(n),  246(n),  251(n),  255,  256(n),  257(n), 
259(n),  261(n),  262(n),  263(n),  270(n), 

279(n),  291(n),  307,  311(n),  312,  312(n), 
313(n),  314,  319(n),  322,  322(n),  323(n), 
331(n),  332,  333,  334,  338(n),  339(n),  345, 

346,  346(n),  347,  350,  357,  358,  358(n), 

359(n),  360,  361,  362(n),  363,  364,  365,  374, 
380,  380(n),  381,  381(n),  382,  382(n),  383, 
383(n),  384,  385,  387(n),  388,  388(n),  392, 

393,  394,  394(n),  395(n),  396,  396(n),  397(n), 


485 


398(n),  41500,  437,438,  440,  442,  444,  445, 
447,449,  451,452,454,460,472,474,  475, 
477,480 

ROTHAN,  diplomate,  31(n),  179(n),  259, 
259(r0,  260,  260(n),  261,  261(n),  449. 
ROTHSCHILD  (J.  de),  43(n),  46,  87(n),  13400, 
137,13700,196,294. 

ROTHSCHILD,  de  londres,  43(n),  46,133,193, 
194,194(n),  394. 

ROUDAIRE,  officier,  294,  294(n),  296,  457,  459, 
461. 

ROUHER,  138,190,228. 

ROUSSEAU  E.  négociant,  27(n),  35(n),  36(n), 
200,  20000,  201,450,452,  456,461,  463. 
ROUSTAM,  ministre,  59,  59(n),  61,95(n),  135, 
173,175,180,181,  223,  223(n),  237,  277,  285. 
ROUSTAN,  consul,  4,  2500,  6100,108(n), 
14800.  208[n),  209(n),  22600,  23500, 

23600.  281,  28100.  282,  28200,  283,  289(n), 
290,  29000.  291,  292,  29300,  294,  294(n), 

295,  296,  29700.  298,  298(n),  299,  300, 

30000.  301,  30100,  30300,  304,  304(n), 
305(n),  306(n),  307(n),  308(n),  325(n),  329, 
330,  330(n),  332,  33200,  333,  33300,  334, 
33400.  335,  337,  337(n),  338,  33800,  339, 
339(n),  341,  341(n),  342,  34200,  343,  34300, 
344,  345,  34500,  346,  347,  347(n),  348, 

34800.  349,  34900.  350,  350(n),  351,  353, 

354,  355,  35500.  356,  35600,  357,  35700, 

358,  35900,  360,  361,  362,  363,  36300,  364, 
36400.  365,  36500.  367,  36700,  369,  370, 
370(n),  372,  373,  37300,  374(n),  37600,  378, 
378(n),  37900.  380,  380(n),  383,  38300,  384, 
38900.  390,  39100.  392,  39200,  393,  394(n), 
395,  39500,  397(n),  399,  402(n),  403(n), 
40400.  41100,412,41200,413,41300,  414, 
41400,  415,  41900.421,  42100,  42200,  423, 
42300,  425,  428,  42800,  429,  42900,  430, 
431,43100.  432,433,  43300,  43400,435, 
43500,  438,  441,  468. 

ROUVIER,  député,  411,  448,  462. 

ROUX,  nég.,  16,16(n),  43,43(n),  45(n),  13700, 
445. 

RUBATTINO,  armateur,  37(n),  41,17500, 

238,  293,  356,  35600,  358,  35800,  360,  361, 
36100,  362,  36200.  365,  374,  439(n). 

RUEEIÉ,  médecin,  204(n),  206. 

RUHR,  130. 

RUSSIE,  16,  32,  82,13,  363,  26500,  29500, 

309,  310,  311,  312,  31900,  32300,  381,417, 
438,43800.  440 

S 

SADIKI,  collège,  4,  283,  288,  302,  303,  369. 
SADIKI,  hôpital,  286,  350. 

SADIKIA,  Erégate,  86,  87. 

SAHARA,  81,109,111,115,116,  213,  458. 


SAHEL  (Tunisie),  4,  35,  37,  41,  41  (n),  42, 

42(n),  43,  44,  46,  47,47(n),  49,  59,  60,  70, 
70(n),  71,  72,  79,  81,  84,  90,  93,  94,  97,  97(n), 
98,  98(n),  99,105(n),  106,110(n),  114,115, 
11500,124,150,152,153,154,169,170,171, 
172,  173, 17300. 174, 174(n),  193,198,  241, 
243,  245,  27000.  291,  293,  293(n),302(n), 
30400,  356,  356(n),  372,  374,  375,  451,  452, 
453,457,459,  460. 

SAILLARD,  diplomate,  183,183(n),  252. 
SAINT-CLOUD,  213. 

SAINT-CYR,  82. 

SAINT-ETIENNE,  423. 

SAINT-JEAN-D'ACRE,  23. 

SAINT-EOUIS  (raffinerie  de),  136,136’n),  348, 
368,  450. 

SAINT-MAUR-DES-EOSSÉS,  136  (n). 
SAINT-NECTAIRE,  299. 

SAINT-PÉTERSBOURG,  213(n),  312. 
SAINT-SIÈGE,  227(n),  353. 

SAINT-V ALLIER,  diplomate,  226,  226(n),  315, 
315(n),  316,  317,  319,  319(n),  320,  320(n), 

330,  339,  339(n),  339,  340,  341,  341(n), 

384(n),  385(n),  385,  391(n),  393,  394,  396, 
415(n),  471,  439,440,441,445. 

SAKIET  SIDI  YOUSSEE  (Tunisie),  290. 

SALAH  BEN  MOHAMMED,  kâhia,  152,182,183. 
SAEISBURY  (Eord),  3,  23(n),  40(n),  251(n), 
300(n),  302(n),  304(n),  306(n),  307(n),  310, 
310(n),  318,  318(n),  319,  319(n),  320,  320(n), 
321,  321(n),  322,  322(n),  323,  323(n),  324, 
324(n),  325,  330,  330(n),  331,  331(n),  332(n), 
333,  334,  334(n),  339(n),  343,  344,  344(n), 
345(n),  348(n),  364,  364(n),  381,  384,  389, 

390,  393,400,  439,  441,  443,  445,  448. 
SAEOMON  (roi),  3  6,123,125,1 91  (n) . 

SAMAMA  (caïd  chloumou),  69,191,191(n), 

285. 

SAMAMA  (caïd  nessim),  60(n),  69,1 05,105  (n), 
123,123(n),  125,191(n),  196,  273,  2373(n), 
401.401(n),  466. 

SANCY,  23,  209,  214,  214(n),  261,  262(n), 
281(n),  282(n),  283,  283(n),  304,  335,  335(n), 
336,  336(n),  337,  338,  339,  341,  342,  348, 
350(n),  351,351(n),  359(n),  365,  369,422(n), 
428,  431,474,475 
SAN-STEEANO  (traité  de),  310,  318. 
SANTIELANA  M.,  Isr.,  24,  24(n),  46,46(n),  47, 
47(n),  202,  203,237,  304. 

SANTILLANA  D.,  son  fils,  24,191  (n),  338, 
338(n),  341,  361,  367. 

SARDAIGNE,  4,  21(n),  25(n),  32,  33(n), 

34(n),45,  58,155(n),  176(n),  357(n),  438. 
SAUTTER,  financier,  295 (n),  405. 

SAY  E.,  ministre,  133,  327,  329(n),  364,  364(n), 
400,  403(n). 

SCHMIDT,  agent  d'Erlanger,  142(n),  186,189, 
189(n),  190,  190(n),  194,198(n),  208,  210, 

456. 


486 


SEBAG  H.,  Juif  de  Tunis,  251,  2510),  268(n), 
270,  270(n),  272,  278,  278(n),  279,  302, 
302(n),  304(n),  306(n),  400(n). 

SEBOUAl,  chef  rebelle,  148. 

SÉCESSION  (guerre  de),  131. 

SEDAN,  315. 

SEILLIÈRE  (baron),  207(n),  401(n). 

SEINE,  département,  47(n),  198,279(n), 
350(n),  353(n),  373(n),  428,464,  465,471. 
SÉLIM  (général),  148,148(n),  149,154. 
SEMAINE  FINANCIÈRE  (La),  hebdomadaire, 
134(n),  187(n),  197(n),  206,  206(n),  207(n), 
208(n),  211(n),  295(n),  296(n),  298(n), 
303(n),  400,407(n),  411(n),  469. 

SEMAPHORE  (Le),  journal,  301,  301(n),  304, 
304(n),  305,  305(n),  306(n),  350,  351,  367(n), 
415(n),  463,468,470. 

SERBIE,  298. 

SERVER  PACHA,  ministre,  263,  264. 

SFAX,  29,  35,  37,  40,  41,  42,  44,  49,  71,  73, 
93(n),  95(n),  97,  99,106,  lll(n),  114,115, 
115(n),  116,130,147,148,148(n),  149(n), 
150,153,153(n),  159,162(n),  163(n),  169, 
174,175(n),  192(n),  198,198(n),  245,  245(n), 
251(n),  252,  265,  267,  287,  289(n),  291,  293, 
293(n),  304(n),  349,  350,  356(n),  410(n),  453. 
SFEZ  S.  isr.  de  Tunis,  52,  53,92,126. 

SICILE,  4,  30,  34,  34(n),  41,166,  318,  357,  374 
SIDI  BOU  ALI  (Tunisie),  97. 

SIDI  BOU  SAID  (Tunisie),  94,  96(n),  151(n), 
250. 

SIDI  TABET  (Tunisie),  209,  261(n),  281(n), 
283(n),  335,  336,  336(n),  337,  338,  338(n), 
341,  342,  365,  337,  369,407(n),  422,435(n). 
SIDON,  23. 

SIEGFRIED  banquier,  295(n),  401(n),  405, 
435(n). 

SIMEONI,  avocat,  237(n),  261(n),  270,  270(n). 
SINAN  PACHA,  13. 

SMYRNE,  64,176(n),  282,  352(n). 

SOCIETA  ANONIMA  COMmeRCIALE,  256, 
256(n),  465. 

SOCIETA  MINERARIA  METALLURGI.  CA, 
354(n),  357,  357(n),  358(n),  461. 

SOCIÉTÉ  des  COMPTOIRS  MARITIMES,  587. 
SOCIÉTÉ  FRANCO-AFRICAINE,  367,407, 
407(n). 

SOCIÉTÉ  FRANCO-ÉGYPTIENNE,  407. 

SOCIÉTÉ  FRANCO  TUNISIENNE  de  CRÉDIT, 
354,407(n). 

SOCIÉTÉ  GÉNÉRALE,  192,  220,  222,  223, 
223(n),  224,  226,  229,  354(n),  407(n),  442. 
SOCIÉTÉ  MARSEILLAISE  DE  CRÉDIT,  283(n), 
341,354,468. 

SOIR  (Le)  journal,  187,  267,  280(N),  422, 
422(N). 

SOLIMAN  (Tunisie),  94,  290. 

SOUASSI,  tribu,  98,114,115,169. 


SOUBEYRAN  (de),  Financier,  372,  372(N),  373, 
409,410(N),  411(N). 

SOUF,  114. 

SOUK  AHRAS,  112,150. 

SOUKRA  (La)(Tunisie),  356. 

SOUSSE,  35,40,  41,41(n),  42,  42(n),  47(n), 
48,49,  48(n),  51,  59,  60(n),  61,  70,  70(n),  71, 
72,  72(n),  73,  73(n),  79,  83,90,  92(n),  94,95, 
95(n),  96,  96(n),  97,  97(n),  98,  99,  99(n),  100, 
105,114,115,115(n),  116,130,147,148(n), 
149,149(n),  150,150(n),  152(n),  153,153(n), 
154,154(n),  159,159(n),  161(n),  162,164(n), 
169(n),  170,171,172,172(n),  174,174(n), 
175,180,195(n),  198(n),  203,  237(n),  245, 
245(n),  251(n),  257(n),  267,  293(n),  296,  365, 
375,  405,457,463 
SOUYA,  domaine,  376. 

SPEZIA  (La)  (Italie),  259. 

STAFFETTA,  aviso,  374. 

STANDARD,  journal,  378,  389(n),  422,  470. 
STANLEY  (Lord),  v.  Derby.  216(n),  217(n),  310, 
313(n). 

STAUB,  financier,  134. 

STEVENS,  V.  consul,  STORA  (Algérie),  42(n), 
152(n),  159,159(n),  162(n),  164(n),  344(n), 
348(n). 

STRASBOURG,  316(n),  436,455. 
SUÈDE-ET-NORVÈGE,  32,  32(n),  249,  249(n) 
SUEZ,  30,  294,  309,  310,  318,  319(n),  360,  468 
SULZBACH,  banquier,  138. 

SUTTER  (Mgr),  32. 

SYRIE,  23,  23(n),  27(n),  61(n),  136(n),  263(n), 
316(n),  318,  319,  320,441,472. 

T 

TABARKA  (Tunisie),  31,  36,  44(n),  45,  45(n), 
94,117,181,182,  270(n),  296,  330,  356,  357 
TAHAR,  prince,  68(n),  129,198(n). 

TAIEB,  prince,  68,  68(n),  129,180,192,199, 
349(n),  350,  350(n),  374,  397(n),  414,  414(n), 
428,  468. 

TAIEB  BEL  HADJ,  256,  256(n),  257(n),  258,. 
TAITBOUT,  rue  de  Paris,  138,138(n),  188,189, 
211,227,  227(n). 

TALABOT,  45,  295,  366. 

TALANDIER,  député,  420. 

TALLOIS,  204,  206. 

TAVERNE  (de),  officier,  35 (n),  82,  82(n),  83,  86, 
273(n). 

TEBESSA,  29,173. 

TEBOURBA  (Tunisie),  71,  71(n),  80,  80(n), 
82,83,  90,  93,  94,  95(n),  99,119,190,  210(n), 
249(n),  255. 

TEBOURSOUK  (Tunisie),  45,149,  302(n),  460 
TÉHÉRAN,  155. 


487 


TELL,  16,  29(n),  30,  71,  93,  93(n),  109,109(n), 
llO(n),  111,  lll(n),  112(n),  113,113(n), 
114(n),  117,148(n),  152,450,455. 

TEMACINE,  [Algérie),  111. 

TEMPS  (Le)  journal,  393,  393(n),  397(n), 
399(n),  404,  427(n). 

TESTOUR  (Tunisie),  46,  94,113,161. 

T.  G.  M.,  chemin  de  fer,  354,  355,  356,  360,  361, 
361(n),  362,  364,  381,  383,  391,  433. 

THALA  (Tunisie),  146,  460. 

THEIS  (DE),  consul,  20,  20(n),  45(n),  72(n), 
112(n). 

THELLE  (pays  de),  204(n). 

THIERS,  16,17,17(n),  18,  263(n),  372(n), 
373(n). 

THOMAS  E.,  financier,  351(n),  401(n),  405,409, 
410,  448. 

THUNDERER,  cuirassé,  387,  388. 

TIFEANY,  336,  475. 

TIMES,  journal,  46,  32(n),  378(n),  422(n),  442, 
470,471. 

TIRARD,  ministre,  395 (n). 

TISSOT,  diplomate,  70(n),  81(n),  116(n), 

387(n),  393,  394(n),  439. 

TOBROUK,  333. 

TONKIN,  436. 

TOSCANE,  32,  46,103;  106,155(n). 

TOUACHE,  C'®  de  navigation,  41. 

TOUGGOURT,  111. 

TOULON,  30,  78,  86,157,  315,  340. 

TOUR  D'AUVERGNE  (La),  ambassadeur,  154(n), 
155,155  (n),  157,158(n),  163(n),  179,179(n), 
217,  217(n),  219(n),  220(n),  230,  230,  230(n), 
240(n),  241(n),  243(n). 

TOZEUR,  92(n),  98,173. 

TRAPANI,  34,166,  358,  453. 

TRAVERSO  (Mme),  61(n),  348(n),  350,  352. 
TRAVERSO  Am„  nég.,  352. 

TRAVERSO  P.,  nég.,  35(n),  348(n),  352. 
TRAVERSO  S.,  négociant,  36(n),  136(n),  352. 
TREHOUART  (v.  amiral),  54. 

TRIESTE,  314,  315(n). 

TRIPOLITAINE,  20,  30,  48,  81,108,  111,  116, 
331,  454,  455,  457,  458,  461,  463. 
TRIVOLZI-HOLLANDER,  fin.  isr.,  197,  207. 
TULIN,  consul,  32(n),  249,  249(n),  456. 
TUNISIE,  3,  4,  7,  9,10,ll,13,16,16(n),  18,  22, 
25,  26,  28,  29,  29(n),  30,  30(n),  31,  32,  32(n), 
33,  33(n),  34,  35(n),  41,  44,45,  45(n),  46,47, 
48,  48(n),  49(n),  53(n),  58,  63,  63(n),  67(n), 
70(n),  76(n),  78(n),  79(n),  81(n),  89(n),  90(n), 
91(n),  93(n),  95(n),  96(n),  97(n),  103,103(n), 
104(n),  106,108,108(n),  109(n),  llO(n), 
lll(n),  112(n),  113,115,115(n),  116(n),  117, 
118(n),  119,124(n),  127(n),  128(n),  132, 
136(n),  138(n),  139,139(n),  148(n),  157, 

159,  160,161,162,163(n),  165,167,  167(n), 
171(n),  172,173(n),  174(n),  175,177,179, 


181,182,183,187,189(n),  190,1 94, 195(n), 
198,199,  205,  207(n),  208,  209,  209(n),  212, 
213,  214(n),  216,  217,  226(n),  227,  228, 
234(n),  235,  235(n),  238,  247(n),  249,  249(n), 
250,  253,  256,  257,  258,  261,  262,  263,  264, 
265,  266,  269,  279,  279(n),  280,  281(n), 
282(n),  283,  283(n),  284,  284(n),  288(n),  290, 
290(n),  291,  291(n),  292,  293,  294,  294(n), 
295,  296,  297(n),  298(n),  299,  300(n),  301, 
301(n),  303,  305(n),  307,  308,  309,  313,  316, 
318,  318(n),  320,  321,  322,  323,  324,  325, 
325(n),  329,  330,  331,  331(n),  332,  333,  334, 
335,  336,  339(n),  341,  344,  346,  348,  350,  353, 
354,  354(n),  355,  356(n),  357,  359,  359(n), 
360,  362(n),  364,  364(n),  365(n),  366,  366(n), 
367,  367(n),  372,  374,  374(n),  380(n),  381, 
382,  383(n),  383,  384,  385,  385(n),  386,  387, 
389,390(n),  391,  391(n),  392(n),  393,  393(n), 
395,  397,  397(n),  398,  399,400,  403(n), 
405(n),  406,  408,  409,410,411,  413,  414(n), 
415,  415(n),  417,  418,419,420(n),  421, 
422(n),  425,  429,  430,  431,  432,  434,  434(n), 

436.437,  438,  439,440,  440(n),  441,  442,442, 
442(n),  443,  444,  445,  446,  447,  448,  449,  450, 
451,  452,  453,  454,455,  456,  457,  458,  459, 
460,  461,  462,  463,  465,  468,  471. 

TUNIS  RAILWAYS  C°,  211(n),  267,  292,  361. 
TURIN,  32,  33,  38,44,  79(n),  137,151(n),  155, 
155(n),  156,156(n),  164,164(n),  165,166, 
166(n),  167(n),  167,168,168(n),  179,179(n), 
218,  227(n),  260,  260(n),  346(n),  374(n),  480. 
TURKESTAN,  310. 

TURQUIE,  16,17,18,19,  20(n),  25,  26,  27, 
27(n),  28,  30,  30(n),  46,  51,  53,  54,  59(n),  63, 
92,101,101(n),  131,132,132(n),  138,156(n), 
157,157(n),  158,158(n),  160,165,172, 

176(n),  177(n),  158,158(n),  160,165,172, 
176(n),  177,177(n),  1 78,1 79,1 79  (n),  180, 
181,184,156,156(n),  157,157(n),  158,160, 
165,172(n),  176(n),  177(n),  234(n),  235,  253, 
259,  260,  261,  263(n),  264,  264(n),  265(n), 

277,  280,  299,  309,  310,  319,  319(n),  331(n), 
332,  332(n),  334,  373,  381,  384,  387(n),  417, 

426.438,  440. 

U 

UNION  RÉPUBLICAINE,  355(n),  396,  408, 
421(n),  426,427(n),  435. 

VALENSI,  isr.  de  Tunis,  106,126(n). 

VALENSI  (Gabriel),  106,193,  272. 

VALÉRY  (Cie),  348(n),  360,  366,  366(n). 
VALLAT,  diplomate,  274,  274(n),  275,  275(n), 

278,  278(n),  280,  280(n),  286,  291(n),  336, 

428 

VANDAL,  auteur,  325. 

VANDONI,  137,137(n),  334,  334(n),  477. 


488 


VAN  GAVER  L.  nèg.,  36,  36(n),  43(n),  53(n), 
137(n),  195,195(n),  200,  200(n),  201(n), 
202(n),  301,  301(n),  348,  350,  351. 
VEIL-PICARD,  banquier  isr.,  359,  398,  398(n). 
VÉNÉTIE,  168,331. 

VENISE,  167,168,  333,  350,  433 
VENTRE  M.  nég.,  36,  36(n),  43(n),  441. 

VÉRITÉ  (La),  journal,  422(n). 

VERNOUX  (de),  financier,  194. 

VERSAILLES,  120,  214(n),  263(n),  265(n), 
266(n),  290(n),  300(n),  307,  311(n). 

VICHY,  180,180(n),  299,481. 
VICTOR-EMMANUEL  II,  108 (n). 

VIENNE,  155,166,166(n),  182,183,  226,  251, 
251(n),  251(n),  263,  291,  312,  312(n),  314(n), 
314,  317(n),  340,  372,  382,  382(n) 

VIGLIANI,  magistrat,  261,  262,  465. 

VIGNALE  G.,  nég.,  37(n),  202. 

VILLET  V.,  insp.  des  finances,  24,  66(n), 

71(n),  75,  76,  76(n),  90(n),  119(n),  121(n), 
122,122(n),  124(n),  125(n),  126(n),  129(n), 
130(n),  136(n),  137(n),  140,140(n),  141, 
141(n),  142,185(n),  186(n),  188,188(n), 
189,189(n),  192(n),  193(n),  195(n),  197(n), 
203(n),  204,  204(n),  209(n),  215,  215(n),  225, 
225(n),  234,  234(n),  235,  237,  238,  239(n), 
240,  240(n),  241(n),  242,  242(n),  243,  244, 
246,  247,  247(n),  248,  248(n),  249,  250, 
250(n),  251,  251(n),  252,  252(n),  253,  268, 
269,  271,  271(n),  272,  272(n),  273,  273(n), 
274,  274(n),  275,  278,  278(n),  280,  281(n), 
282,  282(n),  283,  283(n),  284,  286,  291,  295, 
295(n),  296(n),  298(n),  299(n),  301,  301(n), 
302(n),  303,  304(n),  305,  305(n),  306,  306(n), 
307,  307(n),  335(n),  336,  336(n),  347(n),  428, 
429,434,  434(n),  439,  441. 
VISCONTI-VENOSTA,  ministre,  32,  32 (n), 

33(n),  38(n),  107(n),  153(n),  154(n),  155(n), 
156,156(n),  164,164(n),  165(n),  166,167(n), 
168,168(n),  191(n),  195(n),  203(n),  212(n), 
257(n),  258,  258(n),  259,  259(n),  260,  260(n), 
261,  261(n),  263. 

VITTORIO  (Italie),  36(n),  108,  256,  444,  447. 
VOGUE  (comte  de),  diplomate,  180(n). 

w 

WADDINGTON,  3,  304,  304(n),  308(n),  311(n), 
315(n),  316,  316(n),  318,  319,  319(n),  320, 
320(n),  321(n),  321(n),  323,  324,  324(n),  325, 
325(n),  329,  329(n),  330,  330(n),  331(n),  332, 
332(n),  333,  334,  335,  338,  339,  339(n),  340, 
340(n),  341,  341(n),  342,  342(n),  343,  343(n), 
344,  348(n),  353,  363,  363(n),  381,  385(n), 
390,  391,  391(n),  393,  400,  400(n),  419(n), 
428,  431,  439,  445,  445,  453. 

WALEWSKI,  20(n),  21(n),  24(n),  27(n),  28(n), 
31,  31(n),  47(n),  48(n),  53(n),  54(n),  54,  55, 


55(n),  63(n),  64(n),  65(n),  67(n),  70(n),  71(n), 
76(n),  125(n),  126(n),  127(n). 
WALSIN-ESTERHAZY,  officier,  78. 

WARR  (lord  de  la),  378,  378(n),  388(n). 
WILSON  D. 

WOOD  R.,  consul, 

Y 

YELVERTON  (Am.),  172,172(n). 

YOUNES  L,  Isr.,  de  Sousse,  174(n). 

Z 

ZAGHOUAN  (Tunisie),  48,  77(n),  115,120,128, 
134,144,  228(n),  267,  279(n),  465. 

ZARROUK  (Général),  ministre,  60,  60(n),  95, 
95(n),  lll(n),  123,135,173,174,180,193, 
198,241,149,170. 

ZARROUK  (Larbi),  fond.,  60(n),  302,  302(n), 
338,  370(n). 

ZARZIS  (Tunisie),  154,45  8. 

ZEGHALMA,  tribu,  112. 

ZEMBRA,  îlot,  176. 

ZLASS,  tribu,  90,  95,  98,110,114,115,148, 
149,152,169,171,173. 


489 


V 


490 


MISE  AU  POINT  BIBLIOGRAPHIQUE 

(2ème  ÉDITION  -  TUNIS  1968) 


Depuis  la  première  édition  de  notre  thèse,  en  1959,  il  nous  a  été  possible  de  consulter 
quelques  nouveaux  documents  d'archives  à  Rome  aussi  bien  qu'à  Tunis.  L'installation  de 
l'Archivio  storio  dans  ses  nouveaux  bâtiments  du  Foro  Italico  s'est  accompagnée  d'un 
assouplissement  de  la  réglementation  en  vigueur.  Ainsi  avons-nous  pu  étudier  certains 
dossiers  dont  la  consultation  était  encore  réservée  quelques  années  plus  tôt,  notamment 
pour  la  période  1875-1880.  Mais,  en  dehors  de  quelques  précisions,  ils  nous  ont  surtout 
apporté  une  confirmation  des  sources  françaises  et  anglaises,  ainsi  que  des  rapports  de 
Gorrini. 

A  Tunis,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  Ghallousi,  conservateur  des  archives  du  Dar 
el  Bey,  nous  avons  eu  accès  à  des  documents  en  cours  de  classement,  notamment  sur 
des  événements  en  rapport  avec  l'insurrection  de  1864.  En  1960  et  1961,  nous  avons 
systématiquement  dépouillé  les  registres  de  mejha,  afin  de  procéder  à  une  évaluation 
régionale  de  la  population  de  la  Régence  au  milieu  du  siècle.  Les  inachevées 

pour  la  plupart,  soulignent  la  richesse  et  variété  des  documents  légués  par  l'ancienne 
administration  beylicale. 

La  publication  de  la  thèse  de  M.  Tchaïdjè,  fondée  sur  l'étude  de  sources  ottomanes, 
confirme  le  point  de  vue  des  diplomates  français.  Elle  souligne  les  efforts  de  Bismarck 
pour  empêcher  la  formation  d'une  coalition  méditerranéenne  dirigée  contre  la  France, 
au  printemps  de  1881.  Nous  avons  également  pu  utiliser  la  thèse  toute  récente  de  M. 
Martel,  orientée  surtout  vers  des  préoccupations  sahariennes  et  tripolitaines,  mais  qui 
n'en  est  pas  moins  précieuse,  car  elle  renouvelle  l'histoire  du  sud  tunisien. 


BRUNSCHWIG  (Henri).  -  Mythes  et  réalités  de  l'impérialisme  colonial  français  (1871-1914).  -  Colin,  1960, 
in-8°,  206  p- 

DEBERNARDI  (Laurent).  -  «Le  premier  chemin  de  fer  tunisien,  le  T.  G.  M.  (1870-1898)».  -  Rev.  fr.  d'Hist. 
d'outre-mer  1963,  pp.  197-226. 

GANIAGE  (Jean).  -  Une  entreprise  italienne  de  Tunisie  au  milieu  du  X1X‘"'‘  siècle.  Correspondance 
commercial  de  la  thonaire  de  Sidi  Daoud.  -  P.U.E,  1960,  in-8°,  171  p.,  ills. 


491 


GANIAGE  (Jean).  -  La  population  européenne  de  Tunis  au  milieu  du  XIX‘'"‘  siècle.  Etude  démographique. 
Préface  de  Marcel  Reinhard.  -  P.U.R,  1960,  in-8‘’,  101  p.  graph. 

GANIAGE  (Jean).  -  «La  population  de  la  Tunisie  vers  1860.  Essai  d'évaluation  d'après  les  registres 
fiscaux»,  in  Etudes  maghrébines.  Mélanges  Ch.  André  Julien.  -  P.U.E.,  1964,  in-8°,  286  p.  (pp. 
165-198). 

GUILLEN  (Pierre).  -  UAllemagne  et  le  Maroc  de  1870  à  1905.  -  P.U.R,  1967,  in-8,  9914  p. 

KRAIEM  (Mustapha).  -  La  réforme  de  l'administration  centrale  en  Tunisie  (1857-1864),  mss. 

LEONE  (de).  -  La  colonizzazione  dell'Africa  del  Nord,  1.1.  Algéria.  Tunisia.  -  Padova,  Cedam,  1957,  in-8°, 
445  p. 

MANTRAN  (Robert).  -  Inventaire  des  documents  turcs  du  Dar  el  Bey  (Tunis).  -  P.U.E.,  1961,  in-8°,  135  p. 

MARTEL  (André).  -  Les  confins  saharo-tripolitains  de  la  Tunisie  (1881-1911).  -  P.U.E.,  1965,  2  vol.  in-8°, 
fig.,  241  p. 

MARTEL  (André).  -  Luis-Arnold  et  Joseph  Allegro,  consuls  du  bey  de  Tunis  à  Bône.  -  P.U.E.,  1967,  in-8°, 
241  p. 

MARTEL  (André).  -  «La  Tunisie  et  le  Sahara  (1842-1911)».  -  Bull.  Soc.  d'Hist.  mod.  1960,  n°14. 

MIEGE  (J.  Louis).  -  Le  Maroc  et  l'Europe  (1  830-1  894).  -  P.U.F.  -1  961  -63,  4  vol.  in-8°.,  pi. 

NOUSCHI  (André).  -  Enquête  sur  le  niveau  de  vis  des  populations  rurales  constantinoises,  de  la  conquête 
jusqu'en  1919...  P.U.R,  1961,  in-8°,  LXXIII-767  p.  cartes. 

PONCET  (Jean).  -  Ea  colonisation  et  l'agriculture  européennes  en  Tunisie...  lmp.  Nationale,  1962,  in-8‘', 
700  p.  cartes,  ills. 

RAYPOND  (André).  -  «La  France,  la  Grande-Bretagne  et  le  problème  de  la  réforme  à  Tunis  (1855- 

1857)»,  in  Etudes  maghrébines,  op.  cit,  pp.  13  7-164. 

ROBINSON  (Ronald)  et  GALLAGHER  (John).  -  Africa  and  the  Victorians.  The  officiai  mind  ofimperialism. 
-  London,  Mac-millan,  1963,  in-8‘'  491  p.,  cartes. 

SMIDA  (Mongi).  -  Le  «Raid  et-Tounsi»,  journal  officiel  tunisien  (1860-1864),  mss. 

GAYCI  (TCHAIDJE)  (Abdurrahman).  -La  question  tunisienne  et  la  politique  ottomane  (1881-1913),  thèse 
soutenue  devant  la  Faculté  des  Lettres  de  Neuchâtel.  -  Erzeroum,  1963,  in-8°,  200  p. 

WINCKLER  (J.  Claude).  -  Le  comte  Raffo,  mss. 


492 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


Pages 

1 

LÉON  ROCHES 

25 

2 

RICHARD  WOOD 

25 

3 

Le  comte  GIUSEPPE  RAFFO 

25 

4 

Le  commerce  extérieur  de  la  Tunisie 

42 

5 

Le  trafic  de  La  Goulette 

43 

6 

MUSTAPHA  KHAZNADAR 

66 

7 

MOHAMMED  ES  SADOK 

66 

8 

AHMED  BEY 

78 

9 

Uniformes  de  l'armée  tunisienne 

79 

10-11 

Soldats  tunisiens  tricotant 

85 

12 

Tunis  vers  1860 

101 

13 

Un  bazar  à  Tunis 

102 

14 

La  mosquée  de  Sidi  Mahrez  à  Tunis 

107 

15 

Les  tribus  tunisiennes  au  milieu  du  XIX®“'‘=  siècle 

113 

16 

Le  palais  de  la  Mohammédia 

120 

17 

L'aqueduc  de  Zaghouan 

128 

18-19 

Sousse 

154 

20 

Croquis  du  Sahel 

171 

21 

Tunis  :  la  porte  de  la  mer 

191 

22 

Le  cours  des  obligations  tunisiennes  en  bourse  de  Paris  et  les 
opérations  du  Comptoir  d'Escompte  (1867/868) 

222 

23 

Le  général  KHÉRÉDINE. 

236 

24 

MUSTAPHA  BEN  ISMAÏL  ET  LE  BEY 

274 

25 

KHÉRÉDINE  vers  1878 

285 

26 

MUSTAPHA  BEN  ISMAÏL 

302 

27 

Tunis  en  1878 

328 

493 


28 

SANCY 

335 

29 

Sidi  Tabet  :  les  bords  de  la  Medjerda 

337 

30 

THÉODORE  ROUSTAN 

349 

31 

UCURGO  MACCIO' 

349 

32 

Madame  ELIAS  MUSSALLI 

349 

33 

THOMAS  READE 

349 

34 

Tunis  :  le  quartier  franc  en  1878 

351 

35-36 

La  rivalité  franco-italienne  vue  par  les  employés  du  consulat  de 

France  à  Tunis 

360 

37 

Tunis  et  ses  environs  en  1878 

371 

38. 

Le  général  BACCOUCHE 

377 

39. 

Le  cours  des  obligations  tunisiennes  en  bourse  de  Paris  (1876  -1881) 

402 

40. 

Le  groupe  Batignolles-Bône-Guelma  et  ses  attaches  financières 
(1878-1881) 

405 

41. 

Incidents  de  frontière 

412 

494 


TABLE  DES  MATIÈRES 

Chapitre  I.  Situation  internationale  de  la  Régence  vers  1860  13 

1.  La  conquête  de  l'Algérie  et  la  prépondérance  française  en  Tunisie  16 

2.  Les  efforts  anglais  pour  un  rapprochement  turco-tunisien  22 

3.  La  rivalité  franco-anglaise  28 

4.  Les  Européens  dans  la  Régence  33 

a)  Les  colonies  étrangères  34 

b)  Commerce  et  contrebande  40 

c)  Les  rivalités  économiques  44 

Chapitre  11.  Le  régime  politique  51 

1.  La  Constitution  de  1861  55 

2.  La  toute  puissance  de  Mustapha  Khaznadar  63 

3.  Les  finances  69 

a)  Les  impôts  tunisiens  69 

b)  Recettes  et  dépenses  73 

4.  L'armée  et  la  Marine  77 

a)  Ahmed  Bey  et  la  création  d'une  armée  régulière  77 

b)  L'armée  Tunisienne  vers  1860  83 

c)  La  marine  86 

Chapitre  111.  L'administration  locale.  Sédentaires  et  nomades  89 

1.  Les  caïds  90 

2.  Les  populations  sédentaires  94 

a)  Les  sédentaires  du  nord  96 

b)  Les  villageois  du  Sahel  97 

c)  Les  habitants  des  oasis  98 

d)  Les  citadins  99 

3.  Les  juifs  103 

4.  Les  nomades  108 

a)  Les  tribus  du  Tell  111 

b)  Les  tribus  de  la  steppe  114 

c)  Les  tribus  sahariennes  116 


495 


Chapitre  IV.  Les  origines  de  la  crise  financière  119 

1.  Les  prodigalités  du  Bey  Ahmed  (1837-1855)  119 

2.  La  politique  du  khaznadar  et  l'endettement  de  la  Régence  (1855-1862)  125 

3.  L'appel  au  crédit  étranger  130 

4.  L'emprunt  de  1863  135 

Chapitre  V.  L'insurrection  de  1864  143 

1.  Les  origines  du  soulèvement  143 

2.  Le  développement  de  la  révolte  148 

a)  Soulèvement  des  tribus  148 

h)  L'arrivée  des  escadres  européennes  150 

c)  Soulèvement  de  la  côte  153 

3.  L'intervention  des  grandes  puissances  154 

a)  La  politique  de  Wood  158 

h)  La  politique  de  Beauval  160 

c)  Une  expédition  italienne  manquée  163 

4.  Fin  de  l'insurrection  169 

a)  Soumission  des  rebelles  169 

b)  La  répression  173 

c)  La  mission  Khérédine  175 

5.  La  restauration  de  l'influence  française  177 

Chapitre  VL  La  crise  des  finances  tunisiennes  (1864-1868)  185 

1.  L'emprunt  de  1865  186 

2.  La  banqueroute  192 

3.  Les  conversions  locales  199 

4.  La  spoliation  des  obligataires  français  204 

Chapitre  VIL  La  mise  en  tutelle  de  la  Régence.  La  commission 

financière  internationale  (1868-1870)  213 

1.  L'intervention  de  la  France  et  l'opposition  anglo-italienne  214 

2.  Intrigues  et  combinaisons  financières  221 

3.  L'entente  des  trois  puissances  et  la  mise  en  tutelle  de  la  Régence  229 

4.  L'installation  de  la  commission  234 

a)  Composition  des  Comités  234 

b)  L'arrangement  du  23  mars  1870  2  4  0 

5.  Les  difficultés  du  nouveau  régime  246 

Chapitre  VIII.  L'effacement  de  la  France  et  le  succès  de  la  politique 

anglaise  (1871-1873)  255 

1.  Une  offensive  italienne  l'affaire  de  la  Djédeida  255 

2.  La  prépondérance  anglaise  262 

a)  Lefirman  de  1871  262 

b)  Le  développement  des  entreprises  anglaises  266 

3.  Les  difficultés  financières  et  la  chute  du  khaznadar  269 


496 


Chapitre  IX.  Le  gouvernement  de  khérédine  (octobre  1873-juiIlet  1877) 


277 


1.  Le  nouveau  ministère  277 

2.  L'administration  de  Khérédine  284 

a)  Réformes  intérieures  284 

b)  Relations  avec  les  puissances  288 

3.  Les  rivalités  économiques  et  la  chute  de  Khérédine  292 

a)  Les  efforts  de  Roustan  292 

b)  La  chute  de  Khérédine  296 

4.  La  succession  de  Khérédine  299 

a)  L'administration  de  Mustapha  301 

b)  Les  embarras  financiers  303 

Chapitre  X.  Le  congrès  de  Berlin  et  l'offre  de  Tunis  à  la  France  309 

1.  La  crise  orientale  et  le  dépècement  de  la  Turquie  309 

a)  Les  hésitations  de  l'Italie  310 

b)  L'idée  d'une  compensation  pour  la  France  315 

2.  Le  congrès  de  Berlin  319 

a)  L' offre  anglo-allemande  319 

b)  Les  engagements  britanniques  323 

Chapitre  XL  La  rivalité  franco-italienne  (1878-1880)  327 

1.  Projets  de  protectorat  329 

a)  Le  premier  projet  de  Waddington  329 

b)  L' affaire  de  Sidi  Thabet  335 

c)  L'échec  d' une  proposition  d'alliance  342 

2.  Roustan  contre  Maccio'  ou  la  guerre  des  deux  consuls  344 

3.  Les  succès  de  Roustan  1879-1880  353 

a)  La  pénétration  économique  française  353 

b)  La  contre  offensive  italienne  :  l'ajfaire  du  T.  G.  M  356 

c)  La  riposte  française  362 


Chapitre  XII.  les  dernières  crises  et  l'intervention  française 


(septembre  1880-avril  1881)  369 

1.  La  revanche  de  Maccio'  369 

a)  Le  revirement  de  Mustapha  369 

b)  Les  provocations  des  Italiens  374 

c)  L'affaire  de  l'Enfida  375 

2.  Les  hésitations  anglaises  380 

a)  La  politique  tunisienne  de  Granville  380 

b)  L'impossible  conciliation  franco-italienne  382 

c)  La  crise  de  l'Enfida  385 

3.  L'intervention  française  390 

a)  L'action  de  Gourcel  390 

b)  La  conversion  de  Gambetta  396 

c)  Une  guerre  pour  les  ajf aires  399 

d)  L'affaire  des  Khroumirs  412 


497 


Chapitre  XIII.  Le  procès  de  l'expédition  tunisienne 


417 


1.  L'opinion  publique  et  l'expédition 

2.  Le  procès  de  r«intransigeant» 

421 

428 

3.  Les  dessous  d'une  campagne 

433 

Bibliographie 

437 

Index  alphabétique 

473 

Mise  au  point  bibliographique 

491 

Table  des  illustrations 

493 

I 


498 


LISTE  DES  SOUSCRIPTEURS 

(ORDRE  ALPHABÉTIQUE) 


Amina  Azouz 
Abderrahman  BelHadj  Ali 
Raouf  Ben  Amor 
Ahmed  Ben  Kacem 
Mounir  Ben  Miled 
Ahmed  Bouattour 
Nadia  Boussetta 
Amor  Chadli 
Néziha  De  Dubord 
Néjib  Faiz 
Raja  Farhat 
Slaheddine  Ferchiou 
Naceur  Jeljeli 
Ahmed  Jemmali 
Béhir  Kerkeni 
Jihen  M'Halla 
Amor  Souki 


Professeur  universitaire 
Ancien  ambassadeur 
Acteur 

Cadre  bancaire 

Expert  en  tourisme 

Réalisateur 

Artiste 

Médecin 

Ingénieur  financier 
Directeur  technique 
Sénior  consultant  culture  com 
Homme  d'affaires 
Chef  d'entreprise 
Chirurgien 

Technicien  en  environnement 
Prothésiste  dentaire 
Cadre  administratif 


Le  présent  ouvrage  a  été  réalisé 
avec  le  concours  de  l'Institut  Français  de  Tunisie 


499 


LIVRES  ÉDITÉS  PAR  LA 
MAISON  «  BERG-ÉDITION  » 


Tourisme  etvoyages  enTunisie,  Les  Années  Régence  par  Mohamed  BERGAOUL- 
format  :  21  x  29,7  cm.-  176  p.-  plus  de  50  illustrations  d'époque.-  3^“®  édition  à 
compte  d'auteur. -2005.  ISBN  :  9973-17-666-9. --Tourisme  etvoyages  enTunisie, 
Le  temps  des  pionniers  (1956-1973)  par  Mohamed  BERGAOUL-  format: 
21  X  29,7  cm.-  208  p.  plus  de  50  illustrations.-  Ed  à  compte  d'auteur.-  2003.-  ISBN  : 
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Monastir,  fragments  d'Histoire  par  Mohamed  BERGAOUL-  Format  : 
21  X  29,7  cm.-  136  p  avec  plusieurs  illustrations  en  NB.-  Ed  à  compte  d'auteur. - 
1997. -ISBN  :9973-17-786-X. 

Tourisme  Tunisien  (1956-2006),  Figures  de  Proue  par  Mohamed  BERGAOUL- 
format  :  21  x  29,7  cm.-  274  p.-  Plus  de  200  illustrations  en  N. B  et  couleurs.-  Ed  à 
compte  d'auteur.-  2006.-  ISBN  :  978-9973-61-433-9.- 

Médecine  et  Médecins  de  Tunisie,  de  Carthage  à  nos  jours  par  Mohamed 
BERGAOUL  -  format:  31  X  22  cm.-  256  p.-  Plus  de  200  illustrations  en  NB  et 
couleurs.-  BERG-Edition,  2010.-  ISBN  :  978-9938-9503-0-4.- 

Monastir,  les  cent  ans  de  l'hôpital  Fattouma  Bourguiba  par  Mohamed 
BERGAOUL-  Format  :  15  x  21  cm.-  120  p  avec  illustrations  en  NB.-  BERG-édition 
2011.-  ISBN  :  978-9938-9503-1-1.- 

Témoin  accidentel  d'une  révolte  inespérée  Par  Mohamed  HASNL-  11x16,5 
cm. -104  p.-  BERG-édition.-  2012.-  ISBN  978-9938-9503-6-6.- 

La  nuit  des  mille  nuits  ou  le  Roi  des  Pendus  (Roman)  par  Mansour  Mhenni.- 
13  X  18  cm.-  200  pages.-  BERG-édition  2012.-  ISBN  :  978-9938-9503-7-3.- 

Tunis  ou  Tunis  (Poésie  en  Français  et  en  Arabe)  par  Michel  Dunand,  trad. 
Azouz  Jemli.-  16,5  x  11  cm.-  56  p.-  BERG-édition  2012.-  ISBN  :  978-9938-9503- 
9-7.- 

Sculpteur  de  masques  (roman)  de  Mohamed  Harmel.-  format  :  11x18  cm,  232 
p.-  Berg-édition.-  ISBN  :  978-9938-9517-6-9.- 


500 


Le  Pommier  et  l'Olivier.  Charles  Nicolle,  une  biographie  (1866-1936)  du  Dr. 

Maurice  Huet.-  format:  21x23,5  cm.-  240  p.-  Maison  Berg-édition.-  ISBN  :  978- 
9938-9517-4-5.- 

Ernest  Conseil  (1879-1930),  Un  médecin  modeste  et  discret  du  Dr.  Benoît 
Gaumer.-  format:  21x23,5  cm.-  96  p.-  Maison  Berg-édition.-  ISBN:  978-9938- 
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Le  Destour  et  la  France,  notes  et  documents  depuis  la  chute  de  la  dictature 
Peyrouton  (avril  1936-avril  1937)  de  Habib  Bourguiba.-  Format  15x21  cm.-  96 
p.  -  Maison  Berg-édition.-  ISBN  :  978-9938-9549-7-5.- 

Les  Nouveaux  Prédateurs  de  Ridha  Ben  Slama.-  format  :  21x14,5  cm.-  222  p.- 
Maison  Berg-  édition,  3®™*=  trim  2014.-  ISBN  :  978-9938-9549-8-2. 

Le  Coran,  lectures  plurielles,  lecture  privilégiée  de  Mongi  Bchir.-  format  :  21x14,4 
cm.-  240  p.-  Maison  Berg-  édition,  3^™*=  trim  2014.-  ISBN  :  978-9938-9549-9-9. 


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502 


La  maison  «B erg- édition»  remercie  les  entreprises  économiques 
qui  ont  participé  à  la  réédition  de  cet  important  ouvrage. 


503 


Achevé  d'imprimer  sur  les  presses  de  Simpact 
1®'  trimestre  2015 
I.S.B.N.  :  978-9938-9549-4-4 


BEfRG 

EDITION 


Résidence  El  Hadika,  Rue  8722  Cité  Olympique  -  1003  Tunis 
Tél  :  (216)  98  336  510  -  E-mail  :  bergamed@yahoo.fr 


504 


Jean  GANIAGE 
(1923-2012) 


Né  le  8  juin  1923  dans  un  village  de  l’Oise,  agrégé  d’histoire  en  1946,  Jean 
Ganiage  a  enseigné,  notamment,  au  lycée  Gouraud  de  Rabat  et  au  lycée  Carnot 
de  Tunis,  avant  d’être  nommé  attaché  de  recherches  au  CNRS,  puis  maître  de 
conférences  d’histoire  contemporaie  à  l’Institut  des  Hautes  Etudes,  devenu  la 
Faculté  des  Lettres  deTunis  (1956-1961). 

11  soutient  sa  thèse  :  «Les  origines  du  protectorat  français  en  Tunisie  (  1 86 1  - 1 88 1  )», 
en  juin  1957,  sous  la  direction  du  doyen  Pierre  Renouvin  et  de  Charles- André 
Julien.  Fin  1961,  il  succède  à  ce  dernier  à  la  chaire  d’histoire  de  la  colonisation 
de  la  Sorbonne,  puis  poursuit  sa  carrière  jusqu’en  1992  en  qualité  de  professeur 
d’histoire  contemporaine  à  l’Université  de  Paris-Sorbonne  (Paris  IV). 

11  est  l’auteur  d’une  dizaine  d’ouvrages  etde  nombreux  articles.  Ses  principaux  travaux 
ont  porté  sur  l’histoire  coloniale,  l’histoire  des  relations  internationales,  l’histoire  de 
Beauvais  et  du  Bcauvaisis  et  sur  des  études  de  démographie  historique. 


Ce  livre  du  Professeur  Jean  Ganiage  «Les  origines  du  protectorat  français  en  Tunisie  (1861  -1881 )»,  se  réfère 

essentiellement  aux  causes  profondes  de  la  colonisation.  Il  a  eu  le  mérite  de  montrer  la  donne  internationale 
du  partage  colonial,  d'évoquer  l'offre  anglo-allemande  de  la  Tunisie  à  la  France,  en  marge  du  congrès  de 
Berlin  (1878).  De  son  côté,  Bismarck  souhaitait  donner  la  Tunisie  à  la  France,  comme  compensation  à 
l'occupation  de  l'Alsace.  En  réalité,  le  congrès  de  Berlin  mettait  fin  à  la  défense  anglaise  de  l'entité  de 
l'empire  ottoman  et  ouvrait  largement  les  perspectives  de  colonisation,  de  l'Europe  qui  s'industrialise  et 
a  désormais  besoin  de  marchés. 

Par  ailleurs,  l'analyse  de  l'endettement  tunisien  est  magistrale.  Les  emprunts  de  1863  et  de  1865  devaient 
susciter  la  banqueroute  et  la  mise  en  tutelle  de  la  régence  (1868-1870).  Le  système  d'obligations  et  les 
mécanismes  de  l'emprunt  sont  étudiés  avec  précision.  D'autre  part,  les  intermédiaires,  la  spoliation  des 
détenteurs  des  titres  et  les  opérations  d'escroquerie  sont  mises  à  nu. 

Dans  cet  ouvrage  de  référence,  le  professeur  jean  Ganiage  détaille  le  procès  de  la  colonisation  :  une 
campagne  de  presse  se  déclencha,  fin  septembre  1881,  pour  dénoncer  «une guerre  pour  les  affaires».  Jules 
Ferry  fut  pris  à  partie  parla  droite.  De  nombreux  journaux  organisèrent  une  campagne  politique.  Le  procès 
du  journal  «/Intransigeant»  éclaire  la  question.  L'opinion  française  ne  devait  conserver  de  la  conquête 
coloniale  que  «le  souvenir  d'affaires  discutables,  de  tripotages  cyniques,  ourdis  dans  le  milieu  corrompu 
d'une  cour  orientale»  (p.  435).  Sans  prendre  position  sur  la  question,  le  professeur  Ganiage  a  eu  le  mérite 
d'étudier  les  dessous  de  l'opération  et  de  prendre  acte  de  la  genèse  d'un  mouvement  anticolonial  français, 
qui  se  porte  par  la  suite  sur  l'Indochine. 


Résidence  El  Hadika,  Rue  8722  Cité  Olympique  -  1003  Tunis 
Tél.  :  (216)  98  336  510  -  Fax  :  71  771  488 
E-mail  ;  bergamed@iyahoo.fr 


Prix  :  35  DT.  /  25  €